‘t ‘h‘finf‘ ' ‘5" . ' @&1&? ‘55.; :05: ' ' '53.?‘3fi 2W5} _ )5... _ " I ‘- ’. l- ‘. .. ‘r *. ‘_ - ‘ Va, ,"/;1 u ' --.. , . - , . 5 \ - > . . 1 . , 5:1{31‘ ‘* _ f - .1 ~13?“ okTan-m m. n: }F 99$ 77¢}? 77 main Michigan State University This is to certify that the dissertation entitled LA CONDITION HUMAINE ET LA VISION DU MONDE DANS LES ESSAIS DE J.-M. G. LE CLEZIO presented by Geneviéve Marie Ped en has been accepted towards fulfillment of the requirements for Doctoral degree in French (Mgr-Io. E-Kro‘wegggzx Major professor Date May 5, 1989 MS U 1': an Affirmative Action/Equal Opportunity Institution 0-12771 PLACE IN RETURN BOX to remove thie checkout from your record. :I'O AVOID FINES return on or before dds due. DATE DUE DATE DUE DATE DUE atom flu»- 0 6 3% ; mp ifi , F—W amt I? NOV 0 1 2004 M13 04 MSU le An Affirm-five Action/Equal Opportunity Inetltuion 6. M394 LA CONDITION HUMAINE ET LA VISION DU MONDE DANS LES ESSAIS DE J.-M. G. LE CLEZIO By Genevieve M. Peden A DISSERTATION _ Submitted to . . Mich: an State Universuty In partial ful lllment of the requirements for the degree of DOCTOR OF PHILOSOPHY , A Departmenttof Romance and Classical Languages .1 .. . ' ‘ V (‘1‘ Al ‘ V mar: :3-3' ' :t ' " i“ -' "fit I 1989 l form-ins? ,. ' ‘ ' ‘ ' ' - .~ . ' I I" “‘1: ‘ I‘f'ékl’r‘licgue - s . n : ‘- ‘ ’ =3 h f :Iéme crux:fih.- , r -- ' ‘ “‘ L004'Lo‘7‘7 ABSTRACT LA CONDITION HUMAINE ET LA VISION DU MONDE DANS LES ESSAIS DE J.-M. G. LE CLEZIO. By Genevieve M. Peden (Body of Abstract) En tant qu'écrivain contemporain, J.-M. G. Le Clézio se """" distingue de par le fait qu'il exprime dans ses essais des idées personnelles sur la vision du monde et la condition humaine dans le cadre plus large de la tradition occidentale. Selon cette tradition, l'homme est un étre scindé (en une conscience et un corps) et ‘9‘ aliéné de la nature, ce qui provoque chez l'homme réfléchissant sur sa place dans l'univers des angoisses métaphysiques intenses. L'étude des essais permet de voir I'évolution qui s'est produite sur un laps de quinze ans dans cette perspective particuliere. Les deux premiers chapitres de cette étude sont consacrés a W, le premier des trois essais. Dans le premier chapitre, la plus grands partie de l'étude convergera sur la conception typiquement occidentale de la condition humaine qui est a l'origine du destin tragique de l'homme tel que l'expose Le Clézio qui explique son drame par son alienation de la matiere. Dans le deuxieme chapitre, les themes principaux de l'essai, l'engagement social, le Iangage, l'écriture, l'art, Ie regard et les agressions extérieures, seront étudiés dans le cadre de cette vision occidentale de la condition humaine. Etroitement entrelacés, ils contribuent a l'atmosphere d'angoisse et de révolte qui s'émane de Le troisieme chapitre, consacré a Hal qui est une comparaison entre deux sociétés totalement opposées, la société occidentale et celle des Indiens Emberas du Panama, reprend les themes développés dans les deux premiers chapitres, montrant comment l'angoisse et le manque de satisfaction de l'auteur sont réaffirmés par le contact avec une autre culture. Ce contact cependant offre une alternative a la vision précédente du monde, et certaines des conceptions acquises chez les Indiens Emberas, en particulier celles sur l'art et le langage se retrouvent dans le quatriéme chapitre. Le dernier chapitre est exclusivement consacré a W Mm, le troisieme livre d'essais de Le Clézio, dans lequel un point de vue nouveau est adopté, permettant a l'auteur de concevoir sa condition de facon plus sereine et d'aplanir Ia dichotomie séculaire entre les deux substances précédemment mentionnées. Cette etude est une analyse thématique des essais dont le but est de montrer comment les themes majeurs de l'oeuvre ressortent a différentes périodes, comment certaines préoccupations s'effacent pour laisser place a d'autres sans pour autant que disparaisse totalement le noeud gordien de l'oeuvre Ieclézienne: le problems du destin tragique de l'homme. TABLE DES MATIERES Page Introduction ................................................ 1 Chapitre 1. Le Drame de la condition humaine dans Lanes; ri I ....................................... 9 2. Angoisse et révolte dans L'Extase mate’rielle ............ 44 3. Hal ou le choc d'une culture ........................... 74 4. "L'inconnu sur la terre" .............................. 107 Conclusion ............................................... 144 Bibliographie ............................................. 158 INTRODUCTION L'oeuvre de J.-M. G. Le Clézio qui couvre maintenant plus de vingt cinq ans occupe dans la littérature frangaise contemporaine une place prédominante de par son originalité vis-a-vis des tendances co-existantes et de par la variété des formes d'expression que l'écrivain utilise pour communiquer ses idées. Alors qu'il fut momentanément associé par la critique au groupe des nouveaux romanciers, il est désormais généralement reconnu que son oeuvre se démarque trop de ce mouvement pour pouvoir y étre assimilée. Bien qu'il ait avec certains nouveaux romanciers quelques préoccupations communes (en particulier celles sur le langage), il 59 distingue d'eux par les themes qu'il développe dans ses écrits. Quoique l'oeuvre Ieclézienne soit en majeure partie composée de romans, elle inclut aussi des livres de relation, des recueils de nouvelles, un journal de voyages et trois essais1 'qui sont l'objet de cette étude. 1 J.-M. G. Le Clézio. Wane. (Paris: Gallimard, 1967) ---------- . H31.(Geneve: Editions d'Art Albert Sikra, 1971). .......... , I'mQan“ SHE la tang. (Paris: Gallimard, 1978). 2 L'essal qui est un genre depuis longtemps prisé par les écrivains frangais a connu au vingtieme siecle un développement important grace en particulier a l'assouplissement des conventions formelles et a la grande liberté d‘expression qu'il offre a l'écrivain. ll est incontestable que les recherches individuelles dans d'autres civilisations et la leur d'un Camus, Claudel, Malraux ou Yourcenar, ont eu une influence extraordinaire sur le monde contemporain; grace a la quéte réalisée dans leurs essais, on a vu passer le gout des idées nouvelles du siecle assez restreintes des écrivains contemporaine dans le domaine d'autres civilisations. Le Clézio utilise l'essai qui est par excellence Ie genre qui permet aux romanciers d'exprimer les idées et les principes philosophiques qui sent a la base de leurs romans. Les essais Iecléziens constituent une partie essentielle de l'oeuvre totale dans la mesure ou ils contiennent tous les themes principaux qui sont développés dans les romans et dans les nouvelles. lls permettent a l'écrivain d'extérioriser, dans un langage Ia plupart du temps extrémement lyrique, les questions et les doutes qui le hantent. *Au coeur des essais se trouve la preoccupation principals qui caractérise l'oeuvre jusqu'en 1978, celle du destin tragique de l'homme qui ressent que les liens sacrés avec la nature ont été coupés et qui se trouve en consequence dissocié de la matiere a Iaquelle il ressent profondément qu'il appartient encore, mais qu'il ne peut plus appréhender que difficilement. A cette aliénation de l'homme et du monde vient s'ajouter le 3 dualisme entre le corps et l'esprit qui seront longtemps vus dans l'oeuvre comme deux principes irréductibles. La combinaison de cette alienation et de ce dualisme inspirent a l'écrivain en quéte d'une unité entre ces principes une anxiété intense qui sert de moteur a ses meditations et a sa recherche. *A cette préoccupation vient se greffer une attaque de la civilisation occidentale moderne qui, symbolisée par la ville labyrinthique, contribue au sentiment d'aliénation de l'univers naturel. Cette attaque de la société occidentale n'est pas nouvelle dans la littérature francaise et la comparaison avec d'autres sociétés radicalement différentes ne l'est pas non plus. En sont témoins au vingtieme siecle en particulier Malraux et Camus qui ont cherché dans d'autres civilisations des réponses a leurs questions sur la place de l'homme dans l'univers et sur la signification de son existence. J(Ce qui distingue Le Clézio de ces écrivains est que, contrairement a eux qui ont conduit leurs quétes dans des civilisations reconnues comme prestigieuses, il s'est tourné vers une civilisation dite primitive, dans Iaquelle il a longuement vécu et qui lui a offert des réponses alternatives entierement différentes de celles que sa propre civilisation lui proposait aux questions qu'il se pose. Que Le Clézio ait choisi l'essai pour disserter sur ces préoccupations s'explique de par la nature meme du genre. Le terme "essai" implique plusieurs facteurs importants. Il s'agit d'abord d'une meditation personnelle dont le développement égale en importance le sujet traité. Avec Le Clézio, nous verrons que cela 4 est vrai non seulement a l'intérieur de chacun des trois essais, mais aussi chronologiquement puisqu'un des buts de cette étude est justement de démontrer qu'une évolution importante s'est produite dans la pensée de l'auteur entre 1967 at 1978. Dans LQLLQIILQS W2, Emile Bouvier donne une liste des qualités qui caractérisent l'essai en tant que genre. Des plus importantes il taut noter la subjegbcnivité de l'auteur qui le guide dans sa démonstratioanL'essai Ieclézien reflete non seulement une nouvelle société et presque matériellement parlant un monde nouveau. Il est incontestable qu'un monde nouveau se prépare; Le Clézio se rend compte qu'il est dangereux de découvrir toutes les sources de la civilisation, mais il demeure témoin des splendeurs des peuples primitifs autant que d'une préfiguration du monde a venir. Voila pourquoi les essais Iecléziens ont pour sujet leur auteur, comme ceux de Montaigne. Le Clézio 59 place au centre de ses essais: dans Hal, il admet ouvertement que bien qu'en apparence il traite de deux civilisations différentes il révele davantage sur lui-meme que sur Ie sujet de son essai. Une préoccupation dominante de Le Clézio essayiste est de percer les secrets de la vie par la sensation elle-meme saisie a l'état brut dans l'organe de la perception, au coeur de la ville, de la *nature et du cosmos. Chez Le Clézio, bien que la raison conserve une certaine place puisqu'il tente parfois d'éclairer ses réflexions par des raisonnements controlés, c'est surtout le coeur qui 2 Emile Bouvier. WWW (Parisr Presses Universitaires de France, 1962). 5 l'emporte et qui donne aux essais leur ton général. Le Clézio a tendance a refuser les systemes, préférant donner libre cours a ses réflexions telles qu'elles apparaissent a son esprit. Ceci se reflete clairement dans les nombreuses digressions, les différentes humeurs et le rythme varié des essais qui communiquent au Iecteur les états d'eSprit dans Iesquels se trouve l'écrivain} L'impression générale est celle du monologue intérieur qui accentue la subjectivité extreme des essais. L'attitude de Le Clézio vis-a-vis de son sujet est passionnée, reflétant un engagement total dans ses meditations. ’Ceci est particuliérement évident dans le premier essai. L1Ex1a§a_ma1aualla, qui des trois est le plus difficile a suivre. Ceci tient au fait de la qualité lyrique du style Ieclézien. En donnant proéminence aux sentiments sur les situations qu'il évoque, Le Clézio communique une experience personnelle intense qu'il fait partager a son Iecteur. Un des autres éléments qui contribue au lyrisme est le langage que Le Clézio utilise pour relater ce qu'il ressent. Ce langage passe régulierement du sublime au concret Ie plus frappant, allant jusqu'a Ia Iimite du brutal dans certaines occasions. Ceci est tout particulierement le cas dans L1Ex1asa_ma1§fla_lla.Cette tendance s'atténue déja avec Hal dont le ton général est plus calme, et disparait presque totalement de L'_lnaaunu_s_ur_la_jaLLa qui est des trois le plus serein des essais. Dans l'ensemble, l'instinctif et le physique dominent les textes, relégant la raison au second plan puisque l'impulsion narrative provient des sentiments spontanés de l'auteur plutdt que 6 de ses raisonnements. Jennifer Waelti-Walters note ce lyrisme dans ce commentaire sur LlEx1a§a_ma1aLia|Jaz "The easiest way to get into the book is to allow the lyrico-philosophical language to flow over the first time without making any attempt to understand it and come back and read it again at the end."3 Le lyrisme de Le Clézio se trouve aussi dans la qualité musicale de son éciture qui par moments tient de I'incantation, en particulier lorsqu'il exprime ses sentiments les plus personnels. ll utilise entre autres la juxtaposition qui lui permet d'affiner sa pensée surtout par l'addition d'adjectifs qui ajoutent linéairement a ses descriptions primaires. ll utilise aussi la répétition qui est la particularité qui distingue le mieux son lyrisme. Ces répétitions, qui se trouvent au sein des phrases elles-mémes, mais qui sont aussi espacées dans les paragraphes et méme dans des sections différentes de chacun des essais, donnent au texte sa valeur incantatoire. Chacun des trois essais est lyrique a sa facon, quoique L1Ex1a§a_ma1aLialla at W le soient davantage que Hal, car dans les deux premiers Ie lyrisme se trouve et dans les sentiments exprimés et dans le langage utilise alors que dans Hal le langage est souvent plus prosa‘lque. Bien que W at W aient ce lyrisme quelque peu exacerbé en commun, ils se distinguent nettement l'un de l'autre par le contenu qu'ils expriment. Dans le premier, le lyrisme sert a évoquer l'effroi melé de respect de l'auteur devant la suprémacie écrasante de la 3 Jennifer Waelti-Walters. 7 matiere, alors que dans le second, il contribue a accentuer le sentiment de bonheur ressenti lors des moments d'appartenance a la nature ou plus simplement lors des moments de meditation devant la richesse et la beauté du monde. Chacun des trois essais se distingue donc par son contenu ainsi que par le style utilisé. Les deux premiers chapitres de cette étude seront consacrés a LLExlasLmataLialla qui constitue la premiere étape dans la quéte de Ieclézienne de comprendre la signification de l'existence et la place de l'homme dans l'univers. lDans le premier Chapitre, la plus grande partie de l'étude convergera sur une conception typiquement occidentale de la condition humaine et de la vision du monde selon Iaquelle l'homme est un étre scindé en deux substances irréconciliables, le corps et ll'esprit, et un étre aliéné de la nature. Cette conception est a l'origine du destin tragique de l'homme tel que l'expose Le Clézio qui explique le drame qu'il vit par son alienation de la matlere. Dans le deuxieme Chapitre, les themes principaux de l'essai, l'engagement social, le langage, l'écriture, l'art, Ie regard et les agressions extérieures, seront étudiés dans Ie cadre de cette vision occidentale de la condition humaine, ainsi que la fagon dont ils s'entrelacent pour contribuer a l'atmosphére d'angoisse et de révolte qui existe dans LEW. Le troisiéme Chapitre, consacré a Hal qui est une comparaison entre deux sociétés totalement opposées, Ia ndtre et celle des Indiens Emberas du Panama, reprendra les themes développés dans les deux premiers chapitres en montrant comment l'agoisse et le 8 manque de satisfaction de l'auteur sont réaffirmés par le contact avec une autre culture. Ce contact cependant offre une alternative a la vision précédente du monde, et certaines des conceptions acquises chez les Indiens Emberas, en particulier celles sur l'art et sur le langage, se retrouveront dans le troisieme livre d'essais. Le quatriéme et dernier Chapitre sera exclusivement consacré a W dans lequel un point de vue nouveau est adopté, permettant a l‘auteur de concevoir sa condition de fagon plus sereine et d'aplanir la dichotomie séculaire entre les substances précédemment mentionnées. Dans Ia conclusion nous verrons comment les différents themes traités et l'évolution constatée dans les essais se retrouvent dans les romans et éclairent la comprehension de l'oeuvre en général. CHAPITRE1 Le drame de la condition humaine dans L_Extasa_ma1anafla LlExtaSLmataLlalla est par excellence le livre du drame de la goondition humaine dans le corpus Ieclézien. Dans ce premier Chapitre, nous exposerons d'abord brievement en quol consiste la condition humaine pour l'auteur par un résumé de la nature et des consequences du drame qu'elle lui fait vivre. Ensuite, nous verrons comment le drame de la condition humaine s'inscrit dans une vision purement occidentale de la fagon dont l'homme congoit sa place dans l'univers; nous expliquerons par la suite pourquoi "occidentale" est une qualification nécessaire. Finalement, nous passerons a une étude détaillée des idées exprimées par Le Clézio dans LlExlasa matéLlelLe. Ce livre est un long essai discursif dont Le Clézio résume ainsi le contenu Je voudrais dire ce qu'il. y a de possible drame dans chaque morceau de chair, dans cha ue geste, dans chaque sensation et parole. Le vrai, le seu drame, avec, au centre, pour le dlriger, pour le rendre raide, l'idee de la fatalité._ La fatallte d'etre vuvant, sur terre, sortl du neant, jeté dans Ie chaos brutal et fanathue de l'exustence. _ _ . Vivant, c'est;a-dire drame usque dans le plus faible _des organes, prone et vautour. as un drame en Idées, mais en action. Un vrai drame _profond, poignant, venu a nous pour toulours, notre condition, notre nature, et que nous 10 perpétuerons avec nous.1 Le drame de la condition humaine tel qu'il est ressenti par Le Clézio tient au fait que l'homme occidental, depuis des siecles obsédé par son désir de suprématle sur la matiere et son besoin de disséquer le monde pour pouvoir l'expliquer, en est peu a peu arrivé *3 couper toutes ses racines d'avec son milieu naturel. Devenu incapable d'accorder les rythmes du monde qu'il ressent dans son corps avec les messages qui s'affrontent dans son esprit, l'homme a perdu tout sentiment d'appartenance a la matiere et se trouve jeté #dans le chaos cosmique sans avoir pu trouver autre chose qui donnerait a sa vie une signification qui comblerait Ie vide immense qui l'habite. Ce drame est vécu a deux niveaux: d'abord, il peut étre détecté par l'esprit, analysé et intellectualisé, mais il est aussi intensément ressenti par l'étre biologique et se manifests par des comportements allant parfois jusqu'a la limite du pathologique. ll existe une facon toute particulierement occidentale de concevoir ce qu'est Ia condition humaine, et dont il faut chercher les traces jusque dans I'Antiquité Grecque. La raison pour Iaquelle il est important de préciser "occidentale" est que nous verrons ultérieurement que dans Hal, qui sera par la suite le sujet d'une étude détaillée, Le Clézio consacre une grande partie de son livre a expliquer minutieusement comment dans une culture autre (en 1 J.-M. G. Le Clézio. W. (Paris: Gallimard, 1967), p. 38. 11 l'occurence celle des Indiens Emberas du Panama) une conception radicalement différente de la relation entre l'homme et la nature peut commencer a nous donner une alternative a notre facon de pensen Le Clézio est héritier de la culture occidentale contemporaine dans Iaquelle la conception aristotélienne d'un monde fermé sur lui-meme, univers de choses dont l'homme faisait partie intégrante ayant ainsi sa place déterminée, n'a plus cours depuis longtemps . Avec l'avenement de la science et de la pensée modernes apparait un dualisme entre choses étendues et choses pensantes. A cause de la notion d'espace infini, des découvertes de Galilee et de Giordano Bruno, l'homme occidental, dont la pensée est devenue résolument scientifique, doit apprendre a vivre avec le fait qu'il est tout simplement insignifiant dans l'immensité de la matiere. Au début de l'ere moderne, c'est sans aucun doute Pascal qui a le mieux exprimé Ia terreur métaphysique que ces découvertes peuvent engendrer. Et c'est lui aussi qui a, un des premiers, articulé le dualisme qui est a l'origine des angoisses de Le Clézio. A cause de nombreuses références indirectes et allusions a Pascal dans L1Extaaa__rna1afialla, c'est vers lui que nous allons nous tourner pour voir comment ce dualisme fut exprime par Pascal. Parlant de la disproportion de l'homme, Pascal écrivait: "Et ce qui acheve notre impuissance a connaitre les choses est qu'elles sont simples et que nous sommes composés de deux natures opposées et de divers genres, d'ame et de corps."2 Les deux 2 Pascal, W, (Paris: Seuil, 1963), p. 527. 12 entités sont nettement mises en opposition et il en découle logiquement pour Pascal que ". . . si nous [sommes] simples matériels nous ne pouvons rien du tout connaitre, et si nous sommes composes d'esprit et de matiere nous ne pouvons connaltre parfaitement les choses simples spirituelles ou corporelles."3 La dichotomie est maintenant consommée et il ne reste plus a Pascal que de conclure Qui croirait a nous vo’ir com ‘oser toutes choses d'esprit et de corpsque ce melange-a_nous serait bien comprehensnb e. _ C'est néanmoms la chose qu'on com_rend le moms; l'homme est a. IUI-meme Ie plus _ pro Igieux obJet de la nature, car_ II ne peut concevou ce que c'est que corps et encore moms ce que c'est qu'espnt, etmoms qu'aucu_ne chose comment un corps peut etre uni avec un esprit. C'est la la gamble de ses difficultes et cependant_c‘est son propre .etre: moqus quo corporlbus adherent spmtus comprehend: ab homme non protest, at hoc tamen homo est.4 L'impasse que Pascal atteint par cette conclusion il ne pourra Ia résoudre qu'en ayant recours a une entité supérleure, Dieu, ou a sa supériorité d'étre pensant, comme il l'explique: ". . .quand l'univers l'écraserait l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien."5 Ainsi, avec Pascal, les deux oppositions entre corps et esprit (ou ame), et celle entre homme et nature contribuent a installer 3 Pascal, op. cit., p. 527. 4 Pascal, op. cit., p. 528. 5 Pascal. op. cit., p. 528. 13 dans la pensée occidentale une des tendances qui va aider a former toute une école de pensée et une vision particuliere de la condition humaine: le dualisme. Et, nous dit G.B. Madison, le résultat de ce dualisme, c'est l'aliénation: l'aliénation du sujet de l'objet, du psychique du corporel, l'aliénation donc de l'homme de la nature et de sa propre nature. Une conscience aliénée d'elle- meme est une_ conscience scindée a l'intérieur, et une telle conscience, nous Ie savons depuis Hegel, est une conscience mtheureuse. 6 Non seulement l'homme a-t—il perdu son unité intérieure, mais adl s'est aussi dissocié de la nature. A nouveau, i| faut noter qu'il existe une conception purement occidentale de la nature par Iaquelle Ia nature a été, est et sera, avant tout, un objet inerte a utiliser pour des fins personnelles. L'homme Ia pergoit bien souvent comme une masse inerte et indifférente dont il ignore la plupart du temps Ia structure originelle; objet a manipuler et non aentité vivante, ses rythmes ne sont plus en harmonie avec ceux de l'homme. Le progres du monde industriel a exercé et continue a exercer une influence néfaste sur la vie spirituelle de l'homme qui a perdu la faculté de comprendre quelle est sa place dans l'univers, ce qui le lie a l'éternité, quel est Ie sens de la vie. Ayant perdu contact avec le sens de l'éternité qu'il ne peut trouver que dans la a"nature, l'homme occidental continue sa quéte a la recherche de l'absolu, et pour certains, de l'étre éternel. Cette attitude bien qu'ayant été largement contestée et 6 G. B. Madison, "Du corps a la chair: Maurice Merleau-Ponty," AnalagtLHussaLllana, ed. Anna-Teresa Tymieniecka (Dordrecht: D. Reidel Publishing Company, 1986), XXl, 168. 14 rejetée aux dix-huitieme et au dix-neuvieme siecles a continué jusqu'au vingtiéme siecle a influencer certains penseurs. Au vingtieme siecle, grace entre autres a la phénoménologie, une reconciliation entre ces differences apparait clairement formulée par des phénoménologues tels que Husserl qui s'attacha a dénoncer cette attitude at a démontrer comment l'origine du dualisme dans sa forme moderne coincide avec la montée de la science moderne et sa facon de concevoir la nature comme un monde de simple corps fermé sur lui-meme. La consequence de cette conception du monde est, pour ainsi dire, de scinder le monde en deux mondes: Ia nature physique et la nature psychique] A partir de ces prémisses, continuant sur la lancée de Husserl, mais en divergeant considérablement de la pensée husserlienne, Merleau-Ponty entreprit de découvrir une nouvelle fagon de concevoir l'individu, non pas comme un étre scindé en deux et aliéné du monde, mais, bien au contraire, comme un étre unifié dans le monde, offrant ainsi une alternative viable dans la pensée occidentale. En complete opposition a Pascal, il rejette l'idée de l'existence de deux entités séparées de genres divers, expliquant que Ie rapport entre les deux est un rapport d'ordre dialectique. L'une ne peut exister sans l'autre puisque, d'une part, l'ame a besoin du corps pour exister, et, d'autre part, le corps est caractérisé comme humain de par Ie fait qu'il possede une ame: "Il ne s'agit pas de deux ordres de fait extérieurs l'un a l'autre, mais de deux types 7 Madison, op. cit., p. 169. 15 de rapports dont le second integre le premier."8 Cette explication est d'autant plus adéquate que Msrleau-Ponty montre parfaitement les relations réciproques qui existent entre les deux. L'homme n'est donc pas un étre scindé, mais un étre compose dedeux “substances" qui n'ont de réalité que dans la mesure ou elles existent ensemble. Plus tard, dans LLBhehemenelmlea pamapjjau, il affirme qu' ”. . .il n'y a pas d'homme intérieur, l'homme est au monde et c'est dans le monde qu'il se connait.”9 C'est dans ce contexts d'aliénation que Le Clézio—réfléchit a la signification de sa condition dans LlExlaaa_ma1aLialla, tel qu'il se trouve confronts a ces deux questions qui restent cruciales dans la pensée occidentale: comment un étre compose de deux substances aussi différentes qu'un corps et une ame psut—il conserver son unite? TEt, quelle est sa place dans l'univers? Essai discursif, divisé en trois parties, le livre refléte le rythme de la vie. Dans la premiere partie, intitulée "L'Extase matérielle", l'auteur évoque le monde d'avant sa naissance et les circonstances qui lui ont permis d'etre. Dans la deuxieme partie, "L'lnfiniment moyen", il examine la nature et le fonctionnsment de la conscience et du regard, du langage, de l'écriture, de son role d'écrivain, de l'engagement social et humain; il fait aussi quelques digressions pour décrire une mouche ou une araignée, un paysage ou un soleil couchant. Dans la 8 Maurice Merleau-Ponty, L r (Paris: Presses Universitaires de France, 1942), p. 195. 9 Maurice Merleau-Ponty, pamapllau, (Paris: Gallimard, 1945), p. v. 16 troisieme et dernisre partie, "Le Silence", il parle du monde d'aprss sa mort et fait en quelque sorte le point alors qu'il arrive au bout de sa recherche. Comme les romans et les nouvelles qui ont précédé et suivent LLEx1a§a_ma1arla|la,ce livre est avant tout un voyage que l'auteur entreprend dans Ie but de parvenir a une meilleure connaissance de lui-meme et de sa situation dans l'univers, un peu a l'instar des philosophes orientaux. Pour comprendre d'ou il vient et quelle est la signification de son existence, Le Clézio remonte aussi loin dans le temps qu'il lui est possible de le faire, "quand je n'appartenais a rien de ce qui existe, quand je n'étais pas meme concu ni concevable . . ."10 dit-ll, a une époque si lointaine qu'il avait encore le potentiel de devenir n'importe quoi, male ou femelle, animal ou végétal. Et commengant une longue série de contradictions qui définissent sa condition, il élabore sur ce temps, "Quand je n'étais pas meme rien, puisque je n'étais pas la négation de quelque chose, ni meme une absence, ni meme une imagination."11 L'utilisation de contradictions est constants chez Le Clézio, principalement parce que le langage limite par trop ce qu'il tente d'exprimer et aussi parce qu' il ne peut se définir qu'en fonction de deux poles opposes qui s'unissent (parfois) pour former un tout coherent. Des le début il donne le ton de ce qui va suivre lorsqu'il 10 Le Clézio, op. cit., p.11. 11 Le Clézio, op. cit., p. 11 17 demands a quel moment is drame s'est engage pour lui. ll faut commencer par determiner en quoi consiste ce drame. En examinant la matiere autour de lui, en retournant a une ere or] ii n'était pas encore, ll se rend compte que cette matiere se suffisait a elle-meme: ”Et dans l'enchevétrement extraordinairement précis, dans touts l'harmonie générale, dans touts cette matiere qui était la alors que je n'y étais pas, tout était suffisant."12 Dans l'harmonie générale de la matiere ou tout répond a certains rythmes et a certaines lois, il était inutile et superflu, d'ou premier drame. L'affirmation de la puissance et de la coherence de la matiere est Ie fil conducteur de cette premiere partie. Elle se volt particulierement dans l'évocation des rythmes cycliques de la nature et dans la force de l'organisation de la matiere ou chaque chose a sa place et son ordre prédéterminé. Avec une minutie quasiment scientifique, Le Clézio décrit ce monde d'atomes et de particules du commencement du monde, d'abord en état de formation, puis en état constant de transformation, sans origins ni fin que ce soit au niveau spatial ou au niveau temporel puisque tout ce qui est est cycliquement. || répond ainsi aux deux questions cruciales qu'il avait précédemment posées: "Pourquoi l'origine? Pourquoi la fin?"13 Ni l'une ni l'autre n'sxiste dans le monde de la matiere ou tout se régénere psrpétuellement. Cette force de régénération est le mieux représentée par des images récurrentes 12 Le Clézio, op. cit., p. 12. 13 Le Clézio, op. cit., p. 15. de parturition Ljacte de la création ne s'arrete jamals. ll s'effectue alnSI, contInueIlement dans la matIere durs qUI s'acharns. Les cycles, les saIsons, les Slecles ou les. eres, c_ela.n'a plus de sens. ll g a le centre du feu qUI flambOIe, H y a Icette cel|_ule-m re qUI ne .cesse de se _dIVIser, de se repandre, _Il y a cette matrIce . Immensément chaude qUI ne s'arrete pas de travaIller dans le monde.14 Non seulement l'univers est-ll constamment, mais il est aussi parfaitement puisque chaque chose est a la fois inalienable et aussi partie intégrante d'un tout dont elle ne peut en aucune maniere étre dissociée. Ce qui était avant lui est encore maintenant, mais comme sa naissance approche, l'univers devient de plus en plus menagant; ce monde de perfection matérielle apparait comme un monde-colosse terrifiant et qui écrase l'homme. Bien qu'issu de cette matiere qui compose son corps et son esprit, il se sent en perdition: "Je suis sur cet océan glauque comme un ilot qui va s'effondrer."15 Apres ces premieres descriptions de la perfection et de l'inaliénabililité du monde, le ton change de plus en plus rapidement, et les évocations poétiques de la matiere sont remplacées par un univers de bruits, de mouvements st d'odeurs qui rappellent étrangement le monde moderne et qui le harcelent et le terrifient. Pris dans le cycle de la matiere l'homme ne peut plus etre simplement spectateur; a partir du moment 00 il est, l'homme 14 Le Clézio, op. cit., p. 24. 15 Le Clézio, op. cit., p. 19. 19 est condamné a la participation. Cs monde est dominé par deux forces majeures, complémentaires et qui lui permettent ds ss situer dans le cosmos: d'une part, il y a le soleil, et d'autre part, les ténebres. Le soleil est bien entendu symbols de vie, géniteur de touts chose et moteur de la connaissance; il est ce qui permet a l'écrivain de "passer de l'inconnu au connu, du vide au plein, ds l'impossible au possible."16 Mais il est aussi destructsur puisqu'il est Is feu, puisqu'il smbrase Is monde; d'autre part, étant générateur de vie, il est automatiquement générateur de mort. Mais, la plus grands cruauté du soleil tient surtout dans le fait qu'a la lumisrs du grand jour, l'angoisse qui existe pendant la nuit est décuplés car il est alors impossible a l'homme de se cacher la cruauté du résl. Face aux forces du soleil il y a celles ds la nuit qui apaissnt le tumulte guerrier engendré par la soleil et qui donnent a l'écrivain conscience du vide qui l'entoure. Les images do feu et de Dt‘OIUl’eS cedent Ia place a des images de tenebres, de gel st de néant. Ce vide est la seule vérité que l'homme puisse connaitrs et qui lui indiqus sxactement quelle est sa situation: "Cs gouffrs noir st sacré est la seule réalité. On ne peut pas l'oublisr, on ne peut pas le nier. Quoi qu'on fasse, on ne peut que surgir de lui, vivre en lui, st retourner en lui. On ne le quitte pas."17 Rsconnaitrs et accepter l'existence de cet immense vide est le seul moyen ds comprendre la 16 Le Clézio, op. cit., p. 25. 17 Le Clézio, op. cit., p. 30. 20 veritable condition de l'homme dont Ie voyage msne d'un néant a un autre. Le chemin de cette connaissance passe par le corps qui lui seul, objet naturel, peut encore ressentir les rythmes de l'univers; s'expliquant sur ce point Le Clézio dit Je n'ai pas quitte son [la matisre] rsgns. ll y a au fond de ma, comme une ame qUI n'auralt pas encore vu le jour. Par les mots qUI ns_ sont pas prononces, par les gsstes que 1e n'a pas faIts,.par tout ce_qUI m'est stranger, tout ce qUI m'est Im OSSIbIs, je suIs encore gIsant au fond de l'océan sans orme. L. .] J'aI, au fond de um, comme un autre regard qUI ne you man, un strange et tendre lien qUI me he au vide anCIsn. .J'al en m0I, dans la réalIté de ma _chair Vivants, le _SIgne ds cette creatIon qUI se poursmt sans in], st uI puIse dans ls trouble pour fairs jaIIIll' ls claIr st 'IllumIné.18 En tant que corps, il est donc uni a la matisre st en harmonis avec elle, suivant ses lois de transformation, répondant aux memes rythmes. Mais il est aussi esprit et connait donc cette evidence que l'homme n'est qu'un soubresaut dans le temps et dans l'espacs. Seulemsnt par la contemplation des espaces infinis et éternels, ds Ia puissance de la matiere, l'homme peut—il comprendre son infinis petitesse. Seulemsnt en se sachant mortsl l'homme peut-il connaitre la joie. Sur un dernier paradoxs Le Clézio acheve son voyage depuis Ie début dss temps jusqu'a sa naissance: _Et_plus encore, il fallait, _puisée dans ls marécags sans IImItes de ce u'on n'avaIt, pas connu, Ia jOle de cette presence abso us pour tolerer que résonne dans le corps ce coup de coeur, ce premier coup fatal qui, en langant dans la VIe, lancaIt aUSSI dans la mort. [. . .] Celle qUI m'a 18 Le Clsezio, op. cit., p. 22. 21 mis au monde, aussi m'a tué.19 Cette premiere partie est a la fois une celebration ds l'inénarrabls beauté et de la perfection du monds naturel ou le moindre atoms se trouve sxactement a sa place at accomplit la téche qui lui est impartie, ou le temps st l'espace n'sxistent pas véritablement puisque tout est en constants regeneration et transformation. Mais elle est aussi un constat d'échec pour l'écrivain qui en premier lieu ne parvient pas a se sentir intégré a cette immense masse matérielle dont il est pourtant issu et qui se sait, de plus, condamné a une mort qui a cs stade parait finale. Dans la partie centrale de W, Le Clézio parle de sa situation et de sa condition telles qu'il les vit présentement, et nous ramene ainsi une fois de plus a Pascal, "Pour essaysr de dire cela, je vais dire: entre l'infinimsnt grand et l'infiniment petit, il y a L'lNFINIMENT MOYEN."20, explique-t-il. Cette partie, 'L'lnfiniment moyen", est divisée en neuf parties dont nous pouvons supposer que la premiere porte ce meme titre. Chaque partie forme un tout plus ou moins cohérent, mais les digressions sont nombreuses, donc par souci de clarté j'abordsrai son contenu par themes pour essaysr d'éviter les chevauchements inutiles. Le premier theme traité sera celui qui me parait étre ls plus important dans l'oeuvre Ieclézienne et qui, en fait, inclut tous les autres, mais qui a été défini comme étant le noyau du livre dans la 19 Le Clézio, op. cit., p. 31. 20 Le Clézio, op. cit., p. 150. 22 premiere partie de ce Chapitre, a savoir le theme de la condition humaine. Comme pour "I'Extase matérielle", 'L'lnfinimsnt moyen" contient une évolution intérieure bien plus qu'il no la paralt aux premieres lectures st ceci en dépit des va-et-vient ds Le Clézio. ll commence cette deuxisme partie en affirmant sa nature humaine, entendant par la qu'il a recu en héritage un patrimoine culturel strictement humain et particulieremsnt occidental, un conditionnemsnt ds Ia meme espece, st qu'il rsmplit son role d'humain en passant a son tour cet heritage a ceux ds sa race. Dans cet heritage humain, Ia part la plus importante revisnt a la souffrance; "Etre né", dit-ll, "c'est étre plongé dans un univers étroit, ou les influences sont sans nombre, ou chaque detail, chaque seconds qui passe sont importants, laissent leurs traces. C'est donc souffrir."21 Ceci est la premiere realisation de l'homme lucide: se sachant issu ds la matiére immense, il est tout a coup immergé dans un monde ou l'homme est condamné au malheur, soit a cause des pressions exercéss sur lui par son snvironnsmsnt social, soit a cause de son incapacité a trouver son unité. La vie n'est qu'une Iutte cruelle, mais cette cruauté ne doit surtout pas donner a l'homme un prétsxts pour se réfugier dans une attitude de refus. Bien au contraire, pour vivre pleinement sa condition, il doit explorer ce qui constitue son drame sous toutes ses facettes at par tous les moyens qui sent a sa disposition pour uns meilleure comprehension de lui-meme et des autres. 21 Le Clézio, op. cit., p. 37. 23 Le dualisme entre le corps st l'esprit est un lsitmotiv qui revisnt souvent dans différente contextes et qui est, en general, uns source de douleur st d'angoisse. Le Clézio traits du corps et de l'esprit en les comparant suivant Ia valeur que chacun d'eux posssde. Le corps est principalement décrit en termes physiologiques; les details, d'ordre microscopiqus, abondent, montrant tour a tour, la richesse, la magie de ses mécanismes st sa force, ou au contraire sa vulnérabilité puisqu'il est sujet aux maladies, a la déchéance et finalemsnt a la pourriture. ll n'est pas rare de trouver les deux points de vus dans uns meme phrase ou un meme paragraphs, illustrant la technique Ieclézienne habituelle dss oppositions formant un tout. Le corps est aussi, la plupart du temps vu dans uns dialectiqus de supériorité st d'infériorité avec l'esprit. Les tensions qui existent entre les deux sont permanentes et plongsnt alternativemsnt l'écrivain dans l'émsrveillement (devant ls corps) ou dans l'effroi (devant Ia dichotomie entre les deux) La premiere grande contradiction qu'il sxploite est celle qui existe entre la force de son corps st Ia faiblesse de son esprit: il accentue la fragilité de son corps face aux organismes microscopiques qui l'attaquent en décrivant dss symptomes de maladie. Mais, en meme temps, i| sent en lui une force de survie qui lui fait se demander: "Comment mon corps, cs corps qui est a moi, qui appartient ou qui est le maitre de cet esprit pas particulierement attaché a la vie, a-t-il la force, ls courage 24 d'exister? OI‘I trouve-t-il donc la foi pour se battre?”22 A cs moment, il n'est pas encore clair, lequel dss deux, du corps ou ds l'esprit sustents l'autre, mais il n'y a aucun doute que, d'un certain point de vue au moins, le corps est nettement supérieur a l'esprit dans sa rage de vivre puisqu'il ajoute que si notre corps était aussi lache que notre esprit, il ne résisterait pas bien longtemps aux attaques de toutes sortes auxquelles il est soumis. Ceci s'explique par le fait que la chair, contrairement a l'esprit, suit encore dss lois entierement naturelles et sait ss défendre pour assurer sa survie. Le corps est sa seule certitude, la force supreme car étant issu de la matiere, il répond a ses lois. En comparaison, l'esprit est vu comme uns entité en complete dissociation d'avec Ie corps car il est source de doute, ce qui oblige l'homme a admettrs la réalité de la fragilité ds son corps et qui lui donne la connaissance de sa mort. Arms a double tranchant, cette connaissance est ce qui donne a l'homme sa grandeur, ce par quoi il sait qu'il vit. Le Clézio adopts parfois une attitude tres proche'de l'attituds zen lorsqu'il aborde 19 problems de la vie et de la mort; la grandeur et l'espoir qui gisent dans sa condition provisnnent ds cs qu'il peut trouver uns réponse dans le principe philosophiqus du yin et du yang. Tout est contradiction st complémentarité, "vie et néant, vide et plein s'équilibrent continfiment, sont l'un dans l'autre, mélés indistinctement, [. . .] . Ces contradictions apparentes se résolvent 22 Le Clézio, op. cit., pp. 46-47. 25 d'elles-memes au-dela des mots."23 Ce genre de recours, bien qu'il soit une étape vers une connaissance plus grands de sa condition, ne lui donne cependant qu'un répit momentané. Le doute subsiste et apparait sous la forms d'une autre opposition, celle qui existe entre le coeur et la raison, qui correspondent plus au moins au corps et a l'esprit, créant en lui le meme dilemne st la meme dissociation qu'auparavant. C'est dans la dernisre section de la premiere partie de 'L'lnfinimsnt moyen" que Le Clézio exprime le plus clairement ses contradictions, ses doutes et ses espoirs. Moi, men coeur _va vers la_forme, et. ma raison vers la dIverSIté. SI j'al des sentiments, Sl J'éprouve'des désIrs, c'est envers ce qun est bal.ancé,_ryth.mlque, _ déflnl.. Les cadres'et'les géométnes m'InspIrent.. Mais ma raIson, ma IucIdIts, c'est de savmr ls fourmIllement, l'embrouIllamInI, I'InextrIcabIe jungle de la we, dont nous sommes.24 Non seulement expose-t—il les oppositions entre le coeur et l'esprit, mais il parvient, par le choix dss mots, leur Iongusur, leur tonalité et leur rythme, a créer une musique qui fait parfaitement résonner dans ls Iecteur son état d'esprit. l| est pris entre ces deux forces qui sont irréconciliables puisque l'une le fait tendre vers le calme et la beauté, et l'autre vers la confusion. Ces deux tendances le déchirent puisque, schizophrene, l'homme est attiré a la fois par les deux, mais ne peut appartenir aux deux en meme 23 Le Clézio, op. cit., p. 50. 24 Le Clézio, op. cit., p. 59. 26 temps. Conscient comme il l'est dans l'utilisation du langage de l'absolue cohesion du fond et de la forme, de leur indissociabilité totals, i| tente d'effectuer un rapprochement entre le coeur et la raison: "Pourtant, en vérité, ces deux états st ces deux compréhensions du monde ne sont peut-étre pas opposés.”25 Comment croire qu'il est véritablement convaincu par son raisonnement lorsqu’il utilise dans la meme phrase "en vérité” st ”peut-étre" qui s'annulsnt mutuellement, ainsi que "état" et "comprehension" qui appartiennent a deux spheres différentes de l'humain? Son désir de s'ancrer dans la matiere rests irrésolu. En consequence, il tente un nouveau détour, spéculant sur la nature de son intelligence. "Sachant tout et ne connaissant rien, inégale et monotone, mssurée st effervescente, l'intelligencs de l'homme se mesure a son existence. Et cette existence, quelles que soisnt les formes qu'elle adopts, quels que soisnt ses visages, ses manierss, est en unité avec la matiere."26 L'équation parait tout a fait solids st meme convaincante, et puisque l'intelligencs de l'homme se mesure a son existence et que cette existence est en unité avec la matiere, alors la dichotomie, le dualisme entre matiere st esprit disparalt. L'homme est enfin unifié et ancré dans la solidité du monde materiel, mais une restriction s'impose immédiatement puisque cette affirmation ne peut etre possible que dans la cadre d'une dialectiqus. ll ne peut se leurrer lui-meme par une 25 Le Clézio, op. cit., p. 59. 26 Le Clézio, op. cit., p. 60. 27 soit-disant conviction qu'il a échaffaudée grace a l'instrument de son intelligence. Le doute persists et ne pourra disparaitre par uns simple manipulation du langage. Cs qu'il lui faut, c'est un moment d'illumination qu'il attend et qui lui révelera Ia clé du mystere. Cette révélation qu'il attend si intensément, il en dsvine parfois Ia nature. I| s'agit d'une force de vie, la force irrepressible dont il ressent Ia nature exacts en lui, mais qu'il ne parvient jamais a saisir; la raison pour laquelle il la désire tant est qu'elle lui permettrait enfin de résoudre toutes ses angoisses et de répondre a toutes ses questions. Que Le Clézio utilise le mot "révélation" est d'autant plus intéressant que ce met a généralement une connotation religieuse ou en tout cas mystique. Mais deux choses doivent étre prises en consideration: d'abord, Le Clézio ne cherche pas de réponse ou de réconfort dans l'existence d'un dieu; bien au contraire, il rejette fermement l'idée de toute religion. Bien qu'il ne fasse que tres rarement allusion a Dieu ou a la religion dans LlExlasa_ma1aLiaJJa (et quasiment jamais dans les romans), deux passages en particulier méritent quelque attention a cause de l'impression extrémement vivacs qu'ils laissent au Iecteur. Dans le premier passage, aux accents tres ducassiens, Le Clézio s'adresse directement a Dieu, l'appelant tour a tour demon, seigneur st maudit seigneur. La violence de ce passage est directement proportionnelle a la douleur infligée par ce dieu démoniaque qui, ayant fait de l'homme un symbols, l'a separé du rests de la creation, condamné au doute et déchu de sa liberté. 28 Comme la divinité que l'on trouve dans La§_C_hants_da_Mald_Q[9L celle qui est invoquée ici jouit de la torture qu'elle inflige a l'homme; l'ayant damné, Dieu Ie laisse abandonné en proie a des souffrances horribles symbolisées par un "panaris lacinant qui ne guérira jamais.”27 Dans le deuxieme passage, c'est par une dénonciation des systemes de pensée que Le Clézio s'en prend, non plus tant a Dieu cette fois, mais au concept de religion lui-meme, et qu'il appelle ”les transcendances nées du désespoir.”28 Pour expliquer l'existence de ces transcendances, Le Clézio revisnt aux deux dualismes mentionnés; puisque l'esprit est considéré comme une entité autonome et non pas une forme de la vie, l'homme a imaginé les religions pour vaincre son alienation. Mais sans succes cependant; en effet, il considers que les religions sont de nature fondamentalement terrorists étant donné qu'elles sont basées sur la terreur qu'elles inspirent a l'homme par leurs msnaces de malédiction et de tortures infernales. La cruauté de la religion chrétienne est qu'elle est parvenue a créer le concept d'un enfer, donc, automatiquement, l'homme ne peut penser au paradis sans penser d'abord a l'enfer. La deuxisme objection a la religion chrétienne est qu'elle a définitivement mis la mort dans un domains hors de celui de la matiere, refusant ainsi a l'homme l'acces au monde autant dans cette vie sur terre que dans l'au-dela. La troisisme et derniere objection est que la religion, ayant rsfusé 27 Le Clézio, op. cit., p. 110. 28 Le Clézio, op. cit., p. 191. 29 a l’homme l'acces a la matiere, a par la meme engendré le concept d'esprit, or, ces esprits ne paraissent jamais pendant le jour, ils ne visnnent hanter Ia terre que pendant la nuit. Ceci nous ramene a concevoir le Maitre de la meme fagon que précédemment, avec un visage qui est "celui de la haine et de l'angoisse”29 ll n'y a pas de consolation ni ds redemption possible a travers la religion dans W. En plus, il ne faut pas oublier qu'il utilise souvent les mots dans leur sens le plus profond st ls plus originel. Avant d'etre de nature religieuse, une révélation est surtout une découverte, un dévoilement. Le mot prendra touts sa signification ultérieurement lorsqu'il pronera, comme chemin vers la connaissance, dénuement et retour a l'étre originel. Seule cette revelation qu'il attend lui fera vivre la joie ineffable "faite de tant de douleurs et de plaisir réunis, qui montera solide et inébranlable, qui [ls] jettera vers le plus haut et [l'] offrira eternellemsnt a [lull -méms."30 Comme beaucoup d'écrivalns du vingtieme siecle, Ls Clézio refuse le secours de la religion qui , au mieux n'est qu'un pis-aller st au pire n'inspire que terreur a celui qui n'oss y croire. Au moyen de tatonnements successifs, sa route se poursuit jusqu'a ce qu'il attelgne presque le moment de la révélation. Alors qu'il se sent glisser vers un autre monde, a deux doigts de connaitre enfin le mystere, tout a coup, l'intuition qu'il sentait poindre dans 29 Le Clézio, op. cit., p. 192. 30 Le Clézio, op. cit., p. 60. 30 sa pensée lui échappe st avec elle toute possibilité de parvenir a l'ineffable. A la place, i| ne rests plus devant lui qu'un gouffrs béant qui est lentement comblé par l'opacité quotidienne. ll lui arrive de vivre quelquefois un veritable moment de revelation. Occupé a uns action tout a fait quotidienne, il est saisi tout a coup par une intuition, mais pas de la nature de celle qu'il espérait précédemment. "Parfois," dit-il, "presque sans raison, comme ca, tout soudain, je suis pris par l'idée du néant. Cela vient brutalement sans prévenir, et me rsmplit entierement, m'offrant son absolu sans joie."31 N'importe quel événement mineur (il en donne plusieurs exemples) peut étre a l'origine de cette révélation (en l'occurence, une musique d'accordéon); les effets qu'elle produit sur lui sont dévastateurs et l'affectent aussi bien dans son corps que dans son esprit. II essais de rendre par les mots cs qu'il ressent a ces moments-la: il accumule les adjectifs comme s'il ne pouvait pas vraiment mettre sxactement un qualificatif sur cette emotion qu'il ressent, mais l'effet ressenti est celui d'un malaise physique st d'une surprise intense pouvant aller jusqu'a des symptomes ressemblant fort a ceux de la paralysis. La terrible vérité dont il est désormais conscient est que cette revelation le laisse maintenant encore plus désemparé qu'auparavant puisqu'il vient de faire Ia connaissance du néant. C'est autant Ia soudaineté de cette revelation que la realisation qu'il a momentanément vécu dans le vide, en dehors de la réalité humaine, qui ls terrasssnt. Reminiscent de la fameuse pensée de Pascal, "Ls silence éternel 31 Le Clézio, op. cit., p. 80. 31 dss espaces infinis m‘sffraie", il lui fait echo en disant, "Ces mysteres infinis, ces questions sans réponse, cs froid, cette immensité, je les hais."32, mais il accepts que tells soit sa nature d'homme vivant. ll touche ici véritablement au coeur du problems, rappelant Is Camus de Nacaa, car, en tant qu'étre pensant, ce n'est pas tant le vide qu'il hait mais Ia terrible blessure que la connaissance du néant inflige a son orgueil d'homme. L'homme qui pense a depuis toujours tenté de combler cs néant grace aux possibilités de son imagination, mais apres avoir subi une tells revelation, il n'est meme plus possible d'avolr recours aux illusions habituelles. La certitude soudains que Ie néant existe n'est possible que dans la mesure 00 il est un étre pensant, c'est-a-dire, un etre qui ne peut pas oublier, et un étre qui est plongé dans le tourbillon cosmique de la matiere et qui n'a plus aucun contact véridique avec les choses étendues puisque sa pensée l'a séparé de la nature. De cela il est fort conscient; il conclut ainsi: "C'est l'évidence de ce que je suis, de cs que sont les rapports pénibles ds mon esprit avec la matiere."33 Si la contemplation de l'immensité de la matisre est pour Le Clézio une source d'angoisse métaphysiqus qui lui donne a mesurer son infinis petitesse et Ie gouffrs de néant qui lui fait face, la contemplation d'etres microscopiques n'est guere plus rassurants. 32 Le Clézio, op. cit., p. 82. 33 Le Clézio, op. cit., p. 84. 32 Le Clézio a une fascination pour les insectes et les choses microscopiques (comme Pascal pour le ciron) qui lui donnent souvent a réfléchir sur lui-meme. Dans "L'lnfiniment moyen", c'est en particulier une fourmi noire qui l'amene a mesurer sa condition d'homme a celle d'une autre creature vivante, 6 combien plus fragile que l'homme en apparence. Mais elle, elle continue obstinément a accomplir sa tache, instinctivement, allant sans Ie savoir vsrs sa mort, rappelant a l'homme l'ampleur de son malheur. Cette malédiction qui plans sur l'homme est due a une trahison de son esprit: en effet, alors que son corps, comme celui de la fourmi, continue a se battre pour assurer sa survie par tous les moyens, son esprit lui est vaincu par la moindre adversité a cause de ses propres mécanismes. La fatalité d'etre vaincu, inhérente a son esprit, tient au fait que, comme le langage, il revisnt toujours sur lui-meme, étant incapable d'aller de l'infini a l'infini. Comme ls corps, l'esprit continue a lutter: "ll me semble qu'il va, ainsi, ds combat intérieur en combat intérieur, qu'il ne s'éleve que pour mieux retomber, qu'il s'use, qu'il périclite st qu'il meurt selon le meme mouvement que son corps."34 L'homme est donc doublement condamné puisque son corps et son esprit s'agitent dans une course vaine dont l'issue est la mort. Q/ww} Pour sortir de son impasse, la quéte Ieclézienne nécessite la resolution de deux conflits majeurs, celui du dualisme corps/esprit, et celui de l'aliénation d'avec Ia nature. Les deux conflits étant intimement liés, ils seront traités conjointement. 34 Le Clézio, op. cit., p. 162. 33 La dialectiqus Ieclézienne repose sur la contradiction, faisant ainsi miroir a sa vision du monde. Le Clézio est fort conscient qu'il ne pourra progresser a moins qu'il n'abandonne cette fagon de concevoir les choses. L’étape suivante de sa recherche devra donc passer par un renoncement a la contradiction, dont il se rend compte lui-meme qu'elle n'a sans doute aucun lieu d'etre. En effet, il n'y a qu'une seule forme de vie, composée de forces différentes qui agisssnt sur nous de facons diverses. Donc, au lieu de s'arréter a ces manifestations variées et contradictoires, il faut plutet chercher a trouver cette force unique. Une experience pluraliste du monde ne doit pas pour autant exclurs une vision holistique de ce méme monde. Nous avons précédemment cité Merleau-Ponty qui grace a ses recherches en phénoménologie avait tenté de redonner a l'homme son unite en Ie replagant en meme temps au sein de son milieu naturel. A sa maniere, Le Clézio fait preuve d'une recherche phénoménologique par Iaquelle il peut retrouver l'expérience d'un corps unifié dans la matiere, mais, n'étant pas philosophe, sa démarche est peu systématiqus, et souvent trss émotionnelle. Sa recherche avoués est de "Chercher au-dela dss mots, au-dela de l'intelligencs. Chercher avec tous les sens grands ouverts, et avec les autres moyens inconnus, la vois de la communication avec la matiere."35 Cette communication, ou plutot communion, il l'avait vécue intensément auparavant, sous la forme d'une fusion entre son corps et la nature, entre son esprit (ou son ame) et la matiere. La 35 Le Clézio, op. cit., p. 187. 34 premiere experience de ce genre relates par Le Clézio remonte au Emaammal quand Adam Pollo subit uns métamorphoss et se sent devenir un avec le monde végétal et avec Ie monde mineral. Cs désir, qui transparait souvent dans les romans et les nouvelles, est le mieux exprime dans W et merits une retranscription totals. Les paysages sont vraiment beaux. Je ne m'en _ rassasleraI HamaIs. Je les regards, commeca, Ie matIn, a mIdI, ou e soir, parfois méme la nuit, et je sens mon corps m'échapper, se confondre. Mon ame nags dans la IOIe, vaste, immense, dans la joie étendue de plaIne jaune bordée de montagnes, arbres, ruisssaux, lIts de cailloux, arbustes effilochés, trous, ombres, nuages, air dansant gonflé de chaleur. Plenitude ou vide total, je ne sais pas, qu'importe? Mon esprit est la, collé étroitement aux contours des rochers, a l'écorce dss arbres. ll vit avec lui, il vit avec moi, il vaque, il est espace, relief, couleur, erosion, odeurs, erIssements, bruits. Et il est plus que cela: il est le contemporain de ma vie.36 Pour la premiere fois, il implique qu'il est un avec la matiere, qu'il est possible pour son esprit d'adhérer a cette matisre et a son corps. Aussi belle que cette communion soit, elle a un cété absolument morbide, qui rappelle l'obsesslon de Le Clézio pour la mort dans ce livre, puisqu'il finit son experience ds communion physique avec la nature par un rappel que lorsqu'il pourra rejoindre vraiment la terre, ce sera pour y pourrir. || se rend compte qu'il n'y a qu'un seul moyen pour lui de parvenir a l'extase matérielle et qui est de retrouver le monde par l'intermédiaire de son corps, chose qui n'est faisable que dans la mesure or) ii réussira a se libérer dss 36 Le Clézio, op. cit., p. 119. 35 obstacles qui lui sont dictés par son esprit. ll ne cherche pas forcément a découvrir la nature de l'esprit (bien que celle de la conscience soit une autre ds ses obsessions), mais il sent comme intuitivement que la pensée peut etre une des formes simples de la vie. Ce qu'il sntend par la n'est pas clair dans ce contexts, mais plus tard, iI clarifie un peu cette idée par un raisonnement logique: puisque l'esprit s'alimsnts du monde et de la matisre, alors il est véritablement le résultat de notre chair. En consequence, l'un est inalienable de l'autre. ll rejoint ici Merleau-Ponty, non pas Ie Merleau-Ponty du concept ds la chair, mais celui qui dit que " . . . mon corps est le pivot du monde . . . " et réciproquement que " . . . j'ai conscience de mon corps a travers le monde . . . "37 Comme c'est dans Ie contexts de la connaissance de la mort que Le Clézio affirme donc son unité, a cause de cela, i| se demands comment il est possible que tout ce qui a été a un certain moment du temps a pu disparaitre et que tout ce qui est disparaitra un jour. La seule solution qui s'offre est ds concevoir uns modalité de l'etre hors des categories de la vie et de la mort: 'Etre, cs n'est donc pas étre vivant. La vie, la mort sont des modalités sans importance, comme végétal ou mineral. La vie et la mort sont des formes qu'adopte la matiere, parmi tant d'autres."38 Finalement, c'est en acceptant que la vie et la mort sont simplement toutes les deux des passages que l'homme pourra 37 Merleau-Ponty, op. cit., p. 97. 38 Le Clézio, op. cit., p. 228. 36 commencer sa transfiguration et atteindre l'sxtase matérielle. La derniers partie de Lfixlasamaualla, "Le Silence”, est une réflexion sur la mort. Le theme de la mort et de la mortalité ds l'homme est central 5: LlExta§a__mataLlalla et de lui dérivent en fait toutes les autres considerations sur ls langage, l'engagement ou la place de l'homme dans l'univers. Dans "L'Infiniment moyen”, la recherche de l'sxtase matérielle pivots autour de cette idée que la mort est peut-étre finale. A cause de son orgueil d'homme qui pense, Le Clézio est frappé d’horreur a cette idée qu'il lui est impossible d'oubller qu'un jour viendra peut-étre 00 ll ne restsra plus rien de ce qui avait été de l'homme dans l'univers. La nature de l'obsession de Le Clézio pour la mort est pour le moins ambigué. La mort est premierement assoclée a la déchéance progressive du corps, et a la vieillesse qui éveillent en Le Clézio une immense compassion et beaucoup d'attendrissement. Ce n'est pas la mort en tant qu'événement qui l'effraie, dit-ll d'abord, mais bien plus la mort dans la vie. Par Ia il n'sntend pas comme il faudrait s'y attendre un certain renoncement , une apathle, ou tout autre attitude de cette sorts, mais la certitude a chaque seconds de sa vie que la mort est son sort final. Comme lorsqu'il avait fait la connaissance du néant, c'est un événement quotidien en apparence anodin qui vient lui rappeler le fait de sa mortalité. Sa reaction a la pensée de la mort est d'autant plus intéressante qu'elle est tout a fait inhabituelle; quand il est saisi par la pensée de la mort, "c'est comme si il y avait un autre monde, un monde double, un monde du noir, qui au lieu de renforcer la conscience de 37 la vie par contrasts, attire vers son gouffrs contraire, inacheve la réalité, la teinte de néant.”39 Cette image du gouffrs qui cherche a happer revisnt a de nombreuses reprises dans LlExtasLmataflalla st bien souvent ls Iecteur ressent qu'il existe comme une tentation de se laisser prendre st emmener dans ce 'monde du noir". Cette attirance pour la mort est tout a fait strangers a une apologie du suicide. Au contraire, il n'hesite pas a avouer son dégofit pour Ie suicide, meme 3'" peut comprendre ce geste. Si la tentation du suicide existe pour lui (et il pense qu'elle existe peut-etre en tout homme), elle s'inscrit dans la dualité entre Ie corps qui est la vie et l'esprit qui est la mort, et dans la nostalgie physique de rejoindre la touts puissante matiere. Faisant echo a Camus qui disait, "On comprend rarement que ce n'est jamais par désespoir qu'un homme abandonne ce qui faisait sa vie."40, Ls Clézio explique que les raisons généralement invoquées pour expliquer le suicide sont des raisons triviales et superficielles. ll exists une force plus puissante que celle de la mort qui est ”la cohesion et le sens de la survie."41 et qui met fin a touts tentation de suicide. Aucune raison n'est suffisante pour justifier Ie suicide qui, en derniere analyse, serait une defaite pour l'homme puisqu'ainsi il admettrait entierement la mortalité definitive. Dans la derniere partie de "L'lnfiniment moyen”, Le Clézio 39 Le Clézio, op. cit., p. 80. 40 Albert Camus, Naaaa, (Paris: Gallimard, 1959), p. 69. 41 Le Clézio, op. cit., p. 134. 38 arrive enfin a exprimer clairement Ia tentation, non du suicide, mais de la mort. ll volt cette mort comme ls seul espoir des hommes parce qu'elle leur donne Ie soulagement qu'ainsi, lors du moment supreme dont ils n'auront meme pas conscience, s'arrétera pour toujours la torture de la pensée. Mais apres avoir affirme Ia suprématle de la matiere et confirms la transfiguration de l'homme dans l'sxtase matérielle, Ls Clézio comprend que J'ai voul_u la mort horrible, parce que je ne ouvais pas concevonr lunIversalIté du regne de lhorrIb s. JavaIs pense a la mort comme a une fin, parce que is he pouvais pas supporter que le monde dure sans mm. as la mort n'est pas cet arret; elle est un passage, un moyen. La vie n'est pas cs regne; elle est un passage, un moyen. Tout est existence.42 Dans "L'lnfiniment moyen” il s'agissait surtout de comprendre les liens de l'homme avec la matiere, sa place dans le cosmos, et de mettre fin a tout dualisme par un chant a l'unité primordiale ds l'homme et de la matiere. "Le Silence" est non seulement une meditation sur la mort ainsi qu'une réaffirmation totals de l'appartenance ds l'homme au monde physique par reintegration a la matiere dans la mort, mais aussi une réflexion finale sur la facon dont il avait, avant de comprendre la mort, concu sa vie, le monde et sa condition. Le ton general de cette troisieme partie est incomparablsment plus serein que celui dss deux autres, et debuts sur une note d'harmonie tres representative de ce qui est exprime par la suite 42 Le Clézio, op. cit., p. 230. 39 Quand ma vie en moi sera éteinte, quand "eparpillerai enfin cette unite qui m'avait été donnee, aors le tourbillon changera de centre, et le monde retournera a son existence. Les affrontements du oui et du non, les tumultes, les rapides mouvements, les oppressions n'auront plus lieu.43 ”Le Silence” peut etre divisé en trois parties dont chacune rsmplit une fonction particuliere. La premiere partie est une réflexion finale sur le regard, l'écriture, la parole, l'art et la musique, et sera studies en detail ultérleurement. La deuxieme partie, trss courts, la plus poétique du livre, est une description (a défaut de pouvoir trouver un mot plus adequat) de ce moment ineffable ou le jour basculs dans la nuit et ou la vie basculs dans la mort. Dans ce passage, Le Clézio expose uns vision de ce glissement en complete contradiction avec la facon dont il est généralement envisage dans la pensée occidentale. ll ne s'agit pas du tout, pour reprendre l'expression de Camus, d'une ”aventure horrible et sale”, mais d'un transfer subtile au cours duquel se realise la fusion parfalte entre le cisl et la terre, entre l'homme et la matiere. La nature meme de cette description nécessite que le Iecteur adopts une facon différente d'aborder le texte car un double problems ss pose. D'abord, il s'agit d'une description de l'ineffabls, d'un moment dent on ne peut se rappeler ou que l'on ne peut imaginsr puisqu'il n'a pas de referent dans notre experience du monde. Pour parvenir a rendre l'impression qu'il imagine que ce glissement produit sur celui qui le vit, Le Clézio est oblige d'avolr 43 Le Clézio, op. cit., p. 289. 40 recours a des images qui ont un referent dans notre experience. C'est particulierement par des images de crépuscule qu'il parvient a rendre vivacs cette evocation. De la découle le deuxieme problems qui tient a la nature de cette description: étant impressionniste, elle est fluids, changeants et flexible, et elle accentue l'importance d'une réponse sensorielle affective st non intellectuelle chez le Iecteur. Le sens auquel l'auteur fait Is plus appel est la vue; l'accent est mis sur les couleurs, les mouvements et les rythmes. C'est un monde en métamorphose constants, baignant dans le halo du crépusculs qui est décrit. Commencant au moment 00 la nuit descend peu a peu sur la terre, graduellemsnt les couleurs, les sons et les mouvements se diluent, s'estompent, s'assourdissent et se récusent pour laisser place a un monde flottant d'ou le soleil implacable a finalement disparu. Espacs et temps, conjointement évoqués, finlsssnt per se confondre et s‘immobiliser dans un ”instant d'infinie jouissance, d'accomplissement, de paix . . ." ou ”Tout est magnifiquement profond, magnifiquement pénétrable.'44 Dans le moment final d'union avec le monde, l'homme incapable de voir véritablement l'ineffable, mais le ressentant au plus profond de son étre, retrouve son appartenance a la nature, par la gestation dans la metrics originelle. La derniere partie du "Silence” correspond a la derniers partie du voyage en quéte de l'union ultime qui met fin aux contradictions et amorce le mouvement vers l'oeuvre de reconciliation qu'est la 44 Le Clézio, op. cit., p. 289. 41 mort. Reconnaissant la suprématis de la matiere, Le Clézio explique qu'il se trompait en mettant en opposition les bonheurs de la vie et sa peur du néant, convaincu qu'il est maintenant que le néant n'a en fait jamais existe. L'accomplissement ds l'homme n'est possible que dans la mort qui marque la fin de sa solitude et de sa difference. Reprenant l'idée de la condition tragique dss hommes, il insists que leur vrai destin est la mort, que tout ce que les hommes font et batissent n'est qu'une facon d'oubller que toutes leurs entreprises sont vouées au chaos. Mais ls ton n'est plus a l'angoisse ni au désespoir; Le Clézio atteint des sommets quasi mystiques lorsqu'il laisse pénétrer en lui l'appel de la mort. "En moi, a tout moment, il y avait l'homme mort."45 , dit-il. S'adrsssant a cet homme mort qui existe en lui, il explique que c'est ce double de lui-meme, en lui, qui lui a permis de véritablement comprendre le monde auteur de lui, qui a été générateur de destruction a chaque fois que l'homme vivant en lui creait quelque chose, celui aussi qui a pu lui donner l'idée de l'absolu. Cet état de pseudo-schizophrénie marque l'apogée de sa comprehension de sa condition, l'acceptation totals de ce qu'elle est, sans amertume, sans désespoir. Etant parti du chaos materiel d'avant sa naissance, il retourne au chaos materiel d'apres sa mort, ayant ainsi accompli le cercls qui caractérise son écriture. Paradoxalement, mais tout a fait en accord avec la technique Ieclézienne de l'éternel recommencement, de la naissance qui, en derniere analyse ne se produit jamais, Le 45 Le Clézio, op. cit., p. 314. 42 Clézio termine sa quéte par le lsitmotiv du voyage, toujours present dans ses écrits Sans le savoir, sans Iutter, puisque je le veux, j'ai commence le long voyage de retour vers Is gel st Ie SIlence, vers la matIere multIple, calms et terrIble; sans ls comprendre, mais étant sOr que je le fais, j'ai commence le long voyage religieux qui ns se terminera sans doute jamais.46 De facon a donner touts sa dimension 2. cette derniere phrase, c'est dans son sens étymologique qu'il taut ici prendre le mot ”religieux”, c'est-a-dire signifiant ”lier ensemble a nouveau”, ce qui est le but final de Le Clézio dans LlExlasLmataflalla. Le theme de la condition humaine, tel qu'il est aborde par Le Clézio dans LlExlasLmalaLialla, est a la fois confirmation de la fagon dont cette condition est congue dans la pensée occidentale, c'est-a-dire comme étant bases sur Is double dualisme entre l'esprit et le corps d'une part, et l'homme et la nature d'autre part, mais il y a aussi rejet de cette conception par uns reconciliation totals entre ces divers elements. Malheureusement, Le Clézio est beaucoup plus convaincant quand il parle de cette reconciliation dans la mort que quand il le fait dans la vie. Reminiscent aussi bien de Pascal que de Camus, Le Clézio depasse toutes les dichotomies pour parvenir a une vision globals de l'étre dans le monde. Bien que le chemin emprunté soit le plus souvent celui de la douleur, et en dépit du fait qu'il est peu probable que cette harmonis ne soit possible dans ce monde, l'aboutissement revels 46 Le Clézio, op. cit., p. 315. 43 une certains sérenlté qui, en quelque sorts, contrebalance l'atmOSphere d'angoisse presents dans ls livre. CHAPITRE2 Angoisse st révolte dans LLExtaSLmateflefle Parlant en general de l'oeuvre Ieclézienne, Ruth Holzberg faisait remarquer en 1981 que, pendant longtemps, Le Clézio avait ressenti "Le besoin de dénoncer les abus d'une société technologique, impersonnelle et évidemment violents . . . "1, accentuant ainsi l'angoisse et la révolte qui s'émanaient de ses livres. Cette angoisse et cette violence ont plusieurs sources. D'une part, il y a bien sOr les dichotomies étudiées dans le Chapitre precedent et qui sont la cause d'une angoisse métaphysique, st il y a, en plus, l'existence de certains facteurs qui trouvent leurs racines dans le monds moderne. La peur, parfois poussee jusqu'au paroxysme de l'angoisse démente, la solitude de l'individu dans un monde urbain grouillant d'hommes, la violence qui est engendrée par la ville, l'impossibilite de communiquer avec autrui sont autant de manifestations de ces "abus”. Certains de ces themes sont presents dans les romans et dans les nouvelles d'avant 1978 (bien qu'a un moindre degré dans Wm en 1975), mais ils sont le plus ouvertement exprimés dans W et dans Hal. Dans Hal, Le Clézio 1 Holzberg, op. cit., p. 47. 44 45 fait une comparaison directs entre une société moderne et uns société ”primitive" dans Iaquelle il avait vécu, dénoncant ainsi le malaise qui existe dans notre société, en parlant des sujets qui lui tiennent le plus a coeur: la fonction du langage, de l'art, de l'écriture, la musique, Ia relation de l'homme a la nature, l'anonymité agressive de la ville, l'artifice. Ces themes, qui vont etre d'abord traités dans ce chapltre sur LLExlasLmataLiaUa, seront repris et mis en parallels dans Ie Chapitre suivant qui sera consacré a Hal dans lequel ils se retrouvent. En plus de ces themes, il en est un, le premier que nous studierons, qui est d'autant plus important qu'il est singulisrement absent des romans et nouvelles, et qui est un dss themes les plus importante de la littérature et de la philosophie du vingtieme siecle, celui ds l'engagement social, qui dans LlExtasa_ma1aLjal|a est étroitement en relation avec celui de l'essentielle solitude dans le monde moderne. Avec Ls Clézio, nous sommes bien loin du concept d'engagement tel que Sartre par exemple ls formulait et le vivait dans les années quarants et cinquante. Le Clézio, qui ne se presents absolument pas comme un écrivain ou un penseur politique ou social, aborde ce theme d'une facon extremement critique. Au lieu de s'intéresser aux ideologies (dont il fait cependant au passage uns critique acerbe), c'est aux hommes qu'il consacre la plus grands partie de son développement sur l'engagement. Pour comprendre en quoi consiste cet engagement, il commence par 46 passer en revue les motivations qui poussent un étre humain a s'engagsr. Son attitude personnelle peut permettre de comprendre partiellement son point de vue, puisqu'il avoue etre un maniaque du repli sur soi, quelqu'un qui est fondamentalement solitaire; mais tout maniaque qu'il soit, il n'en a pas moins la certitude de vivre dans une société dont il est membre a part entiere. Cette société a laquelle il appartient, il l'a toujours présentée comme étant dangereuse pour l'homme qui se sent agressé par ses mécanismes. Nous avons deja vu qu'il reconnait a cette société une force de conditionnemsnt tres puissante, mais ici, il va plus loin, jusqu'a parlsr de la "force strangulatrice des autres.”2 C'est dans ce contexts qu'il exprime ses vues sur la liberté et le libre arbitre de l'individu. Modelé tant qu'il l'est par la société, l'homme est en meme temps victims de ce qu'il croyait etre son intelligence et ses mots propres. En effet, selon lui, tout ce qu'il pensait etre le résultat de ses réflexions ou de ses sentiments personnels lui a été impose de l'extérieur, et c'est la qu'entre en jeu l'illusion créée par les mots: illusion car, eux non plus, comme les jugements, les sentiments ou la morale ne lui appartiennent pas, mais sont un acquis social. Le sentiment que le libre arbitre et la liberté existent est donc completement illusoirs. Etant membre d'une société, Le Clézio participe done a une dynamique qu'il tente de vivre en touts Iucidité. Tout obsédé qu'il est par le repli sur sol, il ne faut pas pour autant en conclure qu'il se ferme au monde des hommes. Bien au contraire, il ressent, dans 2 Le Clézio, op. cit., p. 65. 47 la solitude de sa chambre, une solidarite profonde pour tous les autres hommes. Cette solidarité ne provient pas d'un engagement politique ou social, ni ne se manifests par lui, mais provient du simple fait qu'en tant qu'humain, il ne peut étre que solidaire dss autres. "L'engagement n'est pas une affairs de degré.” explique-t-il. "C'est un état.”3 De par sa nature, physiquement et mentalement, il est automatiquement implique: il n'y a aucun moyen pour l'homme d'échapper a son état. Mais il dénonce ceux qui font de leur engagement une profession de foi ou un étalage public, mettant en question leurs motivations reelles. Adhérer a un parti politique est uns facon, entre autres, pour beaucoup de gens de faire preuve de bonns conscience; par une action au sein d'un groups, ils peuvent se cacher que leur entreprise est avant tout une manifestation de leur égoisme. ll dénonce aussi l'illusion de l'abnégation, nous rappelant que celui qui donne recoit beaucoup plus en retour que ce qu'il a offert. Continuant dans la meme veins, il ajoute qu'il a une grande admiration pour ceux qui font preuve d'esprit de renoncement. Ce renoncement dont il parle n'a rien a voir avec "le renoncement aux plaisirs, aux vices, aux entraves, mais plutét le renoncement a tout ce qui est grandeur mensongere, a l'orgueil, a la complaisance, a tout ce que l'on croyait bon en soi et qui n'était que mesquinerie."4 Et, allant de pair avec ces faux bons sentiments est la fausse humilité que les gens aiment tant arborer. Tous ces sentiments 3 Le Clézio, op. cit., p. 65. 4 Le Clézio, op. cit., pp. 66-67. 48 sent a rejeter a cause de leur nature hypocrite. S'il est quelque chose que Le Clézio dénonce avec ardeur, c'est justement l'hypocrisie et le mensonge (davantage le mensonge envers sci-meme que le mensonge envers les autres, d'ailleurs), c'est pourquoi la plus grands partie de LlExtaaa_mataLialla consacrés a l'engagement est intitulée ”Le Factice". De meme qu'il refuse de faire de la philosophie systématiqus, Le Clézio refuse aussi les ideologies car, comme la philosophie, elles sont baties sur des systemes. Son raisonnement est implacable: partant de l'homme qui vit en société, il explique que, une chose en entrainant une autre, l'homme devient conscient de ses obligations. Ces obligations, il faut ls remarquer lui sont tout autant imposées de l'extérieur que de l'interieur; la société joue un tres grand rele dans le choix de l'homme a participer a un mouvement so a uns cause. Devenant donc conscient de ses obligations, l'homme est oblige d'avolr une ideologie. ll n'est pas suffisant pour les hommes de simplement aimer leurs prochains et de se sentir solidaires d'eux de par le seul fait qu'ils sont de la meme espece et que leur condition est semblable, il leur "faut construire un systems éthique.”5 Ce qui venait d'un bon sentiment perd de sa chaleur: commands par des lignes de conduits, l'homme engage perd rapidement de vue la source de son devouement. Le problems tient au fait qu'un systems est le résultat d'une elaboration humaine renforcée par la société: en consequence, cela implique que, submerge par l'emprise des autres, le moi qui avait ressenti en lui 5 Le Clézio, op. cit., p. 87. 49 des flots d'humanisme, se trouve désincarné, et il disparait recouvert par les jeux hypocrites approuvés par la société. D'ou vient donc que l‘homme accepts de se laisser encha‘iner dans des sytemes désincarnés? D'une part, il y a les forces sociales extérieures, comme nous l'avons deja vu. C'est devenu une obligation pour l'homme de se conformer aux courants politiques et sociaux de miss et d'adhérer a la cause a la mode. Ce n'est pas parce que Le Clézio denonce cette attitude qu'il prone l'apathie sociale ou le manque d'engagement, au contraire; mais il deplore que ceci se fait davantage au nom d'une idéelogie qu'en réponse a un état de conscience affine et sensibilisé. ll y a, en plus, dans chaque individu, des angoisses qui le poussent a trouver une échappatoire. La premiere est celle du néant qui s'ouvre béant devant l'homme. La deuxieme est celle que vit l'homme qui se cherche. ll arrive un moment or) l'homme, fatigue de sa quéte a la recherche de lui-meme, se tourne vers l'engagement social: "L'engagement dans la société est le premier remede de celui qui a tent souffert de son isolement et ds son inutilité.”6, écrit-il. D'un cote, il y a done l'homme qui est force par la société a participer, de l'autre, il y a celui qui, ayant pris conscience de la stérilité de sa vie tente de se voilsr sa réalité, st peut-etre meme de la transcender, en se jetant corps et ame dans l'oubli que peut lui procurer l'engagement. Ceci ramene directement a l'impuissance st a l'ignorance de l'homme face a sa condition. Le Clézio désapprouve cs genre de conduits, non pas au nom d'une morale Quelconque, mais 6 Le Clézio, op. cit., p. 255. 50 parce qu'il le percoit comme un renoncement a l'individualité en faveur de la masse, done on refus de la lucidité, un refus du combat que l'homme doit mener pour accomplir sa condition réelle. ”En renoncant a son individualité, a sa lucidité, l'homme renonce a cs qu'il y avait de noble et de tragique dans sa condition."7, dit-ll. Or, ceci, il ne peut l'accepter, car en refusant cette noblesse et cette tragédie, done en se masquant la réalité, l'homme renonce aussi a la possibilité de pouvoir un jour comprendre ls monde et ses semblables. Puisque étrs humain est avant tout un état et non pas une profession de foi, le mot "engagement" atteint, sous la plume de Le Clézio, une dimension différente de celles qui ont cours dans la littérature du vingtieme siecle. Le mensongs st l'artifice, le factice, étant les fondements de notre vie sociale, seules les emotions les plus profondes ont vraiment de l'importance st permettent de comprendre qu'etre sol est le ssul moyen ds se mettre sur le vrai chemin vers les autres. Ce n'est pas en adoptant une certaine ligne de conduits idéelogique qui implique le renoncement a certains sentiments que l'homme peut parvenir a une plus grands comprehension de ses freres, mais au contraire, en acceptant ds ressentir toutes les douleurs et toutes les joies qui lui donnent une comprehension infiniment plus grands dss autres. Dans l'optique Ieclézienne, l'engagement est principalement un sentiment visceral qui s'origine dans la contemplation de la condition humaine, au lieu d'etre, comme il a souvent été concu 7 Le Clézio, op. cit., p. 256. 51 précédemment, une action strictement politique st idéelogique. Lorsque l'homme devient conscient de sa condition, alors seulement peut-il véritablement sympathiser avec les autres, communier avec eux et se rapprocher d'eux. Ce rapprochement avec les autres devrait se produire, entre autres facons, par l'entremise du langage. Nous ns nous attarderons pas ici sur la dialectiqus Ieclézienne sur laquelle Ruth Holzberg a fait une etude magistrale. A la place, nous nous concentrerons sur ce que Le Clézio dit ds la nature du langage et de ce qu'il accomplit pour lui et en lui, dans un contexts social dans lequel il traits de la communication avec autrui et de l'utilisation dss mots dans la société. ll faut noter d'emblée que Le Clézio ne s'arrete pas a faire des distinctions d'ordre linguistique telles que la difference entre langue et parole ou celle entre signifiant et signifie. Dans LlExtasa mataflalla, il donne une excellente idée de la dimension de la Iutte intérieure qu'il mene avec Ie langage qui est a la fois la seule réalité et le seul problems qu'il connaisse comme il l'annoncs en guise d'introduction a ”L'Infiniment moyen”. "Problems" at "réalité” semblent en fait n'etre qu'une seule et meme chose dans ce livre. Parlant de ce que signifie le langage pour lui, il dit ”Parler de tells ou telle facon, employer tel ou tel mot sont des modalités qui engagent tout l'étre. Le langage n'est pas une 'expression', ni meme un choix: c'est étre soi."8 ll ss plonge ainsi directement au coeur du problems de la nature du langage. Dans LLEhanamanalagiajala palgatlan, Merleau-Ponty avait expose le sens veritable de l'acte 8 Le Clézio, cp. cit., p. 51. 52 d'expression, nous permettant ds mieux comprendre comment nous réagissons au langage et quelles sont ses implications sur l'etre humain; pour cela il est retourne a la source du met at a explique la relation entre la parole et la pensée. ll explique que le mot est 'l'uns dss modulations, l'un dss usages possible de mon corps."9, puisque, en effet, le son trouve son origins dans le corps, st c'est dans le corps que nous en possedons l'essence articulaire et sonore. Le corps est ce qui donne un sens aux objets natursls st aux objets culturels puisque c'est par lui que nous connaissons Is monde naturel st autrui. Selon Merleau-Ponty, la parole est un veritable geste puisque comme le geste, elle contient son sens. Les mots en tant que forms d'expression gestuelle, possedent un sens émotionnel tres profond. ”Des que l'homme se sert du langage pour établir une relation vivante avec lui-meme ou avec ses semblables, le langage n'est plus un instrument, n'est plus un moyen, il est une manifestation, une revelation de l'étrs intime st du lien psychique qui nous unit au monde et a nos semblables."10 Par la maniere dont il accueille les mots, notre corps les dots de leur signification primordiale: tout ce qui est dans l'homme doit étre ramené a l'étre biologique, meme s'il existe en plus certains parametres, ce que Merleau-Ponty appelle ”Ie genie de l'équivoque" et qui servent a définir l'homme. En ce qui concerns la pensée st l'expression, Merleau-Ponty 9 Maurice Msrleau-Ponty, W namapflan, (Paris: Gallimard, 1945), p. 210. 10 Merleau-Ponty, op. cit., p. 229. 53 clarifie le problems en dénoneant la notion qu'il n'y a entre la pensée et la parole que des relations extérieures. Bien au contraire, au lieu que la parole soit simplement un signs de la pensée, Ia pensée et l'expression se constituent simultanement par la parole, qu'elle soit intérieure ou extérieurs, donc la parole, chez celui qui parle, ne se contents pas de traduire la pensée, mais au contraire l'incarns. Le Clézio semble fairs directement echo a Merleau-Ponty lorsqu'il dit, "Je vis dans ma langue, c'est elle qui me construit. Les mots sont dss accomplissements, pas dss instruments.”11, st ll renforce aussi le concept merleau-pontien du mot-geste, lorsqu'il dit: ”Jamais Ia pensée ne se détache du corps. Le langage meurt en meme temps que l'homme, c'est qu'il n'est, ni plus ni moins, qu'une parcelle de sa chair.”12 Mais si Le Clézio exprime bien souvent des conceptions similaires a celles de Merleau-Ponty sur la parole et sa relation avec la pensée, meme si le langage est réalité et de la sorts la plus profonde qui soit puisqu'elle Is fonds en tant qu'etre humain, l'aide a se découvrir et a décrire Ie monde, il n'en reste pas moins un problems majeur, pour plusieurs raisons. D'abord, un dss griefs qui revisnt le plus souvent sous la plume de Le Clézio est que le langage est incapable de rendre la réalité. Dans un passage de ”L'lnfiniment moyen” dans lequel il tente d'exprimer la nature de cette vie qu'il ressent en lui, il 11 Le Clézio, op. cit., p. 35. 12 Le Clézio, op. cit., pp. 200-201. 54 deplore que le langage n'est en fait qu'un mode sommaire d'expression qui ne peut absolument pas lui permettre de rendre Ia vérité. Cette incapacité a rendre, par ls langage, Ia complexité et l'intensité de ce qu'il éprouve, se traduit par une accumulation de mots, soit juxtaposes, soit superposés, soit en contradiction, comme dans ce paragraphs dans lequel justement il tente d'exprimer ce qu'il ressent, ". . .vivre: immense, infinis plénitude, multiplies et divisée, impalpable, inconnaissable, incommensurable: largesse et hauteur, profondeur, vibration, delectable harmonis de douleur et de douceur, chant au-dela de touts volupté, chant qu'en n'écoute pas, chant qu'en vit.”13 Alors qu'il semble avoir enfin réussi dans sa tentative, il termine en avouant un échec, en disant finalement de cette vie qu'il ne peut pas la décrire. Au mieux, il parvient, grace au langage et a son intuition, a ”zigzaguer, mi-plaisir, mi-peine, dans le territoire inconnu de [sa] conscience.”14, mais le langage échoue toujours lorsqu'il s'agit d'exprimer ce qui est Ie plus profond dans l'homme, car ces sentiments ne sont pas rationnels et ne peuvent donc pas étre en quelque sorts codifiés selon les lois du langage. Cet echec du langage tient aussi au fait qu'il est bien souvent directement associé a l'intelligencs, donc il est compris comme systems, comme elaboration qui éloigne de la primauté ds la réalité humaine. Le meilleur exemple qui soit des systemes 13 Le Clézio, op. cit., p. 40. 14 Le Clézio, op. cit., p. 108. 55 humains est celui offert par la philosophis; la philosophie exemplifie parfaitement le cercls vicieux du langage qui revisnt toujours sur lui-meme sans avoir pu expliciter ou meme toucher le monde puisqu'elle ne fonctionne qu'a l'intérieur de son propre systems et n'atteint pas la réalité extérieurs. ll ressent la nécessite de ce qu'il appelle un langage incarné, c'est-a-dire un langage qui ne soit pas fonds sur des abstractions ni des généralisations, un langage qui ne soit pas non plus purement analytique comme celui de la psychologie par exemple, mais au contraire un langage qui serait aussi tangible que Ie monde. Dans les relations interhumaines, le langage se revels aussi incapable de permettre aux hommes de communiquer adequatement. En fait, Le Clézio voit comme un double mensonge a ce niveau. Non seulement les liens que le langage crée ne sont-ils qu'une autre facon de cacher que l'homme rests essentiellement solitaire, mais surtout, il rsste superficiel, il n'atteint pas au plus pretend des emotions de l'homme et le laisse ainsi prisonnier dans sa nuit. A la place, Le Clézio réve a une autre sorts de communication, qui ne serait fondée ni sur Ie langage ni sur les idées. Comme il revait a une possibilité d'entrer directement en contact avec la matiere grace a une intelligence dss sens, il explique, Moi, ce que je voudrais bien trouver dans. chaque hommeu cest une pu satIon, un mouvement réguller et souple, qUI l'accorde au temps et au monde. Alors, je me mets a l'unisson avec lui, je l’écoute, je l'observe, je le visits. Pour cela, je ne veux pas m'occupsr de ses idées. C'est une structure que je cherche, l'expression de sa vérité. Un squelette ne suffirait pas. Chacun a sa mélodie, son air denmusiqsue qu'en entend pas mais gu'on peut . connaItre. n essayant de la percevmr, c'est aUSSl mon 56 instrument que j'accorde.15 Cependant, ce genre de communication rests dans le domaine de l'utopie et Le Clézio doit admettrs que la recherche d'un autre langage n'est pas Ia solution au problems, car c'est seulement en approfondissant les ressources qui sent a sa disposition qu'il poussera les limites de sa connaissance; et, comme paroles et idées se constituent simultanément, la réalité ne peut etre pergue que par l'entremise du langage qui nous sert a l'exprimer. Dans son etude sur la dialectiqus Ieclézienne, Ruth Holzberg soutient la these que sous le deluge dss mots, le systems d'écriture de Le Clézio qui est base sur le paradoxs, parvient ". . . a détruire ce qui est dit au fur et a mesure qu'il est écrit."16 et que, en outre, ". . . le langage Ieclézien reflete un enchainement par lequel la vie mene a la mort, autrui au moi, et le langage au silence.”17 Dans LlExtasa mataliaUa, dont, ll taut le rappeler, la derniere partie s'intitule ”Silence”, Le Clézio s'interroge sur ce silence qui est une de ses grandes tentations. Le langage est vu comme un mensonge qui permet a l'homme l'illusion de la communication, de la participation; les mots ne sont que des valeurs d'échange qu'il utilise pour participer, non pas a la matiere, mais a la société, il lui sert donc a se fuir, a se voiler la vérité et la réalité. Le langage, c'est ce qui marque sa condition sociale et son existence 15 Le Clézio, op. cit., p. 33. 16 Holzberg, op. cit., p. 80. 17 Hlozberg, op. cit., p. 67. 57 en tant qu'homme, et centre cela il est totalement impuissant. ll en decoule que parvenir au silence équivaudrait done a tuer l'homme, puisqu'uns fois le langage éliminé l'homme ne peut plus $9 concevoir. L'homme est caractérise par son langage qu'il utilise dans le vain espoir de se cacher le fait de sa mort; il est condamné a la parole, c'est-a-dire a se répéter continuellement le fait de son existence, pour ne pas avoir a entendre cette autre voix qui lui rappelle constamment qu'il va mourir, et aussi parce que le seul silence qu'il soit capable de concevoir est celui du néant effrayant de l'aneantissement total. C'est done un silence qui ne soit pas celui de l'annihilation de l'homme qu'il recherche dans LLELtflSfl mataflalla dans sa tentative de mettre fin a l'aliénation entre l'homme et la matiere. En reconnaissant son appartenance au cosmos et en concevant la mort comme un retour plutot que comme une fin, il peut enfin arréter la haine des mots. Deux ans apres LlExlasaJnatarjaua dans sa 'Lettre a une amie Thais", Le Clézio imaginait la possibilité d'un silence different: Un silence ui n'est pas une absence de parole ni un arrét de l'esprit. LIJn silence qui est une accession a un domains au-dela du langage, un silence animé pour ainsi dire, un rapport d'égalité secret entre cette nature et ces hommes.18 Ce "silence animé", il en fera la découverte parmi les Indiens Emberas qui le conceivent d'une facon bien différente de la n6tre, de meme qu'ils accordent au langage une puissance qui a disparu 18 J.-M. G. Le Clézio, "Lettre a une amie Thais," Laflgam LIIIflaILe. 1183 (6-12 janvier 1969). 58 dans notre société moderne. Bien que ls langage soit inadéquat a la communication, Ls Clézio rests fermement persuade qu'il existe au coeur dss mots une espece de magie, mais pour la trouver, il faut retourner a un langage élémsntaire qui lui permettrait de traduire le caractere unique de son existence, la totalite de la vie dans touts sa richesse et toutes ses vibrations. A cause de (ou grace a) son obsession pour l'exactitude, Le Clézio cherche a se rapprocher le plus possible du reel en denudant les mots des deformations qui leur ont été infligés par l'usage; il lui faut retourner au mot tel qu'il existe en lui-meme, en dehors de tout contexts syntaxique, la 00 ea résonnance dans le corps est la plus forte. A ce niveau, il rappelle encore Merleau-Ponty qui, ayant démontré comment il est possible d'induire dss sensations corporelles a partir de I'évocation de certains mots, prouvant a nouveau que les mots se fraient un passage dans notre corps, disait: "Les mots ont une physionomie parce que nous avons a leur égard comme a l'egard de chaque personne une certaine conduits qui apparait d'un seul coup dss qu'ils sont donnés.”19 Le Clézio aime a utiliser dss mots individuels, dss "mots-clous“ qui lui psrmettraient de donner un peu plus de permanence a ce qu'il dépeint et non pas l'utilisation des phrases qui elles sont dss échaffaudages issus d'un systems, donc éloignsnt de l'immédiat de l'expérience. Chaque mot individusl, parcelle de notre corps et d'ailleurs compare a one entité dotée d'une vie 19 Msrlau-Ponty, op. cit., p. 272. 59 organique propre, a une force d'évocation suffisante en lui-meme. Ce langage primordial st sacré, il le trouvera ultérieurement chez les Indiens Emberas, st relatera dans Hal sa puissance et sa magie. Etrangement, alors que le langage pose un problems gigantesque pour Le Clézio dans W. il aborde le theme de l'écriture avec une sérénité relative, st semble savoir sxactement quelle est la réponse a la question qu'il se pose et qui est de savoir a quoi cela sert d'écrire. Sa réponse est simple et il la repete plusieurs fois: l'écriture n'est pas faite pour expliquer, mais simplement pour témoigner et pour décrire. ll est intéressant de remarquer Ie mouvement qu'il adopts dans le passage dans lequel il dresse la liste de ce qu'il veut décrire: d'abord le monde, puis la ville, puis la rue, la chambre, un rebord de fenetre et finalement un carreau du parquet. Ce mouvement correspond a un des deux mouvements du livre, celui qui va de l'extérieur vers l'interieur, et qui est predominant dans LExjasLmalaflaua. Son but est donc de décrire et non pas d'expliquer. En ce sens, son programme suit celui de la phénoménologie dont Merleau-Ponty disait: "ll s'agit de décrire, et non pas d'expliquer ni d'analyser.”20 Nous avons deja dit que Le Clézio se méfie de l'analyse car elle rests toujours incomplete étant bases principalement sur les abstractions et les generalisations, et sur un langage qui ne parvient pas a traduire Ia pensée exacts de celui qui s'exprime. ll lui faut décrire done, et non pas expliquer. En quoi consistent les descriptions de Le Clézio dans W? ll s'agit bien entendu de descriptions du 20 Merleau-Ponty, op. cit., p. ii. 60 reel, mais il se contents de dresser dss listes de ce qu'il peut décrire, touchant a peine a la description elle-meme. ll faudra attendre W pour qu‘il se lance dans son projet, et cette fois, au lieu de parler d'objets familiers comme un crayon a bills ou une ampoule électrique qui rappellent le monde moderne, il fera surtout des descriptions détaillées du monde naturel. De cs problems de la description découle celui ds la nature de la réalité. Lorsque l'on parle de réalité, il faut fairs entrer en jeu deux sortes différentes de réalité, D'abord, il y a celle du monde, dans laquelle s'ancre la conscience perceptive et qui nous donne notre connaissance du monde. Parallelement, il y a la réalité du livre. La comparaison entre la réalité du monde et cells do livre est particulisrement intéressante. Pour ce qui est de la réalité du monde, "L'ordre est établi, en dehors de tout, indépendammsnt de tous les événements a venir. Cet ordre est quelque chose comme immuable. La construction était préfigurée depuis longtemps, et tous les elements étaient connus."21 Quant a la réalité du livre, elle est bases sur une contradiction apparente; l'univers de l'écrivain dit Le Clézio ”ne nalt pas de l'illusion de la réalité, mais de la réalité de la fiction."22, et l'écrivain, faiseur de paraboles, fait avancer son oeuvre par mensenges. La fiction est msnsonge, mais une fois écrite, elle acquiert sa propre réalité bien qu'elle 21 Le Clézio, op. cit., p. 202. 22 Le Clézio, op. cit., p. 106. 61 soit artificielle. Définissant ls travail de l'écrivain, Le Clézio explique que son travail se rapproche beaucoup de celui du mathématicien qui pose formule apres formule st finit, grace a la logique interns du systems artificiel qu'il utilise, par résoudre les problemes qu’il s'était posés au depart. L'ordre pose dans le livre est tout aussi immuable que l'ordre qui existe dans la réalité, et en derniere analyse, les événements qui se produisent et dans le monde du livre et dans la réalité deviennent ineffacables. Hormis ces considerations sur l'écriture, Le Clézio pose un problems qui s'inscrit dans le cadre de sa critique sociale; commencant par quelques réflexions sur le genre sur Iesquelles nous reviendrons ultérieurement, ll en profits pour glisser une petite attaque sur le snobisme des lecteurs pour qui il exists un snobisme aussi tenace que n'importe quel autre snobisme, dit-il La compartimentalisation qui exists a tous les niveaux dans la société se retrouve aussi dans le domaine de la littérature, et, deplore Le Clézio, untel qui aime tel genre se refusera a lire un autre genre. Mais maintenant, le problems dss genres est devenu un faux problems; pour lui, ce qui compte au-dela de touts division en genre c'est l'acte d'écrire. La compartimentalisation des genres, si longtemps rigide et insurmontable a perdu sa raison d'etre pour deux raisons principales. La premiere tient au fait qu'il y a eu une grande evolution dans la littérature depuis Is développement du concept des genres. Au vingtieme siecle en particulier, les barrieres sont tombees grace a des écrivains comme Gide, Malraux ou Camus qui ont intimement melé a leurs romans des idées 62 philosophiques de portée universelle, ou a leurs essais dss mythss antiques. ll ne s'agit plus seulement de choisir un genre et de s'y tenir formellement, mais au contraire d'englober dans l'oeuvre dss parametres varies de portée universelle. Dans Ie cas de Le Clézio, il est bien evident que, meme s'il se tient généralement dans les limites du genre qu'il a choisi, il n'est pas rare qu'il fasse une digression ici et la, incluant dans un roman un poems ou meme une réflexion de nature philosophiqus. ll est aussi original dans la mesure 00 ll utilise dss elements typographiques différents, fait des arrangements de pages non-conventionnels, intercale dss photos ou des dessins parmi les textes. Tout ce qui peut permettre une meilleure communication et une meilleure expression doit étre utilise. ll s'agit en particulier ds listes de mots, pris hers de tout contexts syntaxique et qu'il accumule comme pour le plaisir de leur sonorité et a cause de leur pouvoir d'evocation et d'association. Noms de rues, de villes, de gens, chiffres, mises en exsrgue de mots particulierement frappants, utilisation de majuscules ou d'italiques en plein milieu d'une phrase qui détachent ls mot du texte, fragments de mots qui peuvent venir de graffitis, petits poemes abondent dans LlExjaaa mataLiaUa. Ce genre de technique est relativement courants chez Le Clézio qui fragments ainsi son texte, lui rendant ls caracatere naturel du monologue intérieur. D'ailleurs, il faut remarquer que dans cet essai particulier, les réflexions lscléziennes sont rarement développées de facon consistente, en accord avec son refus de faire de la philosophie. ll interrompt un til de pensée pour 63 en reprendre un autre dans le meme paragraphs, ce qui contribue grandement a désorienter le Iecteur et rend la comprehension du texte extrememsnt difficile puisqu'il ne semble plus gusrs y avoir de coherence. Cette technique, cette utilisation dss mots et ces changements abrupts de sujet se limitent quasiment a LlExtasa matadalla et refletent le malaise de l'écrivain. Dans Hal et dans magnum, il sera beaucoup plus consistant, développant un theme jusqu'au bout ou terminant uns description avant de passer a autre chose, mais il ne manquera malgré tout pas d'y inclure soit dss photographies ou des dessins personnels ou des petits poemes en prose. Le problems du genre qui est donc devenu obsolete ne se limite pas a la littérature et conduit Le Clézio a réfléchir sur ce qu'est l'art en general. Selon lui, non seulement toutes les notions conventionnelles de genre n'existent-elles plus que par habitude, mais en plus elles sont devenues vraiment inutiles; ce qui compte véritablement maintenant, c'est la sensibilité de l'artiste ou du créateur. Pour bien comprendre la critique leclézienne de l'art, il faut rappeler que pendant bien longtemps, dans la société occidentale, l'art avait été simplement Ie premier met de l'expression "art sacré". Les plus grandes peintures, statues st oeuvres musicales étaient principalement des oeuvres célébrant le sacre. Puis, avec la désacralisation graduelle de l'art, il s'est produit une élitisation, pour ne pas dire une hermetisation de l'art. Ainsi, l'art est-ll devenu la composante principals de ce que l'on 64 appelle communément la culture. Le Clézio associe ces deux termes pour dénoncer l'attituds courants dans notre société vis-a-vis dss deux. En effet, la plupart du temps, constate Le Clézio, lorsque l'on dit d'une personne qu'ells est civilisee, on veut dire par la qu'elle est cultivée; mais lui se demands bien en quoi consiste cette culture. ll s'avere que dans une société ou les gens aiment a briller par leurs connaissances superficielles, c'est avant tout en etalant leurs connaissances sur les arts qu'ils peuvent réussir leur effet. Le Clézio se récrie centre cette facon de concevoir l'art, car n'étant la plupart du temps qu'un acquis académique ou social, il n'est pas ce qui permet de comprendre véritablement ce qu'est l'homme. L'art a perdu sa fonction originelle qui est de toucher l'homme au plus profond de lui-meme, de lui permettre d'extérioriser son identité, de representer pour les exerciser les forces cosmiques qui l'entourent. A la place, l'art est devenu une entité bourgeoise, une valeur merchande. La sclérose de l'art et surtout de la perception que le public a de l'art l'ont rendu completement inepte a accomplir sa fonction premiere; il n'a plus avec la réalité que de bien lointains liens. Entité intellectualisée, il a maintenant en plus besoin ds ses theoriciens. C'est lors de quelques réflexions sur le travail dss théoriciens que Le Clézio dénoncs le mieux la facon dont l'art est concu dans notre société. ”Ce qui apparait le plus absurde dans l'oeuvre de beaucoup de théoriciens de l'art, c'est la rupture qu'elle comporte vis-a-vis ds la réalité."23 déplore-t-il. ll exprime parfaitement la dichotomie 23 Le Clézio, op. cit., p. 198. 65 qui existe entre la réalité et l'art, sans parvenir a trouver de réponse satisfaisante a sa question principals: pourquoi y a-t-il deux mondes opposes? La reconciliation entre les deux domaines est loin d'etre réalisable. Continuant sa discussion il ajoute qu'il existe, ”D'une part, un monde de la communication, dss rapports naturels, intelligibles, et d'autre part, le monde de l'expression, de l'Art, ou l'abstraction, I'individualisme, la culture, l'hermétisme et la rivalité dans l'innovation sont les regles."24 Les questions que posent une tells dichotomie s'originent dans la conception particulierement occidentale de l'art qui est vus comme une ”expression unique de l'absolu" ou "un message divin", et dans celle de l'artiste qui est considers par Ie non-artiste comme un ”demi-dieu" cu un "prophets". Bien en place sur leurs piédestals, l'art ne touche pas Ia réalité et l'artiste n'est pas un humain de commune mesure. Le Clézio, qui donc s'oppose a cette vision, propose la sienne, redefinissant a sa maniere la fonction de l'art et le réle de l'artiste qui est bien éloigne de tout élitisme et de tout hermétisme. II définit l'art a plusieurs reprises, ajoutent et raffinant un peu plus a cheque fois la maniere dont il le conceit. D'abord, dit-il,la fonction de l'art n'est pas de nous dormer a admirer le monde peint sur des toilss ni de nous alder a fairs de l'introspection, mais de nous apprendre a regarder Ie monde en meme temps, ensemble. Que Le Clézio insists sur cet ”ensemble" va tout a fait dans la direction de son désir de communication avec 24 Le Clézio, op. cit., p. 199. 66 autrui. D'ailleurs, c'est moins tant de communication que de communion qu'il s'agit puisqu'il ajoute que touts oeuvre d'art, de quelque nature qu'elle soit, ne peut exister que dans la mesure ou elle est partagée avec d'autres, c'est-a-dire quand ensemble, par la contemplation d'une oeuvre d'art, plusieurs personnes percolvent conjointement les mouvements de la vie. L'art, pour étre valide, doit parvenir a toucher des regions profondes qui sont communes a tous st reconnaissables par tous. lI doit signifier, etre utile et non pas simplement étre objet expose st valeur marchande. Renforcant son refus d'un art elitists, il ajoute que l'art, en tant que forms d'expression de la pensée sociale, est lui aussi une mode. L'art, pour atteindre sa vocation maximale ne peut en aucun cas rester l'apanage d'une classe de priviligies; concu de cette facon, il ne serait meme pas art puisque l'art est le produit d'un individu qui est lui-meme un produit de la société. D'autre part, il est Ie ”résultat de l'obscur et pénible débat de l'homme au beau milieu de la création."25, donc, par definition, une force commune a tout etre humain. Le Clézio exprime cette conviction a plusieurs reprises et en particulier lorsqu'il parle de l'artiste et des manifestations de l'art. Le dernier quart de siecle a vu de nombreuses transformations dans les manifestations artistiques. Ce qui était précédemment la prerogative de quelques élus est devenu accessible a un plus grand nombre. Symptéme d'une société en transformation, cs phenomene se manifests par Ie fait que l'art est devenu une forms d'expression a laquelle tout individu a droit 2‘5 Le Clézio, op. cit., p. 199. 67 d'acces puisque chacun d'entre nous a quelque chose a dire. Cette nouvelle attitude vis-a-vis de la creation artistique boulevsrse de faqon radicals l'approche traditionnelle qui faisait de l'oeuvre d'art une entité intemporelle, inaccessible, aux abords de la divinité. Le Clézio exprime parfaitement ce phenomene social lorsqu'il dit: "Ce que l'on cherche, c'est moins un compte-rendu du monde, qu'une evocation affective qui permette l'entente sur un plan extérieur a celui de la réalité.”26 ll pressent un changement de direction dans le domaine artistique par lequel l'art dsviendrait une forms d'acces a la conscience et qui la revelerait tells qu'elle est dans sa vérité du moment; il aboutirait en une revelation basée sur la comprehension de la beauté, de ce qui est hers dss contraintes dss goats imposes, ou du moins standardisés, par la société. ll prbne en quelque sorts un art personnel, qui serait manifestation de la conscience individuelle tendue dans un effort d'appréhension ou de connaissance de la réalité. Comme pour la littérature, l'art doit trouver de nouvelles avenues pour mieux exprimer l'aventure d'etre vivant. L'art, entité bourgeoise sclerosée, ne peut parvenir a traduire la 'Beauté des objets qu'il faut apprendre a voir tels qu'ils sont, dépouillés de leurs mysteres et de leurs sacrements . . ."27. Dans la recherche de l'authentique, il faut se débarraser des contraintes de la forme imposees par les conventions et explorer toutes les possibilites 26 Le Clézio, op. cit., p. 207. 27 Le Clézio, op. cit., p. 207. 68 pour atteindre la conscience humaine. Un des autres themes majeurs dans l'oeuvre de Le Clézio est celui du regard auquel il attache toujours une tres grande importance. Dans LlExlaaLmalaLialla en particulier, le regard est a la fois source st instrument de violence. Le Clézio parle de plusieurs sortes de regards: celui d'autrui sur soi, celui que l'individu porte sur lui-meme, celui qu'il ports sur le monde. Comme pour touts autre chose, le regard est une arms a double tranchant qui sert et dessert l'homme en meme temps. Regard et conscience sont bien entendu étroitement lies, puisque d'abord le regard que l'on ports sur sol s'origine dans le regard que les autres portent initialement sur nous, et aussi puisque nous finissons par nous regarder comme les autres nous regardent. Donc dans un mouvement de l'autre a sci, l'homme prend conscience de son individualite. Ce regard qu'autrui ports sur soi est largement développe dans les romans, et en particulier dans Laa fiaama (1973), livre dans lequel la plus grands partie de l'action se passe dans un supermarche ou tout le monde est constamment surveille par des cameras de television et 00 meme jusque dans la vie privée ls regard inquisiteur des Maitres pese sur les protagonistes. Dans L'EzlaaLmataLiaLla, le regard d'autrui results en l'agression de l'individu. ”L'oeil d'autrui, contenant le regard, peut susciter des troubles physiquss, dss phobies, dss peurs. Qui n'a subi la gene, voir la paralysis, devant le regard impudiqus qui devisage? Qui n'a senti l'attaque meurtriere qui filtre dss paupieres d'un inconnu qui, croit-on vous pese, vous juge, vous 69 disssque?"28, demands Le Clézio. A ce niveau moindre, le regard de l'autre est générateur de malaise, done violence infligée par autrui, intrusion dans la vie privée. Mais il n'y a pas que ls regard humain qui dérange l'écrivain; celui dss animaux est tout autant boulevsrsant, bien que ce soit pour une raison différente. En effet, le regard animal réveille en lui la sourde peur de l'attaque physique, et surtout,lul rappelle qu'il est séparé du monde, qu'il existe un autre univers auquel l'homme n'appartient pas, un univers denue de paroles et de sens pour l'homme et qui est potentiellement violent. Les yeux que les animaux portent sur l'homme sont décrits en termes d'agression, et appartiennent a des especes qui de tous temps ont été ennemies de l'homme. Comme nous l'avons déja dit, il y a mouvement du regard d'autrui au regard sur sci-meme. Dans ”L'lnfiniment moyen", touts une section intitulée "Miroir' ports a son paroxysme la violence du regard, jusqu'a mener a un episode qui tient de la schizophrenia la plus complete et qui rappelle a nouveau W de Lautréamont. Le regard et la conscience allant de pair, il n'est pas étennant que cet episode qui commence par le regard d'autrui pose sur sol, change progressivement de direction de telle facon que le regard finit par se retourner sur lui-meme pour culminer par le regard intérieur de la conscience. Pour commencer done, l'écrivain, le soir, dans sa chambre, sent sur lui le regard de l'autre. Cet autre, qui n'est pas vraiment décrit ni identifié au depart, est une presence potentiellement 28 Le Clézio, op. cit., p. 93. 70 dangereuse qui se trouve situee partout a la fois dans la chambre et s'infiltre par les moindres recoins. Protélforme, ce regard se transforms "en mouche, en cafard, ou en ver rongeur'29, puis dsvient un demon dont il est la victims. Peu a peu, d'un, l'autre est devenu multiple; d'insecte, il s'est progressivement transforms en puissances du mal et de l'inconnu. C'est centre ces forces maléfiques qu'il doit lutter de deux facons: en leur rendant leur regard et en leur adressant directement la parole. La persecution atteint son comble dans un élan de révolte centre cette puissance taboue qui se revels finalement étre la mort qui I'appelle. ll revisnt ainsi au problems crucial de la religion qui a invents Satan, qui a crée la dichotomie entre Ie bien st Ie mal et a rendu a jamais impossible une reconciliation entre l'homme et le monde. Chaque chose dans cette chambre lui rappelle sa condition, tout est miroir; les vrais miroirs qu'il doit retourner contre les murs pour ne plus avoir a subir leur cruauté, mais aussi les livres ouverts, st finalement, chaque objet. Tout cs qui I'entoure lui renvoie une image qui n'est plus sxactement une image de la réalité, mais celle d'une réalité qui, par son dédoublement, est devenue dangereuse et funeste. Par un autre fondu enchainé subtil, le regard dans le miroir dsvient ls regard de sci-meme réfléchi, le regard intérieur de la conscience qui dedouble la personnalité. ”La conscience” dit Le Clézio, ”peut etre trop humaine. La conscience peut etre cet abime qu'est le sol, cet abime qui sort de l'homme et le désagrége, 29 Le Clézio, op. cit., pp. 220-21. 71 et détruit son spectacle, son oeuvre.”30; la conscience de sol, lorsqu'elle est atteinte, ne peut plus jamais disparaitre, son mouvement est irreversible st l'homme est condamné a se regarder continuellement lui-meme. L'expérience est d'autant plus douloureuse qu'il n'y a aucune échappatoire, qu'il est impossible de briser les miroirs, puisque tout est miroir tant qu'il est vivant et conscient. A la fois centre et snvironnsmsnt, a cause de ce mouvement centrifuge et centripete qui n'a pas de fin, il est lui-meme en meme temps qu'il est l'autre. Sa conscience de lui-meme, exacerbée par la violence du regard le force a cette conclusion: ”Elle a fait le monde a men image, st mon image a l'image du monde.”31 Ce regard intérieur douloureux a aussi pour corrollaire le regard, moins angoisse, pose sur le monde extérieur, qui apporte la joie et meme l'sxtase en montrant la beauté possible et la réalité du monde. Ce regard extérieur est radicalement mis en opposition au regard intérieur qui appartient a celui qui se contemple et qui réfléchit sa propre image. Le regard extérieur est un regard actif, grace au mouvement duquel il peut atteindre la matiere et s'y unir. ll est une ouverture sur le monde, ce qui donne en derniere analyse son sens a la vie. Dans LlExtaaLmatarjafla, Le Clézio développe assez peu cette facstte du regard et ne fait que quelques réflexions passageres sur la facon dont le regard sur ls monde extérieur joue 30 Le Clézio, op. cit., p. 225. 31 Le Clézio, op. cit., p. 225. 72 sur la conscience. Au plus, dit-ll ll n'y .a de vie au monde que dans ce qui. participe ou est soumIs a cet exercice de dIssectIon. ICl Ia . communicatIon humaIne est rédUIte a sa plus SImple expressmn, et en meme temps poussée au paroxysme: geste fatal et superbementautonome de prise de . possessmn. L'homme défaIt pour refaIre selon sa IOl. ll détrwt pour reconstruire, II détache et sépare pour réunir, Il re'ette gour prendre tous les unIvers jomts en gerbe et 0 erts sa consommatlon.32 Le monde est inépulsable et chaque nouvelle perception, ajoutée ou surimposée aux perceptions précédentes, met en mouvement un nouveau processus de comprehension du monde. A cause de cela, de chaque nouvelle vision doit découler l'émerveillement que produit l'impression de découvrir a chaque fois quelque chose d'entierement nouveau. Dans W taua, dont le regard est le centre, Le Clézio menera cette investigation du monde phenomenal selon cette conception qui fait que Ie regard est ce par quoi Ia genese du monde s'effectue pour l'individu. Dans LlExtasaJnalaljaJla, le problems du regard est donc traité a trois niveaux différents, et est principalement de nature agressive, symptomatique ou symbolique de la violence d'un monde d'ou la beauté et la sérénité sont quasiment exclus. L'univers presents dans W rests avant tout, en dépit de quelques lueurs d'espoir, un univers d'ou l'homme se sent Ie plus souvent exclus que ce soit a un niveau métaphysiqus ou a un niveau purement quotidien et dans lequel il est continuellement expose a 32 Le Clézio, op. cit., p. 248. 73 des forces extérieures agressives st parfois dangereuses. Ces forces néfastes existent en l'homme lui-meme puisqu'il les reproduit de l'extérieur et en quelque sorts les exacerbe. Cette vision du monde ne disparaitra pas pendant longtemps; elle sera reprise et confirmée dans Hal, dans lequel l'auteur met encore plus en evidence les inadéquations de la vie dans la société occidentale moderne en opposant deux sociétés radicalement différentes. CHAPITRE 3 Hal ou le choc d'une culture Hal est généralement classifié dans la catégorie des textes Indiens dans l'oeuvre de Le Clézio. Cependant, il ne peut étre considers exclusivement comme tel dans la mesure 00 ll ne s'agit ni d'un livre de relations (contrairement aux Wm Balam1 et aux BalaflmaJLMjabaaaanZ), ni d'un récit des experiences hallucinogenes de l'auteur (contrairement a deflaaa3 et au W4). Hal est avec LEW un des livres les plus personnels de Le Clézio puisqu'il y exprime de facon tres directs ses Opinions sur le monde occidental et une certaine vision du monde. Bien qu'il consacre une grande partie du livre a rendre compte dss croyances et du style de vie d'un groupe d'lndiens du 1 J.-M.G.Le Clézio. WW (Parisr Gallimard, 1977). 2 J.-M. G. Le Clézio, BalatlanJlLMjanaagan, (Paris: Gallimard, 1984). 3 J.-M. G Le Clézio, Mdasa, (Paris: Editions Fata Morgana, 1973) 4 J.-M. G. Le Clézio, "Le Genie Datura", Las_CahjaLs_du_c.hamjn, 17, (15 janvier 1973), 95-129. 74 75 Panama, il inclut aussi des commentaires de la nature de ceux que nous trouvons dens l'essai classique. Lui-meme avoue dens son introduction que ses pages parlent en fait bien davantage de lui que du peuple qu'il a rencontre. Ses revelations sur lui-meme se trouvent dens ses commentaires sur les deux mondes qu'il met en opposition et sur la critique ardente qu'il fait de notre société occidentale moderne, de la meme facon qu'elles se trouvaient dens ll y a entre ces deux livres un grand nombre de similarites tent au niveau du contenu qu'e celui de la forme. Comme nous l'avons deja vu, LlExlaaLmataliaUa joue a deux niveaux différents. D'une part, Le Clézio y pose le grand problems de la dissociation de l'homme d'avec son snvironnsmsnt naturel, et d'autre part, il y émet ses opinions sur de nombreux sujets tels que Is langage, l'art ou l'écriture qui, en derniere analyse, sinscrivent dens sa dialectiqus sur la place de l'homme dens l'univers. La plupart de ces themes sont repris dens Hal, bien que largement moins développés puisqu'ils sont principelement utilises pour faire une comparaison entre deux cultures. Dans Hal, il ne fait que brievement mention du problems de le dissociation entre l'homme et le monde, du moins de facon directs. Mais la plupart de ses commentaires sur les autres themes ne sont qu'autant de facons d'affirmer que l'homme occidental a perdu contact avec la metiere, avec lui-meme et avec les autres. Dans LinaaLmataLiaUa, en dépit de la note d'espoir qui appareit brievement a la fin du livre quand l'écrivain évoque ce qui ressemble bien a un envol chemenique, ls ton rests dens 76 l'ensemble celui du désespoir st d'un intense mécontentement d'avec la société de laquelle il est issu et dens laquelle il vit. Ce mécontentement se retrouve d'ailleurs a travers les expressions de violence et d'aliénation qui caractérisent tous ses romans jusqu'en 1978. Hal est un tres court livre, comme LlExla§a_malaLialla divisé en trois parties, et qui est parseme de photographies diverses représentant les deux mondes mis en opposition. Chacune de ces parties ports un titre lndien traduit en franceis: "Tahu Sa", "L'Oeil qui voit tout”, "Beke", ”Le fete chentée" st "Kakwahai", ”Corps exorcise”. Le premiere partie, plus touffue que les deux autres, lui sert de prétsxts a dénoncer ce qui lui deplait dens notre société en accentuant l'influence positive que le monde lndien pourrait avoir sur nous. ll y inclut aussi des réflexions sur la femme qui acquierent tout leur interet lorsqu'elles sont comparées aux descriptions de la femme qu'il eveit faites dens LLExlaaa mataljalla, sur ls regard, Ie silence et le ritusl. Les deux autres parties sont davantage centrées sur un theme principal, respectivement sur le chant et sur la musique pour "Bake", at sur l'art pour ”Kekwahe’i”. Hal n'a pas de conclusion a proprement parler; plutét, comme dens ses oeuvres precedentes, et celles qui suivront jusqu'a WM (1975), Le Clézio termine par une ouverture sous la forme d'une question nouvelle qu'il se pose. S'il n'y a pas vraiment de conclusion, il y a par centre une courts introduction qui en revels beaucoup sur le contenu et la 77 forme de ce qui va suivre. D'emblée, il annonce avec la plus grands conviction, ”Je ne sais pas trop comment cela est possible, mais c'est ainsi: je suis un lndien.”5; affirmation forte st surprenante mais qu'il explique par le fait que, pour le premiere fois de se vie, dens cette société indienne, il s'est senti comme au sein d'une famille a laquelle ll apperteneit. Dans cette introduction, il constate que son livre suit un déroulement particulier, celui d'un rituel de guérison magique dont chacune dss phases ports le meme nom que chacune des sections du livre et qu'il réintitule "Initiation”, "Chant” et "Exorcisme". ll est ici tout a fait evident que l'écrivain joue pour lui-meme le role du shaman et que l'écriture est un exercice d'exorcisme qu'il pretique au mieux dss possibilites qu'elle lui offre. Une partie considerable de cette introduction est une réflexion sur l'art, et une confirmation de ce qu'il en avait déja dit dens L_E)lta§_a_matar_ialja. ll reaffirms son rejet de l'art occidental dont il refuse d'inclure touts reproduction quelle qu'elle soit dens son livre. Pour Le Clézio, l'art occidental n'est ni plus ni moins qu'une valeur merchande et un symbols de la douleur et du désespoir qui regnent dens notre société. ll resume en quelques mots son rejet de cette conception de l'art que nous trouvons dens nos musées en dénoncent son immobilisme et sa sclérose qu'il met en opposition eux mouvements et a la vitalité dss representations picturales et magiques dss indiens. ll explique qu'il a preféré 5 J.-M. G. Le Clézio, Hal, (Geneve, Editions d'Art Albert Skira, 1971), p. 7. 78 porter son choix de photographies sur des images qui représentent de facon encore plus freppente que des tableaux ou des sculptures la decadence et la déchéance de notre société, e savoir des publicites et des photos de gratte-ciels qui symbolisent ". . . les messages maléfiques et acceblants que nous dictent les vrais maitres de notre société moderne: les Merchands."6 Ces photos ne font qu'accentuer l‘artifice et l'aliénation de l'homme dens le 1 monde moderne. Dans ces premieres lignes, il associe art st exorcisme d'une matiere un peu obscure; ”Un jour,” dit-ll, ”on saura peut-étre qu'il n'y avait pas d'ert, mais seulement de la médecine."7 Cette association sera rsndue évidente per la suite lorsqu'il expliquera la fonction de l'art dens Ie monde indien. Pour comprendre le terms ”medecine", il faut rechercher son sens dens le contexts indien ou il s'agit d'un pouvoir magique, d'un rituel, d'un ceremonial qui permet a l'homme d'une part d'exorciser les forces néfastes ou effrayantes de le nature, at d'autre pert soit de s'identifier au monde qui l'entoure. soit d'affirmer par ses pratiques son appartenance au monde, d'un bout a l'autre du temps. Le contrasts qu'il fait est d'autant plus net qu'il oppose les deux sociétés en termes de la reconnaissance qui leur est apportée, selon dss criteres totalement en contradiction. Le monde occidental est souvent vu comme étant par excellence le models a 6 Le Clézio, op. cit., p. 9. 7 Le Clézio, op. cit., p. 8. 79 suivre, le leader culturel, l'envie du rests du monde, mais il est sclérosé, étouffé per son immobilisme qui provient de l'absence totals de spiritualité et de sentiment d'appartenance. A l'autre bout du spectre, le monde indien est anonyme, retourne sur lui-meme, mais il est mobile et plein de spiritualité, et la culture qui Ie maintient en état de coherence et qui lui donne tout son sens repose sur une relation complexe st profonde avec le monde naturel. Comme LlExtaaamatalialla, Hal est non seulement un livre de réflexion mais aussi un cheminement intérieur, l'expression d'une quete a la recherche d'un certain tangible et de certaines assurances qui psrmettraient de donner un sens a l'existence. La premiere partie de Hal, "Tahu Se", ”L'Oeil qui voit tout”, est un emalgame de réflexions de portée générale et de réflexions plus spécifiques sur la femme, le regard, le silence et le ritusl. En ce qui concerns les réflexions d'ordre general, elles se situent e deux niveaux différente: il y a celui plus terre-e-terre du problems posé par la simple survie dans le monde moderne (c'est-e-dire dans le monde urbain labyrinthique), et le niveau plus philosophiqus de la place de l'homme dens l'univers qui reprend le problems de la dissociation de l'homme et de l'univers qui était au coeur de Pour Le Clézio, comme pour beaucoup de gens de se generation, de facon a comprendre le sens de l'existence dans la monde moderne et le sens de l'existence tout court, il a été nécessaire de faire l'expérience d'autres civilisations, en particulier de ces civilisations dites primitives, dont la vision du monde, mise en 80 contrasts avec la notre permettait d'expliquer et de résoudre l'impasse dens laquelle nous nous trouvons. Pour lui, ce fut le rencontre avec ls monde indien qui l'emene a reconsiderer sous une lumiere différente les premisses sur Iesquelles sont basées nos conceptions de l'existence. ll y a dens l'oeuvre Ieclézienne une constants dichotomie entre deux désirs tres profonds: celui de la quste dont l'issue résidereit dans la découverte d'un sens a l'existence, et celui de la fuite, soit physique soit métaphysique, lorsqu'il dsvient trop difficile ds confronter l'existence. Dans Hal, il y a un debut de resolution de cette dichotomie dans la mesure ou quete et fuite ne sont plus mutuellement exclusives, cu elles sont meme compatibles si elle sont utilisees correctement. Le fuite, dont le désir est puissant, ne constitue pas une solution puisqu'en derniere analyse celui qui fuit emporte ses doutes avec lui et ne parvient jamais qu'a se retourner sur lui-meme. Ce qu'il faut fuir, cs n'est donc pas sol-meme, mais le monde-prison urbain qui, labyrinthique, finit par étouffer la conscience, l'univers carcéral de la ville qui est inadéquat pour comprendre le dessin et le dessein du monde. En fait, plus on tente de comprendre et d'expliquer ce monde-le et plus il nous écheppe a cause de se complexité et des méprises que l'homme a sur lui. Selon Le Clézio, une des raisons principeles pour laquelle il est impossible pour l'homme de comprendre son monde, est qu'il croit que c'est le monde creé par l'homme qui regents le rests de la creation alors qu'en fait le mouvement se fait dens le sens contraire. 81 La fuite doit se fairs, non pas hors de sol ou du monde dens lequel on vit parce que cela restereit une entreprise vaine, mais en direction d'un autre univers dont le nostalgie hantait deja Le Clézio dens L1Ex1a§a_malaljaUa, cet univers des verites premieres de la matiere cu les vibrations entre l'homme et la nature sont les signaux de la comprehension, ou le langage n'a pas encore exclus l'homme de l'univers en cemeuflant sous ses mensenges la réalité de la force de la vie. Contrairement a LLExtasLmataliaua dont le cheminement intérieur avait pour but de tenter de démontrer que l'homme appartient au monde, dens Hal Le Clézio affirme d'emblée que ". . . l'expérience des hommes est incluse dens l'expérience de l'univers."8, et ce n'est que par l'étude dss civilisations primordiales comme celles des Indiens que l'homme occidental trouvera dss explications a ses questions. La plupart du temps, la tentation de la fuite ne se materialise pas a cause des réseeux de pieges que la ville entrelace auteur des gens, mais pour qui parvient a s'en aller et a trouver un autre monde, la quete est encore bien loin d'aboutir. Aussi sur que Le Clézio soit que les réponses a ses questions se trouvent dans la nature, il n'est pas moins conscient qu'il existe entre les deux dss rapports de force qui sont difficiles a surmonter. Tout d'abord, la nature ferme ses portes a l'homme qui n'est qu'un element superfétatoire dans ce monde dens lequel ll ne peut trouver son chemin. Les descriptions de la jungle du Panama sont d'autant plus adequates qu'elles rendent encore plus vivacs cet acces difficile a 8 Le Clézio, op. cit., p. 15. 82 la nature a cause de la quuriance et de la complexite de ses formes, de ses apperences, et des dangers qu'elle recele dens ses animaux sauvages et ses plantes vénéneuses. Plus forte que la ville, elle est aussi plus difficile a pénétrer parce qu'elle n'est pas soumise aux lois humaines et en particulier aux ruses du langage qui permettent aux hommes d'entrer en possession du monde qui les entoure. Le problems majeur de l'homme occidental est qu'il tient a donner un sens au monde avant meme de simplement accepter que le monde est et que lui, l'homme, est dans le monde. Pour pouvoir comprendre le monde, l'homme doit abandonner ses rationalisations et ses raisonnements, ses tentatives d'eppréhension intellectuelle pour, au contraire, se mettre en harmonis vibratoirs avec lui. Si le monde refuse son ecces a l'homme, c'est parce que l'homme continue a imposer ses normes au monde. Ce n'est qu'en se débarrassant de ses prejugés que l'homme pourra faire un avec la forét dans une espece de mimétisme. Au lieu que l'homme regards le monde dens l'espoir qu'il est un miroir le réfléchissant, il doit regarder le monde pour ce qu'il est pour pouvoir y trouver sa place. Déja done a l'époque de Hal, l'écrivain a certaines assurances qui lui manquaient dens LLExlasa_matalialla sur la possibilité de pénétrer dans le domaine naturel. II a développe un systems de pensée qui, au lieu de le fermer eu monde, lui en donne au contraire l'acces. La caractéristique la plus évidente de l'évolution de sa pensée ici est qu'il semble un peu plus convaincu qu'il réussira dens son entreprise de comprendre ls monde et sa place dens l'univers en 83 passant par un rejet total des valeurs st ds l'environnement occidentaux pour se plonger dans le mystere d'une civilisation radicalement différente. Dans la premiere partie de Hal, il n'est fait que brievement mention de l'environnement physique des Indiens Emberas, et cela principelement pour le mettre en opposition a l'univers de la ville et pour démontrer que l'acces au monde naturel n'est possible qu'e l'homme qui accepts de se débarrasser de ses preconceptions sur la relation qui existe entre lui et la nature. Le premier développement vraiment frappant est celui que l'écrivain fait sur la beauté des femmes indiennes et qui acquiert touts sa signification lorsqu'il est étudié parallelement a celui qui se trouvait dens LlExlasaanatQflalla. Les personneges feminine sont relativement nombreux dens l'oeuvre de Le Clézio, et possedent tous plus ou moins les memes caractéristiques. Ce sont tous dss femmes jeunss, a la limite de l'adolescence et de l'ege adults, mal adaptées au monde, objets sexuels victimes de viols (Lafiaaaflalaal et La_G_ualla), suicidaires (La_Qaluga), en general legerement déséquilibrées. La premiere femme (e nouveau une femme-enfant) qui soit vue sous un jour positif est Neja Neja dens Willem en 1975. En comparaison a ces femmes-enfants, celles que Le Clézio presents dens LLExlasa_malalialla et dans Hal sont des femmes qui ont en commun d'avoir dépessé l'ege de la nubilité, mais qui sont radicalement différentes dens leur essence. Dans ces deux recueils d'essais, Ls Clézio traits de la femme a 84 deux niveaux différents mais complémentaires: celui purement descriptif qui lui permet d'exprimer une vision et une conception particulieres de la femme dens cheque société, st celui plus symbolique du rele et de l'importance de la femme dans le grand plan de la vie et qui expose deux visions totalement opposées de la place de l'homme dans la matiere entre 1963 st 1971. De meme que la plupart dss états d'esprit ou des sentiments traités dens LlExlaaLmataLlaUa sont charges de dualite, la femme qui est présentée dans le livre est elle aussi double: il y a la femme tells qu'elle epparait a le surface, d'abord image presqu'idéale, et puis, il y a celle qui est dépouillée de ses artifices et qui revels un personnege en contradiction complete d'avec le premier. D'abord, au point de vue purement descriptif, la femme qu'il presents dens LlExtasLmalallaUa apparai‘t sur un écran de cinema, donc d'emblée comme dissociee du monde reel mais symptomatique du monde des epparences dens lequel nous évoluons. Per le systems Ieclézien habituel du fondu-encheiné, cette femme finit peu a peu par etre assimilée a toutes les autres femmes dont elle represents, en derniere analyse, le prototype. Le premier aspect de cette femme a double personnalité est troublant. La femme sur l'écran, aussi attirante et sensuelle qu'elle sache se montrer, est en fait une representation incarnée de l'artifice de notre monde. Chacune dss parties de son corps est décrite tour a tour, donnent l'impression qu'elle n'est qu'une partie d'un puzzle qu'il nous faut reconstituer st qu'elle n'est qu'un mannequin articulé par des ficelles invisibles. Bras, dos, jembes 85 jouent les expressions, les reles qui leur ont été assignes, la comédie dss sentiments, répétant les gestes qui leur ont été inculques. Ces gestes appris et répétés manquent totalement de spontanéité mais savent répondre parfaitement aux sentiments codifiés par la société; mécanisme bien rode, le corps tel qu'il est presents ici perd entierement son homogeneité et parait meme independent du visage qui finit par acquérir sa propre autonomie. Lui aussi, a l'image du corps sur lequel il est pose, montre les sentiments qui sont reconnus per ceux de la race a laquelle il appartient. L'impression generals qui émene de ces descriptions est semblable a celle qui restait epres Ia lecture sur l'engagement social: l'homme (ou la femme), conditionne a l'extréme, répond aux stimulus extérieurs par des reflexes appris et imposes par la société, et non pas spontenément. Ce qui est vrai au niveau ds l'idéologie est aussi vrai eu niveau dss emotions. ll y a un autre aspect de la femme, celui qui se trouve sous cette cuirasse de vetements et de maquillage, la femme de chair dont la fonction premiere est Ie col‘t et le reproduction. Apres avoir exercé sur elle un déshebillage et un démaquillage sans pitié qui la ramene a sa nudité originelle, Le Clézio nous la fait contempler comme une charogne en puissance, une femme encore jeune qui se decompose déja cu qui est déja morte. lci, les images corporelles sont des images de putréfection qui renforcent l'impression générale de désespoir total. Les images de reproduction ne sont guers plus optimistes puisque les hanches de la femme sont vues comme ". . . de larges jarres ou la vie peut fairs 86 germer son champignon infect."9 De touts image de vie découle une image de pourriture et de mort qui rappelle ce qui se trouvait dans la premiere partie du livre: celle qui donne la vie tue en meme temps. Ces descriptions sur la femme permettent a l'écrivain d'exprimer une partie de ses convictions sur l'existence, a savoir qu' ". . . il n'y a pas de vérité humaine. ll n'a a pas ds beauté, il n'y a pas de certitude.”10, et aussi que l'homme, dissocié du monde, ne peut pas toujours parvenir a concevoir la putrefaction de son corps comme la premiere étape vers le retour final st extatique a la matiere. En opposition flagrante a ces descriptions morbides de la femme dens LlExlasLmatarjalla, celles qui se trouvent dens Hal sont constamment empreintes de poésie et d'émerveillement devant la beauté et la force qui émanent du corps de la femme indienne. La premiere disparité qui appareit dans cette evocation tient a uns comparaison entre les deux civilisations et prend la forme de questions. Comment, demands Le Clézio, est-ll possible que notre société, si riche, si excellemment nourrie, ne parvienne pas a produite de beauté, alors que ces peuples, qui souffrent si souvent de faim et de malnutrition, sont eux en possession de ressources de beauté inépuisables? La beauté du peuple lndien et de la femme en particulier tient a deux conditions dont la femme occidentale est 9 Le Clézio, op. cit., p. 175. 10 Le Clézio, op. cit., p. 100. 87 dépourvue. La femme indienne n'est pas soumise au conditionnemsnt et aux restrictions qui sont imposées par une société conformiste. Cela se manifests au niveau de la vie quotidienne per la liberté de jugement st d'action qu'elle peut exercer sur son propre corps, qu'il s'agisse de gérer son corps comme elle l'entend ou du manque total de competition qui existe entre les femmes quand il s'agit de leur beauté. Elle ne cherche pas a fairs remarquer sa beauté qui est d'autant plus evidente qu'elle ne la cache pas sous dss parurss artificielles. Les seuls subterfuges qu'elle utilise pour augmenter sa beauté sont le long démélage de sa chevelure et les peintures naturelles qui ne trehissent pas son corps, mais qui au contraire s'harmonisent avec lui. Se beauté vient du plus profond d'elle-méme done, et non pas d'ornements artificiels. De plus, étre purement sexuel qui n'a d'autre raison que la fécondité, elle est aussi vue comme totalement naturelle, "Apparue[s] sens rupture, sans déchirement, entre les autres formes vivantes de la terre."11 Pertie intégrante de la nature qui l'environne, elle est tour a tour compares a un fruit et a un arbre, et sa chevelure est compares a un fleuve. Ici, il n'y a guere d'images rappelant les mécanismes créés par l'homme. L'essence de sa beauté tient au fait qu'elle ne cherche pas a dominer ni a se comparer aux autres, mais simplement en ce qu'elle est stirs de sa fonction, de ses gestes, et surtout de son appartenance au domains natu rel. 11 Le Clézio, op. cit., p. 28. 88 De tous les traits de la femme indienne, celui qui paralt le plus remarqueble et qui permet a Le Clézio de faire un encheinement subtil est les yeux. Dans L_Ex1asa_matar_ial|a, nous avons vu que le regard est essentiellement violent, qu'il s'agisse du regard d'autrui sur soi ou du regard ds l'individu sur lui-meme. Agressif et dangereux, ce regard, qui atteint l'ame, déchire l'homme jusqu'au plus profond de lui-meme et Ie laisse en proie a d'horribles souffrances. En revanche, dans Hal, le regard des femmes indiennes posssde une caractéristique qui a disparu dans le monde moderne. Alors que les yeux occidentaux, de facon tres appropriée compares a une lentllle d'appareil photographique qui s'ouvre et se referme pour emmegasiner les images, disséquent et violentent sans véritablement voir, ceux de la femme indienne ont conserve leur fonction premiere qui est tout simplement de regarder. Selon Le Clézio, l'homme occidental n'utilise plus son regard ainsi qu'il est sense le fairs parce qu'il a perdu la faculté de lire les signes, de déchiffrer Ie monde. Ses yeux donc lui sont devenus inutiles et fonctionnent uniquement comme uns machine a enregistrer des images. De meme que le monde n'est pas un miroir dans lequel l'homme doit chercher a se voir, le regard ne doit pas revenir sur lui-meme, mais il devrait se poser sur le monde auteur de lui pour lire les signes de la vie. Le regard, libéré des contraintes du conditionnemsnt, donnerait donc la possibilité de voir le monde tel qu'il est reellement et non plus tel que nous le percevons, deforms ou meme inaccessible e la conscience. Le Clézio réalisera cette 89 tentative de retrouver une perception libérée dss préjugés dans W dens lequel il consignera nombre de descriptions du monde qui lui permettront de déchiffrer les signes de la nature. Les seuls signes qui nous restent dens notre société automatisée sont les mots, bavards, qui nous déteurnent du caractere immédiat de l'existence. Comme le regard, les mots, tels qu'ils sont utilises dans le monde occidental, forcent l'homme e opérer un retour violent sur lui-meme et ont perdu leur role primordial qui est de nous rappeler que nous sommes vivants au lieu de nous snfermer dens l'esclavage. Le nostalgie Ieclézienne d'un autre type de langage ou d'une autre utilisation du langage éclate dens Hal lorsqu'il s'exclame: "Qu'ils visnnent vite, les signes de la magie, les mots de la megie! On les attend. Qu'ils habitent a nouveau a l'intérieur des objets lointains, c'est cela qu'en espere. On prend dens ses mains un verre, un miroir, uns bouteille, n'importe quoi, et on écoute ce qu'ils disent tout bes.”12 Chaque objet ports en lui un message qui rend manifests a l'homme la preuve de son existence. C'est en faisant une comparaison approfondie de l'utilisation du langage et du silence chez les Indiens et dans notre société que Ls Clézio exprime le mieux le trahison et Ie pouvoir reel dss mots. Alors que pour nous, le silence est soit mutisme, soit contemplation inactive, alors que nous utilisons les mots parce que nous sommes programmes pour parler car les mots sont notre seule 12 Le Clézio, op. cit., p. 45. 90 defense dans une société basée sur le langage et que nous ne pouvons obtenir st conserver notre identité qu'en parlant, pour l'lndien, Ie silence est naturel et le mot est magique. Les Indiens expliquent leur conception du langage par cette histoire selon laquelle, autrefois, tous les etres de la creation parlaient, mais il y eut un boulevsrsement, st seul l'homme e continue a parler. Per la meme," est devenu impossible a l'homme de comprendre le langage dss autres creatures et c'est pourquoi il lui faut étre silencieux pour pouvoir ressemblsr eux animaux, c'est pourquoi il évite de parler pour pouvoir entrer en harmonis avec la nature. Le silence de l'lndien est le contraire de notre silence, il est "un langage a l'envers"13 qui lui permet d'écouter et de comprendre; en se faisant, l'lndien apprend aussi a parler le langage du monde qui l'entoure. Cette absence de bruit, bien loin d'etre comparable au néant, est au contraire existence d'autres possibilités, dont la plus importante est celle de lire les signes du monde. Le Clézio rappelle que le perpétuel deluge dss mots est la caractéristique principals de notre société, et comme il comparait notre regard a celui d'un appareil photographique, il compare notre voix a un haut-parleur, renforcent l'aspect artificiel et mécanique de notre langage. Chez l'lndien, par centre, puisque le silence est naturel, le mot est magique st doit en consequence etre utilise de fagon tres discriminatoire. L'lndien se méfie du langage qu'il voit comme dangereux puisqu'il est a la fois trahison et exposition de 13 Le Clézio, cp. cit., p. 36. 91 sci, done facteur de peur. Le langage, explique Le Clézio, est le bien commun de la tribu et en consequence ne peut etre utilise n'importe comment car il est "un acts associant l'homme et l'univers”14, alors que dens notre monde occidental, le langage nous dissocie de l'univers. Le langage, compare a un acts essentiel de la vie, est principelement utilise au cours dss rituels, c'est-a-dire en temps de crise, et alors il ne peut plus etre ls deluge sous lequel l'homme se cache sa vérité, mais dsvient au contraire une nécessite révélatrice qui, combines a l'art, a pour fonction principals de guerir. En exposant ces deux conceptions opposées du silence et du langage et en s'ouvrent aux possibilités qui sont offertes par une autre société, l'écrivain parvient a clarifier sa vision personnelle et sa nostalgie d'un langage essentiel qui lui permettrait de s'unir au monde. De la meme facon qu'il étudie le langage dans les deux sociétés, Le Clézio étudie aussi la fonction de l'art qui ne peut etre dissociee de celle du langage. Dans LExlasLmalallalla, et encore dans Hal, sa vision de l'art occidental est fondamentalement negative puisque d'une part, il est pour nous une autre facon de nous poser ces questions auxquelles nous ne trouvons pas de réponse, et d'autre part, compartimentalisé a l'extréme, ll empeche une vision globals du monde. En outre, reserve a une elite, il provoque l'arrét de la communication. Comme Le Clézio reviendre longuement sur l'art dans la troisieme 14 Le Clézio, op. cit., p. 34. 92 partie de Hal, nous n'aborderons ici le problems de l'art qu'en conjonction avec le ritusl. Contrairement a l'homme occidental pour qui l'art n'est qu'un moyen de representation (et non pas de communion ou de communication), "Les Indiens ne représentent pas la vie, ils n'ont pas besoin d'analyser les événements. Au contraire, ils vivent les representations dss mysteres . . ."15. Comme le langage, l'art est utilise au cours dss rituels d'exorcisme et se mele intimement a l'écriture, representation graphique de la parole, inscrit a meme la peau dens la premiere phase du ritusl. Le mélange complexe des mots (sacrés) et des grephiss permet l'eccomplissement de l'exorcisme, par lequel l'homme, libéré dss forces maléfiques, peut regagner son invulnérabilité. Dans l'ensemble, la premiere partie de Hal offre d'une part une continuation de la critique de la société moderne et de ses valeurs sclerosees amorcée dens L1Exlasa_maté_rlalla,ainsi qu'une alternative a nos conceptions du langage et de l'art tels qu'ils nous sont presentés par une culture différente. Cette premiere partie montre surtout comment le désir de comprendre le monde d'une facon différente qui se manifests par un dépouillement du langage et un renoncement eux prejugés peut permettre d'appréhender le monde, les autres et sol-meme différemment. S'il est une lecon claire que "Tahu Sa" nous enseigne de facon frappants, il s'agit de celle concernent l'edaptation de l'homme a son snvironnsmsnt. Le Clézio fait un parallels frappant entre la 15 Le Clézio, op. cit., p. 42-3. 93 jungle et la ville: "En créant les villes, en inventant ls béton, le goudron et le verre, les hommes ont invents une nouvelle jungle dont ils ne sont pas encore les habitants.”16, dit Le Clézio. Ce parallels n'a de sens que dans la mesure ou l'homme occidental peut apprendre une lecon de l'expériencs indienne: de meme que l'lndien a mis des millions d'années a connaitre son univers et a devenir un avec lui, l'homme occidental apprendre en son temps a se sentir un avec la ville 00 il est encore en exil. Au cours des deux autres parties de Hal qui ont chacune leurs themes spécifiques, Le Clézio parsemera ses considerations sur la musique, le chant et l'art de réflexions sur la ville, la vie moderne et l'exil de l'homme, mais comme il s'y attache particulierement a la fin du recueil, nous y reviendrons e la fin de ce Chapitre. La deuxieme partie ds Hal, "Beka", ”La Fete chantée", commence par cette réflexion paradoxele puisque cette partie est consacrés a la musique et eu chant: ”Le silence obsede les lndiens"17, mais elle est rapidement rendue claire puisqu'il apparait que comme le langage n'est pas le contraire du silence, la musique et le chant ne sont pas non plus les contraires du silence, mais plutét fonctionnent conjointement a lui dans une dialectiqus quelque peu compliquée dont la prémisse principals est l'appartenance de l'homme indien a la nature. Pour qui a entendu les tambours et les chants dss Indiens 16 Le Clézio, op. cit., p. 41. 17 Le Clézio, op. cit., p. 55. 94 d'Amérique du Nord, les explications de Le Clézio sur la musique des Indiens Emberas touchent juste. Leur musique, en effet, n'a rien en commun avec la netrs. Musique repetitive et non pas mélodique, elle symbolise la conception du temps selon les Indiens pour qui il est exclusivement cycliqus, alors que notre musique discursive correspond a notre conception linéaire du temps. Et de meme que le temps n'a ni debut ni fin, la musique indienne n'a pas de duree en sol. Comme le langage et l'art, elle ne represents pas une fegon de se distinguer dss autres; au contraire, elle renforce Ia similarité entre cheque musicien ainsi que son sentiment d'appartenance eu monde. Cette musique n'est pas le contraire du silence, mais son complement. De meme que, le jour, pour etre en accord avec la jungle silencieuse l'lndien est silencieux, ce n'est que la nuit, lorsque la jungle s'eveille que l'lndien se met a fairs de la musique, une musique monotone qu'il produit a partir d'instruments trouvés directement dans la nature. A nouveau, l'accent est mis sur la capacité de chaque individu a produire dss sons qui sont également acceptables pour tous; il n'y a pas besoin de talent exceptionnel pour jouer, chaque lndien portent en lui tout le potentiel artistique nécessaire. Comme la musique est "seulement un bruit dans le concert des autres voix”18, elle est donc avant tout une vibration d'origine organique pour ainsi dire, elle est "un appel, un désir, la 18 Le Clézio, op. cit., p. 57. 95 vie transformée en bruit."19 Nous sommes ici bien loin de la conception occidentale de la musique selon laquelle la creation musicale est une interpretation ou une mise en musique du monde. Contrairement a l'homme occidental qui recrée le monde par l'entremise de son art, l'lndien lui sait que le monde n'est pas 'convertlble"20 et, en consequence, il n'utilise sa musique que pour se mettre a l'unisson avec les animaux de la creation et pour entrer en communication avec les forces menacantes du monde. Comme le langage, le chant est sacré et ne peut donc pas étre utilise n'importe comment; en fait explique Le Clézio, meme lorsqu'il ne s'agit pas des chants sacrés dss cérémoniaux d'exorcisme, l'lndien doit sacrifier a certains rituels avant de commencer a chanter. Chaque lndlen possede se propre chanson qui d'une pert lui permet de définir son identite, et d'autre part, d'entrer en communication avec les forces occultes. ”Le chant strident dss Indiens,” dit Le Clézio, ”ne détruit Ie langage des hommes qu'en vus de l'etablissement d'un autre langage, qui est communication avec le monde parallels."21 Ce chant qui sert de pont entre le reel et l'irréel est une tentative de toucher cs monde terrifiant de l'inepereu. Contrairement a l'homme occidental, l'lndien ne cherche pas a expliquer le monde per son art, il l'utilise simplement pour se mettre en harmonis avec lui. 19 Le Clézio, op. cit., p. 67. 20 Le Clézio, op. cit., p. 57. 21 Le Clézio, op. cit., p. 91. 96 De meme que Ie langage, le chant n'est pas gratuit et l'utilisation discriminatoire que l'lndien en fait ne peut que satisfaire Ie désir de dépouillement, d'accomplissement et d'appartenance qui obnubile Le Clézio. La derniere partie de Hal, "Kakwahai", "Corps exorcise”, est une réflexion sur la fonction de l'art en general, et une conclusion de la quete spirituelle menée par l'auteur. Nous avons remarqué que dens LlExlasaJnalalialla Le Clézio exprime des opinions assez tranchantes sur l'art dans le monde occidental, art qui, pense-t-il, a perdu sa fonction originelle et qui s'est sclérosé dens les musees en devenent avant touts chose une valeur marchande morte. Dans Hal, il reprend toutes ces idées st confirms en fait ses opinions en comparant l'art occidental et l'art des Indiens Emberas. Ces Opinions qui étaient déje catégoriques dens W sont développées et explicitées dens Hal. En fait, il va meme jusqu'a totalement rejeter toutes les conceptions sur l‘art qui existent dens notre monde, et ce rejet s'integre dans sa recherche d'une authenticlté plus grands de tout ce qui est humain. Dans l‘introduction de Hal, Le Clézio avait inséré un court paragraphs dens lequel il expliquait brievement pourquoi il avait choisi ds n'inclure dens son livre aucune representation de ”l'art occidental". Pour le plupart, lorsque nous pensons art, nous pensons automatiquement aux grands (st moins grands) maitres pour Iesquels nous ressentons respect et admiration, et nous pouvons donc etre cheques des invectives lecléziennes. ll ne nous demands pas de partager son point de vue, mais explique 97 simplement que pour lui cet art a perdu son sens vu la facon dont il est exploits comme une valeur marchande et parce qu'il contribue a symboliser la cupidite de notre monde; en consequence, il n'est guere etonnant qu'il ajoute que ". . .l'auteur de ces pages en est arrive a la [la peinture] hair sérieusement."22 Cette haine profonde e plusieurs origines et qui ne sont pas forcement de nature artistique, bien au contraire. Elle rejoint plutét touts une vision de l'existence qui est liée au problems précédemment traité de la dissociation, du manque de communication et de l'exploitation de la fouls par quelques maitres (les marchands). Son premier grief est contre les techniques picturales utilisées dens notre monde, et en particulier contre la toils en laquelle il ne voit qu'une frontiers artificielle entre l'art et la réalité. Cette toile, surface arbitrairement choisie et dont l'utilisation s'est perpetuée, de par sa fixite et de par le fait qu'elle est plane, ne peut nous offrir que des illusions, des ”figures de la réalité en trompe-l'oeil."23, dont la fragilité et le manque de durabilité sont évoques par des images de tableaux crevés. Ces toiles ne possedent done aucune consistence et ns sont qu'une illusion qui dissocie la peinture du monde. Le deuxieme grief qu'il presents et qui se retrouve lorsqu'il parle du chant et de la musique est qu'il est indispensable dens 22 Le Clézio, op. cit., p. 9. 23 Le Clézio, op. cit., p. 108. 98 notre société de posséder un don pour etre reconnu comme artiste. ll avait deja dénoncé cet élitisme dans LlExlasLmataflafla. L'artiste est vu comme un etre d'exception qui est automatiquement considers comme supérieur aux autres. Le Clézio exprime un clair désir ds voir les oeuvres individuelles disparaitre car, pense-t-il, elles ne refletent que les angoisses personnelles de l'artiste au lieu d'etre un témoignage de tout ce qui est commun a tous les hommes. L'oeuvre d'art est devenue, presque par definition, un symptoms du malaise de vivre d'un individu. Il est bien entendu impossible de nier qu'il y a eu dens l'histoire de la peinture occidentale une certaine continuité et que chaque école a bénéficié dss progres et des découvertes de ses prédecesseurs pour améliorer la qualité de ses oeuvres. Mais cs sur quoi Le Clézio insists est le fait que cela est parce qu'il n'y a aucune stabilité artistique dens notre monde. Chaque artiste doit recommencer pour lui-meme, des le debut, le cheminement de la conscience qui le menera a la creation artistique. Ceci est symptomatique d'une société qui n'a acquis aucune certitude sur son existence, qui n'a trouve aucune réponse satisfaisante a see questions. En consequence, n'ayant pas reussi a trouver la representation parfaite, la peinture occidentale doit continuer a chercher sa vole. Bien qu'il reconnaisse qu'aujourd'hui la peinture occidentale a commence a se libérer de la toils et a retrouver ". . . Ie contact avec les objets et le corps."24, ll doit concéder que ces representations 24 Le Clézio, 0p. cit., p. 117. 99 sent encore et toujours considérées comme des oeuvres, donc comme des valeurs marchandes. ll accentue le cété artificiel, donc dissocié, de l'art en rappelant l'utilisation dss matériaux qui sont scientifiquement élaborés pour augmenter la speculation sur l'art. Dans notre société, ceux qu'il appelle "les marchands" s'lngenient a créer dss couleurs et des formes que l'on trouve aussi bien dens l'art (eu sens ls moins péjoratif du terms) que dans la forme la plus vile de l'exploitation artistique: la publicité. Cette forme spoliée d'expression artistique est utilises pour rendre l'homme ssclave dss choix de quelques meitres, elle est une beauté créee pour la destruction de la liberté de la fouls qui n'est pas consciente de l'agressivité et des dangers de l'art publicitaire. Le Clézio, étant parti de l'art tel que nous Ie concevons sous sa forms la plus noble, acheve son analyse sur sa forms la plus basse, montrant mieux ainsi que nous sommes tous victimes, a un degré ou a un autre, de l'illusion créée par l'art occidental et des dangers qu'il peut représenter. Qu'il s'agisse donc d'une confirmation de la dissociation de l'art occidental d'avec la réalité qu'il est sense representer, ou de la violence dont il est capable, ce qui ressort en derniere analyse est qu'il a completement échoué en se rabaissant au rang d'un simple objet denué de signification. A set art sclérosé et sterile, il oppose celui dss Indiens Emberas qu'il étudie et explique parallelement a leur vision du monde, l‘un n'allant pas sans l'autre. Cet art est dramatiquement different du nétre, tent dens ses 100 formes que dens son histoirs et sa signification. Alors que Le Clézio reprochait a l'art occidental d'etre un art mort et marchand, il s'émerveille devant l'art Embera qui est, et pour cause, un art extremement vivant. D'abord, cet art n'est pas reserve a une elite ou a quelques créateurs; chaque lndien possede en lui tout le talent nécessaire a la creation picturale. Contrairement a nos formes d'art qui doivent etre sans cesse renouvelees, la peinture indienne vient du fond des temps; l'lndien n'a pas besoin de constamment retrouver de nouvelles formes puisque les formes correctes ont déja été trouvees depuis longtemps, st qu'elles répondent parfaitement aux questions auxquelles l'art tente généralement de répondre. De plus, l'essence de cette peinture est rituelle et magique; c'est un art vivant qui relie les Indiens aux mysteres de la creation, un art actif et mystique grace auquel l'homme entre en contact avec l'univers. ll ne s'agit pas pour l'lndien de représentsr le monde, c'est-a-dire de se l'approprier et de le réifier. Bien au contraire, ll existe entre l'homme et le monde, a travers l'expression artistique, un double mouvement, un ”Double lien qui l' [l'lndien] unit au monde: l'lndien commands aux formes, il les plie a son désir, il les ordonne; et aussi il n'invente que ce que le monde lui commands d'inventer.”25 L'art ne sert pas a représenter le monde mais a l'ordonner, a lui donner un sens, et le sens ayant été acquis depuis des millenaires, la forme de l'art est immuable. Alors que Le Clézio protestait centre le support artificiel 25 Le Clézio, 0p. cit., p. 109. 101 qu'est la toile dens notre art occidental, et contre les couleurs artificielles creées en laboratoire, il s'extasie devant le support utilise par les Indiens et devant la qualité de la peinture qu'il utilise. En effet, ces representations picturales sent on ne peut plus a l'image de l'homme puisqu'elles sont peintes a meme le corps; elles bougent constamment, donnent l'impression d'etre vivantes. Pour peindre leur corps, les Indiens utilissnt ls suc d'une certaine plants qui a la caractéristique de n'apparaitre que quelques heures apres avoir été enduite sur le corps; ces dessins semblent donc apperei‘tre de facon naturelle, progressivement et non pas brusquement. Renforcant le ceté actif de cette peinture, Le Clézio explique qu'elle ne peut en aucun ces étre contemplation a cause de son caractere ephemere puisqu'elle finit pas disperaitre au bout de quelques jours et les Indiens doivent recommencer a peindre leur corps a nouveau, a se soumettre aux memes precedes. C'est lorsqu'il fait une comparaison entre cette forme de peinture et la conscience que Le Clézio est le plus convaincant. ll explique que ”En peignant leur peau, les peuples indiens sont parmi ceux qui ont vécu le plus loin l'aventure de la conscience. Chaque partie du corps est consciente d'elle-meme; chaque carré de peau s'est pour ainsi dire regards et reconnu."26 Cette encre magique, comme la conscience, se devoile peu a peu a elle-meme, et comme la conscience, elle se renouvelle continuellement. Grace a cette peinture vivante, organique dans tous les sens du terms, les Indiens ont fait de leur corps uns oeuvre d'art: "En 26 Le Clézio, op. cit., pp. 135-6. 102 peignant leur corps, en faisant de leurs corps des oeuvres d'art, ils ont atteint le regne de la signification totals. lls vivent dans l'art, ils sont confondus avec la peinture. L'art, la magle, enfin vivants."27 Cette conception de la peinture est fort éloignée de la notre, nous qui la considérons principelement comme un objet de contemplation. Selon Ls Clézio, Ia raison majeurs pour laquelle les Indiens ne possedsnt pas d'ert contemplatlf tient au fait qu'ils ne se sentent pas dissociés de l'univers; le monde n'étant pas un objet pour eux, ils ne ressentent pas le besoin de le représenter sous la forme d'un autre objet. ”Futilite," dit-ll, ”incongruité de la recreation de l'univers! L'lndien n'est pas séparé du monde, il ne veut pas la rupture entre les regnes."28 Ne se sentent pas séparés du monde, les Indiens représentent des formes qui sent a l'image de la nature, ds la jungle qui les entoure et des marques qui distinguent les especes animales entre elles. En peignant leur corps, ils se donnent leur identité. Et lorsqu'ils n'utilisent pas leur propre corps comme support pour leur peinture, ils utilisent des fibres naturelles de toutes sortes, fibres qui en elles-memes portent deja leurs formes et leurs dessins; ils doivent donc concevoir leur oeuvre d'art en tenant compte dss deformations naturelles de ces fibres et en les respectant. Ce qui ressort finalement de l'expose de Le Clézio sur la peinture lndienne est qu'elle soude l'homme a l'univers auquel il 27 Le Clézio, op. cit., p. 132. 28 Le Clézio, op. cit., p.,111. 103 appartient dans un double mouvement de réciprocité. De meme que le monde est continuellement en mouvement, il en est de meme pour la peinture indienne qui n'est pas un objet de contemplation. Elle est a l'image du monde que l'lndien ne conceit pas non plus comme un objet, mais comme un étre vivant. Dans ces pages sur la peinture, un des leitmotivs principaux dss essais reapparait a plusieurs occasions. Le Clézio insists sur ls fait que cette peinture est a la portes de tout le monde, st par la il entend véritablement tout le monde, aussi bien les animaux que les plantes ou les hommes ou les presences occultes. Pour lui, l'lndien est donc parvenu a accomplir cet ideal qui consiste en une communion totals entre toutes les formes naturelles. L'art ne sert pas a l'homme Indien a se distinguer du rests de la creation ou a le rendre supérieur, mais au contraire a l'assimiler. Apres avoir longuement disserté sur l'art Indien et la facon dont ll s'integre completement a leur vision du monde, Le Clézio conclut cette partie de son expose en résumant rapidement leurs conceptions principeles de la vie. ”lnstinctivement,” dit-il, "l'homme indien elimine tout ce qui le separe, tout ce qui ls rendrait supérieur. ll n'a que fairs de l'analyse, de l'histoire, de la mission. ll est d'emblée a l'interieur du monde, eu centre de la vie.”29 Cet ideal atteint par les Indiens est immédlatement mis en opposition a notre conception de la vie et a la fecon dont nous la vivons quotidiennement. Dans la derniere section de Hal, il revisnt sur la mentalité de 29 Le Clézio, op. cit., p. 152. 104 l'homme occidental, sa dissociation d'avec la matisre et l'esclavage dens lequel il est tenu a cause de ses structures mentales. Cette derniere partie est tout a fait deroutante dans la mesure ou, brusquement. le ton et le style changent de facon radicals. Alors qu'une certaine paix avait fini par émaner au fil dss pages sur l'art, tout a coup la confusion reprend place et l'angoisse réapparei‘t. Le paragraphs initial de cette derniere partie laisse suggérer que l'auteur exprime ses sentiments personnels sur l'expérience qu'il a vécue parmi les Indiens Emberas, experience qui lui a apporte ". . . les vérités, les signes de l'intelligencs, le savoir, Ie calms du savoir.”30 Cet episode lui apparait comme un revs apres lequel il se réveille brutalement de retour dans le bruit et le mouvement de la ville généretrice de peur. Lorsqu'il avait parle de la nature en relation aux Indiens, il en avait montre les cetés dangereux, mais pour mieux fairs ressortir l'adaptation totals des Indiens a leur jungle. Maintenent, Ia nature qu'il presents est une nature dangereuse de Iaquelle l'homme est totalement exclus et a laquelle il ne comprend rien. Elle est directement mise en opposition eu monde humain, et il n'y a aucun espoir de reconciliation possible entre elle et l'homme. Les deux mondes sont totalement hermétiques l'un a l'autre. Le Clézio compare l'homme a une goutte d'eau glissant sur des carapaces de tels pour accentuer l'impossibilité pour l'homme de jamais pénétrer dans la nature. ll ne peut que glisser sur la terre qui ne veut pas de lui. 30 Le Clézio, op. cit., p. 153. 105 Dans cette section, ll rappelle ce dont il avait déja parle dens LExlaaLmatalialla, a savoir la petitesse de l'homme sur la terre, dens l'immensité du temps et de l'espacs. et de ses efforts désespérés pour laisser quelques traces de son passage. Mais le monde ne veut pas des traces de l'homme dit Le Clézio, st toutes les tentatives de l'homme restent vaines. Parmi les traces que l'homme essais de laisser sur le planets, il y a celles du langage dont il compare l'utilisation dans les deux sociétés. Reprenant ce qu'il avait dit sur la magie du langage des Indiens, il imagine les mots ayant accompli leur fonction protectrice retourner dans la forét a laquelle ils appartiennent. Par centre, dans les villes, les mots sont des instruments d'esclavage manipules par des hommes anonymes a l'apparence démoniaque, dont le but est de contrc‘iler l'existence des autres. Ces pages dans Iesquelles frise une certaine paranoia sont précurseurs de son prochain roman, LaLfiaams, dont l'action se passe dans une grande surface 00 les clients et les employés sont strictement surveillés par des cameras de television et conditionnés par les messages qui sortent dss heuts-perleurs. Cette vision extremement pessimiste de notre société, presents dens LlEzlasaJlataljafla et presents dens Hal, est cependant atténuée dans les toutes dernieres phrases du livre. ll est fort evident que, de la société indienne, Le Clézio a tire dss enseignements essentiels, et il semble lancer un défi, sous forme de questions, a l'homme occidental. Qui, demands-t-ll en essence, osera, d'apres l'exemple des Indiens, se libérer de son carcen 106 ". . . pour que tout soit innocent, pour que tout le monde parle a nouveau e tout le monde?"31 Selon l'optique Ieclézienne, l'homme occidental est un prisonnier qui ns sait comment s'échapper, d'ou le constant lsitmotiv dens ses romans de l'homme fuyant un endroit ou une situation, et le monde Indien nous donne une conception alternative du monde par sa simplicité, son respect du monde et des autres, st l'équilibre qu'il est parvenu a atteindre avec son milieu naturel. C'est sur cet équilibre que Le Clézio conclut Hal, rappelant l'equilibre du yin et du yang selon lequel le monde est forme de forces complémenteires: ”LE MONDE EST FAIT, ENTRE AUTRES, DE CES DEUX FORCES: HAl, L'ACTlVITE, L'ENERGIE ET WANDRA, LA SOUMISSION, LA DOMINATION, LA POSSESSION."32 Cet idéal d'équilibre, Le Clézio va continuer a Is chercher dens ses ecrits suivants, jusqu'a trouver dens LllnganQlelLlaJalLa, sinon l'ideel qui est sa quete, mais au moins une vision nouvelle du monde. 31 Le Clézio, op. cit., p. 160. 32 Le Clézio, op. cit., p. 160. CHAPITRE 4 L'lnconnu sur la terre Le troisieme livre d'essais écrit par Le Clézio, WE larla, publie la meme année que W1 en 1978, constitue la derniere phase d'une evolution qui a eu lieu sur une periods de quinze ens. Nous comptons ici a partir de la publication du premier roman, Lajmasgalaal en 1963, et non pas celle du premier essai en 1967, les romans et nouvelles qui precedent LlExtaaLmalaljalla corroborant la vision du monde exprimés dens l'essai. Entre Hal 91W. Le Clézio n'a publié que deux romans, Laafiaanla en 1973 et WM en 1975, romans qui témoignent de la meme evolution que celle qui se retrouve dans les essais. Jusqu'a l'époque de Lasjaann, les romans sont peuples de personneges dolents, en proie a des souffrances psychologiques ou a des angoisses métaphysiques qui les conduisent a la fuite ou a l'auto-destruction, st meme souvent aux deux parallelement. Au coeur de chacun dss romans, symbols du dédale intérieur dens lequel errent les personneges, il y a la ville "Dans tous les livres que j'ai écrits. jusqu'a Lajllalla et Las 1 J.-M. G. Le Clézio. WWW. (Paris: Gallimard, 1978). 107 108 fiaama, j'ai ressenti comme une nécessite d'écrire le monde de la ville, le monde mécanique, l'egression du langage et celle dss formes. C'était une nécessite pour m'en débarrasser."2, explique-t- il a Pierre Boncenne dens une entrevue accordée en 1978. yallagas dLlIfllflLeJQté annonce déja une certaine demarcation de ce theme de la ville violents et inhumaine, meme si un certain malaise existe encore. Avec LLInaaunllauLlaJalLa, dont Le Clézio avait entrepris la redaction en 1973, soit cinq ans avant sa parution, l'évolution amorcée avec Hal est arrivée a son terms logique. Le plus long des trois essais, il est un amelgeme dss réflexions de l'auteur et de descriptions de tout ce qui l'entoure. dont la somme totals expose une vision du monde st une conception de le condition humaine radicalement a l‘opposé de celles que nous avions trouvées dens LIExla§a_malaljalla. Les memes themes se retrouvent cependant, mais développés d'une maniere remarqueblement différente. Alors que LLExlaaa_malé_flal|a (et meme dans une certaine mesure Hal) était caractérise par un sentiment d'angoisse, Lilnaannmla talla est un texte dont émene une sérénité nouvelle dens l'oeuvre de Le Clézio et qui laisse le Iecteur sur une sensation finale de paix et de reconciliation. Au coeur de LlananuuLlaJeflfi nous retrouvons le meme problems que celui qui avait été pose auparavant, a savoir celui de la dissociation de l'homme et du monde et qui constitue le pivot 2 Boncenne. ”Le Clézio s'explique", LlLa, 32, (Avril 1978), 35. 109 central auteur duquel tournent les réflexions intriquées ds l’écrivain. En effet, alors qu'il est possible de degagsr certains themes qui sont proéminents dens l'essai, il est tout a fait impossible de les dissocier les uns des autres: il est impossible de parler du langage sans parler du silence, de parler du silence sans parler du denuement, etc. C'est cette fusion ds pensées et de courants qui donnne a W sa cohesion thématique et poétique. Dans LLExlasamalaLjajla, le problems pose par la dissociation de l'homme et de le matiere se traduisait par une angoisse métaphysique profonde a laquelle il était impossible d'échapper. Grace a la contemplation d'une société dens laquelle l'homme et la nature vivent en harmonis, de nouvelles portes se sont ouvertes qui ont permis a l'écrivain de concevoir son monde et sa condition différemment. Dans LlncannllelLlaJalla bien que cette dissociation soit encore affirmée et expliquée a plusieurs reprises, elle dirige dens d'autres directions que celle de l'angoisse les energies de l'écrivain. Dans un premier temps, ll faut remarquer que Le Clézio ne fait que quelques references sporadiques mais cependant essentielles a cette question. Cette dissociation se manifests de plusieurs menieres a cause de la facon meme dont l'homme occidental conceit sa place dans l'univers. Le premier problems pose est celui de l'existence de nombreux mondes (ceux de différentes especes animales, per exemple), et non pas d'un seul monde unifié, dont est de prime importance celui dss hommes. L'acces aux autres mondes, 110 Is réve ineffable de l'écrivain, n'est plus impossible cependant. Bien qu'il soit encore confine a son propre univers la plupart du temps, il parvient a atteindre, dans des moments qui tiennent de l'sxtase, d'autres mondes qui se distinguent par le fait que, contrairement au monde de l'homme, leur caractéristique principals est le silence. Commentant la phrase de LflnganllquuLJajalla qui est probablement la plus cites, "Par le langage, l'homme s'est fait le plus solitaire dss etres du monde, puisqu'il s'est exclus du silence.”3, Le Clézio explique: ". . . le langage humain me semble étre en rupture par rapport a l'uniformite silencieuse du monde."4. Non seulement ls langage fonctionne-t-il comme une barriers entre l'homme et le reste du monde, mais en plus, l'homme a perdu pour la plupart touts faculté de communiquer avec le monde par les autres langages qui sent a la disposition dss autres creatures. Touts tentative de comprendre le langage des autres doit passer par une retranscription en langage humain, mais alors le sens n'est plus le meme, et en consequence, l'homme rests séperé du reste de la creation, donc profondément seul. Le langage est souvent présenté comme un dss grands coupables par Le Clézio qui le voit comme l'apanage dss adultes dont il est tres critique. Deja dens LlExlaaLmalaLialla il exprimeit l'idée que le langage fait tort a l'homme parce qu'il sert avant tout a masquer la vérité et la réalité. ll reitere cette opinion dens 3 J.-M. G. Le Clézio, W (Paris: Gallimard, 1978), p.38. 4Boncenne, ibid., p. 47. 111 W. Comme elle est haisseble, la fausse complication cérébrele du monde dss adultes, ce broml age permanent du monde par les perturbatIons du seven, de la conscuence, de l'analyse, toutes ces Idées qUI s'embrowllent, ces faux 'fantasmes‘, ces fausses . . 'obsessions', complaisance, msnsonge verbal qUI epaISSIt Ie reel, le cache, le fait disparaitre. Tout cela qu1 sépare, dissocie, qui rend stérIle.5 Le Clézio réagit vigoureusement centre tout ce qui contribue a empecher l'homme de percevoir son snvironnsmsnt directement, tout ce qui bloque une perception immediate, claire et débarrassée de tout prejugé, qu'il soit social ou intellectuel. C'est dans cette eptique, comme nous le verrons par la suite que Ie silence est venu a jouer un role essentiel dans la nouvelle vision Ieclézienne du monde. Selon Le Clézio, une des illusions créées per le langage est qu'il deforms le réel en l'assimilant aux emotions de celui qui l'utilise pour décrire le réel et en ls confondant avec lui, st conséquemmsnt, par la meme, contribue a la creation d'un deuxieme monde qui est tout autant séparé du monde d'origine que ne l'est l'homme. Deux dss manifestations communes de cette illusion causes par le langage, dont Le Clézio se méfie autant qu'il se méfie dss prosateurs qui les utilisent sont les paraboles et les métaphores. Bien qu'il soit lui-meme coupable de les utiliser parfois, W est relativement dénue de ces figures de rhétorique qui empechent d'appréhender Is réel 5 Le Clézio, op. cit., pp. 240-41. 112 directement. Comme la vérité, le langage qui sert a l'exprimer ou a la dépeindre doit etre direct, sinon il ne fait que déformer la réalité. En outre, il deplore la tendance commune qui exists a concevoir le langage simplement comme un ensemble de mots. ”Si le langage n'est fait que de mots, il n'est rien du tout."6, dit-ll, rappelant ce qui a été mentionné auparavant, a savoir que l'homme a perdu la faculté d'entrer en communication avec les autres mondes par l'entremise de ses sens, des vibrations primordiales qui lui échappent désormais. Au langage purement limite aux signes linguistiques, il desire ajouter celui qui vient du plus profond de l'homme: le langage gestuel et affectif qui aide a traduire plus completement la réalité. L'autre blame majeur que Le Clézio ports sur le langage est qu'il est l'instrument dont les etres doués d'intelligence se servent pour manipuler les autres. En reaction a ceci, dans un dss passages les plus lyriques de W, ll imagine une autre utilisation possible du langage humain qui lui est chere, sur laquelle nous reviendrons subsequemment. Depuis LlExtasa malaualla il a dénoncé l'intelligencs en tant qu'elle est force de domination, donc d'oppression, et d'organisation, donc de manque de spontanéité st de liberté. Dans W, il étend la discussion a une critique plus générale de ce que l'on appelle communément le savoir, ce patrimoine accumule par les hommes et qui les empéche de voir le monde clairement. Le savoir Iivresque est directement attaque en tant qu'il est misérablement pauvre 6 Le Clézio, op. cit., p. 87. 113 compare a la richesse extraordinaire de la vie. Nous avions dit précédemment que Le Clézio s'était toujours refuse a monter ses convictions personnelles en systems philosophiqus. Savoir Iivresque et philosophie sont amalgamés dans la pensée Ieclézienne dans la mesure cu les deux représentent un éloignement de la vie immediate, et c'est en bloc centre eux qu'il declare sa position lorsqu'il explique: "L'insuffisance comique dss philosophies est de vouloir établir une signification. Mais la beauté, la puissance de la vie, quand on est sur leur passage, elles peuvent vous changer st vous révéler d'un seul geste, a la facon d'un éclair."7 Sa position ne saurait étre plus claire: en effet, W est presque totalement dénue des questions théoriques qui le préoccupaient auparavant, tells que le nature at l'utilisation du langage, ou le rcle de l'engagement social. Le langage n'est qu'un des facteurs qui dissocie l'homme du monde; tous les autres visnnent se greffer a lui, car en derniere analyse, le langage rests le pire ennemi ds l'homme qui veut appartenir au monde, d'ou l'importance du silence. Le Clézio formule une opposition radicals entre l'homme et le monde lorsqu'il comments sur les désirs de l'homme; il nous le présente comme un etre qui est peu a peu devenu ssclave de ses désirs, dont le mouvement, en forme de cercls vicieux, ne fait que le détacher un peu plus a cheque tour de roue. Ce mouvement que nous considerons généralement comme étant celui de la vie results seulement dans le fait que l'homme finit par perdre de vus son centre qui est ce qui 7 Le Clézio, op. cit., p. 88. 114 lui permet d'etre en harmonis avec lui-meme et avec le matiere. Le Clézio met ici deux mondes en opposition: celui du monde qui offre le spectacle de l'harmonie et de l'équilibrs car toute chose est a sa place et appartient a l'ordre cosmique inchangeable, st celui de l'homme qui vit dans la confusion car il a perdu tout contact avec l'ordre cosmique de par le fait qu'il se laisse mener par des désirs errones qui sont articulés per son langage. Dans une certaine mesure donc, Le Clézio reitere certaines des premisses a la vision du monde qu'il avait présentées dens LlExtasa mataflalla. L'homme est dissocié du monde de par le fait de son langage qui est mensenge et masque. Mais W est radicalement different dans la mesure cu l'accent n'est plus mis sur le fait que cette dissociation est generatrice d'angoisse métaphysique, mais qu'au contraire il est possible sinon de la dépasser, du moins de l'écarter, en concevant le monde et la place que l'homme y a dans une eptique tout autre. ll existeit dens LlExlaaLmatalialla un désir désespéré de rejoindre la matiere et de s'y intégrer avec un abandon total. Mais des siecles de conditionnemsnt culturel s'opposaient a cette fusion et rendaient cet état de fait extremement douloureux. En 1978, l'attituds de l'écrivain e bien change; réfléchissent a ce que son experience chez les Indiens Embera a pu lui apporter, il explique qu' ". . . il n'est pas possible lorsqu'on est citoyen frenco-mauricien appartenant a la culture occidentale, de changer, c'est impossible; et ceux qui le disent racontent dss histoires.”8 8 Boncenne, op. cit., p. 47. 115 Faisant face a sa réalité et a ses limitations, sachant que frappé par le sceau de se culture il ne trouvera pas de panecée qui lui permettrait de se libérer entierement de ses carcans, il peut commencer a considérer le monde auteur de lui, sa place dens l'univers, donc sa condition en general, d'une facon tout a fait différente. Nous avons dit précédemment qu'il émane de Lunaannlljuua lama une sérénité et une paix nouvelles dans l'oeuvre de Le Clézio; celles-oi sont bien entendu possibles du fait de l'absence d'angoisse, mais en plus, il existe dens l'essai un element nouveau qui est sans aucun doute son signs le plus distinctif, a savoir l‘émerveillement et l'enthousiasme de l'auteur devant Ia beauté et le richesse de la vie. Dans LlExlaaa_ma1aljaUa, l'exil était pose comme premises a la condition humaine. Dans LllngannLauLla 19119.. au contraire, Le Clézio annonce tres rapidement sa nouvelle position en demendant sur un ton qui est celui du refus “Comment etre loin de la vie? Comment accepter d'etre stranger, exilé?”9. Le désespoir n'est plus ds miss; au contraire, il s'agit maintenant pour l'écrivain d'explorer et d'exploiter tous les moyens qui sent a sa disposition pour connaitre le monde. Le Clézio n'a pas de methods a proprement parler, mais plusieurs lignes conductrices se dégagent et se répetent dens l'essai qui indiquent une certaine croyance en quelques principes fondamentaux qui fevorisent l'ouverture au monde. Le plus frappant de ces principes est celui qui peut étre 9 Le Clézio, op. cit., p. 10. 116 englobé sous ls terms general de "renoncement”. En fait, cs renoncement ressemble beaucoup a un rituel de purification par lequel l'auteur parvient a se dégeger matériellement et psychologiquement des entraves qui lui interdisent l'acces au monde. "ll taut,” dit-il, ”laisser tout ce que l'on a (ce que l'on croit avoir) st entrer dens l'espace ouvert.”10 La position de Le Clézio se comprend dans la dialectiqus occidentale de la relation de l'homme au monde selon laquelle le monde est un objet a conquérir, a dominer et a dompter pour en obtenir les ressources qui contribuent a améliorer ses conditions de vie a un niveau purement materiel. A cette conception, il faut ajouter celle selon laquelle le monde n'a aucune signification sinon celle qui ne lui est donnee par l'homme. Le sens est impose dans une direction particuliere qui ve de l'homme au monde. Or Le Clézio rejette cette attitude et prefers: "Ce que je dois savoir ne peut venir de moi vers le monde: mais au contraire du monde vers moi, pourvu que je puisse rester les yeux ouverts."11 Et pour rester les yeux ouverts, il faut d'abord se débarraser de ses préjugés en refusant tout ce qui contribue a l'assujettissement physique et psychologique. On retrouve souvent chez Le Clézio une apologie de la pauvreté et une grande admiration pour les peuples démunis. Cette catégorie ne comprend pas seulement les gens matériellement défavorisés, 10 Le Clézio, op. cit., p. 11. 11 Le Clézio, op, cit., p. 136. 117 mais aussi tous ceux qui, comme les enfants ou les simples d'esprit, ne sont pas encore anesthésiés par un emes de connaissances livresques ou de prejugés, et qui en consequence peuvent percevoir le monde fraichement, avec une certaine candeur et une grande purete. Pour parvenir a ces états menteux d'ouverture et de reception plus aiguisés, il faut passer par un rituel de purification qui consists en deux aspects. D'abord, il y a le renoncement aux biens matériels, aux gratifications artificielles qui sont dens notre société la marque de la réussite. Le Clézio critique et condemns l'attituds qui consiste a se laisser dominer par les désirs, non pas parce que ces désirs sont une preuve d'avilissement physique et moral, mais parce qu'ils rendent l'homme ssclave, parce qu'ils font de lui ”l'objet de [ses] objets."12 Les images de prison et de suffocation autrefois associées e la ville se sont déplacées pour se poser sur les possessions. Alourdi per l'accumulation dss biens matériels ou par l'obtention d'un stetut social convoité, l'homme finit per se perdre de vue et par perdre de vue la grande aventure qu'est la vie. Mais les biens matériels ne sont qu'une partie de ce dont il faut se libérer pour retrouver la legereté nécessaire a la connaissance supreme qui est celle de l'appartenance au monde. Dans la meme veins de pensée, Le Clézio enjoint aussi qu'il faut que nous nous débarrassions de nos connaissances, dss siecles de savoir, de paroles et d'idées qui font partie du groupe dss 12 Le Clézio, op. cit., p. 132. 118 principaux coupables puisqu'ils bloquent nos capacités a percevoir et a comprendre a neuf le monde qui nous entoure. Ce carcan-la est au moins aussi lourd a porter que celui dss possessions matérielles et en plus il faut lui ajouter celui des contraintes et des interdictions imposées par la société derriere Iesquelles l'homme aims a se cacher car elles constituent des refuges pratiques pour celui qui n'a pas le désir de trenscender sa condition. Tous ces facteurs sont autant de fardeaux dont il est indispensable de se libérer pour parvenir a un état de conscience de sci-meme supérieur sans lequel il est impossible pour l'homme de trouver son centre. Le Clézio rejette donc tout ce qui peut le detourner de lui- meme, que ce soit ls conditionnemsnt social ou l'habitude de sol- méme. ll ve meme jusqu'e exulter les bienfaits d'une certaine ascese qui oblige a remettre en question les habitudes et qui permet d'obtenir cet état de conscience supérieur. Parlant dss formes les plus courantes de l'ascese telles que Is Mine, la chestete, ou la temperance, il explique: "Ce sont les vertus, ou les forces. Mais leur negation n'est qu'apparente; en fait, ces privations, lorsqu'elles sont volontaires, demandent au contraire une affirmation totals de sol-meme.”13 Ce lsitmotiv de l'affirmation de sci-meme revisnt régulierement dens LllnaeaLauLlaJaLLa, en conjonction avec le pouvoir que l'homme a sur lui-meme de se libérer de tout ce qui peut le rendre ssclave. 13 Le Clézio, op. cit., p. 92. 1 19 Le ton a bien change depuis LLExtasLmatalialla et meme Hal dens Iesquels non seulement les pieges étaient trop nombreux et trop embrouillés, mais surtout dens Iesquels il était evident que la conception meme de l'existence était l'obstacle principal a touts possibilite ds liberation. Par le refus dss jougs matériels et des entraves psychologiques, la route est désormais ouverte a une conscience nouvelle qui va se manifester par une vision completement nouvelle de la condition humaine. Central a LExla§a_ma1allal|a, le désir d'union avec la matiere restait irréalisable en grande partie a cause des obstacles menteux créés par Ie conditionnemsnt culturel d'une part et par l'écrivain d'autre part. Désormais, conscient des limitations qui lui sont imposées par l‘extérieur, l'écrivain accomplit un voyage a la fois vers l'intérieur et vers l'extérieur qui le met en contact avec son propre centre et avec la nature. Le premier étant impossible sans le second et vice-verse, Le Clézio explique ce chemin a double sens qu'il parcourt pour parvenir a son but. Le renoncement et le refus ne constituaient qu'une premiere étape et une des méthodes qui menent a la liberation de l'etre. En outre, au lieu de bloquer ses energies et de les diriger exclusivement sur l'extérieur pour appréhender le monde, au lieu de faire un effort désespéré et en sens unique, c'est-a-dire de l'homme vers le monde, pour réussir, il laisse maintenant sa conscience opérer, s'ouvrir d'elle-meme inintentionnellement pour qu'il receive en lui le flux du monde. Dans LlExlaannalaliajla, reprenant le problems pascalien de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, il avait cherche a 120 trouver l'infiniment moyen qui continuait a lui échapper la plupart du temps car il retournait sans cesse a la contemplation dss espaces infinis, dss temps immémoriaux et des univers minuscules dss insectes. Dans W, sa quéte prend une autre dimension puisqu'elle est en fait le contraire meme d'une quete, c'est-a-dire qu'il ne pose pas comme but premier de sa recherche la découverte de l'infini ou de l'absolu. ll commence au contraire par poser comme prémisse qu' "On ne connait que ce qu'en voit, ce qu'en sent, ce qu'on touche.”14, et ss penche sur ce qui est purement quotidien, purement terre-a-terre, partant du principe qu'il est vain de parler de l'infini ou de l'éternel lorsqu'il est deja bien difficile de comprendre la complexité des quelques arpents sur Iesquels nous évoluons. "Le domains de notre connaissance est ici, sous nos pieds, expose dans la lumisrs du soleil. Ses frontieres sont les nétres, et c'est en lui que nous devons voyager jusqu'e nous perdre.”15 sxplique-t-il. Touts la nouvelle philosophie Ieclézienne est contenus dens ces deux phrases. Celui qui s'obstine a aller chercher au-dela de son snvironnsmsnt le plus proche une réponse a ses questions se trompe de route pour deux raisons principeles. La premiere est qu'en mettant une distance entre lui et son quotidien pour se concentrer sur ce qui est abstrait ou purement speculatif, l'homme s'éloigne de la vie tangible qui constitue en fait la seule réalité 14 Le Clézio, op. cit., p. 48. 15 Le Clézio, 0p. cit., p.49. 121 qu'il puisse comprendre. A ce propos, il rappelle Merleau-Ponty qui, expliquent en quoi consiste la veritable connaissance du monde, disait: ”Tout ce que je sais du monde, je le sais a partir d'une vue mienne ou d'une experience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire."16 Et dans une certaine mesure, Le Clézio applique les préceptes de Merleau-Ponty au cours de son voyage, non seulement dens sa facon de regarder le monde comme nous le verrons plus tard lorsque nous parlerons dss descriptions qui se trouvent dens W, mais aussi dans sa conception de son existence, ce qui amene a la deuxieme partie de ce développement. La deuxieme raison qu'il invoque est que celui qui recherche l'infini st l'éternel ne les trouvera pas a l'extérieur de lui-meme car ceux-la sont impossibles a concevoir, mais a l'intérieur 00 se trouve Ie plus durable de ce qu'il peut connaitre: son propre centre. lci aussi Le Clézio est fort reminiscent de Merleau-Ponty qui, non pas dens ls contexts de l'infini et ds l’éternel, mais dens celui dont nous percevons le monde, expliquait: "Le monds que je distinguais de moi comme somme de choses ou de processus lies par des rapports de causalite, je le redecouvre 'en moi' comme l'horizon permanent de toutes mes cogitationss et comme une dimension par rapport a laquelle je peux me situer."17 A quoi il ajouteit qu'il ne peut y avoir de perception intérieure sans perception extérieurs, ce 16 Merleau-Ponty, 0p. cit., p. ii. 17 Merleau-Ponty, op. cit., pp. vii-viii. 122 qui suit sxactement ls mouvement qui est suivi par Le Clézio au cours de sa découverte du monde. Le Clézio pose comme principe fondamental a l'union entre l'homme et le monde et a la découverte de son propre centre, celui de la liberté, principe nouveau dans son oeuvre st sans lequel ll restereit englué dans le marasme décrit dens W. ll affirme l'existence de la liberté qui est partout et qui a toujours existe, mais qu'il n'était plus possible de voir a cause, ". . . dss fausses forteresses dss villes . . ."18 qui symbolisent globalement toutes les oeilleres qui faisaisnt croire a l'homme que la liberté n'était qu'un reve ou un concept philosophiqus, et non pas un état de fait. L‘homme est donc fondamentalement libre, seulement il n'est pas conscient des carcans qui l'emprisonnent. Une fois qu'il a pris conscience de sa liberté, alors il psut commencer a concevoir le monde non pas comme étant extérieur a lui, mais comme une entité qui est en lui st qu'il peut retrouver grace a des états de perception aiguisés. Le Clézio narre plusieurs episodes pendant Iesquels il réussit a trouver et a toucher son centre, et en consequence le totelité du monde. Tous suivent a peu de choses pres le meme développement et, meme s'ils ne constituent pas la norms de l'eppréhension du monde mais au contraire l'exception, ils permettent a l'écrivain d'entrevoir la possibilité, bien que de facon ephemere, de l'union avec la matiere. D'emblés, ll faut noter qu'il n'y a pas de methods particuliere ou de démarche a suivre pour parvenir a ces états de 13 Le Clézio, op. cit., p. 211. 123 conscience supérieurs; c'est toujours de la facon la plus fortuite que ses experiences se produisent. Dans chacun dss episodes qu'il relate, initialement cela se passe toujours indépendemment de sa volonté, a partir d'un incident bénin, d'une rencontre ou d'une sensation. Les catalyseurs les plus marquants, qui le sont justement a cause de leur caractere inettendu, sont le regard sur lui d'un enfent de cinq ans ou d'un etre pur, la dégustation d'une orange, la contemplation d'une fleur, l'écoute de la musique de la pluie qui tombs, et surtout la lumiere qui est la metaphors centrale de l'essai. Quel que soit l'élément catalytiqus évoqué, il produit une reaction en chains qu'il traduit a cheque fois plus ou moins dens les memes termes. D'abord, il y a disparition de tout ce qui l'entoure sauf de ce qui est son centre d'attention et plus particulierement il y a disparition de toutes les barrieres qui existent entre l'homme et le monde, ainsi qu'un retour a un stade d'innocsnce qu'il compare de facon tres adequate a celui du nouveau-ne pour symboliser et la simplicité du monds et l'étet de réceptivité et de nouveauté dans lequel il se trouve. Dans l'spisode du petit garcon de cinq ens, ceci est suivi par une sensation ds vertige, l'impression que s'ouvre en lui une ports qui laisse passer le temps et l'espace et alors ". . . grandit, gonfle, se dilate ds joie l'espace libre qui est en vous, l'espace libre st immortel."19 ll reconnait en lui la presence d'un infini lorsqu'il regards au fond de lui ou au fond dss choses; ce regard, provoque 19 Le Clézio, op. cit., p. 52. 124 par les catalyseurs sus-mentionnés, doit étre direct pour stre efficace, et lui montre son centre ou le centre dss choses. Lorsqu'il trouve son propre centre, il y a disparition de la conscience, du langage (du moins tel que nous le conneissons), de la pensée logique et de tout le savoir conventionnel. Par centre il y a intensité accrue dss pulsations du coeur qui bat an rythme d'un temps nouveau qui n'est en fait que la repetition du meme moment. Chaque battement de coeur recouvre la totalité de l'existence au point que s'efface completement touts notion de temps telle qu'elle est ordinairement concue, c'est-a-dire linéairement. Dans chacun des episodes qu'il relate, il insists sur le fait que l'expérience qu'il vit provoque en lui une eccuité maintes fois amplifies dss sens. Deux verbes reviennent constamment sous sa plume: regarder et respirer, qui sont les deux actions qui lui donnent littéralement la vie. ll ne s'agit pas d'actions passives, mais d'un regard actif et d'une respiration contrélée qui finissent par devenir une seule et meme action dans le processus de l'unification de l'étre avec la metiere. A ces moments-la, cs qu'il décrit ressemble bien a une veritable extase, au sens premier du terms, c'est-e-dire en tent qu'action d'etre hors de sol. Cette forms d'extase est particulierement bien décrite lorsqu'il comments sur l'action insignifiente de manger une orange. Pour lui, cet acts-la va bien au- dela de sa banalité quotidienne et va jusqu'e prendre l'ampleur d'une experience mystique. Lors de la dégustatlon de l'orange, comme d'habitude tout auteur de lui disparait et l'orange dsvient l'espace 125 total dens lequel il fond progressivement st entreprend un voyage dens l'infini de l'espace et du temps. Ce meme type d'experience est repete plusieurs fois st converge sur l'existence d'un seul centre pour tout l'univers, d'un point focal cu tout se rencontre pour faire un, grace a la liberation de tous les contraires. Par cela, il faut comprendre qu'il y a abolition de l'impression qu'il exists a différents moments dss sensations diverses pour que se produise une fusion de toutes ces sensations en une seule experience qui transcends l'incompréhensible et qui résulte en I'unification de l'homme. Le point focal précédemment mentionné est l'endroit 00 disparait touts dichotomie entre d'une part le spirituel/ mental/ intellectuel que l'on pourrait appeler la conscience, st d'autre part le physique qui est la matiere. C'est le moment 00 l'homme, traditionnellement concu comme un etre compose de deux substances radicalement différentes (la conscience et la matiere) découvre enfin son unite totals dans le monds materiel. Une dss consequences de ce genre d'extase est que Ie terrible sentiment d'abendon et de solitude qui était omnipresent dens LLExlaaLmalallafla lui aussi disparait. A l'écoute du monde st ds ses propres rythmes il comprend tous les bruits comme autant d'éléments d'une musique cosmique, elements inséparables les uns des autres, et grace auxquels ". . . il n'y aura plus de solitude.”20 Chacun de ces moments est suivi d’un rstour, ce qui est sxactement ce qui lui permet de savoir qu'il a, pendant un moment, communique avec la nature. A nouveau il est reminiscent de Merleau-Ponty 20 Le Clézio, op. cit., p. 139. 126 selon qui ". . . notre existence est trop étroitement prise dans le monde pour se connaitre comme telle au moment 00 elle s'y jette, et [qu'] elle a besoin du champ de l'idéalité pour connaitre st conquérir sa facticité.”21 Ce projet dans le monde, Le Clézio le décrit a cheque fois comme une perte de conscience en quelque sorts, qui lui fait perdre touts notion du temps, de l'espace et de tout ce qui est en dehors de ce moment d'extase. Par centre, lorsqu'il ”revisnt” de son experience, il essais de le rendre sous forme verbale, mais cela ne va pas sans difficultés. En effet, Le Clézio ressent profondément les limitations du langage lorsqu'il parle dss experiences de cette nature. Ce moment d'union, "Il n'y a pas de langage pour le dire, il n'y a pas de mot pour le comprendre."22, dit-ll. Non seulement ls langage contribue-t-il a aliéner l'homme de la nature, mais en plus il est completement lnefficace lorsqu'il s'agit d'exliquer l'ineffebIe de la vie. Tout juste est-il possible d'utilissr les mots comme point de depart pour évoquer les choses et les etres, mais ensuite, il faut laisser ces mots et simplement aimer ce qu'il font apparaitre. A notre langage imparfait, ll oppose d'autres genres de langage plus forts, plus grands et plus vrais, ceux qui lui sont transmis par le regard d'autrui, par le chant de la pluie, celui qui vient du monde vers lui et qui lui apporte la connaissance et le paix intérieure. A plusieurs reprises il parle de ce langage must qui 21 Merleau-Ponty, op. cit., p. ix. 22 Le Clézio, op. cit., p. 133. 127 vient du regard, en particulier du regard des enfants et de celui dss etres purs. Le regard d'autrui n'est plus agressif comme il l'était dens LlExlasLmalaljaUa, bien au contraire. A nouveau c'est le. plus fortuitement du monde que cela se produit: ”Dans l'immensité d'une fouls humaine, deux yeux soudain m'interrogent, me parlent a moi seulement, comme s'ils m'avaient choisi. . . . en moi je sens l'onde qui se deroule et s'élancs, st mon coeur bat vite. . . . C'est Ie chant multiple et rapids des vivants.”23 C'est d'un langage de vibrations, de reconnaissance d'un fond commun d'humanité qui se passe entierement de mots qu'il parle. ll revisnt plusieurs fois sur ces contacts occulaires, la plupart du temps totalement anonymes, qui se produisent généralement dens la fouls, et qui satisfont mieux les desirs et les besoins de communication que les mots car ils sont spontanés et dénués de tous les pieges du langage. L'autre forme de langage sur lequel il discourt est celui qui vient du monde lui-meme, initialement évoqué a propos d'un orage et repris maintes fois a diverses occasions. Touts la creation s'exprime constamment et rsmplit l'univers de sons qui sont autant de signes qu'il assimile dens leur forms au langage humain dans la mesure 00 il est tout aussi reel et plein de sens. En fait, lorsqu'il est ainsi a l'écoute du monde, il lui semble que ". . . les mots dss hommes ne sont que l'écho murmurs de cette ancienne parole qui vient de l'espace."24 ll doit se dévetir de ses 23 Le Clézio, op. cit., p. 87. 24 Le Clézio, op. cit., p. 137. 128 propres mots pour se mettre a l'unisson avec cet autre langage, s'ouvrir au monde per tous ses sens pour que son flux puisse le pénétrer. ll mentionne meme la possibilite de comprendre véritablement le langage du monde, mais cela implique qu'il doit auparavent se libérer de toutes ses autres connaissances st cette nouvelle forme de savoir est entierement spontanés, plus vrais et plus pure car elle ne provient pas des livres. Cette experience tient de l'lllumination (sur laquelle nous reviendront plus tard car elle tient une place d'importance dens W); une des évocations les plus poétiques de l'essai a cet égard suit une description de la pluie qui tombs et illustre parfaitement la participation totals de tous les sens a cette experience et la fusion qui s'ensuit avec la matiere, Vous ne regardez plus maintenant, l'eau a éteint touts la lumIere. Vous voyez seulement avec la chanson de l'eau quI IIe les couleurs et fait trembler les sons. Vous etes lom, .vous glnssez le long dss pentes, sur les tous, vous emplIssez les puIts et les cnternes. [. . .] Vous chantez vous-meme, avec le CIel, la terre, les caIlloux, les gouttleres. Vous chantez, vous parlez. Vous savez, sens avonr su a l'apprendre, ls langage de l'eau.25 Cet autre langage qu'il entend et qu'il comprend lui parle de facon plus significative et plus permanente que le langage humain. Comme il l'avait déje fait dens L'_Ex_ta§a_ma1aljal|a, il affirme l'existence d'une tres ancienne memoirs qui lui fait ressentir la réalité de liens entre l'homme et le distant passe de sa race, une connaissance primordiale de la matiere désormais enfouie sous des 25 Le Clézio, op. cit., p. 195. 129 millénaires d'évolution. Cette croyance s'impose a lui lorsqu'il écoute les paroles du monde. "Les rochers, les arbres, les vagues de la mer, les cailloux dss plages disent quelque chose de bien plus fort. Quelque chose qui relie directement mon ems a la matiere, qui bouge en moi, qui ouvre la mémoire.”26 Le Clézio s'étend longuement sur sa foi en l'existence d'un langage qui vient du monde en lui et qui lui permet, du moins sporadiquemsnt, de faire un avec lui. Mais pour comprendre ce langage, il faut d'abord prendre le chemin du silence. Ceci est en apparence un dss paradoxes habituels de Le Clézio puisque d'une part il affirme que l'homme s'est exclus du silence per son langage, et d'autre part que le monde lui aussi possede un langage que l'on peut comprendre. ”Silence" est un terms légerement ambigu dans la mesure 00 ll ne possede pas chez Le Clézio sa signification habituelle qui est absence de son. ll ne s'agit pas de créer un vide auditif, mais plutét de se débarrasser d'un langage ". . . qui nomme, jugs, ordonne.”27, qui tout simplement empeche d'entendre autre chose. Le silence dont il parle est celui qui est recherche par ceux qui veulent se mettre a l'écoute du monde et utiliser ls langage qu'ils possedent deja d'une autre facon. Dans Hal, il avait explique comment les Indiens, ces gens obsédés par le silence, utilisent le langage de facon sacrés et rituelle, en particulier pendant les ceremonies de guerison pendant Iesquelles il est chants, et comme 26 Le Clézio, op. cit., p.137. 27 Le Clézio, op. cit., p. 116. 130 exorcisme, et comment il est pour eux un pacts qui associe l'homme a l'univers. Dans W. ayant réussi a trouver le chemin du silence et a faire un avec la matiere, il peut maintenant envisager d'associer son langage a tous les autres qui existent en faisant ". . . de la musique avec les mots.”28 La musique existe déja dans les mots, mais cela aussi nous l'avons oublié pour toutes les raisons précédemment mentionnées; il n'est plus possible de l'sntendre qu'apres la liberation et seulement lors d'un état d'attente et de réceptivité totales aux autres sons du monde. Alors dit Le Clézio: ". . . la musique qui est au fond de tous les mots jaillit, elle rejoint l'autre musique du monde, et le bonheur extraordinaire est dans cette rencontre.”29 Le message (s'il est possible de parler de message dans W) est on ne peut plus clair: cet état d'harmonie ne peut étre que lorsque l'homme s'est Iibéré de ses préjugés sur le monde et de ses contraintes, lorsqu'il s'est ouvert a lui et lorsqu'il a laisse ("laissé" est le mot-ole ici) le flux du monde le pénétrer. Tout ceci résulte en deux affirmations qui illustrent a quel point la vision Ieclézienne a change depuis LfixtaaLmataljalla. D'abord, Le Clézio affirme maintenant que Ie néant n'existe pas; il est meme insensé de concevoir qu'il puisse étre alors que le monde auteur de nous nous démontre constamment a quel point il est remarqueblement present at plein. En outre, maintenant que la 28 Le Clézio, op. cit., p. 309. 29 Le Clézio, op. cit., p. 310. 131 communication avec la matiere s'est produite, "ll n'y a rien d'absurde, rien de gratuit; le monde est donc continuellement. . . ll y a, dens tous les etres et dans toutes les choses, dss palpitations, dss tressautements, dss secoussss."30 Dans W, les moments de connaissance parfalte sont de véritables moments d'illumination. A Pierre Boncenne qui le soupconnait d'etre un illumine, il avait répondu, " . je suis quelqu'un, c'est vrai, qui croit beaucoup plus a la comprehension per 'l'illuminatlon' que per la raison."31 Ce terms doit etre pris dens son sens ls plus strict dans la mesure ou, la plupart du temps, la lumiere joue un rele essentiel dans le processus d'illumination. Source principals de la beauté, elle se manifests en termes d'éclats dss yeux, de flammss brfilentes, d'éclairs, de brillance, etc. Ce sont généralement des lumisres qui surgissent soudainement et qui sont parfois violentes dens leur apparence, mais lorsqu'elles sont mentionnées dans le cadre de l'illumination, elles ne sont jamais de nature agressive ou potentiellement dangereuses. Cette agressivité apparente ne sert qu'a symboliser la soudaineté avec laquelle l'illumination se produit. Le Clézio lui accords une place prédominante dens Lllnaanml W 00 ll rend a certains verbes majeurs leur sens le plus pur qu'il soit: ”Eclairer, illuminer, révéler: les mots de la lumiere. 30 Le Clézio, 0p. cit., p. 211. 31 Boncenne, ep. cit., p. 44. 132 Cs sont donc ceux de la magie, de la religion, de la logique supreme, puisque la vérité et la réalité ne peuvent exister que sous le regard de la lumiere."32 Elle doit étre considérée sur deux plans différents; il y a d'abord le plan métaphorique qui est a lier directement aux themes de la connaissance, de l'appartenance et de l'illumination, et puis il y a la plan plus terre-a-terre de la description qui est non moins frappant. Au niveau métaphorique, la lumiere vient a acquérir dss qualités tout a fait exceptionnelles. Plus que n'importe quoi d'autre, elle exemplifie parfaitement la presence absolue de la matiere dans la mesure ou elle est non seulement partout et tout le temps, mais en plus elle est ce qui rend present les choses et les stres. Per elle, ils acquierent une brillance qui s'extériorise et retourne avec une force accrue vers la lumiere elle-meme. En outre, elle confirms de deux facons différentes que la communication est dens le domaine du possible. D'une part, elle preuve qu'il n'y a pas de vide sur la terre puisqu'étant omnipréssnte st constamment en mouvance, elle est le lien entre toutes les choses st tous les stres. D'autre part, elle sert aussi a la communication entre les hommes, lorsque, s'émanant d'un regard, elle provoque un contact silencieux per son incandescencs. La clarté d'un regard dépesse en intensite toute parole et psut étre si forte qu'elle parvient a toucher le centre d'une autre personne. Le Clézio fait souvent mention de cette clarté intérieure qui appartient en particulier aux enfants, aux purs, a ceux qui n'ont pas 32 Le Clézio, op. cit., pp. 35-36. 133 été corrompu par les menigances de toutes sortes, et c'est cette lumiere intérieure de l'homme qui '. . . construit les traits de sa face."33 ll consacre a ce theme touts une section dens laquelle il exprime sur l'homme (ou du moins une certaine catégorie d'entre eux) des vues tellement en opposition a celles qu'il avait emises dens L'_E2_<_taaa_ma1alla|la que nous y reviendrons par la suite. La lumiere réunit en elle seule toutes les qualités auxquelles Le Clézio attache de l'importance et elle est le catalyseur par excellence des experiences les plus remarquebles. Non seulement est-elle l'épitome de la liberté puisque, comme le monde, elle n'est ni a conquérir ou a acquerir, mais simplement a vivre, et puisqu'elle est par essence insaisissable; en plus, elle posssds un pouvoir libéreteur, celui de libérer le pouvoir de la vie dans chaque etre et dans chaque chose. En les pénétrant elle les fait resplendir, et, lorsqu'elle les emplit, elle agit sur eux de la meme facon que le regard de l'enfant de cinq ans, produisent un phenomene de dilatation interns de tells facon qu'il ne rests plus pour l'angoisse ou pour la peur de place pour s'installer. Elle donne a l'homme qui sait participer de tout son corps a la celebration de la lumiere plus qu'un sens de la direction dens laquelle il doit aller; elle lui confirms son existence, se liberté, son appartenance au monde. La nature de cette lumiere n'est pas clairement definie, mais il ne s'agit pas d'une lumiere qui reyonne du soleil. Elle est une force, une affirmation de la beauté et de la vie, et comme l'illumination, " . . . elle est per se seule presence sur tous les 33 Le Clézio, op. cit., p. 88. 134 points du monde, celle qui a rendu une fois pour toutes la solitude impossible.”34 Et comme pour l'illumination, il est difficile, sinon impossible, de rendre sxactement par ls langage l'expérience qu'elle fait vivre. Ses qualites restent ineffables, mais sa presence est souveralne et en tout, elle est synonyms de vie, non seulement parce qu'elle donne la vie, mais surtout parce qu'elle donne a la vie son sens dans la beauté qu'elle distille en l'homme st sur ls monde. Plus que n'importe quoi d'autre, elle est au centre du livre comme elle est au centre du monde. Ainsi qu'en témoignent ces quelques lignes, elle est en derniere analyse l'essence meme de la vie, C'est de la lumiere que vient Ia lumiere. Elle est en moi, elle bouge commeune flamme. Elle n'est pas le sav0Ir, nI Ia consolence, rIen que le langage ou la. raIson peuvent donner. [. . .] Je. regards les champs éclalrés, le_s hautes m‘ontagnes gm brIllent comme du.verre, Ie CIel Immense ou II n'y a hen d'autre que la lumiere; alors la flamme au fond de mOl grendIt et brule plus fort."35 La lumiere est aussi tres importante au niveau purement descriptif, et pas seulement sur le plan linguistique. Bien qu'il décrive longuement les jeux de la lumiere sur la mer ou sur une montagne, il ne se satisfait pas des résultats obtenus et ajoute dss dessins qui illustrent mieux que les mots ce qu'il cherche a exprimer. Un de ses plus remerquables dessins est celui du soleil 34 Le Clézio, op. cit., p. 57. 35 Le Clézio, op. cit., p. 68. 135 dont ls reflet sur la mer est si brillant qu'il en est aveuglant. ll explique ainsi Ia nécessite d'inclure des representations typographiques: "Ce court instant, qui ne sera plus jamais comme avant, j'ai été incapable de l'écrire, et j'ai prefers alors le dessiner . . ."36 Les caracteres typographiques ont plusieurs avantages sur les mots parce qu'ils sont dss signes qui rendent avec beaucoup plus d'immédietete la réalité qu'ils sont senses représenter; en outre, ils sont accessibles a tout le monde et de nature beaucoup plus universelle. La simplicité des caracteres typographiques est une illustration de plus de l'affection de Le Clézio pour la simplicité en general. ll la loue tout particulierement per rapport aux peuples pauvres et aux enfants dont il fait une apologoie qui entre dans le cadre de son éloge du dénuement et dans celui de sa passion pour la pureté. En tant que peuples nentis, les occidentaux ont dss peuples pauvres une vision déformée par leurs préjugés. Le Clézio, par centre, voit en eux des qualité qu'il avait déja mentionnées dens Hal et qui représentent un ideal humain. Car ces peuples, comme les Indiens Emberas, sont avant tout silencieux et a jamais en état d'expectative. Ne possédant rien, ils ne sont pas spoliés par le materialisme, et ils ne regardent pas le monde comme un objet a posséder, mais comme un lieu de passage. Plus représentetif que tout autre groupe de peuples démunis, les nomades offrent l'exemple parfait dss hommes qui ont le mieux su se fondre avec 36 Boncenne, op. cit., p. 44. 136 leur snvironnsmsnt. Sans maitres, sans attaches, sans itinéraire fixé une fois pour toutes, sans histoirs écrits. ils possedent un savoir unique qui fait que pour eux, " . . . ce n'est pas la terre qui doit prendre la forme de leur visage, c'est eux qui savent ressembler aux pierres, aux dunes, aux arbres et au cisl qu'ils rencontrent.”37 Totalement a la merci dss elements, errant continuellement comme la lumiere, ils ont dans le regard une beauté que Le Clézio associe a celle de la lumisre. S'il semble parfois idealiser les peuples pauvres, il ne se meprend pas sur l'origine de leur beauté et de celle qui regne dens leurs villes insalubres. Elle provient non pas d'un état de grace dont ils seraient comme par magie dotés, mais au contraire de leur pauvrete, du malheur quotidien qui est leur lot, des souffrances physiques qu'ils endurent et que pour une raison quelconque ils dépessent pour entrer dens Ie regne de la beauté et de la lumiere. Le fait meme qu'ils ne possedent rien leur fait voir dans le monde qui ne leur appartiendra jamais des richesses que l'homme occidental ne peut meme plus concevoir la plupart du temps. Et il en va de meme pour les enfants qui tiennent une place privilégiée dens W, comme dens MW msla'llas et les romans st nouvelles qui suivront. Eux non plus ne possedent rien, cs qui les ramene au meme statut que les peuples pauvres et les nomades; contrairement aux adultes, ils ne sont pas encore emmurés, esclaves de leurs préjugés et de leurs possessions, "lls ne possedent que ce qu'ils sont, cs qu'ils 37 Le Clézio, op. cit., p. 222. 137 entendent, ce qu'ils voient.”38 lls sont par centre détenteurs d'un savoir essentiel qui echappe a l'homme au fur et a mesure qu'il se laisse prendre par Is temps qui passe, car eux sont encore proches du jour du commencement quand eut lieu l'illumination premiere. Le Clézio les dots d'un pouvoir exceptionnel qui transpara‘it dens leur regard dont l'innocence et la pureté peut en un instant annihiler l'imbécilité du monde adults. Ce sont dss etres qui vivent encore en harmonis avec le monde qu'ils découvrent a neuf avec chaque nouvelle experience et qui n'ont pas encore appris a juger. ll émane de l'oeuvre de LeClézio a partir ds cette epoque une tres vivacs nostalgie d'un monde plus simple, plus primitif, plus authentique. Cele se retrouve tout particulierement dans sa fascination pour les peuples anciens de l'Amérique centrale. ll les évoque dans W a propos de la civilisation Olmeque qui, explique-t-il, avait reconnu la beauté des enfants en créant leurs dieux a l'image dss bébés. ll ne saurait exprimer plus clairement sa pensée a ce sujet lorsqu'il écrit, <(jD'est Feut-etre parce que le peuple dss. Olmeques fut l'un es p us anCIens de la terre que leur dIeux furent les f'”‘°’ 19“”95'... 9.3 “3‘2 123123222232 13431133313512“ reelimgrxfiq'insfante privilégiesgui precede l'age du savoir et u pouvoir.”39 Etant donne cette fascination pour les enfants et son admiration pour leur innocence st leur pouvoir, il n'est guere 38 Le Clézio, op. cit., p. 227. 39 Le Clézio, op. cit., p. 228. 138 étonnant que le mot "inconnu” dans le titre de l'essai fasse justement reference a un petit garcon inconnu, jamais nomme, qui, du haut d'un nuage ou d'une dune de sable, regards le monde, l'absorbe et continue a se promener au hasard, a la découverte de l'univers. ll represents l'idéal, l'étre privilégié, totalement libre et totalement ouvert au monds. Comme tous les autres enfants du livre, c'est un personnage magique qui apparait et disperait a son gré st dont le caractéristique la plus freppante est le regard. Ce regard a le pouvoir ds purifier, de rendre transparent et d'illuminer le monde auteur de lui. L'enfant est par excellence l'étre qui sait regarder, qui est constamment en état de réceptivité et qui parvient a assimiler en touts fraicheur ce qu'il voit. ll est aussi celui pour qui il n'existe aucune distance entre lui et les choses. Le Clézio a souvent critique l'art marchand et la separation qui existe entre l'art et la vie dens notre société. Dans un passage tres court sur le petit garcon inconnu, il felt a nouveau l'éloge de la capacité que les enfants ont d'éliminer entre eux et les choses les obstacles de toutes sortes. Debout devant un tableau sur lequel est peint un visage de clown, le petit garcon qui mange des bonbons tout a coup " . . . tout naturellement, [il] prend dans le sac une poignée de pastilles, il fait un pas en avant et il la tend au clown.”40 L'enfant represents donc, non seulement l'idéal de l'etre qui est naturellemsnt en contact avec le monde, mais aussi celui qui per son innocence salt toucher les autres et fairs tomber les barrieres installées par les adultes. 40 Le Clézio, op. cit., p. 200. 139 A cet égard, il appartient a un groups qui est tout nouveau dans l'oeuvre Ieclézienne. Bien sfir Le Clézio continue a critiquer ceux qui perpétuent les pires attributs de l'humanité, mais il ne le fait plus aussi violemment; il semble les mettre de cété pour inclure désormais ces etres, magiques eux aussi, qui possedent la “vertu”. Ce que Le Clézio appelle vertu n'a rien a voir avec ce qui est généralement compris par ce mot. Par vertu, il implique un certain nombre de qualités qui lui sont cheres; c'est une force qui est a la fois physique et morale, une intelligence et une volonté, mais qui va bien au-dele, c'est " . . . un regard absolu comme le bleu du ciel, qui va droit en [lui] et voit ce qu'il y a d'élémentaire, d'illimité."41 Cele se rapproche davantage des vertus élémentaires de ce qui s'émane naturellement comme un gaz et qui produit en lui une exaltation extremement intense qui est a rapprocher de l'expérience de l'illumination. Cette qualité n'existe que dens certaines personnes, celles qui sont encore en quete de quelque chose, celles pour qui le monde n'est pas achevé, les enfants et les purs, et surtout ceux qui aiment. lls ont eux aussi accompli un voyage au-dehors d'eux- memes grace eu pouvoir de cette vertu qui ne peut étre qualifies ni de mystique, ni de religieuse ou de philosophiqus, mais qui se manifests par un certain détechement de sci-meme, un désir de dénuement, un retour a la pursté originelle. Le Clézio en parle comme d'un pouvoir qui rend les etres véridiques et qui leur donne la faculté de faire en sorts que ceux qui rencontrent leur regard se 41 Le Clézio, op. cit., p. 269. 140 revelent e eux-memes. Grace a eux, il est oblige d'etre lui-meme, dans leur regard il se voit, non pas comme dans un miroir, mais de l'intérieur, et il penetre alors dans un univers qu'il ne connaissait pas. Lui-meme dit qu'il ne possede pas cette vertu, qu'il la rencontre simplement au hasard quelquefois, et bien qu'elle reste avec lui pendant un moment, elle finit par Ie quitter et c'est pour cela qu'il continue a chercher les gens qui la possedent. En effet, cette vertu n'est ls fait que de quelques personnes qui la possedent constamment; elle ne peut s'ecquerir simplement parce qu'en la desire. Evoquant un visage sur lequel il avait vu cette vertu resplendissante, Le Clézio écrit: "Cette force a toujours été en lui, comme s'il l'avait recue du plus lointain passe, bien avant le jour de sa naissance."42 Potentiellement, elle pourrait etre en chacun de nous, mais pour la plupart, nous l'avons oubliée. En effet, ceux qui possedent cette vertu sont dss étrss exceptionnels car il ne sont pas corrompus, st c'est pour cela qu'il y a de la douleur au fond de leurs yeux: parce qu'ils doivent constamment etre vigilants pour ns pas etre contaminés par les vices du monde. Cette vertu est trop difficile a essumer pour la plupart des gens qui lui preferent la jouissance et les richesses. Elle exigs la simplicité, le dénument, la lucidite; plus qu'une foi, elle est connaissance de soi- méme: " . . . cette connaissance [qui] existe avant touts analyse, avant touts experience.”43 Bien entendu, elle rests plus 42 Le Clézio, op. cit., p. 275. 43 Le Clézio, op. cit., p. 276. 141 particulierement l'apanage dss peuples pauvres qui eux savent que la seule richesse est celle de la terre. Les femmes aussi entrent dans la catégorie dss stres qui recoivent naturellement la vertu, parce qu'elles sont par excellence celles qui ferment la vie. En effet, en derniere analyse, c'est a cela que Le Clézio revisnt quand il parle de la vertu: a son enthousiasme inextinguible devant la beauté de la vie. " . . . Ia vertu,” dit-ll, "est simple, sans detour, sans mélange. Elle ne s'apprend pas, elle est l‘expression pure qui découle de la vie, telle quelle, a l'instant de la naissance.”44 W se démerque radicalement dss deux autres livres d'essais autant dens son ton que dans la vision du monde qui y est exposes. Alors qu'auparavant Le Clézio avait recours a un langage torture pour décrire les violences de la ville et de la société moderne, et ses angoisses métaphysiques, ici son langage est une reflection de ce dont ll parle. II ne s'agit plus d’écriture comme exercice d'exorcisme, mais d' ”Ecrirs seulement les choses qu'on aims. Ecrirs pour lier ensemble, pour ressembler les morceaux de la beauté, et ensuite, recomposer, reconstruire cette beauté."45 L'écriture dsvient une celebration de la vie; dans un magnifique passage sur l'écriture, il évoque les raisons pour Iesquelles il veut écrire: pour purifier le langage, pour effacer la Iaideur et le malheur de la face du monde, pour se rapprocher du 44 Le Cleezio, op. cit., p. 272. 45 Le Clézio, op. cit., p. 10. 142 monde et des hommes, pour décrire l'incroyable variété de la vie et la beauté du monde. Bien qu'il doute souvent de l'efficecité de ses mots, les descriptions de Le Clézio dens flaw possedent une qualité particuliere, jamais atteinte auparavant, qui mérite quelques explications. Une grande partie de l'essai est consacrés a la description car tout est sujet a l'émerveillement et tout est digne d'etre décrit, meme la ville dans un tres rare passage en conjonction d'ailleurs avec la lumiere. ll est impossible en lisant les descriptions de Le Clézio de ne pas revenir a ce que Merleau- Ponty expliquait dens son introduction a LajhanamanalaaiaJlaJa pancaatlall, car si meme Le Clézio ne se pose pas en philosophe, il semble malgré tout mettre en application de facon assez systématique certains préceptes de Husserl et de Merleau-Ponty. Le Clézio ne pose pas comme un de ses buts de trouver l'essence des choses ou de comprendre en quoi consiste la perception. Au lieu de cela, il se donne pour techs de donner une description directs de son experience sans chercher a lui trouver une explication de nature intellectuelle ou philosophiqus. II se rend compte qu'il est impossible de rendre jamais completement compte du monde ou meme d'une petits partie du monde, d'ou ses nombreux retours sur les memes sujets de description. Son essai est de facon caractéristique denué de thématisation et le monde que Le Clézio nous presents apparait comme il l'a lui-meme percu, naivement st sens préjugés. Son émerveillement constant devant touts chose qu'il rend aussi sxactement que possible semble etre 143 une mise en application parfaite de la reduction, tells que Merleau- Ponty la définit: "La meilleure forme de la reduction est sans doutes celle qu'en donnalt Eugen Fink, l'assistant de Husserl, quand il parlait d'un 'étonnement' devant le monde."46 Le Clézio rejette l'attituds naturelle ce qui lui permet de rompre touts familiarite avec le monde et lui procure la preuve de l'existence de ce 'jaillissement immotive du monde.”47 dont Merleau-Ponty parlait. De cette facon et de cette facon seulement parvient-ll a saisir le monde, non en tent qu'entité intellectuelle qu'il pense, mais en tent que milieu qu'il vit et avec lequel il peut enfin communiquer. Onze ans apres son premier essai, il a finalement fait l'expérience de cette extase matérielle qui lui donne le sens de sa condition et lui apporte la paix. 46 Merleau-Ponty, op. cit., p. viii. 47 Merleau-Ponty, op. cit., p. viii. CONCLUSION Je ne crois pas en ce qui me concerns, aux livres isolés. Chez certains écrivains, il me semble que leurs oeuvres ferment un tout OI‘I chacune s'éclaire par les autres, et 00 toutes se regardent.1 Camus. Cette réflexion de Camus sur le contenu philosophiqus des grandes oeuvres Iittéraires s'applique admirablemsnt a l'oeuvre de Le Clézio. Les livres de Ls Clézio ne sont certainement pas isolés les uns des autres, et jusqu'en 1978, il est possible de dire qu'ils ferment un tissage serré et complexe d'idées et de variations dont la trams est le destin tragique de l'homme dans la civilisation occidentale. Avec W, Le Clézio lance son premier veritable cri d'agoisss face a sa condition d'etre scindé, c'est-a- dire d'etre compose de deux substances qui paraissent 1 Camus, cité par Jean-Claude Brisville. (lama. (Paris: Gallimard, 1959). 144 145 irréconciliables, la conscience et le corps, et d'etre aliéné de la nature a laquelle il sent, au plus profond de lui-meme qu'il appartient, mais que des siecles de conditionnemsnt culturel ont de facon quasi-irrémediable dissocié. Ce premier essai marque le commencement d'une longue réflexion sur la condition humaine qui entraine le Iecteur du debut a la fin du temps et de l'espace, en essayant de trouver un juste milieu qui reste élusif en dépit dss tentatives reitérées de trouver une place stirs dans l'univers. A cette réflexion de nature philosophiqus st métaphysique qui est au centre de l'essai visnnent se greffer des considerations de toutes sortes qui caractérisent les préoccupations de l'écrivain. En 1967 Is problems du langage et celui de l'écriture sont prédominants et ne disparaitront jamais completement, mais subiront une evolution essentielle qui trouvera sa conclusion dens W. Langege et écriture sont problématiques car ils trehissent la pensée et contribuent a aliener l'homme du cosmos. Bien que prédominantes, ces préoccupations ne sont pas uniques. Le Clézio s'attarde aussi longuement sur le regard qui, retourne sur lui-meme ou s'originent chez l'autre, est une forms d'agression st d'angoisse exacerbée a l'extreme. Le regard perte sur le monde extérieur rests relativement peu important et ns contribue que quelques listes d'objets qui, dans un premier temps ne sont jamais véritablement decrits, et dans un deuxisme temps, quand ils le sont, vont toujours dans un movement allant du plus grand au plus petit, ramenant finalement l'auteur a lui-meme et a son angoisse. Le monde de la ville et la terreur qu'elle genere par 146 son caractere labyrinthique est symbolique d'une vision dedaléenne du monde dont la seule issue ne peut se fairs que par la fuite, qu'elle soit physique par une tentative échouée d'appartenance a la matiere, ou sociale dans l'engagement qui est vu comme une excuse pour ceux qui n'en peuvent plus de contempler leur néant. Les romans et nouvelles publiés entre 1963 st 1978 exploitent largement les themes et les préoccupations présentés par Le Clézio dens LlExtasLmataLjaUa. Ceux qui sont principelement développés sont ceux de la peur, de la guerre, d'une certaine forme de folie, de la violence, tous engendrés par l'univers urbain ou évoluent les personneges Iecléziens. De ces themes en découle un autre qui est omnipresent: celui de la fuite. En effet, chacun des personneges cherche a sa maniere a fuir la ville et les psychoses qu'elle cree. Ces personneges peuvent étre globalement classes dans une catégorie spécifique, celle des declassés sociaux ou mentaux, et parfois des deux a le fois. Tous sont en quete d'un quelque chose qui se trouve de ”l'autre cété", expression qui revisnt maintes fois dens toutes les oeuvres et qui donne son titre a l'une d'entre elles. En outre, la majorité d'entre eux sont dss jeunes gens ou des enfants, c'est-a-dire des étres encore non achevés, donc plus susceptibles d'avoir une vision moins sclérosée du monde, mais aussi plus susceptibles de souffrir de leur condition car ils ne sont pas encore carapaconnés contre les attaques extérieures. Dans son premier roman, La_El_Q_cas_-llalba12, Le Clézio met en 2 J.-M. G. Le Clézio. LLEmaaaiamal. (Paris: Gallimard, 1963) 147 scene un jeune homme du nom d'Adam Pollo dont le passe rests mystérieux jusqu‘a la fin et dont la vie est celle d'un exile social aux confins de le folie. Comme tous les personneges qui le suivront, Adam Pollo fuit la société, ne gerdant qu'un seul contact avec une jeune fills qu'il a précédemment violee. ll éprouve en general une aversion tres forte pour la société et les gens qu'il percoit comme uns race detestable. ll rejette aussi la société de consommation et sa manifestation la plus évidente qui est l'or dont il refuse de se salir les mains. L'émotion principals d'Adam, celle qui le guide dens toutes ses actions est la peur. La peur qu'il ressent provient de deux sources. D'une part, il y a la peur provoquée par les menaces imposées par Ie monde extérieur, ainsi que la peur de la ville qui apparait comme un monde extrémement hostile. Cette peur restsra une dss constantes de la psychologie dss personneges Iecléziens jusqu'a mm M3 les entrainant en general a l'auto-destruction. Adam Pollo est aussi obséde par la guerre; cette obsession qui provient du fait qu'il est deserteur est aussi symptomatique dss personneges Iecléziens et symbolise le malaise de vivre dans une société déshumenisée dans laquelle l'homme ne trouve plus de place 00 s'assimiler. La guerre n'est pas toujours littérale, mais elle est toujours endémique; elle a pour theatre d'opérations la ville et elle asseille l'homme aussi bien physiquement que psychologiquement. L'univers urbain se presents sous dss aspects négatifs st 3 J.-M. G. Le Clézio. W. (Paris: Gallimard, 1975). 148 néfastes a l'homme qui s'y trouve aliens, dans une situation d'anonymité inhumaine. La ville apparait comme un labyrinthe ou l'homme déracine se perd. Mais l'homme est tout autant aliéné de la nature qui elle aussi apperei‘t comme un labyrinthe dens lequel l'homme ne peut trouver son chemin; elle lui est souvent hostile, décrite en termes de déséqulilibre et d'hostilite latente. ll y a déja exprime un fort désir de se sentir un avec cette nature at d'y étre assimile, mais cs revs n'est jamais realise et l'homme rests donc doublement aliéné. L'obsession de la mort est aussi presents dans ce premier roman, et le restsra jusqu'en 1973. Adam est dans une certaine mesure fasciné par la putréfaction et la decomposition ainsi que le preuve l'incident du noyé qui est raconte dens ses details les plus morbides. De tous les personneges du livre, le noye est en derniere analyse le plus heureux puisque par la mort et la putrefaction il accomplit le retour a l'éternité de la matiere. Ce theme réapparait a plusieurs reprises et se combine a celui de la métamorphose, phenomene subi par de nombreux personneges. La métamorphose est avec la mort le seul moyen qui existe pour fairs un avec la matiere et se produit comme c'éteit le ces dens W eux moments les plus inattendus. Dans LLEmaasaLaltlal, il y a métamorphoss d'Adam en végétal, stade qu'il parvient a obtenir par la contemplation. Le dernier theme aborde dans ce premier roman est celui du langage qui hante littéralement Le Clézio. lci, il apparait sous deux formes différentes qui indiquent le problems essentiel de la 149 difficulté a communiquer. D'abord, lorsqu'il est encore coherent, ou bien Adam refuse de parler ou bien il ne parvient absolument pas a se falre comprendre quand il essais d'expliquer son style de vie, ses désirs ou ses angoisses. Plusieurs incidents se produisent qui insistent sur cette impossibilité de communiquer. Lorsqu'il parait enfin que la communication soit possible, Adam finit par sombrer dens l'aphasie, mettant ainsi fin a tout rapport avec le monde extérieur. Dans l'oeuvre suivante, La_ElallLa4, Le Clézio presents neuf nouvelles dont la majorité a comme fil conducteur commun ces moments quotidiens ou les sens harcelés par les agressions extérieures se détraquent et menent a des moments de folie passagere. Ces nouvelles présentent des personneges qui sont tous socialement isolés, qui souffrent de la solitude et qui, meme lorsqu'ils ont la chance d'avoir a leurs cctés d'autres personneges qui leur sont proches, ne parviennent jamais a communiquer. lls se sentent aussi, suivant les cas, assaillis par les violences de la ville, les obligations imposées par la société et le regard inquisiteur dss autres. Le soleil joue aussi a plusieurs reprises un r6le essentiel. Comme dens LEW le soleil et la lumiere en général trop intenses revelent un monde dangereux et provoquent une conscience aiguisée du monde qui se termine en crise de folie. La nostalgie du monde naturel est aussi presents, en particulier dens ”L'homme qui marche", nouvelle dens laquelle Le 4 J.-M. G. Le Clézio. La Eiayla. (Paris: Gallimard, 1965). 150 Clézio exprime clairement Ie malaise qu'impose la ville ainsi que le bonheur que l'homme peut ressentir lorsqu'il parvient a s'intégrer a la nature. Une nouvelle se détache dss autres et annonce deja Lllnmnnu fiuLLaJQLLe qui sera publié treize ans plus tard. "Le Monde est vivant” est une description de deux milieux naturels: d'abord une vallés encaissée entre dss montagnes et ensuite la mer. La démerche de Le Clézio est celle d'un peintre impressionniste qui compose un tableau. C'est une description d'un milieu naturel d'ou les humains sont de facon caractéristique absents et dont la durée est approximativement une journée. ll commence sa description par une vus du paysage tel qu'il lui apparait d'abord a sa perception et s'attache ensuite a inscrire les details. Le temps dont il parle revét un caractere infini puisque d'une part il y a le temps d'une simple journée et d'autre part il y a le temps a l'echelle géologique, et ces deux cadres temporels se confondent en un seul temps qui est celui du present. Apres avoir longuement décrit dss milieux inhospitaliers a l'homme, Le Clézio presents ici le chaos harmonieux de la nature comme il l'avait fait dens LlExjasa matalialla. Chaque chose se trouve sxactement a sa place, chaque arbre, chaque ruisseau, chaque grain de sable coexistent harmonieusement. Cette nouvelle est un chant a la gloire de la nature vivante, mais c'est un monde dont tout ce qui est humain est exclus. Cependant, par la contemplation ds l'harmonie de la nature, l'homme parvient a oublier sa condition tragique et absurde d'etre humain pour se transcender dens l'espace cosmique. Ce désir de 151 fuite dans la nature qui est réitéré a plusieurs reprises dens l'oeuvre trouvera finalement son apogee avec WW. En dépit dss quelques notes d'espoir qui se trouvent dans ce recueil de nouvelles, la note finale rests celle du désespoir puisqu'il se termine par une mort froide et désespérante qui annonce les morts du livre suivant. LLDallIQaS a lui aussi pour protagonistes des personneges déclassés obsédés par la mort. L'univers de ce roman est celui de la ville 00 l'homme est de plus en plus vu comme un automate anesthésié qui a perdu ses facultés de sentir et qui finit par sombrer dans la folie et dans la mort. Le rythme du temps, implaccable et écrasant l'homme par sa cruauté, le condammne a une mort irrémissible avant qu'il n'ait eu le temps de se réaliser. Les images récurrentes sont celles d'apocalypse, de mort et de putréfaction qui se retrouvent dens laLLa_Amala6, publie la meme annee que LlEnaaLmalaLiajla. Dans cs roman, la combinaison ville- chaleur crée une atmosphere d'enfer dont il est impossible de s'échepper. Lorsque, par chance, il y a floraison, il s'agit d'une floraison anarchiqus, diabolique et menacante dans un univers anthropomorphisé ou touts chose pense et donc, est potentiellement dangereuse. Comme beaucoup d'autres personneges Iecléziens, Chancelade, le protagonists de M ressent que touts sa vie a été potentiel non exploits; acceble par le monde qui 5 J.-M. G. Le Clézio. La_|2a|uga. (Paris: Gallimard, 1966). 6 J.-M. G. Le Clézio. Ialla_Amala. (Paris: Gallimard, 1967). 152 l'entoure, ll trouve la fuite dans la mort pour échapper a sa condition. Le personnage principal du livre suivant7, Jeune Homme Hogan fuit Ie monde occidental qui est trop rapace pour lui. C'est un personnage jeune, pur, en proie aux interrogations existentielles communes aux héros Iecléziens. Le monde dens lequel il évolue est un monde physiquement violent dens lequel l'homme est represents comme un insects au coeur dss villes monstrueuses. La vie y est décrite comme une guerre dont JHH ne pourra s'échapper; d'un cdté il y a le monde occidental névrosé et violent, de l'autre les pays sous-développés cu regnent la pauvreté et les maladies. A nouveau ici, la ville represents symboliquement touts cette culture occidentale que JHH rejette, mais ce rejet ne fait qu'entra‘lner la parution d'un grand vide intérieur qu'il est impossible de combler. JHH, en dépit de ses attirances pour la philosophie zen qui serait pour lui le seul moyen ds trouver uns spiritualite bienfaisante, est l'exemple parfait de l'occidental aliéné qui, trop conditionné par les forces culturelles qui l'ont forms, ne peut trouver dans une autre culture d'alternatives qui mettraient fin a ses angoisses. Dans Las__G_éanl§8 Le Clézio presents un monde froid, dangereux st cruel qui est contrélé par "les Maitres", cette catégorie d'etres qu'il a plus d'une fois dénoncée dens LlExlaanlalalialla et dans Hal. lls sont les maitres du langage, du regard, dss actions dss 7 J.-M. G. Le Clézio. La_lella_glas_lujlaa. (paris: Gallimard, 1969). 8 J.-M. G. Le Clézio. Laafiaarlta. (Paris: Gallimard, 1973). 153 gens. Tranquilite, la jeune fille qui travaille pour les Maitres, se sent partout ou elle va, poursuivie par le regard des Maitres qui rappelle le regard extérieur present dens LlExlaaLmatalialla. L‘accent ici est mis sur I'impossibilite d'échapper a ce regard omnipresent qui viole la vie privée et qui finit par détruire tout ce qu'il regards. Plus que jamais dans ce livre Le Clézio dénonce l'eliénation de l'homme de la matiere, la violence de la ville (réduite dans ce cas a Hyperpolis, le grand magasin 00 se passe la plus grands partie du roman), la société de consommation qui rend les hommes ssclaves de leurs désirs et les punit en les soumettant a une surveillance constants. Ce n'est pas event 1975 que les romans commencent a changer. En 1973, Le Clézio commencait deja a penser a W talLa, comme le montre le dernier paragraphs de Laafiaama: "Peut- etre,” écrit-il, ”c'éteit mieux de parler dss reves, ou bien dss champs de houblon, ou bien de le masse bombée dss cailloux devant la mer, ou un petit garcon est assis comme sur le bord d'une planets, en train de regarder l'esapce. Mais on peut aller de l'autre cote ds ses peurs, s'il y a un autre cote, pour étre libre."9 Etre libre, c'est le but ou plutot l'essence de Neja Neja, l'héro’ine de Maxagaaaalamlaaata. Ce livre marque déja un tournent dens l'oeuvre de Le Clézio. Bien que certaines images ds violence apparaissent encore de temps en temps, l'impression générale qui rests apres la lecture est une impression de calms et de paix. Ce livre tient du conte de fee a cause de la personnalité et 9 Le Clézio, op. cit., p. 320. 154 des capacites ds Neja Neja. Elle est a la recherche de la connaissance du monde et d'emblée nous savons que sa quete aboutira puisque l'auteur nous dit: ”Si elle n'avait pas d0 savoir, pourquoi est-cs qu'elle aurait eu l'idée de chercher a savoir?"10 Le problems du savoir est pose immédlatement: celui dont il s'agit ici n'est pas un savoir scolaire, mais un savoir instinctif qui vient de l'extérieur et qui penetre le corps comme un courant electrique. Touts connaissance vient de la nature, et l'homme ne peut plus imposer sa signification au monde. Touts signification vient dans un mouvement nature—homme et seul celui qui salt étre receptif peut la comprendre. Certaines dss idées qui se trouvaient exprimées dans Hal apparaissent clairement dans ce roman. La ville n'est plus forcément dangereuse, et comme les Indiens avaient appris au fil dss generations a déchiffrer les messages de la jungle, Neja Neja elle aussi parvient a comprendre cet univers de béton et ds macadam dens lequel elle aime marcher pour le simple plaisir de marcher. La ville a perdu son caractere hostile et est décrite comme un univers qui peut étre harmonieux s'il est regardé avec innocence et étonnement. Certaines autres tendances qui etaient présentes dans le deuxieme essai, telles qu'une nouvelle conception du langage ou du regard, sont ressentiss dans ce roman. Le regard n'est plus une forms d'agression, mais un instrument qui permet de percevoir a neuf et clairement Ie monde environnant; le langage n'est plus aussi problématique et la communication entre Neja Neja et ses compegnons dsvient possible. Finalement, Neja 10 Le Clézio, op. cit., p. 21. 155 Neja incarne l'idéal de l'stre qui per son ouverture au monde parvient a s'y intégrer sans heurts. Hal marque un torunant important dens l'oeuvre Ieclézienne, ainsi que le prouvent les differences frappantes entre Malagaaja Baum et les romans et nouvelles qui l'avaient precede. La découverte d'un monde radicalement different dens lequel la conception du monde, du langage et de la place de l'homme dens l'univers offrait une alternative aux vues précédentes permet d'expliquer Ie changement d'orientation dans le contenu de l'oeuvre. La derniere étape de cette evolution apparait dens LllncamllelLJa talla qui complete ls cycle de cette etude. Au coeur de ce troisieme essai subsiste la question de savoir pourquoi l'homme occidental s'est sépare du monde. Mais c'est justement parce que ce fait existe et que l'homme en est conscient qu'il doit, par tous les moyens qui sent a sa disposition, retrouver le chemin du monde et de la matiere. ll n'est donc pas étonnant que c'est grace a une participation totals de tous les sens, dens un corps qui a retrouve son unite, que la perception s'effectue apportant une conscience nouvelle du monde et de la condition humaine. Cette fois, Le Clézio a quasiment mis de ceté toutes les questions sur la nature du langage, du regard, de la conscience, ainsi que ses lamentations sur les horreurs engendrées par l'univers urbain concentrationnaire. A la place, il utilise au mieux de ses facultés son regard ainsi que tous ses autres sens pour appréhender le monde dans une eptique constamment renouvelée. Le monde n'est plus ce qu'une perception unique nous a fait croire qu'il 156 était; il est a jamais en mouvement, re-appréhende avec chaque nouvel acts de perception. De par ce fait, la conscience n'est plus bloquée sur quelques conceptions stérilisantes du monde. Elle est au contraire totalement ouverte, receptive aux transformations, elle-meme en transformation continuelle. Quant au langage, il atteint enfin son apogee en devenent incantation et hymns a la beauté du monde dont il celebre le mouvement et l'harmonie en es mettant a l'unisson avec lui. Peu de place est faite a l'angoisse dans cet essai. La critique sociale elle aussi a disparu, ce qui n'empeche pas Le Clézio de traiter de facon acerbe dévoreurs et manipulatsurs en tous genres, mais cette fois de facon tres sporadique, et la critique de l'art marchand est completement absents de l'essai. Par centre, l'accent est mis sur la pureté de certains individus, en particulier les enfants, les pauvres st ceux qui appartiennent a une société défavorisee. Le Clézio insists sur le fait que d'eux nous pouvons apprendre a retrouver les liens primordiaux qui unissent l'homme eu monde car, dénués de tout, ils sevent encore recevoir ce que le monde peut leur offrir. De facon tres significative, pour la premiere fois depuis 1963, Le Clézio offre a ses lecteurs un livre qui ne se termine pas par une fuite ou par une interrogation. Bien qu'il soit hatif d'affirmer que l'essai couvre littéralement l'espace d'une journée, LllncannLauLla lama se termine le soir sur une image de croissant de lune. Alors qu'auparavant la fuite se produisait de facon linéaire dans le temps, désormais c'est le caractere cyclique du temps qui est 157 accentue, avec la nuit qui encore une fois recouvre le monde st acheve le voyage dens l'univers entrepris par l'auteur et son alter ego, le petit garcon a travers les yeux duquel Le Cléizo nous a permis de voir ls monde fra‘ichement comme ls milieu auquel nous appanenons. BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE Boncenne, Pierre. 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