Afr. j . polit. sci. (1997), Vol. 2 No. 1, 89-121 Elections et Politique au Cameroun: Concurrence Deloyale, Coalitions de stabilite Hegemonique et Politique d'Affection* Luc Sindjoun** Le passage des "elections sans choix" a resultats plebiscitaires aux elections competiti ves a transparence parfois contestee constitue une rupture paradigmatique dans la vie politique Camerounaise, dans la trajectoire politique post coloniale. La rupture ne doit pas etre absolutisee du fait de lacapacite d'adaptation conservatrice, de canalisation du flux du changement politique dont les elites dirigeantes Camerounaises ont fait montre (SINDJOUN, 1994a: 143-165 MBEMBE: 1993, 345-374). Toutefois, il est contestable de minimiser les mutations induites par la competition electorate fut-elle entachee d'irregularites (SCHATZBERG, 1993). C'est 1' illusion de la continuite politique. En effet, dans un systeme politique edifie et consolide par et dans le "monolithisme" (BAYART, 1985), le pluralisme fut-il imparfait constitue un nouveau paradigme politique produisant des effets de croyances, de representations et d'actions qui affectent celui-la en depit de Peventuelle stabilite des dirigeants. Autrement dit, c'est de maniere dynamique que la continuite politique doit etre pensee au Cameroun (BIGOMBE LOGO et MENTHONG, 1996; MONGA 1992). Par souci de vigilance et d'exigence, Achille MBEMBE ecrit: "Qu 'il s 'agisse de leurs fondements, des moyens et des fins de leur administration, Von peut difficilement affirmer que les regimes politiques d' Afrique sont desormais assis sur de nouvelles legitimites ...la democratic en Afrique reste par consequent, un horizon" (MBEMBE, 1996 : 46). Toutefois, il importe de ne pas negliger les dynamiques conflictuelles de construction de nouvelles problematiques politiques 1027-0353 © 1997 African Association of Political Science 90 Luc Sindjoun legitimes dans plusieurs Etats Africains (SINDJOUN, 1994 b: 151 -230, BRATTON et VAN DE WALLE, 1997). La competition electorale apparait comme une procedure de legitimation du pouvoir. Meme s'il arrive que la transparence soit contestee, il reste qu'elle tend a devenir un rituel politique dont la force ne peut pas etre negligee (ABELES, 1992; 35-55). Sur le plan de l'analyse, il faut prendre la competition electorale au serieux pour saisir les "dynamiques et contraintes." Elle renvoie a la mise en concurrence de plusieurs acteurs et entreprises politiques en vue de la conquete des trophies politiques tels que les postes de conseiller municipal, dedepute et de president de la Republique sui vant des regies "normatives et pragmatiqu.es."' Selon Michael BRATTON et M AM ADOU DIOUF sur les 42 Etats del' Afrique sub-saharienne, 31 ont organise des elections pluralistes entre 1990 et 1994 (BRATTON, 1995 : p. 7; DIOUF, 1995 : p. 6), Madeleine LASS et Pieter ESTERHUYSEN recensent 38 Etats africains devant organiser des elections competitives entre 1995 et 2000 (LASS et ESTERHUYSEN, 1995; 109). II s'agit moins de savoir si "les elections competitives sont suffisantes" (BRATTON, op cit) dans une perspective idealiste que de les analyser froidement afin d'avoir suivant l'expression de Bernard LACROIX, des "elements pour une discussion sociologique" (LACROIX, 1994 : 6). Comprendre les situations de competition electorale en evitant autant que possible la reference a une marque deposee, a un ideal cristallise par la doctrine juridique notamment (LACROIX, 1994 : 10), ne doit pas deboucher sur un relativisme absolu. Certes, la notion de "competition electorale juste, honnete et transparente" est produite par un travail politique et intellectuel de mise en forme, de definition d'un sens de la designation des dirigeants, mais il convient aussi de preciser que l'option pour "la competition electorale" semble emporter dans une certaine mesure adhesion a un code de legitimation. II est des lors important dans Ie cadre de la sociologie politique de l'experience de la competition electorale (DUBET, 1994) de montrer comment des logiques d'actions contradictoires vont etre mises en oeuvre par des acteurs pour definir et canaliser la "competition electorale." En d'autres termes, il ne s'agit pas d'aller de la "theorie de la competition electorale " a sa pratique camerounaise pour constater 1' harmonie ou le divorce sous le mode de la celebration ou de la denonciation (BARKAN 1993; KANTE 1994). II s'agit plutot de se situer dans le cadre de "I'historicite du politique" au Cameroun (BAYART, 1996 a) pour voir comment les acteurs gerent, organisent et instrumentalisent la competition Electorale. D'ou l'hypothese des multiples reinventions de la competition electorale en fonction des acteurs, des enjeux et des logiques d'action. Les crises qui en decoulent parfois ne doivent pas etre presentees sous la forme culturaliste des consequences de "/'exportation des modelespolitiques" (BADIE, 1992). Elles participent dans une large mesure de la dynamique dujeu politique, de la confrontation des interets divergents (BAY ART, Elections et Politique au Cameroun 91 1996 b; DOBRY, 1992). L'hypothesede la reinvention, de la reformulation n'est pas le masque relativiste derriere lequel se cache rautoritarisme. Elle aide a saisir la vie socio-politique de la competition electorale sans prejuges, ni prenotions et non a la reifier, a la naturaliser. D'ou le passage de la connaissance metaphysique de la competition electorale a sa connaissance positive, de la competition electorale normative ou ideale a la competition electorale concrete ou empirique. IL s'agit suivant une approche weberienne, de la considerer comme une activite politique determinant la validite de la domination legitime et dont le sens et la forme sont influences par une interaction inegale entre acteurs (WEBER, 1995 : 52-53; RAYNAUD, 1987 : 157-203). La competition electorale au Cameroun comme ailleurs ne se reduit pas a la magie du concept, elle resulte des luttes et des actions politiques dont 1' intelligence permet de comprendre sa forme; parce qu'elle constitue un paradigme politique, un "regime de verite", la competition electorale a des effets sur la dynamique politique globale. En d'autres termes, en meme temps que lacompetition electorale est produite par des acteurs politiques, elle influence ceux-ci en retour. Cette hypothese se verifie au Cameroun a partir de trois sites de competition electorale structures par le changement politique. II s'agit des elections legislatives et presidentielles de 1992, des elections municipales de Janvier 1996. La sociologie politique de l'experience Camerounaise de la competition electorale permet de faire ressortir d'une part la dynamique de structuration politique de celle-ci (I) et d'autre part les effets de transformation du systeme politique (II). I — La Construction Problematique du champ de la Competition Electorale Par champ de la competition electorale, il faut entendre le lieu ou s'organisent les relations de concurrence, de coalition et de transaction entre acteurs politiques en quete du droit de representer et d'agir au nom des gouvernes soit sur le plan local, soit sur le plan national. En tant que tel, le Champ de la competition electorale n 'est pas donne ; il resulte des luttes politiques contre rautoritarisme devenues visibles a partir de 1990 au Cameroun (SINDJOUN, 1994, a). C'est par et dans la remise en cause du monopole unipartisan de politique electorale amorce des l'independance, officialise en 1966 et affirme jusqu'en 1990 que se construit le referentiel de competition electorale. La dynamique politique post-coloniale au Cameroun est traversee par la dialectique du retrecissement et de l'elargissement de la structure des choix politiques c'est-a-dire du champ de la competition electorale. Sa configuration est fonction du degre de monopole ou de pluralisme de l'activite politique. En d'autres termes, le champ de lacompetition electorale est un champ de forces historiquement situe. Au Cameroun, celui-ci apparatt comme un construit d'autant plus que la selection des dirigeants est le theatre du passage de la definition autoritaire de la problematique electorale legitime a sa definition plurielle. 92 Luc Sindjoun A — le Referentiel Monopoliste de politique electorate et le retrecissement de la structure des choix politiques Le referentiel monopartisan de politique electorale, entendu comme ensemble des idees-forces mises en avant pour justifier la confiscation de l'offre politique par un seul groupe, est un produit de lady namique du champ politique Camerounais postcolonial (BAYART, 1985). En effet, pendant la periode coloniale, la politisation dans le sens d'apprentissage des roles d'electeur et d'elu s'effectue dans des conditions de pluralisme partisan (Le VINE, 1984, SEUTCHEU, 1994). Dans le Cameroun Oriental sous administration franchise, c'est le referentiel competitif qui determine les elections legislatives de 1946, 1947 et 1956, municipales de 1956. Ici, c'est apres la structuration du champ de la competition electorale que se creent les entreprises politiques telles que l'Union de Populations du Cameroun en 1940, le Mouvement d'Action Nationale, l'Union Camerounaise, etc. Dans le Cameroun Occidental sous administration britannique, le champ de la competition electorale etait principalement occupe par le Kamerun National Congress et le Kamerun National Democratic Congress ; le premier parti fut majoritaire de 1954 a 1955 et le second de 1959 jusqu'a la reunification des 2 Cameroun en 1961. C'est par rapport au referentiel de la competition electorale que se construit le jeu politique pendant la colonisation. L'autonomisation du jeu politique, juridiquement traduite par la loi-cadre de 1956 et symboliquement consacree par l'independance du Cameroun Oriental le ler Janvier 1960, est une conjoncture de structuration differentielle du champ de la competition electorale par des strategies laterales. En fait, le premier Ministre, AHM ADOU AHIDJO (in vesti en Fevrier 1958 suite a la demission d' Andre Marie MBIDA, victime d'un changement d'alliances a l'assemblee legislative), dirige un gouvernement charge de gerer la transition a 1' independance, autorise sui vant la loi No 59-56 du 31 Octobre 1959 "aprendre a compterdu lerNovembre 1959, par decrets denommes ordonnances, toutes dispositions de caractere legislatifjugees necessaires a la bonne marche des institutions mises en place en application de la constitution Camerounaise ... " et habilite a "etablir un projet de constitution. " En d'autres termes, la loi No. 59-56du 31 Octobre 1959 accordant au gouvernement du "19 Fevrier 1958" le pouvoir de legiferer et de preparer la constitution Camerounaise constitue une ressource normative dont la mobilisation confere aux acteurs politiques dominants le monopole de la formulation des regies du nouveau jeu politique. Monopole renforce par l'usage de la legalite d'exception. II se traduit par la stigmatisation officielle des principaux lieux d'activite politique des partis politiques d'opposition places sous l'etat d'alerte entre Juin 1959 et Janvier 1960. II s'agit des departements Bamileke, Wouri, Nyong et Sanaga, Sanaga Maritime, Nkam etc. (SINDJOUN, 1994 c : 478-481). Le champ de competition electorale subit l'influence de la monopolisation en cours dans le champ politique. C'est de maniere discretionnaire que celui-la est organise par le biais du decret du 4 Mars Elections et Politique au Cameroun 93 1960 fixant les conditions d'election des deputes, et l'ordonnance 60-38 du 16 Avril 1960 arretant les modalites d'election du President dc la Republiquc. Ccs regies du jeu sont instrumentalisees dans la perspective de la continuite politique des elites dirigeantes. Dans le cadre de l'organisation des elections legislatives, le "legislateur gouvernemental" recourt au gerrymandering. Comme l'ecrit Jean- Francois BAYART, "le gouvernement avail limiteles risques qu'il encourrait; les departements dont il etait sur ou inversement les departements dont il savait que I 'opposition y triompherait de toute maniere eliraient en bloc 10deputes; dans les departements incertains, le chiffre de 5 candidats par liste, ou plus generalement, le scrutin uninominal lui laisseraitquelque chance de voirl'emporterdes candidats de la majorite" (BAYART, 1985, p. 78). Les elections legislatives eurent lieu le 10 Avril 1960 et des resultats furent favorables a l'Union Camerounaise, le parti au pouvoir, qui controlait 51 sieges sur 100 face aux Democrates Camerounais, a l'Union des Populations du Cameroun, au Front Populaire pour l'unite et la paix, aux progressistes du Cameroun. C'est apres les elections legislatives ayant permis de construire la domination politique de l'Union Camerounaise, qu'est prise par le premier Ministre AHMADOU AHIDJO, l'ordonnance du 16 Avril organisant l'election du President de la Republique par 1' Assemblee Nationale et conditionnant toute candidature audit poste au soutien par le cinquieme du college electoral requis c'est-a-dire 20 deputes sur 100. Or il se trouve que non seulement l'Union Camerounaise est le seul parti represente par au moins 20 deputes; en plus, 1'opposition parlementaire n'est pas homogene. Le 5 Mai 1960, AHMADOU AHIDJO, candidat unique a la presidence de la Republique, est elu par un college electoral constitue de 99 deputes.2 Le champ de la competition electorale subit la domination de l'entreprise politique d'AHMADOU AHIDJO dont la position de premier ministre lui donne acces a des ressources institutionnelles permettant de mettre les chances de succes de son cote des 1959. En d'autres termes, il s'agit d'une competition electorale deloyale structured par un joueur qui s'est arroge le monopole de la definition des regies de jeu, qui a plus de ressources que ses adversaires (BAILEY, 1971 : 50). La structuration interessee du champ de la competition electorale, doublee de la pratique du regime d'exception impliquant la censure des declarations des candidats et la restriction des libertes publiqucs (BAYART, 1985; 78) fut contestee en vain par des entreprises politiques minoritaires a travers des greves, des manifestations et autres appels au boycott (Ibid.). Elle permet de manipuler le suffrage universel aux fins de construction electorale de la domination politique. Ici, l'election apparatt comme une continuation de l'entreprise de monopolisation par les moyens du suffrage universel pouvant etre detourne ou oriente. La construction politique du "succes" electoral d'AHMADOU AHIDJO traduit la capacite d'un acteur provilegie a imposer un code de deroulement de la competition electorale en fonction de ses interets. 94 Luc Sindjoun La "legitimation electorate" de l'entreprise politique d'AHMADOU AHIDJO en 1960 ouvre un cours nouveau dans la dynamique de monopolisation du champ politique.3 Le regime multipartisan de la competition electorate est remise en cause de maniere laterale par les strategies politico-juridiques. En effet, des Septembre 1960 au congres de son parti l'Union Camerounaise a Garoua, le chef de l'Etat AHMADOU AHIDJO lance un appel a la constitution d' "un grand parti national" qui debouchera sur 1' "encapsulation " de "I'Action Nationale " de Charles ASS ALE en Novembre de la meme annee et du "Front Populaire pour I'Unite et la Paix" en Avril 1961. Ces formations politiques abordees s' adaptaient ainsi au desequilibre du jeu politique. En Novembre 1961, la nouvelle offre politique de AHMADOU AHIDJO est constitute par la necessite de constituer "un grand parti national unifie". Cette fois, il s'agit de passer du parti majoritaire a 1' Assemblee du fait de la politique du "grand parti national" au parti unique. La politique du "grand parti national unifie" constitue une demarche de modification substantielle des regies pragmatiques du jeu politique. Les clauses constitutionnelles relatives au multipartisme demeurent. Mais la monopolisation de l'offre partisane par une seule entreprise vise a construire une nouvelle representation de la pratique politique a l'aire de regies non juridiques, du consensus qui s'appuient sur "la force du droit" politique et produisent une police de significations, disciplinent les comportements des acteurs politiques.4 La codification implicite du parti unique se traduit en Janvier 1962 par la dispersion d'une reunion du congres de l'UPC legale par les forces de l'ordre au nom de la necessite" "du maintien de l'ordre public". En Mars 1962, elle est renforcee par l'ordonnance No. 62-01-18 du 11 Mars portant repression de la subversion. Suivant l'article 3 de ladite ordonnance, est subversif "Quiconque aura ends ou propage des bruits, nouvelles, rumeurs ou nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles, rumeurs ou commentaires sont susceptibles de nuire aux autorites publiques ..." A priori, ce texte ne concerne pas le multipartisme mais en fait, il elimine le droit a 1'opposition (MINKOA SHE, 1996 : 6). D'ailleurs, pour avoir refuse d'adherer a l'idee d'un "parti national unifie" dans le cadre d'une lettre ouverte publiee le 23 Juin 1962, Andre-Marie MBIDA (ancien premier ministre et chef du Parti des Democrates Camerounais), Rene Guy OKALA (ancien ministre des affaires etrangeres et chef du parti socialiste Camerounais), Theodore MAYI MATIP (president du groupe parlementaire de l'UPC legale) et BEYBEY EYIDI furent accuses de subversion, condamnes a 30 mois d'emprisonnement et a 250.000 F CFA d'amende. II s'agit d'une nouvelle conjoncture politique: en Decembre 1962, lors des elections municipales, 1'Union Camerounaise est le seul parti a presenter des candidats. La monopolisation de l'offre politique dans le Cameroun oriental, devenu Etat federe du Cameroun oriental, se repercute dans l'Etat federe du Cameroun Occidental. L'accord du 27 Avril 1962 entre l'Union Camerounaise et le Kamerun National Democratic Party de John NGU FONCHA Elections et Politique au Cameroun 95 premier ministre de l'Etat federe du Cameroun Occidental et vice-president de la Republique federal consacre les zones d'influence respectives des 2 partis majoritaires, la formation d' un "groupe d'unite nationale " a V Assemblee Federale et d'un Comite de coordination entre les 2 partis. Pendant ce temps, l'adversaire local de John NGU FONCHA, Emmanuel ENDELEY, leader du CAMEROON PEOPLES NATIONAL CONGRESS (C.P.N.C), en quete de repositionnement, soutenait la cause du "parti unique" a travers le depot d'un projet de resolution a 1'Assemblee legislative du Cameroun Occidental le 7 Decembre 1962 et la publication d'une lettre ouverte au president AHIDJO en Janvier 1963. En Janvier 1965, le parti politique de TANDENG MUNA Cameroon United Congress, ebranle le statut d'allie peripherique legitime du pouvoir central dont se prevalait le Kamerun National Democratic Party en reprenant a son compte les theses d'AHMADOU AHIDJO pour un "parti national unifie". Ce qui est alors en cours, c'est une concurrence entre les entreprises politiques du Cameroun Occidental en vue du monopole de l'alliance legitime avec le parti du president de la Republique Federale du Cameroun devenu maitre du jeu dans le cadre d'un "federalisme centralise."'Le 11 Juin 1966, une reunion entre l'UnionCamerounaiseet les partis politiques du Cameroun Occidental de (Kamerun National Democratic Congress) entraine la dissolution du ceux-ci au profit de, 1'Union Nationale Camerounaise (UNC) qui natt officiellement le ler Septembre de la meme annee. De maniere generate, c'est la maitrise des ressources etatiques qui permet au president AHMADOU AHIDJO d'imposer le parti unique dans le champ politique (SINDJOUN, 1994, c : 292-293; 535-539). La construction pragmatique du parti unique relati vise la force de la reconnaissance normative du multipartisme. Le nouveau droit politique restructure le champ de la competition electorale. Le multipartisme est presente par le president AHMADOU AHIDJO comme "un element de desordre et de stagnation sinon de recul" (cite in SINDJOUN, 1994 c: 512) Son successeur, Paul BIYA abonde dans le sens de la delegitimation du multipartisme: "Le Cameroun est compose de plus de deux cent ethnies, et le moment n'est pas encore venu pour le pluralisme. Presque aussitot crees, les nouveaux partis risqueraient d'epouser les contours des principaux groupes ethniques, comme ce fut le cas jusqu'en 1966 . . . " (cite par SINDJOUN, 1994, c: 512). II presente alors le parti unique comme "un instrument irrempla^able au service de l'unite nationale" (Ibid). Dans ce contexte politique monopartisan, la competition electorale renvoie en fait aux luttes a l'interieur du parti unique en vue de 1'investiture de la candidature. C'est le parti unique qui maitrise le droit du jouer, de parler et d'exister dans le champ politique (GAXIE, 1984 : 9-14). C'est le referentiel monopartisan dur de politique electorale qui structure les elections presidentielles et legislatives de 1965, 1970, 1973, 1975, 1978,1980, 1983,etde 1988. Ici, la concurrence est reprime'e. Abel EYINGA fut accuse de subversion pour avoir voulu pre'sente sa candidature a l'election 96 Luc Sindjoun presidentielle de 1970(EYINGA, 1978). Neanmoins, laritualisationdel'election ou l'election comme politique symbolique (ABELES, 1993) contribue a la construction d' un sens de la representation politique. La politique de liberalisation du parti unique, traduites lors des elections municipales de 1987 et legislatives de 1988 par la concurrence entre plusieurs listes ayant recu l'investiture du parti unique, renvoie au referentiel monopartisan souple de politique electoral. La relative competition electorate, autrement appelee election semi-competitive (BAKARY, 1986) ne beneficie pas du soutien structurel du multipartisme; lequel ne sera possible que dans les annees 1990. B — Le refentiel concurrentiel de politique electorate l'elargissement de la structure des choix politiques C'est davantage par rapport a la pragmatique du jeu politique que se degage le referentiel monopartisan ou multipartisan de politique electorale. Dans le contexte de monopartisme, les "chances d'application" du droit electoral consacrant le multipartisme sont nulles. II y a une mobilisation neutralisante ou passive dudit droit dans la situation d'action monopartisane.5 Le divorce entre la pratique electorale monopartisane et le droit electoral multipartisan (Loi No. 64/LF-1 du 24 Mars 1964 fixant les conditions des elections des membres de l'Assemblee Nationale Federate, loi No. 73-10 du 7 Decembre 1973 fixant les conditions d'election et de suppleance a la presidence de la Republique, loi No. 72-LF-6 du 26 Juin 1972 fixant les conditions d'election des membres de l'Assemblee Nationale, etc.) est sujet a des usages politiques differencie's. Dans le contexte monopartisan, c'est la traduction de la constitution de l'offre politique. Par contre, le droit electoral multipartisan sert au support de la rhetorique liberate des gouvernants. Dans la periode de "transition democratique", il permet de minimiser l'ampleur des reformes juridiques, des demandes politiques sous le pretexte de l'option pluraliste du droit en vigueur (SINDJOUN, 1994, a; MENTHONG, 1996). La possibility legate de pluralisme des candidatures a l'election presidentielle introduite dans les annees 1980 a travers la legalisation de la candidature independante, a ete tenue en echec par la pratique politique. Car, celle-ci intervient dans un contexte de crise de la succession presidentielle, le parti unique ne semble pas alors totalement controle par le nouveau president Paul BIYA; lequel se menage un recours en cas de refus d' investiture de sa candidature par la formation politique a laquelle il appartient. La suite allait relativiser cette apprehension presidentielle et confirmer le referentiel monopoliste de politique electorale dont la deconstruction traduit une crise de l'ordre politique, une "crise de regime" (CHEVALLIER, 1996; 144). En d'autres termes, le referentiel multipartisan de politique electorale advient dans un contexte de luttes autourdu droit d'entree dans le champ politique, des significations fondamentales du regime. Et sa construction est fonction des rapports de force. 1 — La deconstruction du referentiel monopoliste de politique electorate La redefinition des regies du jeu de la conquete electorate du pouvoir est fonction des contextes politiques de relachement relatif du monopartisme et de remise en cause du regime. a) Le contexte de relachement relatif du monopartisme renvoie a la peYiode qui va de 1986 a 1990. En effet, les consultations electorates intervenues alors, c'est-adire les elections municipales de 1987 et legislatives de 1988, sont marquees par le referentiel monopartisan souple dont les mediateurs sont les dominants. En effet, les elections municipales d'Octobre 1987 marquent dans le champ politique public6 la competition entre plusieurs listes investies par le parti unique. La Densite Competitive Lors des Elections Municipales d'Octobre 1987 Provinces Littoral Centre Sud Sud-Ouest Ouest Nord-Ouest Nord Adamaoua Est Extreme-Nord Source: Elections Municipales, Yaounde, SOPECAM, 1989. Les elections municipales semi-competitives d'Octobre 1987 introduisent une nouvelle donne politique. La concurrence est la regie dans les 196 communes disputees par 267 listes.7 Elle est controlee par le parti unique qui a limite le nombre des listes concurrentes a 3 au maximum par commune, qui in vestit les candidatures et elabore le programme electoral valable pour tous les candidats. Les elections legislatives du 24 Avril 1988 vont dans le meme sens : 324 candidats pour 180 sieges. Le renouvellement de l'Assemblee Nationale consecutif aux elections Nombre de Communes 19 41 20 18 30 16 7 9 17 20 Elections et Politique au Cameroun 97 Moyenne Nombre de Listes 36 64 31 24 40 18 1,39 1,56 1,51 1,36 1,33 1,12 1,17 8 10 18 1,11 1,05 1,05 21 98 Luc Sindjoun legislatives d'Avril 1988 de 85%. Sur les 59 anciens deputes qui se sont presentes, 26 ont ete reelus; 154 deputes sont des nou veaux. Par contre, 1' election presidentielle du 24 Avril 1988 releve du monopole politique dur. Les elections municipalesd'Octobre 1987 et legislatives d' Avril 1988 constituent dans le contexte monopartisan une mutation paradigmatique. Le quotidien gouvernemental CAMEROON TRIBUNE a propos des elections municipales d'Octobre 1987, dans son edition du 27 Octobre titre "Les temps ont vraiment change" apres avoir rappele pendant la campagne electorale que les "concurrents ne se faisaient pas de cadeaux", que c'etait "la fin de l'unanimite de fac,ade". Les elections municipales d'Octobre 1987 et legislatives d'Avril 1988 amorcent le processus d'elargissement relatif de la structure des choix politiques. Le probleme de la structuration de la competition electorale se pose toujours. Neanmoins, la concurrence est marquee par le nombre des listes qui s'affrontent et symbolisee par la difference des couleurs de bulletins de vote. Lors des elections municipales par exemple, la premiere liste a la couleur verte, la seconde, la couleur rose et la derniere la couleur blanche. C'est une reformulation pragmatique des "cadres de 1'experience" electorale au Cameroun. La prise en consideration desdites elections est fondamentale dans le cadre de l'histoire politique de la competition electorale (GARRIGOU, 1992). Toutefois, il fautevitersous le coup de 1' illusion gradualiste, de 1' illusion de la linearite planifiee du processus politique, d' en faire 1' antichambre des elections pluralistes de 1992 et de 1997. En effet, on peut valablement envisager les elections semi-competitives comme participant de la regulation de l'autoritarisme, de renouvellement de la classe politique sans remise en cause de la loi du monopole politique comme ce fut le cas au Kenya et en Cote-d'Ivoire (BOURMAUD, 1985). Dans le cas d'espece, il n'y a jamais eu une planification temporelle de la democratisation en depit de la formulation d'une "intention democratique." Qui plus est, si tout s'enchafnait, comment comprendre les resistances mate'rielles et symboliques de l'ordre dirigeant (mobilisations contre le multipartisme, arrestation et condamnation des personnes ayant voulu creer un parti d'opposition, etc.) a l'ouverture du champ politique a d'autres acteurs ?(SINDJOUN et NGUINIOWONA, 1995). Tout au plus il y a lieu de reconnattre que les elections semi-competitives de 1987 et de 1988 favorisent un climat de contestation du monopole politique sans que ses initiateurs l'aient souhaite. b) La remise en cause du reTerentiel monopoliste de politique electorale est liee aux luttes politiques pour le multipartisme devenues visibles a partir de 1990 (Ibid). La revendication du multipartisme constitue la crise du modele monopoliste de politique electorale. Elle a un "effet de parapluie"8 sur la construction du referentiel competitif de politique e'lectorale. En effet, 6tant donne que les partis politiques sont la forme la plus importante d'entreprises politiques qui revendiquent le monopole de la competition sur le "marche des biens electifs" (OFFERLE, 1987), Elections et Politique au Cameroun 99 1'option pour le multipartisme emporte option de concurrence electorale interpartisane.9 La conjoncture de crise, ouverte en Fevrier 1990 par l'affaire YONDO Black, Albert MUKONG et autres Anicet EKANE, accuses de subversion pour avoir voulu creer un parti politique d'opposition et continuee le 26 Mai 1990 par le lancement "illegal" du parti SOCIAL DEMOCRATIC FRONT au cours d'une manifestation interdite par les autorites publiques, debouche en Decembre 1990 sur la promulgation d'une loi sur les partis politiques ; Loi prevue depuis 18 ans par la Constitution du 2 Juin 1972.10 D'ou l'interet d'une histoire socio-politique du multipartisme permettant d'eviter le piege du juridisme qui se contente de relever la validite de la loi des partis politique de Decembre 1990 par rapport a la constitution du 2 Juin 1972. Si tout etait si simple pourquoi avoir entendu 18 ans? La validite politique et contextuelle de la loi est importante. II en decoule une restructuration differentielle du champ politique avec l'apparition de nouveaux partis politiques. En 1991, 58 partis sont "autorises". L'annee 1991 va reveler la mobilite revendicative des groupes oppositionnels. Le theme du multipartisme est declasse en faveur de celui de l'illegitimite du regime, de la necessite de refonder l'ordre politique. Ce repositionnement de la contestation nourrit une insurrection generalisee dans 7 des 10 provinces que compte le Cameroun. Contrairement a 1' opposition dite radicale qui a opte pour la "Conference nationale souveraine", l'ordre dirigeant deploie une strategie du forcing electoral. Bien que la demarche electorale de sortie de la crise politique l'ait emporte, l'ordre dirigeant a perdu le monopole de la formulation des regies du jeu, de la construction du referentiel de politique electorale. La rencontre tripartite pouvoirs publics — partis politiques — societe civile d'Octobre-Novembre 1991 inaugure l'echange politique inegal (CLAEYS et FROGNIER, 1995) entre le gouvernement et les partis politiques d'opposition ; c'est l'amorce d'une dynamique des "transactions collusives" (DOBRY, 1992 : 276) marquant 1' autonomisation de la classe politique par rapport aux citoyens. En effet, l'ordre du jour officiel de la "Conference Tripartite" est constitue par la negociation de l'avant-projet de loi portant organisation des elections legislatives et l'avant-projet de decret portant acces des partis politiques aux media publics pendant la campagne electorale. Ce qui est en jeu, c'est le referentiel multipartisan de politique electorale. Certes 1' ordre dirigeant conserve une marge de manoeuvre dans la phase de vote parlementaire et de promulgation du code electoral d'une part, d'autre part, de prise de decret portant code mediatique au point oil certains mediateurs de la "tripartite" tels que ADAMOU NDAM NJOYA president de l'Union democratique du Cameroun) John FRU NDI (president du SOCIAL DEMOCRATIC FRONT) ont accuse les gouvernants d' avoir detourne le consensus, d'avoir "la main mise sur la procedure electorale; mais il est indeniable qu'il y a eu initialement un marchandage institutionnel au sujet de 1' abaissement de 1' age electoral de 21 a 20 ans, du scrutin electoral majoritaire avec une ponderation 100 Luc Sindjoun proportionnelle, les commissions mixtes de supervision et de depouillement des resultats etc. L'argument de la negociation politique est d'autant plus pertinent qu'initialement le code electoral devait etre adopte par le parlement monopartisan en Juillet 1991 sans concertation; de meme les elections legislatives etaient alors prevues avant la fin de l'annee 1991. Au terme de la conference "tripartite" le comite' technique de redaction de l'avant projet de loi portant code electoral comprend les representants des partis politiques (MBAH Philippe, ISSA TCHIROMA, Me BOBBO HAYATOU). Des pouvoirs publics (EYEBE AYISSI, GWANMESSIA) et les personnalites independantes (le chef NGOMPE et Victor AYISSI MVODO). La composition du comite technique de redaction de l'avantprojet de decret portant acces des partis politiques aux media audiovisuels publics est aussi variee (representants des pouvoirs publics, des partis politiques et les personnalites independantes). Le parlement elu en Avril 1992, compose par les deputes provenant de l'exparti unique (Rassemblement Democratique du peuple Cameroun), du Mouvement pour la defense de Republique (M.D.R). de l'Union des Populations du Cameroun (UPC) et de l'Union Nationale pour la Democratic et le Progres, s'est illustre comme un lieu de fabrication et d'expression d'une nouvelle vision des regies de la conquete du pouvoir notamment en ce qui concerne les elections presidentielles et municipales. Le vote de la loi No. 92—020 du 14 Aout 1992 fixant les conditions d'election des conseillers municipaux a eu dans un parlement pluraliste. Le mode de scrutin retenu, c' est le scrutin mixte a un tour." La contradiction et le compromis entre mediateurs parlementaires se sont surtout exprime's au sujet de la loi No. 91 — 010 du 17 Septembre 1992 fixant les conditions d'election et de suppleance a la presidence de la Republique. Le debat parlementaire s'articule alors autour de deux principaux points : le nombre de tours du scrutin et la clause de residence continue au Cameroun pendant 5 ans comme condition d'eligibilite sur le premier point, le projet gouvernemental prevoit un scrutin a un tour; le deuxieme tour etant presents comme le moment des "intrigues politiques" "et des trafics en tout genre". Or les deputes de l'U.N.D.P et de l'U.P.C. sont partisans d'un scrutin a deux tours considere comme le seul pouvant assurer une veritable legitimite au president elu. Sur le deuxieme point, l'Union des Populations du Cameroun, dont le candidat a la presidence reside en France, est oppose au projet gouvernemental ; par contre l'U.N.D.P dont le candidat virtuel est au Cameroun depuis un an recherche un compromis. Finalement, le scrutin a un tour est retenu et la clause de residence ramenee a un an. Le multipartisme influence le referentiel de la politique electorate. Dans le contexte du parlement monopartisan de 1991 en dephasage avec la physionomie politique, la "conference tripartite" est un lieu d'echange au sein de la classe politique. Apres les elections legislatives de 1992, le parlement pluraliste le deviendra. En d'autres termes, c'est de maniere pluraliste que se construit le referentiel multipartisan ou concurrentiel de politique electorale dont les effets sont prosants. 2 — L'accroissement controverse de la densite competitive La demarche electorale choisie par les gouvernants pour gerer la sortie de la crise politique et les "defis emotionnels" suscites par celles-ci (BRAUD, 1991) a rencontre le disaccord de certains groupes politiques tels que le Social Democratic Front, l'Union Democratique du Cameroun et autres lors des elections legislatives du ler Mars 1992. En effet, lesdits partis politiques opterent pour le boycott du scrutin a travers l'operation "pieds morts". II s'agissait pour l'U.D.C et le S.D.Fde protester contre la "violation" des accords de la "tripartite" pour l'un, contre "la main mise" du R.D.P.C sur la procedure electorale pour l'autre. L'U.P.C et l'U.N.D.P. menacerent de boycotter les elections legislatives et se rangerent. Les Zones de Faible Participation Electorale (Au dessous de 50%) Circonscription electorale Bamboutos Bui Donga Mantung Fako Menoua Mentchum Mezam Momo Moungo Noun En depit du boycott du scrutin legislatif du ler Mars 1992 par certains partis politiques, le referentiel competitif structure le champ politique comme le confirmeront les elections presidentielles d'Octobre 1992 et municipales de 1996. Neanmoins la competition electorale demeure de"loyale du fait de l'avantage administratif de l'ex parti unique. a — La dynamique de la competition electorale Trois theatres electoraux mettent en exergue lacroissance de la densite competitive. Elections et Politique au Cameroun 101 Pourcentage de participation (%) 26,44 11,97 42,53 37,13 41,71 17,03 23,12 26,77 36,85 15,57 102 Luc Sindjoun — Lors du scrutin legislatif du 14 Mars 1992, 32 partis politiques sont en concurrence, 751 candidats se disputent 180 sieges. La Competition Electorate en MARS 1992 Departements Candidatures enregistrees (titulaires) Wouri Mfoundi 81 77 24 Mifi Mungo Mayo Tsanaga Dja et Lobo Noun Menoua Mezam Mayo Danai 18 18 5 15 15 15 15 Kaele Diamare Lekie Mbam Logone et Chari Mayo Sava Benoue Mayo Louti 20 25 25 20 8 8 16 12 Bui 8 8 8 12 20 16 12 9 9 9 6 6 12 12 Dounga Mantung Menchum Bamboutos Ntem Fako Manyu Meme Ndian Haut-Nkam Momo Mayo Rey Sanaga Maritime Kadey Lom et Djerem 9 Nombre de partis en Nombre de sieges competition 9 11 5 3 3 1 3 3 3 3 4 5 5 7 2 2 4 9 7 6 6 6 5 5 5 5 5 5 5 5 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 3 2 2 2 3 5 4 3 4 4 3 2 2 7 4 3 4 4 3 3 3 3 3 3 3 3 Departements Haut Nyong Nyong et Kelle Mefou Vina Mbere Mayo Banyo Haute Sanaga Nyong et Mfoumou Nyong et So'o Boumba et Ngoko Nde Oce'an Djerem Faro Nkam Faro et Deo En dehors de la circonscription electorale du Dja et Lobo (region natale du president Paul Biya) dans laquelle le taux de competition est nul parce que le nombre de candidature est egal au nombre de sieges, la competition est de regie. La competition interpartisane est inegale du fait de la forte ou de la faible capacity de projection electorale des partis politiques. Seuls 3 partis politiques se pre'sentent dans plus de 20 circonscriptions electorale : le R.D.P.C. 49 sur 49, l'U.N.D.P. 45 sur 49 et l'U.P.C. 22 sur 49; onze partis politiques se presentent dans plus d'une circonscription; le R.F.N., 3 sur 49, le R.F.P., 2 sur 49, l'U.S.D., 6 sur 49, le R.C.R., 2 sur 49, le C.R.P, 4 sur 49, l'U.R.C, 4 sur 49, le P.R.P.C, 3 sur 49, le P.S.P., 9 sur 49, le P.N.P., 7 sur 49, le P.D.C., 8 sur 49 et le M.D.R., 7 sur 49; et 18 partis ne presentent des candidatures que dans une seule circonscription. — L'election presidentielle du 11 octobre 1992 marque l'integration du champ politique en ce sens qu'elle n'est pas l'objet d'un mot d'ordre de boycott. C'est la premiere election presidentielle concurrentielle dans l'histoire politique du Cameroun (SINDJOUN, 1994, d : 21-69). En effet, 8 candidats affirment leur "presidentiabilite" au moment de l'ouverture de la campagne electorale: Paul BIYA (president sortant), John FRU NDI pour Samuel EBOUA a Paul BIYA pour AntarGASSAGAYE.12 La concurrence pour le poste de president, independamment des conditions de deroulement de scrutin (MBEMBE, 1993:345-374; SINDJOUN, Elections et Politique au Cameroun 103 Nombre de sieges Candidatures en regis trees (titulaires) 12 12 15 12 12 4 8 10 12 4 3 3 3 3 3 2 2 2 2 2 2 2 1 1 1 1 8 6 2 3 5 2 Nombre de partis en competition 5 5 5 4 5 3 6 6 6 2 3 4 2 3 3 2 104 Luc Sindjoun 1994 d, op. cit), constitue une mutation importante dans un systeme politique patrimonial, dans un contexte ou le president a constamment e volue sur le regime du pere "du" guide eclaire. Encore faut-il preciser que 3 candidatures (HOGBE NLEND, ELOGO METOMO, ABEGA Rodolphe) furent declarees irrrecevables par le ministre de l'administration territoriale (Ibid.). — Les elections municipals du 27 Janvier 1996 ont aussi traduit la diversification et l'integration du champ politique. 38 partis politiques ont pris part au scrutin.'3 En definitive, la configuration multipartisane du champ politique nourrit le referentiel concurrentiel de la politique electorale. Chaque election devient alors un jeu a plusieurs partis a divers niveaux du fait de l'inegalite capacite competitive des entreprises politiques en concurrence. Toutefois, la competition electorale subit la dynamique de continuite de l'ordre dirigeant. B - La Canalisation Bureaucratique de la Competition Electorale La competition electorale en tant que modalite de conquete des trophees politiques et de restructuration differentielle du champ politique, est instrumentalisee par apport au souci de perennite des elites dirigeantes (SINDJOUN et COURADE, 1996). Autrement dit, l'usage de la competition electorale comme adaptation conservatrice de l'ordre dirigeant au pluralisme politique est une hypothese envisageable. — L'ordre dirigeant a revendique avec succes le monopole de l'echeancier electoral de 1992 a 1996. La constitution du 18 Janvier 1996 a mis fin a la manipulation du temps politique a travers la subordination de toute anticipation des elections a crise grave neanmoins, il reste que la fixation des elections legislatives et presidentielles de 1992 d'une part, d'autre part, 1'organisation des elections municipales du 27 Janvier 1996 apres plusieurs reports, a ete un privilege de prince. Ce monopole conduit a prendre des libertes vis-a-vis du droit electoral. Ainsi lors des elections legislatives du ler Mars 1992, alors que 1'Union Nationale pour la Democratic et le Progres s'etait decide de prendre part au scrutin le 16 Fevrier et que le quotidien gouvernemental CAMEROON TRIBUNE dans son edition du 17 Fevrier 1992 (No. 5072) annon9ait que l'Union des Populations du Cameroun (U.P.C.) etait encore en train de disposer ses listes dans les prefectures, le ministre en charge de l'administration territoriale declarait que "les lois sont faites par les hommes pour les hommes. II ne faut pas s'en tenir a lettre, mais a l'esprit des lois" il s'agissait pour lui de legitimer le depot des candidatures apres la forclusion des delais preVus a cet effet (40 jours avant le scrutin). II en a ete de meme lors des elections municipales de 1996. En outre, les pouvoirs publics n'ont pas organise les ejections legislatives partielles suite au deces d'environ une dizaine de deputes de 1992 a 1995. Elections et Politique au Cameroun 105 — Le controle des regies de la competition electorale se traduit aussi par la discretion presidentielle en matiere de repartition du nombre des sieges de deputes par circonscription. A titre d'exemple, les circonscriptions electorales du Dja et Lobo, de la Lekie et la Mefou situees dans la principale region de soutien du president Paul BIYA ont respectivement 5 sieges pour la premiere et la seconde d'une part, 3 sieges pour la derniere d'autre part pour une population estimee en 1987 a 121.059 habitants (Dja et Lobo), a 240.252 (Lekie), et a 142.753 (Mefou). Par contre les circonscriptions de la Mezam, la Benoue et le Logone et Chari ont respectivement 5 sieges pour 430.136 habitants, 4 sieges pour 388.756 habitants et 4 sieges pour 276.183 habitants. Cette repartition des sieges est en rupture avec l'article 4 de la loi fixant les conditions d'election des deputes a l'Assemblee Nationale qui lie celle-la au chiffre et a la localisation de la population sur l'ensemble du territoire national. En fait, la representation des populations ne derive pas d'une rationalite demographique. Avec 376.798 habitants suivant les chiffres du recensement de 1987, la province du Sud a droit a 11 sieges a l'Assemblee Nationale: par contre, avec 430.136 habitants le departement de la Mezam a droit a 5 deputes. Ce sont des considerations de strategic politique qui influencent en partie la repartition des sieges. — La relativisation de la competition electorale est attestee en partie par la construction judiciaire des elections a transparence douteuse. La cour supreme, dans son arret problematique portant proclamation des resultats de l'election presidentielle d'Octobre 1992, mentionne diverses irregularites: la delivrance irreguliere de certaines cartes electorales et la disparition sur les listes electorales des noms de certains electeurs pourtant titulaires des cartes electorales, le nonenvoi ou l'arrivee tardive du materiel electoral, F impossibility pour certains citoyens d'exercer leur droit de vote a cause de l'annonce des elections apres la cloture des liste electorales, etc. (SINDJOUN, 1994 d : 51). Le refus organise ou diffus de la competition electorale dans certaines zones telles que Rey-Bouba, Iors des elections legislatives, presidentielles et municipales, participe de la logique de minimisation des effets du pluralisme electoral. II en est de meme en ce qui concerne la creation en 1994 des postes de delegue de gouvernement aupres des principales communes urbaines (Edea, Limbe, Garoua, Ebolowa, Bafoussam, Maroua, Kumba) situees dans des regions reputees acquises a 1'opposition. Le poste de delegue de gouvernement est un amortisseur bureaucratique de la crise de legitimite des gouvernants. Ce qui precede n'annule pas la dynamique de construction de referentiel concurrentiel de politique electorale. L'operation electorale competitive est en cours d'institutionnalisation. Son controle par l'Etat juge partial par certains groupes d'opposition est combattu a travers la proposition de creation d'une commission electorale independante. Ses usages divers et contradictoires ont entraine un "retournement", un ajustement du systeme politique camerounais. 106 Luc Sindjoun II - La Reconfiguration de la Dynamique Politique et Sociale Le modele de jeu electoral, induit par la concurrence entre plusieurs entreprises politiques, modifie "l'ensemble des tensions" (ELIAS, 1991 : 157) forme par la societe. En effet, la construction competitive de la politique electorale c'est-a-dire la mise en forme et en pratique de la concurrence comme principe de legitimation du deroulement des elections, marque un changement paradigmatique. La remise en cause de la politique electorale "normale" (pour paraphraser Thomas KUHN) ou monopoliste affecte l'univers des croyances et des pratiques anciennes. Elle entraine un changement d'etat, une nou velle definition de la realite socio-politique. A - LES TRANSFORMATIONS STRUCTURELLES ET COGNITIVES DU CHAMP POLITIQUE La competition electorale a ete erigee en "procedure d'Etat" pour designer les titulaires des fonctions representatives, en principe de vision de la politique (LACROIX, 1994 : 11). D'une part en tant que determinant de la "democratic representative" ou modalite de recrutement des elites dirigeantes, elle affecte l'Etat. D'autre part, entendue comme facon de faire la politique, elle influence tout ce tourne autour de l'appareil d'Etat. 1. La redefinition electorale de 1'exercice du pouvoir d'Etat Les elections legislatives et presidentielles de 1992 ont transforme la pratique dirigeante. — Sur le plan symbolique, elles ont ete presentees comme la source de la legitimite a travers les usages politique de la notion de contrat social. La competition electorale apparait comme production symbolique de la legitimite. Des lors, la continuite politique va etre presentee comme un renouvellement de la confiance des camerounais exprimee a travers la majorite relative obtenue par l'ex-parti unique lors de consultations electorates de 1992. Ce qui est en jeu, ce sont les representations sociales autour du pouvoir (LAGROYE, 1985 : 395-467). La symbolique de la legitimite electorale a des "effets de realite"" dans la dynamique du personnel dirigeant en position de pouvoir avant les elections legislatives : le ministre Joseph MBOUI, pour avoir perdu les elections dans la Sanaga Maritime, est demis de ses fonctions; le premier ministre SADOU HAYATOU, "chef du gouvernement" n'ayant pas pu faire gagner l'ex-parti unique dans sa region natale, la province du nord est remplace le 9 Avril 1992 par Simon ACHIDI ACHU depute elu ressortissant de la province du Nord-Ouest dans laquelle le boycott des elections par le SDF a largement profite au pouvoir (20 sieges); NJOH MOUELLE, Secretaire general du comite central de l'ex-parti unique, perd son poste apres sa defaite dans le Nkam. Elections et Politique au Cameroun 107 — Les elections legislatives et presidentielles ont influence le temps politique. C'est ainsi que apres le scrutin du ler Mars, un remaniement ministe'riel intervient le 9 Avril; en ce qui concerne l'election presidentielle du 11 Octobre,c'estenNovembrequelaformationdunouveau gouvernement a lieu. La prise en compte de la variable electorale affecte lacomposition du gouvernement, dans le gouvernement d'Avril 1992, le premier ministre ACHIDIACHU et le vice premier ministre Marcel NIAT sont des deputes. De meme, la coalition fait son apparition dans le champ dirigeant. L'ex parti unique a une majorite relative au parlement 88 sieges sur 180. La relative parlementarisation du regime politique camerounais provoquee par la re vision constitutionnelle d'Avril 1991 qui rend le gouvernement responsable devant l'Assemblee Nationale d'une part, d'autre part la necessite de former une majorite parlementaire pour legitimer l'activite dirigeante conduisent a une alliance entre l'ex parti-unique et le Mouvement de ladefense de la Republique (MDR) titulaire de 6 Sieges. C'est une alliance selective qui exclut l'UPC (18 sieges) pourtant demandeur. Ainsi dans le gouvernement du 6 Avril 1992, 4 portefeuilles de ministre sont attribues au MDR avec benefice de distinction symbolique, protocolaire de son president DAKOLE DAISSALA nomme ministre d'Etat charge des postes et telecommunications. La majorite relative obtenue par le president Paul BIYA en Octobre 1992, 39,976 % (contre 35,968 % pour John Fru NDI, 19,218 % pour Maigari Bello BOUB A, 3,622 % pour NDAM NJOYA, etc.) renforce la necessite de l'alliance avec d'autres formations politiques pour legitimer le pouvoir. Dans le gouvernement de Novembre 1992, hormis le RDPC et le MDR, 3 partis politiques sont representes: le parti National pour le Progres a travers ANTAR GASS AGAYE, Secretaire d'Etat a l'administration nationale, l'UPC a travers Augustin Frederic KODOCK (ministre d'Etat charge de 1'agriculture), Simon NJAMI (secretaire d'Etat a la sante), MBILA (ministre du travail), MASSOUA (ministre de la jeunesse et des sports), et l'UNDP a travers HAMADOU MOUSTAPHA (vice premier ministre charge de l'urbanisme etde l'habitat) et ISSA TCHIROMA (ministre des transports). La representation gouvernementale de l'UNDP a ete contestee par les instances dirigeantes dudit parti et au point ou MM Hamadou MOUSTAPHA et ISS A TCHIROMA ont ete pri ves de leur affiliation partisane originaire. II reste que la dy namique electorale de 1992 entraine la formation des coalitions de stabilite hegemonique et la parlementarisation du recrutement gouvernemental. Ce dernier aspect est verifie par la nomination dans le gouvernement des deputes elus le ler Mars 1992 tels que ACHIDI ACHU, NIAT, MASSOUA, KODOCK, HAMADOU MOUSTAPHA, ISSA TCHIROMA, NJAMI NWANDI et MBILA Simon. La dynamique gouvernementale d'inspiration sociative (WEBER, 1995 : 78) est parfois emaillee des crises des transactions. 108 LucSindjoun Augustin Frederic KODOCK, ministre d'Etat charge de l'agriculture et secretaire general de 1' "UPC" gou vernementale a publiquement mis en cause l'organisation des elections municipales de Janvier 1996 par son collegue, responsablede l'administration territoriale; DAKOLE DAISSALA, president du MDR et ministre d'Etat charge des postes et telecommunications dans une lettre adressee au premier ministre ACHIDIACHU et publiee dans le journal DIKALO No. 164 du 17 Avril 1995 s'indigne du fait que celui-la lui ai fait parvenir ses observations "injustifiees et accusations graves" par le biais d'une correspondance sous "cachet ordinaire" et non sous le seau du confidentiel. II rappelle aussi que les seuls con' xts qu'il a pu avoir avec le premier ministre "c'est a propos de parents recommandes pour des marches ou de fonctionnaires retraites pour leur reprise dans [son] departement." Dans le meme ordre d' idees, DAKOLE DAISSALA a denonce en Juin 1996, les conditions de penetration en force dans le capital d'INTELCAM (societe camerounaise de telecommunications de France TELECOM) telles que presentees par le secretaire general de la presidence de la Republique Titus EDZOA., en parlant d'"affaire maffieuse." — Le jeu des rapports entre le gouvernement et le parlement se modifie sensiblement. Le parlement devient plus interpellatif que par le passe: une commission d'enquete sur les conditions de vente de l'ex CELLUCAM (usine de pate a papier) est creee en Juillet 1992; les questions orales aux ministres se multiplient; 1'amendement et le rejet des projets de loi deviennent monnaie courante. Non seulement les sessions du parlement sont des moments d'expression du pluralisme des opinions, en plus elles sont aussi les occasions d'affirmation de l'autonomie de ladite institution. A cet egard, le vote de la constitution du 18 Janvier 1996 illustre I'economie politique de l'investissement dans le role du depute. Plus de trois cent amendements furent deposes ; la discipline partisane fut relativisee au moment du debat. Celle-ci est visee par la disposition constitutionnelle d'origine parlementaire qui declare la nullite de tout mandat imperatif (article 15, alineas 2 et 3). A litre d'exemple, M. Albert DZONGANG et Mme OBOUH MFEGUE, deputes de l'ex-parti unique se sont demarques dans une certaine mesure visa- vis de celui-ci lors du debat sur laconstitution. Les elections legislatives de 1992 ont transforme I'economie du jeu parlementaire. Suite a 1'hostilite des deputes a l'egard du projet de loi sur la securite sociale en Juin 1996, le gouvernement, qui dispose pourtant d'une majorite parlementaire, a du retirer celui-la. La conjoncture de sublimation par la rhetorique democratique du role du depute ("representant de l'ensemble de la nation", "pouvoir qui doit arreter le pouvoir"), relativise dans une certaine mesure le "cesarisme" presidentiel. D'ou la permanence des negociations entre gouvernement et groupes parlementaires par divers canaux, de diverses manieres defiant Elections et Politique au Cameroun 109 souvent le discours d'idealisation du fonctionnement de la "democratic representative" (GAXIE, 1993): la corruption des deputes pendant des echeances importantes telle que le vote de la loi fondamentale, la constitution du bureau del' As sembleeestl'actualisation vicieusede la vertu representative. Ce trait de fonctionnement du parlement traduit "l'autonomie des representants" vis-a-vis des representes {Ibid: 77-153) au meme titre que la formation et la crise de l'alliance parlementaire RDPC-UPC-MDR. Ce qui est en cours, c'est l'apprentissage du "metier politique" dans un contexte multipartisan (CHEVALLIER, 1996 : 50). — L'etatisation de la societe, entendue comme extraction des ressources humaines a des fins de regulation et de distribution des honneurs, des biens, est affectee par la construction electorale de la politique. Sur le plan de l'imaginaire social, Tissue du scrutin legitime la division eux/nous: d'une part l'Etat des vainqueurs, d'autre part, les vaincus exclus de l'Etat. Cette representation est relayee par des demandes d'augmentation qualitative et quantitative des positions de pouvoir controlees par les ressortissants des regions acquisesal'ex parti-unique. Acontrario; la presence des ressortissants des regions acquises a 1' oppostion a des postes importants est sy mboliquement et ouvertement desavouee. Dans le premier cas de figure, les elites des provinces de l'extreme-Nord, du Centre, du Sud et de l'Est sont devenues plus exigeantes sur les termes de l'echange politique: le soutien electoral contre les postes et les investissements publics. C'est la politique du Njangui, variante mutualiste de la politique du ventre (SINDJOUN, 1996). Dans le second cas, la defaite electorale du president Paul BIYA dans la province de l'Ouest en 1992 a entraine le quasi-banissement gouvernemental des "fils du terroir" hormis la nomination de KONTCHOU KOUOMEGNI au poste de ministre d'Etat charge de la communication; la persistance de la popularite de John Fru NDI dans la province du Nord-Ouest, en depit de la nomination de ACHIDIACHU au poste de premier ministre depuis Avril 1992, fragilise largement ce dernier. L'"Etat des vainqueurs" est lie a l'Etat seigneurial c'est-a-dire un systeme de domination politique stable dans lequel le principe de hierarchie, la reconnaissance de la primaute du president de la Republique sont compatibles avec une extreme decentralisation du pouvoir affectant la perception de 1' ordre politique comme ordre homogene et la coordination de l'activite politique. Ici, l'attachement au sol et les liens de consanguinite fictive ou inventees sont des variables importantes. L'etatisation seigneuriale de la societe camerounaise semble deriver en partie des elections de 1992 et de 1996. La constitution (ou alors la recherche de constitution) d'un fief en faveur du regime politique confere des privileges exorbitants de droit commun aux entrepreneurs. Dans la carte seigneuriale de 1' Etat du Cameroun, le Nde appartient a NIAT NJIFENDJI en concurrence avec TCHOUTA 110 Luc Sindjoun MOUSSA, la province du Nord-Ouest au premier ministre ACHIDIACHU, le departement de la Manyu au ministre AGBOR TABI, la province de l'Extreme-Nord au president de I' Assembled Nationale CAV AYE YEGUIE Djibril, etc. Le marquage et le quadrillage du territoire par des personnalites occupant des positions de pouvoir au sein de l'appareil d'Etat ou paraetatique conduisent a l'usage de celles-ci a des fins d'entretien de la clientele, a une gestion echappant a la reglementation, a une preference locale ou ethnique dans le service public. Ces seigneurs politico-administratifssculptent l'image d'un Etat segmente en plusieurs reseaux d'action electorale. Le paradigme politique de la competition electorale affecte done autant les representations du reel que des situations concretes. II deborde l'appareil d'Etat pour influencer la structure des relations objectives entre partis occupant des positions, en lutte les uns contre les autres. Le champ politique dans sa dynamique interne est travaille par la configuration du champ politique. 2. La transformation electorale de la configuration du champ politique Comme le dit Philippe BRAUD, "le champ politique est structure plus specifiquement par la competition autour du controle de 1' appareil d'Etat..." (BRAUD, 1994:45). Dans cet espace concurrentiel, 1' elargissement du droit d'entree, constitue par l'effectivite du multipartisme, est relativise par la hierarchisation des positions determinees par les luttes pour le controle de la representation. Le champ politique est marque par la dialectique droit d'entree avec presence symbolique-droit d'entree avec presence legitime ou dominatrice (LAGROYE, 1991 : 215-288). En outre, la pratique de la competition electorale determine les comportements politiques. a) La hierarchisation dans le champ politique Le passage a la competition electorale est determine par 1 'effectivite du multipartisme. Dans le contexte camerounais, en dehors de l'election presidentielle dont les regies nominatives legitiment la candidature independante, les partis politiques autorises etaient de 58 en 1991, 73 en 1992, 92 en 1993, 101 en 1994, 123 en 1995.14 En fait, la creation d'un parti politique, s'est largement demoeratisee. L'annee 1991 constitue un moment fort dans l'histoire du multipartisme avec la "legalisation" de 58 partis politiques; par la suite, le rythme s'est ralenti : 15 en 1992, 19 en 1993, 9 en 1994 et 22 en 1995. Avec 123 partis politiques autorises entre 1991 et 1995, e'est le regime de la profusion partisane qui caracterise le champ politique. L'elargissement du droit d'entree est contrebalance par la dynamique selective de la competition electorale. — La participation a une election permet d'acceder a la distinction Elections et Politique au Cameroun I 11 de partis competitifs, de sc demarquer des partis chrysanthemes ou figurants. En 1992, il existait 92 partis politiques, seuls 32 partis politiques ont pris part aux elections legislatives, 6 partis politiques ont presente des candidats a l'election presidentielle. En Janvier 1996, 38 partis politique ont pris part aux elections municipales. La distinction competitive des partis politiques est aggravee par la selection electorale c'est-a-dire par la selection des partis politiques par le vote. D'ou la distinction Partis dominants, partis domines. Lors des elections legislatives du 1 er Mars 1992, sur 32 partis politiques competitifs. 4 ont accede au statut de partis dominants ou representatifs. II s'agissait du R.D.P.C. (Rassemblement Democratique du Peuple Camerounais) avec 88 sieges, et l'U.N.D.P. (Union Nationale pour la Democratic et le Progres) avec 68 sieges, de l'U.P.C. (Union des Populations du Cameroun) avec 18 sieges et M.D.R. (Mouvement pour la Defense de la Republique) avec 6 sieges. Ce sont les partis qui ont le monopole de la representation legitime. L'election presidentielle d'Octobre 1992 consacre le candidat de l'ex parti unique. Quant aux elections municipales de Janvier 1996, elles discrimiment 16 partis representatifs : le R.D.P.C. (5916 sieges), le S.D.F. (2014 sieges), l'U.N.D.P. (1088 sieges), le M.D.R. (244 sieges), l'U.P.C (372 sieges), l'A.N.D.P. (8 sieges), le P.P.C (2 sieges), le P.N.P. (2 sieges), l'U.D.C. (264 sieges), l'U.F.D.C (52 sieges), le P.U.R (2 sieges), le P.A.P.C. (7 sieges), le P.D.P.C. (14 sieges), le M.L.J.C. (3 sieges), le F.N.P.C. (1 siege), l'U.P.K. (32 sieges).15 L'election apparait en fait comme un "rite d'institution" au sens de BOURDIEU qui separe les partis representatifs des partis pretentieux et institue la classe politique autorisee a parler et a agir au nom du peuple. Les partis pretentieux sont alors declasses et minores. C'est ainsi que dans les media audiovisuels publics, les tranches d'antenne reservees a l'expression des partis politiques sont exclusivement reservees a ceux qui sont representes a l'Assemblee Nationale ; le droit a la visibility mediatique legitime est fonction du monopole de la representation. La selection electorale des partis a conduit a la distinction opposition extra-parlementaire. Celle-la pre"tendant etre d'essence plus noble que celle-ci. C'est l'election presidentielle d'Octobre 1992 dont les resultats contestes, font de John FRU NDI le principal challenger du president Paul BIYA aux depens de BELLO BOUB A Maigari, leader de l'opposition parlementaire, qui va contribuer a legitimer 1'action de 1'opposition extra-parlementaire. — La distinction dirigeante des partis politiques derive de la capitalisation des suffrages ou de l'entree dans une coalition. C'est ainsi que les elections legislatives et presidentielles de 1992 font du 112 Luc Sindjoun R.D.P.C. le principal parti dirigeant. La coalition avec le M.D.R. et l'U.P.C. transfigure le statut de ceux-ci pourtant detenus de moins sieges que l'U.N.D.P. Les elections municipales de Janvier 1996 permettent de degager une tripolisation tendencielle de la vie politique. Sur 9183 sieges en competition, le R.D.P.C. obtient 5976 sieges, le S.D.F. 2014 et l'U.N.D.P. 1088. L'election presidentielle d'octobre 1992 avait plutot consacre la bipolarisation relative : Paul BIYA, candidat du R.D.P.C avait 39,976 % contre John FRU NDI, candidat du S.D.F. 35,968%.16 — La capacite de projection pheripherique des partis politiques c'est-a-dire la capacite a presenter des candidats dans differentes circonscriptions lors des elections est un facteur d'hierarchisation des partis politiques. Par consequent, le degre eleve ou faible d'ubiquite competitive, de presence simultanee sur plusieurs echiquiers electoraux, permet de distinguer les partis politiques globaux des partis politiques sectoriels. Toutefois, il convient de preciser qu'il ne depend pas uniquement des ressources du parti mais aussi de la delivrance par 1'administration du droit de competir a travers 1'acceptation des listes de candidats. Or, il arrive que l'arbitraire administratif, comme ce fut le cas lors des elections municipales de 1996, tempere l'ardeur competitive de certains partis politiques d'opposition dont les listes des candidats sont rejetees. Les elections legislatives de 1992 devoilent l'ubiquite competitive du RDPC (49 listes de candidats dans les 49 circonscriptions electorales), de 1 'UNDP (45 sur 49), de 1' UPC (22 sur 49), 10 partis politiques ont un taux de couverture territoriale compris entre 9 et 2 listes de candidatures sur 49 et enfin 19 partis sont limites a une seule circonscription. Les elections municipales de 1996 font ressortir le trio majeur RDPC, SDF, et UNDP. L'ex-parti unique est le seul a etre present dans les 336 circonscriptions electorales, le Social Democratic Front (SDF) dans 180 et l'UNDP dans les 105. L'UPC a presente des listes dans 76 circonscriptions, le Mouvement pour la Defense de la Republique dans 67. Les 33 autres partis ont un taux de projection competitive compris entre 48 et 1 circonscriptions electorales sur 336." En fait, la competition electorale permet de distinguer d'une part, les partis globaux ou titanesques a vocation nationale tels que le RDPC, I' UNDPet le SDF, d' autre part, les partis sectoriels ou lilliputiens a spatialisation locale ou regionale tels que le Parti de l'Action paysanne (PAP), le partis des democrates Chretiens (PDC), le Mouvement pour la liberation de la Jeunesse Camerounaise (MLJC). La dynamique electorale produit des instruments de classement et de hierarchisation des partis politiques. Elle influence les moeurs politiques. Elections et Politique an Cameroun 113 b. La civilisation electorate des moeurs politiques Le de veloppement de la competition electorate affecte les moeurs politiques de type partisan. — La contestation de l'organisation des elections cst unc dimension de la politisation competitive. En 1992, le Social Democratic Front et 1'Union Democratique du Cameroun avaient utiaquc' en justice la legalitc" du ddcret portant convocation du corps Electoral le I 1 Octobre 1992 pour l'dlection presidentielle; auparavant, le SDF avait interne un recours contre la convocation du corps electoral pour les elections legislatives le ler Mars 1992. L'eiection presidentielle a donne lieu a un contenticux riche portant non seulement sur la legalite du decret dc convocation du corps electoral, mais aussi sur les candidatures (ELOGO METOMO contre Etat du Cameroun, HOBGE NLEND contre Etat du Cameroun, ABEGA Rodolphc contre Etat du Cameroun), sur les coulcurs des bulletins de vote (BELLO BOUBA Mai'gari de l'Union Nationale pour la Democratic ct le Progres contre Antar Gassagaye du Parti National du Progres), sur les resultats (BELLO BOUBA Maigari, candidat de l'UNDP contre Etat du Cameroun) et enfin sur l'arret de proclamation des resultats (John Fru NDI contre Etat du Cameroun, arret No. 04/A du 29 Decembre 1994). Les elections municipalcs du 21 Janvier 1996 confirment la continuation de la politique, de la recherche du pouvoir par les moyens dc la justice (SINDJOUN, 1994, d : 21-69). II arrive que la contestation notamment des resultats de l'clection emprunte les voies de la violence. En Octobre 1992, des violentcs manifestations de rue avec destruction des biens de certains dignitaires du pouvoir et le meurtre d'un sous-prefet et du responsable d' un parti allie au president Paul BIY A ont eu lieu dans les villes de Bamenda et de Muyuka apres la proclamation des resultats officiels de l'election presidentielle. L'etat d'urgence avait alors ete decrete dans la province du Nord-Ouest et decision avait ete prise par le ministre de la Justice, DOUALA MOUTOME, de traduire 77 personnes parmi lesquelles le candidat John Fru NDI devant la cour de surete de 1'Etat. Cette decision resta sans effet en raison du disaccord du chef de PEtat; lequel aurait dit au ministre de la Justice que "si juridiquement inculper Fru NDI peut etre fonde, politiquement ce serait dangereux".1* — La lggitimite electorate a cntraine un relachement des liens entre les partis et les elus. Ceux-ci semblent de plus en plus accroitre leur marge de manoeuvre. Ainsi, on est passed'unc conception maximalistcde la discipline partisane a une conception opportuniste impliquant unc negociation permanente entre les instances dirigeantcs des partis et leurs clus. Ceux-ci remettent parfois en cause les decisions de leur parti. A titre d'exemple emble'matique, dans la commune urbaine de Douala 3eme, lors de l'election du maire le 30 Janvier 1996, les conseillers municipaux a majorite SDF n'ont 114 Luc Sindjoun pas respecte les consignes de leur parti en designant SOUB Lazare. La legitimite electorate amene des partis politiques a defier l'Etat notamment dans les communes a regime special telles que Garoua, Maroua, Bafoussam, Limbe et Bamenda. Ces communes sont dirigees par des delegues du gouvernement nommes par decret alors que le conseil municipal est elu. Dans les communes a regime special dont le conseil municipal est controle par les parti politiques de 1' opposition, 1' institution "delegue du gouvernement" est presentee comme une entrave au choix des electeurs. Ici, ce qui transparatt, c'est la lutte pour l'universalisation du principe de la legitime electorale des titulaires des roles de representation locale, pour la croissance des chances electorates d'exerciceu du pouvoir local. — Par rapport aux enjeux de la competition electorale, les partis politiques s'allient. L'alliance est une modalite de gestion de la concurrence en multipliant ses chances de succes. L'election presidentielle d'Octobre 1992 a entraine la constitution de 4 principales alliances competitives: l'Union pour le Changement "autour de la candidature de John Fru NDI, la "majorite presidentielle" autour de la candidature de Paul BIYA, l'alliance entre l'UNDP et les partisans de HOGBE NLEND a partir de la candidature de BELLO BOUBA MAIGARI et Topposition patriotique" autour de la candidature de ADAMOU NDAM NJOYA. Ces alliances traduisent la "cartellisation" politique, la formation conjoncturelle des oligopoles politiques. Le paradigme de la competition electorale ne se limite pas au champ politique. II est en interaction avec la societe. B - LA CONSTRUCTION ELECTORALE DE LA SOCIETE Dans une societe dans laquelle l'Etat joue un role important dans la vie des individus, dans laquelle l'epanouissement sans ou contre l'Etat est difficile a atteindre, la competition electorale sous-entendue comme competition pour le controle du pouvoir d'Etat, du pouvoir de jouir, de manger et de faire ou (de refuser de faire) jouir et manger, acquiert une dimension primordiale. La competition electorale emporte sur la construction politique de larealite: construction politique de la realite objective a travers les roles d'acteurs agissant au nom d'une localite precise; construction politique de la realite subjective a travers la socialisation partisane, (BERGER et LUCKMANN, 1992). La definition partisane de la realite emporte prevalence des fiefs et structuration de 1'identite. 1 - - L L identificatio 'identificationn partisan partisanee de dess region regionss Les comportements politiques (MAYER et PERRINEAU, 1992) exprimes lors des consultations electorates sont des vecteurs de differenciation de l'espace en Elections et Politique au Cameroun 115 fiefs, lieux de soutien et lieux d'opposition. C'est une remise en cause de la "territorialite politique rigide"; car la segmentation partisane de l'espace est une configuration issue de la competition pour des positions de pouvoir, enjeu qui unit les divers espaces de rayonnement partisan. L'election pre'sidentielle de 1992 impose la perception du Cameroun sous la forme d'un tripode geographique; Paul BIYA, le candidat du RDPC, ayant comme fiefs le Centre, le Sud et l'Est avec une presence importante dans l'Extreme-Nord; John Fru NDI, le candidat du Social Democratic Front, est majoritaire dans les provinces du Nord-Ouest, du Sud-Ouest, de l'Ouest et du Littoral; BELLO BOUB A MAIGARI, en depit de sa penetration dans les departements de la Sanaga Maritime (Province du Littoral) et de la Meme (province du Sud-Ouest, est le leader dans les provinces de 1'Adamaoua et du Nord. CARTE POLITIQUE DU CAMEROUN (Pr6sidentielles1992) I I PAUL BIYA + Majority pr&sktentielle (R.D.P.C.) I I JOHN FRU NDI (S.D.F.+autres) I '".'.- I MAIGARI BELLO BOUBA (UN DP.1) ^ ^ H ADAMOU NDAM NJOYA 116 Luc Sindjoun Les elections legislatives du lerMars 1992 avaient fait ressortir 1'implantation du RDPC dans les provinces du Sud, de l'Est et du ICentre pourvoyeurs de 41 sur 88 sieges : les 20 sieges de la province du Nord-Ouest et les 5 Sieges du departement du Noun semblent davantage dus au boycott du scrutin par le SDF et pour le present cas l'UDC (Union Democratique du Cameroun) pour le second cas comme le montreront les elections presidentielles de 1992 et municipales de 1996. Le Mouvement pour la Defense de la Republique semble principalement installe dans les departements de Kaele et du Mayo Danai; l'UPC s'illustre surtout dans les departements du Nyong-et-Kelle, de la Sanaga Maritime et du Nkam; l'UNDP enfin dans les province du Nord et de l'Adamaoua et de 1'Extreme-Nord. C'est grosso modo, suivant cet ordre de distribution territoriale de la legitimite, que se sont deroulees les elections municipales de 1996. Le credit electoral d'un parti politique dans une region fournit un cadre de perception. Ainsi parle-t-on des fiefs du RDPC, du SDF, de l'UNDP, du MDR. Le Cameroun homogene du discours nationaliste et constitutionnel est remplace par le Cameroun heterogene multiple des consultations electorales. Le controle electoral d'une region va alors fonder le droit de parler en son nom et a la representer. II en decoule dans les cadres communs de pensee, une indissociabilite entre la province du Sud et le RDPC, entre le Nord et 1' UNDP, entre le Nord-Ouest et le SDF, entre l'UDC et le Noun, etc. Des lors, les partis politiques localement implantes travaillent consciemment ou inconsciemment a la consolidation, a 1' institutionnalisation, a la "naturalisation" electorale des cli vages entre les regions (OFFERLE, 1987; 4 a). Us jouent alors un role de cristallisation identitaire: le MDR, parti des Toupouri, le SDF, parti des "anglo-bami", le RDPC, parti des Beti et assimiles, l'UDC, parti des Bamoun, etc. D'ou rapport entre multipartisme et cristallisation identitaire. 2 - La consolidation electorale des clivages ethniques Le rapport entre competition electorale et rigidite artificielle mais efficace des identites ethniques n'est pas automatique. Les clivages partisans sont en interaction avec les clivages ethniques en partie suite au travail des entrepreneurs politiques. La politisation de 1'ethnicite a des fins electorales complique la cohabitation dans une societe plurale (LECA, 1996 : 225-279). En 1992, la conjoncture post-electorale dans les villes d'Ebolowa et de Sangmelima (situees dans la region natale du president Paul BIYA) a ete marquee par des violences exercees par certains beti (groupe "autochtone") contre des "Bamileke" et des "anglophones" (les "allogenes") accuses d'avoirexprime leurs suffrages en faveur du candidat John Fru NDI (ressortissant de la province du Nord-Ouest anglophone). Les "chefs de village, elites et notables de Santchou" ont en Fevrier 1996, demande au president de la Republique de rattacher l'arrondissement de Santchou au departement du Mungo "avant les prochaines consultations electorales" pour que Elections et Politique au Cameroun 117 "leurs efforts ne soient pas "aneantis par le flux des Bamileke ... "" Les elections municipales de Janvier 1996 ont constitue une occasion de cristallisation identitaire des "Sawa" dans la ville de Douala, dont ils se proclament "autochtones" a travers des manifestations contre "l'ethnocratie de la quantite", pour que "charbonnier soit maitre chez soi." Les elections ayant porte a la tete de 4 mairies sur 5 de la ville de Douala des "Bamileke" de marginalisation des "peuples autochtones" classes "allogenes", furent pre'sente's comme une modalite c'est ainsi qu'une competition interpartisane entre le SDFet le RDPC a titre principal devient un conflit identitaire entre Bamileke et Sawa, le pretexte a la constitution par des elites gou vernementales et sociales (telles que les ministres DOUALA MOUTOME, MBELLA MBAPPE, TOKO MANGAN et autres INONI Ephraim) d'un mouvement Grand Sawa allant de Campo a Mamfe pour lutter contre "l'hegemonie, acte politique planifie par les allogenes (qui viennent du Nord-Ouest pour envahir le Sud-Ouest, de l'Ouest pur envahir le Littoral) pour dominer et marginaliser les autochtones ... "20 Au total, la "vision politiste sociologiquement informee" (LACROIX, 1992: 75) permet de saisir la competition electorale au pluriel a travers ses usages et investissements varies. A partir de l'experience electorale au Cameroun dans ses visages monopoliste et concurrentiel, on croit mieux comprendre les dynamiques de rationalisation du jeu politique et de legitimation controversee des gouvernants. Notes * Cet article a ete redige avant les elections legislatives de Mai 1997. ** Luc Sindjoun, Universite de Yaounde II/GRAP. 1. Sur la distinction entre regies normatives et pragmatiques, Bailey 2. Sur les conditions d'election d'Ahmadou Ahidjo a la presidence de la (1971 :2). Republique, Sindjoun (1994, C, : 538). 3. A titre de comparaison avec la Cote d'lvoire, lire Tessy D. Bakary (1991 : 53-91). 4. Sur le sens de la codification, Bourdieu (1987 : 94-109). 5. Dans une perspective weberienne, sur les rapports entre droit et realite (Stammler, 1995: 149-153; Lascoumes et Serverin, 1995: 155-219). 6. II faut distinguer le champ politique public du champ politique prive. Celuila est constitue par tout ce qui concerne l'appareil d'Etat, les positions publiques de pouvoir; par contre celui-ci ren voie par exemple a la vie interne des partis politiques. Cette distinction n'est pas absolue car il y a une interaction entre les 2 champs. Dans le cas du Cameroun, par rapport a notre etude, des 1986, le champ politique prive constitue par le parti unique abritait le pluralisme des candidatures lors du renouvellement des organes de base. 7. Voir Cameroon Tribune, No. 3987 du 12 Octobre 1987. 118 Luc Sindjoun 8. La notion d'"effet de parapluie" a ete mise au point par Charles Tilly (Dobry, 1990 : 364). 9. Au Cameroun, a l'heure actuelle, en dehors de l'election presidentielle qui offre une possibility de candidatures independantes, les elections legislatives et municipales consacrent le monopole absolu des partis politiques. Lors des elections municipales de Janvier 1996, Abel Eyenga, pour etre candidat a la Mairie d'Ebolowa, a du se faire presenter par le parti de l'Union des Forces Democratiques du Cameroun au sein duquel il n'avait pas milite par le passe. 10. Alain OLINGA vient d'achever une etude interessante intitulee "Introduction au Regime Juridique Des Partis Politiques au Cameroun." 11. A la veille des elections municipales, des dignitaires du parti au pouvoir ressortissants des provinces de l'Ouest et du Nord-Ouest auraient sans succes fait des pressions en vue de l'augmentation de la dose de representation proportionnelle. Us se seraient heurtes au refus categorique du vice-premier ministre chargedel'administrationterritoriale.M. Gilbert AndzeTchoungui qui, suivant certaines sources, voulait utiliser le scrutin electoral favorisant la domination d'un parti pour montrer l'absence de soutien populaire du premier ministre Achidi Achu (ressortissant de la province du Nord-Ouest) et autres dignitaires ressortissants des provinces acquises a l'opposition mais occupant des positions importantes. 12. La demission d'un candidat a l'election presidentielle pendant la campagne electorale releve du droit politique et non du droit electoral qui ne l'organise pas. 13. Ala veille de l'ouverture de la campagne electorale, le vice-premier ministre charge de l'administration territoriale avait annonce que 36 partis politiques se presenteraient au scrutin (Cf. Cameroon Tribune, No. 2299 du 5 Janvier 1996, p. 9). Par contre, au moment du decompte des resultats, 38 partis y avaient pris part. 14. Je remercie Alain Olinga de m'avoir communique ces chiffres. 15. Compte tenu du contentieux electoral en cours au moment ou nous ecrivons, la repartition des sieges peut changer dans quelques cas sans affecter la structure globale. 16. Les resultats du S.D.F. a l'election presidentielle 1992 et aux elections municipales de Janvier 1996 augurent d' une redistribution des positions lors des elections legislatives de 1997. 17. Source: Journal Le Messager No. 468 du 8 Janvier 1996, p. 9. 18. Source: Le Messager, No. 520 du ler juillet 1996, p. 7. 19. Source: Le Patriote, No. 180 du 20 au 26 Mars 1996, p. 11. 20. Source: Elimbi No. 007 de Janvier 1996, p. 7. Elections et Politique an Cameroun 119 Bibliographie Abeles M., "Mises En Scene Et Rituels Politiques : Une Approche Critique", Politique Symbolique En Europe (Ouvrage Collectif), Berlin, Duncker Et Humblot, 1993. Badie B., L'etat Importe. L'occidentalisation De L'ordre Politique, Paris, Fayard, 1992. Bailey F.G., Les Regies Du Jeu Politique, Paris, Puf, 1971. Barkan J., "Kenya: Lessons From A Flawed Election", Journal Of Democracy, No. 3 Juillet 1993, Pp. 85-99. Bayart J. F., L'etat Au Cameroun, Paris, Presses De La F.N.S.P., 1985. A) L'historicite De L'etat Importe, Cahiers Du C.E.R.I., 1996. B) Contre Le Culturalisme. Le Chasse-Croise Des Traditions. Rapport Presente Au Cinquieme Congres De L'a.F.S.P., 26 Avril 1996. Berger P. Et Luckmann T.H., La Construction Sociale De La Realite, Paris, Meridiens Klincksiek, 1992. Bigombe Logo P. Et Menthong H. L., "Crise De Legitimite Et Evidence De La Continuite Politique", Politique Africaine, No. 62, 1996. Bourdieu P., Choses Dites, Paris, Minuit, 1987. Bourmaud D., "Elections Et Autoritarisme : La Crise De La Regulation Politique Au Kenya", Revue Francise De Science Politique, Avril 1985. Braud P.H., Le Jardin Des Deluges Democratiques, Paris, Presses De La Fnsp, 1991. Braud Ph, Sociologie Politique, Paris, Lgdj, 1994. Bratton M., "Are Competitive Elections Enough ?" Africa Demos, Vol. Iii, No. 4, Bratton M. Et Van De Walle, N. Democratic Experiments In Africa, Cambridge March 1995, Pp. 7-8. University Press, 1997. Claeys P. H. Et Frognier A. P. (Sous La Direction), L'echange Politique, Bruxelles, U.B., 1995. Chevallier J., Institutions Politiques, Paris, Lgdj, 1996. Diouf Mamadou, Liberalisations Politiques Ou Transitions Democratiques: Perspectives Africaines, Rapport Presente A La Huitieme Assemblee Generate Du Codesria, 26 Juin - 2 Juillet 1995. Dobry M., "Calcul, Concurrence Et Gestion Du Sens", La Manifestation, Sous La Direction De Pierre Favre 1990, Pp. 357-386. Dobry M., Sociologie Des Crises Politiques, Paris, Presses De La Fnsp, 1992. Dubet F., Sociologie De L'experience, Paris, Seuil, 1994. Elias N., Qu'est-Ce Que La Sociologie? Paris, Editions De L'aube, 1991. Eyinga A., Mandat D'arret Pour Cause D'elections. De La Democratic Au Cameroun 1970-78, Paris, L'harmattan, 1978. Gaxie D., "En Jeu, Enjeux", Gaxie Et Lehingue P., Enjeux Municipaux, Paris, P.U.F., 1984, Pp. 7- 63. 120 Luc Sindjoun Kante B., "Senegal's Empty Elections", Journal Of Democracy Vol. 5, No. 1 Janvier 1994, Pp. 96-108. Lacroix B., * "LaCrise De La Democratic Representative En France", Scalpel No. 1, 1994, Pp. 6 99. * "Le Politiste Et L'analyse Des Institutions", Le President De La Republique, Paris, Presses De La Fnsp, 1992, Pp. 13- 77. Lagroye J., * "La Legitimation", Traite De Science Politique, Vol. 1, Paris, Puf, 1985. * Sociologie Politique, Paris, Presses De La Fnsp, 1991. Lascoumes P. Et Serverin E., "Le Droit Comme Activite Sociale : Pour Une Approche Weberienne Des Activites Juridiques", Droit Et Societe Vol. 14 1995, Pp. 155-215. Lass M. Et Ester Huysen P., Africa At Glance. Fact And Figures 1995/6, Pretoria, Africa Institute Of South Africa, 1995. Leca, J., "La Democratic A L'epreuve Des Pluralismes", Revue Francaise De Science Politique, Vol. 46, No. 2, Avril 1996, Pp. 225-279. Le Vine V., Le Cameroun Du Mandat A L'independance, Paris Presence Africaine, 1994. Levy J. (Sous La Direction De), Geographies Du Politique, Paris, Presse De La F.N.S.P., 1991. Mayer, M. Et Perrineau, P. Les Comportements Politiques. Paris, Armand Colin, 1992. Mbembe A, * "Des Rapports Entre La Disette, La Penurie Et La Democratic En Afrique Subsaharienne", Etat, Democratic Societe Et Culture En Afrique, Dakar, Editions Democratic Africaines 1996, Pp. 45-63. *"CriseDeLegitimite,RestaurationAutoritaireEtDliquescenceDeL'etat", Itineraires D'accumulation Au Cameroun, Paris, Karthala, 1993, Pp. 334-374. Menthong H. L., "La Construction Des Enjeux Locaux Dans Le Debat Constitutionnel Au Cameroun", Polis. Revue Camerounaise De Science Politique, Vol. 2, No. 2, 1996. Minkoa She A., "Ruptures Et Permanences De L'identite De Subversif Au Cameroun : Le Droit Penal Au Secours De La Science Politique", Vol. 1, Numero Special, Fevrier 1996, Pp. 4-9. Monga C, La Recomposition Du Marche Politique Au Cameroun (1991-1992), Bulletin Du Gerdes-Cameroun, No. 1, Decembre 1992. Offerle M, Les Partis Politiques, Paris, P.U.F., 1987. Raynaud P.M., Max Weber Et Les Dilemmes De La Raison, Paris, P.U.F., 1987. Sindjoun L., * "Le Cameroun : Le Systeme Politique Face Aux Enjeux De La Transition Democratique (1990-1993)", L'afrique Politique, Paris, Karthala, 1994, Pp. 143-165. Elections et Politique au Cameroun 121 * "Dynamiques De Civilisation De L'etat Et De Production Du Politique Baroque En Afrique Noire", Verfassung Und Recht In Ubersee, No. 2, 1994, Pp. 151-230. * Construction Et Deconstruction Locales De L'ordre Politique Au Cameroun, Universite De Yaounde Ii, These De Doctorat D'etat En Science Politique, 1994 C. * La Cour Supreme, La Competition Politique Et La Continuite Electorate Au Cameroun", Africa Development, Vol. Xix, No. 2, 1994, Pp. 21-69. Sindjoun. L Et M. E. Owona Nguini, Politisation Du Droit Et Juridisation De La Politique: L'esprit Socio-Politique Du Droit De La Transition Democratique Au Cameroun, Rapport Presente Au Colloque "La Creation Du Droit En Afrique", Bordeaux 27 - 28 Octobre 1995. Sindjoun. LEtCourade. G, "Le Cameroun Dans L'entre-Deux", Politique Africaine No. 62, 1996. Schatzberg M. G., "Power Legimacy And Democratisation In Africa" Africa, Vol. 63, No. 1993, Pp. 445-461. Seutcheu Martin, Les Partis Politiques Camerounais Et Le Systeme Des Nations- Unies (1945-1961), Universite De Yaounde Ii, These De Doctorat 3eme Cycle En Science Politique Sous La Direction Du Professeur Kontchou Kouomegni, 1994. Stammler R., "Droit Et Jeux", Droit Et Societe, Vol. 14, 1995. Tessy D. Bakary, "Cote D'ivoire L'etatisation De L'etat", Etats Afrique Noire, Sous La Direction De J.F. Medard, Paris, Karthala, 1994. Tessy D. Bakary, "La Democratic Par Le Haut En Cote D'ivoire", Geopolitique Africaine, lere Partie, Juin 1986, Pp. 205-230; 2eme Partie, Octobre 1986, Pp. 71-103. Weber M., Economie Et Societe, Paris, Plon, 1995. Weber M., Economie Et Societe, Plon, Tome I, 1995. Zang Atangana J. M., Les Forces Politiques Du Cameroun, Tome 1, Paris, L'harmattan, 1989.