ABSTRACT MODALITES DU RENONCEMENT A SOI CHEZ SAINT—EVREMOND By Jean Martin Lanniel The purpose of this dissertation is to show that the moral Ldeas of Saint-Evremond relate to a central concept in spite of the dispersed state of his works. This dissertation consists of three major parts, follow- ing some biographical data. The intellectual background in which Saint—Evremond's ideas were generated, the present state of research on his writings, and the connection between the concept of self-renunciation and his thoughts are examined in the introduction. The intellectual background is the result of the reli— gious upheavals of the sixteenth century. Indifference or hostility to established religious doctrines was represented by the libertine movement. The libertins were experiencing the anguish of a moi désaxé and were consequently in search for a valid set of ethics to replace the Christian values to which they no longer felt bound. The transformation of social life provided the libertins Jean M. Lanniel both wiikl a.1uaw climate and a new purpose. The conversation in the salons favored wide exchanges of ideas and led to the elaboratixni of a code of ethics designed for the society of honnétes gens, as well as creating an enormous interest in the study of psychology. Although a great number of honnétes gens adhered txaiEpicureanism as a practical guide to good living, many did not sever, in appearance at least, their ties with the church. The church's teachings based on self-renunciation, cxmnterpart of the Augustinian amour-propre tradition, ap- parently echoed strongly enough in the mind of a libertine such as Saint—Evremond as to influence his thoughts even when he was not writing on religious themes. Driven, as were most of the honnétes gens, by the interest in the study of morale, Saint-Evremond was especially attracted by the study of the vital link of social life: friendship. But self—renunciation and friendship are closely related. The first part of the dissertation deals with amitié and "amitié de soi," the guides to the good life for Saint- Evremond, and their relationship in a system involving self- renunciation. The second part starts with the definite link which Saint-Evremond sees between self-renunciation and dévotion. The concept of self-renunciation serves then as a touchstone to assay the religious attitudes of the many dévots and as a point of reference to explain the religious reforms which Saint-Evremond would like to advocate in the light of his findings. Jean M. Lanniel The last part of the dissertation investigates the role of self—renunciation in old age. From the unusually Optimistic stance invOlving renunciation to public life, Saint-Evremond changes rapidly under the hardships of exile. The necessary adjustments bring about partial and then total self-renunciation, the latter leading to interesting interpretations of the presence of the duchesse de Mazarin in Saint-Evremond's life. The conclusion shows that the thoughts of Saint—Evremond, in the three areas studied, find a fil directeur in the concept of self-renunciation. Besides, the three areas are linked between themselves: in the search for a new set of ethics, from that of dévotion to that of socie’té des honnetes gens, one element is retained: self-renunciation. In the struggle to retain the identity of honnéte homme in spite of the onslaught of old age, one factor proves effective: self—renunciation. MODALITES DU RENONCEMENT A 501 CHEZ SAINT-EVREMOND By Jean Martin Lanniel A THESIS Submitted to Michigan State University in partial fulfillment of the requirements for the degree of DOCTOR OF PHILOSOPHY Department of Romance Languages 1970 Q,éH429 :o'QE‘WC’ 5 Copyright by JEAN MARTIN LANNIEL 1971 To my dear wife 11 ACKNOWLiDGEMENT I would like to express my gratitude to Dr. M. Kronegger of the Romance Language Department for the assistance and en— couragement given to me in the preparation of this dissertation. i'i'i'. TABLE DES MAT IERES INTRODUCTION DONNEES BIOGRAPHIQUES PREMIERE rARl IE LE RENONCELVIENT A SOI ET L'AMITIE I. Bonheur et renoncement a soi II. lee amitiés III. "Amitié de soi" DEUXIEME’ PARTIE. LE RENONCEMENT A SOI ET LA RELIGION I. La dévotion II. Equilibre de suffisance III. 1e renoncement limité - L' équilibre religieux IV. Oscillation ‘ V. lee incertitudes du renoncement a soi VI. lee fantaisies du renoncement a soi TROISIEME PARTIE. LE RENONCEMENT A $01 ET LA VIEILLESSE III La 'personne" diminuée - Renoncement partiel ls renoncement total - "Amitié d un autre soi" Amitié sans amitié CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE iv II. Is renoncement au personnage - Retour a la personne 29 61 141 245 316 341 INTRODUCTION INTRODUCTION Cette étude a pour objet de montrer que les idées morales de Saint-Evremond peuvent s'ordonner autour d'un concept central, malgré le caractére diSpersé de ses écrits. Notre introduction générale comprendra quatre éléments. Nous nous attacherons tout d'abord a préciser sous l'influence de quelles conditions Saint-Evremond a exprimé ces idées. Nous procéderons ensuite a l'établissement d'un état présent des recherches sur cet auteur. Puis nous déterminerons comment des relations entre le renoncement a soi et la pensée de Saint- Evremond ont pu se nouer. Enfin, apres avoir indiqué les grandes divisions de la dissertation, nous en donnerons un résumé. Au début de son étude sur le moi au XVIIe siecle, 1 Il consi- Krailsheimer introduit la notion du moi désaxé. dare 1e seiziéme siecle comme l‘époque d'un bouleversement désaxant le mgi, c'est-a-dire rompant les liens moraux ratta- chant l'individu a son milieu. Le XVIIe siécle, au contraire, apparait comme la période au cours de laquelle les liens se trouvent restaurés. Mais par suite de l'évolution des courants sociaux et intellectuals le climat de cette restauration 1 A.J. Krailsheimer, Studies in Self—Interest, from Descartes to La Bruyere( Oxford: Clarendon Press, 1962), p. 4. 2 .‘u . . ‘- u. ' n n - g n - n .I . ‘h. N. 5"- n .‘c -‘ . . ‘h . . . . ‘ . 3 favorise plutat les divisions que le retour pur et simple a l'unité médiévale. Les groupes qui ressentent avec le plus d'intensité ce besoin d'axer le mgi rendent précisément la tradition chrétienne responsable de ce sentiment d'aliénation. Par consequent, dans leur désir d'innover dans le domaine moral, ils tendront a s'écarter de cette tradition dans la definition de leur ideal. Précisons quels furent ce climat, ces groupes, ces idéals. Les nouvelles conditions dans lesquelles évolue la société mondaine constituent certainement le facteur décisif. Giraud rattache 1e seizieme siecle au moyen-age parce qu'il en continue les tradfidons Chatelaines,mais fait du dix—septieme le premier siecle moderne puisqu’il inaugure la "vie de salon."2 En meme temps, le climat intellectuel change totalement. Pour Nussbaum, le XVIIe siecle représente l'époque du virement de la conception pluralistique et qualitative de l'univers,a la con- ception rationnelle et quantitative.3 L'Eglise elle—méme avait contribué a ce changement de climat en se vidant,pour ainsi dire,de sa substance tout en préservant une facade et une discipline par consequent toutes gratuites. C'est ainsi que Paul Hazard explique la perte de l'autorité morale de l'Eglise: "La croyance avait perdu son action sur la morale, l'ame s'était corrompue, et le mal venait de ce qu'on avait fait consister la religion non plus dans un 2 Charles Giraud, Oeuvres méiées de Saint-Evremond (Paris: Léon Techener, 1865 , I, p. LXI. 3 Frederick L. Nussbaum, The Triumph of Science and Reason, 1660-1685(New York: Harper, 1953). p. l. 4 acts intérieur, examine, consenti, mais dans la culte exté— rieur, dans les pratiques machinales, dans l'obéissance pas- sive aux ordres des pré‘atres."4 Devant ca monument solennel mais vidé de sa substance, certains groupes éprouvent un besoin de réexaminer les normes morales. L'existenca des salons littéraires contribue, en facilitant les échanges d'idées, a créer un climat favorable a ces remises an question. Comme l'explique Albert Chérel, les porte-parole de la tradition chrétienne ne parviennent plus a les convaincre: Cela ne satisfait pas, sur 'les sujets qui en valent la peine' ...: Dieu, l'immortalité, la matiere, l'ama des betes .... La-dessus ils veulent savpir: savoir plus ’ qu'on na leur en dit, dans leurs colleges affables, fermes aux inquiétudes de pensée; savoir autre chose que l'ensai- gnemant, doré a l'ancienne mode, des sermonnaires lettrés; autre chose que le jansénisme des convulsionnaires ou la molinisme contesté; autre chose que les certitudes chra- tiennes gallicanes de Bossuet décu at de Louis XIV impo- sant a sa cour la fardeau da sa tardive conversion. Ils veulent changer de catéchisme, ils attendant da nouveaux prOphetes.5 Quals sont ces groupes désireux de savoir autre chose? On les appelle généralement les libertins, et la critique Spink, par example, indique que ce terme s'applique d'habitude a ceux qui veulent sa libérer des idées communément racues at de l'auto- rité de I'Eglise: "From before 1600, until the second half of the seventeenth century, it meant first and foremost a man who refused to accept common beliefs and desired to free himself 4 Paul Hazard, La Crise de la conscience européanne (Paris: Artheme Fayard, 1961), I, p. 127. 5 Albert Chérel, De Télémaque a Candide, Tome IV, dans Histoire de la littérature frangaise, publiée par J. Calvet (Paris: Del Duca, 1958), p. 171 5 especially from the hands of Christian doctrine."6 Cette position libertine ne représente pas seulement un affranchis- sement mais également dans le cadre de l'abandon du concept pluralistique, un aveu da la limitation du potential humain. Si les libertins se séparent de la religion, c‘ast en partie parce qu'ils considerent les mystares désormais insondables. Et davant l'improbabilité de la vie surnaturelle, ils décident de sa tournar vars la vie naturelle. Hazard reconnait que cette resignation signifia un "abandon moral peut-atre, interpretation qui n'est qu'un pis-allar, mais part1 qui séduit alors beaucoup d'esprits qui n'étaient pas vulgaires."7 Il importe évidemmant de distinguer, comma l'ont fait notamment Lachevre8 et Pintardg entre les divers mouvaments libertins, mais dans l'ensemble, il est permis de dire que la libertinaga est responsable du change- ment considerable apporté au cours du XVIIe siacle dans la domains moral: "Una veritable revolution des valeurs morales,"lo astime Adam. D'apres Hazard, la manifestation la plus tangible da cette "revolution" est la laicisation da la phiIOSOphie: "Les vrais philosophes seront désormais des laics."ll Un 5 J.S. Spink, French Free Thought from Gassendi to Voltaire(London: The Athlone Press, 1960), p. 4. 7 Hazard, La Crise de la Conscience, pp. 111-112. T. I. 8 F. Lachevre, Le Libertinage au XVIIe siecle(Paris: Champion, 1924), vol. X at XI. _ 9 René Pintard, Le Libertinage érudit dans la premiere moitié du XVIIe siécle(Paris: Boivin, 1943). 10 Antoine Adam, Les Libertins au XVIIe siecle(Paris: Buchet-Chastel, 1964), p. 7. 11 Hazard, La Crise de la Conscience, p. 223. ‘T. I. ...glav I ' u.‘ _' u _.. ‘ . Q ‘~:‘ ~ 6 auteur catholique prefers voir au XVIIe siécle un renouveau religieux accompagné d'un développement rationaliste néfaste: "Parallelement a l'invasion mystique qu'a retrace magnifiqua- ment l'abbé H. Brémont, 1e XVIIe siecle francais a vu chaminer, plus ou moins sournoisement ... un rationalisma da mauvais aloi."l2 Il n'est pas doutaux, pourtant, que les groupes libertins des salons ressentent dans ce climat d'incertitude le malaise du moi désaxé. Barnwell détacte dans les écrits de Saint- Evremond une certains inquiétude que cat auteur ne parvient pas a dissimuler: "An attempt to mask a fundamental uneasiness."13 Comme 1e souligne Kleiman , tout le siecle d'ailleurs semble dominé par ca besoin de se regroupar sous une autorité valable.l4 Il n'est donc pas surprenant que Lanson puisse affirmer que les morales du siecle suivant se ramenent a das elements tangibles plutBt qu'abstraits: "La morale du bonheur, ... calla de l'in- térat bien entendu ...celle de la bienfaisance."15 Les groupes libertins,souscrivant a la morale du bonheur,s'attacharont a un credo épicurien. Par ce terme nous entandons suivant la definition d'André Lalande, "celui qui aime les plaisirs, la confort, la vie agréable, la bonne chere; en général l‘idéa 12 Julian-Eymard d'Angers, L'Apolggie en France de 1580 a 1620. Pascal et ses precurseurs(Paris: Nouvelles Editions Latinas, 1954), p. 11. 13 H.T. Barnwell, "Saint-Evremond and Pascal: A Note on the Question of the Divertissement," Studies in Philology, LIII, no. 1, 1956, p. 36. 14‘ Ruth Kleiman, Saint-Franggis de Sales and the Protes- E§E£§(Geneve: Droz, 1962), p. 32. 15 Gustave Lanson, "La Transformation des idées morales at la naissance des morales rationnelles de 1680 a 1715," La Revue du Mois, IX, Paris 1910, p. 10. J 7 accessoire d'un certain art at d'une certaine délicatesse dans la choix des jouissances."16 Le credo des épicuriens s'exprime dans des poemes que Spink cite at dont il enumere les themes généraux: "avoidance of public Office, ... stress laid on 'honest pleasures,' ... dislike Of popular prejudices and super— stitions, ... outward respect paid to the established religion, . quiet acceptance of the mortality of the soul."17 Ainsi, a la pure facade de l'édifice religieux sans substance inté- rieure, l'individu répond par une attitude créant un masque de pure convenance a l'abri duqual il peut se livrer a une acti- vité de son choix. I1 serait facile, mais sans intéret, de citer ici un poeme épicurien de Saint-Evremond. Il nous parait plus perti- nent donc, de donnar un apercu des recherches dont il a été 1'Objet, da préciser sa position a l‘égard de la morale en profitant d'une mise au point récemment faite par Rané Tarnois. Dans une lettre au comte d'Olonne, datant de 1674, Saint- Evremond satirise la morale qui procure une sagesse empruntée. Il doute de son afficacité contre les vices tout en déplorant son Opposition aux Jouissancas: "La morale n'est propre qu'a former méthodiquement une bonne conscience, at j'ay vau sortir da son école das gens essentials, graves composez, qui don- noient un air fort ridicule a sa prud'hommie. [:La verité est qu'elle se trouve d'un usage assez facheux pour les delicate l6 André Lalande, Vocabulaira techniqge et critique de la philos0phie(Paris: Presses Universitaires de France, 19603, p. 11. l7 Spink, p. 153. 8 at je croy qu'elle fait mourir moins de vices, qu'elle n'em- "18 ‘1 .. poisonne de plaisirsJ. En tete du volume,19 Ternois ex- plique que la partie entre crochets manquait dans l'édition da Des Maizeaux2O parce que ce dernier Jugeait sans doute ca passage défavorable e la reputation de l'auteur. Saint— Evremond ne se considérait donc pas comma un moraliste. Etant donné 1e soin qu'il avait de ne publier qua pour quelques amis, comma l'a démontré Joliot dans un article récent,21 Saint— Evremond se gausserait certainement de se voir qualifié de moraliste et de voir ses écrits édités at critiques par le grand public. La bibliographie de Cioranescu,22 la plus complete at la plus récente sur l'oeuvre de Saint-Evremond, montre, sous la rubrique Etudgg, en plus des editions completes des oeuvres qui seront commentées plus loin,23 une preponderance des oeu- vres d'ensemble sur les études spécifiques. C'est un pau com— me 81 la nature disperse'e24 de l'oeuvre de Saint-Evremond cons— tituait une barriers contre les regards des chercheurs. 18 René Ternois, Saint-Evremond, Lettres(Paris: Didier, 1967). vol. 1, p. 253. 19 Ibid., p. xx. 20 Cf. infra, note 34. p. 12. 21 Eugene Joliot, "L'Auteur malgré lui," University of Toronto Quarterly, January 1956, p. 158. 22 Alexandra Cioranescu, Bibliographie de la littérature frangaise du dix-septieme siecle(Paris: Editions du Centre National de la Recherche Scientifiqua, 1966). 23 Cf. infra, "Données biographiques," pp. 31-33. 24 Cf. infra, p. 11 at seq. .- ,4 n- .I 9 Saint-Evremond n'aurait eu que faire de tous ces indiscrets se penchant tour a tour sur ses écrits. En dehors des editions completes, nombre d'auteurs des oeuvres dites d'ensemble, n'ont vu, en publiant certains textes de Saint-Evremond, que l'occasion de parler de l'envers du grand siecle, et de faire de l'exilé un des principaux liens entre les humanistes de la Renaissance et les philosophes du XVIIIe siecle au point de voir en lui un veritable ”corridor qui sert a passer du XVIe au XVIIIe siecle."25 Comme tel, 1a plupart des critiques se sont contentés d'en faire un precur- seur de Montesquieu at de Voltaire bien que ce dernier ait par avance démenti cette filiation.26 Nous verrons plus loin,27 que, Jusqu'a une date récente, la biographie établie par Des Maizeaux a servi de base a toutes les biographies ultérieures. Evidemmant, 1a bibliographie de Cioranescu publiée en 1966 ne fait pas mention de l'apport considerable da R. Ternois, paru depuis: les Oeuvres en prose de Saint-Evremond, at les Lettres de Saint-Evremond.28 En dehors des articles de périodiquas, les seules études qui s'écartent des chemins battus et qui peuvent intéresser 25 Jean Prévost, Saint-Evremond, dans Tableau de la littérature franpalse, XVIIe-XVIIIe slecles(Par1s: Gallimard, 1939‘) 9 p. 330 26 Cf. infra, "Données biographiques," p. 32. 27 Ibid. 28 René Tarnois. Oeuvres en prose de Saint—Evremond (Paris: Didier, 1962-1969). gaint-Evremond, Lettres, op. cit.(§upra, note 18). h IO cette étude, se réduisent a quelques livres. Gustave Cohen 29 s'est intéressé a la nature des rapports de Spinoza at de Saint-Evremond lors du séjour de ce dernier en Hollande. Schmidt a écrit 1a seule étude véritablement originals sur Saint-Evremond. Il essays da trouver un fil directeur dans la vie de l'exilé. Il justifie son titre dans sa préface an décrivant l'ame de Saint-Evremond comma incapable de s'affran- chir de 1'emprise chrétienne tout en affirmant son adhesion aux idées humanistes: "Una ame incurablemant chrétienne qui meurt de ne pas choisir."30 Nous pensons, comma M. Schmidt, que la christianisme influencait profondément Saint—Evremond, mais nous n'y voyons que la parsistance d'un mode d'expression at non pas das liens impossibles a rompre. La these de doc- torat que Barnwell a publie’e3l s'efforce de faire 1e point des recherches faites sur Saint-Evremond. Il donne des précisions sur la nature de son épicurisme mais n'essaye pas d'unifier la pensée de l'auteur. La qualité que tous les critiques s‘accordent a trouver chaz Saint-Evremond est la moderation, ou ce qui revient au meme, 1a discretion, le sentiment de la mesure. Hippeau, Gidel, Magendie, Chaponniera, Langsdorff consacrent de longs 29 Gustave Cohen, Le Séiour de Saint-Evremond en Hollands etgl'entrée de Spinoza dans le champ de lagpensée frangaise(Paris: Champion, 19267. 30 Albert—Marie Schmidt, Saint-Evremond ou l'humaniste impur(Paris: Editions du Cavalier, 19327, p. 8. 31 H. T. Barnwell, Les Idées morales et critiques de Saint-Evremond(Paris: Presses Universitaires de France, 1957). to In . .\ ... L - ll passages a cette distinction de Saint-l~7vremond.92 Par contra, 1e défaut que chacun lui reconnait est la caractera inachevé da son oeuvre. On a l'impression de se trouver face a des matériaux réunis en vus de construire quelqua monument litté- raire. Il appartient aux critiques d'y découvrir quelques idées inédites, des alternatives, des ébauchss fécondes. Cette apparence de l'oeuvre de Saint-Evremond tient a son lien étroit avec la conversation des milieux mondaine, soit qu'ells consists an notes braves rédigées sur tel on tel sujet,soit sous forme de lettrss. Css notes braves, il est permis de le croire, n'étaient pas couchées an vue de composer un ouvrage, quoiqua la tentation lui an venait parfois. Il signals en effet a un de ses correspondents, 1e comte ds Lionne, qu'il avait pris des notes en vue de composer un petit traité moral, L'Intérét sale at vilain .... Mais, ces papiers ayant été laissés en Angleterre lors de son séjour en Hollands,33 11 ~ 32 Célestin Hippeau, Les Ecrivains Normands au XVIIa siecle(Caan: da Buhour, 1858). Charles Gidel, Etude sur la vie et les ouvrages de Saint- Evremond(Paris: Institut Imperial de France, 1867). .M' Magsndis, Lg Politesse mondaine at les theories de l'honnetaté en France au XVIIe sIacla de 1600 a 1660IParis: Alcan, 1925). P. Chaponniéra, "Les premieres Années d'sxil de Saint- Evremond," Revue d'HistOire Littéraire Frangaise, no. XXIX, 1922. Victor ds Langsdorff, "Un Sceptiqus sous Louis XIV: Saint-Evramond at as vie d'axil," La Revue des Deux Mondas, mars, avril 1865. 33 Cf. infra, "Données biographiques,"p. 38. II. .s. 12 n'a pu les retrouver a son retour(III, 49—50).34 11 se servait plus souvent da ces notes braves pour agrémenter des conversa- tions,ou das correspondances futures. Chaque fois que René Ternois fait ramarquer un manque de liaison entre dss passages d'un document 11 insists sur ces groupements de textes spars sans souci de la forme,dont Saint—Evremond est coutumier. Mais, a tout prendre, nous gagnons sur la fond ca que nous pardons sur la forme. Nous pouvons, an effet, nous réjouir de posséder des documents révélant la ton de la conversation dans les salons du grand siecle. 5'11 fallait caractérissr l'oeuvre ds Saint-Evremond quant a la forms, on tenterait vaine- ment de le considérsr comma essayists ou comma épistolisr. Il vaudrait miaux reconnaitrs que les écrits qu'a laissés ce rapré- sentant prestigieux du libertinaga mondain se rangent plus pré- cisémsnt sous la rubrique de conversation. Son texts le plus célebrs n'en est-11 pas uns? "La Conversation du Maréchal d‘Hocquincourt avec la Pars Canaye"(II, 156-168), at d'autres conversations: "La Conversation avec M. d'Aubigny"(II, 169- 173), "La Conversation avec la duc de Candale"(III, 1-30), cells sur la Commandant de Jars, "A M. 1s comte d'Olonne"(I, 2, 12C. 125). De meme, combien de lettrss commencsnt par des phrases dans la genre de cells-c1: "Vous me demandez ce que Je fais ..." 34 Les références au texts renvoient a 1' édition Des Maizeaux: Oeuvres ds M. de Saint- Evremond, avec la vie ds 1' au- teur. Par M. des Maizeaux. Mambrs de la Sociéte Royals, nou— valle édition(Paris, 1740). Le premier chiffre indiquera ls toms, is second, cslui ds la page. Pour la tome I ,qui est divisé en dsux parties, ayant chacuns leur pagination propre, nous ssrons obligés d' indiquar par un chiffre supplementairs apres 1s numéro du tome, e '11 s 'agit de la premiers ou da 1a dauxiems partie de ce toms. - . .....l "vu, \v' - 'vl" w“" ... . a ’3... c. ‘ a .Q . n I"‘ 13 (I, 2, 139), indiquant l'intention d'établir un veritable dialogue écrit. Sss billets, ses lettrss envoyées en France pendant son long exil portant ces marques évidsntas de la con— versation: Ia style direct, la composition négligée, parfois 1e coq-a-l'ans. II a écrit quelques pieces: "La comédie dss Academistes"(l, 2, 1-43), "Sir Politik Would—be"(II, 175—318), "Les Opera "(III, 259-355), de nombreux dialogues. Il n'est pas Jusqu‘a ses "Considerations sur les divers Génies des Peu- ples Romains"(II, 1-119). Qui na puissant Etre considérées com- ms des conversations, mais d'une maniErs plus subtile, sans doute. C'était une facon indirects de s'adressar au grand monarqus sous la couvert dss paralleles ds l'histoira;35 conver- sation cantonnés a unc monologue d'ailleurs Jusqu'sn 1689, lors- qu'il était trop tard pour l'un comma pour l'autre des interlo- cutsurs.36 Nous verrons dans la premiere at dans la dernisre partie l'importancs du maintien d'un dialogue pour Saint-Evremond. Saint-Evremond n'est pas entiarement responsable de la dispersion de ses écrits. Saintsbury y voit un défaut inherent a son époqus, "an affection :of the times] for particular literary forms in which the wits of the period could vie with one another."37 C'est peut-étrs aussi a ce caractere ds son oeuvre st surtout a la preponderance dss lettrss, que Saint— Evremond doit de ns pas figurer dans le livre ds Krailsheimer 35 Cf, infra, “Donnéas biographiquss,"p.ffi3et seq. 35 Ibid, p. 53. 37‘ George Saintsbury, Miscellaneous Essays(Naw York: Scribners, 1893). p. 188. 'o .v- 14 qui trouve les lettrss des documents de valeur tres relative, "informative but not usually influential."38 Il faut, de plus ramarquer,comme ne manque pas de le fairs Emile Faguet,que nombre de chefs-d'oeuvrs littéraires francais at non des moindres, souffrsnt da l'absence d'un plan d'ensembls sinon de detail. Citons les Eggaig, les Pensées, les Maximgg de la Rochefoucauld, les Qaractarss. Faguet s'étonns par example que la rsnommés ds La Rochefoucauld dépasse cells ds Bossuet, an tant qua moralists,par suite d'une simple question de pré- ssntation: "Il est étranga que La Rochefoucauld passe pour un grand moraliste avec ses cent pages da pensées, alors que Bossuet an préssntsrait tout autant at d'aussi fortss s'il s'était inquiété da les écrire an un volume."39 Una idée ana- logue a effleuré Saints-Bauvs sn cs qui concerns Saint-Evremond. Le critique du XIXe siecle carsssait 1'idée ds publier un axtrait dss mailleures penséss du gentilhommsz "On ferait un volume charmant de Saint-Evremond; on élaguerait presque tous ses méchants vars, at on ne ferait entrer qua ses plus Jolie Essais de moraliste. Je voudrais exécuter ca petit proJet "40 C‘est justement ca caractars inachevé de l'oeuvre de Saint-Evrsmond ou comma 1e qualifie Garcin, cette "économie ds moysns" qui a Joué contra lui: "l'habituda qu'il avait 38 Krailshaimer, Studies in Self—Interest, p. 2. 39 Emile Faguet, Histoire de la littérature frangaiss depuis la XVIIe siecle Jusqu' a nos_lours(Paris: Plon, 1900), p. 110. 40 Saints-Bsuvs, Port-Royal(Paris: Gallimard, 1953). Livre IV, p. 508, note. . u; ... a.“ ..._ ,... .... .. .. ... ... .. . .. . .. .. .... ...\ 15 d'employer un langage restraint fit longtemps passer Saint- Evrsmond pour un tricheur de littérature."4l 0n ne lui a pas pardonné d'ébaucher au lieu de s'étendra. Merlet, un de ses biographes, lui reproche un manque de profondaur: "Sa philo- sophie, qui pouvait davantags, papillonne gentiment de boudoir en boudoir."42 Du moins, Merlet admet qu'il na donnait pas la plains mesure de son talent. D'une maniere paradoxale, un critique contemporain qui a publié plusieurs articles sur Saint-Evrsmond dans les années récentes,43 insists sur la caractsre incomplet des écrits da cat auteur.44 A cette exception pres, il est intéressant de constatar combien la critique moderne, cells de Magandie, comma cells do Spink ports des jugsments plus nuances a l‘égard da Saint— Evremond, que la critique du XIXe siecle, si l'on en excepts pourtant Saints-Beuve qui admire franchament Saint-Evremond.45 Giraud decals l'attitude dilsttante da cat écrivain quant a la morals: "Saint—Evremond ne conseilla ni l'entrainamant de la passion, ni la repentir du couvent, encore moins la sagesse absolue. C'est un éclactique de la morals."46 Hippaau, da 41 Philippe Garcin, "La Martin ale de Saint-Evrsmond," Lettres Nouvelles, 59 annés, no. 46, favrier 1947, p. 221. 42 Gustave Marlat, Saint—Evremond, Etude hisppriqus, morale st littargire, suivie de fragments an vers at an prose (Paris: A. Sauton, 1870): p. 74. 43 Cf. bibliographie. 44 Quentin M. HOpa, The "Honnéta Homme" as Critic (Bloomington: Indiana University Press, 1962), p. 20. 45 cr. bibliographis. 46 Giraud, p. ccxxx11, T. I. .d ‘ ‘ l6 méms, signals que les analyses psychologiques faitas par Saint-Evremond présantent plus d'intérét que son éthiqus: "Saint-Evremond se distingue plus par la finesse de ses obser— "47 Il est vrai vations que par la rigidité de ses principes. que la morals des honnétes gens répugnait a touts rigidité, mais tel n'est pas le propos ds M. Hippaau. Comme Giraud et comma Merlet, il ne voit chez Saint—Evremond qu'une morale facile, ossrons-nous dire elastique248 Msrlet raohete d'ail- leurs cs jugement an notant que cette "morale facile" ss trouve singulierament miss an valeur par la charms de l‘écrivainf“9 Deux critiques contemporains s'accordant a reconnaitre aussi son originalité. Pour Barnwell, cette originalité tient a l'ordre dans lequsl Saint-Evremond a considéré la religion at la philosOphis: "Au lieu da passer, comma la plupart da ses contemporains ds la religion a la philosOphis, Saint-Evremond constata d'abord 1'inutilité de la philosOphis at passa ensuite a una étuds ds 1a religion."50 Pour Garcin, l'originalité résids en quelqua chose de plus spécieux: "Cs n'est pas 1a fécon- dité ds ses pensées qui 1e sauve, mais 1a particularité dss recettas qu'il applique."51 Aujourd'hui, si l'on en jugs par la séria d'articles 47 Hippaau, p. 281. 48 Merlet, pp. 27-28. 49 Ibid, p. 3. 5O Barnwell, Les Idées morales, p. 64. 51 Garcin, p. 3. ‘N ’ll l7 publiés dans les annéss récentes,52 l'intérét a 1'égard de Saint-Evrsmond reprend de la vigusur. Si 1'écrivain a long- temps dégu ses critiques par la négligencs da sa forms, cer- tains auteurs ont su voir plus loin. Hippsau trouve qu'il cache "beaucoup de profondeur sous la laisser-aller at la négligencs ds la forms."53 Saintsbury cherche a la réhabiliter ds 1'indifférencs trop longtemps manifestés a son égard.54 11 1e considers supérieur a tous ses contemporains a deux titres: il a été le premier a as servir de la satire a propos de sujets sérieux at a amener de sériauses conclusions meme dans des écrits apparsmmsnt légars.55 Un dss premiers a découvrir 1a profondsur das idées sous l'élégant badinage, Boyer ds 1a Riviera, a publié da son temps, une Apologia de ses oeuvres.56 Wilmotte confirms dans son livre sur la critique littérairs ds Saint-Evremond,57 l'Opinion favorable ds Faguet,58 st insists sur la modsrnisms de cette critique. Dans un article récent, Lawrens montre 1a superiorité du jugemsnt da Saint-Evramond sur cslui d'un célébrs auteur anglais, Dryden au sujet de l'Ope’ra.59 52 Cf. bibliographie. 53 Hippaau, p. 295. , $8 Saintsbury, Miscellaneous Essays, p. 215. 55 121d. p. 211. 56 Boyer de Riviers(Le Chevalier), apologis des Oeuvres de M. ds Saint-Evrsmond(Paris: Collombat, 1698). 57 Maurice Wilmotts, Saint-Evremond, critique littéraire (Paris: Bossard, 1921).. $8 Cf. supra, p. 14. 59 Irving Lawrens, "Saint-Evremond, Dryden and the Theory of Opera," Criticism I, vol. 1, no. 3, Summer 1959. 18 Hormis les quelques ouvrages mentionnés dans cette esquisss de l'état préssnt des recherches sur Saint-Evremond,60 at les articles publiés, pau d'analyses détaillées st pau d'études spécifiques ont été faites sur l'oeuvre de cet auteur. Aucune étuds n'a été entrepriss en vue d'unifiar ses idées morales autour d'un concept central, d'un fil directeur. Nous cherchons, par la présent travail a combler cette lacuna. La récente recrudescence d'intérét a l'égard de Saint— Evremond nous y a sncouragé at nous pensons suivre en poursui- vant cette étuds l'avis de deux de ses critiques. Hippeau exprims ls voeu que Saint-Evremond sorts de la demi-obscurité oh l'ont laissé ceux qui l'ont suivi: "Nul ne mériterait mieux qua Saint-Evremond cette sorts de reparation que la critique littéraire doit aux hommes supérieurs, dontls tort principal est d'avoir su des successeurs trOp illustres."61 L'autra critique, V. de Langsdorff, considers que les indications ds Saint—Evremond, aussi sommaires soient-elles, valent la pains d'atre développées: "11 faut achever chez lui des pensées qui na sont qu'indiquées, donner la voix a des murmures, suivre des tendances plus loin qu'il ne 1e faisait lui-meme."62 Ainsi lirait-on tel auteur contemporain malgré l'hermétisme de son style ou chercherait-on a reproduirs avec toutes les ressources ds 1a technique moderne tel enregistrement prestigieux 60 Ce travail resteaa fairs. Grace aux importants travaux ds M. Ternois, 1a tachs devrait atre considerablament facilitse. 61 Hippeau, p. 242. 62 Langsdorff, p. 218. .4! q 19 de l'époque héroique du gramophone. _ L'Oeuvre ds Saint-Evremond préaente donc 1a paradoxe d'un ensemble relativement mal étudié jusqu‘a maintenant. Tout en reconnaissant son talent d'essayista, son esprit, les cher- cheurs se sont généralement laissé rsbuter par la caracters incomplet de ses écrits. Si toutefois nous pouvons, suivant les indications ds certains, y cherchsr l'écho dss conversa- tions d'honnetss gens dans les salons at étre assures d'y trouver, malgré l'aspect désordonné, des idées profondes, notre effort n'aura pasété en vain. Nous nous attachons donc dans cette etude a empruntsr un nouveau parcours, au besoin. a l'en- contra ds ce que l'on a généralement écrit sur Saint-Evremond. Dans 1a premiers partie de cette introduction générals nous avons indiqué dans quel climat et dans quals buts les groupes de libertins se réunissaient dans les salons. Nous allons voir maintenant 1e rOle central qu'y jouait 1a morals dans la preoccupation ds 1a conduits ds la vie. Nous allons égalsmsnt montrer comment 1'élémant central de la morale traditionnelle a pu devenir le fil directeur reliant les idées morales da Saint-Evremond. Au XVIIs siecle, 1e centre mama de la morale tradition- nelle reposait sur le débat ds l'amour-proprs. L'amour-propre usurpait dans l'ame humaine 1a place réservée a l'amour ds Dieu. Plus éloquemment que personns, sans doute, Pascal a exprimé l'obsession des penseurs religieux de son siecle en décrivant‘la nature premiere de l'homms remplie d'amOur pour Diau at 1e néant present dans l'ame lorsque Diau an est absent: 2O "Diau a créé l'homme avec deux amours, 1'un pour Dieu, l'autra pour soy-mesme; mais avec cette 10y, qua l'amour pour Diau sa- roit infiny, c'est a dire sans aucuns autre fin qua Dieu mesme, at que l'amour pour soy mesme seroit finy at rapportant a Dieu."63' Malheureussment 1e péché a fait perdre a l'homme sa nature premiers an donnant la prépondérancs a "l'amour pour soy" qui a usurpé 1a place réservés a ”l'amour pour Diau": "Depuis, 1e péché estant arrivé, l'homme a perdu le premier de ces amours; at l'amour pour soy mesme estant rests ssul dans cette grands ame capable d'un amour infiny, cat amour propre s'sst etendu at débordé dans la vids que l'amour da Diau a quitté ...."64 Salon qua l'amour—propra ssra considéré comma une tumaur démesurés, ou comma una partie intégrante de la nature humaine, comma un défaut ou comma une passion justifiable, les mora- 1istss ss rattachsront a la tradition chrétienna ou s'éloigne— ront dss tendances rigoursusas que cette tradition cherche a imposar at adoptaront l'attituds tolerants que la société réclams ds plus en plus. L'importance dss Maximgg ds La Rochefoucauld qui fait da l'amour-propre la source commune a tous les vices, tient moins, comma 1'indiqus Bailly, a_1'originalité da l'autsur qu'a 1a preponderance donnée au concept ds l'amour-proprs par les moralistss du siecle: "Cstts_théorie de l'amour-propra, 53 Léon Brunschvicg, Oeuvres de Blaisa Pasca1(Paris: Hachatte, 1908), Toms II, p. 550. 64 Ibid’ pp. 550-551 0 21 mobile exclusif ds tous nos actss, dont LLa Rochefoucauld] a fait liidée generals de tout son livre, na lui appartient pas."65 Sur cette "théoris de l'amour-proprs" reposait 1e concept méme-de la via an société,de ses échangss, de ses équilibrss, "l'idée que devaiant se fairs de la vie ces grands saignsurs, ces courtisans, pour lesqusls l'sxistencs était uns combinaison compliqués de subtiles machinations."66 Non seulement 1a question da l'amour-proprs, mais.aussi cells de 1'intérét,dominait ces rapports, les bonheurs étant les échos les uns des autrss ou comma dit Lanson, "la souci du bonhaur d'autrui est nécsssairs a notre bonheur, d‘oh 1a morale de l'amour-proprs éclairé ou ds 1'intéret bien entendu."67 Dans un passage remarquabla,Gidsl rattache 1a prodigieuse attirancs que la morals axerca au XVIIe siecle, au besoin que la cour— tisan avait de "bien cOnnaitrs les rivaux qui l'antouraient."68 Sous 1a double influence de la morale chrétienns at de la nouvells morals élaborés pour répondrs a l'inquiétude du moi desaxé, 1a question de l'amour-proprs demsurait l'élémsnt central. L'ams se trouve a son égard comma a la croisée des chemins ou encore d'apres Alquié, "devant une sorts da choix: alls peut aimsr son corps ou aimsr Dieu. Salon qu'alls s’atta- chera_a son corps ou a Diau, alls se rendra mortalls ou 65 Augusta Bailly, L'Ecols classiqus frangaise, Les Doctrines st les hommes(Paris: A. Colin, 1954), p. 173. .65 Ibid. 67 Lanson, "La Transformation des idées," pp. 24-25. 68 Gidel, p. 27. 22 immortslls."69 Quiconqua aborde 1e débat moral au XVIIe siecle, ss trouve contraint da prendre position vis—a-vis ds l'amour-proprs. Le theme du retour de l'ams humaine a as nature premiere par l'élimination ds l'amour-propre servait de leitmotiv dans les prédications at les sermons at ainsi, continuait a résonner mama dans 1'ssprit de caux qui tentaiant de rsniar cette morale traditionnelle. L'idée-force de l'amour-propra s'imposait, car comma l'indiqus Merlet, "on échapps rarament aux influences de son temps. 0r au XVIIe siecle, les esprits les moins disciplines trouvarsnt un contrepoids a leur inquiétude dans l'unanimité das croyancss acceptées comma 1e fond da 1a raison at écoutées comma 1a voix ds la conscience. C'était an quelque_sorte l'air respiré par toutes les intelligencas."7O En Francs, an cs siecle, les moralistss chrétiens par- lent tous ds cette idée; chasser la soi ds son ame pour y réin- tégrer Dieu, deviant 1a formula du salut. Dans tel sermon da Bossuet, nous pouvons lire que l'homme se trouve astreint an raison du péché original ds combattrs l'appal de l'instinct natural: "Pour la pains d'avoir voulu sa satisfaira contra la loi ds sOn Dieu, il est ordonné a jamais qu'il ranoncara a see propras inclinations."71 Le renoncement a soi, inverse de l'amour-proprs est a l'ordre du jour, il fait partie des 59‘ Ferdinand Alquié, "Les PhilOSOphes du XVIIe siecle devant l'homme," XVIIe Siacle, no. 54-55, 1962, p. 50. 70 Merlet, p. 72. 71 J.B. Bossuet, Oeuvres completes, éditées par F. Lachat(Paris: Louis de Vivss, 1872), pp. 543-544. ..- 23 recommendations de base a l'intention de ceux qui veulent devenir dévots. Pour ss joindre au Christ, 11 faut consentir fl a un renoncement a soi: "Quiconqus, dit [Jesus;, désire venir aprés moi, ... il faut ... qu'il renoncs a soi-mEme."72 Il est donc natural que, soumis a pareilla antienne, meme ceux qui prétendent axer leur moi salon da nouveaux axes soient dominés par la notion du renoncement a soi. Préoccupé comma tant d'autres libertins des problemas de la conduits de la vie, Saint-Evremond a examine le renoncement a soi qu'exigaait la morale chrétienne at consciemment ou non, a suivi la mama moule—penséa lorsqu'il s'occupait da la vie mondaine. Sans avoir a proprement parler, écrit de traité sur la renoncement a soi, il a montré a ce sujet une preoccupation constants. Nous retrouvons dans sa description de la naissance ds l'amitié par example,73 des expressions dont l'analogis avec un passage d'un sermon de Bossuet est frappants: "Mais quand il s'agit ds sa diviser soi-mama, de quittar dit Saint—Gregoire, non ce que nous possédons, mais ce que nous sommas, oh trouverons-nous une main assaz industriause ou assaz puissants pour délier ou pour rompre un noaud si étroit?"74 Qu'il examine une morals ou l'autre, Saint-Evramond gards comma concept central, 1a renoncement a soi ainsi que nous allons la montrer au cours ds cette étude. Nous donnerons a ce vocable 1e meme sens que chez Gusz ds Balzac entre autres: "Il n'est pas d'sxemple dans les 72 Bossuet, Oeuvres, p. 542. 73 Cf. infra, "Renoncsment a soi at les amitiés," p. 73. 74 Bossuet, Oeuvres, p. 544. f‘ nu. I 'A. n v 1 ‘- . ., 'n‘ I. 24 Monasteres, d'une volonté plus soumise, at d'un plus parfait "75 renoncement de soy—mesme. Ou bien encore, dans la sans que lui donne Montesquieu dans L'Esprit des lois pour définir 1a vertu politiqus qui "est un renoncement a soi-meme qui eat "76 toujours una chose trés-pénibls. Notona qua chez Guaz de Balzac, nous trouvons 1e renoncement a soi an rapport avec la devotion tandis que chez Montesquieu il s'agit d'un concept laic. Pour étudier les modalités du renoncement a soi chez Saint-Evremond, une division an deux parties s'imposait: 1'étuda du renoncement a soi dans la cadre de la devotion at l'étude de cs concept s'étandant comma une hantiss, uns marque indélébila dans le cadre profane de la société. Mais comma les donnéss biographiquss la souligneront, l'exil a coupé en deux la vie ds Saint-Evremond. Cat exil ayant coincide avec la vieillesse ds l'écrivain, il a paru opportun ds considérer les modalités du renoncement a soi dans les deux cadres sociaux ds Saint— Evrsmond, cslui de la jeunesss at ds la maturité d'une part cslui ds 1a vieillesse d'autrs part. Dans la mesurs oh il est parmis de réduirs un homme a quelques traits essentials nous dirons qua Saint-Evremond était honnéte homme, épicurien st qu'il a passé 1a dsuxisme moitié ds sa via an exil. L'honnsta homme, m8 par la désir de plairs, s'est préoccupé dss amitiés, l'épicurien s'est attaché a justifisr son adhesion a une morals 75 J. L. Guaz de Balzac, Aristipps ou De La Cour(Leids: Jan Elsevisr, 1658), p. 212. ‘ 75 Charles ds Secondat, Baron de Montesquieu, Oeuvres ppmplates(Paris: Garnier, 1876), Tome III, p. 151. 25 palenne, l'exilé a été sensible a une retraits forcéa qui s'est mués an vieillesse prematurés. A ces trois facettes ds Saint-Evrsmond correspondent trois modalités du renoncement a soi. Apres une esquisss des donnéas biographiques de Saint- Evremond destinéas a établir les rapports de sa vie at ds son oeuvre, cette étude comprendra donc trois parties: 1e renon- cement a soi at l‘amitié, la renoncement a soi at la religion at 1e renoncement a soi at la vieillesse. René Ternois insists sur la cOté pratique de la curiosité phiIOSOphiqus ds Saint- Evrsmond: "D'une philosOphis, il ne retenait qua ca qui pouvait avoir une utilité pour la conduits ds la vie."77 Epicurien78 mondain, Saint-Evremond recherche la bonheur au sein de la société. I1 ls fait non seulement par intéret personnel mais parce qu'il appartient comma l'indiquent Krailsheimar ou Hazard?9 a una generation qui se propose de substituer ls bonheur terrestrs a la félicité célsste ou tout au moins ds gofiter a 1'un avant l'autre. C'est 2 cs titre qu'il s'intéresse a l'amitié. Mais l'amitié ne represents pas seulement un facteur essential de la vie de société. Elle constitue aussi una alter- native a l'amour ds soi tout aussi justifiable. 11 s‘établit entre l'amitié at l'amour de soi un rapport da valeurs. 77 Rene Tarnois. "Saint—Evremond at Gassendi," dans "Littératurs spus Louis XIV," Revue d‘Histoire Littéraira da lg France, mai-aout 1969. p. 578- 78 Cf. supra. pp. 6-7. 79 Krailsheimsr, Studies in Self-Interest, p. l2.et seq. Hazard, Lg Crise de la ConSciencs, p. 25. T. I. 26 Suivant les circonstances,1es amitiés se nouent at as dénouent, l'amour ds soi constituent 1e cas échéant 1'un des termas d'une alternancs, 1e soi devenant 1‘un des amis possibles. Pour_ gardsr a ces amitiés touts 1a fraichsur at 1a satisfaction qu'ellas doivsnt procurer, il faut savoir aussi bien les amor- cer que les dénouer. D'ami en ami, l'on va de renoncement an renoncement. Parfois l'on renoncs a soi-meme. Ls véritabls domains du renoncement a soi rests cslui ds 1a religion. En dépit de la reputation généralement faite aux libertins, Saint-Evremond marquait un véritabls intérét envars ls problems religieux. La religion pour lui restait un aspect essential da la vie. Pourtant, d'une maniars para- doxale, cs manque d'indifférencs amene at justifie son scepti- cisms. Comma dans la cas ds l'amitié, 1'enquéts personnalls conduira a l'évaluation d'autrui. L'obligation premiere de la devotion, l'authantiqua renoncement a soi, pierre d'achoppement de la dévotion pour Saint-Evremond va lui servir da systems de reference pour éva— luer les attitudes religieuses da ses contemporains. Ces atti- tudes vont s'étager,a11ant de l'indifférancs au fanatisme, ds l'équilibrs au déséquilibrs. Se considérant plus lucids que beaucoup da ses contemporains dans cs domains, Saint-Evremond jugs bon d'intervenir ca et la pour protégar ses amis moins perspicaces contra des renoncements a soi viciés at pour lancer des appels pour des réformes nécessaires écartant du domains religieux, ceux qui an manacent 1a puraté st l'unité. Element de l'équilibre de la société comma de l'équilibre 27 religieux, la renoncement a soi peut étre considéré comma un das ‘inéluctables factaurs de l'équilibre ds 1a vieillesse; tout au moins dans la mesurs oh la vieillesse axiga ds 1a rési- gnation. Chez Saint—Evramond pourtant, cette derniera période de la vie ravet, a son début tout au moins, un caractere inat- tendu. Ls renoncement a soi dont il s'agit alors ns signifia pas un sacrifice, bien au contraire. C'est au personnage qua Saint—Evramond renoncs pour retrouver la personne. Il salua avec jois l'abandon de la fonction publiqua pour la retour aux plaisirs de l'hOnnéteté dans la meilleura tradition épicu- rienne.80 La difference entre la personnage at 1a personne paut se définir en termes psychologiques comma 1a division entre la rOls superficial at souvent temporaire at 1a continuité da l'étre profond. Henri Ey décrit ainsi la conception du personnage: Cette elaboration ou interferant les images des parents, 1' imitation des autres, les attractions de la sympathis, les injonctions du respect, les repulsions de la haina, etc., cstts~1ents at progressive édification ds la 'Personns' a atre, se heurte a son embryologis ou a sa préhistoire. C' est que la Moi-meme a advenir, cette per- sonns qui s'accepts comma tells, comma une forms d' atre toujours 1a meme, aussi bien au fond qu' a la surface du Moi, avec tous ses attribute somatiques ... ne peut ss constituer qua par la conscience conjugués de 1 étant comma tel at da ce qui doit etrs. La conscience du parson- nags que ja veux atre ne peut pas atre en effet autre que cells d' un devoir. 1 Un equilibre maintenu touts une vie, entre les droits de la parsonne at les exigences du personnage, devrait permettre a 80 Cf. supra, pp» 6-7. 81 Henri Ey, La Conscience(Paris: Presses Universitaires de France, 1968), p. 347. 28 Saint—Evremond de jouir en touts quiétude des plaisirs honnetss. Mais 1a tradition épicurienne qui réclama la presence d'honnétes gens s'accommode mal des cadres de l'exil, surtout ceux de la Hollands. Quand Saint—Evremond retournera an Angleterrs 1e processus du vieillissement s'ajoutera au désillusionnement at l'obligera a certains renoncements a soi pour faire face a una personne diminuée at conserver en meme temps son identité d'honnete homme. Au dernier stade de la vieillesse 1a personne devenue insupportable posera 1a question du renoncement total at du besoin impériaux de la presence feminine. L'étude de cette question permettra d'évaluar d'une facon nouvells les rapports du vieil axilé at de la jeuna duchesse de Mazarin. Dans les trois domaines que nous allons étudiar, cslui de l'ami- tié, cslui de la religion at cslui de la vieillesse, 1e renon- cement a soi représenta un facteur d'équilibre. Ces trois domaines, c'est-a-dire les trois grandes parties de la disser- tation, se trouvent ainsi rsliés. L'étude des données biogra- phiquas et la recherche effectuéa dans chacuns des trois parties permettra de renforcar ces liens. Cette introduction nous a servi a définir nos objectifs at a donner un aparcu das idées générales at de l'organisation de cette étuda ainsi qu'a camper devant 1a tapisserie de l'his- toire l'oeuvre de Saint-Evremond. Son étuda devrait nous révé- lsr uns unité at une profondeur qui ont généralement échappé aux chercheurs peut—etre faute d'un élémant central qui les matte an evidence. DONNEES BIOGRAPHIQUES DONNEES BIOGRAPHIQUES Dans 1a mesurs Ou l'oeuvre littéraire de Saint-Evremond a été fortement influencée par la retraits prématurée ou l'a plongé une disgrace, il n'est pas inutila de rappeler a grands traits l'essentiel de sa biographie. L'exilé avait conscience de cette division dans sa vie qu'il partageait en trois épo- quss, 1a jeunesss at la vieillesse séparées par l'age profes- sionnel.l La jeunesss at l'age professionnel ont eu la France pour cadre, 1a vieillesse, 1'Angletarre at un court séjour en Hollands. Aprés avoir identifié les sources biographiques de Saint- Evremond, on tracers un résumé de sa vie, pour pouvoir ensuite revenir plus longuement sur les élémants qui se trouvent plus directemant en rapport avec son oeuvre littéraire at plus préci- sément avec les notions de renoncement. Il ne s'agit point ici d'une biographie complete at dé- taillés mais de simples données biographiques en relation avec le sujet de la dissertation. Saint-Evremond lui-meme convien- drait que la tachs du biographs, comma cells de l'historien, consists moins en l'accumulation da faits qu'en leur utilisation aux fins de révélsr la personnalité de l'individu. D'una part, dans la "Discours sur les Historians Francois,‘ i1 declare que, 1 Cf. infra, "Renoncement au personnage,” pp. 255—256. 30 \ 31 a se limiter a des énumérations, l'on risque d'étre ennuyeux: "C'est se rendre une espece de conteur fort importun que d'en- tasser évenement sur évenement ... "(III, 185). D'autre part, a l'occasion de son étuda "De la seconds Guerra Punique," au chapitre VII da son livre d'histoire, Saint—Evrsmond explique, qu'a l'encontra de la plupart des historians, i1 s'attachs moins aux descriptions de batailles qu'aux analyses psychologiques des grandes figures da 1'histoire: "Je cherche moins a décrire les combats, qu'a fairs connoitre les Génies2"(II, 47).3 Jusqu'sn 1962, la "Vie de Monsieur de Saint-Evremond," écrite par Des Maizeaux, constituait la source biographiqua principals de Saint-Evrsmond. Cette "Vie" était destinés a l'édition da 1706 de ses oeuvres: Oeuvres meléas de Saint— Evremond,4 dirigée par Des Maizeaux. Elle fut envoyée trop tard pour étrs comprise dans cette edition et parut 1a meme année an tete des Mélangas curieux des mailleures pieces attri- buées a M. de Saint—Evramond, publié par la méme éditeur. Comme nous l'indiqus Des Maizeaux lui-meme, dans l'Avertisse- ment de l'édition de 1740, c'est a l'instigation de Pierre Bayle qu'il a écrit cette "Vie" : "Lorsque je formai 1e dessein d'écrire cette 'Via,‘ je n'avois en vfie que de satisfaira 1a curiosité de Monsieur Bayls"(I, l, xij-xiij). Georges {ontgrédien identifia Des Maizeaux comma un fils de pastaur 2 "Génis" est pris dans la sans da: "Nature intellectuelle ou morale d'une personne, ... ou de son talent particulier...," référant a Gaston Cayrou, dans Le.Frangais classique(Paris: ludier, 1948), p. 436. 3 "Réflaxions sur les divers Génias du peuple Romain, dans les differens temps da 1a République"(II, 1-102). 4 Pierre Mortier éditeur(Amsterdam, 1706). 52 vsnu chercher fortune en Angleterre at dont 1a principal titre da gloirs proviant da son association avec Bayle at Saint- Evremond: "Des Maizeaux, fils da pasteur, apres avoir passe par la Suisss at 1a Hollands, aborde enfin en Anglaterre; 11 se fait 1'éditeur des oeuvres ds ses amis, Saint-Evremond at Bayla."5 Ce na sera qu'en 1865, que paraitra una nouvells edition, calls de Giraud,6 précédés d'une biographie. Planhol attribue cette longus "eclipse" subie par Saint-Evremond e l'attituda hostile de Voltaire at ds La Harps e son égard: "Brusquement Saint—Evremond s'éclipss. Voltaire, qui cepsndant s'apparentait e lui, 1e rabaisss, La Harpe la dénigre, les lattrés 1e mécon- naisssnt ou l'oublient."‘7 Dans ls premier chapitre ds son edition, Giraud reconnait sa dette envers Des Maizeaux tout an an signalant Les faiblsssss: "Nous devons e Des Maizeaux uns ‘Via' fort étendue ds Saint—Evrsmond, ... [qui] malgré sa sécharesss at ses défauts, ... est encore 1e document la plus important que nous ayons sur 1'histoirs de Saint—Evramond. ... Bian haureux ds l'avoir pour guide, car Saint—Evremond n'a pas laissé de 'Mémoirss' ...."8 Extremement détaillée, la biographis de l'édition Giraud rests malheureusemant incomplete: alls ns s'étand pas au—dale du depart de Saint-Evremond en exil, bien qu'une partie intitulés "Saint—Evrsmond en Angleterra" soit 5 La Vie Littéraire au XVIIe siecle(Paris: Tallandisr, 1947), p. 412. 5 Giraud, op. cit. . ’ 7 Rene de Planhol, Oeuvres ds Saint-Evremond(Paris: Cite des Livres, 1927), Toms I, p. L. 8 Giraud, Toms I, p. XI. 33 annoncés.9 Soixante ans plus tard, en 1927, une nouvelle édition des oeuvres da Saint—Evremond, calla de Planhol,para1t.lo Comme son prédécesseur Charles Giraud, René da Planhol consi- ders 1a biographis ds Des Maizeaux comma la document da bass: ”L'éditeur da ... l'oeuvre {de Saint-Evremond] nous a laissé una biographis detaillée de Saint-Evremond. Il n'est, encore ull aujourd'hui, que de se référer e elle. Qualques années plus tard, en 1930, John Hayward, édite en anglais une séria ds l2 Lettres, en las faisant précédar d'une introduction compre- nant una note bibliographiqua qui renvoie e plusieurs editions 13 de Des Maizeaux ainsi qu'aux editions Giraud at Planhol. En 1934, K. Spalatin consacre 1a moitié d'une these de doctorat e combler 1a lacuna d'une "oeuvre d'ensemble [qui] n'a [pas]... encore été faite."14 Ses principales sources biographiques sont la vie écrite par Charles Giraud,15 ainsi que les étudas 9 Giraud, I, p. CCCXCVI. 10 Cf. supra, note 7. 11 Planhol, 1, p. 11. 12 John Hayward, The Letters of Saint—Evramond(London: Routledge & Sons, 1930), P- XViii- 13 Pierre Des Maizeaux, Oeuvres de M. de Saint—Evramond, avec la Vie ds 1'auteur(Amsterdam: Covens & Mortier, 1739). Pierre Des Maizeaux, The Works of M. de Saint-Evremond (London: J.& J. Knapton, 1728). Pierre Des Maizeaux, Melanges Curiaux dss Meillaures Pieces attribuésse M. de Saint—Evramond(Amsterdam: Covans & Mortier, 1726). 14 K. Spalatin, Saint-Evremond, These-ds Doctorat(Zagreb: Belles-Lettres, 1934), Avertissement, p. 5. 15 Cf. supra, note 6. 34 partialles faites par Gustave Cohen,16 at par W.M. Daniels.l7 les articles de G. Cohen ont été édités chez Champion an 192618 at Cohen y indique qu'il se sert de la biographis de Des Maizeaux(édition de 1725).19 Le titre du premier ouvrage de W.M. Daniels montre que, lui aussi, s'est basé sur la "Vie" de Des Maizeaux. Il est curieux de noter que bien que K. Spalatin cite 1'édition Planhol,2O il omat da 1a mentionner dans sa bio- graphie. Par contra, i1 y met Des Maizeaux avec cs commentairs: "Faute de misux, oeuvre tres importante pour la biographis de Saint-Evremond."21 En 1934 donc, la "Vie" établie par Des Maizeaux rests 1a document de base de toutes les biographies de Saint—Evremond. Mais en 1962, Rene Ternois commence 1a publication d'une édition partielle de Saint-Evremond, pour la "Société das Textes Fran- Gais Modernes."22 La tome II parait en 1965, la tome III en 1966 at 1e tome IV en 1969. Dans son introduction, il est la premier e considerer la "Vie" écrita par Des Maizeaux comma un 16 "Le Séjour de Saint-Evremond en Hollands," figvua de Littérature Compares, juillat-septembra 1925, janvier-mars 1926, juillet- septembre 1926. 17 "Des Maizeaux an Angleterra," Revue Germaniqua, t. IV, juillet-aout 1908. ‘ "Saint-Evremond an Angleterre," these(Versailles, 1907). 18 Cohen, Op. cit.(supra., note 29, p. 10). 19 Cohen, Le Séjour de Saint-Evremond en Hollands, p.3, note 3. 20 Spalatin, p. 13, note 2. 21 Pierre Des Maizeaux, La Vie de Mrs Charles de Saint- Denis, Sieur de St. Evremond(La Hays, 1711). Cite par Spalatin p. 169. 22, Ternois, Op. cit.(supra, note 28, p- 9-)- 35 document sans valeur. Dans son introduction generals, 11 1a qualifie de "trompeuse" et lui reproche de contenir trop de longues citations, de resumes at de digressions. "Si on an retire {tout csla:l... i1 ne rests rien d'autra, ou e pau pres rien d'autre, que ce qui avait ete dit par Silvastre."23 Pourquoi Silvastre aurait-il plus d'autorite qua Des Maizeaux? Ternois pense-t-il que Silvastre connaissait mieux Saint-Evremond at que ce gentilhomme marquait una preference pour lui? C'est ca qu'il semble nous indiquer lorsqu'il ex- plique que Pierre Silvastre, refugie protestant francais "etait un joyeux vivant, ... qui ... venait ... chez 1a duchesse Mazarin at Saint—Evremond, ... avait plaisir e 1e rencontrer .."24 Il est certain que l'edition da 1705 avait ete prefacee par Silvastre et que les elements biographiques da cette preface recevaient des conversations que Silvastre avait sues avec "le Dr. La Fevrs ... pendant quarante ans 1e medecin at l'ami de Saint-Evremond at [qui] l'avait connu mieux que personne,"25une garantis d'authenticite. En realite, Ternois ne fait que reha- biliter Silvastre comma auteur original da la "Vie da Saint- Evrsmond." Les rsnseignements puises jusqu'ici dans la "Vie" de Des Maizeaux n'en sont pas moins exacts. Ternois ne jugs d'ailleurs pas utile d'ecrire una nouvells vie ds Saint—Evremond. 11 se contents da reproduirs la preface da Pierre Silvastre en y ajoutant quelques notes. Dans ces notes, Ternois se refers 23 Ternois, Oeuvres en prose, I, pp. X—XI. 24 Ibid., pp. VII-VIII. 25 Ibid., p. VIII. 36 e plusieurs reprises e un autre ouvrags qu'il prepare sur Saint-Evremond.26 Ainsi, depuis la mort de Saint-Evremond un nombre limite de chercheurs n'ont fait que completer parn'bisn différsnts. D'observatsur, il dsvient, a l'occasion, actif dans le maintien de 1'equilibre, mettant sa lucidité au Mario—Paul Lafar ue, Saint-Evremond ou le Pétrons du %%EISL_§;§913(Paris: Sociéts d'Editions Extérieures et Colo- S'Slees, 1945),’p. 51, 1e caracterise ainsi: ’"Saint-Evremond Bacgt91fait un epicurisme a sa mode. 11 est epicurien comms Attiaumont, Chapelle et Cyrano de Bergerac, ou misux comme CUB, comme Horace, comms Pétrone.’ 4' Spalatin, p. 144. 144 service de ceux qui comprennent mal 1e renoncement a soi. Cette distinction entre ames douées et ames non douées se poursuivra danslfaxwlyse de 1'equilibre et de son caractere precairs et réversible. [De cette analyse de 1'equilibre, nous Ensurrons déduire les sources des incertitudes et des fantaisies dxant s'accompagne 1e renoncement a soi. Nous atteindrons dans le dernier chapitre les veritables causes du desequilibre et lxeurs relations avec le renoncement a soi. Chapitre I - LA DEVOTION La curieuss tournurs d'esprit de Saint-Evremond fait zuxparaitre dans ses écrits aussi bien des passages marqués de mzepmicisms religieux, que d'autres, plus inattendus, révélant 1H1 concept extremement élevé de la dévotion. En nous attachant a Instrouver les liens qui existent entre ces deux attitudes si étanangeres l'une a l'autre, nous serons amenés a examiner ls rernoncement a soi sous trois angles voisins mais différents: néceassité, raison, critéres. Le renoncement a soi fait nécss- saiimement partie de la dévotion comms la concoit Saint-Evremond et <30ntribue a la rareté de cette dévotion. La definition de l'cflajectif de la dévotion donne la raison de cet état de choses. Enjfiirh le renoncement a soi, partie integrants de la devotion 9t <18 son objectif, dsvient, par consequent, le critere d'apres lequel.Saint—Evremond jugs ds la validité d'une devotion donnés. La nature ambivalente ds la pensée de Saint-Evremond en matiere ds religion ressort clairement de l'analyss que Rene’ TGITNDis donne du texts "Sur la religion"(IV, 275-280): bien qu'il. qualifie cet essai de "declaration d'incroyance," 11 y détectka la presence de "phrases, on on pourrait découvrir, si on an avait envis, une aSpiration a la foi parfaits."l Pour bien apprécier cs que R. Ternois veut dire, il n'est que ds 1 Ternois, Oeuvres en Prose, III, p. 361. 145 146 lire les premieres lignes de cs texts qui représente plutot uns apologie du scepticisme qu'uns "de’claration d'incroyance": "A conside'rer purement 1e repos ds cette vie, il seroit avan- tagsux que la Religion efit plus ou moins ds pouvoir sur le genre humain. Elle contraint, et n'assujettit pas assez; sem- blable a certaines politiques, qui otent 1a douceur ds la liber- te’ , sans apporter 1e benheur de la sujetion. La volonts’ nous fait aspirer foiblement aux biens qui nous sont promis, pour n'étre pas assez excitée par un entendement qui n'est pas assez convaincu"(IV, 275). Cs passage expose plus les raisons de ne pas croirs,qu'une "declaration d'incroyance," c'est-a-dirs un refus de croire. Sans aller jusqu'a dire que Saint—Evremond reconnaisse et regretts 1e libre arbitrs, nous pouvons consta- ter qu'il deplore que la religion e’tablisss plutot un frein qu'uns Véritable discipline, "elle contraint et n'assujsttit pas assez," une restriction p1utat qu'une véritable attraction, retirant "la douceur de la liberts’, sans apporter ls bonheur de la suje— tion." Nous recevons de la religion un message confus peu PrOpre a soutenir notre aspiration, notre "volonté." Saint- Evremond trouve dans cette demi—teints de l'appel religieux une instification du doute qui regns dans son esprit. Cs doute semble régner dans bon nombre d'esprits. Tout en reconnaissant implicitement l'existence de la dévotion sin- C‘Gre en admettant celle dss dévots, soit qu'il les appelle "gens véritablement persuads’s”(IV, 173) . ou "veritable dévot" (IV, 275), ou "personne. sérieusement touche'e"(IV, 282), ou bien encore "homme Qui a de la foi"(IV. 278). Saint-Evremond souligne 147 néanmoins la rareté de cette foi: "Peu de gens en ont"(IV, 278). En.essayant de préciser ce que Saint—Evremond veut dire par 'l‘entendemsnt ... pas assez convaincu,"2 nous allons découvrir que, selon lui, ce manque de foi dépend de trois facteurs: la ruature abstraite de la dévotion, son caractere singulier st 1e Ixsnoncement rigoureux a soi qu'elle nécessite. La nature abstraite de la devotion limite 1e nombre de cxaux qui consentent a échanger le réel contre la promesse d'un iritangible: "Peu de gens ... défendent l'idée contre les objets; l'easpérance de ce que l'on nous promet cedant naturellement a lei Jouissance de ce que l'on nous donne"(IV, 278). La rareté de .la devotion sincere provisnt tout simplement du choix dif- ficzile entre un futur irréel, "l'espérance" et un present pal- Palxls, "1a Jouissance." On promet l'espérance, on ns 1a ga- raIrtit pas. Pour préférer ainsi "l'idée" aux "objets," le n‘V'é'ir'itabls dévot" doit se disciplinsr afin de donner la prio- ritus a son etre spiritual aux dépens de son etre physique: 11 Chain; parvenir a "l'assujettissement du corps a l'esprit"(IV, 27(5), c‘est-a—dirs combattrs sa tendance naturelle: "L'espé- Pearce ... cédant naturellement a la Jouissance ...."3 Si 1a préférence ds l'idée aux objets, de l'abstrait au CCUMJret crée sans contredit un obstacle a la dévotion en allant \ a l'exncontrs de l'instinct naturel , 1e choix requis dans le domaJJme de l'abstrait lui-meme comporte de plus une certains singquarité. En effet, dans la lutte contre l'instinct naturel 2 Cf. supra,p. 146. 3 Cf. supra, début du paragraphs. 148 i]. faut encore se muer en une sorts d'inverti de la jouissance: "Le veritable dévot rompt avec la nature," cs qui présente de’Ja une part d'étrangeté, mais plus e'trangs encore, c'est pour “se faire des plaisirs de l'abstinence des plaisirs ..."(IV, 275-276). Le véritabls dévot ne se contents pas du refus de suivre l'inclination naturelle. 11 en vient a une sorts de masochisms religieux puisqu'"il se rend délicieux l'usags dss mortifications et des peines"(IV, 276). La rareté de la dévo- tion ne tientdonc pas uniquement a sa nature abstraite mais aussi ‘a son caractere singulier. Pourquoi 1e véritabls dévot doit-il s'imposer uns disci- pline aussi stricte et e’trange? Parce qu'il doit renoncer a lui—meme. Dans sa confrontation avec lui-meme, dans la situa- tion ds la dévotion sincere, il parvient, nous venons de ls V01r, ‘a. one Jouissance insolits faite de la torture de soi. Celui qui se supplicie a plaisir ns se trouve-t-il pas diame- tralement oppose’ a ce1ui qui recherche la satisfaction de soi? A ce titre-1‘a, la dévotion n'est-elle pas l'oppose’ de"l'amit'ié ‘19 Soi‘f'? Le dévot n'essays pas de satisfaira 1e soi, il s'in— Sénie a lui 8ter touts satisfaction. Seuls 1a haine et la mépris de soi peuvent convertir "mortifications" et "peines" en délices. Pourquoi la de’votion doit-elle signifier un pareil renoncement a soi? Tout étrangs st abstraite que paraisss la tension qu'exige ce renoncement a soi, elle est a la mesurs de l'ob- Jectif ultims du véritable dévot. Saint-Evremond donne ds cet 0b390t1f uns de’finition qui ds’passs 1e concept du salut, uns 149 definition basée sur le concept d'amour divin: "Une personne se'r-ieusement touchée, ne songs plus a se sauver ..."(IV, 282), mais au contraire, cherche a atteindre une situation touts spéciale: "A aimsr, quand elle s'unit e Dieu"(1V, 282). 11 S'agit bien ici d'une substitution qui explique la nécessité du renoncement a soi. On substitue 1'amour de Dieu a 1'amour d9 soi. Le salut ne constitue plus 1e but supreme de la dévo- tion, mais se réduit a une étape vers 1'union avec Dieu.4 Saint—Evremond souscrit donc a un concept extremement pars de la dévotion, celui de 1'union avec Dieu qui ne peut 8' accomplir qu'au prix de l'annihilation de 301.6 Au lieu du téte—a-tete avec soi, situation de l'inclination ou de "l'amitie d8 soi," c'est un téte-‘a-tEte avec Dieu. C'est la these augus- tinienne de la purification de l"'ame par l'ascese en vi- dant. le coeur de toute recherche personnelle pour le remplir de 4 L'intéret, on s'en souvient, n'était qu'uns étape V8 r8 1 ' amitié . 5 Avec cette conception élevée de la dévotion, Saint- EYI‘emond se rapproche de l'auteur inconnu des Quatrains du Ell-1‘93, qui, d'apres A. Adam, Les Libertins au XVIIe siecle, P- 11, "avait appris a se fairs de Dieu l'ide’s la plus haute. Urge ’ide’e si haute meme que dss lors les dogmes chrétiens se I‘EfVeILaient impossibles c croire." Pas plus que Saint-Evremond (Kailleurs, cet auteur des Quatrains qu'on confondait "dans la meme troupe scandaleuse que les libertins de la cour, n'est irréligisux." 6 "Comme Pascal ou Calvin, il concoit que Dieu seul en quelque maniere, est assez puissant pour marisr l'ame au corps," C'est ainsi que A.M. Schmidt, p. 139. décrit is con- cept. d'exclusion mutuel suivant lequel i1 n'y a pas de place (131118 le- corps de l'homme a la fois pour ”l'amitié de soi" (1 amour-propre pascalien) st pour 1'amour de Dieu. ,. Cf. s cc sujet egalement, John Burnaby, AM, A stud of the Religion of St. Augustine(London: Hodder and Stoughton, 1947), pp. 260-287, sur T’ane'antissement." 150 1' amour de Dieu."7 En substituant radicalement 1'amour de 8 a "1'amit1é de 301," is dévot aboutit a la situation Dieu supreme dans laquells 1a solitude est comblée au lieu de sombrer dans l'insuffisancs.9 Tout d'abord, 1'amour de Dieu remplace "l'amitie’ de soi," en raison de l‘exclusivité qu'exige lO l'union avec Dieu. D'autre part, "l'amitie de soi" se trouve élimine’e en meme temps et pour la meme raison que la notion de salut qui ne représente plus 1e but supreme de la de’votion.ll Fairs son salut, revenant bien a la recherche d'un bonheur, quand ce serait dans une vie surnaturelle, reste teinté d'in- térét personnel. Ainsi Saint-Evremond retire a la devotion son caractere personnel et meme mercenaire, 1e salut. 11 est concevable que la. dévotion ainsi comprise possede un caractere abstrait st ESil’lgulier puisqus 1e renoncement a soi qu'elle exige doit etre total pour arriver jusqu'a l'union avec Dieu. Le salut subsiste 7 Julien-Eymard d'Angers, p. 69. 8 John Burnaby, page 257 et page 274 notamment, men- }1orme que certains théologiens parlent ds l'amitié avec Dieu, 'ff‘iendShip With GOd." pourhdésigner une union avec Dieu, com- ple te ment dépourvus d ‘ intéret . 9 Cf. su ra, "Les Amitiés," p. 99. 10 Cf. supra, p. 149. 11 A propos de Bayle, P. Hazard, La Crise de 19 Cons- flm,lp. 268, pose cette question: "Ne pourrait-on pas dire, qu “119 morals indépendants est supérieurs a une morals reli- gieuse 9 puisqus 1a premiers n'attend ni récompenss ni peinees, et ne compte qu'avec elle-meme, tandis que la seconds, crai- gnant l'enfer et espe’rant 1e ciel, n'est Jamais de’sintéressés." saint"~152vremond, comme Bayle a visiblement conscience ds cs problems, ‘ 151 en 1sgunt que stade intermediaire car 1e veritable devot passe mitxwa , "ne songs plus a se sauver,"l2 comme si l‘objectif LflJLiJne de l'union avec Dieu ne pouvait s'atteindre directe- nmrrt.: "1e salut,qui faisoit le premier de ses [1a personne sexfiieausement touches] soins, se confond dans 1'amour qui ne souffre plus ds soins dans son eSprit, ni de desirs en son ame que les siens [ceux ds Dieu]"(IV, 282). Dans la tendance per- sonne lle qui pousse a fairs son salut, 1a presence ds "soins," qui. Icappellent d'ailleurs l'expectative ds l'amitie,13 souligne le caractere interesse de ce stade ds 1a devotion. L'elimina- tixxri ds cette expectative, de cette attente d'une recompense, lorsqu'il n'y a "plus de soins" transforms la devotion merce- naire en devotion pure, completement denues de motifs person- nela. Nous sommes maintenant misux a meme de comprendre la coeacistence, denotes par R. Ternois chez Saint-Evremond, d'"in- Cr‘oyanc6"et d"'aSpiration a la foi parfaite."l4 Etant donnee, pouz~ larplupart desflmortels, l'improbabilite ds l'accession a l'OELJectif ds 1a vrais devotion, 1e scepticisme ne represents— t"ll-pas un point de vus realiste? Ce concept d'amour divin qui constitue l'objectif de la déVOtion et le renoncement a soi que ce concept requiert, selon SaintueEvremond, entrainent deux ordrss de consequences: d'une part LLne certains facon de considerer 1a question d'eternite, 12 Cf. su ra, p. 149. 13 Cf. supra, p. 97. 14 Cf. supra, p. 145. 152 de l 'autrs, une necessite de definir avec soin 1a devotion avant. de s'y livrer. Cette devotion pure bases sur 1'amour de Dieu, d'un etre ete rnel, mene a la notion d'immortalite, car Dieu et non soi devient l'objet ds 1'amour, 1e ssul objet possible meme, lors- qu ' " on pense ‘a l'Eternite dans la seule vus d'aimer eter— nellement"(IV, 282). Se disposer a "aimer eternellement" equi- Vaut bien a concevoir l'immortalite. Aimer ds 1a sorts repre- sents cartainement plus de devotion que l'obeissance a uns crainte ou a une promesse. I Par 1a meme, l'on abandonne l'imagerie commune de l'en- fer, du paradis, les "112211.35 dont on nous menace . .. ou la gloirs que l'on nous promet"(IV, 282). Sous 1e signs du concept divin 8' Opera comme un echange oh l'on gagne tout sans rien perdre vraiment: l'on gagne 1'eternite en liberant la devotion dss superstitions. Adam etablit entre l'antagonisme qu'eprouve l'auteur des Quatrains du Deists a l'egard des superstitions et. son concept elsve ds la religion, une relation qui pourrait 8'appliquer a Saint-Evremond: "C'est precisement parce que son ame est penetree du sentiment ds Dieu, qu'il s'en prend si vi- Vemexit aux 'superstitisux' qui deshonorent la Divinite quand 118 penssnt l'adorer. Et toutes les religions positives sont, 2“ ses yeux, at par nature, dss 'superstitions.'"15 N'est-ce pas en effet, "deshonorer la Divinite“ que de croire devoir 1‘11 fOurnir l'assistance dss menaces ou des promesses que contiennent les superstitions? Cassirer indique bien que le 15 Adam, Les Libertins au XVIIe siecle, p. 11. 153 sceagyticisme represents moins un antagonisme religieux que la. superstition: "Ce qui, en effet, s'oppose veritablement a la. ffoi, ce n‘est pas l'incredulite mais la superstition."16 D'une maniere generals donc, i1 faut veiller a degager la. dievotion ds touts superstition. Autrement dit 1a supersti- tixbri dsvient un criters de la devotion. Cette notion de supers- ti:tiion.ne se limite d'ailleurs pas aux concepts populaires du paradis et de l'enfer: la fin d'une lettre adressee en 1674 au cuonrte d'Olonne contient une mise en gards contre la supersti- tilDII a laquells on succombe si aisement dans 1e malheur: "Tous 1&38. hommes, st particulierement les malheureux, doivsnt se ire par un amour du createur, qui ne semblait pas exclurs 1' amour des creatures." 174 inedites: "La devotionl4 fera retrouver quelquefois a une vieille des delicatesses de sentiment , et des tendresses de coeur, que les plus jeunes n'auroient pas dans le mariage, ou dans une galanterie usee"(IV, 280-281). 11 y a certes, un renouveau, mais point par suite de renoncement: si cette devotion possede un aspect surnaturel c'est plutet de l'ordre de la magie; c'est une fontaine de jouvence. Le titre d'un des textes auxquels nous avons emprunte ces citations, "Que 1a Devotion est 1e dernier de nos Amours" (IV, 280-283), psut alors se comprendre de plusieurs facons. Il psut s'agir soit de l'age auquel il convient de devenir devot par commodite; soit encore de la venue tardive de la devotion lorsqu'on a tout essaye et rejete enfin par degofit; soit enfin la derniere chance d'aimer que representerait 1a devotion, quand cs serait par un detour: "La devotion est 1e dernier de nos Amours, oh 1'ame qui croit aspirer seulement e la felicite de l'autre vie, cherche sans y penser a se fairs quelque douceur nouvells en celle-ci”(1V, 280). Orientee vers "1a felicite" que doit apporter la vie eternelle, la devote se met inconsciemment en quete d'agrement sans perdre de temps. Tells est la difference entre la rigueur de la vrais devotion et les mirages ds 1a devotion commune: l'objectif trompeur de la "felicite de l'autre vie" a pour consequence 1a satisfaction de soi. Au lieu d'un renoncement e soi, de nature involontaire, "sans y penser,‘ on cherche donc "quelque douceur" en cette vie, la ferveur terrestrs l4 Saint-Evremond devrait ajouter: ainsi comprise. 175 supplantant 1a ferveur Celeste parce qu'elles ont ete mises sur 1e meme plan. Pour dss ames peu douees, peu penetrexsde l'ideal reli- gieux, il faut creer artificiellement une solennite, un decorum. 11 faut leur fournir un cadre, dss "exterisurs" capablss de les inspirer pour compenser l'absence de comprehension qui les em- peche de s'elever. La nature abstraite de la devotion , exigeant qu'on "defends l'idee contre les objets"15 1'e1eve en principe au- dessus d'autres activites humaines, comme par exemple, 1'etude, 1'activite socials ou la guerre. Pourtant, lorsque, dans un esprit de conciliation, Saint-Evremond confis a M. Justell6 qu'"i1 est des emulations de saintete aussi bien que dss jalou— sies de gloire"(1V, 131), il indique que la saintete, donc 1a devotion, se trouve ramenee au plan d'activite ordinaire. A ce niveau, 1'emulation, 1a comparaison agressive entre hommes est encore de miss. Loin de s'annihiler, de se joindre e Dieu en renoncant a soi, les individus s'affirment. Peut-etre cette emulation derive-t-elle d'un sentiment de "jois interieure" ressenti par les devote. "La jois inte- rieure des ames devotes vient d'une assurance secrette qu'elles pensent avoir d'etre agreables a Dieu ..."(111, 118-119).17 15 Cf. supra, p. 147. 16 Of. supra, p. 165. 17 Ce passage constitue-t-il une attaque contre les jansenistes? A.S. Krailsheimer indique, dans Pasc;1, Psnsees(Hammond— sworth: Penguin, 1966), p. 21, "Jansenists had a strong sense of election, and tended to dwell on the smallness of the number to be saved." 176 11 y a la contradiction flagrante avec la notion de foi, de devotion comme Saint- Evremond 1a concoit. Un tel contente- ment, une tells satisfaction de soi, mene ces "ames devotes" plus loin qu'au cadre etroit de "liamitie de soi," e la suffi- sance de l'admiration de soi. C'est une admiration ou une estime de soi et puisqus 1e soi exists encore au point d'etre estime, 1e tete—e-tete avec Dieu18 est loin' d'etre atteint. Cette ides d'avoir ete choisi, elu, d'avoir atteint une supe- riorite, s'eloigne du concept central de l'humilite chretienne puisqu'elle indique un couronnement du soi. C'est sfirement au nom de ce sceau divin secret que 1e clerge psut se permettre une attitude critique vis-e-vis du rele moralisateur que veut jouer 1e theatre, et de l'introduc- tion du merveilleux chretien dans la tragedie moderne.l9 Com- ment les predicateurs pourraient—ils accepter que la monopole du sermon leur soit retire? "les Predicateurs ne souffriroient point que la Chairs et 1e Theatre fussent confondus, st qu'on allat apprendrs de la bouche des Comediens, ce qu'on debits avec autorite dans les Eglises e tous les peuples"(III, 149). Comment ne pas penser a certains passages de la preface de Tartuffe, par exemple, dans lesquels Moliere defend ce droit de la comedic? Les "Predicateurs" souffrsnt d'autant moins 1a rivalite dss "Comediens" dans ce domains que l'on risque d'ap- prendre plus agreablement "par la bouche" de ces derniere ce que 1{on est contraint d'ecouter dans les eglises oh "on le 18 Of. supra, p. 149. 19 Oppose e ancienne ou antique. 177 debits avec autorite." L'introduction "des Anges et des Saints sur notre scene"(111, 149) ne constitue pas un moins grave attentat a la bienseancs ecclesiastique. Cette attitude de clerge a 1'egard du theatre ne fait que renforcer 1a con- tradiction existant entre la nature de la devotion et la suffi- sance des "ames devotes." Csux qui par leurs "emulations de saintetefl rsfusent implicitement e la devotion 1a considera- tion respectueuse qui lui est dfie, s'empressent de reclamer au nom de cette meme devotion, 1a reverence d'un monopole dans 1e domains de la morale.2O Ces sortes de rivalites n'existent pas seulement entre religieux et profanes. 0n en trouve meme entre sectes reli- gieuses. "La Conversation de M. d'Aubigny avec M. de Saint- Evremond"(II, 169-173) prend l'aspect d'une revanche des jan- senistes sur les jesuites. Saint-Evremond mentionnait e Mon- sieur d'Aubigny "1a conversation qu'il avait sue avec 1e Pere Canaye"(11, 169),21 et plus particulierement sans doute l'aveu que ce prelat avait fait e la conclusion de cette conversation: "Ce n'est ni 1a GRACE, ni les CINQ PROPOSITIONS qui nous ont mis mal ensemble.22 La jalousie de gouverner les consciences a tout fait .... Ce n'est pas que les uns et les autres n'ayent dessein de sauver les hommes, mais chacun se veut donner du credit en 20 L'ironie de "ne souffriroient point? 1e ton docte- ment mo usur de "qu'on allet apprendrs" et "ce qu'on debits avec autorite” suggerent assez bien ce qui pouvait se dire e cs sujet entre honnétes gens. 21 Il s'agit de la "Conversation du Marechal d'Hocquin- court avec ls Pers Canaye"(II, 156-168). 22 Le Pere Canaye est jesuite, l'Abbe d'Aubigny, janse— niste. 178 les sauvant, et, a vous parler franchement, l'interet du Directeur vappresque toujpurs devant 1e salut de celui qui est sous la direction"(II, 167-168). Entendant cela, M. I I d'Aubigny se prepare a reveler de ssmblables choses sur les jansenistes par pure emulation: "11 n‘est pas raisonnable, .. que vous rencontrisz plus de franchise parmi les Jesuites que parmi nous"(111, 169). Le besoin imperieux que les predicateurs semblent eprou— ver de preciser que la morale est leur domains exclusif at leur smpressement e fairs assaut de "franchise" lorsqu'il s'agit de propaganda, denotent de leur part un travers fecheux. La Jalousie qu'ils manifestent peut d'abord preter e la satire, mais, ce qui est plus grave, elle indique de leur part une profixms incomprehension. Leur jalousie a la defaut d'etre naturelle alors qu'il s'agit de concepts surnaturels. Ce qua Saint-Evremond considere etre 1a pierre d'achOppement en ma- tiere de rivalites religieuses est: (La: repugnance la plus naturelle ... de reconnaitre en qui que ce soit une superio— rite de raison. ... Notre premier avantage, c'est d'etrs nes raisonnables: notre premiere jalousie c'est de voir que d'autres veuillent 1'etre plus que nous"(III, 125-126). 11 y a ici comme un echo de la premiere phrase du Discours de la Methods, phrase qui introduit un paradoxe fondamentale: bien que tous doues de bon sens, nous ne savons pas "conduire notre raison." En ce qui concerne 1a devotion, l'ecueil reside preci- sement dans l'intervention du raisonnement: "Aux choses qui sont purement de la nature, c'est e 1'esprit de concevoir ... 179 aux surnaturelles, 1'ame s'y prend, s'y affectionne, s'y attache, s'y unit, sans que nous les puissions comprendre" (III, 126). Dans un rare moment, l'enumeration des verbes nous laisse surprendre 1'emotion de Saint-Evremond lorsqu'il veut montrer qu'il sied de faire une difference entre "choses ... de la nature at ... surnaturelles." Les controverses entre huguenots et catholiques qui n'ont cessedfetre soulevees e 1'epoque de Saint-Evremond ont vraisemblablement contribue e l'interesser aux problemes de la conversion. En Hollands comme en Angleterre, les contacts personnels avec les huguenots dont i1 partageait 1'exi1, lui ont donne l'occasion d'aborder ces problemes avec plus ds tolerance que beaucoup de ses contemporains demeures en France. C'est ce qui l'autorise, par example, a formuler quel- ques recommendations e M. Justel sans vraiment songsr e 1e convaincre. Saint-Evremond a du moins 1'esprit de sa rendre compte que la resistance e la conversion ne provisnt pas d'un simple entetement. Il detects les donnees psychologiques qui rendent 1e renoncement a l'identite religieuss, pratiquement inconcevable. Cette veritable impregnation qui maintient 1'ame sincere dans un equilibre de suffisance, ne permet d'envisager qu'uns possibilite: celle de la conversion de convenance couvrant d'un masque protacteur 1'acte interieur de la devotion. La resolution du conflit entre protestants et catholiques semble donc resider dans un faux acts ds renon- cement a soi. 180 Nombreux, d'autre part, sont ceux ou celles qui s'arre— tent e ce faux renoncement e soi, sans meme 1'accompagner d'un acts interieur. Dans ces esprits 1e surnaturel n'occupe pas de place privilegiee. Ils se tourment vers 1a devotion sans comprendre qu'il s'agit de renoncer e soi. 11s n'y voient qu'un champ nouveau oh exercer leurs passions amoureuses, leurs rivalites individuslles ou communautaires. Cette entree dans la domains de la devotion sans solution de continuite a partir du domains profane, temoigne d'un autre equilibre de la suffi- sance. D'une maniere paradoxale, les ames douees et les esprits psu doues aboutissent a un meme immobilisme religieux qui nie 1e renoncement e soi. Cet immobilisme possede un caractere passif. Dans 1e chapitre suivant nous allons nous trouver en presence d'un equilibre religieux volontaire. Chapitre III _ LE RENONCEMENT LIMITE _ L'EQUILIBRE RELIGIEUX Ce chapitre, comme ls precedent, se divisera en deux grandes parties, 1'une centres autour d'une ame doues du point de vus religieux at l'autre autour d'une ame qui a besoin dans ce domains d'une assistance externe. Apres avoir presente Saint-Evremond s'employant e con- vertir un gentilhomme protestant, ilpeut;paraitre contradic- toire de la montrer freinant 1e courant de devots at de devotes, qui, e son epoqus, se dirigent vers couvents et monasteres. Au sens scientifique, un courant results d'une denivellation, d'un desequilibre. La rues, dss femmes surtout, vers la vie monastique, temoigne d'un manque d'equilibre religieux qui unpuEte Saint-Evremond. 11 a contrarie e dessein les vocations religieuses de quelques personnss lorsqu'il pensait que leurs projets de re- noncement e elles-memes suivaient plutet les coutumes etablies que 1'appe1 d'une veritable vocation. Moins de femmes auraient su besoin d'une tells assistance si elles avaient pu lire 1e portrait de la femme ideals dresse par Saint-Evremond. Cette femma ideals ns concoit ni la necessite du renoncement a soi, ni l'obligation d'entrer au couvent pour trouver Dieu. Lorsqu'une personne ne possede ni cette lucidite ni cet equilibre religieux, Saint—Evremond considere qu'on doit 181 182 1'empecher d'entrer au couvent,simp1ement pour faire un acts gratuit. Nous consacrerons 1a premiere partie de ce chapitre e 1'etuda de 1'equilibre religieux capable d'ecarter 1e renon- cement a soi arbitraire. Ensuite, nous decrirons les efforts deployes par Saint-Evremond pour assister Mme de Mazarin prete e succomber, sans veritable vocation, e 1'appe1 da la vie reli- gieuse. l que Saint-Evremond a ecrits ont tous Les anti-sermons un but idsntique: empecher ses amis, les gens de son entourage, de ceder e la tentation d'entrer au cloitre ou au couvent. Comment, etant donne son sens epure de la devotion, Saint- Evremond psut-i1 donnar de tels conseils? Nous avons vu que 2 cs n'etait pas pour lorsqu'il ecrivait au comte d'Olonne, profaner 1a religion: i1