TROUVER UNE VOIX: L'ECRITURE DES CANSOS CHEZ LES TROBAIRITZ Par Rebecca Frandsen UN MEMOIRE Soumis à Michigan State University en accomplissement partiel des exigences pour le diplôme de Français – Maîtrise ès Arts 2018 FINDING A VOICE: THE RHETORIC OF THE TROBAIRITZ CANSOS By Rebecca Frandsen A THESIS Submitted to Michigan State University in partial fulfillment of the requirements for the degree of French – Master of Arts 2018 TROUVER UNE VOIX: L'ECRITURE DES CANSOS CHEZ LES TROBAIRITZ RESUME Par Rebecca Frandsen Bien que les chansons d’amour des troubadours de l’Occitanie aux 12ème et 13ème siècles soient connues dans la littérature médiévale, les cansos des femmes troubadours, ou des trobairitz, n’ont pas encore véritablement exploré. Cette étude se focalise sur la question des différences linguistiques consistantes dans ces poèmes lyriques des hommes et des femmes au Moyen Age. En analysant la présence et l’utilisation des adjectifs, de la négation, des verbes à la première personne du singulier ainsi que le pronom personnel « je » dans six cansos des trobairitz (Castelloza, Comtesse de Die, et Azalais de Porcairages) et six cansos des troubadours (Peire Vidal, Bernart de Ventadorn, et Raimon Jordan), on verra une rhétorique chez les trobairitz qui est définie et ferme. Avec une approche historique et socioculturelle, on va reconnaitre la motivation pour ces femmes à écrire : trouver une voix dans une société qui était dominé par les hommes. En reconnaissant comment ces femmes ont utilisé le langage dans les manières différentes que leurs homologues masculins, on peut mieux comprendre la motivation pour l’écriture des femmes à l’époque. ABSTRACT FINDING A VOICE: THE RHETORIC OF THE TROBAIRITZ CANSOS By Rebecca Frandsen Although the Occitanian troubadour’s love songs from the 12th and 13th century are well known in medieval literature, the cansos (or love songs) of the female troubadours, the trobairitz, have not yet been explored in depth. This study focuses on determining if there are consistent linguistic differences between these men’s and women’s love poems. In focusing on the utilization of adjectives, negation, first person singular verbs as well as their personal pronouns in six representative cansos from the trobairitz (Castelloza, Comtesse de Die and Azalais de Porcairages) and six representative cansos from the troubadours (Peire Vidal, Bernart de Ventadorn and Raimon Jordan), we will see a rhetoric in the trobairitz works that is definite and firm. With an historical and socio-cultural approach, we will recognize these women’s motivation to write: to find a voice in a society which was dominated by men. In recognizing how they used language differently than their male counterparts, we can better understand the motivation for women to write during the Middle Ages. TABLE DE MATIERES LISTE DES TABLEAUX .........................................................................................iv 1. Introduction .......................................................................................................1 2. Etudes précédentes ..........................................................................................4 2.1: Contexte historique .......................................................................................4 2.1a : Avant les troubadours : la présence des femmes dans la société féodale .............................................................................................................4 2.1b : Une petite histoire des troubadours et des trobairitz ..............................6 2.2 : Contexte littéraire et linguistique .................................................................9 2.2a : Les vidas des troubadours et des trobairitz choisis ................................9 2.2b : Le fin’ amor, les domnas, les amics et les cansos typiques ...................11 2.2c : L’écriture des trobairitz ...........................................................................13 2.2d : Les études linguistiques et littéraires précédentes des troubadours et des trobairitz .................................................................................................15 3. Méthodologie .....................................................................................................18 4. Analyse des poèmes de troubadours et de trobairitz ....................................24 4.1 : Analyse des adjectifs ...................................................................................24 4.2 : Analyse de la négation ................................................................................34 4.3 : Analyse des verbes à la première personne du singulier ............................38 5. Conclusion .........................................................................................................44 APPENDICE ...........................................................................................................49 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................52 iii LISTE DES TABLEAUX Tableau 1 : Sélection des poètes……………………………………………………………19 Tableau 2 : Sélection des cansos (y compris leur longueur et leur thématique)……….20 Tableau 3 : Présence des adjectifs épithètes et des adjectifs prédicats (des troubadours)……………………………………………………………………………………24 Tableau 4 : Présence des adjectifs épithètes et des adjectifs attributs (des trobairitz)..26 Tableau 5 : Placement des adjectifs épithètes avant le nom……………………………..29 Tableau 6: Les adjectifs positifs présents…………………………………………………..31 Tableau 7: Présence de négation……………………………………………………………34 Tableau 8 : Types de négation présents (résumé)………………………………………...36 Tableau 9: Présence de la première personne du singulier………………………………38 Tableau 10: Présence du pronom « je » (chez les troubadours)…………………………41 Tableau 11: Présence du pronom « je » (chez les trobairitz)……………………………..42 Tableau A.1: Types de négation présents (chez les troubadours)……………………….51 Tableau A.2: Types de négation présents (chez les trobairitz)…………………………...52 iv 1. Introduction Les troubadours, qui ont chanté leurs poèmes lyriques en Occitanie pendant les 12ème et 13ème siècles, ont abordé beaucoup de sujets dans leurs types de poèmes différents. Ils ont chanté à propos de la politique dans leurs sirventes, de la religion dans leurs pastorelas, et des débats dans leurs partimens. Cependant, ces hommes étaient les plus connus pour leurs cansos, ou leurs chansons d’amour, qui comprennent d’un corpus d’environ 2,500 exemplaires (Burgwinkle 2010). Les troubadours ont créé le premier type de poésie qui a vénéré la domna, ou la femme qui était toujours le sujet central du poème. Le monde des troubadours s’est concentré sur l’élévation des femmes à travers leurs vers – un monde qui est différent de la situation socio-culturelle réelle des femmes dans la société médiévale en Occitanie. A la suite de ces poèmes femme-centriques, les domnas sont devenues des poétesses elles-mêmes. Bien qu’elles restent relativement inconnues aujourd’hui, les trobairitz étaient les femmes troubadours qui ont écrit leurs chansons d’amour pour leur amics, ou leurs homologues masculins. Avec un corpus qui est minuscule comparé à celui des troubadours, elles donnent une perspective distincte de la condition féminine au Moyen Age avec un type de bouleversement du fin’amors, ou l’amour courtois. Parce que la littérature troubadouresque est basée sur l’acte d’imitation des autres poètes - en style, en rime, en langage, en sujet ou en thématique – cela pose une question face à ces femmes poètes : est-ce qu’on peut trouver cette même imitation chez les trobairitz ? Comment ces femmes ont-elles écrit leurs cansos et sont- ils différents linguistiquement de ceux des troubadours ? Peut-on dire qu’il y a une 1 écriture distincte chez les trobairitz, une écriture qui a permis aux femmes d’être entendues et qui a affirmé leurs voix dans la société féodale du Sud de la France? Avec un regard sur la situation historique, sociale, culturelle et politique à l’époque (Bogin 1976 ; Burgwinkle 2010 ; Paden 1989 ; Sigal 1999), on va faire une comparaison des éléments linguistiques dans six cansos des troubadours (Peire Vidal, Raimon Jordan, et Bernart de Ventadorn) et six cansos des trobairitz (Castelloza, Comtesse de Die, et Azalais de Porcairages). En comptant la présence et analysant l’utilisation des adjectifs, de la négation, des verbes à la première personne du singulier, et du pronom personnel « je », on déterminera s’il y a des similarités ou des différences entre l’écriture des femmes et des hommes en ce qui concerne ces éléments linguistiques. A la fin, on verra l’effet de ses mots dans le ton global des poèmes lyriques ainsi que si une rhétorique féminine existe chez les trobairitz. Mon hypothèse dicte que les femmes troubadours, les trobairitz, ont utilisé plus d’adjectifs négatifs face aux sujets masculins dans leur poèmes que leurs homologues masculins, pour changer l’image positive de l’homme dans une société qui ne reconnaissait pas les femmes. Les thématiques de leurs cansos (typiquement les poèmes d’amour) sont plutôt négatives quand elles parlent de leurs amants, en montrant que ces hommes ne sont pas tous puissants comme les conventions de l'époque le dictaient. De plus, ces femmes poètes ont composé leurs vers avec plus d’opinions personnelles, c’est-à-dire plus de présence des verbes à la première personne du singulier ainsi que du pronom personnel « je ». L’usage de chacun de ces éléments linguistiques était différent chez les troubadours. Avec ces choix stylistiques, elles 2 voulaient affirmer leur voix, qui rendent ces poèmes un exemple de littérature féminine qui promouvait une perception forte chez les femmes du 12ème et 13ème siècle. Dans la section suivante, on va explorer le contexte historique ainsi que le contexte littéraire et linguistique en ce qui concerne ces chansons d’amour. Après, on expliquera comment on a fait cette analyse : comment on a choisi les auteurs et les œuvres utilisés ainsi que comment on a compté les éléments linguistiques, y compris les exceptions. Dans la troisième partie, on verra les résultats de ce comptage et la comparaison entre les hommes et les femmes, en utilisant des tableaux et des chiffres. Finalement, on va conclure avec l’effet de ces résultats, et voir comment les trobairitz ont créé leur propre écriture dans un genre dominé par les hommes et on va esquisser le legs de leur rhétorique chez les femmes auteures qui les suivent. 3 2. Etudes précédentes 2.1 : Contexte historique 2.1a : Avant les troubadours : la présence des femmes dans la société féodale Pour mieux comprendre le contexte unique qu’une femme écrive aux 12ème et 13ème siècles, il faut noter les conditions sociales et politiques des femmes qui ont donné naissance à ce type de phénomène. Pendant la première partie du Moyen Age avant le début des troubadours (jusqu’au 11ème siècle), la base de la société française était le féodalisme. Dans ce type de société, il y a deux classes différentes : les nobles et les serfs. Les nobles étaient des hommes qui possédaient des terrains alors que les serfs étaient des hommes qui travaillaient et qui protégeaient la terre des nobles. Il y avait une hiérarchie entre ces deux classes et les serfs ont dû prêter un serment d’allégeance à leur seigneur (Bogin 21). Il est rapporté que cette tradition, un type d’hommage donné à un homme supérieur, a provoqué le début de l’amour courtois et les chansons des troubadours, qui est un type diffèrent d’hommage. Dans ce type de société, les femmes n’occupaient pas un rôle important. Selon Bogin, « women were virtual nonentities who counted only insofar as they were good for bringing sons into the world » (22). Si la femme dans les premières années de mariage ne pouvait pas devenir enceinte, elle était rendue à sa famille et le paiement de mariage était rendu au mari. Cependant, dans cette période, l’Occitanie avait quelques lois en place qui donnaient l’accès au pouvoir aux femmes dans la société. Bogin (1976) et Keelan (2015) soulignent l’importance de deux codes particuliers : le code de Justinien (528- 4 533) et le code Théodosien (394-395). Les deux codes ont changé les règles en ce qui concerne la propriété des terres. Le code de Justinien a dicté que le mari d’une femme peut utiliser sa terre mais il ne peut pas revendiquer la propriété ni passer le territoire à ses héritiers. Il s’agit du premier exemple dans lequel les femmes pouvaient avoir un certain pouvoir ou contrôle dans la société féodale. De plus, le code Théodosien, apporté en Occitanie par les Visigoths, indiquait que les fils et les filles célibataires avaient une part égale dans les biens de leur père. Grâce à ce code, au début du 10ème siècle, il y avait des fiefs possédés par des femmes en Auvergne, à Béziers, à Carcassone, dans le Limousin, à Montpellier, à Nîmes, dans le Périgord et à Toulouse (Bogin 23). Cependant, les femmes n’étaient pas autorisées à apprendre comment se battre en duel ou protéger leur territoire, donc les maris contrôlaient les fiefs en réalité. Bien que ces propriétés soient limitées à une reconnaissance officielle, il est indéniable que ces lois représentent un changement de pouvoir en faveur des femmes dans la société féodale. Même avec ces codes, on peut voir que la position des femmes dans la société était relativement basse. D’après Bogin, « the fact that women could inherit property… in no way made them ‘masters’ of their fate » (24). Les femmes étaient encore sous le contrôle des hommes: leur mari ou leur père. Le traitement des femmes étaient bien pire dans la classe des serfs. Par exemple, pendant la première nuit de mariage, le noble avait le droit de coucher avec la nouvelle femme de son serf (Bogin 25). Le viol des femmes était présent dans la société féodale, quelle que soit la classe. A la fin du 10ème siècle et avec le début des Croisades, on peut voir des changements importants dans la société, changements qui ont affecté le rôle des 5 femmes. Avec l’importance du commerce, on commence à voir une diminution de l’importance de la propriété terrienne. L’argent, et le nouvel argent, est devenu plus important que le terrain. De plus, après la première Croisade en 1096, la Pape Urbain II a dicté que seuls les hommes pouvaient partir en Croisade et que ni les femmes ni les vieux ni les enfants ne pouvaient y participer (Bogin 32). Pendant les cent années suivantes de Croisades (la dernière Croisade a été en 1217), on peut donc voir une réduction importante de la population des hommes en France. Il en résulte que des opportunités s’ouvrent pour les femmes : elles pouvaient maintenant contrôler directement les fiefs car les hommes étaient absents. Elles ont trouvé une autonomie dans la société grâce à l’absence des hommes. C’est dans ce contexte historique et social que les troubadours et les trobairitz ont commencé à écrire leurs vers. 2.1b : Une petite histoire des troubadours et des trobairitz Les troubadours étaient considérés comme les premiers poètes lyriques du monde dans la mesure où ils étaient les premiers écrivains du genre à écrire dans une langue européenne (Sigal 352). Le genre de la poésie lyrique vient de la poésie latine, mais celle des troubadours est différente en thématique. Contrairement aux poètes classiques qui écrivaient principalement sur les sujets laïques, les troubadours ont écrit sur plusieurs thématiques : l’amour (cansos), la politique (sirventes), les débats (partimens), etc. Cependant, ils sont principalement connus pour leur langage et leur description de la dévotion, qu’on peut trouver dans une grande variété de cansos. La poésie des troubadours a commencé au 12ème siècle et elle était répandue jusqu’à la fin du 14ème siècle (Sigal 352). Ces troubadours viennent du Sud de la France, dans la 6 région qu’on appelle l’Occitanie, et ils ont écrit leurs œuvres en occitan (Sigal 352). Environ 2,500 poèmes ont survécu, certains avec leur musique (Burgwinkle 22). Les destinataires de ces poèmes étaient les membres de la cour. Les troubadours chantaient leurs poèmes lyriques pendant un spectacle, un type de divertissement pour les membres de la haute société. Au 12ème et 13ème siècle, la cour était le centre de la société et du pouvoir politique dans la vie sociale (Sigal 352). Donc, parce que le statut d’un troubadour typique était moins élevé dans la société, ces hommes ont écrit et ont chanté leurs poèmes pour impressionner leur seigneur et la cour et pour se mettre dans une position avantageuse pour recevoir des faveurs. Mais il ne s’agit pas d’avantages sociaux seulement pour les troubadours – les mécènes de la cour ont aussi bénéficié de cet acte : « Patrons, for their part, need poets to sing their praises in order to maintain their own exalted reputations and status » (Burgwinkle 23). Donc, les poèmes des troubadours représentent un échange mutuel dans la société en ce qui concerne le statut social. Les trobairitz étaient les femmes troubadours et elles étaient les premières femmes dans l’Europe Occidentale à écrire les chansons d’émotion et de désir (Burgwinkle 24). Avec un corpus qui est plus petit que leurs homologues masculins, entre 33 et 49 œuvres (Sigal 358), les trobairitz restent relativement inconnues aujourd’hui. Elles ont vécu à la même époque que les troubadours (du 12ème au 13ème siècle) ainsi qu’au même endroit (en Occitanie). Le nombre des trobairitz est estimé à une vingtaine, mais on connait seulement treize noms exacts, car beaucoup de ces auteures ont écrit anonymement (Sigal 358). De plus, il est présumé qu’il existe beaucoup de manuscrits d’autres poèmes écrits par les trobairitz qu’on ne peut pas 7 encore récupérer. Donc, on peut imaginer le chiffre des trobairitz est plus grand en réalité. En ce qui concerne les thèmes de leurs poèmes, les trobairitz ont écrit sur des sujets similaires à ceux des troubadours. Elles ont adopté les conventions des troubadours dans leurs cansos mais aussi elles ont développé leurs propres types : le salut d’amor (une lettre d’amour, pas sous forme strophique) et le balada (une chanson de danse) (Sigal 358). Ces deux types de poèmes lyriques étaient particuliers à la rhétorique des trobairitz – on ne peut trouver ni le salut d’amor ni le balada chez les troubadours. En ce qui concerne leur statut dans la société, elles étaient nobles. En fait, elles étaient probablement les domnas qui étaient si richement décrites par les troubadours. Ainsi, on peut aussi dire qu’elles ont vécu avec quelques troubadours, comme l’exemple de Tibors, la sœur du troubadour Raimbaut d’Orange, le démontre (Bogin 64). Il y a des preuves que ces femmes étaient lettrées mais il n’y a pas de preuve qu’elles ont chanté leurs poèmes à la cour comme leurs homologues masculins. C’est pourquoi beaucoup de chercheurs pensent que les destinataires de ces poèmes lyriques n’étaient pas la cour mais leur amics directement. Le ton de ces œuvres est plus personnel que celui des troubadours parce qu’elles parlent de leurs propres émotions envers un homme réel (et non pas au seigneur à travers leur femme) (Keelan 25). Cependant, ce type de discours littéraire peut être seulement un jeu lyrique du poème – on n’est pas sur si les amics qui sont les sujets de ces poèmes sont réels ou fictifs. En tout cas, contrairement à l’élévation sociale comme motivation pour les troubadours, on peut supposer que les trobairitz ont écrit dans un but différent de 8 changement social : l’amélioration de l’image féminine ainsi que des relations entre les hommes et les femmes. 2.2 : Contexte littéraire et linguistique 2.2a : Les vidas des troubadours et des trobairitz choisis Le terme vida représente la description biographique d’un troubadour ou une trobairitz (Burgwinkle 24). Ces vidas sont considérés comme librement biographiques, car elles étaient écrites par le∙a poète en question. Elles sont vues comme une exagération de leur passé et de leur vie, pour créer une image plus littéraire de leur identité. Donc, elles sont présentées dans les textes comme des faits alors qu’elles sont « frequently fanciful elaborations drawn from the lyrics ; they are more valued by modern readers as fascinating tales than as accurate histories » (Sigal 353). Bien souvent, les vidas sont les seules informations qu’on peut trouver au sujet des vies de ces auteur∙e∙s. Nous allons donc utiliser ces biographies pour comprendre les poètes dans cette étude avec prudence. Ainsi, on va aborder les vidas des poètes suivant∙e∙s pour cette analyse : Peire Vidal, Bernart de Ventadorn, Raimon Jordan, Comtesse de Dia, Castelloza et Azalais de Porcairages. Peire Vidal était un troubadour qui était actif entre 1170 et 1205 (Sigal 355). Le vida du troubadour Peire Vidal dicte qu’il était le fils d’un fourrier et qu’il a connu des aventures extraordinaires (Sigal 356). Dans ses poèmes, au nombre de 45, il est présenté comme un homme qui a beaucoup voyagé et qui a chanté dans plusieurs cours différentes. Donc, on peut imaginer que son statut social n’était pas très élevé car il n’était membre d’aucune cour particulière. 9 Un autre troubadour d’un statut bas dans la société médiévale était Bernart de Ventadorn. Il a écrit de 1140 à 1180 et il a laissé un corpus de 41 poèmes, qui sont attribués à ce troubadour (Sigal 354). Bernart est célébré pour son style des cansos, que certains décrivent comme le meilleur type de tous les troubadours. Selon ses vidas, il était le fils d’un ravitailleur de fournaise et donc, il était paysan dans la société. Sa vie après qu’il a arrêté sa fonction de troubadour reste obscure, mais certains pensent qu’il est devenu moine (Sigal 355). Bien que la plupart des troubadours soient d’origine humble certains appartenaient à la haute société. D’après la vida de Raimon Jordan, il était « vicomte de Saint-Antonin et seigneur d’un riche bourg » (Roubaud 196) dans le Quercy. L’image de cet homme est héroïque, car sa vida inclut une histoire de son service militaire. Cette histoire est dramatique – il a perdu son amour parce qu’elle a pensé qu’il était mort. En ce qui concerne l’origine et le statut social des trobairitz, on peut voir une différence entre elles et leurs homologues masculins. La plus célèbre ainsi que la première trobairitz était la Comtessa de Dia. Les chercheurs ne peuvent pas vérifier exactement qui était cette comtesse, car il n’y a pas de preuve historique externe qu’il y avait vraiment une comtesse qui a écrit de la poésie. Dans son corpus, on peut trouver quatre ou cinq cansos, y compris le seul canso d’une trobairitz dont la musique a survécu : « A chantar m’er de so qu’ieu no volria » (Sigal 358). Elle est souvent liée avec le Raimbaut d’Aurenga, car sa vida allègue qu’elle est tombée amoureuse de cet homme. Azalais de Porcairagues, autre trobairitz, était une contemporaine de la Comtessa de Dia. Le seul poème qui reste d’elle a été composé à la fin du 12ème siècle 10 (Sigal 360). D’après sa vida, on peut comprendre qu’elle était une noble bien éduquée de Montpellier. De plus, il y a plusieurs preuves qui associent cette femme avec la cour de Raimbaut d’Aurenga. La vida de Castelloza est la plus obscure de ces trois trobairitz. Elle est originaire d’Auvergne et on spécule qu’elle a habité aux environs du Puy (Bogin 175). Castelloza était considérée comme une des meilleures des trobairitz. Elle était noble et la femme de Turc de Mairona. Elle a donc vécu pendant le début du 13ème siècle (Bogin 175). 2.2b : Le fin’ amor, les domnas, les amics et les cansos typiques Le concept du fin’ amor vient du premier troubadour, Guillem de Poitiers, quand il a déclaré une servitude à sa dame dans sa poésie. Fin’ amor, ou ce qu’on appelle maintenant l’amour courtois, s’est propagé en Occitanie au 12ème siècle à travers les œuvres des troubadours mais il y a quelques indications que ce concept n’a pas été inventé par ces poètes. Selon Bogin (1976), on peut trouver les mêmes thématiques dans la poésie amoureuse latine ainsi que la poésie arabe. Après les Croisades, il y avait un flux de traditions de l’Orient en France, car elle était touchée par ce contact culturel pendant ces batailles. Donc, on n’est pas sûr si l’amour courtois était vraiment une nouveauté au 12ème siècle ou une influence antique et/ou arabe. Quoi qu’il en soit, l’amour courtois chez les troubadours a un nouvel esprit en ce qui concerne la vénération de la dame dans le genre de poésie lyrique. Le troubadour a chanté pour la domna, qui était « the object of their eternal, abject passions » (Bogin, 49). En vénérant cette femme, les troubadours ont créé l’image de la femme idéale. C’est un type d’amour qui élève l’individu (Burgwinkle 22) et en élevant l’être aimé, on 11 peut voir une élévation potentielle du statut des femmes dans la société. Cependant, il faut noter que la muse pour cette domna dans l’amour courtois était presque toujours la femme du mécène de troubadour. Donc, l’acte de vénération de la femme devient plutôt un acte de vénération indirect du mécène masculin, voilé par les mots lyriques. Dans cette veine, « the lady would thus be the mediator in a symbolic transference of status between two men of different social classes » (Bogin 56). Ainsi, bien qu’il soit possible que les femmes nobles dans le public des troubadours bénéficiaient de leurs chansons d’amour, l’amour courtois était plutôt un système créé par les hommes et pour les hommes, avec leurs propres intérêts en tête. Malgré cela, fin’amor a donné la possibilité aux femmes des 12ème et 13ème siècles d’être vues et entendues. Elles vivaient dans un monde où elles étaient adorées par tous et elles recevaient le prestige qu’elles méritaient. Il est important de noter que l’amour courtois chez les trobairitz est un peu différent. Les femmes troubadours ont écrit leurs cansos, leurs poèmes d’amour, à leurs amics, ou leurs amants. Keelan (2015) explique que les poèmes des trobairitz reflètent des critiques et des questions en ce qui concerne les bases de l’amour courtois (14). De leur propre façon, les femmes du Moyen Age entrent dans le discours dans ce système masculin qui était imposé sur elles, en utilisant le même système mais à leur avantage. Les femmes ont ainsi trouvé un type d’autonomie dans la société médiévale dirigée par les hommes. Les cansos étaient des poèmes au sujet de l’amour. Ils étaient les premiers poèmes lyriques à discuter un type d’amour qui élève l’individu (Burgwinkle). Les cansos sont des récits à la première personne, qui sont typiquement composés de cinq à six strophes (Sigal 353) et ont la même versification : les huitains. Ces similarités 12 viennent du fait que les troubadours connaissaient les œuvres des autres troubadours et ils ont essayé de les imiter, mélodiquement et thématiquement (Burgwinkle 22). Tous ces exemples montrent que les cansos, en forme et en thème, étaient similaires. 2.2c : L’écriture des trobairitz Avant de discuter l’hypothèse en faveur d’une écriture distincte des trobairitz, il faut définir ce que ce terme veut dire chez les femmes troubadours. Dans cette partie, j’aborderai trois critères pour créer une définition de ce concept dans cette étude : une écriture qu’on peut attribuer aux femmes, une écriture avec une différence notable (thématiquement, linguistiquement, et littérairement) avec celle des hommes, et une écriture qui est le résultat d’une motivation différente de celle des homologues masculins de l’époque. Comme point de départ, il peut apparaitre comme banal de définir ce critère mais tout simplement, l’écriture des trobairitz est quelque chose qui était écrit par les femmes. Dans les études précédentes de cette idée en ce qui concerne les trobairitz, ce critère a été la source de nombreuses discussions. En effet, on n’a pas de preuve définitive que les femmes aux 12ème et 13ème siècles savaient écrire et certains critiques avancent l’argument qu’on ne peut pas dire que ces femmes ont écrit leurs propres poèmes. Selon Régnier-Bohler (2006), « on part en quête des traces des femmes au moyen de l’écrit, assumé par elles ou rendu possible par une autre plume, celle d’un homme » (VIII). Donc, avec leur statut minoritaire à l’époque, beaucoup d’historiens questionnent la vraie paternité de ces poèmes. Cependant, plus récemment, ce débat autour des auteur∙e∙s reste en faveur des femmes auteures pour le corpus des trobairitz. 13 Une autre partie de la définition de l’écriture des trobairitz dans cet essai comprend la différence. En proposant qu’une écriture distincte des trobairitz existe, il faut pouvoir souligner une différence remarquable entre les éléments littéraires, linguistiques, et/ou thématiques entre les œuvres écrites par les hommes et celles écrites par les femmes. En ce qui concerne les thèmes et le style, Bogin souligne beaucoup de différences chez les trobairitz, car elles écrivent un ton direct, sans ambiguïté et personnel, au sujet d’émotions différentes (67). En général, elles sont vues comme des inventeurs : « en transposant au féminin la poésie lyrique des troubadours, les trobairitz inventent de nouvelles formes d’écriture » (Paupert 13). Donc, leur écriture devient leur propre forme d’expression. De plus, il y a des avis variés face à ces différences thématiques. Par exemple, Jeanroy décrit chez les trobairitz « une certaine paresse d’esprit, une évidente faute de goût […] un choquant oubli de toute pudeur et de toute convenance » alors que Bogin admire « leur extraordinaire fraicheur » (Huchet 3). Dans la section suivante, on explorera en plus de détails les différences déjà analysées tant linguistiques que littéraires. Finalement, dans notre définition de l’écriture des trobairitz, on doit tenir en compte la motivation pour écrire qui était différente entre les femmes et les hommes au Moyen Age. Comme on l’a vu dans le Contexte Historique (section 2.1), bien qu’elles aient le droit de propriété à l’époque, les femmes occupaient une position assez minoritaire dans la société. L’acte d’écrire représentait donc une occasion de faire entendre leur voix. Selon Huchet, l’écriture des femmes ne reflète pas d’une binarité anatomique mais un objectif distinct : « Le féminin définit ici moins une identité sexuelle, à laquelle le corps anatomique et la biographie apporteraient un référent, qu’il ne 14 permet à la parole masculine de se dire autrement et d’être entendue par la dame » (11). On voit donc cette idée de la voix féminine et de la rendre plus présente dans l’espace public. D’après Régnier-Bohler, ce but est clair : « « Dire le Moi », voilà leur mission, engageant une inscription dans le temps et dans l’espace » (XIX). Bref, l’écriture des trobairitz a une motivation qui est unique au contexte socio-historique : être entendue et marquer leur existence dans la société et la poésie dominées par les hommes. 2.2d : Les études linguistiques et littéraires précédentes des troubadours et des trobairitz Plusieurs études linguistiques qui ont été écrites au sujet des troubadours et des trobairitz. Avant d’expliquer la méthodologie de ce devoir, il faut noter ces études précédentes et comment elles ont motivé ce travail. Premièrement, Joan M. Ferrante a fait une comparaison linguistique et littéraire des troubadours et des trobairitz dans « Notes Toward the Study of A Female Rhetoric in the Trobairitz ». Sa question principale de recherche, comme la mienne, était de voir si l’écriture des femmes est fondamentalement différente que celle de leurs homologues masculins. Bref, elle voulait voir s’il y a une écriture distincte (c’est-à-dire une différence linguistique par rapport aux homologues masculins) chez les trobairitz, ce qui est très similaire à la motivation pour ce mémoire. En ce qui concerne la méthodologie, Ferrante a choisi un groupe de cansos des troubadours pour les comparer avec ceux des trobairitz. Ses choix sont différents des poèmes utilisés dans cette étude, sauf le choix de Bernart de Ventadorn. Comme résultats, une première chose que Ferrante a trouvé est une différence dans l’utilisation 15 des verbes à la deuxième personne du singulier (avec ou sans pronom) – les trobairitz les ont utilisés beaucoup plus que les troubadours dans les cansos. Cette différence incite Ferrante à conclure que le ton des femmes est plus direct. Cette différence de franchise peut être expliquée par la différence du public du poème : les troubadours ont écrit au sujet des femmes mais les destinataires étaient les hommes de la cour alors que les trobairitz ont écrit aux hommes directement (Ferrante 65). Un autre résultat linguistique de l’étude de Ferrante concerne la négation. La différence entre les femmes et les hommes n’est pas très importante mais les femmes sont un peu plus négatives dans leur expression écrite que les hommes. De plus, Ferrante a analysé l’utilisation des temps différents (le présent, les temps du passé – le passé composé et l’imparfait - et le subjonctif particulièrement) dans les poèmes. Elle a trouvé que les femmes ont utilisé le subjonctif et les temps du passé plus fréquemment que les hommes. Donc, l’effet de ce résultat est la notion que les cansos des femmes décrivaient de vraies relations, qui se sont réellement passées (Ferrante, 66). Pour conclure son analyse, Ferrante souligne quelques différences avec les éléments littéraires de ces cansos, y compris la rime et le jeu de mots. Selon Ferrante, les trobairitz n’employaient pas des schémas de rimes compliqués. Elles ont trouvé d’autres moyens pour exprimer leurs idées, comme les artifices littéraires y compris le jeu de mots. En ce qui concerne le jeu de mots, les femmes ont utilisé un jeu des formes masculines et féminines des mots ainsi que les noms masculins et féminins à travers les poèmes. Par exemple, Lombarda de Toulouse utilise ce jeu avec la forme féminine des noms dans son tensos : « Lombards volgr’eu esser per na Lombarda/ 16 no’m volgr’aver per Bernard na Bernarda/ e per n’Arnaut n’Arnauda appellada » (Ferrante 68). Donc, elle ne voulait pas changer son identité pour être soumise à un homme. En développant leur propre genre, elles ont créé leur propre type d’écriture, qui était distinct de celui des hommes. Une autre étude linguistique qui est pertinente pour mon étude est « Suffering Love : The Reversed Order in the Poetry of Na Castelloza » par H. Jay Siskin et Julie A. Storme (1989). Bien que Siskin et Storme se focalisent sur seulement une auteure, leur étude de la négation de Castelloza est approfondie et détaillée. Ils expliquent que sa négation n’existe pas juste dans les formes négatives mais dans la syntaxe aussi, avec une prépondérance des situations hypothétiques (Siskin et Storme 114). Dans le système de poésie de Castelloza, le positif et le négatif sont inversés - ce qui est normalement considéré comme bon est en réalité mauvais. Pour illustrer cela, ils décrivent son utilisation du mot « joi » dans ses poèmes, qui est toujours limité aux contextes négatifs. Ce qui est aussi intéressant dans cette étude est l’analyse brève des adjectifs possessifs (Siskin et Storme 124). Ils ont trouvé que Castelloza a préféré alterner des formes de la première personne du singulier avec celles de la deuxième personne du pluriel. Cette alternation ajoute le mouvement dans les strophes de ces poèmes ainsi que l’assonance et allitération grâce à l’utilisation des chiasmes. 17 3. Méthodologie Pour le choix des poèmes dans cette analyse, j’ai choisi un corpus de douze poèmes de troubadours et de trobairitz ; six qui ont écrit par des hommes et six qui ont écrit par des femmes. Pour déterminer les poèmes utilisés, j’ai retenu trois critères : l’origine géographique de chaque poète, le sujet des poèmes et la date de composition. Selon ces trois veines, il faut que les troubadours et les trobairitz choisis se correspondent les uns les autres. On peut voir cette correspondance dans le tableau ci- dessous (tableau 1). Spécifiquement, tous les poèmes utilisés dans cette recherche sont les cansos, ou les poèmes au sujet de l’amour. Comme lieu, j’ai essayé de trouver un troubadour pour chaque trobairitz qui ne soit pas à plus de 100 km en distance. Pour le critère de l’époque, il est difficile de savoir exactement quand chaque œuvre a été composée. Donc, j’ai compté les années de naissance et de mort des auteur∙e∙s comme indication de l’époque. Il est important de noter le manque d’information en ce qui concerne ces dates, et donc la correspondance entre ces auteur∙e∙s selon cette veine est un peu vague – tou∙te∙s appartiennent à la fin du 12ème ou au début du 13ème siècle. De plus, j’ai essayé d’éliminer toutes les trobairitz anonymes, car on ne peut pas savoir concrètement si les auteurs étaient des femmes. 18 Tableau 1 : Sélection des poètes Auteur∙e Comtesse de Dia Époque 1150-1215? Castelloza Azalais de Porcairages Peire Vidal Raimon Jordan Bernart de Ventadorn 1200-? 1173 1175-1205 Fin de 12eme siècle 1150-1180 Lieu Die (nord-est de Montélimar) Auvergne Portiragnes, près de Béziers Toulouse St Antonin, Quercy (près de Toulouse) Limousin (centre) Thématique Cansos (2) Cansos (3) Canso (1) Cansos (4) Canso (1) Canso (1) Comme troubadours, j’ai choisi Peire Vidal, Raimon Jordan et Bernart de Ventadorn. Chez les trobairitz, j’ai utilisé la Comtesse de Dia, Castelloza et Azalais de Porcairages. On peut voir le nombre de vers de chaque poème abordé dans le tableau ci-dessous (tableau 2). Il est important de noter que la longueur de chaque cansos est un peu différente – les chiffres varient de 32 à 64. Tous les poèmes sont au sujet de l’amour, mais il y a des différences entre les poèmes en ce qui concerne le type de l’amour. Il y a des poèmes au sujet de l’adoration de leur amant, domna ou amics comme Be m’agrada la covinens sazos et Tart mi vieran mei amic en Tolosa (Peire Vidal) ; Lo clar temps vei brunezir (Raimon Jordan) ; Chantars no pot gaire valer (Bernart de Ventadorn) ; Ab joi et ab joven m’apais (Comtesse de Die). De l’autre côté, il y a des poèmes au sujet du désespoir : Nulhs hom non pot d’amor gandir et Plus que∙l paubres que jatz e∙l ric ostal (Peire Vidal) ; Amics, s’ie.us trobes avinen, Ja de chantar non degr’ aver talan, et Mout avetz faich long estatge (Castelloza) ; Ar em al freg temps vengut (Azalais de Porcairagues) ; A chantar m’er de so qu’ieu non volria (Comtesse de Die). 19 Tableau 2 : Sélection des cansos (y compris leur longueur et leur thématique) Poèmes Troubadour/Trobairitz Masculin/Féminin Nombre de Adoration vers ou Chantars no pot gaire valer Be m’agrada la covinens sazos Nulhs hom non pot d’amor gandir Tart mi vieran mei amic en Tolzan Plus que∙l paubres que jatz e∙l ric ostal Lo clar temps vei brunezir Amics, s’ie.us trobes avinen Ja de chantar non degr’ aver talan Mout avetz faich long estatge Ar em al freg temps vengut Ab joi et ab joven m’apais A chantar m’er de so qu’ieu non volria Bernart de Ventadorn Peire Vidal Masculin Masculin Peire Vidal Masculin Peire Vidal Masculin Peire Vidal Masculin Raimon Jordan Masculin Castelloza Féminin Castelloza Féminin Castelloza Féminin Azalais de Porcairages Comtesse de Die Féminin Féminin Comtesse de Die Féminin 54 48 64 32 62 56 48 62 50 52 36 37 Désespoir Adoration Adoration Désespoir Adoration Désespoir Adoration Désespoir Désespoir Désespoir Désespoir Adoration Désespoir Pour mener une analyse linguistique des poèmes des troubadours et des trobairitz, j’ai examiné la présence des adjectifs, la présence et les types de négation, la présence du pronom « je » ainsi que la présence des verbes conjugués à la première personne du singulier dans chaque cansos. Pour mon analyse des adjectifs, j’ai choisi de compter les adjectifs épithètes et les adjectifs prédicats qui sont présents dans chaque poème. J’ai choisi cet élément parce que ce chiffre peut représenter une 20 différence dans la description des amant∙e∙s entre les deux sexes, avec un bouleversement de l’amour courtois chez les trobairitz. Je n’ai pas inclus les adjectifs nominalisés et les adjectifs comparatifs dans mon comptage, y compris les structures comme « tan [adjectif] » et « plus [adjectif] ». De plus, j’ai exclu les adjectifs qui sont considérés comme inclassables, notamment « telle » ou « autre ». Ainsi, je n’ai pas compté les adjectifs après « comme ». En outre, j’ai calculé la densité des adjectifs dans chaque poème. Pour faire cela, j’ai compté les épithètes et les attributs ensemble et je les ai divisés par le nombre de vers dans le poème. J’ai décidé de diviser les quantités par vers et non pas par mots car c’était plus commode à compter – le nombre de mots dans chaque poème est très grand. La deuxième partie de mon analyse des adjectifs aborde le compte des adjectifs épithètes avant et après le nom qu’ils décrivent. Comme partie finale, j’ai marqué la présence des adjectifs avec un sens négatif et des adjectifs avec un sens positif. Pour cette portion de mon devoir, j’ai exclu tous les adjectifs neutres ainsi que les adjectifs qui sont utilisés avec la négation (ie : je ne suis pas belle – belle est exclue). En ce qui concerne la négation, j’ai abordé deux cadres d’énumération. Premièrement, j’ai noté la présence de la négation verbale en général. Le raisonnement pour compter cet élément est encore lié avec le changement de l’amour courtois chez les trobairitz – on peut imaginer qu’elles étaient plus négatives face à leurs amants masculins. Pour calculer la présence de la négation, les pourcentages (qui indiquent la densité de la négation dans chaque poème) étaient calculés en divisant le nombre des présences de négation par le nombre de vers dans le canso. Comme les densités des adjectifs, j’ai choisi de diviser par nombre de vers au lieu de nombre de verbes, car ce 21 nombre était plus aisé. Dans cette portion, je n’ai pas noté la présence de « ne…. que » ainsi que le ne explétif/pléonastique. De plus, j’ai exclu la présence de « anc/anq » quand sa signification en contexte était « toujours ». Seules les « anc/anq » qui veulent clairement dire « jamais » ont été comptés. Comme une autre exclusion, je n’ai pas utilisé « n’ » quand il veut dire « en » et je n’ai gardé qu’un « n’ » si sa signification était négative. Par exemple, dans Ab joi et ab joven m’apais par Castelloza, elle écrit « qu’ieu n’ai chausit un pro e gen » qui veut dire « j’ai choisi un homme fin et noble » (Bogin 84-85), et donc je ne l’ai pas compté. Deuxièmement, j’ai marqué les types de négation qui étaient utilisés. J’ai inclus « No/non », « Anq/anc… no ou no…jamais », « No…ni », « Non…nulh/nul», « Non…re», « No/non… plus », et « No…ges » individuellement dans mon tableau alors que toutes les autres structures négatives ont été classifiées comme « Autre ». Pour l’analyse de la première personne du singulier, j’ai abordé deux types de comptage. D’abord, la présence des conjugaisons de verbes à la première personne du singulier a été notée. Pour faire notre analyse des verbes à la première personne du singulier, il faut souligner la manière dont on l’a fait. J’ai compté la présence des conjugués à cette personne dans les poèmes des troubadours et des trobairitz. J’ai divisé ce chiffre par le nombre de vers dans chaque canso, pour donner un pourcentage général de la présence des conjugaisons à la première personne du singulier dans le poème entier. Comme les autres densités qu’on a vu dans les parties précédentes, j’ai décidé de diviser par le nombre de vers et non pas par le nombre de mots dans chaque poème, car la quantité des mots n’est pas réalisable. De plus, avec la nature des mots en ancien occitan, il est difficile à déterminer ce qu’on peut 22 considérer comme un mot et donc ce qu’on doit compter. Dans cette partie de ma recherche, je n’ai pas inclus les phrases comme « il me plait… ». Bien que ces structures indiquent une opinion personnelle, elles n’utilisent pas un verbe à la première personne du singulier. Par ailleurs, j’ai compté la présence du pronom « ieu/eu » (je) et d’autres variantes dans chaque poème. J’ai calculé les densités du pronom je dans les poèmes en divisant la présence du pronom avec la quantité des conjugaisons à la première personne du singulier dans chaque poème. Pour l’organisation des tableaux, il faut noter que chaque tableau commence avec les poèmes du déchirement et finit avec les poèmes de l’adoration. Pour démontrer cela plus facilement, j’ai marqué chaque poème au sujet de l’amour positif avec une étoile (*) avant le titre. 23 4. Analyse des poèmes de troubadours et de trobairitz 4.1 : Analyse des adjectifs Tableau 3 : Présence des adjectifs épithètes et des adjectifs prédicats (des troubadours) Auteurs Les adjectifs La densité Poèmes Les adjectifs épithètes attributs des adjectifs Peire Vidal Plus que’l paubres 11 que jatz el ric ostal Peire Vidal Nulhs hom non pot 15 6 2 d’amor gandir 17/62 = 27% 17/64 = 27% Peire Vidal *Be m’agrada la 18 16 34/48 = covinens sazos Peire Vidal *Tart mi veiran mei 10 amic en Tolzan Raimon-Jordan *Lo clar temps vei 5 brunezir Bernart de *Chantars no pot 14 Ventadorn gaire valer Total 73 6 2 13 45 71% 16/32 = 50% 7/56 = 13% 27/54 = 50% Moyenne = 39,6% En commençant notre analyse avec une étude des adjectifs, on va se focaliser sur les adjectifs épithètes et les adjectifs attributs dans les poèmes. Comme tableau 3 le montre, les troubadours préféraient utiliser les adjectifs épithètes plutôt que les adjectifs attributs. La plupart de temps, ces adjectifs épithètes étaient utilisés pour 24 décrire la domna dans le poème, donc les troubadours ont mis l’importance sur la description des femmes dans les poèmes. On peut voir un exemple de cette focalisation de la domna dans le canso Tart mi veiran mei amic en Tolzan par Peire Vidal. Quand on voit les adjectifs épithètes dans ce poème, ils se concentrent sur l’image de la femme : « Mon Bel Rainier » (v 4), « vostre cors avinens » (v 7), « l dous parlars e la cara rizens » (v 8), « Ma bela domna douss’ » (v 11), et « vostre ric ostal » (v 26). Donc, cette préférence pour les adjectifs épithètes placent l’importance sur la description de l’objet dans le poème et dans ce cas, sur la domna. De plus, on peut voir que la densité des adjectifs varie beaucoup entre tous les poèmes. Par exemple, on peut voir la densité la plus élevée de 71% dans le canso Be m’agrada la covinens sazos de Peire Vidal alors qu’il y a une densité plus basse de 13% dans Lo clar temps vei brunezir de Raimon Jordan. Bien qu’il n’y ait pas un accord général au niveau de la quantité de description à travers les poèmes des troubadours, on peut remarquer un lien entre la thématique de ces poèmes et la densité des adjectifs. Pour les cansos qui traitent des sujets d’adoration (Be m’agrada la covinens sazos, Tart mi veiran mei amic en Tolzan, et Chantars no pot gaire valer), on peut voir les pourcentages les plus hauts, respectivement 71% et 50%. De l’autre côté, les poèmes lyriques qui sont au sujet de désespoir utilisent moins d’adjectifs en général. Ce fait est démontré avec la fourchette plus basse des pourcentages donnés, de 13% à 27%. Donc, il est possible de voir une relation entre la quantité de description dans les cansos et leur thématique. En général, les troubadours ont utilisé plus de description avec les poèmes d’adoration qu’avec les poèmes de désespoir. Ceci peut être dû à leur motivation à écrire : pour satisfaire les attentes des mécènes, qui étaient les maris des 25 domnas dans ces cansos. Une description plus riche qui peint un portrait précis des femmes nobles peut refléter un besoin d’impressionner les mécènes, ce qui était le seul espoir pour l’avancement dans la société pour les troubadours. D’après Burgwinkle (2010), les domnas sont “ciphers, markers for masculine desire, and mirrors for the poets who see in them their only hope for advancement” (23). Donc, une utilisation élevée des adjectifs dans les poèmes qui décrivent les femmes nobles dans une lumière positive correspond avec leur motivation pour écrire : élever leur statut dans la société. Tableau 4 : Présence des adjectifs épithètes et des adjectifs attributs (des trobairitz) Auteures Poèmes Les adjectifs Les La densité épithètes adjectifs des adjectifs Castelloza Amics, s’ie.us trobes 9 avinen Castelloza Ja de chantar non degr’ 11 aver talan attributs 9 0 18/48 = 38% 11/62 = 18% Castelloza Mout avetz faich long 10 10 20/50 = estatge Azalais de Ar em al freg temps vengut 9 Porcairages Comtesse de A chantar m’er de so 6 Die qu’ieu non volria 5 5 40% 14/52 = 27% 11/37 = 30% 26 Tableau 4 (cont’d) Comtesse de *Ab joi et ab joven m’apais 4 7 11/36 = Die Total 49 36 Moyenne = 30,6% 31% Quant aux homologues féminins, la quantité des adjectifs utilisés est plus basse. Dans la densité des adjectifs, on peut voir une gamme qui n’est pas aussi large que celle des troubadours : de 18% à 40%. Donc, les trobairitz n’ont pas écrit d’une façon aussi descriptive que les troubadours. Même quand on tient compte des thématiques des poèmes chez les trobairitz, il n’y a pas de lien entre la quantité de description et le sujet de l’amour positif ou négatif. Le seul canso qui traite le sujet d’adoration comporte une densité d’adjectifs de 31%, qui n’est pas vraiment différente de celles des autres poèmes. Donc, selon les chiffres donnés dans les deux premiers tableaux, on peut conclure que les troubadours étaient beaucoup plus descriptifs dans leurs poèmes d’amour que les trobairitz. Cependant, il est intéressant de voir une différence en ce qui concerne l’utilisation des adjectifs épithètes et des adjectifs attributs chez les trobairitz. Le tableau 4 montre une utilisation assez égale des deux types d’adjectifs pour chaque poème avec 49 epithetes soit 57,6% vs 36 attributs soit 42,4% (sauf Ja de chantar non degr’ aver talan par Castelloza). Bien que les femmes n’aient pas écrit avec beaucoup d’adjectifs, elles ont utilisé les deux types alors que les troubadours favorisent les adjectifs épithètes (73, soit 61,9%) plus que les adjectifs attributs (14 ou 38,1%). Par 27 exemple, dans le poème Mout avetz faich long estatge par Castelloza, on voit des quantités exactement égales à propos des adjectifs épithètes et des adjectifs attributs – il y a dix de chaque type. Cette égalité ne se trouve pas chez les troubadours, sauf peut-être dans les cansos Be m’agrada la covinens sazos (18 adjectifs épithètes vs 16 adjectifs attributs) et Chantars no pot gaire valer (14 adjectifs épithètes vs 13 adjectifs attributs). En regardant plus précisément les adjectifs, on remarque que les trobairitz, ont employé les adjectifs épithètes pour décrire leur amics, ou leur amant comme dans Mout avetz faich long estatge « bels amics, de fin coratge » (v 11). Alors qu’elles ont utilisé les adjectifs attributs pour décrire leurs propres sentiments et leurs propres avis, réels ou non. Toujours dans ce même poème, Castelloza décrit son désespoir personnel en utilisant des attributs : « es me greu e salvatge » (v 3), « faich ai follatge » (v 13), et « sui pensiv’ e marrida » (v 35). Cette technique employée par les trobairitz rend une égalité en ce qui concerne la description - les sentiments personnels des auteures sont décrits au même niveau que les objets, ou dans ce cas l’amics masculin. Chez les troubadours, on ne trouve pas cette égalité – la description de la domna est la chose la plus importante, ce qu’on peut voir avec les chiffres des adjectifs épithètes qui sont plus élevés en tableau 3. Les trobairitz voulaient que leurs propres sentiments soient aussi présents que l’image de leurs amants masculins. On peut supposer que ce choix de l’utilisation égale des épithètes et des attributs était fait pour renforcer leurs avis, et donc leurs voix, dans la société à travers les cansos. 28 Tableau 5 : Placement des adjectifs épithètes avant le nom Poèmes des troubadours Avant le nom chez Poèmes des trobairitz Avant le nom chez les troubadours les trobairitz Plus que’l paubres que 9/12 = 75% Amics, s’ie.us 6/9 = 67% jatz el ric ostal trobes avinen Nulhs hom non pot 11/15 = 73% Ja de chantar non 8/11 = 73% d’amor gandir degr’ aver talan *Be m’agrada la 12/18 = 67% Mout avetz faich 6/10 = 60% covinens sazos long estatge *Tart mi veiran mei amic 6/10 = 60% Ar em al freg temps 6/9 = 67% en Tolzan vengut *Lo clar temps vei 3/5 = 60% A chantar m’er de 4/6 = 67% brunezir so qu’ieu non volria *Chantars no pot gaire 9/14 = 64% *Ab joi et ab joven 3/4 = 75% valer Moyenne Variation 66,5% 60-75% m’apais 68,2% 60-75% Pour la deuxième partie de cette analyse des adjectifs, on va se focaliser sur les adjectifs épithètes, et plus particulièrement, sur le placement de ces adjectifs en relation avec le nom qu’ils décrivent. Comme on le voit dans les deux premières colonnes du tableau 5, chez les troubadours, le placement des adjectifs épithètes est assez régulier - plutôt avant le nom qu’après. Chez les trobairitz, on peut trouver le même type de placement des épithètes avec une préférence similaire pour les adjectifs antéposés. Il 29 faut rappeler qu’en ancien français, ainsi qu’en ancien occitan, le placement des adjectifs épithètes était flexible – n’existaient pas les règles de grammaire qu’on a en français moderne (Einhorn 1974). La plupart du temps, les adjectifs épithètes qui sont antéposés sont les mêmes adjectifs antéposés en français moderne. Avec le canso Be m’agrada la covinens sazos de Peire Vidal, on peut voir cette similarité avec les épithètes antéposés: « cortes » (v 2), « bel/a/s » (v 6, 17, 20, 46, 48), « dous » (v 10), « bon/a » (v 19, 37), « mal » (v 26) et « gran » (v 47). Mais, dans ce même poème, il y a aussi quelques différences avec le français moderne : « vostras finas beutatz » (v 21) et « la covinens sazos » (v 1). Il faut noter que ce changement de placement pouvait être dû à la flexibilité de la langue mais aussi au schéma des rimes. Comme Buridant (1997) l’explique, le changement du placement des adjectifs épithètes dans la poésie en ancien français pouvait être pour former la rime des vers précédents. On peut voir un autre exemple de cette pensée dans le poème Nulhs hom non pot d’amor gandir de Peire Vidal : las ricas cortz (v 37) et lo senestre latz (v 21). En français moderne, ces adjectifs sont après les noms qu’ils décrivent mais ici ils se trouvent avant. Particulièrement avec lo senestre latz, ce placement est probablement pour faire bien la rime avec la ligne suivante tornatz. Donc, on ne peut pas faire les conclusions en ce qui concerne un raisonnement littéraire pour ce changement du placement à cause de la rime. Chez les trobairitz, on trouve le même type de placement des adjectifs épithètes. Dans le canso Amics, s’ie.us trobes avinen, on voit les adjectifs antéposés qui sont encore antéposés en français moderne : « bon cor » (v 10), « gran revenimen » (v 23), « bon pretz » (v 6), et « bona merce » (v 2). Encore, il y a une différence : « greu 30 pessamen » (v 24). En français moderne, « greu » ou pénible/grave est un adjectif qui se trouve après le nom qu’il décrit. Cela est peut être dû à la flexibilité grammaticale de l’époque mais aussi le schéma de rime, car ces mots sont à la fin du vers et « pessamen » rime avec « revenimen » (v 23) du vers précèdent. Donc, les femmes et les hommes ont placé les adjectifs épithètes similairement. L’absence d’une grande différence entre les hommes et les femmes dans cette veine peut être dû à l’imitation qui était la base de la littérature troubadouresque. D’après Burgwinkle, “singers and poets clearly knew the works of other poets like them and imitated or alluded to their rivals/models frequently – melodically, metrically, and thematically” (22). On peut avancer que ce mimétisme se trouve aussi dans certains éléments linguistiques et particulièrement dans le placement des épithètes en relation aux noms. Tableau 6: Les adjectifs positifs présents Adjectifs positifs Poèmes des troubadours Poèmes des Adjectifs positifs chez les troubadours trobairitz chez les trobairitz Plus que’l paubres que 14/18 = 78% Amics, s’ie.us 9/18 = 50% jatz el ric ostal trobes avinen Nulhs hom non pot 11/16 = 69% Ja de chantar non 8/11 = 73% d’amor gandir degr’ aver talan *Be m’agrada la 31/34 = 91% Mout avetz faich 6/19 = 32% covinens sazos long estatge *Tart mi veiran mei amic 16/16 = 100% Ar em al freg 8/13 = 62% en Tolzan temps vengut 31 Tableau 6 (cont’d) *Lo clar temps vei brunezir 4/7 = 57% A chantar m’er de 6/9 = 67% so qu’ieu non volria *Chantars no pot gaire 22/26 = 85% *Ab joi et ab joven 11/11 = 100% valer Moyenne Variation 80% 57-100% m’apais 64% 32-100% En ce qui concerne la thématique des adjectifs dans les cansos, on peut voir la description chez les troubadours est très positive. Bien qu’il y ait une échelle entre 57% et 100% d’adjectifs positifs utilisés dans les poèmes des troubadours, il est remarquable que tous les cansos des troubadours dans cette étude utilisent plus d’adjectifs positifs que d’adjectifs négatifs. Même les cansos qui abordent une thématique du désespoir ne reflète pas ce sentiment dans les adjectifs. Les chiffres correspondent avec mon hypothèse selon laquelle les troubadours ont décrit leurs domnas et leurs sentiments d’une façon plutôt positive. Ce choix était délibéré, puisque les troubadours voulaient impressionner la cour pour élever leur statut dans la société. En décrivant les domnas (c’est-à-dire les femmes de la cour et de leurs mécènes) d’une manière positive, les troubadours pouvaient être considérés comme un outil important dans le maintien de la réputation des membres de la cour car ils ont chanté leurs louanges. Les chiffres du tableau 6 reflètent une motivation à écrire chez les troubadours : non pas juste vénérer l’amour et la beauté de la femme mais atteindre les buts sociaux dans une société dominée par les hommes. 32 Chez les trobairitz, au contraire, on trouve une différence avec ces thématiques des adjectifs. Avant d’analyser les chiffres des deux dernières colonnes du tableau 6, il faut décrire les thèmes typiques dans les cansos des trobairitz. Dans le corpus d’environ 20 poèmes, on ne peut en trouver que quelques-uns qui traitent de l’adoration pour leur amics. En général, les poèmes d’amour des trobairitz sont au sujet du désespoir, du déchirement. Ainsi, dans cette étude, il n’y a qu’un poème qui discute la joie et la passion pour un amant : Ab joi et ab joven m’apais. Donc, il n’est pas surprenant qu’on trouve seulement des adjectifs positifs dans ce canso. Cependant, dans tous les autres poèmes (qui sont en général négatifs en thématique), on peut voir des chiffres qui sont plus bas que ceux de leurs homologues masculins, avec une échelle entre 32% et 73%. En particulier, on trouve la plus forte utilisation d’adjectifs négatifs dans Mout avetz faich long estatge écrit par Castelloza. Ces adjectifs négatifs incluent les sentiments de tristesse : « greu » (dur, v 3), « salvatge » (cruel, v 3), « pensiv » (triste, v 35), et « marrida » (funebre, v 35) et aussi les descriptions négatives de son amics passé : « mal » (v 21). En bouleversant la thématique typique des troubadours, qui vénèrent et idéalisent l’amante, Castelloza crée une voix singulière et directe à travers ce poème. Castelloza et les autres trobaritiz, qui peignent une image plus négative de leurs amants masculins en utilisant plus d’adjectifs négatifs, ont utilisé ce type d’écriture pour démontrer leur présence et pour offrir une perspective différente dans une société qui était dirigée par les hommes. Parce que les femmes n’avaient pas beaucoup d’autonomie dans la société médiévale à cause de la prédominance masculine, les trobairitz ont changé leur approche de l’amour courtois, une tradition créée par les hommes, pour ouvrir la porte à la parole des femmes. 33 4.2 : Analyse de la négation Tableau 7: Présence de négation Poèmes des Présence de Poèmes des trobairitz Présence de négation troubadours négation chez les chez les trobairitz troubadours Plus que’l paubres 20/62 = 32% Amics, s’ie.us trobes 14/48 = 29% que jatz el ric ostal avinen Nulhs hom non pot 7/64 = 11% Ja de chantar non 12/62 = 19% d’amor gandir degr’ aver talan *Be m’agrada la 7/48 = 15% Mout avetz faich long 8/50 = 16% covinens sazos estatge *Tart mi veiran mei 3/32 = 9% Ar em al freg temps 10/52 = 19% amic en Tolzan vengut *Lo clar temps vei 8/56 = 14% A chantar m’er de so 10/37 = 27% brunezir qu’ieu non volria *Chantars no pot 17/54 = 31% *Ab joi et ab joven 5/36 = 14% gaire valer Moyenne Variance 18,7% 9-32% m’apais 20,7% 14-29% Les chiffres des troubadours ne montrent pas vraiment de tendance quant à l’utilisation des négations. Dans le poème Tart mi veiran mei amic en Tolzan sur l’adoration de la domna, on trouve la densité de négation la plus basse (9%) alors que Plus que’l paubres que jatz el ric ostal qui traite du déchirement a la densité la plus 34 élevée (32%). Donc, il semble logique que le premier a utilisé moins de négation, car sa thématique est plus positive. Mais cette relation entre la négation et la thématique du poème n’est pas forte. Par exemple, les autres poèmes d’adoration (Chantars no pot gaire valer, Be m’agrada la covinens sazos, Lo clar temps vei brunezir) ont les densités 31%, 15% et 14% respectivement, ce qui démontre que l’utilisation de négation n’est pas uniforme en relation avec la thématique du poème. Quant aux homologues féminins, on peut voir une variance plus étroite de 14- 29% contre 9-32% pour les troubadours. Il faut rappeler qu’il y a seulement un poème des trobairitz qui traite la thématique d’adoration : Ab joi et ab joven m’apais et, comme on s’y attendrait, il montre la densité la plus basse avec un chiffre de 14%. Donc, dans le cas des trobairitz, on pourrait dire qu’il y a un lien entre la thématique et la densité de négation. Si le poème parle de l’amour positif, on trouve moins de négation que dans les poèmes qui parlent du déchirement. Cependant, quand on compare les densités des trobairitz avec celles des troubadours, on trouve seulement une petite différence dans la présence de négation. Si on exclut les deux poèmes exceptionnels (Plus que’l paubres que jatz el ric ostal et Chantars no pot gaire valer), la présence de négation chez les troubadours est plus basse que dans les poèmes des trobairitz. Donc, on peut suggérer que la négation chez les trobairitz est plus constante. Même si c’est un canso de joie, la négation est encore présente. Cette constance de la négation peut être liée avec mon hypothèse : les trobairitz voulaient peindre les hommes dans une lumière négative pour affirmer leur présence et leur voix. En faisant cela, elles réduisent l’expérience de leurs homologues masculins avec une voix qui est plus ferme et déterminée, car la voix négative a plus d’effet sur le∙a lecteur∙trice que la voix positive. 35 Tableau 8 : Types de négation présents (résumé) Types de négation La quantité présente chez les La quantité présente chez les troubadours trobairitz No/non Anq/anc…no ou no…jamais No…ni Non…nulh ou nuls…no Non…re ou re…no No/non…plus No…ges Autre 38 5 4 7 5 1 1 1 38 4 11 1 1 0 1 3 Avant d’analyser les résultats sur le type de négation utilisé, il est important de noter que la négation en ancien français (et occitan) n’était pas toujours en deux parties, montrant donc une flexibilité typique de l’ancien français (Einhorn 1974). Donc, particulièrement avec « no/non », j’ai compté s’il y apparaissait seul ou avec un deuxième mot. Le tableau 8 montre que les trobairitz, comme les troubadours, ont utilisé majoritairement la négation simple de « no/non » à 64,4% et 61,3% respectivement. Après cette préférence, on peut noter « nulle » comme deuxième utilisé par les troubadours, suivi par « jamais », « ni » et « rien ». Chez les trobairitz, elles préféraient « ni », puis « jamais », puis les autres utilisations de négation. Il est intéressant de noter la quantité de « no… ni » qui est utilisée dans tous les poèmes sauf Mout avetz faich long estatge et qui est en fait une répétition de négation par la 36 coordination de deux éléments négatifs. Donc, bien qu’il n’y ait pas une grande différence dans les chiffres en ce qui concerne la présence de la négation entre les troubadours et les trobairitz, ce chiffre élevé de l’utilisation de « ni » représente un effet plus négatif sur le∙a lecteur∙trice. Pour finir, nous pouvons explorer les exemples dans la catégorie « Autre ». Dans vers 44 de Chantars no pot gaire valer, on peut voir deux formes de négation qui sont utilisés ensemble : « ja res no∙m seri’ afans » ou jamais rien en français moderne. On peut dire que le renforcement de la négation, en utilisant trois mots, représente un désir de souligner l’effet de la domna sur le troubadour, « jamais rien ne me serait à charge… si seulement ma dame y prenait plaisir ». L’auteur souligne ainsi l’importance de la puissance de la domna, car l’homme ne pourrait jamais suffisamment sacrifier pour elle. Ce type de rhétorique élève les pensées en ce qui concerne le genre féminin dans le public qui a entendu ces chansons d’amour. Par comparaison, dans le canso A chantar m’er de so qu’ieu non volria, l’auteure utilise une double négation deux fois à travers le poème : nuilla ren (ou nulle rien en français moderne). Comtesse de Die utilise cette double négation face à son désespoir avec son amant : « per nuilla ren que.us digani acu oilla » (v 18). Cette combinaison de nulle et rien démontre un désir de souligner la négativité face à son amant masculin, son amics. Avec ces types différents de négation qui sont présents dans les poèmes des trobairitz, ces poètes rendent leur style de négation plus dynamique et fort que leurs homologues masculins. Elles voulaient changer comment on voit les choses ou les actions négatives, avec une répétition des idées négatives ou un mélange des cas négatifs ensemble. L’effet de ce style est un ton plus direct et réaliste. On sait que les 37 troubadours ont chanté de la femme idéale, et donc, leur négation est assez simple. Les trobairitz, qui ont chanté pour une motivation différente, ont utilisé la négation pour construire une image des hommes (ou amics), et en réalité une image du monde, qui est plus négative ou, dans ce cas, plus réaliste. 4.3 : Analyse des verbes à la première personne du singulier Tableau 9: Présence de la première personne du singulier Poèmes des Présence des Poèmes des trobairitz Présence des troubadours formes à la formes à la première personne première personne du singulier du singulier Plus que’l paubres 27/62 = 44% Amics, s’ie.us trobes 26/48 = 54% que jatz el ric ostal avinen Nulhs hom non pot 15/64 = 23% Ja de chantar non 24/62 = 39% d’amor gandir degr’ aver talan *Be m’agrada la 15/48 = 31% Mout avetz faich long 15/50 = 30% covinens sazos estatge *Tart mi veiran mei 18/32 = 56% Ar em al freg temps 14/52 = 27% amic en Tolzan vengut *Lo clar temps vei 26/56 = 46% A chantar m’er de so 12/37 = 32% brunezir qu’ieu non volria *Chantars no pot 16/54 = 30% *Ab joi et ab joven 9/36 = 25% gaire valer m’apais Moyenne 38,3% 34,5% 38 Tableau 9 (cont’d) Moyenne des 33,5% poèmes du déchirement Moyenne des 40,8% poèmes d’adoration 36,4% 25% Quand on analyse les chiffres des troubadours, on voit une assez grande gamme des densités : de 23% à 56%. Il faut noter que le chiffre le plus bas correspond avec le poème Nulhs hom non pot d’amor gandir, un poème qui discute la fin d’une relation avec la domna Vierna de Peire Vidal (Fraser 2006). En raison de ce sujet, il n’est pas surprenant que Peire a utilisé moins de ses propres actions dans le texte, car il se focalise sur la domna et ses actions qui mènent au désespoir du poète. Cependant, on ne peut pas dire qu’il y a une relation entre la thématique et la densité des verbes à la première personne du singulier dans tous les poèmes des troubadours. En effet, les deux cansos avec une thématique négative obtiennent les chiffres de 23% et 44%, alors que les quatre poèmes lyriques avec une thématique positive ont des densités de 30%, 31%, 46%, et 56%. En général, on peut dire que la présence est plus élevée dans les poèmes au sujet de l’amour positif, mais encore il y a une exception avec le poème Plus que’l paubres que jatz el ric ostal (qui a une densité de 44%). Donc, cette relation n’est pas forte. Quant aux trobairitz, on voit un lien un peu plus fort entre le sujet du poème et la présence des verbes à la première personne du singulier. Dans les textes analysés, il 39 n’y a qu’un poème qui discute l’adoration de l’amics: Ab joi et ab joven m’apais. Ici, on voit une utilisation plus basse de la première personne du singulier que l’utilisation dans les autres poèmes qui sont au sujet de l’amour négatif. Si on compare les moyennes des poèmes de désespoir des deux groupes, on peut dire que les trobairitz préféraient parler de leurs propres actions et de leurs propres sentiments quand elles ont souligné la fin des liaisons amoureuses – 36,4% vs 33,5% pour les troubadours. De plus, quand on continue notre analyse avec les moyennes des poèmes d’adoration chez les trobairitz et les troubadours, il faut noter la grande différence entre les deux: 40,8% pour les hommes et 25% pour les femmes. Ces chiffres sont intéressants car les trobairitz n’affirment pas leur voix personnelle dans les poèmes qui vénèrent les hommes autant que dans les poèmes qui dénoncent les hommes. Quant aux poèmes au sujet de l’amour négatif, elles affirment leur voix en utilisant plus la première personne que les hommes. On peut tenir le canso Amics, s’ie.us trobes avinen par Castelloza comme exemple. Avec une densité de 54% de formes à la première personne du singulier et une thématique du poème qui change la parole de l’amour courtois à la perspective féminine, on peut voir une différence linguistique ainsi que littéraire quand on les compare avec les troubadours. Par exemple, la troisième strophe, qui comprend quatre conjugaisons de « je », évoque ce désir de changer les notions préconçues : « qu’ieu vuoill proar enans que.m lais morir, qu’el preiar ai un gran revenimen, quan prec cellui don ai greu pessamen » (v 22-24). En écrivant ces mots, Castelloza bouleverse le statut quo de l’amour courtois à cette époque, qui est aussi souligné par son utilisation élevée de la première personne du singulier. Avec ces cansos, les femmes troubadours ont essayé de changer la perspective des hommes et des femmes dans la société 40 féodale, car les hommes sont présentés comme plus faillibles et les femmes sont vues comme plus fermes d’après ces cansos. Tableau 10: Présence du pronom « je » (chez les troubadours) Poèmes Présence du pronom « je » (eu) Plus que’l paubres que jatz el ric ostal 6/27 = 22% Nulhs hom non pot d’amor gandir 6/15 = 40% *Be m’agrada la covinens sazos 1/15 = 7% *Tart mi veiran mei amic en Tolzan 2/18 = 11% *Lo clar temps vei brunezir 5/26 = 19% *Chantars no pot gaire valer 4/16 = 25% Moyenne Variance 20,7% 7-40% Pour raffiner l’analyse de la voix personnelle, j’ai compté un autre facteur concernant l’affirmation du soi : la présence du pronom « je ». En ancien français, les pronoms n’étaient pas toujours inclus dans les phrases. Ils n’étaient pas considérés comme nécessaires à cause de la morphologie verbale plus claire qu’en français moderne et en raison de cela, leur utilisation était flexible. Donc, si un pronom se trouve dans un texte, on peut dire que l’auteur∙e voulait souligner la présence de cette personne. Pour cette étude, on a noté toutes les présences du mot « eu » de l’ancien occitan, sans s’occuper d’où il se trouvait dans la phrase. Après, on a divisé ce chiffre par le nombre des conjugaisons à la première personne du singulier, pour calculer une densité de l’utilisation du pronom sujet « je » dans chaque poème. 41 Pour les troubadours, on peut voir une utilisation assez minimale du pronom « je ». Dans les chiffres du tableau 10, on voit les densités qui sont plutôt 25% ou moins (sauf Nulhs hom non pot d’amor gandir). Cette utilisation basse peut démontrer un choix de style chez les troubadours : il voulait se focaliser leurs textes sur le sujet de leurs désirs : leurs domnas. Ils ne se concernent pas avec l’assertion de leur voix (en utilisant le pronom personnel « je ») car ils étaient concentrés avec la vénération de la dame, ou dans ce cas le pronom « elle ». En n’utilisant pas « je » et en favorisant le pronom « elle », on peut voir un effet en ce qui concerne l’image des femmes et des hommes dans la société. Elles sont plus présentes dans les textes des troubadours que les troubadours eux-mêmes et donc on peut imaginer ces textes ont donné aux femmes un type d’élévation dans la société. Tableau 11: Présence du pronom « je » (chez les trobairitz) Poèmes Présence du pronom « je » (eu) Amics, s’ie.us trobes avinen 9/26 = 35% Ja de chantar non degr’ aver talan 3/24 = 13% Mout avetz faich long estatge 3/15 = 20% Ar em al freg temps vengut 4/14 = 29% A chantar m’er de so qu’ieu non volria 4/12 = 33% Ab joi et ab joven m’apais 6/9 = 67% Moyenne Variance 32,8% 13-67% Chez les trobairitz, on peut voir une affirmation définie de la voix personnelle. En ce qui concerne le pronom « je », le tableau 11 souligne une utilisation plus élevée que 42 leurs homologues masculins, avec une moyenne de 20,7% pour les troubadours et une moyenne de 32,8% pour les trobairitz. Avec une variance de 13-67%, on peut dire que les trobairitz ont tendance à employer le pronom « je » plus que leurs homologues masculins. Il faut rappeler que l’utilisation du pronom « je » et aussi les autres pronoms n’étaient pas typique en ancien français ou en ancien occitan. La présence des pronoms dans les textes médiévaux évoque donc une volonté spécifique de mettre l’importance sur le sujet. Donc, la présence de cette voix personnelle chez les trobairitz représente un désir de souligner ce pronom, et donc le « je » féminin dans le texte. Il faut remarquer que cette utilisation différente de « je » peut représenter un jeu lyrique, ou le « je » n’est pas une représentation de la voix réelle de l’auteur∙e. Cependant, avec ce qu’on comprend sur la société féodale à cette époque, il est aussi possible que ces femmes aient utilisé cette opportunité pour affirmer leur voix à travers la littérature troubadouresque et pour souligner leur présence dans la société médiévale. 43 5. Conclusion En concluant cette comparaison des éléments linguistiques utilisés par les troubadours et les trobairitz, il faut retourner à la question principale de cette étude : Est-ce que les cansos des trobairitz sont différents linguistiquement de ceux des troubadours ? Comme réponse à cette problématique, on peut dire une réponse positive, mais avec prudence. Pour deux des trois cadres de l’analyse linguistique (les adjectifs et la négation), je n’ai pas trouvé une grande différence entre la quantité des éléments utilisés. Cependant, j’ai noté que la manière dont ils les ont utilisés est différente. En ce qui concerne l’analyse des verbes à la première personne du singulier et du pronom « je », on peut dire que les densités sont différentes entre les troubadours et les trobairitz. Dans les résultats des adjectifs, on ne peut pas voir une grande différence dans les quantités des adjectifs chez les trobairitz et les troubadours. Donc, on ne peut pas dire qu’un sexe était plus descriptif dans leur rhétorique. Par contre, on peut remarquer une différence dans l’utilisation des adjectifs épithètes et des adjectifs attributs chez les auteur∙e∙s différent∙e∙s. Les trobairitz écrivaient avec une approche égalitaire face à ces adjectifs – elles ont également décrit leurs sentiments personnels et leurs objets du désir. Encore, il faut souligner qu’on ne peut pas dire que ces sentiments sont autobiographiques mais, en tout cas, ils représentent un ton plus direct. Chez les hommes, on trouve plus de description de leurs domnas et non pas de leurs propres émotions. Donc, avec cette façon de décrire, la voix personnelle des femmes est plus présente dans leurs cansos que dans les cansos des troubadours. 44 Quant au placement des adjectifs épithètes, on ne peut pas voir une corrélation entre le genre masculin ou féminin et l’ordre de la phrase. Encore, comme Buridant (1997) l’explique, en poésie lyrique comme les cansos, il est difficile à justifier une raison personnelle pour le choix de placement à cause de la rime. On doit suivre le schéma de rime, car la littérature troubadouresque est basée sur l’imitation des autres auteur∙e∙s (Burgwinkle 2010). Néanmoins, on peut voir une différence spécifique dans la thématique des adjectifs, qu’elle soit positive ou négative. Chez les troubadours, on voit une préférence distincte pour les descriptions positives alors que chez les trobairitz, on trouve une quantité plus grande d’adjectifs plus négatifs. Cela soutient mon hypothèse que les femmes voulaient décrire leurs homologues masculins dans une façon plus négative, car elles n’étaient pas concernées par les règles de l’amour courtois (ou la vénération de la dame). Bien que les trobairitz soient les femmes nobles et elles aient quelques droits de territoire à cette époque (grâce au code de Justinien et au code Théodosien), en général les femmes ont occupé une place assez minoritaire dans la société. En bouleversant la description typiquement idéale de l’amant dans ces poèmes d’amour, elles pouvaient essayer de changer la perspective dominante des hommes et de donner la parole aux femmes - pour promouvoir la présence des femmes d’être vues et entendues. En ce qui concerne l’analyse de la négation, on peut voir encore que les quantités de cet élément linguistique ne sont pas très différentes entre les deux sexes. Mais, les trobairitz ont continué à utiliser la négation même si le sujet du poème était l’amour positif – une chose qu’on ne peut pas noter chez les troubadours. De plus, 45 quand on se focalise sur les types de négation, on peut comparer les tendances des hommes et des femmes plus concrètement. Les femmes écrivaient avec une variété des types de négation pendant que les hommes ont préféré l’utilisation de la négation simple (« No/non »). Particulièrement avec la répétition de « no… ni » chez les trobairitz, il faut remarquer que la négation est plus distincte et constante. Comme on a vu avec l’analyse des adjectifs, elles utilisaient cette négation face à leurs expériences avec leurs amics, en les montrant d’une manière défavorable. En correspondant cette partie de l’analyse avec mon hypothèse, on peut supposer un désir chez les femmes à décrire les hommes dans une manière négative, car elles pouvaient invalider les voix des hommes pour justifier leur présence dans cette tradition littéraire. L’analyse des verbes à la première personne du singulier soutient cette affirmation de la voix chez les trobairitz. Il faut souligner la relation forte entre les verbes à la première personne du singulier et les thématiques des poèmes chez les trobairitz. Dans les poèmes du déchirement, les femmes ont employé plus de verbes à la première personne du singulier que dans les poèmes qui abordent le sujet de l’adoration. Encore, on voit une préférence pour les sujets négatifs, mais avec une assertion de la voix personnelle des femmes. En soutenant cette affirmation de voix personnelle chez les trobairitz, on peut noter une quantité du pronom personnel « je » qui est plus grande dans leurs cansos que dans les cansos des troubadours. Les hommes focalisent leurs poèmes sur les actions de leurs domnas et non pas leurs propres actions ou leurs avis personnels. Les trobairitz ont changé ce modèle typique de poésie troubadouresque, en rendant leurs propres poèmes plus personnels. 46 Ainsi, on peut dire que les cansos des trobairitz comprennent d’une rhétorique spécifiquement féminine, qui veut dire une écriture distinctement différente que les troubadours masculins. Avec une préférence pour la description négative qui est constante (dans les adjectifs et dans la négation) et pour l’utilisation de la voix personnelle (dans les verbes à la première personne du singulier et dans les instances de « je »), il faut noter que les cansos des trobairitz sont assez différents linguistiquement de ceux de leurs homologues masculins. Cependant, considérons le troisième critère de la définition pour l’écriture des trobairitz qui était donnée dans les études précédentes : la motivation à écrire. Avec leur insistance à utiliser « je » ainsi que les conjugaisons en forme de « je », le∙a lecteur∙e peut comprendre clairement un désir chez les trobairitz d’affirmer leur voix personnelle et donc féminine dans ces poèmes lyriques et dans la tradition troubadouresque en général. Il est difficile de savoir définitivement si les femmes ont pris cette décision délibérément, de déterminer si elles connaissaient leur position unique dans une société qui les adorait et si elles utilisaient cette occasion à leur avantage. On ne peut pas savoir si elles écrivaient ces poèmes comme un outil proto- féministe, pour promouvoir les droits en société. Cet avis serait un peu anachronique. On peut cependant supposer qu’elles ont choisi de créer leur propre type d’écriture, en affirmant la présence des femmes dans une société qui a seulement commencé à les reconnaitre. D’après tout, on devrait faire cela avec prudence. En tout cas, l’effet de la présence féminine dans la poésie médiévale n’est pas quelque chose qu’on peut ignorer. En fait, les trobairitz étaient parmi les premières poètes lyriques féminines et donc, elles étaient des pionnières de l’écriture des femmes. 47 On ne peut cependant ignorer la contemporaine de ces trobairitz : Marie de France. Elle a écrit les Lais dans le nord de la France, qui ont propagé la « plainte féminine » selon Paupert (2006), et elle est vue comme une des pionnières de l’écriture féminine aussi. Plusieurs femmes ont suivi les pas de ces femmes, en affirmant leur voix personnelle féminine à travers la poésie, à commencer par Christine de Pizan par exemple, qui a écrit « dans une atmosphere tout imprégnée des idéaux courtois par rapport auxquels elle prend ses distances…[la] voix féminine discordante qui met en cause la doxa courtoise » (Paupert 15). Femme du 14ème siècle, on peut dire que Christine de Pizan voulait continuer le travail commencé par les trobairitz. De plus, on peut voir une continuité des femmes poètes qui affirment leur voix dans la Renaissance. Comme Paupert le souligne, « les trobairitz inventent de nouvelles formes de l’écriture, tout comme le feront plus tard les « poétrices » du XVIe siècle, notamment Pernette du Guillet et Louise Labé » (13). Quand on prend Louise Labé comme exemple de poétesse de la Renaissance, elle a souligné l’importance de l’éducation ainsi que la présence des femmes dans ses poèmes comme sa première Elégie et son sonnet 24. Donc, le legs de la poésie féminine des trobairitz est la naissance de l’écriture par les femmes dans ce genre de littérature pendant les années suivantes. Intentionnellement ou non, les trobairitz ont bouleversé un genre de littérature qui était dominé par les hommes et elles ont créé leur propre rhétorique. En trouvant leur voix personnelle à travers les poèmes d’amour, les trobairitiz ont marqué leur présence féminine dans la société médiévale en Occitanie et dans les siècles suivants. Grace à ces femmes et leur contribution, on peut voir le message d’émancipation de la voix personnelle féminine dans la littérature pour plusieurs siècles. 48 APPENDICE 49 Tableau A.1: Types de négation présents (chez les troubadours) Poèmes No/non Anq/anc… no No…ni Non…nulh ou Non…re ou No/non… No…ges Autre ou nuls… no re…non plus no…jamais Be m’agrada la 7 covinens sazos Nulhs hom non 3 pot d’amor gandir 0 1 0 0 2 1 Plus que’l 11 2 1 3 paubres que jatz el ric ostal Tart mi veiran mei 1 amic en Tolzan Lo clar temps vei 5 brunezir 2 0 0 0 1 2 Chantars no pot 11 0 0 1 gaire valer 50 0 0 2 0 0 3 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 Tableau A.2: Types de négation présents (chez les trobairitz) No…ni No/non Anq/anc… no ou Poèmes Non…nulh ou Non…re ou No/non… No…ges Autre no…jamais nuls… no re…non plus Amics, s’ie.us 10 1 3 0 trobes avinen Ja de chantar non 7 0 3 0 degr’ aver talan Mout avetz faich 7 1 0 0 long estatge Ar em al freg 7 0 2 0 temps vengut Ab joi et ab joven 3 1 1 0 m’apais A chantar m’er de 4 1 2 1 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 0 2 so qu’ieu non volria 51 BIBLIOGRAPHIE 52 BIBLIOGRAPHIE Bernart, , and Moshe Lazar. 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