556.8 :I IIIIIIIIIIIIIIW: 131293 This is to certify that the dissertation entitled Du vide intérieur a la vie en société: la morale anthropologique de La Rochefoucauld et Pierre Nicole presented by Catherine Florence Daniélou has been accepted towards fulfillment of the requirements for Ph . D . degree in French Moat/Van Major profe Xslr' ' Michael S. Koppisch Date January 31, 1991 MS U is an Affirmative Action/Equal Opportunity Institution 0-12771 I.- , I "mama-eat I gMichigan State I LUniversity I PLACE IN RETURN BOX to remove this checkout from your record. TO AVOID FINES return on or before date due. DATE DUE DATE DUE DATE DUE MSU Is An Affirmative Action/Equal Opportunity Institution c:\clm\dnaduaun&o.l DUV ANTHRI DU VIDE INTERIEUR A LA VIE EN SOCIETE: LA MORALE ANTHROPOLOGIQUE DE LA ROCHEFOUCAULD ET PIERRE NICOLE By I I Catherine Florence Daniélou A DISSERTATION Submitted to Michigan State University in partial fulfillment of the requirements for the degree of DOCTOR OF PHILOSOPHY Department of Romance and Classical Languages 1991 DU ANTHI anth moti @933 des not Vis p0 hu M aZSFT—zéé‘ ABSTRACT DU VIDE INTERIEUR A LA VIE EN SOCIETE: LA MORALE ANTHROPOLOGIQUE DE LA ROCHEFOUCAULD ET PIERRE NICOLE By Catherine Florence Daniélou La Rochefoucauld and Pierre Nicole share the same anthropological ground: both examine in their works the motivating forces of human behavior. Since, as with other moralistes of their time, their main concern is primarily descriptive, this study aims at investigating whether or not common patterns can be drawn from their anthropological vision. The two writers’ perception of human emptiness serves as Point of departure. La Rochefoucauld and Nicole reveal that human existence is not firmly centered around a solid core 0f being. Each tries to show how humans experience and react to a sense of emptiness. The second chapter focuses on self-knowledge and points out that La Rochefoucauld, unlike Nicole, holds that complete self-knowledge is impossible. The extent to which awareness of self leads to a concomitant awareness of the crucial role played by others in every aspect of human existence is then studied. If. in the eyes of La Rochefoucauld and Nicole. @9113 can 3 Both need upon rest prag ratf IIlCI 0011 dis reI de‘ Nb na di amour-propre is often the prime mover of social life, it can also be extraordinarily disruptive to social order. Both authors believe, however, that selfish human behavior need not destroy society. Yet, La Rochefoucauld’s emphasis upon the usefulness to society of honnéteté and self- restraint differs significantly from Nicole’s more pragmatic belief in the possibility of developing an "amour-propre éclairé." The importance of Cartesian rationalism in Nicole’s Essais de morale reveals that Nicole aims at "constructing" human beings and has confidence in them, whereas La Rochefoucauld portrays only discontinuity and fragmentation. Ultimately, it is no surprise that as the two authors reflect upon human nature and social relations each develops a very personal morale. La Rochefoucauld and Nicole certainly share a common descriptive vision of human nature. Yet, while Nicole’s morale remains essentially didactic and rationalist, La Rochefoucauld’s lucidity can be perceived as "tragic." Copyright by CATHERINE FLORENCE DANIELOU 1991 A mes parents, a Vincent, et a la mémoire de mon ami, le professeur Georges J. Joyaux Cette IIichz reme: son I et 1 m' on Iui témc préc IIa ] Fri: sol et mér que 1’3 301 ren d’I REMERCIEMENTS Cette these fut rédigée sous la direction du professeur Michael S. Koppisch. C’est a lui que s’adressent mes ' remerciements les plus vifs. Sa droiture intellectuelle, son exigence de rigueur, sa patience a mon égard, le temps et l’attention qu’il consacra a la lecture de mon manuscrit m’ont toujours poussée a donner le meilleur de moi-meme. Je lui dois beaucoup. La confiance qu’il n’a cessé de me témoigner fut mon plus grand atout. Ses conseils furent précieux, son aide inestimable. Ma profonde reconnaissance va également au professeur Frieda S. Brown. Ses continuels encouragements et sa sollicitude ne m’ont jamais fait défaut. L’admirable soin et la grande minutie avec lesquels elle lut mon manuscrit méritent de chaleureux remerciements. C’est avec gratitude que je remercie aussi 1e professeur Marlies Kronegger de l’attention continue qu’elle préta a mon travail, de son soutien, et de sa chaleur humaine. Je tiens également a remercier 1e professeur Josef W. Konvitz, du département d’histoire a Michigan State University, pour sa lecture attentive de mon manuscrit et sa presence lors de ma soutenance. Les professeurs Malcolm A. Compitello, George P. Mansour, et Laurence M. Porter m’ont toujours appuyée et encouragée. Je leur en suis particuliérement reconnaissante. Le souvenir du professeur Georges J. Joyaux, l’humour du professeur Jean G. Nicholas, et l’amitié de Danielle Ranes m’ont constamment soutenue. Je leur en garderai toujours une grande reconnaissance. Enfin, que mes amis les plus proches soient ici remerciés de leur presence et de leur amitié. vi Introduc Chapitr: Chapitrt Chapitr Chapitr Ra Conclus Biblio: TABLE DES MATIERES Introduction ...................... Chapitre 1: Le vide intérieur ................... Chapitre 2: La connaissance de soi ..... Chapitre 3: LEVie en SOCiété cooooooccoooooooooooooooo 104 Chapitre 4: De l’écriture au style: Rationalisation et paradoxes .................... 0000000000000000 243 . 171 ConcluSion 000000.000.0000000000000000. Bibliographie Sélective0000000000000000000000000000000 252 vii inti ses hi on com an: 1’: dé‘ INTRODUCTION Dévoiler ce qui est en l’homme le plus caché, le plus intime; ce qu’il dissimule, et ce qui le détermine dans ses rapports sociaux: voici 1e dessein de Pierre Nicole et La Rochefoucauld. L’entreprise reléve de la pathologie et de la chirurgie: on étudie les causes, les symptomes des maladies du comportement humain et l’on incise, disséque pour faire une analyse minutieuse. La Rochefoucauld se propose "de faire l’anatomie de tous les replis du coeur."1 Nicole, lui, dépiste d’une part les origines des maladies humaines-— "L’amour de nous-memes ... est le centre et la source de toutes nos maladies,"2 écrit—il--et d’autre part se contente de décrire les blessures les plus immondes dont est recouvert l’homme né dans l’état de péché et tombé dans la concupiscence: Qu’on imagine dono une plaie universelle ou plutot un amas de plaies, de pestes, de charbons, dont le corps d'un homme soit tout couvert; qu’entre ces plaies il y en ait qui paraissent plus envenimées et plus enflammées, d’autres qui semblent comme amorties et sans ardeur. (08M 41) celle “tire 1’es; abom: cert dang sans malt l’i moi d’e vb de 2 La vision de Nicole inspire certes plus de terreur que celle de La Rochefoucauld. Et pourtant, les maladies qui "tirent leur origine des passions et des peines de l’esprit" (RD XII) sont chez La Rochefoucauld presque aussi abominables que les plaies de Nicole, voire meme pour certaines d’entre elles mortelles. Les alterations les plus dangereuses sont cachées. Elles consistent en "ces plaies sans feu et presque guéries" (CSM 41) chez Nicole, "les maladies de l’ame" dans lesquelles "i1 y a des rechutes" (M 193) chez La Rochefoucauld.3 D’ou la nécessité de l’interventidn chirurgicale a meme, a défaut de guérir, du moins d’expliquer la cause du mal. En somme, une sorte d’autopsie, meme s’il s’agit de sonder les mécanismes du vivant. Madame de Sablé ne s’y était pas trompée. Le brouillon de son article sur les Maximes destiné a étre publié dans le Journal de§_Savant§ envisage l’entreprise de La Rochefoucauld comme une sorte d’ouvrage innovateur sur la cinétique intérieure a l'homme, un travail riche d’ensei— gnements pour le lecteurt "C’est un traité des mouvements du coeur de l’homme, qu’on peut dire lui avoir été inconnus jusques a cette heure."‘ Et surtout, Madame de Sablé voit dans l’ouvrage de son ami une si grande pénétration pour connaitre 1e véritable état de 1’homme, a ne regarder que as nature, que toutes les personnes de bon sens y trouveront une infinite de choses qu’ils auraient peut—étre ignorées toute leur vie si cet auteur La ve: pénét que 1 pour l’hor chao publ rési l’hc con: int déc mor in: ce 1e 3 ne les avait tirées du chaos du coeur de l’homme pour les mettre dans un jour ou quasiment tout le monde peut les voir...."5 La version definitive de l’article n’évoque plus "la pénétration pour connaitre le veritable état de l’homme" que 1’on peut déceler dans les Maximes mais "la pénétration pour déméler la variété des sentiments du coeur de l’homme."6 L’accent est toujours mis sur la réalité chaotique intérieure a l’homme. Mais, dans l’article publié, la démarche entreprise par La Rochefoucauld ne réside pas vraiment dans la connaissance de l’état de l’homme, ce qui impliquerait une notion de certitude. Elle consiste a éclaircir, a débrouiller les profondeurs intérieures. "J’ouvre les choses plut6t que je ne les découvre,"7 avait déja écrit Montaigne. La Rochefoucauld et Nicole vont a la découverte d’un monde intérieur dont le désordre et l’obscurité demeurent inconnus a cheque lecteur potentiel rendu perplexe devant cette réalité, ainsi que l’indique Madame de Sablé. Comme les anatomistes, ils pénetrent ce monde pour le décrypter, pour en dégager ses sinuosités, ses anfractuosités, et ses bigarrures. En l’exposant au grand jour, ils s’engagent a lever le voile de l'obscur, du caché, poursuivant dans le domaine psychologique 1a tache qu’avaient entamée les anatomistes dans le domaine phy-sique.° La Rochefoucauld s’était donné pour dessein de "pénétrer dans le fond"9 du coeur '11 In démél En Et 4 coeur des hommes. Nicole, lui, prétendait que pour écrire il lui fallait toujours "quelque chose a prouver et a déméler."1° En tant que moralistes, l’auteur des Maximes et celui des Essais de morale partent tous deux a la recherche de la réalité humaine. Ils observent et cherchent. Ecrivains moralistes comme Pascal, La Fontaine, et La Bruyére, La Rochefoucauld et Nicole sont, pour reprendre la definition d’Hugo Friedrich, des observateurs, des peintres de l’homme. Ils se trouvent devant une tache infinie. Leur étude s’applique a toute la complication de la nature contradictoire et de la condition banale et concrete de l’homme, qui ne se montre que quand l’éthique se retire pour laisser 1e champ libre a l’observation non prévenue du réel."11 Et par moralistes on entend, comme 1e poursuit Friedrich, des esprits qui, pour savoir ce qu’est l’homme, en considérent et décrivent toutes les mani- festations sous l’angle psychologique, moral, historique, social, politique, en tenant toujours compte des différences de temps et de lieu, et qui ne donnent pas vraiment de réponse a la question posée, mais la renouvellent sans cesse par l’étude de couches profondes et de compli— cations encore ignorées: elle reste pour eux une réponse sans réponse.12 Parce qu’ils s’attachent a déterminer la réalité humaine, La Rochefoucauld et Nicole partagent 1e meme terrain anthropologique. C’est en cela qu’ils nous intéressent et méritent d’étre étudiés.13 Ils examinent tous deux les ressorts et les motivations du comportement des hOI leur c sociét Port-E une d< démare tutel descr étude plusi Pour: Roch mor enc gél 0h: de 08 5 des hommes: leur champ d’investigation est commun. Enfin, leur conception de la nature humaine et des rapports en société est similaire. Cependant, Nicole, théologien de Port-Royal, développe notamment dans ses Eggais degmgrale une doctrine morale basée sur l’augustinisme janséniste. Sa démarche premiére--démontrer la miséricorde de Dieu--et la tutelle morale qu’il ajoute a une morale purement descriptive l’opposent a La Rochefoucauld. Des lors, une étude portant sur La Rochefoucauld et Nicole souleve plusieurs problémes et exige certaines clarifications. Pourquoi, comment, et jusqu’ou faut—il rapprocher La Rochefoucauld et Pierre Nicole? Dans la mesure on Nicole et La Rochefoucauld s’interrogent tous deux sur l’homme et sa nature, il est légitime d’examiner si l’on peut dégager de leur morale un sohéma commun dans leur vision anthropologique, schema qui pourrait éventuellement étre partagé avec d’autres moralistes du dix-septieme siécle. L’inévitable risque enoouru par une telle approche consiste bien sfir soit a généraliser outre mesure, soit a nier la particularité de chaque auteur, soit a mettre l’accent sur le particularisme de chacun. C’est en tant que moralistes que La Rochefou~ cauld et Nicole sont juxtaposes et qu’ils dialoguent dans cette étude. Mis céte a cote, conversant sur la nature de l’homme et sa réalité intérieure, ils feront finalement-—et sans surprise-~valoir leur propre originalité. Partis d’un meme point de départ--l’anatomie et la description de la nature c< Rochefou: morale s grice é entre ce qu’ils I listes ; moments pensée Natl dront i sur ce 1a vis accent S’arti 1'"au' vertu deux cos d Valet 0’ 934 l’ho La R tanc 00mm éVel Cau 6 nature corrompue et déguisée de chaque étre humain—-La Rochefoucauld et Nicole finissent par construire leur morale selon des orientations différentes. C’est cependant grace a l’examen des recoupements, des divergences existant entre ces deux auteurs, ainsi que des buts respectifs qu’ils se donnent que l’on voit chacun de ces deux mora— listes gagner une plus grande individualité, meme si par moments il souscrit en effet a un schéma commun dans la pensée du dix-septiéme siecle. Naturellement, la Rochefoucauld et Nicole s’entretien- dront ici sur la matiére qu’ils anatomisent: l’homme. C’est sur ce terrain qu’il est nécessaire de les réunir. De meme, la vision de l’homme en société porte-t-elle également des accents communs chez les deux auteurs. Cette vision s’articule autour d’une conception de l’homme social, de l’"autre"---dominés par 1’amour-propre et la fausseté des vertus humaines-—ainsi que de la civilité que partagent les deux écrivains. C’est donc en partant des articulations que ces deux auteurs eux-memes mettent particulierement en valeur que l’on parviendra a cerner l’écart qui les sépare, c’est-A-dire dans quelle mesure leurs conclusions sur l’homme, leurs buts et leurs aspirations divergent. Puisque La Rochefoucauld et Nicole accordent tous deux une impor- tance particuliere au vide intérieur de l’homme, a la connaissance de soi-méme--son défaut, sa nécessité, son éventualité chez Nicole et ses limites chez La Rochefou— cauld--et a la vie en société, nous analyserons leurs ....... perspecti tigation. lement m: l’homme différen Nicole. Une I memo constat des nor consist pour 1' perspe condit en Fra Iusqu' Nicol: Si 1695) d'inf autei mili. c0mm l’am Liar 7 perspectives et les étudierons sur ces sujets d’inves— tigation. De cette enquéte ressortiront et seront fina— lement mises en valeur des divergences d’opinion sur l’homme existant entre les deux auteurs et de profondes différences de nature des oeuvres de La Rochefoucauld et Nicole. Une telle tentative de rapprochement souléve néanmoins une problématique essentielle. Le seul fait de partir de la constatation que La Rochefoucauld et Nicole sont tous deux des moralistes essayant de savoir ce qu’est l’homme consiste-t-il en un point de départ suffisant et valable pour l’étude de ces deux auteurs? Certainement, puisque la perspective offerte par les moralistes sur la nature et la condition humaines dans la seconde moitié du XVIIe siecle en France en sera élargie. Il convient néanmoins d’examiner jusqu’ou l’on peut et l’on doit réunir La Rochefoucauld et Nicole. Si La Rochefoucauld (1613-1680) et Pierre Nicole (1625- 1695) sont contemporains, rien ne permet de parler d’influence personnelle ou de collaboration entre les deux auteurs. Les deux auteurs ont cependant partagé le meme milieu social. Nicole était recu par Madame de Sable, tout comme l’était La Rochefoucauld. Il était fort admiré et lu par Madame de Sévigné, elle—meme une grande amie de l’auteur des Maximes. Nicole frequenta également "L’H6te1 Liancourt," 1a résidence de l’oncle de La Rochefoucauld. La Rochefout théories La Ro moraies religieu n'est pa considé1 théoric: est exe' toujour forte t dans la Rochef: laique Aux au sei démarc humaix Se dé‘ Deut II fa 8Voué lui I Flor: Cami. déco I’§t 8 Rochefoucauld, quant a lui, évoluait dans un cercle que les théories jansénistes ne laissaient pas indifferent. La Rochefoucauld et Nicole écrivent leurs oeuvres morales presqu’en meme temps, mais leurs convictions religieuses (celles que les textes retracent; le probléme n’est pas ici biographique) les opposent. Si Nicole est considéré comme un moraliste, il n’en demeure pas moins un théoricien janséniste. La morale de Nicole telle qu’elle est exemplifiée dans ses Essais de morale14 comporte toujours des enseignements. Elle n’est jamais exempte d’une forte tonalité religieuse dont on ne trouve aucune trace dans les Maximes ou dans les Réflexions diverses de La Rochefoucauld. Ce dernier, quant a lui, propose une morale laique et tres largement descriptive. Aux cotés d’Arnauld, Nicole fait pourtant "bande a part" au sein du courant janséniste. Résolument cartésien dans sa démarche de pensée, croyant en certaines possibilités humaines qui peuvent mener a Dieu l’homme chrétien, Nicole se détache du jansénisme extrémiste dont Martin de Barcos peut étre tenu pour chef de file. "Humaniste"15 chrétien, i1 fait confiance a l’homme. 0r, c’est par cette confiance avouée que Nicole se distingue de La Rochefoucauld. Elle lui permet, apres avoir procédé a "l’anatomie" et a l’ex- ploration du coeur humain, de batir l’homme. La Rochefou- cauld, lui, s’arrétera presque a la description et a la deconstruction des mouvements et de la réalité intérieure a l’étre humain. Pourtant, comme le démontre Bernard Chédoz appare humain mais I so réI I’ana Ce cript i do: diff: les Roch 9 Chédozeau, "tous deux ... --et meme Nicole en dépit des apparences—-tendent a donner du probleme de la condition humaine une vision non plus spiritualiste et religieuse, mais morale."1° La Rochefoucauld et Nicole, en définitive, se réunissent bel et bien autour d’une tache commune: l'anatomie de l’homme et de son comportement social. Cependant, tous deux partis armés d’un méme souci des- criptif, La Rochefoucauld et Nicole en arrivent finalement a des conclusions sur l’homme et la condition humaine assez différentes. Le but de cette étude sera donc d’approfondir les rapports entre l’auteur des Maximes et celui des Essais de morale et d’examiner comment et surtout pourquoi La Rochefoucauld et Pierre Nicole different. at I' aux B posth texte M: Ma supp! L: Me premI acco: dams 10 REFERENCES 1 La Rochefoucauld, Maximes, éd. Jacques Truchet, 3e éd. (Paris: Garnier, 1967) 5. Toute référence aux Maximes, aux Réflexions diverses, ainsi qu’aux maximes supprimées et posthumes sera faite a cette édition et indiquée dans le texte entre parentheses d’aprés les abréviations suivantes: M: Maximes (texte définitif, edition de 1678); MS: maximes supprimées; MP: maximes posthumes; RD: Réflexions diverses; L: Manuscrit de Liancourt; RM1: Réflexions morales—-la premiere edition des Maximes. Ces références seront accompagnées de leur numérotation, telle qu’elle apparait dans l’édition Truchet. 2 Pierre Nicole, Oeuvreggphilosophiques et:morales, éd. Charles Jourdain (Paris: Hachette, 1845) 41. Pour des raisons pratiques, les références aux principaux essais de Nicole seront faites a cette edition. Indiquée entre paren- theses, la pagination sera précédée du titre abrévié de l’essai. Les références aux essais ne figurant pas dans l’édition Jourdain—~indiqués ci-dessous par un astérisque—— seront faites a l’édition suivante: Pierre Nicole, Essais de morale contenus en divergitrajtés sur plusieurs devoirs importants, 12 vols. (Paris: Desprez, 1715). Les références aux lettres de Nicole seront également faites a cette édi- tion, c’est-a-dire a ses septieme et huitiéme tomes. L’or- thographe sera modernisée. Le tome et la pagination seront indiquée entre parentheses dans le texte. En ce qui con- cerne le traité "Des quatre dernieres fins de l’homme," divisé en trois livres, la pagination sera précédée de la numérotation du livre, elle-meme précédée de la numéro— tation du tome. La numérotation des "Pensées sur divers points de morale" sera indiquée de la meme maniere. Les références aux lettres ne seront pas indiquées dans le texte, mais dans les notes. Les références aux réflexions morales sur les épitres et évangiles seront indiquées dans les notes-—la pagination sera précédée de la numérotation du volume-~et faites a l’édition de 1715 pour ce qui con- cerne le premier tome de la Continuation (soit le neuvieme tome de l’édition complete des Essais de_morale§ suivie de leur Continuation des Essais degmprale.) Pour ce qui est des trois derniers tomes de la Continuation des Essais de morale, les références seront faites aux trois derniers tomes--numérotés dixieme, onzieme, et douziéme tomes-—de l’édition suivante: Pierre Nicole, Continuation des essais de morale, 4 vols. (Paris: Desprez, 1723). Les suivan BCC: " BL: ' CAP: CC: CD: CSII: DIS: EIID : EP: FH: GS: JT: LP: MEG: MPN: MT P: PED PH: PS: QDm R. RTE 11 Les abréviations des titres des essais seront les suivantes: BCC: "Qu’il y a beaucoup a craindre dans les contestations pour ceux-mémes qui ont raison." BL: "Des bornes légitimes de cette maxime; qu’il ne faut point se prévenir et de l’abus qu’on peut en faire." * C: "De la comédie." CAP: "De la charité et de l’amour—propre." CC: "De la civilité chrétienne." CD' "De la crainte de Dieu." CSM: "De la connaissance de soi—méme." DIS: "Des devoirs mutuels des inférieurs et des supérieurs." * EHD: "Discours ou l’on fait voir combien les entretiens des hommes sont dangereux." EP: "Traité de l’éducation d’un Prince." * FH: "De la faiblesse de l’homme." G: "De la grandeur." GS: "De la guérison des soupcons." JT: "Des jugements téméraires." LP: "Le prisme ou que les différentes dispositions font juger différemment des autres objets." * MEC: "De la maniére d’étudier chrétiennement." MPN: "Traité de la maniere de profiter des nouvelles, et principalement de celles regardant les affaires de l’Eglise." * MTD: "Des diverses manieres dont on tente Dieu." P: "Pensées sur divers sujets de morales." * PED: "Discours concernant en abrégé les preuves naturelles de 1’existence de Dieu et de 1’immortalité de l’éme." PH: "Des moyens de conserver 1a paix avec les hommes." PS: "Pensées sur les spectacles." * QDF: "Des quatre dernieres fins de 1’homme." a R' "Des rapports." RTS: "Réflexions sur le traité de Sénéque, 'De la briéveté de la vie.’" * SVD: "De la soumission a la volonté de Dieu." UT: "De l’usage du temps." * 3 Voir également M 188, 194. 4 Lettre de Madame de Sablé a La Rochefoucauld, 18 février 1665, dans La Rochefoucauld 581. 5 Lettre de Madame de Sablé a La Rochefoucauld, 18 février 1665, dans La Rochefoucauld 582. ° C’est nous qui soulignons. Le texte de l’article de Madame de Sablé, publié dans 1e Journal desgsavantg le 9 mars 1665, est donné par Jacques Truchet dans son intro— duction aux Maximes (voir La Rochefoucauld xxiv). 'I Thibai ici--< Phéréc intér et pr anatc cease ‘anat anthg Hache dans Sain (Par par: 12 7 Michel de Montaigne, Oeuvres com letes, éd. Albert Thibaudet (Paris: Gallimard, 1962) 480. Montaigne cite ici--dans son "Apologie de Raymond Sebond" (II, 12)-- Phérécyde écrivant a Thales. 8 Piero Camporesi écrit: "L’énigme des pulsions intérieures, des mécanismes affectifs, les zones obscures et profondes de l’égo secret se refletent dans les énigmes anatomiques qui, malgré l’accumulation de connaissances, ne cessaient, en plein XVII°, de rendre perplexes les 'anatomistes modernes’" (L’officine des_§en§; une anthropologie baroque, trad. Myriem Bouzaher [Paris: Hachette, 1989] 98). 9 Avis au lecteur de la premiere edition des Maximes, dans La Rochefoucauld 267. 1° Lettre LXXXI au Révérend Pere de Bretagne Prieur de Saint Germain-des-Prés, 8: 145. 11 Hugo Friedrich, Montai ne, trad. Robert Rovini (Paris: Gallimard, 1968) 13. 1* Friedrich, 190. 13 La Rochefoucauld et Pierre Nicole ont été mis en parallele e plusieurs reprises, souvent--a l’exception de l’analyse de Bernard Chédozeau--de facon plus allusive qu’explicative. ”Plus souvent que Pascal, c'est La Roche- foucauld que nous croyons entendre dans les Essais de morale," declare Antoine Adam (L’apogée du siécle, vol. 4 de fligtoire de la littérgture francaise au XVII°_§iecle, 5 vols. [Paris: Del Duca, 1958] 4: 117). Bernard Chédozeau consacre a La Rochefoucauld et Nicole un sous-chapitre entier, "Le probleme de la laicisation de la pensée chré~ tienne au XVII° siecle. Maximes et Essais de morale," dans sa these de doctorat d’Etat "Religion et morale chez Pierre Nicole (1650-1680)," 3 vols., These, Paris-IV, 1975, 2: 316-29. Edward Donald James, dans son ouvrage sur Nicole, ne manque pas de faire quelques rapprochements nécessaires avec La Rochefoucauld (Pierre Nicole, Jaggenist and Huma- nist. A Study of His Thought [The Hague: Nijhoff, 1972]). Les analyses de l’oeuvre de La Rochefoucauld mettent égale- ment a jour certaines comparaisons possibles, voire la similitude de prOpos entre Nicole et La Rochefoucauld. Jean Starobinski, Will G. Moore et Marcel Raymond trouvent notamment en Nicole un appui nécessaire a l’élaboration de leurs theses sur l’auteur des Maximes et sur le jansénisme. De leur cété, Vivien Thweatt, Louis Van Delft, D. Westage, et surtout Jean Lafond ont salué en Nicole 1e moraliste mais aussi 1e théoricien de l’augustinisme dont les vues morales se rapprochent de celles de La Rochefoucauld. 141 morale q1 l’ouvraflI rapprochl 15‘ 16 reprend tuelles répondai Saint-Sc moral" I Essais 6 problem paraitre bien QUI tielle~ 13 1‘ Dans la mesure ou l’intention de Nicole est plus morale que théologique dans les Essais de morale, c’est la 1’ouvrage qu’il faut tout d’abord étudier pour effectuer un rapprochement entre Nicole et La Rochefoucauld. 15 Voir Chédozeau 1: 13 et l’ouvrage de James. 1° Chédozeau 2: 326. Nicole, démontre Chédozeau, reprend dans ses Essaig de mgrale les analyses spiri- tuelles des Visionnaires-—ouvrage publié en 1665—1666 qui répondait aux attaques des Jésuites et de Desmarets de Saint-Sorlin--mais i1 "leur donne ... un tour purement moral" (2: 326). C’est ainsi que Chédozeau décele dans les Essais de_mprale "une sorte de laicisation morale d’un probleme purement religieux" (2: 326), ce qui laisse trans- paraitre—-grace au rapprochement avec La Rochefoucauld et bien que la laicisation des propos de Nicole soit par- tielle--"la laicisation de la pensée chrétienne" (2: 326). CHAPITRE 1 LE VIDE INTERIEUR 14 Le vid se concoi chosea d1 Pincepac fuyante. Rochefou claireme celle-ci etmm] intériei I’activ des flag misere lee den I'homme Permanq réalit Pou la foi basses Corrom 9) dc] faibl. Niecl et le Duisg Re In 15 Le vide intérieur qui définit l’etre humain taraudé ne se concoit chez Pierre Nicole qu’au regard du néant des choses du monde, de la fluidité impalpable de la vie et de l’incapacité qu’ont les hommes a concevoir cette réalité fuyante. Ce point de depart distingue Nicole de La Rochefoucauld. Celui—ci présente la réalité humaine plus clairement: "Le vide intérieur recele une activité sombre; celle-ci laisse a son tour pressentir une lacune interns, et une perspective de fuite sans terme."1 La vacuité intérieure de l’homme s’explique donc en grande partie par l’activité incessante des passions en son sein. L’auteur des Maximes ne souscrit certes pas a l’idée rigoriste de misere anthropocentrique que développe Nicole. Cependant, les deux moralistes en arrivent aux memes conclusions: l’homme, terrain de discontinuités et de contradictions permanentes, n’est que vide et ne represents donc qu’une réalité remplissable. Pour Nicole, théologien janséniste, seule la lumiere de la foi qui vient de Dieu peut nous convaincre de notre bassesse et de notre néant. La nature de l’homme est corrompue; i1 ne faut chercher sa force qu’"en Dieu seul et dans sa grace," nous explique Nicole dans "De la faiblesse de l’homme" (FH 98). Le pessimisme moral de Nicole envisage alors le néant comme représenté par le vide et le mouvement perpétuel des choses du monde. Ensuite, puisque nous voulons accorder de l’importance a la voie qui ne nous conduira jamais a Dieu et au bonheur éternel, et que par C en nous, Rochefouc Nicole. I avie au . les homum corrompu Ii meme Chapelle premiere voire mi proscri tient a m Em C de mani Rocheft Nicole articl "nous “n Ver régl‘es 16 que par consequent nos passions nous emportent et regnent en nous, notre moi devient un lieu vide. La démarche de La Rochefoucauld passe sous silence le point de depart de Nicole. Meme si l’auteur des Maximes nous rappelle dans son avis au lecteur que "celui qui les a faites n’a considéré les hommes que dans cet état deplorable de la nature corrompue par le péché" (5), édulcorant mais reprenant par le meme l’argumentation qu’avait donnée Henri de La Chapelle~Bessé dans son discours d’introduction e la premiere édition des Maximes, les allusions théologiques, voire meme les résonnances religieuses se retrouvent proscrites des 1a deuxieme edition de l’ouvrage. Dieu ne tient aucune place ni dans les Maximes, ni dans les Réflexions. En consequence, 1e vide intérieur de l’homme se formule de maniere différente dans la morale laicisée de La Rochefoucauld. En effet, a la difference de Pascal et de Nicole, comme l’a bien suggéré Jean Starobinski dans son article "La Rochefoucauld et les morales substitutives," "nous n’avons pas affaire ici a un vertige cosmique mais a un vertige de dépossession morale, suscité par une regression e l’infini qui ne laisse aucune instance intérieure demeurer maitresse d’elle-meme."2 L'auteur des Maximes présente 1e néant intérieur comme l’effet d'une décantation. Les passions s’exercent presque par une sorte de force centrifuge qui laisse un vide au centre de l’etre humain. Nicole, par contre, adopte une vision de la force dee paaaim lui, assume chez La Ro notre auto cause, che grace e um réalité hl avec, at I d’immutab Chez N vide et 1 teur des cause a e découverl 18 trait: Le néan. eteI‘nel cohabit 17 des passions plus vague. Cependant, l’amour—propre, chez lui, assume 1e meme r6le que les passions les plus diverses chez La Rochefoucauld: i1 nous determine et nous vole de notre autonomie, nous laissant vides. En tout état de cause, chez La Rochefoucauld et Nicole, 1e vide s’opere grace e un jeu de forces engendrant des mouvements. La réalité humaine est concue comme une dynamique en conflit avec, et tout en meme temps parallele a un sentiment d’immutabilité. Chez Nicole, 1e néant est tout d’abord représenté par le vide et le mouvement perpétuel des choses du monde. L’au- teur des Essais de morale établit notamment un rapport de cause a effet particulier entre la grace divine et le découverte de dichotomies significatives. Nous lisons dans le traité "De la comédie," qu’ un des premiers effets de la lumiere de la grace étant de découvrir e l’ame le vide, le néant et l’instabilité de toutes les choses du monde, qui s’écoulent et s’évanouissent comme des fant6mes, et de lui faire voir en meme temps la grandeur et la solidité des biens éternels, cette disposition doit produire d’elle-meme une aversion particuliere pour les comedies, parce qu’elle y voit un vide et un néant tout particulier. (C 459) Le néant est donc ici clairement associé a un mouvement evanescent sans continuité, alors que la grandeur des biens éternels s’allie a la consistance, a la stabilité. Nulle cohabitation n’existe entre les deux. Le rapp cauld. Che sous la fc le montre dans la p1 Contraire distincti nels. La 8t natur P88. 0n maxime d re.Iette la vie, Passion; Nico incapao example de fair m0yens "IeS p: 1a nat' 18 Le rapport des forces est different chez La Rochefou- cauld. Chez lui, la solidité dont parle Nicole se retrouve sous la forme d’une immutabilité presque invisible, comme le montre la maxime supprimée 39, qui ne fut publiée que dans la premiere edition des Maximes, en 1665: Quelque incertitude et quelque variété qui paraisse dans le monde, on y remarque néanmoins un certain enchainement secret, et un ordre réglé de tout temps par la Providence, qui fait que chaque chose marche en son rang, et suit 1e cours de sa destinée. (MS 39) Contrairement a Nicole, La Rochefoucauld ne fait ici aucune distinction entre les choses du monde et les biens éter- nels. La mécanique de notre monde semble etre bien huilée et naturelle. La discontinuité et la dichotomie n’existent pas. On pourrait presque penser qu’en retranchant cette maxime dans ses editions subséquentes, La Rochefoucauld rejette toute idée de fondement immuable et inébranlable de la vie. Pour lui, l’immutabilité est celle du mouvement des passions. Nicole, d’autre part, témoigne tout aussi bien de notre incapacité a changer le cours du monde. Notre colere, par exemple, "est aussi peu capable de corriger les hommes, que de faire changer les saisons,’ explique-t-il dans "Des moyens de conserver la paix avec les hommes" (PH 264). Meme "les plus grands rois du monde sont dominés par la force de la nature" poursuit—ii dans "Qu’il y a beaucoup e craindre dans les contestations pour ceux memes qui ont raison" (BCC 341). P (In pour doninat l’ébrai corrél: Dieu, des ch hommes aoutie L’homi flots "Disp pas d que " paasi autrt 91). 147) L peu la n mai: Nos 811‘ 19 341). Par ce que Pascal appelle un "renversement continuel du pour au centre"3 (Pensées 328), l’homme qui se voudrait dominateur se retrouve dominé: "les moindres bagatelles l’ébranlent, l’agitent, le tourmentent" (FH 93). De plus, corrélativement aux lois immuables de la nature créées par Dieu, tout est mouvement et conflit de forces. La réalité des choses du monde consiste en un maelstrbm entrainant les hommes dans l’agitement. La raison des hommes n’offre aucun soutien (FH 91). Le néant des choses du monde les agitent. L’homme ne trouve aucun appui ferme. Il est porté par les flots de ce monde. Reprenant l’image pascalienne de la "Disproportion de l’homme" (Pensées 72), Nicole ne manque pas de constater dans l’essai "De la faiblesse de l’homme" que "nous flottons, dans la mer de ce monde, au gré de nos passions qui nous emportent tant6t d’un c6té et tantbt d’un autre, comme un vaisseau sans voile et sans pilote" (FH H 91). Ou bien nous nageons dans un fleuve de sang" (CD 147), notre monde étant un "carnage spirituel" (CD 147). L’argument constant de Nicole consiste a dénoncer "1e peu de solidité de tout ce qui ... attire [les hommes] dans le monde" (FH 91). L’ame a bel et bien besoin d’appui, mais, dans sa faiblesse, elle n’en trouve aucun. Ce sont des mirages et notre imagination qui nous induisent en erreur et nous font tournoyer. L’homme est attire par des forces extérieures engendrées par l’orgueil ou l’amour— propre. Il se retrouve dépourvu de force d’inertie. Arraché de ses attaches par une puissanoe vague et indescriptible, '11 est pt tréa vio 29). Rie ou celle “De la 1 D’ou 1' "M1121 l'uniw vents , Spirit emvisa descri Iusqu‘ 20 il est porté a l’oubli volontaire de sci-meme par "un poids tres violent et qui entraine presque tout le monde" (CSM 29). Rien ne 1e retient, pas meme la fermeté de sa volonté ou celle de son ame. Ainsi, nous lisons par exemple dans "De la faiblesse de l’homme": Qu’y a-t-il de plus aisé que de convaincre les hommes du peu de solidité de tout ce qui les attire dans le monde? Cependant, avec tous ces raisonnements, le fant6me de la reputation, la chimere des honneurs et du rang, et mille autres choses aussi vaines, les emportent et les renversent, parce que leur ame n’a point de force, de solidité et de fermeté. (FH 92) D’ou l’emploi recurrent, chez l’auteur des Essais de morale, des images de flottement, d’engloutissement dans l’univers et dans les torrents, de ballottement au gré des vents, d’emportement dans des tourbillons. Le monde spirituel ressemble alors fort au monde materiel que Nicole envisage selon la théorie cartésienne des tourbillons. Sa description des sociétés formées par l’amour-prOpre va meme jusqu’a reprendre cette image de tournoiement inéluctable: comme ces petits corps emprisonnés, venant a unir leurs forces et leurs mouvements, forment de grands amas de matiere que l’on appelle des tourbillons, qui sont comme les Etats et les royaumes; et que ces tourbillons étant eux-memes pressés et emprisonnés par d’autres tourbillons, comme par des royaumes voisins, il se forme de petits tourbillons dans chaque grand tourbillon, qui, suivant 1e mouvement général du grand corps qui les entraine, ne laissent pas d’avoir un mouvement particulier, et de forcer encore d’autres petits corps de tourner autour d’eux.... (CAP 183) L’étre l' bien, chez emporté pa: nonde. Cel perturbati suivant, d dangereux aouligne 1 par celui danger es engage da spirituel et en con qui est e pas so I‘( donc dam l’Epipha: 21 L’etre humain qui renonce a l’amour de Dieu est bel et bien, chez l'auteur des Eggais de‘mgrale, celui qui est emporté par l’agitation et les mouvements des choses du monde. Celles-ci prennent la forme de violentes perturbations atmosphériques. Ainsi, dans le passage suivant, de concert avec l'image d’un itineraire maritime dangereux et incertain, la métaphore de la tourmente souligne bien évidemment la passivité et le danger encouru par celui qui s’embarque "sans l'ordre de Jesus—Christ." Le danger est d’autant plus grave qu’une fois qu’il s’est engagé dans l’aventure celui qui navigue dans la "mer spirituelle" se retrouve toujours porté par 1e meme vent, et en consequence ne peut plus suivre d’autre route. Celui qui est emporté dans l’ouragan est aveugle au point de ne pas se rendre compte des dégats occasionnés. Nicole écrit donc dans "Sur l’Evangile du IV. Dimanche d’apres l’Epiphanie": Cependant, outre cette tempéte générale inseparable de ceux qui s’embarquent sans l'ordre de Jesus-Christ, et sans l’avoir avec eux, ils en rencontrent une infinite d’autres dans le cours de cette navigation, capables de submerger leur vaisseau. Il y en a de deux sortes, de cachées et de manifestes. Celles qui sont cachées sont d’autant plus dangereuses qu’elles abiment un navire sans qu’on s’en apercoive. Il n’y a point de ces sortes de naufrages dans les mers du monde, et on n’y périt point sans le savoir. Mais dans cette mer spirituelle ce sont au contraire les plus ordinaires. 0n y est submerge sans qu’on le sache....Ceux qui naviguent entre les tropiques, y trouvent un vent continuel qui les porte toujours du meme cété, et qui est comme le cours d’un fleuve qui tend a la mer. 11 y a de meme dans le monde un certain courant qui porte Quand vie Spll précarit Phone 1 ea fa monde t détruir emporte surcroi easaiel reprem Ii)s q ont "e In: 93 l’azit mentit troubI au Sun 8008 ‘ L’uut Wipe viIne 8eum 22 ceux qui y vivent avec les aises et les commodités de la vie, vers 1a consideration, l’honneur, les richesses, l’éclat, 1e rang, les dignités, c’est-e—dire, vers toutes les choses dangereuses en 301, et principalement a ceux qui les désirent.‘l Quand bien meme Nicole fait-i1 ci-dessus reference e la vie spirituelle, 1’essentiel demeure sa conception de la précarité et de la faiblesse humaines. La fragilité de l’homme tient a la surpuissance des éléments extérieurs et e sa faiblesse intérieure. Ainsi, "la machine entiere du monde travaille sans cesse avec une force invincible a détruire notre corps. Le mouvement de toute la nature en emporte tous les jours quelque partie" (FH 79). De surcroit, 1e malheur des hommes vient du fait qu’ils essaient désespérément de s’accrocher et de trouver, pour reprendre l’image de Pascal, l’"assiette ferme" (Pensées 72)5 qu’ils n’ont pas. Certes, chez Nicole, tous les hommes ont "en quelque temps de leur vie une assiette tranquille" (FH 93) parce qu’ils ne peuvent pas demeurer dans l’agitation continuelle (FH 93). Néanmoins, l’assiette que mentionne Nicole manque de solide. Un rien peut la troubler. Les hommes ne peuvent résister au divertissement, au succes, aux flatteries, aux plaisirs qui les tiennent ous leur joug et dans un état de dépendance (FH 94). ’auteur des Essaiggde morale démontre que les hommes sont uspendus en l’air par des fils a de nombreuses choses aines. Lorsque les fils cassent, ils tombent et sont ecoués, entrainés dans le mouvement (FH 94). Les hommes ne comprennent forces et a mouvements Nicole , Parado: mouvement d’"assiet' dans 1e o que 1’fime plaisirs les homme changer" dans le I et le me: temps, i eupreint NIOOIe, mINIVemer 23 comprennent donc pas qu’ils ne peuvent résister a ces forces et a ces mouvements qu’en produisant a leur tour des mouvements comparables. D’ou 1a fameuse métaphore de Nicole, Nous sommes comme des oiseaux qui sont en l’air, mais qui n’y peuvent demeurer sans mouvement, ni presque dans un meme lieu, parce que leur appui n’est pas solide, et que d’ailleurs ils n’ont pas assez de force et de vigueur en eux pour résister a ce qui les porte en bas: de sorte qu’il faut qu’ils se remuent continuellement, et par de nouveaux battements de l’air ils se font sans cesse un nouvel appui. (FH 94) Paradoxalement, les hommes tentent de trouver par le mouvement des attaches pour pouvoir se donner un semblent d’"assiette ferme." Ces attaches, ils ne les découvrent que dans le changement. En effet, les appuis nécessaires pour que l’ame se tienne en repos~~le divertissement et les plaisirs étant les plus proéminents-—ne peuvent soutenir les hommes pendant longtemps. En consequence, "il faut en changer" (FH 94). Les hommes ne trouvent de stabilité que dans le mouvement, en courant par exemple apres la fausseté et le mensonge dans La ngique ou l’art de penser.6 En meme temps, ils se cramponnent a leur jugement (PH 219) tout empreint de leur amour—propre et de leur orgueil. Chez Nicole, nous assistons en quelque sorte a un double mouvement hélicoidal formé par le tournoiement que nous imposent les choses du monde et par les mouvements nécessaires a l’homme pour s’y maintenir. Ce double tourbillm intérieur L’ homm d’attache N"assiet jansénisi moins h 1 et des éi 1e verti L’image palement l'auteur lance pt tyranni: Les cho: société 16 cond Néan NicoleI monde , tyrann; Passio; e'est. fWoes mOHde" 1"inst 24 tourbillon fait inévitablement état d’un vertigineux creux intérieur.’ L’homme de La Rochefoucauld est tout aussi dépourvu d’attache solide. Cependant, i1 ne recherche pas I d’"assiette ferme.’ La dénonciation rigoriste--et janséniste--du néant des choses du monde importe beaucoup moins a La Rochefoucauld que celle du comportement humain et des éléments qui le déterminent. Nous l’avons déja dit, 1e vertige cosmique ne rejoint pas le vertige intérieur. L’image d’engrenage hélicoidal que l’on trouve princi- palement dans les Essais de morale n’a aucun écho chez l’auteur des Maximes. Chez celui—oi, l’étre humain ne se lance pas dans l’agitation. Il est simplement agité, tyrannisé par les passions les plus diverses (M 443, MS 1). Les choses du monde—-passions inhérentes a la vie en société--ou les événements n’emportent pas l’homme, elles le conditionnent. Néanmoins, chez La Rochefoucauld, tout comme chez Nicole, l’homme demeure incapable de changer le cours du monde et de la société, si ce n’est en imposant la méme tyrannie sur les autres que celle imposée en lui par les passions ou en pratiquant une morale d’honnéteté. Le monde, O’est—a-dire la société, est comme l’homme, régenté par des forces extérieures: "La fortune et l’humeur gouvernent 1e onde" (M 435). Le macrocosme est a l’image du microcosme: l’instrument des forces qui le déterminent. Cependant, omme 1e montre Jean Lafond: Aux - que Nic Rochefo autarci fortune prenne1 nement nous. de not accord Petits grand: bless dissi occas HOUS. iMpe] medii éfiam 25 Humeurs et fortune "gouvernent" sans doute 'le monde’ mais elles ne 1e soumettent pas a un déterminisme qui ne serait au total qu’un fatalisme a deux dimensions, les humeurs jouant 1e r6le d’une fatalité interne, et la fortune celui d’une fatalité externe. Elles régissent la vie et l’histoire, elles n’en sont pas le moteur.7 Aux choses du monde fantomatiques qui nous emportent et que Nicole oppose aux biens éternels se substituent chez La Rochefoucauld non seulement les passions qui vivent en autarcie dans l’étre humain, mais aussi parallelement la fortune, l’humeur, ainsi que de "petites choses." Celles—oi prennent la forme d’événements extérieurs dont l’enchai- nement ne dépend ni de nous ni des passions qui regnent sur nous. Elles peuvent d’une part servir d’indice révélateur de notre vulnérabilité, selon l’importance que l’on y accorde et le recul dont on fait preuve a leur égard: "Les petits esprits sont trop blessés des petites choses; les grands esprits les voient toutes, et n’en sont point blessés" (M 357). Envisagées avec lucidité, sans intention dissimulatrice, elles endossent un role positif: "Les occasions nous font connaitre aux autres, et encore plus a nous-memes" (M 345).° D’autre part, la combinaison presque imperceptible de ces petits événements peut résulter en la modification de notre comportement. La maxime 488 est a cet égard particuliérement révélatrice: Le calme ou l’agitation de notre humeur ne dépend pas tant de ce qui nous arrive de plus considerable dans la vie, que d’un arrangement L’impréc leur non en fait qui exp] est la ‘ l’excep‘ une con Eouvern d’autre mouveme change: son to1 faible éviden L’a SiéCIE des (21 de 301 Part . pPéVa Parce force mélée 26 commode ou désagréable de petites choses qui arrivent tous les jours. (M 488) L’imprécision de la disposition de ces "petites choses" et leur non—definition sont frappantes. La Rochefoucauld met en fait l’accent sur l’intervention de l’indétermination qui explique l’irrésolution de notre humeur. Ce qui importe est la trivialité, clairement mise en opposition avec l’exceptionnel et l’inhabituel. De cette trivialité découle une continuité irrémédiable. Un des instruments qui nous Souvernent se trouve ainsi a son tour sous la coupe d’autres forces. 0n trouve la une transmission de mouvement, le train d’engrenage demeurant la banalité changeante des "petites choses" et l’entrainée, l’humeur. A son tour, celle-oi nous gouverne. La passivité et la faiblesse de l’étre humain n’en deviennent que plus évidentes. L’argumentation de la réflexion "Des événements de ce siecle" (RD XIX) reprend cette idée. En retracant "l’exces des crimes" et en exposant certains vices des plus Grands de son siécle, La Rochefoucauld s’attache a determiner la part des circonstances extérieures dans des actions cu prévaut l’intérét personnel. Ainsi, par exemple, 1e parcours d’Ange de Joyeuse, ou s’affrontent diverses forces: la force de sa vanité, sa volonté personnelle, mélées a la determination des éléments du monde extérieur. Les événements extérieurs--les besoins de l’Etat, la fin de la guerre, l’opposition des religieux--lui font changer 1e cours de 1’empor* ... aux jeuness milieu Dans so auparau gagné. valeur voire 1 Marie- épousé d’un f Puygui Che Violex anarc] rappo; énumé ébIOu elles Seule Chan! 1’inc L’ét‘ état l’ex 27 cours de sa vie. Cependant, ce sont les passions qui l’emportent, non les événements: il "se laissa entrainer ... aux mémes passions qui l’avaient agité pendant sa jeunesse" et "la vanité, dont i1 avait triomphé dans le milieu des grandeurs, triompha de lui dans le cloitre." Dans son corps a corps avec la vanité, qu’il avait auparavant vaincue en se retirant du monde, celle-oi a gagné. Le récit événementiel ne sert ici qu’a mettre en valeur l’intervention et la prépondérance des passions, voire a y discerner la source méme des événements. Anne- Marie-Louise d’Orléans (Mademoiselle) n’aurait jamais épousé Puyguilhem si elle n’avait eu "l’envie d’étre femme d’un favori." De meme, ce sont le caprice et la vanité de Puyguilhem qui le font courir a sa perte. Chez La Rochefoucauld, ce sont les passions, leur violence, la fortune et l’humeur qui imposent leur loi anarchique dans le monde et en l’homme. Elles ont toutes un rapport de cause a effet avec les "événements de ce siécle" énumérés ou avec "les grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux" (M 7). Imposant leur tourbillon, elles se suffisent a elles-memes et expliquent a elles seules 1e vertigineux vide intérieur de l'homme. Le changement,9 quand bien méme inéluctable soit-il, et l’inconstance des hommes, sont bien souvent explicables. L’étourdissement s’en trouve donc limité. La maxime 259 (2c état) de la premiere édition des Maximes, qui trouvait en l’existence d’"une révolution générale"1° (MS 48) une explicatic fortunes c deuxiéme « général q‘ qui déter détermini humain. En fai Nicole e1 l’agiteme de flott. évincées qui déte forcémen Pablemen Carrées 39 défix fluctua‘ Dans ce Witzll fOrce S 183 Béi Chez Continl Prudent in°0nnl ll. 28 explication des changements de gofit des esprits et des fortunes du monde, fut supprimée par leur auteur dés la deuxiéme édition de l’ouvrage. Cette idée de bouleversement général qui s’appliquerait a l’ensemble de la société et qui déterminerait l’inconstance est écartée au profit d’un déterminisme des fluctuations qui définissent l’étre humain. En fait, chez l’auteur des Maximes, a la différence de Nicole et de Pascal, les hommes sont moins emportés dans l’agitement que les instruments d’une agitation. Les images de flottement, d’engloutissement dans l’univers sont évincées. En somme, l’homme dépend de forces extérieures qui déterminent son comportement. Mais il ne s’y laisse pas forcément entrainer. Ces forces ne 1e charrient pas inexo- rablement car elles sont bien souvent elles-memes contre- carrées par d’autres forces. Des lors le vertige intérieur se définit par un inévitable mouvement d’oscillation et de fluctuation de passions ou d’autres éléments extérieurs. ans ce contexte, comme l’ont trés bien vu Louise Horo- itz11 et Starobinski,12 le mouvement, l’énergie et la orce sont d’une importance cruciale dans les Maximes et es Réflexions. Chez l’homme, le mouvement équivaut a un changement ontinuel. La premiere édition des Maximes examinait la rudence, "travaillant une matiere aussi changeante et nconnue qu’est l’homme" (RMl, LXXV).13 L’homme est aussi inconstant d’inconstance" que l’est l’amour-propre de la faneusc des Mg? hommes attitu Ainsi, nos an quelii l'esp: néne d’int signe l’aut l’esi intr: eux ohan (RD S’ex anis Vep 29 fameuse maxime supprimée 1 qui ouvrait la premiere édition des Maximes. Terrains de métamorphoses perpétuelles, les hommes sont intrinséquement "changeants" dans leurs attitudes en société, en amour et dans leurs amitiés. Ainsi, la maxime 80: "ce qui nous rend si changeants dans nos amitiés, c’est qu’il est difficile de connaitre les qualités de l’éme, et facile de connaitre celles de l’esprit." "Changeants" est ici attribut, indiquant par la méme ce qui nous est propre, accentué par l’adverbe d’intensité "si." Cependant, le verbe d’état "rendre" signale l’idée de mouvement involontaire d’un état a l’autre. Quelque chose nous fait devenir changeants. On ne l’est donc pas forcément au départ. De plus, la qualité intrinséque des changements de l’homme est ici restreinte aux amitiés. Certes, "Les hommes sont trop faibles et trop changeants pour soutenir longtemps le poids de l’amitié" (RD XVII). Mais 1e mouvement et les vicissitudes s’expliquent. Les changements d’opinion et d’attitude vis-a-vis de nos amis ou de nos ennemis ont pour cause la faiblesse de notre vertu, "l’application a récompenser 1e bien, et a se venger du mal" étant percue comme une contrainte, "une servitude laquelle ils [les hommes] ont peine de se soumettre" (M 14). De méme, le changement des goflts Opéré par la jeunesse trouve—t—il une explication physiologique: "l’ardeur du ang" (M 109). L’habitude, en contre partie, fait compren— re le statisme des gofits chez les personnes agées: "La vieille tunance amour: acoouti at aim« dens 1 Le fai vienn. lequei par L modif 1a ré L3 ma si 1 ChOS que Cans 360C 30 deillesse conserve les siens [ses goats] par l’acoou— :umance" (M 109). Elle explique également la constance en amour: "on suit encore ses engagements par honneur, par accoutumance" (RD XVII). Les raisons qui nous font changer et aimer de nouvelles personnes trouvent leurs origines dans la vanité et l’amour-propre, donc dans nos passions. Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances n’est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles ou le plaisir de changer, que le dégofit de n’étre pas assez admiré de ceux qui nous connaissent trop, et l’espérance de l’étre d’avantage de ceux qui ne nous connaissent pas tant. (M 178) Le fait que le changement et le mouvement d’opinion ne vienne pas de nous, d’un état de fatigue et d’ennui dans lequel pourrait se trouver notre volonté, est ici condamné par La Rochefoucauld. Ce sont les passions qui dirigent nos modifications de comportement et nous asservissent. Ainsi, la réflexion "Des gofits" explique que notre gout est conduit ... par la pente de l’amour—propre et de l’humeur, qui nous fournissent des vues nouvelles, et nous assujettisent a un nombre infini de changements et d’incertitudes; notre goat n’est plus a nous, nous n’en disposons plus. (RD X) 4a maxime 181 est a cet égard particuliérement explicative: ii l’inconstance vient de notre lassitude, "du dégoflt des hoses," elle est, selon La Rochefoucauld, "plus excusable" [ue celle qui vient de notre vanité.1‘ Car, en tout état de ause, nous contrélons dans le premier cas, et dans le econd nous sommes controlés. Bien e inconstan remarque! statique aupérieu: sujeta a1 IX). Jeu veut de Ainsi, é alors 3a cesser c content: ambitio Eton Vie et demeure 1’ enrac Rochef( mené p: sans p, Seront éVentu S’fitta facile cauld1 conIla: 31 Bien entendu, nous ne sommes pas conscients de notre inconstance: "nous changeons imperceptiblement, sans remarquer notre changement" (RD IX). De surcroit, le statique n’existe que sous la dépendance d’autorités supérieures. L’amour et la vie, "l’un et l’autre sont sujets aux mémes révolutions et aux mémes changements" (RD IX). Jeune, on aime mais on désire "d’autres biens et on en veut de plus solides," on tient a "se voir établi" (RD IX). Ainsi, écrit La Rochefoucauld, "toutes les passions sont alors satisfaites et l’on ne prévoit pas qu’on puisse cesser d’étre heureux" (RD IX). L’homme ne peut se contenter de ce qu’il posséde.15 Il lui faut changer, par ambition. Etonnamment, les changements auxquels étaient sujets la vie et l’amour trouvent leur explication dans le désir de ‘demeurer en place ("ne pas cesser") dans le bonheur, dans l’enracinement provoqué par l’intérét et l’ambition. La Rochefoucauld se rapproche ici de Nicole. L’étre humain, ené par ses passions, cherche désespérément des attaches, sans parvenir a les découvrir ou sans savoir que celles-Ci eront abolies par le temps, comme nous le verrons. Il peut 'ventuellement en trouver certaines par facilité: "L'esprit ’attache par paresse et par constance a ce qui lui est acile ou agréable" (M 482). Mais, poursuit La Rochefou— auld, "cette habitude met toujours des bornes a nos onnaissances" (M 482). I1 en résulte donc un certain dangers tée.16 inconnu par La du déai des m0! qu’il 1 i1 dem n’est change est in trouv d'eni 183m l'im ince Jana tiqu Qu’j Der; 32 danger, notre connaissance de nous-mémes en étant limi— tée.1‘ "De toutes les passions, celle qui est la plus ' inconnue' (MS 54)—-c'est—a—dire la paresse, tant dénoncée par La Rochefoucauld17—-se retrouve a nouveau étre la cause du désir d’attachement de l’esprit. Devant l’incertitude des mouvements des passions, l’homme cherche une assise, qu'il ne peut trouver. Miné par la jalousie, par exemple, il demeure conditionné par les événements extérieurs. Rien n’est alors si sfir que le mouvement des choses, 1e changement, qui s’offre a notre regard et devant lequel il est impuissant: Plus on parle de sa jalousie, et plus les endroits qui ont déplu paraissent de différents cétés; les moindres circonstances les changent, et font toujours découvrir quelque chose de nouveau. Ces nouveautés font revoir sous d’autres apparences ce qu’on croyait avoir assez vu et \ assez pesé; on cherche a s’attacher a une opinion et on me s’attache a rien. (RD VIII) L’étre humain, chez l’auteur des Maximes, ne réussit pas a trouver d’attache dans le mouvement. Ses tentatives d’enracinement s’avérent étre une aporie. Il n’existe nulle issue. En effet, La Rochefoucauld poursuit, dans "De l’incertitude de la jalousie" (RD VIII): "on se travaille incessamment pour arréter son opinion, et on ne la conduit H jamais a un lieu fixe. Les adverbes de temps, antithé— tiques, sont ici prépondérants: ce sont eux qui soulignent qu’il n’existe aucune issue sinon celle du changement perpétuel de l’incertitude de la jalousie. L’c uaxigu homme: Dieu trice trouv natur des c n’est huma 1e m soi- exer cont (RD Lal éch 33 L’on voit ici en quoi se distinguent l’auteur des laximes et l’auteur des Essais de morale: chez Nicole, les iommes qui ne se consacrent pas tout entiers a l’amour de Dieu s’accrochent au mouvement, a leurs passions destruc- trices. Paradoxalement, ils changent et se meuvent pour 9 trouver une "assiette ferme.‘ Chez La Rochefoucauld leur nature méme est changeants. Elle entre presque dans l’ordre des choses et l’on ne peut y trouver nul remede, car elle n’est que le reflet de l’emprise des passions. L’étre humain est soumis. L’exemple de la jalousie est révélateur: le manque de controle de l’homme sur sa destinée et sur sci-meme est d’autant plus frappant qu’il est dirigé et exercé par une sorte d’indétermination hors du temps et continuelle: "On est assujetti a une incertitude éternelle" (RD VIII). En fait, la méme fluidité impalpable de la vie inquiéte La Rochefoucauld comme elle hante Nicole. "La vie nous échappe,‘ "toutes les choses entrent continuellement dans l’abime du passé" déclare Nicole dans le "Discours ou l’on fait voir combien les entretiens des hommes sont dangereux" (EHD 361). Avec le passage du temps, rien n’a plus ’importance et tout s’évanouit, que ce soit la pauvreté, es maladies, la perte d’étres chers. "Les plus grands maux ’adoucissent par le temps" (FH 93). Somme toute, chez les eux moralistes, la vie se dérobe a notre controls. La ochefoucauld peut ainsi écrire dans sa réflexion sur ;’amour et la vie que "L’amour est une image de notre vie: l’un et En corrélt cauld, de la des go et des 476), (RD 1) sous s exist: leur - évent d’une impos devie save: mots dépi Cons une ce q est Pas éch; hmn; 34 l’un et l’autre sont sujets aux mémes changements" (RD IX). En vérité, la fluidité de la vie est a considérer en correlation avec 1e passage du temps. Chez La Rochefou- cauld, le tempsls mesure notre valeur et la reconnaissance de la société (M 211, 291). La durée d’une action (M 215), des goats et des sentiments (M 177), du mérite des femmes et des hommes en général (M 474, 291), de notre envie (M 476), et du bonheur donné par la réussite de nos ambitions (RD IX) détermine la valeur des étres humains. Nous tombons sous sa dépendance, volés de notre autonomie. Ainsi, il existe des gofits qui "nous entrainent par leur force ou par leur durée" (RD X). Les passions et sentiments sont éventuellement déterminés par leur durée. La durée limitée d’une vie est également marquée par les vicissitudes imposées par le temps. Paradoxalement, "En vieillissant on devient plus fou, et plus sage" (M 210), mais "Peu de gens savent étre vieux" (M 423). La vieillesse devient, dans les ots de La Rochefoucauld, un tyran (M 461). En effet, en épit du vieillissement, les hommes ne prennent pas onscience du temps et des changements qu’il impose. Dans ne lettre'a Madame de Sablé, La Rochefoucauld explique que e qui lui fait croire que "peu de gens savent étre vieux" st précisément que "ce qui sied bien en un temps ne sied as bien en un autre."19 Le temps dicte sa loi. Nul n’y chappe (M 222). La marge de liberté laissée a la volonté umaine s’en trouve limitée. Pou teur, fait d perdu flétrf faute notre La R¢ par seul détr Doté fora ten] sub' pos 8011] do qu. es to 35 our La Rochefoucauld, le temps est un intrus destruc- , celui qui "consume tout" (M 233) et qui par exemple disparaitre la douleur chez les personnes qui ont u un étre cher, fait oublier l’amour (RD XVII) ou bien rir 1a gloire (RD XVIII). Si l’amour passe, c’est "la Le du temps" (RD XVII). De méme, dans l’amour et la vie, 'e inconstance involontaire est un effet du temps, qui prend malgré nous sur l’amour comme sur notre vie; il en efface insensiblement chaque jour un certain air de jeunesse et de gaieté, et en détruit les plus véritables charmes. (RD IX) ochefoucauld reprend l’image d’anéantissement effectué le temps dans sa réflexion sur l’inconstance. Non ement le temps modifie-t—il l’humeur et l’intérét, "il uit presque également" (RD XVII) l’amitié et l’amour. d’un réle autocrate—-comme l’indiquent les verbes a la active qui expriment son action destructrice—-le exerce un pouvoir tyrannique. II a méme un role rsif, allant jusqu’a détruire les sentiments les plus ifs qui peuvent étre attribués aux hommes. Nous ne 3 bien sflr pas responsables des contrecoups corrosifs mps. Cependant, une fois de plus, 1e caractere arbi— e de ces effets souligne notre inhérente passivité. cole, lui, ne percoit pas le temps comme un élément ’introduit de force dans notre vie. En fait, le temps n essence destructeur pour celui qui ne se voue pas ement a l’amour de Dieu. Il n’est pas intrus comme chez La sujettes 4: 1, 5: font dis choses j vue de faire c l’auteu ne nous Notre t enporte nous p: De sommes précéd regard Place 18 fa: QUe 1 Pasca gatio 72). radic 1’hon deg ! II quh 36 La Rochefoucauld. Chez Nicole, toutes les choses tes au temps sont emportées par un torrent rapide (QDF 53). Le passé et l’avenir sont des abimes qui les disparaitre, 1e passé "englouti[ssant] toutes les 3 passagéres,’ y compris l’avenir (SVD 126). C’est la e la volonté de Dieu qui, selon Nicole, doit nous considérer 1e passé et le futur (SVD 126). Chez eur des Essa;§_de morale, comme l’a dit Pascal, "Nous JS tenons jamais au temps présent" (Pensées 172). tort vient donc de notre propension a nous laisser :er eta ne pas prendre "la part que Dieu veut que >renions au présent" (SVD 126). plus, le temps nous donne 1a mesure de ce que nous :: "que chacun contemple cette durée infinie qui le le et qui 1e suit, et qu’y voyant sa vie renfermée i1 le ce qu’elle en occupe" (FH 75). La question de la de l’homme soulevée par Nicole dans ce passage de "De blesse de l’homme" s’articule selon les mémes lignes pensée 72 de Pascal, "Disproportion de l’homme." et Nicole répondent tous deux a la méme interro- : "Qu’est—ce qu’un homme dans l’infini?" (Pensées a Rochefoucauld, lui, formule la question de maniere lement différente. La disproportion métaphysiquede e a l’égard de l’infini ne l’inquiete guere. L’auteur imes poserait sfirement plus volontiers la question —ce qu’un homme devant l’infini des passions?" Nic pour l nous a que 1’ utili: l’ess: ce q nénag Sénéq vie e cons? seul. sage mépr aoli prat nei] de : régj Die dea da1 Si en 37 icole s’oppose également a La Rochefoucauld puisque le premier, le temps en tant qu’espace indéfini qui est donné revét une connotation positive selon l’usage l’on en fait. En effet, selon Nicole, le temps est isable, ainsi que l’indique fort bien le titre de sai "De l’usage du temps." Le temps est, pour Nicole, qu’il y a de plus précieux" (UT 5: 32). Il faut 1e ger.2° Dans son virulent commentaire sur le traité de que De la briéveté de la vie, Nicole démontre que "la est en effet trop courte" (RTS 2: 261). La vie de l’ame iste dans l’amour de Dieu. Cet amour réside non ement dans l’amour de la vérité, de la justice, de la sse et de la sainteté (UT 5: 33) mais aussi dans le is des choses temporelles et l’attachement aux choses des et éternelles (UT 5: 34). Ceci requiert une ique journaliére exercée en employant son temps de la leure maniere possible. L’étre humain doit ainsi bannir on emploi du temps les mauvaises actions (UT 5: 38) et er le temps libre dont i1 dispose de facon a servir . Car, "le temps des Chrétiens est d’un prix infini: 3 1e prix de l’éternité" (RTS 2: 272). as lors, lorsque l’on n’observe pas ces régles, notre est de nous confiner a dessein dans l’engloutissement rhoses temporelles, une fois de plus de nous engouffrer un mouvement de forces destructrices. Effectivement, crit Nicole dans son essai sur les dangers des tiens des hommes, "un de nos plus grands maux est ____,_,____,‘_________f d’estit "nous 1 partie plus 1 montre limite vertig expli< toute sorte L’ Dieu nonde Parti des l Cont. soul l’ho PBpr lois VII] our soul ass SUQ 38 mer trop les choses temporelles,’ c’est parce que nous renfermons dans le temps et nous nous faisons du tourbillon qui l’emporte sans étendre notre vue oin" (EHD 360). Le verbe réflexif "se renfermer" que l’on se confine, on se tient a dessein dans des .3 tourbillonnantes. 0n s’accroche encore une fois au e, sans se rendre compte de son néant. En effet, ,ue Nicole dans un autre traité, "on peut dire que l’histoire des événements temporels sera en quelque anéantie dans l’autre monde" (MPN 5: 120). ‘xtréme petitesse des choses temporelles au regard de it l’incapacité des hommes a concevoir le néant du que l’on rencontre chez Nicole ont un prolongement ulier chez La Rochefoucauld. En effet, chez l’auteur ximes, la réalité se trouve dans le changement u, créant a lui seul une espece de temporalité et nant l’inconsistance de la durée. L'intérieur de e est a cette image: la constance des passions se uisant sans cesse en lui contre son gré ne peut que r penser a son inconsistante vacuité. La réflexion 'De l’incertitude de la jalousie," se termine ainsi idée d’enchainement en série immuable auquel nous soumis et dont nous ne pouvons réchapper: "on est .ti a une incertitude éternelle, qui nous présente ivement des biens et des maux qui nous échappent s. L’importance des adverbes est ici prépondérants: lité du temps considéré ("toujours") est le fruit —-.—.———‘-—* ...-...—— _~— ”.... d’élém égard. La incon pullu Lafor ins Us 0011 00] De to 00 39 éments consécutifs ("successivement"). De méme, a cet d, la maxime 10 est tout aussi révélatrice: 11 y a dans le coeur humain une generation perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est presque toujours l’établissement de l’autre. (M 10) .a constante de l’inconstance ("la constance ... est une anstante perpétuelle" [M 175]) se trouve dans le .ulement éternel et inévitable des passions. Jean and, dans La Rochefoucauld. Augustinigme et littérature, :prime fort bien: "Passions et sentiments ont alors une Lé de par leur continuité, mais aussi une multiplicité Ine mobilité extreme, leur continuité n’étant qu’une :e de discontinuité."21 .es passions et sentiments ont une existence qui récuse Imobilité. L’orgueil "se transforms en mille manieres" :54) pour mieux se dissimuler. Il "s’augmente toujours e que nous retranchons de nos autres défauts" (M 456). our—propre-—"inconstant d’inconstance"—-"fait mille nsibles tours et retours" (MS 1) dans ses abimes. our, quant a lui, "ne peut subsister sans mouvement inuel" (M 75). Les comparaisons de l’amour-propre, de aresse et de l’amour avec la mer (MS 1, 54, RD VI) >urent a donner l’image de flux et reflux, de mouvement ituel que rien ne saurait arréter.22 De plus, la lique de personnification23 qu’utilise La Rochefoucauld 'ibue a donner un dynamisme vital a des concepts abstraits etc. Par I passions : Pétre hu présence changent. hommes, e 9) Elle: (M 491). hommes, cdté, "s "qui s’a pour pot tromper. (M 39). toutes ; Saurait impliqu renouve S’avére Passiol Pou: 9“ 0e prfinon relich égalem dépend 4O traits tels que l’amour-propre, les passions, l’intérét, . Par l’existence humaine qui leur est conférée, les 3ions ne peuvent étre pétrifiées. Leur mainmise sur tre humain est accentuée par leurs vicissitudes et la sence continuelle qu’elles imposent. Elles vivent et igent. Orateurs, elles savent persuader (M 8). Comme les nes, elles "ont une injustice et un propre intérét" (M Elles ont soit leurs bizarreries (M 472), soit un but L91). Elles peuvent étre faibles (M 122). Comme les les, elles se reproduisent (M 10). La jalousie, de son 7 2, "se nourrit,’ "devient," "finit" (M 32). L’orgueil s’abaisse pour s’élever" (M 254) est assez intelligent * pouvoir se métamorphoser, se cacher, de facon a mieux .per. 11 sait méme se dédommager (M 33). Comme l’intérét 9), l’amour-propre, ce Protée qui nous tyrannise, joue es sortes de personnages (MS 1). Son existence ne ait étre fixe. La discontinuité de ses mouvements ique cependant une certaine continuité, celle du vellement perpétuel de son emprise. La seule constante re donc étre les vicissitudes presque humaines des 'ons. urtant, le calme des passions n’est pas écarté. Ainsi, qui concerne "les maladies de l’ame," "ce que nous ns pour notre guérison n’est le plus souvent qu’un he ou un changement de mal" (M 193). Notre humeur peut ment étre soit agitée, soit calme (M 488), cet état dant du hasard ou de "la bonne fortune" (M 17). Cependz conjon Le humain mouvem passic néanmo maxim. "De 1 s’éte ennuy langt pares Phil: for: De Hut 41 dant, la vie de l’homme continue a reposer sur cette ncture. repos des passions consolide leur emprise sur l’étre n dans la mesure ou i1 exclut l’idée d’absence de ment. La suspension temporaire du mouvement des ons et sentiments est envisageable. Elle revét - oins une connotation pejorative, perceptible dans la e supprimée 54 sur la paresse et dans la réflexion VI, ’amour et de la mer."24 Le rapport de l’amour qui int avec "ces longues bonaces, ... ces calmes eux" (RD VI) est négatif: "un état pénible et issant" (RD VI). De méme, le calme apparent de la 3e ne laisse-t-il entrevoir que sa force extreme. 3 Lewis l’a tres bien vu: In the series of images that compose the second half of MS 54, each of the terms signifying an abeyance of movement ("rémore," "bonace," "repos," "béatitude") is modified by a complement that underscores the extraordinary braking power behind the realization of quiescence. The resulting picture of a tranquilized soul offers a negative image of true virtue, which demands a soul with the strength to overcome the enticing comfort of inaction.25 somme, les passions, humeurs et sentiments sont des cinétiques: elles ont pour principe le mouvement.26 s, elles compromettent notre autonomie, sans pour qu’on le sache, comme 1e démontre la maxime 297: Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volonté: elles roulent ensemble et exercent L’inte supprimé édition : hommes a de nos h l’accent corps, s humeurs source < imposen' et la v dépenda vide. En e des hon lansén; réalit. sans D Les des pa 00mins déposa "DOSSo telle: 4l-A successivement un empire secret en nous: de sorte qu’elles ont une part considerable a toutes nos actions, sans que nous 1e puissions connaitre. (M 297) L'intention de La Rochefoucauld est claire. Ayant primé 1a premiere partie de la maxime 48 de sa premiere tion avec laquelle il reconnaissait la tendance des nes a n’apercevoir que les "mouvements extraordinaires 10s humeurs" (RMl XLVIII), il désire nettement mettre :cent sur l’action souveraine et cachée des humeurs du )3, sur le mouvement qu’elles impriment en nous. Ces curs sont donc source de mouvement--dans la maxime 297, rce des mouvements de la volonté. La réalité qu’elles >sent est pareille a celle que commandent les passions .a vanité: elles placent l’homme dans une situation de :ndance, lui dérobant sa souveraineté et le laissant in exprimant le mouvement continuel des passions au sein hommes, La Rochefoucauld rejoint ici le rigorisme éniste de Nicole. Car c’est précisément cette méme ité qui effraie Nicole observant la misére de l’homme Dieu. s images dont Nicole fait usage dans sa representation assions peuvent paraitre contradictoires. En fait, e chez l’auteur des Maximes, elles soulignent la ssession morale de l’homme. D’une part, les hommes sont sédés de passions criminelles"27 qui ainsi agissent Es des forces occultes. En méme temps, ils les révérent aussi culte ac tra contag contag se pr: Roche elles dans pres Peuv dont °PP< le ( Snot pas Suc tou n0t int 00< 42 comme des dieux: "on leur transporte la gloire et le qui n’est dfi qu’a Dieu."28 D’autre part, les passions ansmettent et se réduisent a l’état de maladies gieuses: "Les passions ont toujours quelque chose de gieux."29 On les attrape donc involontairement. Elles opagent, non au sein du coeur humain comme chez La foucauld (M 10), mais dans la société. Finalement, nous habitent et vivent en nous comme nous vivons le monde: Car nos diverses passions et nos diverses pensées tiennent lieu d’un peuple avec qui nous avons a vivre; et souvent il est plus facile de vivre avec tout le monde extérieur qu’avec ce peuple intérieur que nous portons en nous-memes. (PH 208) nilairement, chez La Rochefoucauld, les vices jouent 1e 1e r61e de compagnons de voyage ou d’amis chers qui 1t nous quitter, voire cesser de nous habiter, mais L prime abord nous ne disposons pas (M 192). Image ie a celle de Nicole, les vices "nous attendent dans lrs de la vie comme des h6tes chez qui il faut :sivement loger" (M 191). Que nous soyons habités de uns pullulantes ou que nous trouvions des logements .sifs chez les vices, notre liberté d’action est de maniere limitée, quelle que soit l’image utilisée. En abitant, les passions laissent apercevoir notre vide eur. Une fois l’occupation mise a jour et les nts métaphoriquement expulsés, i1 ne reste plus rien, sinon un passions Chez 1 numéral mille pa déraison sont ”cs 99). Que hon en 1 par mill Personn de nous cacher i notre comme < contraj les d9) Paress est 5 11 exe se faj (CAP 3 nous , Le Dar 1 que L Nicol 43 n un lieu vide. L'homme est occupé et dépossédé par les ions qui remplissent son creux intérieur. hez Nicole, les étres humains ont pour fond un infini ral qui les dépouille d’autonomie. Ils sont "sujets a e passions, mille pensées, a mille mouvements isonnables (FH 99) et se voient comme tels méme s’ils "ceux que Dieu a le plus favorisé de ses graces" (FH Quand bien méme les hommes aient—ils quelque chose de en eux, "ce peu de chose est souvent gété et corrompu mille vues et mille retours d’amour-propre" (PH 245). onnalisé, l’amour-propre joue son propre jeu et se joue ous. Il fait usage d’adresse et d’artifices pour nous er la vérité (CSM 23). De surcroit, l’amour—propre est tre image: incertitude et mouvement continuel (CD 138), e dans la maxime supprimée 1 de La Rochefoucauld. Il r61e les autres passions, allant jusqu’a "laisser agir deux grands ressorts de la conduite des hommes: la sse et la vanité" (GS 306). Géniteur, l’amour—propre i la source de toutes les passions des hommes.3° Tyran, (erce son pouvoir autocratique de maniere absolue: "il ait le centre de tout; i1 voudrait dominer sur tout" 179). "ll vit et regne absolument en nous" (CAP 180), dépossédant de toute indépendance. : vide intérieur des étres humains s’explique désormais .e taraudage qu’effectuent ces mouvements internes, ce .afond appelle "l’univers intérieur."31 Certes, chez _e: comme nous l’avons vu, l’abime se fait encore plus ;_—_# profond < réalité ( a l’homm‘ tous deu décantat et invar La ré cosmolog hnmw: engendr. que nou mment p foucau] "18 des Ordonno infini uni se' La dém celle bfisées de ser lorisz mOnde D’; S'int humai 44 and de par le double tournoiement qu’imposent la ité changeante du monde et celle du maelstr6m intérieur homme. Néanmoins, La Rochefoucauld et Nicole arrivent deux a la méme conclusion: une fois l’analyse de ntation effectuée, la réalité du néant demeure l’unique nvariable loi définissant l’homme. a réalité du vide intérieur est devenue une sorte de ologie anthrOpologique. A cet égard, la description de ouvelle conception du monde et des bouleversements ndrés par la revolution cosmologique au XVIIe siécle nous offre Alexandre Koyré dans son ouvrage Du_monde 5a l’univers infini nous propose une analyse étonna- t proche de la description anthropologique de La Roche— auld et Nicole. La destruction du Cosmos, c’est-a-dire destruction du monde concu comme un tout fini et bien nné" a laisse place a "un Univers indéfini, et méme ni, ne comportant plus aucune hiérarchie naturelle et eulement par l’identité des lois qui le régissent."32 marche descriptive des deux moralistes rejoint ici des scientifiques rejetant "toutes considerations 8 sur la notion de valeur, de perfection, d’harmonie, ns ou de fin," et impliquant, "finalement, la déva- ation complete de l’Etre, le divorce total entre le des valeurs et le monde des faits."33 autre part, "1e XVIIe siecle est l’époque ou rien ne erpose entre l’éternité divine et chaque moment nua4 explique Georges Poulet dans son introduction a ses E pours Des I mondt un pes ent dét car sur re] Fr: 111) la 45 ses Etudes sur le temps humain. Découvrant son isolement,35 poursuit Poulet, l’homme comprend en méme temps son néant. Des lors, l’homme n’est plus qu’une entité séparée du monde. Du mouvement des corps, qui inexplicablement et incessamment la [la pensée humaine] modifie, elle se sent dégagée par cela seul qu’elle 1e pense, et qu’en 1e pensant elle se pose elle—meme en dehors de ce mouvement qui est son objet.3° La Rochefoucauld et Nicole peuvent alors voir en l’homme un "homme dépossédé,"37 comme l’a démontré Starobinski. Le pessimisme des moralistes jansénistes ou jansénisants entreprend la "dissolution de l’autonomie humaine."38 Un déterminisme extérieur--et en l’occurence intérieur-- caractérise son eXistence. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que cette dénonciation ait pu précisément représenter ce qui a effrayé un existentialiste comme Francis Jeanson.39 Chez Nicole et La Rochefoucauld, l’étre humain devient un terrain de jeu privilégié ou regnent l’amour-propre et es passions les plus diverses. L’occupation des lieux est 'névitable. Nicole percoit l’esprit et le coeur comme lieux ides. L’ame est pour lui une maison, 1e coeur est un vase MEC 427). Ainsi, il faut, pour disposer le coeur a ’étude, le nettoyer, afin d’y "verser une liqueur pré- ieuse" (MEC 428). Ces récipients sont donc remplissables. l convient cependant de rappeler que chez Nicole, 5 la ifférence de La Rochefoucauld, 1e vide de notre coeur est la cc par I La I per: for sou rés pa] 8’: W qu 46 la conséquence de la chute de l’homme. Ce vide est rempli par notre amour-propre: L’amour de nous—memes, qui est le centre et la source de toutes nos maladies, nous donne une inclination violente pour les plaisirs, pour l'élévation et pour tout ce qui nourrit notre curiosité, afin de remplir par la le vide effrqyable que la perte de notre bonheur véritable a causé dans notre coeur. (CSM 41. C’est nous qui soulignons.) La Rochefoucauld, lui, voit dans le coeur et l’ame des personnages qui nous ont sous leur joug. Leur énergie, leur force, et la tyrannie que nous imposent les passions soulignent notre faiblesse. Ainsi la maxime 122: "Si nous résistons a nos passions, c’est plus par leur faiblesse que par notre force." Les passions nous occupent, on ne peut s’en défaire. L’homme "gémit incessamment sous leur tyrannie; il ne peut supporter ni leur violence ni celle qu’il faut qu’il se fasse pour s’affranchir de leur joug" (L 255). Le néant intérieur est alors chez La Rochefoucauld 1e lieu vide que l’on constate une fois les passions déconstruites, une fois la décantation effectuée. Que ce soit chez l’auteur des Maximes ou chez Nicole, l’homme est un lieu vide, donc remplissable. Le remplissage nous convainc du vide. Starobinski le percoit admirablement bien: Comment définir désormais l’ame humaine? C’est un lieu vide, un "creux” ou s’agitent les passions. Le r6le du mg; est d’offrir ce creux et de préter un semblant de continuité externe a la discon- tinuité interne. Pascal dira plus dramatiquement: Nous 301 passion oblige ainsi q pour sc l’amour Nicole; QUE 1e: comme nous r Passio Dosséd Nicole enflu] an qu. qui 3. Fonta nous d'air L) 1’hon ballt Pull) 47 "Que le coeurgde l’homme est creux_et plein d’ordure!" Creux et plein. Le creux rend possible, non une plénitude, mais un remplissage infamant: l’homme est a la fois inanité et culpabilité, coupable d’étre vide et coupable de se laisser envahir par l’ordure.‘° Nous sommes remplis de substances diverses. D’une part, les passions nous habitent; d’autre part, l’amour-propre nous oblige a nous gonfler d’orgueil. La Rochefoucauld énonce ainsi qu’"Il y a des gens si remplis d’eux-mémes" (M 500) pour souligner que certaines personnes ne s’occupent dans l’amour que de leur passion et non de la personne aimée. Nicole, lui, nous décrit gonflés du "jugement avantageux que les autres portent de nous" (EHD 362) qu’il définit comme "cette fumée et cette vapeur qui nous enfle et qui nous remplit." Ou bien encore, explique—t-il, "Le vent des passions ... enfle comme des ballons ceux qu'elles possédent" (FH 95). L’orgueil, pareillement, est chez Nicole un vent qui enfle notre coeur (FH 71, 72), "une enflure du coeur par laquelle l’homme s’étend et se grossit en quelque sorte en lui-meme" (FH 70). Comme "la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf" chez La ?ontaine, et qui "s’enfla si bien qu’elle creva,“1 nous nous enflons, par orgueil. Vides, nous demeurons gonflés l’air. Les passions remplissent notre vide de vide. L’immuable certitude devient donc la faiblesse de ’homme dominé par l’univers infini de ses passions qui le allottent a leur gré chez Nicole et se multiplient et ullulent en lui chez La Rochefoucauld. Ces passions occupent par leur humain. dominer reléche foibles l’homme dance. démontr passior de rés: laisse Le Voir 3 eat Vt mémes' "Nuns ROOhe mécan minut 08 mé Une ( en t1 Deut Dieu 30mm enq 48 occupent, soit par le déterminisme qu’elles imposent, soit par leur simple présence, l’espace intérieur de l’étre humain. Elles profitent de notre manque de force pour nous dominer. Nous n’arrivons a faire front que grace a leur reléche: "Si nous résistons a nos passions, c’est plus par faiblesse que par notre force" (M 122). Sous leur emprise, l’homme méne une vie végétative, une existence de dépen- dance. Il est intrinséquement faible. Finalement, comme le démontre Nicole dans "De la faiblesse de l’homme,‘ "les passions mémes viennent de faiblesse" (FH 94). Notre force de resistance est quasiment nulle. Notre néant intérieur se laisse donc forcément envahir par des forces extérieures. Le néant s’explique d’autant mieux que l’homme refuse de voir son vide intérieur. Il s’aveugle lui—meme. L’illusion est volontaire: les hommes "se déguisent eux-memes a eux- mémes" (CSM 35). La Rochefoucauld est aussi net que Nicole: "Nous nous déguisons a nous-memes" (M 119). Le but de La Rochefoucauld sera alors de démonter, déconstruire ce mécanisme d’aveuglement volontaire, d’en faire une autopsie minutieuse. Celui de Nicole consistera également a dévoiler ce mécanisme, mais aussi a encourager les hommes a exercer une constante vigilance sur eux—memes et sur leurs passions en trouvant leur force en Dieu. Puisque, selon lui, on ne peut trouver de force dans la nature humaine, "c’est en Dieu seul et dans sa grace qu’il la faut chercher" (FH 99). Somme toute, 1’entreprise de La Rochefoucauld et Nicole est en quelque sorte didactique: elle doit pouvoir enseigner aux hommes connaitre. Les vues Rochefoucal contraireml démontrer que "la fa s’appuie s doivent 6t faiblesse n’y a que laIlgueurs d8 maux, . d’ennemis entend la Précarité L3 démons faite du DOug 00m faibless. Roch(ifou 1'hoinme Pills qui diVergen °°hcoive Est 1110c finalem‘ 49 aux hommes a connaitre leurs ressorts intérieurs, a se connaitre. Les vues rigoristes de Nicole le distinguent de La Rochefoucauld. En effet, l’auteur des Essais de‘mgrale, contrairement a celui des Maximes, se donne pour but de démontrer 1e néant des choses du monde. Il conclut ainsi que "la faiblesse véritable de l’ame consiste en ce qu’elle s’appuie sur le néant" (FH 92). Les hommes, selon lui, doivent étre humiliés par la demonstration de leur faiblesse (FH 72), pour enfin arriver a comprendre qu’il n’y a que Dieu "qui les puisse soutenir parmi tant de langueurs et de faiblesses, qui les puisse délivrer de tant de maux, qui les puisse rendre victorieux de tant d’ennemis" (FH 100). Nicole établit donc une vérité et entend la prouver. Il prend comme point de départ 1a récarité humaine et la perpétuelle agitation des hommes. La demonstration de l’emprise des passions et la déduction faite du vide intérieur sont deux des éléments qui doivent nous convaincre de la disproportion de l’homme, de sa aiblesse et nous faire inférer la force de Dieu. La ochefoucauld, par contre, se refuse d’une part a humilier ’homme et d’autre part a conclure sur la force divine. lus qu’il ne démontre, i1 décrit. Néanmoins, malgré leurs ivergences théologiques, La Rochefoucauld et Nicole oncoivent la condition humaine de la méme maniere: l’homme st inconstant, toujours gouverné, dépourvu d’autonomie et inalement vide. Les conc lement pen) hm Mggimgj certes "la travaille désordres sur l’honr "affirms < positivemc action ap' Dépossédé Pent, nal intérieur Vide inté Point de de la vi) la Gonna °hapitre 50 Les conclusions des deux moralistes seront, paradoxa- lement peut—étre, mais finalement positives. "L’intention des Maximes,"42 comme l’a bien démontré Paul Bénichou, est certes "la démolition du héros.“3 Mais La Rochefoucauld y travaille dans le but de batir, a partir des décombres et désordres de l’homme, une éthique morale positive fondée sur l’honnéteté. Quant au systéme moral de Nicole, il "affirme que l’homme peut contribuer, efficacement et positivement, a l’oeuvre de son salut par une ascese et une action appropriées," comme l’a dit Bernard Chédozeau.H Dépossédé par les passions, comme nous l’avons vu, l’homme peut, malgré sa faiblesse, se reconquérir par l’analyse intérieure, et tenter de vivre avec—~et en dépit de--son vide intérieur. Somme toute, 1e vide intérieur demeure 1e point de départ d’une morale anthropologique. Les principes de la vie en société—~que l’on saisit grace a l’exercice de la connaissance de soi, comme nous le verrons dans le chapitre suivant——en sont 1e fond. 1 . 1n substitt 2 i 3 1 (Paris: Granges référen numérot parenth 4 l’Epipl a tragiql hommes 93). c1 assist parven qu’est par Ni Chez 1 fiction lo d1\ dans ( LXXXVJ contra 51 REFERENCES 1 Jean Starobinski, "La Rochefoucauld et les morales substitutives," La Nouvelle Revue Francaise 28 (1966): 19. 2 Starobinski 19. 3 Blaise Pascal, Pensées, éd. Ch.-M. des Granges (Paris: Garnier, 1964) 159. Le texte présenté par des Granges est celui de l’édition Brunschvicg. Toutes les références aux Pensées seront faites a cette édition. La numérotation de la pensée citée sera indiquée entre parentheses dans le texte. 4 "Sur l'Evangile du IV. Dimanche d’apres l’Epiphanie," 9: 319-20. 5 La vision de Nicole différe cependant de la vision tragique de Pascal. On l’a vu, chez le premier, tous les hommes ont un jour ou l’autre "une assiette tranquille" (FH 93). Chez Pascal, l’homme brfile "de désir de trouver une assiette ferme" (Pensées 72) mais il doit renoncer a y parvenir. De méme, si le symbole de l’agitation des hommes qu’est le divertissement est décrit dans les mémes termes par Nicole et Pascal, sa fonction est légerement différente chez les deux auteurs. Nicole avait déja mis en cause la notion pascalienne d’impossible repos, d’échappement dans le divertissement pour ne pas faire face au néant intérieur dans une lettre a M. le Marquis de Sévigné (lettre LXXXVIII, 8: 179—82). Dans cette lettre--et curieusement contrairement a ce qu’il énonce dans "De la connaissance de sci-meme" (CSM 12)-—Nicole se montre plut6t virulent a l’égard de Pascal. Celui-ci, déclare—t-il, "suppose dans tous les discours du divertissement ou de la misere de l’homme que l’ennui vient de ce que l’on se voit, de ce que l’on pense a soi, et que le bien du divertissement consiste en ce qu’il nous 6te cette pensée" (8: 181). Cependant, l’auteur des Essais de morale se démarque de Pascal par sa conception de l’ennui. Selon Nicole, les hommes "s'ennuient, non de ce qu’ils pensent, mais de ce qu’ils ne pensent pas assez" (8: 182). De plus, dans "De l’usage du temps" (UT 5: 44), Nicole déclare que les hommes se précipitent dans le divertissement non parce qu’ils ne sauraient "demeurer en repos dans une chambre" (Pensées 139), mais "parce qu’ils ne sauraient demeurer en repos dans une chambre en s’occupant de quelquegpetit travail (UT 5: 44, c’est nous qui soulignons). C’est—a—dire que les hommes ne font pas proprement face a leur néant mais détournent tiasement, que 1’ home repli son a repli non . ‘aconsacre: pas la vis‘ étude sur Nicole de le moi ima jeu, 1e di horreur. N pour laque pascalienr. le mouveme [Paris: Le Quant i maxime 55 seconde é: soi-méme, il differ tissement certainem préoccupe La Rochef aSitation tion: la 9036 pas. ‘1)! MM 7 J lillérgg e C ()0me 1e met ésa] plupart caChéEsI 9 i We le 1 198 réfl R°°hefc l"exmli Ilizard auxquel 10 dag 98p 52 détournent a nouveau leur attention non par un diver- tissement, mais par un travail utile. Nicole ne croit pas que l'homme découvre la misére de sa condition dans le repli sur soi, seul dans une chambre. Il ne voit dans ce repli non l’expérience de l’ennui mais un moment privilégié a consacrer a l’étude. C’est en ce sens qu’il ne rejoint pas 1a vision tragique de Pascal. Georges Poulet, dans son étude sur Pascal, a d’ailleurs bien saisi ce qui distingue Nicole de l’auteur des Pensées: "i1 y a au fond deux mgi, le moi imaginaire que nous recherchons par la chasse, le jeu, 1e divertissement, et le moi réel que nous fuyons avec horreur. Nicole ne voit que le premier. C’est la raison pour laquelle i1 éléve des objections contre la conception pascalienne. Il ne voit que le 'renouvellement’ du moi par le mouvement" (Etudes sur le tempgghumain, 4 vols., 1952 [Paris: Le Rocher, 1989] 1: 111). Quant a La Rochefoucauld, bien qu'il énonce dans la maxime 55 de la premiere édition, supprimée apres la seconde édition, que "Quand on ne trouve pas son repos en soi-méme, il est inutile de le chercher ailleurs" (MS 61), i1 différe radicalement de Nicole et Pascal. Le diver- tissement n’a aucune place chez lui. Il ne représente certainement pas pour lui la question centrale qui préoccupe Pascal et dans une certaine mesure Nicole. Pour La Rochefoucauld, les hommes sont les instruments d'une agitation. Puisqu’ils ne sont pas emportés dans l’agita- tion, la question de trouver une "assiette ferme" ne se pose pas. 0 Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logigue ou l’art degpenser, contenant, outre les regles communes, plusieurs observations nouvelles, propres a former le jugement (Paris: Flammarion, 1970) 115. 7 Jean Lafond, La Rochefoucauld. Augustinisme et littérature, 3e éd. (Paris: Klincksieck, 1986) 43. 9 Ces petites choses equivalent alors au hasard, qui comme les occasions lévent 1e voile. La maxime précédente met également l’accent sur le cote positif du hasard: "La plupart des hommes ont comme les plantes des propriétés cachées, que le hasard fait découvrir" (M 344). 9 Changement d’attitude, d’opinion, d’humeur, ainsi que le montrent par exemple les maximes 109, 181, 488 et les réflexions VIII, IX, X (voir plus loin). Cependant, La Rochefoucauld fixe des bornes a l’explication et a l’explicitation des changements inhérente a l’homme. Au regard de l’inconnu représenté par l’homme, les changements auxquels celui—oi est sujet sont quelquefois inexplicables. 10 "Il y a une révolution générale qui change le gofit es esprits, aussi bien que les fortunes du monde" (MS 48). 11 Classics 1977) 33 12 sont pet psychiql anonyme: Rochefor i3 Rochefo oonsomm monde, changes exécute Le N été mis l’autor échappe les ma: des hor qui an Oct Lianco 18 pre surviv modifi Vivien Nanusc august m Sm 7 Su: Liane) 401. h0113 m H. d’ . .I;5 1'Esw les I excu l’au 53 11 Louise Horowitz, Love and Language: A Study of the Classical French Moralist Writers (Columbus: Ohio State UP, 1977) 33. 12 "L’fime humaine est un composé dont les éléments ne sont peut—étre méme pas, en derniers analyse, des forces psychiques, mais des mouvements matériels, des pulsions anonymes," dans Jean Starobinski, "Complexité de La Rochefoucauld," Preuves 135 (mai 1962): 38. 13 Restreignant les éloges faits a la prudence, La Rochefoucauld conclut: "Cependant la prudence la plus consommée ne saurait nous assurer du plus petit effet du monde, parce que, travaillant sur une matiere aussi changeante et inconnue qu'est l’homme, elle ne peut exécuter sfirement aucun de ses projets" (RMl, LXXV). Le Manuscrit de Liancourt, dont la valeur a cependant été mise en doute, fait immédiatement apres état de l’autorité divine. Les mouvements des coeurs des hommes échappent au contréle humain. Ils sont déterminés, entre les mains de Dieu: "Dieu seul, qui tient tous les coeurs des hommes entre ses mains, fait aussi réussir les choses qui en dépendent" (L 55). Cette partie n’apparait que dans le Manuscrit de Liancourt. Elle a totalement disparu dans la maxime 75 de la premiere édition des Maximes, dont ne devait a son tour survivre que la maxime 65 sous une forme édulcorée et modifiée. Dans son chapitre sur le Manuscrit de Liancourt, Vivien Thweatt s’appuie notamment sur la maxime 55 du Manuscrit de Liancourt pour déterminer les résonnances augustiniennes de la pensée de La Rochefoucauld (La Rochefoucauld and the Seventeenth-Century Concept of the Self [Geneve: Bros, 1980] 111—13). Sur l’histoire, la genése et la valeur du Manuscrit de Liancourt, voir: Jacques Truchet, Notice, dans La Rochefoucauld 383- 401. Jean Lafond, "Annexe I. Le Manuscrit de Liancourt," Lg Rochefoucauld 217-21. --—, "La correspondance de La Rochefoucauld, l’édition hollandaise et le manuscrit de Liancourt," Revue d’Histoire Littéraire de la France 2 (1966): 296-305. Will G. Moore, "Le Premier Etat des Maximes," Revue d’Histoire Littéraire de la France (1952): 417-24. 1‘ "11 y a une inconstance qui vient de la légereté de l’esprit ou de sa faiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d’autrui, et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dégoflt des choses" (M 181). 15 "L’amour est une image de notre vie: l’un et l’autre sont sujets aux memes revolutions et aux mémes changene rance: o trouve h désirer ne se cc progrés. 16 dangers1 l’assis Lafond, maxime actes d jusqu’i Rochefo 17 la maxi béatiff L’Inf01 1: voir l R. Era New 54 changements. Leur jeunesse est pleine de joie et d’espé— rance: on se trouve heureux d’étre jeune, comme on se trouve heureux d’aimer. Cet état si agréable nous conduit a désirer d’autres biens, et on en veut de plus solides; on ne se contente pas de subsister, on veut faire des progres..." (RD IX, "De l’amour et de la vie"). 15 Cependant, s’il est vrai que cette pratique est dangereuse, ce que La Rochefoucauld dénonce bien est l’assise que trouve l’esprit. Car, comme l’exprime Jean Lafond, "La conduite de l’esprit est possible." Cette maxime devient alors, dans les mots de Lafond, "un des actes de foi les plus remarquables dans les pouvoirs, jusqu’ici insuffisamment exploités, de l’intelligence" (La Rochefoucauld 45). 17 Sur la paresse chez La Rochefoucauld, et notamment la maxime supprimée 54, voir Paul Martin, "La paresse béatifique. Etude d’une maxime de La Rochefoucauld," L’Information Littéraire 35.3 (1983): 115—24. 18 Sur la conception du temps de La Rochefoucauld, voir l’introduction de Georges Poulet (1: 5-47), et Felix R. Freudmann, "La Rochefoucauld and the Concept of Time," Romance Notes 3.2 (1962): 33—37. 19 Lettre de La Rochefoucauld a Madame de Sablé, 2 aofit 1675, dans La Rochefoucauld 589. 2° "Sur l’Evangile du Vendredi des Quatre-Temps de l’Avent," 9: 80. ’1 Lafond, La Rochefoucauld 48. 22 Voir Philip E. Lewis, La Rochefoucauld: The Art of Abstraction (Ithaca: Cornell UP, 1977) 36, 75. La con- clusion de cette fameuse maxime supprimée sur l’amour- propre offre une variante intéressante dans la maxime 94 du Manuscrit de Liancourt. Dans celle—oi, "l’amour-propre trouve dans la violence de ses vagues continuelles une fidéle expression..." (L 94). Par contre, dans la premiere maxime de la premiere edition des Maximes, l’amour-propre trouve l’expression de ses vicissitudes "dans le flux et le reflux de ses vagues" (MS 1), c’est-a-dire dans le mouve- ment méme et non plus dans "la violence de ses vagues." Will G. Moore, dans son étude de MS 1 ("La Rochefoucauld’s Masterpiece," Linggistic and Literary Studie§_in Honor of Helmut A. Hatzfeld, éd. A. Crisafulli [Washington, D.C.: The Catholic U of America P, 1964] 263-68), nous invite justement a examiner ses variantes et définit ses caractéristiques littéraires. Jean Lafond, quant a lui, en fait une analyse plus approfondie et étudie les temps forts de l’histoire de l’amour-propre ainsi que le caractere litté: cauld 91.21 Ddrin 76.) de 1' Lewis Roch- est' la n Jacq 55 littéraire de la maxime ("L’amour propre de La Rochefou- cauld (M81). Histoire d’un theme et d’une forme," Ouverture et Dialogue. Mélanges offert§;a Wolfgang Leiner, éds. U. D6ring, A. Lyrondias, R. Zaiser [Tfibingen: Narr, 1988] 263— 76.) 23 Voir l’analyse de la technique de personnification de l’amour-propre utilisée par La Rochefoucauld que font Lewis (67) et Starobinski ("La Rochefoucauld" 19). 24 Il convient de rappeler que l’on ne sait si La Rochefoucauld aurait voulu conserver cette réflexion. Elle est barrée dans le manuscrit Gilbert et est accompagnée de la mention a retrancher" (voir les commentaires de Jacques Truchet dans La Rochefoucauld 179, 197). 25 Lewis 134. 26 A cet égard, la maxime supprimée 1 met particu— liérement l’accent sur cette énergie cinétique: l’amour- propre est un principe générateur de mouvement. Le chan- gement nait alors soit de causes extérieures, soit d’une réalité étrangére a l’homme et qui pourtant l’envahit: "Il [l’amour—propre] est inconstant, et outre les changements qui viennent des causes étrangeres, il y en a une infinité qui naissent de lui, et de son propre fonds; il est inconstant d’inconstance" (MS 1). L’importance de la guantité infinie de vicissitudes que La Rochefoucauld confére et attribue a l’amour-propre, a l’orgueil et a l’humeur (M 254, MS 1, RD X) doit également étre mise en valeur. L’étre humain se définit par une activité incessante d’éléments qui le déterminent: les mouvements des passions sont non seulement infinis, mais les passions et les vices n’ont aussi aucune borne qui leur soit attribuable. Ainsi, par exemple, notre manque de lucidité "met un nombre infini de faussetés dans le goflt et dans l’esprit" (RD XIII). 27 "Sur l'Epitre du I. Dimanche de l’Avent," 9: 2. ’3 "Sur l’Epitre de la Messe de Minuit," 9: 111. 2’ "Sur l’Epitre du III. Dimanche d’aprés l’Epiphanie," 9: 285. 3° "Sur l’Epitre du V. Dimanche d’aprés l’Epiphanie," 9: 334. 31 Lafond, La Rochefoucauld 50. Lafond concoit deux univers, l’individu et les forces intérieures qui le gouvernent: "l’univers humain et l’univers intérieur." Il explique que cette parenté "montre l’unité de vue d’une . ._ __..;_..—_._.— oeuvr gemen que 1 l’ex; trad. ment huma: subs décc Gal la ses im] na 56 oeuvre: continuité et discontinuité, permanence et chan- gement ne sont que les faces complémentaires d’une réalité que la pensée ne peut qu’approcher, sans parvenir jamais a l’exprimer totalement" (50). 32 Alexandre Koyré, Du monde clos a l’univegsiinfini, trad. RaiSsa Tarr, 1973 (Paris: Gallimard, 1988) 11. Notam— ment chez La Rochefoucauld, que ce soit dans "l’univers humain" ou dans "l’univers intérieur," le désordre s’est substitué a l’harmonie. 33 Koyré 12. 34 Poulet 1: 24. 35 "Le XVIIe siecle est l’époque ou l’étre individuel découvre son isolement." Poulet 1: 17. 3‘ Poulet 1: 18. 37 Starobinski, "La Rochefoucauld" 16. 39 Paul Bénichou, Morales du grand siécle (Paris: Gallimard, 1948) 158. 39 "Ce qui est essentiel chez eux [les grands 'moralistes’], ce n’est point le souci d’édification, c’est la dénonciation systématique d’une nature humaine tarée-—de ses défauts, de ses vices, de ses ridicules et de ses impuissances." Francis Jeanson, "Le moraliste grandeur nature," Les Temps modernes 50 (1950): 1764. 4° Starobinski, "La Rochefoucauld" 21. 41 La Fontaine, Oeuvres completes, éd. Jean Marmier (Paris: Seuil, 1965) 75. 42 Paul Bénichou, "L’intention des Maximes," L’écrivain et:§es travaux (Paris: Corti, 1967) 3-37. ‘3 Bénichou, Morales 155. 4‘ Chédozeau 1: 12. CHAPITRE 2 LA CONNAISSANCE DE 801 58 N01 l’avo fameu l’exe conna parve Le d inté La 7 Non‘ que DOL‘ tox on‘ Ch fa 8e 59 Montaigne, se penchant sur l’expérience de la mort aprés l’avoir c6toyée--"avoisinée"--de trés pres lors de sa fameuse chute de cheval, posait déja dans "De l’exercitation" les difficultés de parvenir a la connaissance de soi d'une part, et d’autre part celles de parvenir a saisir le caché, les abimes intérieurs: C’est une espineuse entreprinse, et plus qu’il ne semble, de suyvre une alleure si vagabonde que celle de nostre esprit; de penetrer les profondeurs opaques de ses replis internes.1 Le dix-septieme siecle hérite pleinement de l’analyse intérieure a laquelle se livre Montaigne dans ses Essais.2 La Rochefoucauld, selon presque les mémes termes que Montaigne, se propose de "faire l’anatomie de tous les replis du coeur."3 Nicole voudrait bien que nous "pénétr[ions] 1e fond de notre coeur" (MTD 172). I1 suggere que nous nous servions de la vérité "comme d’un flambeau pour chercher dans les plus profonds replis de notre ame tout ce qui peut y étre contraire" (CSM 44). Pascal, quant a lui, s’était donné pour dessein de "Parler de ceux qui ont traité de la connaissance de soi-méme; des divisions de Charron...; de la confusion de Montaigne" (Pensées 62). "Il faut se connaitre sci—meme," conclut Pascal. "Quand cela ne servirait pas a trouver 1e vrai," poursuit-i1, "cela au moins sert a régler sa vie, et il n’y a rien de plus juste" (Pensées 66). L’analyse intérieure est le point de départ de la tentati‘ dispropt 72). La quelle Dieu, q connais a que 1 memes 7 infirm connai Dieu. qu"'11 connai doit sousc 007W Part 60 tentative de comprehension de la proportion et de la disproportion de l’étre humain devant 1’infini (Pensées 72). La connaissance de soi revient en somme a savoir quelle est la place de l’homme dans l’univers créé par Dieu, quelle est sa miserable condition et en quoi cette connaissance peut nous amener a Dieu.4 D’une part, "II n’y a que Dieu qui nous puisse donner une connaissance de nous— mémes qui soit tempérée par la juste proportion dont notre infirmité a besoin" (CSM 40). D’autre part, si nous nous connaissons nous-memes, nous parvenons a la connaissance de Dieu. Bérulle, fidele a Saint Augustin, écrivait déja qu’"Il est bon de nous connaitre nous-memes, car en nous connaissant, nous connaissons Dieu."6 Bossuet adopte 1a méme démarche dans De la connaissance de Dieu et de soi- méme. "La sagesse," écrit-il, "consiste a connoitre Dieu et a se connoitre sci-meme. La connoissance de nous—memes nous doit élever a la connoissance de Dieu."° Pascal et Nicole y souscrivent également. Bossuet, dans la méme oeuvre, explique que "Pour bien connoitre l’homme, il faut savoir qu’il est composé de deux parties, qui sont l’ame et le corps."7 La connaissance de soi passe d’abord, selon lui, par la connaissance de l’ame, 1a description du corps et l’explication organique, l’union de l’éme et du corps: une connaissance objective, factuelle de ce que nous sommes. La connaissance de notre organisme ne sert pas de point de départ a Pascal et a Nicole. Bien que la base religieuse ne puisse étre omise,8 pour eux-—et iNMR connaiss comporte trés hie Le l Rochef. défaut hommes Litre Rochef Cette La deg a. leurs ea fa R°Che Sort d’ob] 61 ici La Rochefoucauld les rejoint tout particulierement-—la connaissance de soi a sa source dans les ressources du comportement des hommes en société. Ainsi, comme 1e montre tres bien E. D. James dans son étude sur Nicole, the secular French moralists of the age gave much of their attention to social relations, and their analysis of human motivation often has a satirical intent or shows a desire to influence social behavior. La Rochefoucauld’s Maximes and Réflexions furnish the most distinguished--and origina1——example. In a Nicole, sharing some of La Rochefoucauld’s concerns, and writing for Christians living in the world, the analysis of human nature is as much an analysis of our relations with our fellows in the hope of amending those relations as it is a means of drawing nearer God.9 Le but de ce chapitre est de démontrer en quoi, chez La Rochefoucauld et Nicole, la connaissance de soi--ou de son défaut--dépend de l’analyse du comportement social des hommes. Nos ressorts intérieurs reposent sur le regard, 1e n6tre et celui des autres, comme 1e suggerent La Rochefoucauld—~qui fera l’objet de la premiere partie de cette étude-—et Nicole. La connaissance de soi passe d’abord par la connaissance ies autres et de leurs faiblesses, simplement parce que leurs défauts sont le reflet des n6tres. La Fontaine, dans 3a fable "L’homme et son image," dédicacée a La {ochefoucauld, conclut fort a propos que les miroirs que le sort présente a son Narcisse effraient celui—oi. Ils L’obligent a se retirer du monde pour finalement découvrir sa vérit pouvoir des autr detonate peut pre 1e r61e les sot peintre Le r 0d d’ur est et Pouvon: René G lorsqu été dé oondau recon] méme.‘ décon réait Somme autre l‘éVél repre La F. Pent DUre 62 sa vérité intérieure en contemplant-—sans cette fois-oi pouvoir s’en empecher—-le "canal" des Maximes. Le miroir des autres—-que Narcisse accuse d’étre faux--a servi de détonateur, esquissant la description des perturbations que peut provoquer la connaissance de soi. Les autres assument le r61e de miroir de notre moi: "Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui, / Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes."1° Le rapport avec l’autre est determinant dans la mesure ou d’une part nous percevons la similarité entre ce qu’il est et ce que nous sommes et ou d’autre part nous ne pouvons nous empecher de l’imiter. Ainsi, comme l’a montré René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesqgg, lorsque le sujet désirant s’apercoit que son imitation a été décelée, "C’est toujours son propre désir que le sujet condamne dans l’Autre mais il ne le sait pas....Le sujet ne reconnait pas dans l’Autre le néant qui le ronge lui- meme."11 L’objet de La Rochefoucauld est précisément de déconstruire 1e mécanisme d’aveuglement volontaire qui nous régit lors de nos rapports avec les autres. Puisque nous ne sommes pas a meme de nous connaitre en connaissant les autres, 1e "canal" représenté par les Maximes sert de révélateur de notre personnalité. Il offre une representation de notre moi sans concession. Le Narcisse de La Fontaine "s’y voit; il se fache"12 mais son regard ne peut plus s’en détourner. Ce "canal," "formé par une eau pure," dans les mots de La Fontaine, laisse paraitre par sa trans se cc par 1 verr Stan L’ho des tyre dém dét com rép p17 hm 8U rn 63 transparence la vérité tout entiere. La Rochefoucauld et Nicole rappellent qu'il faut, pour se connaitre, se souvenir que nos actions sont médiatisées par le regard et les agissements des autres. Nous le verrons, tres clairement chez Nicole, comme chez le Stendhal de Girard: "il n’y a plus de désir spontané."13 L’homme desire, non pas a partir de lui-meme, mais a partir des autres.1‘ Son autonomie, déja mise en doute par la tyrannie des passions en son sein, est une fois de plus dénoncée comme illusoire. Chez La Rochefoucauld, nos actions se trouvent étre déterminées soit par le regard des autres,15 soit par leur comportement. On pleure pour leur regard: "pour avoir 1a reputation d’etre tendre, on pleure pour etre plaint, on pleure pour etre pleuré; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas" (M 233). Notre désir ne nait pas au fond de nous, il vient des autres: "11 y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’il n’avaient jamais entendu parler de l’amour" (M 136). Illusoirement, on ne croit atteindre son bonheur que lorsque notre désir est médiatisé par le désir d’autrui. Cette attitude est bien évidemment dénoncée par l’auteur des Maximes: "c’est par avoir ce qu’on aime qu’on est heureux, et non par avoir ce que les autres trouvent aimable" (M 48). L’oeil de l’autre et l’idée que l’on désire qu’il ait de nous sont a la source de nos comportements: notr: deur Star "Ri imi die in: qu Re 1) 64 Dans toutes les professions chacun affecte une mine et un extérieur pour paraitre ce qu’il veut qu’on 1e croie. Ainsi on peut dire que le monde n'est composé que de mines. (M 256) L'oeil de l’autre nous oblige a le satisfaire, a masquer notre faiblesse, donc a nous travestir. Cependant, a ce jeu, les failles apparaissent toujours. Comme l’a bien vu Starobinski, L’homme, a l'ordinaire, n’est rien, et pourtant i1 veut etre fortement; et cet étre souhaité, il ne peut 1e construire qu’avec du paraitre. Il revét des masques pour surmonter son néant, mais sa faiblesse est telle qu’elle 1e fait trébucher dans son imposture.1° "Rien n’est si contagieux que l’exemple" (M 230) et l’on imite les bonnes actions comme les mauvaises, sans discernement. Au sortir de l’enfance, les hommes deviennent imitateurs (RD III). Or, l’imitation, qui s’est substituée e la spontanéité naturelle des enfants,17 "a toujours quelque chose de faux et d’incertain" (RD III), rappelle La Rochefoucauld. Une fois de plus, l’autonomie du désir de l’etre humain est limitée. Elle est contrecarrée par l’impuissance du désir de paraitre ce qu’on voudrait véritablement paraitre et la propension s l’imitation. Les petits enfants changent leur air et leurs manieres et les corrompent quand ils sortent de l’enfance: ils croient qu’il faut imiter ce qu’ils voient faire aux autres, et ils ne 1e peuvent parfaitement imiter; il y a toujours quelque chose de faux et d’incertain dans cette Si chacul nous ne : (RD III) transpar autres q Seulemer qu’ils a font pot d son t aveugle beau do néant j Les sont e Peuve] °°Dié: La R0 et 11 (RD 3 dUgQE 65 imitation....au lieu d’étre en effet ce qu’ils veulent paraitre, ils cherchent a paraitre ce qu’ils ne sont pas. (RD III) Si chacun suivait son naturel, poursuit La Rochefoucauld, nous ne serions certainement pas "copie l’un de l’autre" (RD III). Les relations humaines deviendraient transparentes. C’est en ne tenant pas compte du regard des autres que l’on peut atteindre la parfaite valeur (M 216). Seulement, par l’imitation, les hommes se montrent autres qu’ils sont, conformes aux autres. Bien évidemment, ils 1e font pour satisfaire le regard de l’autre, et celui-ci agit a son tour de la meme maniere. Nul n’y échappe. La vanité aveugle chacun--qui passe "dans son esprit comme le plus beau du monde"18--et empéche l’etre humain de voir son néant intérieur. Comme pour les personnages stendhaliens, C’est parce qu’il sent se creuser en lui ce vide dont parle l’Ecclésiaste que le vaniteux se réfugie dans les conduites frivoles et dans l’imitation. C’est parce qu’il n’ose pas regarder en face son néant, qu’il se précipite vers un Autre épargné, semble—t-il, par la malédiction.19 Les hommes, chez La Rochefoucauld, sont imitateurs. Ils sont également réduits au statut d’emprunteurs. Ils ne peuvent etre indépendants des autres. Leurs goats sont copiés (RD III). Comme chez Nicole, trop souvent, au gré de La Rochefoucauld, les gens "suivent l’exemple et la coutume et ils en empruntent presque tout ce qu’ils ont de gout" (RD X). Si les hommes désiraient d’eux-memes, s’ils 'ugeaient "des choses par leurs lumieres" (RD XIII), note avec re. 11 vien suivrai Dans certair connai‘ se con ne son la con valeni évent\ tiron: prise aveug La intém ses 1 Ders des comp l’an Dual into has: 66 avec regret l’auteur des Maximes, "leur gout serait vrai, il viendrait d’eux et non pas des autres, et ils 1e suivraient par choix" (RD XIII). Dans cette situation, selon La Rochefoucauld--et dans une certaine mesure contrairement a ce qu’énonce Nicole—- connaitre les autres ne mene pas bien loin celui qui désire se connaitre. Nous ne voulons pas voir les autres. Ceux-ci ne sont intéressants que dans la mesure ou ils rehaussent la consideration que nous avons pour nous-memes. Ils ne valent que par leur regard. Certes, nous nous rendons éventuellement compte de leurs défauts. Mais nous n’en tirons aucune conclusion pour nous-memes. Finalement, la prise de conscience du regard de l’autre conduit a un aveuglement subsequent: l’illusion imitatrice. La Rochefoucauld explique l'homme par le mouvement intérieur et l’emprise des passions en lui, mais aussi par ses relations avec les autres. Ces rapports révelent 1a personnalité de l’étre humain. D’une part, 1e comportement des autres n’est que le triste reflet de notre propre comportement. D’autre part, nous dénoncons la faiblesse de l’autre sans pour autant nous rendre compte de la pusillanimité dont nous faisons preuve face a notre réalité intérieure. Comme le dit La Fontaine, dans sa fable "La besace," Avec sor les déf! individt et son aucun d 1e rega impossi notre 2 Se 1 saisir griefs nous t flagra const: défau' remar Butre Drop: Ri une ‘ Sour: flat Deng 67 Lynx envers nos pareils et taupes envers nous, Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes. On se voit d’un autre oeil qu'on ne voit son prochain.3° Avec son oeil de lynx, tel un carnivore, l’homme voit donc les défauts de l’autre. Mais e l'égard de sci-meme, ce meme individu est myOpe comme une taupe inoffensive. Son regard et son attitude a l’égard de lui-meme ne constituent plus aucun danger. La connaissance de sci-meme passe certes par le regard sur soi, mais notre myopie rend la tache impossible. On peut néanmoins essayer de se définir par notre attitude vis-e-vis des autres. Se comprendre et se connaitre equivalent désormais a saisir les ressorts de notre comportement en société. Les griefs que nous faisons a nos pairs ou les louanges que nous témoignons a leur égard ne représentent que les signes flagrants de la réalité intérieure que nous refusons de constater. Par consequent, "Si nous n’avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir a en remarquer dans les autres" (M 31). Les hommes accusent les autres pour ne pas blamer leurs propres défauts ou leur propre orgueil (M 34). Rien n’est innocent. Toutes nos attitudes en société ont une justification intérieure. Le désir et les critiques ne sauraient etre purement anodins. L’homme désapprouve ou flatte l’autre pour masquer son vide intérieur. De plus, il Dense que seul le regard de l’autre peut lui donner la consists! de lui-mi donc just orgueil, dération rapport Pers persuaé son ma: h7pocr Rochef sentim mais c d’autm Une f de 1! Sédu: tout trom 68 consistance qu’il n’a pas. Il ne peut s’empécher de parler de lui-meme pour se donner encore plus de crédit. Il va donc jusqu’a se critiquer pour se rehausser (M 138). Notre orgueil, a la source de cette attitude, a peu de consi- deration pour autrui. Il nous oblige a tout regarder par rapport a nous et s’efforce de modifier 1e regard d’autrui: L’orgueil a plus de part que la bonté aux remontrances que nous faisons a ceux qui commettent des fautes; et nous ne les reprenons pas tant pour les corriger que pour leur persuader que nous en sommes exempts. (M 37) Persuader l’autre n’est pas suffisant. Il faut aussi se persuader sci—meme pour ainsi ne plus avoir conscience de son masque (M 50). A l’égard de soi et des autres, tout est hypocrisie et duplicité. Il faudrait etre naif, déclare La Rochefoucauld, pour voir en l’aversion du mensonge un sentiment noble. Cette aversion consiste en un désir ardent mais caché de relever notre valeur personnelle aux yeux d’autrui: L’aversion du mensonge est souvent une imperceptible ambition de rendre nos témoignages considérables, et d'attirer a nos paroles un respect de religion. (M 63) ne fois encore notre attitude est médiatisée par le regard e l’autre. On n’imite et on n’emprunte plus, mais on veut éduire—-et/ou tromper-—l’autre sans cesser toutefois de out rapporter a soi. Bien sfir, on ne peut supporter d’etre rompé par autrui (M 114). Mais finalement, au jeu de la l tromper come 0 tromper avec sa Tout leurs 1 valeur prefer n’ont sans i nouve dieti réali n’ex: donn. Ders rien QUE pour abs: I‘ec. que les 69 tromperie, on est pris dans un engrenage et on se trompe comme on tromperait un autre: "Il est ... facile de se tromper sci-meme sans s’en apercevoir" (M 115). Et ceci avec satisfaction (RMI CXIX). Tout est déguisement vis-a-vis des autres. Une fois leurs fondements expliqués, nos agissements n’ont qu’une valeur dépréciée. Au blame qui pourrait etre utile, on préfere "la louange qui ... trahit" (M 147). Les louanges n’ont aucune valeur en soi: "on ne loue jamais personne sans intéret" (M 144). On loue pour etre loué et admiré (M 143, 146, 294, 356) et l’on refuse les louanges pour etre doublement loué (M 149). Notre désir le plus fort revient a etre admiré (M 178, 475). D’ou la nécessité de trouver de nouvelles connaissances qui, elles, seront aveuglées et ne distingueront pas les déguisements qui laissent percer la réalité au bout de quelques temps (M 178). La sincérité n’existe pas. Elle est corrompue, comme tout le reste. L’on donne ou l’on demande des conseils a ses amis par intéret personnel (M 116). Meme dans l’amitié, "Nous ne pouvons ien aimer que par rapport a nous" (M 81). La sincérité "que l’on voit d’ordinaire n’est qu’une fine dissimulation our attirer la confiance des autres" (M 62). La politesse ussi a ses raisons: "La civilité est un désir d’en ecevoir, et d’étre estimé poli" (M 260). Nos rapports, uels qu’ils soient, nos vices et vertus, sont régis par ’intéret (M 85, 305). Lorsque notre dessein est d’aider es autres, "ces services que nous leur rendons sont a proprem' memes p temps c at l’ém nécessz loue e‘ 144). La une fa temps notre "nous pour fidél les 5 not an 70 proprement parler des biens que nous nous faisons a nous- mémes par avance" (M 264). Tout est unilateral et en meme temps collateral dans la mesure ou, pour la dissimulation et l’émulation du moi, la présence de l’autre est nécessaire. Chacun trouve son compte s ce jeu. Celui qui loue et celui qui est loué sont pareillement satisfaits (M 144). La présence des autres nous contraint a les séduire, a une fausse déférence. Néanmoins, elle nous astreint en meme temps a une condescendance qui réconforte notre moi. Ainsi notre attitude envers "ceux qui commettent des fautes": "nous ne les reprenons pas tant pour les en corriger que pour leur persuader que nous en sommes exempts" (M 37). La fidélité satisfait les hommes puisqu’elle séduit et attire les autres ("une invention de l’amour-propre pour attirer 1a confiance” [M 247]), mais aussi parce qu’elle leur confere une supériorité et abaisse 1e statut des autres: "C’est un moyen de nous élever au-dessus des autres, et de nous rendre dépositaires des choses les plus importantes" (M 247). A l’aide de l’humilité travestie, on désire "se soumettre les autres" (M 254). La curiosité d’orgueil "vient du désir de savoir ce que les autres ignorent" (M 173). La structure du désir de chaque individu 1e renvoie a nouveau chez autrui. Dans quelle mesure la connaissance que les autres ont de nous peut-elle nous conduire a la connaissance de soi? Les autres peuvent certes déceler les regles du jeu hypocrites _. _ .-_a;~—M ...q - que nous préciséme connaisSI assez a ' sommes: sont sue de soi é déguisem Le d1 hommes appelle models S’autcs desire dans 1 inféri l’autr ressen montrE l’autr congé, méme; 71 que nous suivons. Alors, l’on change d’amis ou d’audience précisément parce que ceux—oi, avec le temps, "nous connaissent trop" (M 178) et donc ne nous admirent plus assez a notre gout. Les autres nous rappellent ce que nous sommes: "Nous oublions aisément nos fautes lorsqu’elles ne sont sues que de nous" (M 196). Cependant, la connaissance de soi a travers les autres est limitée du fait que dans le déguisement les hommes se ressemblent tous. Le déguisement et la condescendance dont font preuve les hommes ne reviennent en fait qu’a masquer ce que Girard appelle "leur manque d’étre."21 On copie 1e désir d’un modele en s’imaginant que, par son désir, ce modele s’autosuffit.22 Ce modele—-qui semble savoir ce qu’il désire et ne pas gtgg en fonction des autres—~devient donc, dans l’esprit du sujet, supérieur, et le sujet se trouve inférieur a son modele. En se posant comme supérieur a l’autre, le sujet réussit a cacher l’humiliation qu’il essent a se trouver obligé d’imiter son modele. Comme 1e ontre Girard, l’individu, lorsqu’il copie 1e désir de ’autre, "a honte ... de se modeler sur autrui."23 En onséquence, "Il se déclare hautement satisfait de lui- eme; 11 se présente en modele aux autres; chacun va épétant: 'Imitez-moi’ afin de dissimuler sa propre mitation."34 Au dela de l’imitation, les relations humaines sont des apports de force. De l’imitation pure et simple nait la ivalité. La rivalité, déclenchée par l’identité des desire. et le di déguisem inferior l’avons imitate' veulent sont pa trouver pour pt leur d: tour, 00pies rapper impose l’aut1 cache: Le Chaou ne pe Néme d’éc< 199) dams lui. aimé refia 72 désirs, précipite tout le monde dans l’engrenage: le modele et le disciple deviennent disciple et modele.25 Malgré les déguisements nécessaires pour masquer leur soi-disant infériorité, ils sont finalement identiques. Certes, nous 1’avons vu, chez La Rochefoucauld, les hommes sont imitateurs. Mais, "au lieu d’étre en effet ce qu'ils veulent paraitre, ils cherchent a paraitre ce qu’ils ne sont pas" (RD III). Devenus rivaux avec l’imité, ils se trouvent obliges de se déguiser et d’etre condescendants pour paraitre autres et cacher 1e défaut d’autonomie de leur désir, c’est-a-dire leur défaut d’etre. L'imité, a son 1" tour, agit pareillement. Meme s il n’y a pas de bonnes copies" (RD III), les differences sont eStompées et le rapport de forces devient un cercle vicieux auquel il est impossible d’échapper. Au bout du compte, la presence de 1’autre est importante parce qu’elle nous amene a nous cacher a nous-memes. Les hommes participent tous a "Ce grand aveuglement ou chacun est pour soi."36 On ne voit pas les autres, et l’on ne peut se regarder sci-meme. On va jusqu’e se flatter soi- meme (M 152). On converse, non pas dans 1’intention d’écouter les autres mais de "se plaire a sci-meme" (M 139), et l’on se complait a parler de soi (M 314). Jusque dans ses relations amoureuses, l’étre humain n’est que pour lui. Il est occupé de sa passion et non de la personne aimée (M 262, 374, 500). II ne parle que de lui (M 312). Le regard des autres n’est alors d’aucun secours, parce que ,..._........._..___.—-—-—~ perso regar cont: auri: mond tram le I lals par: 88 73 personne ne voit. Pourtant, pour La Rochefoucauld, ce regard transparent pourrait fort bien nous obliger a contempler la fausseté de nos soi-disant vertus: "Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent" (M 409). Notre tort vient du fait que nous nous refusons a la transparence. Nous nous forgeons des masques pour tromper 1e regard d’autrui, mais "Nous gagnerions plus a nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de paraitre ce que nous ne sommes pas" (M 457). L’etre humain se déguise pour les autres. Mais finalement il ne voit que pour lui-meme et non pour les autres. On peut étre sage pour les autres, mais pas pour sci-meme (M 132). Dans l’hypocrisie des larmes que nous versons pour les défunts qui nous sont chers, "nous nous pleurons nous-memes ... let] on se trompe sci-meme" (M 233). Comme 1e rappelle Starobinski, l’homme "n’est capable de s’installer ni dans ce qu’il est (sa faiblesse est un néant), ni dans ce qu’il feint d’étre (car sa feinte tourne court)."27 En consequence, il s’aveugle et finit par ne pas voir les autres et par ne pas se voir lui-meme. Ainsi, explique La Rochefoucauld, "Nous sommes si accoutumés a nous déguiser aux autres qu’enfin nous nous déguisons a nous-memes" (M 119).28 Pris au jeu des travestissements, "on s’oublie soi- meme, et on s’en éloigne insensiblement" (RD III). Chez La Rochefoucauld, comme chez Nicole, notre nclination nous porte a nous tromper nous-memes (CSM 22). Notre "i “illusic Pascal I souvent chez Pa La Roch gigante qu’il l mais 01 les in qu’il nous l iamais LOUjOI sauf 1 Par 1 ext 74 Notre "ignorance volontaire" (CSM 67) est aussi une "illusion volontaire" (CSM 22) comme l’avait déja dit Pascal (Pensées 100). Nous nous cachons la vérité, non pas souvent, mais "si souvent" (MP 11). L’illusion est, comme chez Pascal, "perpétuelle" (Pensées 100). Somme toute, chez La Rochefoucauld, comme chez Pascal (Pensées 100), um fossé gigantesque sépare l’homme entre ce qu’il veut étre et ce qu’il voit en lui—meme. Puisqu’il ne voit rien en lui-meme mais croit tout voir chez les autres, l’homme est obligé de les imiter et de se déguiser pour se donner la contenance qu’il n’a pas, au prix de l’oubli de sci-meme. Cependant, nous l’avons vu, l’imitation et le déguisement ne trouvent jamais leur source dans le moi. Leur origine se trouve toujours dans l’autre. Par lui-meme, le moi ne veut rien-- sauf ne pas se voir, comme le montre Pascal. Il ne veut que par l’entremise d’autrui. Ce moi n’est rien en lui-meme, il n’egt qu’en fonction de l’autre. La connaissance de soi s’en trouve donc limitée, voire impossible. Ironiquement, ce sont 1e hasard et la fortune qui nous revelent souvent a nous-memes. Les aspects positifs des hommes sont mis a jour par le hasard (M 344). Et "Les occasions nous font connaitre aux autres, et encore plus a nous-memes" (M 345). Nos dispositions intérieures dependent ie ces occasions (M 380, 470). Dans ce contexte, la :onnaissance de nous-memes parait difficile a réaliser. Bomme notre existence, elle dépend soit d’éléments xtérieurs a nous-memes, soit de la disposition d’autres forces q Elle ne incapabl memes 81 autre. Notr notre a qui nou incerti est cor alors 1 culair assura connai Viciss diffi< connai de 1’ 3) as de 30 haus 75 forces qui nous paralysent, comme par exemple l’orgueil. Elle ne depend jamais de nous-memes puisque nous sommes incapables d’agir et de désirer quoi que ce soit par nous- memes sans l’intervention ou la présence intériorisée d’un autre. Notre défaut de connaissance de nous-memes repose sur notre aveuglement, notre manque d’autonomie et les passions qui nous égarent. Nos certitudes pallient toujours quelque incertitude. "L’homme croit souvent se conduire lorsqu’il est conduit" (M 43). Il pense se conduire par son esprit alors que son coeur lui fait prendre une route perpendi- culaire et l’entraine ailleurs. On ne peut connaitre avec assurance: "Tous ceux qui connaissent leur esprit ne connaissent pas leur coeur" (M 103). L’origine de nos vicissitudes en amitiés vient précisément de ce "qu’il est difficile de connaitre les qualités de l’fime, et facile de connaitre celles de l’esprit" (M 80). La valeur intrinseque de l’etre humain ne peut étre saisie. Comment se comprendre et se connaitre puisqu’"On est quelquefois aussi différent de sci-meme que des autres" (M 135)? on que nous nous tournions, l’analyse intérieure se révele etre une aporie. Sans trop savoir pourquoi, nous sentons imperceptiblement qu’il nous faut cacher, déguiser. Notre myopie nous empéche de voir, et nous nous refusons de Voir de peur peut-etre de trop bien voir. Les passions, qui pourraient nous révéler a nous-memes, nous aveuglent et nous dépassent. Elles défendent la connaissance de soi, ce qui n’es expliqut donné 1 nos imp défauts Come 1 inconnt durée l leur 'h notre entend Notre s’inte Da l’obj cet e 38 cc qui a lEUr (can form Cape que Héce de( 76 qui n’est d’ailleurs pas sans nous satisfaire. "Il semble," explique La Rochefoucauld, "que la nature ... nous ait donné l’orgueil pour nous épargner la douleur de connaitre nos imperfections" (M 36). Ce meme orgueil cache nos défauts "aux autres, et souvent a nous-memes" (M 358). Comme l’amour—propre, les passions recelent "des terres inconnues" (M 3) dont la topographie2° est impossible. Leur durée est inconcevable (M 5, 10). Par leur profusion et leur "anarchie sans fin,"3° les passions se refusent a notre comprehension et a notre representation. Notre entendement est trop borné pour pouvoir les connaitre. Notre volonté, quant a elle, se refuse e la transparence et s’interdit la connaissance de soi. Dans l’oeuvre de Nicole, la connaissance de soi fait l’objet d’un essai entier. Divisé en deux grandes parties, cet essai a pour but premierement d’"inspirer le désir de se connaitre soi—meme" (CSM 36) et ensuite "de mettre ceux qui sont bien disposés dans la voie qui y conduit, et de leur ouvrir les moyens les plus propres pour y parvenir" (CSM 36). Nicole commence par reconnaitre la validité de la formule du temple de Delphes, "Connais-toi toi-meme." Cependant, i1 démontre des le premier chapitre de l’essai que "les hommes sont également unis dans l’aveu de la nécessité de se connaitre et dans l’éloignement qu’ils ont de cette connaissance" (CSM 11). Ainsi, nous refusons l'examen de nous-memes mais nous voudrions que les autres as no tout bien 11 "i luin cont (can then Ils 1e: éga aut Mai 1m qu cc V0 27 7 3e connaissent. Paradoxalement, chaque homme se regarde en 77 :out et se refuse en meme temps a la connaissance de soi-— bien qu’il sache combien cette connaissance est nécessaire. l "veut se voir" (CSM 13) mais "il est toujours absent de ui-méme et présent a lui—meme; il se regarde ontinuellement, et il ne se voit jamais véritablement" CSM 13). La pensée de Nicole s’articule autour de plusieurs hemes. Les hommes sont les jouets du regard des autres. ls deviennent imitateurs et leur désir est médiatisé par 3 désir d’autrui, comme chez La Rochefoucauld. Ils sont galement essentiellement dénonciateurs des défauts des atres, se comportant presque tels des voyeurs'choqués. ais somme toute, leur tendance a l'imitation et le regard J’ils portent sur autrui tiennent de leur désir de masquer ur réalité intérieure. L'étre humain a deux inclinations i 1e tiraillent chacune de leur cété. Il veut se nnaitre et il ne veut pas se connaitre. Pour ne pas se ir, l’homme se jette dans "l’illusion volontaire" (CSM ), comme chez Pascal (Egggggg 139), dans le vertissement. Ainsi, pour l’auteur des Essags de_morgl§, on ne juge s des choses temporelles "par leur prix véritable, mais r ce prix qu’elles ont dans l’opinion des hommes" (EHD 9). Les objets de désir sont déterminés par autrui. Comme montre Girard dans La Violence et le Sacré, Pour comm L’in voit l’h< per Na: pa OP SC 78 Le sujet desire l’objet parce que la rival lui- méme 1e désire....Le rival est le modele du sujet, non pas tant sur le plan superficiel des facons d’etre, des idées, etc., que sur le plan plus essentiel du désir.31 Pour Nicole, 1e désir fonctionne comme un divertissement, comme une facon de se détourner de son défaut d’étre. L’individu va donc chercher chez les autres ce dont il se voit privé. Certes, pour "éviter de se voir" (CSM 13), l’homme entreprend de se montrer satisfait de sa propre personne, c’est-a-dire, de couvrir d’un voile tous ses défauts, de les effacer en quelque sorte de l’image qu’il se forme de lui-meme et de n’y laisser que les qualités qui le peuvent relever a ses propres défauts. (CSM 13) Mais, poursuit Nicole, "s’il ne les [les qualités] trouve pas dans son propre etre, i1 va les chercher dans les opinions des hommes" (CSM 13). Parce qu’"il ne peut souffrir 1a vue de ses défauts et de ses miseres" (CSM 13), one la vue de son néant, l'individu veut voir en l’autre-- t y chercher--l’étre qu’il n’a pas et qu’il n’est pas. Le ésir calqué sur le désir ou l’opinion des autres onctionne comme un obstacle volontaire au regard sur soi. Donc, chez Nicole-~comme chez La Rochefoucauld--le sujet e desire pas en fonction de lui-meme mais en fonction de ’autre. Cette théorie du désir est tres clairement énoncée ar Nicole: "il suffit de voir qu’une chose est aimée et ésirée de plusieurs personnes pour croire qu’elle mérite regs imp] 0’ e: aut dés (les (1’: 79 de l’etre" (EHD 350). Ainsi, a la concupiscence qui attire les hommes vers les choses temporelles, s’ajoute "1’ardeur qu’ils apercoivent dans les autres pour ces memes choses" (EHD 349). L’idée que les hommes se font des choses temporelles n'en sera qu’augmentée, "infiniment" (EHD 349). A la corruption naturelle-—nous naissons dans l’ignorance de Dieu et de nous-memes--se joint ce que Nicole nomme la "corruption ajoutée" (EHD 347), qui veut que nous regardions les objets de nos passions "non par notre propre impression, mais par cette impression commune" (EHD 348), c’est-a-dire l’impression communiquée par l’opinion des autres hommes. De plus, 1e désir d’un objet n’est pas forcément un désir copié. La valeur de cet objet--par exemple un palais, des parterres, des allées, des objets décoratifs--est d’ailleurs illusoire, mais "la rareté en fait le prix" (LP 5: 67). Comme pour les amateurs de La Bruyere, La curiosité n’est pas un goat pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare, unique, pour ce qu’on a et ce que les autres n’ont point.32 Posséder un bonheur commun est méprisable aux yeux des ommes, explique Nicole dans son traité sur le prisme. éanmoins, cela ne signifie nullement que notre désir soit utonome et que l’on se refuse a copier le désir de ’autre. L’objet choisi de désir est fonction du désir ’autrui et de son regard. L’envie de l’autre fait naitre la nbtr l’avons avons c spontar Girard rival I nepeu attend convoi propre La dénonc impre: résis' monde on e autre DerSI repm Qui I les 80 la n6tre. Ce qui nous plait est, exactement comme nous l’avons vu précédemment chez La Bruyere, de "voir que nous avons ce que les autres n’ont pas" (LP 5: 70). Le désir spontané et dépourvu de toutes passions n’existe donc pas. Girard le montre bien, "En désirant tel ou tel objet, le rival 1e désigne au sujet comme desirable."33 L’etre humain ne peut désirer par lui-meme. Il désire par l’autre et attend de cet autre qu’il lui désigne l’objet de convoitise. Nous finissons donc par ne pas connaitre notre propre désir. La coutume et l’exemple du monde sont constamment dénoncés par Nicole. Les hommes sont aveuglés par leur impression.3‘ Bien évidemment, pour Nicole, ils doivent y résister et "se tenir ferme[s] contre le torrent du monde."35 L’exemple des autres nous dérobe notre autonomie: "on est presque partout le jouet des opinions des autres."36 Nicole veut choquer son lecteur pour mieux le persuader. Il procede donc a l’utilisation de l’image repoussante de l’odeur des exemples, une emanation volatile qui envahit les hommes malgré eux et qui, notamment lorsque les exemples sont mauvais, les terrasse: 11 y a divers principes extérieurs des actions des hommes, les instructions, les lois, les exemples: mais i1 n’y en a point de plus efficaces que les exemples. Ils se répandent comme une odeur dans tous ceux qui en sont spectateurs. Ils pénetrent insensiblement jusqu’au fond du coeur; et quand ils sont mauvais, ils se joignent aux passions corrompues qu’ils y trouvent, et y excitent de grands mouvements. Ils font a peu pres sur les esprits Nous RochefI le tum‘ oontag comme l’on c contac pouvo: On notam Tartu lui I Pests etre hypo. n’es étre aims Séms 1’iI fin Tar la Raj 81 ce qu’un air empoisonné fait sur les corps, en y causant des maladies dangereuses par le mouvement qu’il donne aux humeurs qu’il y rencontre.37 Nous l’avons déja vu, l’exemple est contagieux chez La Rochefoucauld (M 230). Pour Nicole, les hommes vivent dans le tumulte, mais, surtout, ils "respirent un air si contagieux" (G 421). L’exemple fonctionne comme un virus, comme 1e bacille pathogens de la peste. Inévitablement, l’on contracts la maladie et l’on copie l’autre. Sauf si le contact avec les autres est évité, personne ne semble pouvoir échapper a la terrible contamination. On retrouve cette contagion par l’exemple chez Moliere, notamment dans Tartuffe. Comme l’a montré Michel Serres,38 Tartuffe est un parasite qui s’installe chez son h6te, qui lui porte prejudice et qui dérange. Il impose une espece de pests qui s’attrape et se répand dans la communauté. Pour etre accepté par la famille et par l’h6te, Tartuffe se fait hypocrite. Ce n’est qu’au prix du mimétisme que Tartuffe n’est pas rejetté par son h6te. Tartuffe "ne joue pas a etre un autre, il joue e etre le meme."39 Tartuffe devient ainsi "la narcose d’Orgon, son homologue narcissique et gémellaire."4° Orgon, a son tour, ne peut s’empecher de l’imiter et ne peut distinguer 1e faux d’avec le vrai. En fin de compte, 1e modele et l’imitateur sont identiques. Tartuffe, hypocrite, veut faire coincider son masque avec la vérité et y parvient. Il désire étre 1e maitre de la maison d’Orgon et y parvient aussi pendant quelque temps. Orgon imite deviennent effacées.H maladie des difference: Come 1 spécificit Atteint I devient t Girard p: it Ultim; regard d °°ntasio surtout Chez l’exempj caracté: allant pOUVoir expliqu 82 Orgon imite son désir absolutiste. Les deux personnages eviennent ainsi rivaux, leurs différences étant ffacées.‘1 Moliere nous aide ici a mieux voir en quoi la aladie des exemples que décrit Nicole anéantit les ifférences individuelles. Comme l’a montré Girard, la pests détruit les pécificités: The plague is universally presented as a process of undifferentiation, a destruction of specificities. This destruction is often preceded by a reversal. The plague will turn the honest man into a thief, the virtuous man into a lscher, the prostitute into a saint. Friends murder and enemies smbrace....Social hierarchies are first transgressed, then abolished....The plague makes all accumulated knowledge and all categories of judgment invalid.43 atteint par la peste représentée par Tartuffe, Orgon levient ainsi son double. Plus rien ne les distingue. Iirard poursuit: "The distinctiveness of the plague is that t ultimately destroys all forms of distinctiveness.”a Au egard de la demonstration de Girard, l’image de la ontagion par l’exemple qu’emploient La Rochefoucauld st urtout Nicole s’explique parfaitement bien. Chez l’auteur des Essais de morale, l’imitation par ’exemple, comme la pests, détruit forcément les ractéristiques individuelles. Elle nivelle. La coutume, lant de pair avec les exemples, exerce aussi sur nous un uvoir tyrannique. Son emprise est inevitable. Nicole plique alors a une jeune religieuse que "La coutume est m...— ...—...... l’Rvangile du 1e discerneme dans le Tartu soit par 19. c peuvent fairs 1e vrai et II bout du comp' celui qui im celui-oi dev rival.” Nic défaut d’aut lorsque les individus or exemples, i 1’individu difference, définition tPOUVer. Nous 1', "mums l’inclinat 348), Cett conversati heug séduj l’imitat-u aveuglés. dlscours I 83 l’Evangile du monde. Elle assujettit l’esprit, et lui 6te le discernement du bien et du mal."u Chez Nicole, comme dans le Tartuffe de Moliere, celui qui--soit par l’exemple, soit par la coutume--imite et celui qui sert de modele ne peuvent faire de distinction.entre ls bien et le mal, entre le vrai et le faux. Les differences n’existent plus. Au bout du compte, la vie sociale sera mise en péril parce que celui qui imite considers l’autre comme modele et que celui-oi devient en meme temps, et inevitablement, un rival.‘5 Nicole dénonce donc en l’imitation du désir 1e défaut d’autonomie du désir humain et le danger encouru lorsque les differences sont abolies. Une fois que les individus ont respiré et se sont imprégnés de l’odeur des exemples, ils se ressemblent tous. En consequence, l’individu ne peut parvenir a se connaitre par sa difference. 11 se tourne vers l’autre pour y trouver une definition de son étre, mais, indifférencié, i1 ne peut la trouver. Nous l’avons dit, le danger vient, selon Nicole, de la "corruption ajoutée" (EHD 347) qui consiste en l’inclination que les hommes ont pour les plaisirs (EHD 348). Cette inclination est déclenchée par autrui. Dans les conversations, 1e "langage de la concupiscence" (EHD 351) nous séduit, d’ou ls "danger des entretiens" (EHD 352). Par l’imitation du désir, du regard des autres, nous sommes aveuglés. Mais nous le sommes également en écoutant 1e discours d’autrui et dans le regard que nous portons sur autrui. Par 0 des spectacle des spectatet aisément ce c explique-t-iI spectacles, I mimétisme; o: passions. Pa autres a un "0n apprend faut tenir 1 critique qus subtilité aI Secrets de choqués, et entrer" (S a QUelqu’ur OPI Nicc POUr démons mimétisme, d’etre iné contagion larde" (R lire des I l’impressj rempliSsel rabaiSsem. 84 autrui. Par ce regard, nous apprenons a imiter. Le danger des spectacles, tant vitupérés par Nicole, vient du regard des spectateurs, et du plaisir qui s’en suit: "On devient isément ce qu’on regarde avec plaisir" (PS 5: 297), xplique-t-il dans ses "Pensées sur les spectacles.” Les pectacles, comme les romans (S 382), encouragent le imétisme; on y apprend le langage et les adresses des passions. Pareillement, 1e regard que l’on porte sur les autres a un effet didactique-—négatif, bien sfir. En effet, 'On apprend par les passions des autres les voies qu’il faut tenir pour réussir dans les siennes" (S 382). On ne 3ritique que pour imiter. Les hommes découvrent "avec une subtilité admirable ... dans les autres les mouvements secrets de leurs passions, souvent parce qu’ils en sont :hoqués, et souvent aussi parce qu’ils sont tentés d’y rntrer" (S 382). Et bien entendu, lorsque l’on veut plaire . quelqu’un, on lui emprunte ses passions (SVD 115). Or, Nicole souligne le danger dss entretiens des hommes Iour démontrer que le mimétisme peut etre évité. Le imétisme, chez 1’auteur des Essais de morale, est loin ’etre inéluctable. I1 suffit, pour se soustraire a la ontagion des exemples, de les éviter, "d’etre toujours en rde" (R 316), de s’abstenir d’aller au spectacle ou de 're des romans. Il faut, explique Nicole, "résister a ’impression des discours des hommes qui nous ... mplissent [l’esprit] de fausses grandeurs et de faux baissements, de faux biens et de faux maux" (EHD 377). Chaqt elle raPP‘ l’on Nico Cont conr voul tou ent ne is On su DI‘ 85 haque homme est doté d’une force de resistance qui, si lle est utilisée, doit consister a ne rien considérer sans apport a Dieu. Le mimétisme peut donc étre contrecarré et ’on peut parvenir a se connaitre en l’évitant. En cela, icole se distingue totalement de La Rochefoucauld. ontrairement a l’auteur des Maximes, Nicole suggere que la onnaissance de soi depend en grande partie de notre bon- ouloir. Chez Nicole, comme chez La Rochefoucauld, l’homme est out occupé de lui—meme, et non des autres. "Ainsi le monde ntier n’est réellement qu’une grande h6tellerie, ou chacun e songs en effet qu’a soi."‘“3 Nous nous aimons et, comme e dit La Rochefoucauld (M 81), notre volonté est incapable de rien aimer que par rapport a nous" (EHD 347). n ne pense qu’a soi. En consequence, l’on s’imagine upérieur aux autres et l’on fait régner son moi. "L’amour— ropre," explique Nicole, ne nous fait aimer que ceux qui nous aiment et qui nous sont utiles; il ne nous assujettit qu’a ceux qui sont plus puissants que nous, et il nous ports au contraire a vouloir dominer sur tous les autres autant qu’il nous est possible. (CC 272) Tout devient rapport de forces, comme nous le verrons us Is chapitre suivant. Nicole écrit ainsi a Madame de npertui qu’"On peut presque dire de tous les hommes, que est une société de gens qui s’entrecondamnent."H Il nonce le scandals de "Tout déguisement et toute conduite tificieuse" (S 383), car ce scandals amene "les gens a faire rI 383). L bornes propre, sur tou qu’e 1e maniere autres s’aime: autres défaut Tou déSuis de cor 86 airs régner partout leurs désirs st leurs inclinations" (S 83). L’homme corrompu, explique Nicole, "s’aime sans ornes et sans mesure" (CAP 179). Dominé par l’amour- ropre, "Il se fait le centre de tout; i1 voudrait dominer ur tout, et que toutes les creatures ne fussent occupées u’a le contempler, a le louer, a l’admirer" (CAP 179). De aniere a conforter son moi, l’homme doit "ou rabaisser les utres ou s’en distinguer" (CSM 12). Inévitablement, pour ’aimer encore plus, il a besoin d’etre loué st reconnu des utres, et donc doit se déguiser et cacher aux autres ses éfauts (PH 246). Tout comme le divertissement, les critiques et le éguisement deviennent un aveuglement volontaire, le refus e contempler 1a réalité de sa misere: L’homme veut se voir, parce qu’il est vain; il évite de se voir, parce qu’étant vain, i1 ne peut souffrir la vue de ses défauts et de ses miseres. Pour accorder donc ces désirs contraires, il a recours a un artifice digne de sa vanité, par lequel il trouve moyen de les contenter tous deux en meme temps: c’est de couvrir d’un voile tous ses défauts, de les effacer en quelque sorte de l’image qu’il se forme de lui-meme, et de n’y laisser que les qualités qui 1e peuvent relever a ses propres yeux. S’il ne les a pas effective- ment, i1 se les donne par son imagination; et s’il ne les trouve pas dans son propre etre, il .va les chercher dans les opinions des hommes ou dans les choses extérieures qu’il attache a son idée, comme si elles en faisaient partie. (CSM 13) ou la fuite de soi par "les occupations tumultuaires" SM 12), dans le divertissement tout pascalien. Pour cole, comme l’avait énoncé Pascal dans son celebre fraSm secrI l’OCI leur at l nous 1e 1 mes aus don la Ros nm no Ni 80 87 9 fragment "Divertissement,' les hommes "ont un instinct secret qui les ports a chercher le divertissement et l’occupation au dehors, qui vient du ressentissement de leurs miseres continuelles" (Pensées 139). "Le changement et les occupations extérieures nous emportent hors de nous, et nous divertissent en faisant que nous nous oublions nous—memes" (MEC 431). Comme chez Pascal, "Les gens fuient 1e repos comme leur plus grand ennemi,"49 dans une certaine mesure pour ne pas faire face a leur vide intérieur mais aussi pour conforter leur moi imaginaire. Nicole dénonce donc le divertissement comme un des obstacles volontaires a la connaissance de soi, ce que l’on ne trouve pas chez La Rochefoucauld.‘9 Celui—oi, en effet, n’explique ni comment nous pouvons nous soustraire a l’aveuglement ni en quoi nous pouvons atteindre une veritable connaissance de soi. Nicole suggere que l’on peut parvenir a la connaissance de soi en levant les obstacles—-c’est-a-dire en fuyant les exemples contagieux et en supprimant le divertissement. La Rochefoucauld, lui, ne constate que l’aporie de la tentative de regard sur soi. Du divertissement et de notre attitude en société, Nicole conclut s "l’illusion volontaire" (CSM 35). La Rochefou— cauld, bien qu’il n’évoque nullement le divertissement, formule la meme constatation que l’auteur des Essais de morale sur le comportement humain. "Nous nous déguisons a ous—mémes" (M 119), écrit—i1. Nicole lui répond presque mot our mot: les hommes "se déguisent eux—memes a eux-memes" (CSM 35 Nicole, démarcl distins différI d’arri l’impo Che irréaI touon vie, 67).5 l’imp amour celui nous. des born que 0% ( dE( lug San Is not 88 (CSM 35). Pour les deux auteurs, personne—~c’est-a-dire, pour Nicole, aucun des hommes corrompus—-ne se connait. Par leur démarche descriptive, La Rochefoucauld et Nicole ne se distinguent guere. Cependant, leurs conclusions sont fort différentes. Nicole voit chez l’homme la possibilité d’arriver a la connaissance de soi, La Rochefoucauld y voit l’impossibilité. Chez La Rochefoucauld, la connaissance de soi est irréalisable. Chez Nicole, elle est difficile car "il y a toujours dans le coeur de l’homme, tant qu’il est dans cette vie, des abimes impénétrables a toutes ses recherches" (CSM 67).5° La Rochefoucauld énonce, pour mieux souligner l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, que "S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est 1celui qui est caché au fond du coeur, et que nous ignorons nous—memes" (M 69).51 L’homme peut difficilement juger selon des criteres de bon goOt car "nos connaissances sont trop bornées" (RD X). Nous nous trompons dans nos jugements parce que "c’est 1e défaut de lumiere qui nous fait arréter a tout ce qui se présente a notre imagination, et qui nous empéchs de discerner d’abord ce qui est le meilleur" (M 287).52 Les déguisements et motifs cachés peuvent rendre tout Jugement difficile (M 170, 97).53 Rien n'est assure, ni la santé du corps ni la santé de l’ame (M 188). Nous sommes a a merci de certaines énigmes. Notre corps peut se jouer de ous et nous dissimuler a nous-memes: "La gravité est un mystére l’espri peuvent que es] notre : la net et une Parado les me secret 06 que conna: La l’inc nous- du fa 1’évi Choss hens que , de t nais hilmg i“SI hui 89 mystere du corps inventé pour cacher les défauts de l’esprit" (M 257). Comme par miracle, certaines choses peuvent se présenter "achevées a notre esprit" (M 101) sans que celui—oi ait participé au processus. Nos finesses et notre ingéniosité nous sont meme inconnues. "Il semble que la nature ait cache dans le fond de notre esprit des talents et une habileté que nous ne connaissons pas" (M 404). Paradoxalement, nos passions, elles, "seules ont le droit de les mettre a jour" (M 404). Comme chez les plantes, nos secrets sont impénétrables (M 344). Nous ne savons meme pas ce que nous voulons: "Il s'en faut bien que nous ne connaissions toutes nos volontés" (M 295). La profondeur des abimes est quasiment insondable. Et l’incertitude nous mine. D’une part, nous nous déguisons a nous—memes et aux autres: on ne peut plus distinguer le vrai ,du faux et le connaitre avec certitude. D’autre part, l’évidence se dérobe a notre entendement car bon nombre de choses demeurent ou mystérieuses ou cachées, ou incompre— hensibles de par l’infini ds leurs details. Nicole constate que, déja étonnants en eux-memes, les "mouvements démesurés de tristesse, d’amour, de joie, de crainte, de désespoir ... naissent d’un fond inconnu et d’un abime caché" (CD 138). Certains mysteres5‘ sont inaccessibles e la raison humaine. Celui de l’amour-propre n’est pas le moindre: insondable dans ses profondeurs, on ne peut percer "les ténebres de ses abimes" (MS 1). De surcroit, couvert d’une suit, d’une "obscurité épaisse" (MS 1), cet amour-propre qui nous t7 (CAP 18 obscure bizarre capriCI effray excent Nos telle nombre donc : 208). de Mi Detit bilit contf CessI déso Pas 8’3 90 nous tyrannise est impenetrable. Chez Nicole, ce "monstre" (CAP 180) indescriptible, si ce n’est par ses effets, obscurcit tout, par ses nuages (CSM 31). D’autres bizarreries-—celles de l’orgueil, des autres passions, du caprice de notre humeur (M 472, 45)--sont certes moins effrayantes. Elles sont néanmoins inquiétantes car leurs excentricités sont imprévisibles. Nos passions sont "inconnue[s] a nous-memes" (MS 54), telle 1a paresse par exemple. Comme les vices, elles sont nombreuses (M 195). Elles ont une existence parasitaire, donc invisible. Elles envahissent notre espace h6telier (PH 208). D’ailleurs, ces passions ressemblent fort au parasite de Michel Serres, qui "se multiplie follement par sa petitesse, ... [qui] occupe l’espace de son impercepti- bilité."55 Détruisant l’ordre intérieur par la tyrannie continuelle qu’elles imposent, ces passions-parasites ne cessent de nous envahir. Elles introduisent en nous 1e désordre, le chaos. Le retour a l’ordre intérieur pourrait s’effectuer par l’expulsion du parasite. Cependant, l’organisme s’habitue a sa presence, allant jusqu’a le satisfaire-—l’homme tourne "toutes ses conduites a satisfaire ses passions" (L 255). La violence, qui serait seule a meme de résoudre la crise par l’expulsion du arasite, n’est meme pas envisageable: l’homme, écrit La ochefoucauld, "ne peut supporter ni leur [celle des assions] violence ni celle qu’il faut qu’il se fasse pour ’affranchir de leur joug" (L 255). Par d’habit reprodu infinit Pascal présenI 233). I demeur qu’ell L’i distir 74, 77 insens Vues I 53)? outre Roche "Pouz et cs tauj, 0onc ll r que 91 Par consequent, les passions-parasites ne cessent l’habiter l’homme. Génitrices, elles pullulent, se reproduisent en nous a l’infini (M 10). Au regard de leur Lnfinité, notre étre, fini, n’a plus aucune consistance. Pascal n’avait-il pas déja écrit que "Le fini s’anéantit en presence de l’infini, et devient un pur néant" (Pensées 233). En nous, les passions n’ont aucune bornes, elles demeurent incompréhensibles et rendent l’espace fini qu’elles occupent chaotique et incomprehensible. L’infini numeral dépasse notre comprehension. Comment distinguer 1e veritable amour de ses innombrables copies (M 74, 77)? Comment deviner l’amour-propre et ses "mille insensibles tours et retours" (MS 1)--chez Nicole ses "mille vues et mille retours" (PH 246), ses "mille adresses" (CSM 53)? Les bornes, les limites n’existent pas. Il serait outrecuidant de vouloir les saisir. A cet égard, La Rochefoucauld est clair. I1 ne manque pas de constater que "Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le detail; et comme il est presque infini, nos connaissances sont oujours superficielles et imparfaites" (M 106). Nicole onclut également sur les limites a la connaissance de soi. l rappelle que c’est cependant se connaitre que de savoir ue l’on ne peut y arriver: c’est meme une partie de la connaissance qu’on peut avoir de sci-meme, que de bien comprendre que l’on ne se connait pas avec assurance dans ce qui parait meme de plus essentiel-st de plus important. (CSM 67) Nous "demeure vie" (CSM 67' Nicole. Ce qI dans "l’igno tel que 1’on equivalent: leurs défaut gens sont ce confessent" En dépit améliorer 1; one Eageure rationalisa diSCernemen R0I3hef0ucm dévoile les hGames, déI Suggére qu c(”“901‘teme La Conn Passer par n’est d’or prendre le accepté“. l’édition ) n Est So“, 92 Jous "demeurerons toujours inconnus a nous—memes en cette vie" (CSM 67), mais ceci est dans l’ordre de Dieu, explique Nicole. Ce qui est condamnable aux yeux du moralists réside dans "l’ignorance volontaire" (CSM 67), 1e refus de se voir tel que l’on est. Le jugement de La Rochefoucauld est equivalent: "Les faux honnetes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et a eux-memes. Les vrais honnétes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent" (M 202). En dépit des limites et des difficultés de la raison, améliorer la connaissance de nos ressorts ne représente pas une gageure. A l’aide d’un guide ou d’une méthode de rationalisation, i1 serait possible d’arriver a plus de discernement. La démarche du moralists s’esquisse. La Rochefoucauld essais de nous montrer 1e chemin a suivre. Il dévoile les passions, met a jour 1e comportement cache des hommes, déconstruit 1e systems de référence en vigueur et suggere qu’il est partiellement possible de saisir le comportement humain en ls déconstruisant. La connaissance de soi et du monde devrait/doit ainsi passer par la dé-dénomination: "Ce que le monde nomme vertu n’est d’ordinaire que..." (MS 34). Elle impose aussi de prendre le contre-pied des idées ou Opinions normalement acceptées--comme l’indique avec poids la premiere maxime de l’édition definitive: "Ce que nous prenons pour des vertus n’est souvent que..." (M 1)--55 et repose sur ce que Roland Barthes tive."5 soi s’I vertus appare moins bien e Nor compor impos: l’hom son " incap qui, valeI 9t SI chaq' 0r , more iaqu cOnt R0c} 9538: can 99’ Eém 93 Barthes appelle fort bien "la relation d’identité decep- tive."57 La Rochefoucauld nous montre que la connaissance de soi s’atteint par la demonstration de "la fausseté des vertus humaines,"58 "la fausseté de tant de vertus apparentes" (M 504). On peut tenter d’y parvenir ou tout du moins de l’améliorer par une lucidité exceptionnelle et, bien entendu, par un travail d’analyse intérieure. Moraliste, La Rochefoucauld étudie 1e mécanisme du comportement humain. Observateur, i1 suggere qu’il est impossible a l'homme de se connaitre parce qu’au depart l’homme refuse de se connaitre pour ne pas avoir a constater son "manque d’etre." Il insinus qu’il en est également incapable. Mais sa démarche est celle de la science morale qui, comme l’a montre Hugo Friedrich, "ignore le jugement de valeur et la tutelle morale."59 Le fait de connaitre l’homme et se connaitre reviendrait finalement a pouvoir donner de chaque homme, y compris de sci-meme, une definition precise. Or, "savoir ce qu'est l’homme ... reste pour [les moralistes] une question sans réponse,"5° une question a laquelle ne saurait répondre aucun observateur des contradictions de l’etre humain. Au bout du compte, La Rochefoucauld montre qu’il faut donc moins prétendre a essayer de se connaitre qu’e saisir nos paradoxes,61 nos contradictions st, comme l’avait dit Pascal, a "chercher ce qu’on est" (Pensées 495), meme si ce n’est pas en émissant.62 Chez Nicole, l’etre humain doit effectuer un travail, fair d’un conr c0] 1) 11 El) 94 faire un effort constant de regard sur soi--faire preuve d’une resolution sincere de travailler a acquérir cette connaissance [de sci-memeJ" (CSM 36). C’est a bon escient que Nicole insists sur 1’effort a accomplir par l’utilisation a repetition du verbe "tacher"--"nous devons tacher de" (CSM 38), "l’étude de sci-meme ... consiste a tacher de" (CSM 47). En plus de ce travail, il est nécessaire de pratiquer ce que Nicole appelle des "retranchements" (CSM 50). Dans l’examen des vertus, la connaissance de soi revient a séparer le bon grain de l’ivraie: "On doit retrancher....Il en faut retrancher ... il en faut séparer" (CSM 49). L’effort consiste pour Nicole en la vigilance sur sci-meme et sur ses passions, l’étude de ses bonnes ou mauvaises inclinations (CSM 47), 1e désir de transparence—~connaitre ses défauts visibles et ceux qui sont invisibles (CSM 51)—-a chercher la vérité dans le bon exemple des autres (CSM 52) tout en sachant rester a soi (CSM 55). Bref, i1 faut opérer par des "efforts purement humains" (CSM 40). Comme l’a montré Chédozeau, La personne se définira par le bon usage de la raison, et ce bon usage suppose 1a rectification des idées et des jugements recus, imposes par les sens, l’éducation, la coutume; a ce langage 1' o o n p o . exterieur, le chret1en--et tout homme avec lui-— opposera un langage et un univers "intérieurs" par lesquels il évitera les séductions du monde.63 L’on comprend désormais en quoi l’auteur des Maximes se distingue de Nicole. Pour Nicole, nous nous détournons de l’analyse intérieure par le divertissement. Cependant, nous pouv cont nous éléI voy voi COlI 95 pouvons éviter ce divertissement et nous soustraire a la contagion des exemples. Certes, nous sommes aveugles. Mais nous ne refusons pas de nous voir. La réalité est plus élémentaire dans les Maximes et Réflexiong: nous ne nous voyons pas, tout simplement. De plus, La Rochefoucauld ne voit pas en l’homme de désir de se connaitre parce que, comme nous l’avons montre, l’homme ne veut pas se confronter a son néant et a son chaos intérieur. Contrairement a Nicole, il ne semble pas croire que l’on puisse "soulager [les personnes faibles] par [des] moyens humains qui entretiennent l’esprit dans une assiette raisonnable" (P #VII, 6: 153). Les injonctions de Nicole--"nous devons tacher de..." (CSM 38); "nous devons tendre a..." (CSM 40); "ne nous flattons jamais de..." (CSM 42); "Il faut..." (CSM 44); "il faut que nous..." (CSM 44); "ce que nous devons faire..." (CSM 46)--grace auxquelles nous devons comprendre les moyens de parvenir a la connaissance de nous-memes sont étrangeres a La Rochefoucauld. Celui-oi se contente de décrire, de dénoncer et de déconstruire pour souligner l’impossibilité d’arriver a la connaissance de soi dans laquelle se trouve chaque individu. Nicole, lui, procede selon la meme méthode descriptive et dénonciatrice--avec d’ailleurs moins de bonheur car son style se prete moins a la deconstruction systématique--mais désire surtout nous persuader. Par leur description de la nature humaine, La Roche— foucauld et Nicole sont tres proches. Leurs demonstrations les sép voir. I oe pois larité adopte 96 les séparent. Nicole montre que l’on peut parvenir a se voir. La Rochefoucauld se refuse a une telle conclusion. De ce point de divergence essentiel, et au dele de la simi- larité de leurs descriptions, leur théorie du comportement a adopter en société prendra des accents différents. 97 REFERENCES 1 Montaigne 358. 2 Genevieve Lewis, dans son ouvrage sur l’inconscient et le cartésianisme, étudie en quoi les difficultés de la connaissance de soi ainsi que les profondeurs et les obscurités de notre conscience passionnent le XVIIe siecle en France. Elle examine brievement au debut de son etude l’influence de Montaigne, Charron et Saint Francois de Sales dans l’examen des mouvements intérieurs de l’etre humain (Le Problems de l’inconscient et le cartégianismg [Paris: PUF, 1950] 1-9). Le troisieme et dernier chapitre du livre, "Les profondeurs de l’ame chez les théologiens cartésiens," est essentiel pour l’étude de Nicole. Lewis y examine plus particulierement les "pensées imperceptibles" de Nicole et les dispositions inconscientes notamment chez La Rochefoucauld. 3 Lettre au Pere Thomas Esprit, 6 février 1664, dans La Rochefoucauld 579. ‘ Nous formulons ici la meme argumentation qu’a faite E.D. James dans son ouvrage sur Nicole. James rappelle a bon escient qu’a partir du moyen-age la recommendation inscrite au temple de Delphes——"Connais-toi toi-méme"-- revet une nouvelle signification: "In the light of the knowledge that man was created in the image of God, the Apolline injunction 'know thyself’ had taken on a new meaning. To know oneself was to know one’s nature and one’s fank and position in the universe which God had created" 116). 5 Cité par Jean Dagens, "Le XVII' siecle, siecle de Saint Augustin," Cahiers dg;l’Association Internationale Q§§_Btudes Francaises 3-4-5 (1953): 33. 5 Bossuet, De la connoissance de Dieu et de sci-meme, in Oeuvres completes, éd. F. Lachat, 31 vols. (Paris: Vives, 1875) 23: 33. 7 Bossuet 23: 33. ° Seule sera étudiée dans ce chapitre la portée morale de la connaissance de soi. Pour la portée religieuse, voir le bon article de Suzanne Bouillon ("La connaissance de 801 dans la morale de Nicole," Bulletin de la Société des Amis fig Port-Royal 6-7 [1956]: 69-81), ls chapitre de James, "‘Know Thyself’" (116-31), et la these de Bruce B. Davis ("Grace and Reason. The Moral Theology of Nicole," diss., U of Virgi: Theology 110), et Vigilanc (144-86) 9 J so 1 1 P01718H€S( 12 13 14 15 théétra resard cause d imports Simplem Oomédie [1983]: 1a égalems l’imitI 9118 e: ,. d, inIlOI de la ' Prisme eSt he 16 reg Malheu PriSme differ 8imple l’illt 71). 98 of Virginia, 1983), notamment 1e deuxieme chapitre, "From Theology to Anthropology: The Union of Body and Soul" (78— 110), et le dernier chapitre, "Lumiere, Jugement, Vigilance: The Role of Reason in Nicole’s Moral Theology" (144-86). 9 James 116. 1° La Fontaine 78. 11 Rene Girard, Mensonge romantique et vérité romanesgue (Paris: Grasset, 1961) 91. 12 La Fontaine 78. 13 Girard 35. 1‘ Voir Girard 30. 15 Tzvetan Todorov, dans son étude sur l’analogie théétrale chez La Rochefoucauld, voit également dans le regard des autres la cause de nos déguisements: "C’est a cause du regard des autres—-extérieurs ou intériorisés, peu importe—-que nous travestissons nos vices en vertus. Et pas simplement les vices mais les passions elles-memes" ("La comédie humaine selon La Rochefoucauld," Poétique 14.53 [1983]: 43). 1° Starobinski, "La Rochefoucauld" 33. Todorov montre également le caractere inevitable du déguisement et de l'imitation: "L’imitation est peut—etre malheureuse mais elle est inevitable" (43). 1' Pour Nicole, l’enfance est d’ailleurs aussi un age d’innocence. Selon lui, l’enfant est celui qui s’émerveille de la beauté des couleurs qu’il apercoit au travers d’un prisme. L’enfant est celui qui, contrairement aux adultes, est heureux de posséder un tel trésor (LP 5: 67) sans que le regard des autres ne l’inquiete ni ne l’influence. Malheureusement, poursuit Nicole, dans son traité "Le Prisme, ou que les différentes dispositions font juger différemment des autres objets," "En sortant de l’ignorance simple des enfants, nous tombons dans l’erreur et dans l’illusion, qui est beaucoup pire que l’ignorance" (LP 5: 71). 18 La Fontaine 78. 19 Girard 83. 2° La Fontaine 77. ‘1 René Girard, La Violence et le Sacré (Paris: Grasset, 1972) 217. fondatiu dans la l’objet bien qu 1e mode l’objet n’est p _cercle une ins jour e1 Etroite 1e mods‘ omniscf 418). mm égalem notamn vue dc desire fact. l941’s] diSCOI that from . Voir défia nous- [OXfo Pappr Moore m Plusi be me DrOp] RObe] a at p use he 3 each 99 22 Voir René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du_monde (Paris: Grasset, 1978) 418. Girard voit dans la rivalité pour l’objet un cercle vicieux. Lorsque l'objet de convoitise est refusé par le modele, le sujet, bien qu’il continue a imiter son modele, "se demands ... si 1e modele n’a pas de bonnes raisons de lui refuser l’objet," il se demands si la condamnation a son égard n’est pas justifies. Alors, "Une fois qu’il entre dans ce ,cercle vicieux, le sujet en vient rapidement a s’attribuer une insuffisance radicals que le modele aurait percée a jour et qui justifierait son attitude envers lui. Etroitement uni a cet objet que jalousement il se reserve, le models possede, semble—t—il, une autosuffisance st une omniscience dont le sujet revs de s’emparer" (Des choses 418). 23 Girard, La Violence 217. 24 Girard, La Violence 217. ’5 Girard, La Violence 218. 2° Moliere, Le Misanthrqu, III.iv., in Oeuvres completes (Paris: Seuil, 1962) 336. W. G. Moore effectue également un rapprochement avec Le Misanthrope. Il montre notamment que, en ce qui concerne la franchise, le point de vue de Moliere et de La Rochefoucauld est le meme: "The desire of frankness is natural and bound to be defeated in fact. An Alceste may demand, as if proclaiming a principle, ‘qu’en toute rencontre/ Le fond de notre coeur en nos discours se montre,’ but the absurdity of his attitude is that in cold fact we expect this neither from others nor from ourselves: 'Ce qui nous empeche d’ordinaire de faire voir 1e fond de notre coeur a nos amis, n’est pas tant la défiance que nous avons d'eux que celle que nous avons de nous-memes.’ (M 315)" (La Rochefogcauld: Hingind and Art [Oxford: Clarendon, 1969] 105.) Pour d’autres rapprochements entre Moliere et La Rochefoucauld, voir Moore 47, 59. Vivien Thweatt, dans La Rochefoucauld and the Seventeenth-Century Concept of the Self, revient aussi a plusieurs reprises sur les rapports entre les deux auteurs. De meme, sur Moliere--notamment Le Misanthrgpg--, l’amour- propre, l’humeur, la folie st l’éthique sociale, voir Robert McBride, Aspects of Seventeenth-Century French Bragg and Thought (London: Macmillan, 1979) 92, 100, 104, 110. 3' Starobinski, "La Rochefoucauld" 34. 39 Nicole utilise les memes termes (voir plus loin), et Pascal, montrant la réalité cachée derriere "les discours d’humilité," conclut selon les memes lignes: "Nous ne sommes que mensonge, dUplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons a nous-memes" (Pensées 377). 29 La Roch “'Carac 1'anthr 57 (195 De la ( coeur l RochefI 3 l 3 3 siecle 3 l’Epi] 230. 249, 5 mi Para ment la 1 lies bonl maiI QUeI la 1 fem ané Oia Ver éga 100 3’ Sur la topographie et la cartographie morale chez La Rochefoucauld et les moralistes, voir Louis van Delft, "‘Caracteres’ et 'lieux’: La representation de l’homme dans l’anthropologie classique," Revue de Littérgture Comparée 57 (1983): 91-115. Francois Lamy, a la fin du siecle, dans De lg connaissance de_§oi-méme, posera la connaissance du coeur humain selon presque les memes termes que La Rochefoucauld. (Voir Genevieve Lewis 219) 3° Jean Starobinski, "Complexité" 36. 31 Girard, La Violence 216. 32 La Bruyere, Les Caracteres ou les moeurs de ce siecle (Paris: Union Générale d’Editions, 1963) 285. 33 Girard, La Violence 216. 3‘ "Sur l’Evangile du IV. Dimanche d’apres l’Epiphanie," 9: 320. 35 "Sur l’Epitre du Dimanche dans l’Octave de l’Epiphanie," 9: 242. 3‘ "Sur l’Epitre du X. Dimanche d’apres la Pentec6te," 12: 300. 37 "Sur l'Evangile du Lundi de la Semaine Saints," 11: 230. 3° Michel Serres, Le parasite (Paris: Grasset, 1980) 3’ Serres 272. ‘0 Serres 273. ‘1 "Le parasite est mimétique, oui, mais l’h6te se met a mimer l’invité, on ne se sauve des parasites qu’en les parasitant a leur tour. L'arroseur arrosé" (Serres 279). En montrant que "Tartuffe n’est pas seulement le pharmakon de la famille, celui qui, en definitive, sera expulsé des lieux, sacrifié par le prince et enfin démasqué, pour le bonheur des fils et pour le collectif du groups..." (273), ais qu’il est aussi le jumeau d’Orgon, Serres souleve la question finale que pose la problématique de l’ordre dans a piece. De l’indifférenciation nait le désordre. L’ordre familial, dans Tartuffe, est doublement détruit. Il est néanti par la presence parasitique g; par l’indifféren— iation qu’elle engendre. Chez Nicole, comme nous le errons dans le troisieme chapitre, l’ordre social est 'galement mis en danger par la contamination par l’exemple. 42 RE '70 double and AnthrI Sur 1' 1mm Girard, Lg 43 G II L constate métaphore son inter l’image 1 Is I this some converges conflict 140). II Nicole, hdteller cupidité hateller ses affg “or, N p( tout le 3’1ntérI désir e: l’homme 998 aut 0n Peut Un1Verg (Serres Comme 1 8emblah vraimer Cette ) elle, C lOI‘Sqm vivone Parasi- 3°Cia1. 4 Pascal vOir ] 101 ‘2 René Girard, "The Plague in Literature and Myth," ‘To double bug$ne§s bound.’ Essays on Literature,gMimesis, and Anthropolggy (Baltimore: Johns Hopkins UP, 1978) 136. Sur l’image de la pests en littérature, voir également René Girard, Ls bouc émissaire (Paris: Grasset, 1982). ‘3 Girard, "The Plague" 137. ‘4 Lettre LXVI a une jeune religieuse, 8: 44. L’on constate ici l’importance accordée par Nicole aux métaphores. Selon ls lecteur auquel il s’adresse ou selon son interlocuteur, Nicole parvient parfaitement a trouver l’image précise qui édifiera. ‘5 "To imitate the desires of someone else is to turn this someone else into a rival as well as a model. From the convergence of two or more desires on the same object, conflict must necessarily arise" (Girard, "The Plague" 140). 4° "Sur l’Evangile de la Messe de Minuit," 9: 123. Nicole, dans cette réflexion, montre entre autres que "les h6telleries sont une image assez vive du regne de la cupidité et de l’amour-propre" (9: 123). On loge dans une h6tellerie pour différentes raisons et chacun s’occupe de ses affaires sans porter un quelconque intéret aux autres. "Or," poursuit Nicole, "c’est la presque la disposition de tout le monde. Car combien y trouve-t-on peu de gens qui s’intéressent sincerement pour les autres, et qui aient un désir effectif de les servir?" (9: 123). La cupidité de l’homme le rend parasite: i1 ne peut vivre qu’aux dépens des autres et en meme temps ne "songe qu’e sci" (9: 123). On peut ainsi dire que, chez Nicole, "l’homme est parasite universel, ... tout, autour de lui, est espace h6telier" (Serres 38). La démarche de Nicole revient a démontrer, comme 1e dit Michel Serres, que "Nous parasitons nos semblables et nous vivons au milieu d’eux. Autant dire vraiment qu’ils constituent notre milieu. Nous vivons dans cette boite noire qu’on nomme collectif, nous vivons par elle, d’elle et en elle" (18). Mais, dénonce Nicole, lorsque regnent la cupidité st l’amour—propre, nous ne vivons jamais pour elle. La portée sociale de l’existence parasitaire de l’étre humain--destructrice de l’ordre social-~sera étudiée dans le troisieme chapitre. ‘7 Lettre LXXVII a Madame de Fontpertui, 8: 118. ‘8 "Sur l’Evangile du IV. Dimanche de l’Avent," 9: 95. 4’ Sur le divertissement chez Nicole, comparé a chez Pascal, et l’absence de ce theme chez La Rochefoucauld, Voir la note 5 du premier chapitre. 50 lui "ur Nonobsi vérité. satist RochefI faire passio l’homm dégagé trouve par Is I impéns Roche: Dieu, disti: Dieu plut6 la g1 pouvc 13. Il] est I 30ndI Roch au’a meme §gp§ 219) inté cacl Dare le j de 1 “Ya Che con Pou Pea ins (35 102 5° Pascal, lui, est plus tragique: l’homme est selon lui "un monstre incomprehensible" (Pensées 420). Nonobstant, "il a en lui la capacité de connaitre la vérité," meme s’"il n’a point de vérité, ou constante ou satisfaisante" (Pensées 423). Comme Nicole et La Rochefoucauld, Pascal, finalement, encourage l’homme a faire preuve de recul vis-a-vis de lui-meme et de ses passions, ainsi que de lucidité: "Je voudrais donc porter l’homme a désirer d’en [la vérité] trouver, a etre pret, et dégagé des passions, pour la suivre partout ou il la trouvera, sachant combien sa connaissance s’est obscurcie par les passions" (Pensées 423). 51 Il faut ajouter, sur le theme des abimes impénétrables qui se défient a notre connaissance chez La Rochefoucauld, que dans toutes les versions manuscrites, Dieu, l’instance supreme, est le seul a savoir, a pouvoir distinguer les vices des vertus apparentes: "Il n’y a que Dieu qui sache si un procédé net, sincere et honnete est plut6t un effet de probité que d’habileté" (L 155). 51 La maxime 97, montrant que "le jugement n’est que la grandeur de la lumiere de l’esprit" (M 97), reconnait le pouvoir éclairant de l’esprit "voyant tout" (L 107) et dont la "lumiere pénetre le fond des choses" (M 97). Le jugement est donc loin d’étre impossible et pourrait éventuellement sonder l’abime. 53 Emile Faguet, en répétant que chez La Rochefoucauld, l’"amour pur existe ... mais i1 n’existe qu’e la condition qu’il soit perdu au plus profond de nous- memes, et que nous ne nous en rendions pas compte" (Dix— septieme siecle. Etgdeg littéraires [Paris: Boivin, s.d.]) 219), nous rappelle a juste titre que les mouvements intérieurs a l’homme "ne sont purs ... que s’ils sont caches au fond de nous" (220). Tout ce qui fait surface parait ainsi douteux, comme contaminé. 5‘ W. G. Moore, refusant de voir l’amour-propre comme 1e principe unique nous régissant, met en relief la notion de mystere et développe "La Rochefoucauld’s respect for the mystery of motive" (34). Moore étudie particulierement bien chez l’auteur des Maximes les limites auxquelles doit se confiner la connaissance de l’homme. Ainsi, écrit Moore, pour La Rochefoucauld, "We must remain in the dark and realize that our statements are approximations, since our instruments are too insensitive to register actual motives" (35). 55 Serres 260. n’est 1 mal" (1 prenons augmen' d’objel Lanson 1e pro La Roc isles L18. 1984) montre s’y a} do prI 'parls les tI at "1: trava Roche m 95-99 Sente ien Fills 1677 dive' Lris Flor Pare Che: 103 5° Voir aussi "Ce que nous prenons pour notre guérison n’est le plus souvent qu’un relache ou un changement de mal" (M 194). La deconstruction est double. Le "Ce que nous prenons" suggere l’erreur. La restriction "ne...que" augments l’effet voulu. Pour un apercu suggestif--a défaut d’objectif--sur 1e style de La Rochefoucauld, voir Gustave Lanson, L’Art de la prose (Paris: Nizet, 1968) 126-39. Sur le procédé de distinguo et la definition restrictive chez La Rochefoucauld, voir Pierre Lerat, "Le distinguo dans les Maximes de La Rochefoucauld," Les Formes breves de la prggg et le discourgldiscontinu, éd. Jean Lafond (Paris: Vrin, 1984) 91-94. Dans cette excellente et courte étude, Lerat montre qu’"Au total, le distinguo et les formulations qui s’y apparentent semblent etre de facon dominante au service du propos général de La Rochefoucauld, si celui-ci est de ‘parler de la fausseté de tant de vertus apparentes’, selon les termes de la maxime 504" (94). Sur la dé-dénomination et "la maxime definition," voir Jean-Pierre Beaujot, "Le travail de la definition dans quelques maximes de La Rochefoucauld" (Les Formes breves de la prose et le discours discontinu, ed. Jean Lafond [Paris: Vrin, 1984] 95-99). 57 Roland Barthes, "La Rochefoucauld: 'Réflexions ou Sentences et Maximes,’" Le degré zero de l’écriture, suivi de Nouveaux essais critiques (Paris: Seuil, 1972) 76. 58 Voir le titre de l’ouvrage de Jacques Esprit, Lg Faugseté des vertus humaines, achevé d'imprimer en octobre 1677. Sur la collaboration entre les deux auteurs et leurs divergences, voir Susan Read Baker, Collaboration et originalité chez La Rochefoucauld (Gainesville: UP of Florida, 1980). 59 Friedrich 190. 5° Friedrich 190. 51 Pascal écrit: "Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous etes a vous—meme" (Pensées 434). ‘2 Pascal ne voulait/pouvait approuver que "ceux qui cherchent en gémissant" (Pensées 421). ‘3 Chédozeau 2: 414. CHAPITRE 3 LA VIE EN SOCIETE 104 mond de " at d ques chiI pot: Fon L’e mor Di: da ét 105 "La Discorde a toujours régné dans 1’univers; / Notre monde en fournit mille exemples divers."1 Le premier vers de "La querelle des chiens et des chats, st celle des chats et des souris" en dit long. La Fontaine remet ici en question l’ordrs social. Tout est désordre. La querelle des chiens et des chats a pour banale origine "Quelque plat de potage, / Quelque 03" et la jalousie. Certes, conclut La Fontaine, les etres humains sont bien peu raisonnables. L’essentiel de sa fable n’en demeure pas moins .n O l’illustration de "la loi de nature il n’existe dans le monde "aucune creature, / Qui n’ait son oppose." La Discorde est "déesse," divinité. C’est elle qui s’introduit dans la maison du maitre et bouleverse l’ordre qu’il y a établi. Le désordre est donc l’Etre supreme que rien ne peut déboulonner de son piédestal. Il regne sur tout. Chaque animal et chaque étre ont ainsi leur ennemi. La Fontaine dénonce la loi générale qui unit l’univers. L’exemple des démélés entre chiens, chats et souris confirms la regle: "Combien d’etres de tous états / se font une guerre éternelle!" Chez La Fontaine la vie sociale est un état de guerre. Chacun veut s’assujettir son ennemi, l’autre. Le monde animal des fables est un monde de cruauté, ou "La raison du plus fort est toujours la meilleure."2 L’essentiel de l’activité sociale consiste en d’éternelles querelles intestines et les petits se retrouvent finalement bien ouvent dévorés par les plus gros. Cette image de la -_..‘_a—..—m—- féroc dénor dépaI Egg; quer sour l’or sere son duI che dan d’e XI pa in le 106 férocité qui regne dans les rapports humains, et que dénonce constamment La Fontaine, constitue 1e point de départ de l’analyse sociale qu’effectue Nicole dans ses Egggis de_gorale. Comme le fait La Fontaine dans "La querelle des chiens et des chats, et celle des chats et des souris,"a la question centrale que pose Nicole est celle de l’ordre dans la société. Pour lui la solution au désordre sera avant tout une solution politiqus et individuelle. De son c6té, La Rochefoucauld voit les comportements humains du meme oeil sombre que La Fontaine et Nicole. 11 décele chez les hommes une cruauté pareille a celle qui existe dans le monde animal et considers que "les hommes sont, a l’égard des autres hommes, ce que les différentes especes d’animaux sont entre elles et a l’égard des autres" (RD XI). Bien qu’il ne développe aucune théorie sur l’ordre politiqus a la maniere de Nicole, l’auteur des Maximes invite les hommes a "trouver le moyen d’aménager au mieux leurs rapports,"4 comme 1e dit Starobinski. Il entend rapprocher les hommes et les encourager a aménager 1e désordre, ce a quoi ils peuvent parvenir en suivant un idéal d’honnéteté. La Rochefoucauld et Nicole attribuent a l’etre humain une cruauté innée et le plus souvent décuplée dans/par les rapports sociaux. Le but de ce chapitre est de cerner en quoi la description de la férocité des rapports humains et l’explication du désordre social qui en découle constituent chez ces deux auteurs les prémisses de la morale sociale hon For ré] ex Ro de fa 107 qu’ils exposent. Les manifestations et les limites de cette férocité et du désordre social subsequent telles qu’slles sont suggérées par l’auteur des Maximes et celui des Essais de_porale seront explorées, afin de mieux saisir la portée des solutions au désordre qu’ils préconisent. La Rochefoucauld, dans sa réflexion "Du rapport des hommes avec les animaux" (RD XI) se sert, comme La Fontaine, "d’animaux pour instruire les hommes."5 Il répertorie une longue liste de comportements animaux explicitement compares aux conduites humaines. La Rochefoucauld avait lu La Fontaine: en avril 1671, Madame de Sévigné rapports a sa fills qu’elle apprit par coeur la fable du "Sings et du Chat" a la maison du Duc.‘ Il ne reconnait certes aucun d0 a l’auteur des Fables.7 Mais, comme le fait ce dernier, i1 s'attache a décrire ls comportement destructeur, hypocrite et spoliateur de la plupart des animaux. Les hommes, pour La Rochefoucauld, sont alors a la fois sangsues et carnassiers. Ils vivent au dépens des autres, se nourrissent de leur chair et savent parfois étre fourbes. La lists des rapports entre les animaux et les humains s’ouvre ainsi sur une accusation virulente: Combien y a—t-il d’hommes qui vivent du sang et de la vie des innocents, les uns comme des tigres, toujours farouches et toujours cruels, d’autres comme des lions, en gardant quelque apparence de générosité, d’autres comme des ours, grossiers et avides, d’autres comme des loups, l’i hom élc st (101 as CE 108 ravissants et impitoyables, d’autres comme des renards, qui vivent d’industrie, et dont 1e métier est de tromper! (RD XI) De ce passage et du reste de la réflexion se détache l’image de la barbarie des animaux, st en consequence des hommes. L’utilisation de nombreux synonymes parle avec eloquence: les tigres sont "cruels," les loups "ravissants st impitoyables,"8 les chiens "détruisent leur espece," les dogues sont "acharnés," certains singes "font toujours du mal," les crocodiles "feignent de se plaindre pour dévorer ceux qui sont touches de leur plainte." Cette sauvagerie n’est envisageable que dans le rapport avec l’autre: les animaux carnivores qui constituent ici une grande partie de la comparaison de La Rochefoucauld vivent de la substance vitale de leurs victimes. Ils n’existent qu’en fonction de 3 l’autre et uniquement grace a sa faiblesse. La Rochefou- cauld module st rend plus convaincante la comparaison avec la sauvagerie animals en conférant a certains animaux la meme duplicité que celle qui caractérise certains membres de l’espece humaine. Ses animaux, comme les hommes, portent des masques qui trompent l'observateur et la victims. Les lions gardent "quelque apparence de générosité." Certains singes et certaines guenons "plaisent par leurs manieres, ... ont de l’esprit." Mais cela ne les empeche pas de faire du mal. Les crocodiles "feignent de se plaindre" pour arriver a leurs fins. En dépit d’apparences trompeuses, la plupart des animaux de La Rochefoucauld désirent simplement s’assu destru La monde plupa: assuj explo toute loue" Roche des I anim sont les pas Can she les cet fm so co dé 109 s’assujettir les autres, les faire plier sous leur loi destructrice. La société animals que décrit La Rochefoucauld est un monde d’injustice ou seule regne la loi du plus fort. La plupart des animaux y sont soit assujettissants, soit assujettis, dupeurs ou dupes. De plus, ceux qui sont exploités—«comme les chevaux et les boeufs "qui travaillant toute leur vie pour enrichir celui qui leur impose 1e joug"—~le sont par le seul exploiteur possible: l’homme. La Rochefoucauld s’attache cependant a souligner la diversité des comportements et de la population animals. Parce qu’il ne confere de cruauté fonciere qu’a une partie de l’espece animals, il regrette que nOmbreux sont les animaux "qui sont assujettis parce qu’ils ignorent leur force." En fait, contrairement a ce qu’énonce Nicole (G 398), les animaux (-humains) de l’auteur des Maximes ne veulent pas nécessairement tous s’entre-dévorer a tout moment. Certains d’entre eux, comme les oiseaux migrateurs et les abeilles vivent en paix. D’autres, tels que les lapins ou les lievres, sont timorés. La société qu’il dépeint dans cette réflexion est un monde défini par les rapports de force qui existent entre les individus. Son désordre a sa source non dans la diversité apparente des especes et des comportements, mais dans l’instabilité provoquée par le désir qu’a presque chaque individu de vivre au dépens des autres. La Rochefoucauld, qui demeure purement descriptif et accusateur, refuse d’exposer une solution a grande échelle L’équil du désc l’obliI respeC‘ Pou aussi- compar politi "De lI cupid Chacu appri des ] HObe "l’h so), cell d’e: la: Dub dif Roy fiuc Cm Ho‘ 110 échelle ou un systems a meme de rétablir l’ordre. L’équilibre qu’il recommande est fondé sur la constatation du désordre, de la nécessité du rapport a l’autre, et l’obligation de distanciation sur laquelle repose 1e respect des differences. Pour décrire la férocité des hommes, Nicole a lui aussi—-comme La Fontaine st La Rochefoucauld--recours a la comparaison animals. Montrant en quoi consiste l’ordre politiqus que maintiennent les Etats, Nicole remarque dans "De la grandeur" que sans cet ordre "les hommes pleins de cupidité sont pires que des tigres, des ours et-des lions. Chacun d’eux voudrait dévorer les autres" (G 398). "On apprivoise ces betes féroces,’ poursuit-11, "par le moyen des lois et des polices" (G 398). La silhouette de Thomas Hobbes se dessine: sans stabilité politiqus st sociale, "l’homme est un loup pour l’homme."° On connait 1e retentissement des idées de Hobbes.lo Son séjour a Paris--en 1636-1637--durant lequel il fréquenta la cellule du Pere Mersenne,11 puis les plus longs séjours d’exil qu’il y effectua entre 1640 st 1650 ont, tout comme 1a premiere edition du De Give a Paris en 1642 et la publication du Leviathan en 1651,12 contribué a la diffusion de ses theories. L’on sait que le cercle de Port- Royal a eu connaissance de ces deux ouvrages.13 Il ne fait aucun doute que Nicole ait lu ou parcouru au moins l’un de ces deux livres puisqu’il fait explicitement reference a Hobbes dans "De la charité et de l’amour-propre" (CAP 180) et in la 3] morai poin poir phi] fraI ind N01 pro is Ph. hu ne dé 111 et implicitement dans d'autres essais, notamment dans "De la grandeur" (G 397). Comme Hobbes, l’auteur des Essais de morale construit sa morale de vie en société a partir d’une vue particulierement pessimiste de la nature humains. Le point de depart de Hobbes semble avoir frappé Nicole, a tel point que celui-oi emprunte presque mot pour mot au philosophe anglais certaines images st expressions. Que ce soit chez Nicole ou chez beaucoup d’auteurs francais du dix-septieme siecle, l’influence directs ou indirecte de Hobbes ne saurait etre occultée. L’Alceste de Moliere se refuse a vouloir casser le jugement de son proces pour avoir le "droit de pester contre l'iniquité de la nature humaine."14 La barbarie humaine, explique-t—il a Philinte, l'oblige a se retirer du monde: "Puisque entre humains ainsi vous vivez en vrais loups, / Traitres, vous ne m’aurez de ma vie avec vous.“5 La Bruyere questionne st dénonce la formulation habituelle "l’homme est un animal raisonnable."1‘ De leur cGté, La Fontaine—-bien qu’il n’exclue nullement que la bonté humaine puisse exister17-- et Pascal accusent en l’homme la meme cruauté que celle qui fait les prémisses de la théorie politiqus de Hobbes. Les creatures de La Fontaine, nous l’avons vu, se livrent a "une guerre éternelle," "a perpetuall flg;"1° qui, dans le cas des chiens, chats et souris, met en danger la preservation de l’sspece19--on voit dans la fable que "le peuple souriquois" fait les frais de la querelle. Le ompagnon d’Ulysse qui a été transformé en loup par le breuvag' homme d dernier 19 car: tous: , Pascal haissei accuse qui mi revier quoi l conse' Nanne Bossu perg Une si; ins en dép 881 112 breuvage de Circée et a qui Ulysse propose de redevenir homme dans la fable "Les compagnons d'Ulysse" rétorque 5 cs dernier: "Si j’étais homme, par ta foi, / Aimerais—je moins le carnage? / Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous: / Ne vous étes—vous pas l’un a l’autre des loups?"3° Pascal, lui, déclare brutalement: "Tous les hommes se haissent naturellement l’un l’autre" (Pensées 451). II accuse 1e "désir de domination, universel" (Pensées 332) qui mine la société humaine. La tyrannie, selon lui, revient a "vouloir régner partout" (Pensées 332), es en quoi Hobbes voyait le signs inevitable de l’instinct de conservation ou d’une délsctation personnellefl1 De plus, Nannerl Keohane le montre bien, certains passages de Bossuet sur la défense de la monarchie absolue dans la Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture saints l I l l I D attestent une influence hobbésienne.22 L'Evéque de Meaux, comme les autres, avait lui aussi vu que "C’est ainsi que ,sont les hommes, naturellement loups les uns aux autres."23 Nicole, quant a lui, reprend également a Hobbes l’image dds la férocité fonciere qui définit la nature humaine. Il Ipercoit la description des rapports sociaux de Hobbes comme une representation adequate des vicissitudes humaines, meme psi l’auteur des Essais de morale se refuse a la tenir pour 4 juste (CAP 180). Comme Hobbes et Pascal (Pensées 477),34 11 Wen dénonce 1e désordre social subsequent. Cette vl' 5dénonciation-~dont Hobbes faisait plutét une constatation—— l psert de fondement a l’élaboration de sa morale sociale. SommI more néan de l Arti 3ng déVI les 209 lee prI biI 113 Somme toute, si leurs doctrines politiques, théologiques st morales opposent Hobbes a Nicole, on leur retrouve néanmoins un but commun: l’établissement et la conservation de la paix en société. "Reason suggesteth convenient Articles of Peace, upon which men may be drawn to agreement,"25 écrit Hobbes dans son Leviathan avant de développer sa théorie de pacte social. Nicole, lui, cherche les "moyens de conserver la paix avec les hommes,‘ comme l’indique le titre d’un de ses principaux essais (PH 209).26 L’essentiel de son anthropologie sociale repose sur les remedes qu’il propose pour lutter contre ce qui peut provoquer le désordre social. Ainsi, comme l’exPrime tres bien E.D. James, The interest of a study of Nicole’s thoughts on authority and the moral basis of society lies in his combining a considerable pessimism concerning human nature with a strong feeling for the natural virtues which make for social order."37 Tant en ce qui concerne Nicole que La Rochefoucauld, il semble que l’influence possible de Hobbes ou tout du moins du climat de pensée qu’il put déclenchsr doive étre mise en evidence. Hobbes part du constat du désordre de facon a batir st a établir l’ordre politiqus. La Rochefoucauld et Nicole adoptent la meme démarche. En les étudiant successivement, nous examinerons plus particulierement 1e cheminement ds leur pensée et la maniere dont leur volonté xpresse consiste a proposer des solutions pour obvier aux éséquilibres des rapports en société. CellI par Font leur de 1 (RD at s obl Hob Roc la1 seI la 38 8C 114 La Rochefoucauld ne voit guere d’ordre dans la société. Celle—ci est irrémédiablement troublée et détruite (RD III) par l’amour-propre de chaque individu. Comme chez La Fontaine, les hommes "nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur preoccupation, ou par leur peu de lumiere" (M 268). Meme si tout le monde n’est pas cruel (RD XI), chacun veut établir sa force par rapport a l'autre et se l’assujettir. En ce sens, l’on peut noter un rapport oblique entre le point de départ pessimiste des théories de Hobbes et la constatation sans concession que fait La Rochefoucauld sur la nature des rapports humains.33 Il n’est pas étonnant que les rationalistes et les latitudinaires anglais, Shaftesbury le premier, aient non seulement critique La Rochefoucauld comme étant peintre de la nature égoiste des hommes, mais qu’ils l’aient également associé a Hobbes et a Bernard Mandeville.29 Si les hommes sont cruels, chez La Rochefoucauld, ils le sont primordialement dans leurs rapports sociaux, dans leur comportement avec autrui. Une des maximes du Manuscrit de Liancourt met particulierement l'accent sur la cruauté dont font preuve les hommes. "Peu de gens sont cruels de cruauté, mais tous les hommes sont cruels st inhumains d’amour—propre" (L 176), écrit La Rochefoucauld. La collectivité se retrouve donc ici taxes d’une cruauté moins naturelle que provoquée par l’amour-propre. Par cette barbaric, qu’il faut uniquement attribuer a ce dernier, la collectivité a perdu toute humanité. Elle est réduite s l’ éta magi! Menu: de 0 sur subi hunt 115 l’état animal. La maxime 174 de la premiere edition des Maximes offre une version remaniée de cette maxime du Manuscrit de Liancourt: "La férocité naturelle fait moins de cruels que l’amour-propre" (RM1 CLXXIV). L’accent place sur la déshumanisation effectuée par l’amour-propre n’a subi aucune modification. La cruauté de beaucoup d’etres humains continue a etre provoquée par l’amour-propre. Cette maxime fut supprimée par l’auteur dans les editions subséquentes, le pouvoir avilissant de l’amour- propre y étant peut-etre trop clairement évoqué. Cependant, bien qu’il en atténue la forme dans les Maximes, La Rochefoucauld ne la dément pas. Il conclut sa réflexion "Des événements de ce siecle" en rappelant que "Les vices sont de tous les temps, les hommes sont nés avec de l’intéret, de la cruauté et de la débauche" (RD XIX). Certes, les Maximes occultent la notion de cruauté innée des hommes, meme si la maxime 230 souligne "la malignité de notre nature." Elles mettent avant tout l’accent sur l’esprit foncierement calculateur--bien que ce soit de maniere inconsciente--et l’implacabilité provoquée par l’amour-propre dont fait preuve chaque individu a l’égard des autres. Alors que la cruauté naturelle et restreinte a quelques individus établit les differences—-a chaque homme impitoyable et acharné doit correspondre un pair bienveillant, bon et humain——la férocité introduite par l’amour-propre crée une indifférenciation destructrice des relations sociales. Tous les etres humains, atteints du meme ma] Le dI problem soit de Rochefo réflexi gens dI prescr: exposé A l’A Parts trah: Visiu que "Cel Pass t-il Voul soc et 116 meme mal, se ressemblent. Le debut de la réflexion "De la société" resume tout le problems de l’ordre et du désordre collectif qui découle soit de la différenciation, soit de l’indifférenciation. La Rochefoucauld ss donne pour tache de ne parler dans cette réflexion "que du commerce particulier que les honnetes gens doivent avoir ensemble" (RD II). Les remedss qu’il prescrit dans cette réflexion sont précédés d’un succinct expose de l’état pathologique des rapports sociaux: Il serait inutile de dire combien la société est nécessaire aux hommes: tous la désirent et tous la cherchent, mais peu se servent des moyens de la rendre agréable et de la faire durer. Chacun veut trouver son plaisir et ses avantages aux dépens des autres; on se préfere toujours a ceux avec qui on ss propose de vivre, et on leur fait presque toujours sentir cette preference; c’est ce qui trouble et qui détruit la société. (RD II) A l’Alceste de Moliere, enrageant et enragé, qui ne "trouve partout que lache flatterie, / Qu’injustice, intéret, trahison, fourberie" et dont le "dessein / Est de rompre en visiere avec le genre humain,"3° La Rochefoucauld répond que la société en elle-meme n’est nullement condamnable. "Celui qui croit pouvoir trouver en sci-meme de quoi se passer de tout le monde se trompe fort" (M 201), rappelle- t-il, poursuivant plus loin: "C’est une grande folie de vouloir etre sage tout seul" (M 231). L’homme est l’etre social par excellence et se reconnait comme tel: il désirs st cherche la société. Néanmoins, i1 met aussi en danger la vie coll menacée "douce" éternel chose 1 désordr A la l’amou: indéfi précéd instau l’ense ("on"‘ voulaI diffé l'aut lui), exce; l’aut Est faiI qui de 117 vie collective. La société, selon La Rochefoucauld, est menacée de disparition. Certes, elle peut meme etre rendue "douce" et "commode" (RD II). Mais son existence n’est pas éternelle: il faut 1a faire "durer." En effet, quelque chose la "trouble et ... [la] détruit," introduit le désordre destructeur. A la source de ce désordre, on trouve d’une part l’amour-propre, mais aussi le collectif. Les pronoms indéfinis, dans le deuxieme paragraphs de "De la société" précédemment cité, suggerent 1e passage du désordre instauré par la personne prise individuellement dans l’ensemble collectif ("chacun") au collectif en général ("on" . La faute passe de l’individuel au collectif. Chacun voulant vivre, étre "au dépens des autres,’ st désirant se différencier des autres ("on se préfere toujours" a l'autre, done on se considere intrinsequement supérieur a lui), les differences sont justement effacées. Chacun, sans exception—-le pronom indéfini le prouve—-ressemble a l’autre. Rien ne les distingue. Le 2g n‘est plus qu’un, un "un" indéfini, le collectif indifférencié.31 Comme dans les tragedies grecques étudiées par René Girard, "Chacun ... recourt aux memes tactiques, utilise les memes moyens, vise la meme destruction de son adversaire."32 L’ordre culturel est menacé par l’sffritement des differences. En effet, fait remarquer Girard, "ce sont les écarts différentiels qui donnent aux individus leur 'identité’, qui leur permst e se situer les uns par rapport aux autres."3’ Nous allons le vo "‘fre en mi such Mais dens Les Roc Ce ra di 17 118 le voir, les hommes, chez La Rochefoucauld, sont des "'freres ennemis’ [qui] n’occupent jamais la meme position ' mais qui "occupent ces memes positions en meme temps,’ successivement."34 Leurs differences sont superficielles. Mais ils se renvoient toujours la meme balls. En effet, dans cette société, Il n’y a jamais rien d’un cote du systems qu’on ne finisse par retrouver de l’autre pourvu qu’on attends assez longtemps....Plus les coups se précipitent, plus il devient clair qu’il n’y a pas la moindre difference entre ceux qui se les portent, alternativement.35 Les écarts différentiels entre les individus, chez La Rochefoucauld, semblent surtout etre établis par des éléments extérieurs, comme la nature ou la fortune. Cependant, ces écarts s’effacent primordialement dans les rapports sociaux. Tout 1e problems de l’atténuation des differences qui met en danger l’ordre culturel nait de l’indifférenciation créée par les passions et par l’amour- propre régnant au sein de chaque individu. Somme touts, les hommes se ressemblent tous étrangement. Les differences entre les héros et le commun des hommes sont relativement limitées. Dans 1a premiere édition des Maximes, la supériorité de grands desseins établissait a elle seule la grandeur d’fime et l’écart séparant la grande ems de l’ame commune: "Les grandes ames ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertu que les ames ommunes, mais celles seulement qui ont de plus grands desse des M entre dons cettI sont la n fait dens for‘ pré ava mai noI dm as 08 (D) 119 desseins" (RM1 CLXI). La maxime 62 de la premiere edition des Maximes avait également constate l’indifferenciation entre les héros et le commun de l’humanité, en dépit des dons de la nature. Le facteur de différenciation, dans cette maxime, est extérieur. Les héros ns se font pas; ils sont faits par la fortune: "Quelques grands avantages que la nature donne, ce n’est pas elle, mais la fortune qui fait les héros" (RM1 LXII), uns idée par ailleurs reprise dans la réflexion "Des modeles de la nature et de la fortune" (RD XIV). La version definitive de cette maxime présente une attenuation sensible: "Quelques grands avantages que la nature donne, ce n’est pas elle gggle, mais la fortune avec elle, qui fait les héros" (M 53, c'est nous qui soulignons). En tout état de cause, les héros ont dans les deux versions un statut passif qui les rendrait assimilables au reste des hommes sans l’intervention de certaines circonstances extérieures. Ce sont la nature et la fortune qui déclenchent les differences: "l’une et l’autre concourent de temps en temps a faire des hommes extraordinaires et singuliers, pour servir de modeles a la posterité" (RD XIV). Les écarts différentiels peuvent aussi etre provoqués, comme ls montrent la maxime 53 et la réflexion XIV, et déclenchés par la volonté (RM1 CLXI). Néanmoins, la maxime 24 confere également aux héros une pietre distinction initials. Les héros ont une ambition d’une force bien supérieure a celle de leur ane--bien que l’intrépidité et la parfaite valeur puissant quelquefois exist aide infor cond de 1 gram infc is s 30!) cos "1 di in El 120 exister (M 215, 217). C’est bel st bien cette ambition qui aide les grands hommes a supporter "la longueur de leurs infortunes" (M 24). Cependant, elle nivelle aussi les conditions, dérobe a chacun 1a faculté de se différencier de l’autre. Lorsqu’on la voit céder et que justement les grands hommes "se laissent abattre par la longueur de leurs infortunes," (M 24) une seule conclusion s’impose, celle de la similarite de tous: "a une grande vanité pres les héros sont faits commme les autres hommes" (M 24). En fait, les passions les plus violentes sont toutes les memes et égales chez les hommes. Seul les différencie 1e contexts dans lequel elles sont déployées. Ainsi, "l’orgueil est égal dans tous les hommes, et il n’y a de difference qu’aux moyens et a la maniere de le mettre a jour" (M 35). Certes, il est autant d’especes d’hommes que de passions dominantes (RD XI). Mais le commun dénomitateur est l’attachement exclusif que chacun a a sa propre personne et a sa soi-disant supériorité. Cet amour-propre se cache derriere les vertus que chaque individu essais de faire valoir. En dépit d’apparences bienveillantes, chaque homme.tente de dominer l’autre afin de préserver sa propre contenance. De l’identite du désir de domination régnant chez chaque individu nait forcément l’instabilité sociale, comme 1e montre le debut de la réflexion "De la société" (RD II). Chacun entend démontrer sa supériorité a l’autre, pour mieux dissimuler son infériorité, ainsi que nous l’avons vu dans le triompl est on be me dont fidél et dI impo: expl Quan Roch ConI dés: son att rés 121 dans le chapitre precedent, et sauvegarder son moi. Pour triompher de l’autre, tous les moyens sont bons. La bonté est un procédé parmi d’autres pour atteindre son but: 11 semble que l’amour—propre soit la dupe de la bonté, st qu’il s’oublie lui-meme lorsque nous travaillons pour l’avantage des autres. Cependant c’est prendre le chemin le plus assure pour arriver a ses fins; c’est preter a usure sous pretexte de donner; c’est enfin s’acquérir tout le monde par un moyen subtil et délicat. (M 236) De meme, "L’humilité n’est souvent qu’une feinte soumission dont on se sert pour soumettre les autres" (M 254). La fidélité "est un moyen de nous élever au-dessus des autres, et de nous rendre dépositaires des chosss les plus importantes" (M 247). La valeur militaire est meme expliquée par "l'envie d’abaisser les autres" (M 213). Quant a la curiosité d’orgueil, comme la nomme La Rochefoucauld, elle fonctionne de la meme maniere: contrairement a la curiosité d’interet, elle "vient du désir de savoir ce que les autres ignorent" (M 173). La meilleure maniere de faire valoir la supériorité de son moi et de conjurer les dangers encourus par une telle attitude consiste dans la dissimulation. En elle seule reside la rancon du succes—-c’est-a-dire 1e contentement de l’amour-propre. En effet, "les hommmes ne vivraient pas longtemps en société s’ils n’étaient les dupes les uns des autres" (M 87). Cette maxime, qui n’apparut que dans la cinquieme st derniers edition des Maximes, suggere d’une part 1e peril (voir 1e conditionnel) dans lequel la société se tr d’aut hunai prone l’ac‘ alor indi l’uI aim gra alt 10I lo 122 se trouverait si la duperie n’était pas réciproque et d’autre part évoque 1e mouvement giratoire des rapports humains. Le substantif attribut du sujet "dupes,' ajoute au 9 pronominal "les uns des autres,’ met moins l’accent sur l’action elle-meme (1e verbe pronominal "duper" aurait alors pu etre utilise) que sur le statut rotatif de chaque individu. Chacun est e son tour dupe et dupe. C’est ainsi que dans la plupart des relations humaines l'unilatéral devient inévitablement réciproque. "Nous aimons toujours ceux qui nous admirent" (M 294); rien n’est gratuit. Par les flatteries, chacun joue le meme jeu, alternativement: "On ne loue d’ordinaire que pour etre loue" (M 146). Sans l’admiration de l’autre (et donc ses louanges implicites) on ne peut louer: "Nous ne louons d’ordinaire de bon coeur que ceux qui nous admirent" (M 356). Les louanges revelent en fait le peu de consideration pour autrui dont fait preuve celui qui flatte. Le but du "flagorneur" consiste a etre paye de retour, ainsi que le soulignent la maxime 85 et la petite série de maximes sur les louanges (M 143-150) commencant par la maxime suivante: C’est plut6t par l’estime de nos propres sentiments que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par l’estimevde leur mérite; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsqu’il semble que nous leur en donnons. (M 143) La motivation est similaire chez chaque individu. L’echange de flatteries ou de louanges équivaut a un troc: "la flatterie est une fausse monnais qui n’a de cours que par . _._—__._ notre va représen louanges plus no) est sou‘ témoign respect l’amour flatter reveni le jeu rente. rencie louan, 123 notre vanité" (M 158). Quant a la magnanimité, elle represents "1a voie la plus noble pour recevoir dss louanges" (M 285). De meme, tout, jusqu’aux sentiments les plus nobles, est ambition. Ainsi, "L’aversion du mensonge est souvent une imperceptible ambition de rendre nos témoignages considérables, et d’attirer a nos paroles un respect de religion" (M 63). L’intérét personnel et l’amour-prOpre deviennent des lois generales qui font de la flatterie la balls qu’on se renvoie et que l’on veut voir revenir a soi dans un echange sans fin. Superficisllement, le jeu peut contenter chaque individu de maniere diffé— rente. Cependant, les partenaires sont toujours indiffé- renciés par le sentiment de supériorité qu'ils tirent des louanges données ou recues: On n’aime point a louer, et on as loue jamais personne sans intéret. La louange est une flatterie habile, cachée, et delicate, qui satisfait différemment celui qui la donne, et celui qui la recoit. L’un la prend comme une recompense de son mérite; l’autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement. (M 144) L’echange demeure irrémédiablement alternatif. La balls rebondit et tout équivaut a un echange interminable auquel on ne peut échapper et que chacun sait pourtant exploiter a son profit: La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui. C’est une habile prévoyance des malheurs ou nous pouvons tomber; nous donnons du secours aux autres pour les \ engager a nous en donner en de semblables Chacu escie suggI at q reco donr sh di co 87' 124 occasions; et ces services que nous leur rendons sont a proprement parler des biens que nous nous faisons a nous-memes par avance. (M 264) Chacun son tour, on utilise la meme tactique. C’est a bon escient que La Rochefoucauld adopte l’image du commerce, suggérant le négoce que représentent les relations humaines et qui determine ls comportement a l’egard d’autrui. La reconnaissance fonctionne donc comme les louanges. On ne la donne que pour qu’elle soit payee de retour: Il est de la reconnaissance comme de la bonne foi des marchands: elle entretient ls commerce; et nous ne payons pas parce qu’il est juste de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prétent. (M 223) Tout commerce, cependant, n’est pas nécessairement un simple echange de bons procédés base sur le respect de la difference de l’autre. Il represents bien souvent un commerce de relations sociales par lequel chaque individu entend vendre ou acheter a profit. L’amitié est "un commerce ou l’amour-propre se propose toujours quelque chose a gagner" (M 83). La joie eprouvée devant le bonheur de nos amis ne saurait meme etre desinteressée: "c’est un effet de l’amour-propre qui nous flatte de l’espérance d’etre heureux a notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune" (MS 17). La marge bénéficiaire, dans l’echange, contente forcément l’amour—propre de celui qui veut tirsr profit de ses actions. Tout est impercepti- blement calculé. Lion constate ainsi un fossé semblable entre qui I Le cré les le ma 125 entre les apparences et la réalité dans l’attitude de celui qui donne des conseils et celui qui les demands: Rien n’sst moins sincere que la maniere de demander et de donner des conseils. Celui qui en demands parait avoir une deference respectueuss pour les sentiments de son ami, bien qu’il ne pense qu’a lui faire approuver les siens, et a le rendre garant de sa conduite. Et celui qui conseille pays 1a confiance qu’on lui témoigne d’un zele ardent et desinteressé, quoiqu’il ne cherche le plus souvent dans les censeils qu’il donne que son propre intéret ou sa gloire. (M 116) Le parallele des constructions suggere l’indifférenciation créée par l'amour-propre. Les pronoms démonstratifs tous les deux suivis par une relative ("celui qui") introduisent les deux phrases de demonstration de l’argument de la meme maniere et laissent penser a l’exacte analogie entre celui qui demands et celui qui donne des conseils. Les proposi- tions circonstancielles de concession introduites par les locutions conjonctives "bien que" et "quoique,' et chacune places a la fin de la phrase pour donner plus de poids a l’argumentation, viennent corroborer le parallélisme. Ces deux constructions démontrent que l’amour—propre ns peut trouver satisfaction que dans le contexts d’une relation binaire. L’echange existant entre celui qui donne st celui qui demands represents 1a condition sine qua non au contentement de chacun. Le but de l'échange ne distingue guere les partenaires. Chacun applique son attention a ses propres intérets, comme le prouve la double utilisation, dans chaque phrase, des pronoms et adjectifs possessifs, l’app: évide Né du cc base main ména offi rema amél NiI na pa fc 126 l’appartenance exclusive étant particulierement mise en evidence dans la derniers phrase par l’adjectif "propre." Néanmoins, La Rochefoucauld ne nie aucunement les vertus du commerce des relations humaines. Bien au contraire, i1 y base toute son éthique sociale, ainsi que le prouve la maxime 83.,L’amitié n’est ainsi "qu’une société, qu’un menagement réciproque d’interets, et qu'un echange ds bons offices" (M 83). Mais, la maxime 81 Is fait tres bien remarquer, c’est un commerce ordonné ou la reciprocite est aménagée, malgré la presence de l’amour-propre: Nous ne pouvons rien aimer que par rapport a nous, et nous ne faisons que suivre notre gout et notre plaisir quand nous préférons nos amis a nous-memes; c’est néanmoins par cette preference seule que l’amitie peut etre vraie st parfaite. (M 81) Nicole fera echo a La Rochefoucauld en remarquant que nous naissons avec "une volonté ... incapable de rien aimer que par rapport a nous" (EHD 347) mais il n’y verra pas le fondement de l’amitié. Les conflits naissent du défaut de concession chez La Rochefoucauld. Il suggere qu’un individu comprend, en se mettant d’accord avec autrui, l’écart differentiel qui les separe. C’est en faisant étalage de son amour-propre que l’on introduit un déséquilibre qui déclenche une sorte de malaise social inevitable. Celui qui trompe doit s’attendre a etre trompe: "on n’est jamais si aisément trompe que quand on songs a tromper les autres" (M 117). L’amitié, par contre, sait établir occulte l’intér L’ir l’amoui raméne tres p sociét prOpre qu’ens poten‘ mains 127 établir la juste balance dss rapports parce que, sans occulter son propre intéret, on parvient a ménager l’intéret antagonists de l’autre. L’instabilité de la société a done son origine dans l’amour-propre qui indifferencie chaque individu, qui ramene le collectif au "un" indifférencié, comme le prouve tres précisément 1e debut de la deuxieme réflexion, "De la. société." De meme la longue maxime supprimée sur l’amour— propre établit-elle d’une part l’indifférenciation qu’engendre l’amour—propre st d’autre part le danger social potentiel qui pourrait résulter si ce dernier avait les mains libres: L’amour-propre est l’amour de sci-meme, et de toutes les choses pour soi; i1 rend les hommes idolfitres d’eux-memes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens. (MS 1) Alors que le reste de la maxime consiste en une longue personnalisation, l’essentiel des verbes utilises étant des verbes d’action ou la copule etre, 1e debut de la maxime --c’est-a-dire la definition de l’amour-propre--confere a celui—oi, grace au verbe d’état "rendre" un statut particulier. L’amour-propre modifie presque a lui seul ls comportement des hommes. Le pronom personnel singulier "il," l'Oppose au plurisl du complement d’objet direct "les hommes" pour insinuer son ascendant exceptionnel sur le collectif. Ls plurisl "les hommes" exclut toute exception, ce qui semble corroboré par le temps present intemporel du verbe 1a dé la mI rend bien anar Lafc hmm che sel étr égI mé II pr (___—_———— 128 verbs "rendre" suggérant une sorte de validité éternelle de la définition.3° Bien que La Rochefoucauld utilise 1e conditionnel dans la maxime supprimée sur l’amour—propre ("il ... les rendrait les tyrans des autres [MS 1]), i1 constate bel et bien dans "De la société" que l’état social doit son anarchie et son désordre 5 cs meme amour-propre qui, Jean Lafond le remarque fort bien, "tend aussi a les [les hommes] rendre 'lss tyrans des autres’, chaque mg; ne cherchant, selon notre auteur [La Rochefoucauld] comme selon Hobbes, qu’a s’affirmer au detriment des mg; étrangers,"37 comme d’ailleurs Pascal le constatait également.38 Or, pour La Rochefoucauld, "le plus grand mérite" de la société est de ressembler a l’amitié (RD II). C’est précisément sur ce modele qu’il dessine son projet d’aménagement du désordre car 1e commerce de l'amitié consiste en un echange particulierement bien ordonné (M 83) on l’amour-propre n’est pas éliminé mais semble contr6le. L’amour-propre, "le plus grand de tous les flatteurs" (M 2), "Plus habile que le plus habile homme du monde" (M 4), fait partie integrante de la société humaine et regne puissamment (voir notamment ls superlatif [M 2]) sur tout, Jusque dans l’amour (M 262, 500). On ne peut s’en défaire. Trouble-fete, il est indéfinissabls st insaisissable mais en meme temps "est dans tous les etats de la vie, et dans toutes les conditions; il vit partout, st i1 vit de tout, 11 vi h6te, les I 9409‘ 0818 Rock Bras imaI La 0 e 11 Ses 129 il vit de rien" (MS 1). Il vit également au dépens de son h6te, "ne s’arret[ant] dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer cs qui lui est propre" (MS 1). En somme, il possede toutes les caractéristiques du parasite. Tel l’organisme biologique, il a sa propre existence, et se trouve dote par La Rochefoucauld d’une existence humaine: "dans ses plus grands intérets ... il voit, i1 sent, il entend, il imagine, il soupconne, i1 pénetre, il devine tout" (MS 1). La collectivité est coupable d’etre contaminée. Finalement, c’est lui "qui trouble et qui détruit la société" (RD II). II ressemble d’ailleurs curieusement au parasite de Michel Serres et fonctionne de la meme maniere: L’action du parasite est d’aller a la relation. Il va, d’instinct, aux médiations et les occupe toutes. Il intrigue. Ce tiers, il faut le dire, est inclus. Il est inclus par le maitre en sa propre maison, il est distributivement inclus en tout rapport. Il intercepts tous les liens entre toutes les places. I1 capte les flux. Il est le tiers inclus.39 L’amour—propre, Lafond 1e souligne bien, "est ... cette donnée immediate, inscrite dans notre etre biologique lui— meme, qui nous constitue comme individu."‘° Au sein de chaque individu, l’amour-propre est un parasite, mais surtout un parasite avec lequel l’on nait. C’est la la raison pour laquelle on ne peut s’en débarrasser: "Il est trop naturel en nous pour nous en pouvoir défaire" (RD II). Or, si le parasite amour-propre avait bouleverse un ordre établi I l’ordre 18.119149 de 1a 3 de donn reprend peut et donc nI son am. La la rép hommes celui maxim. éditi de Li lei Dou d’a 130 établi par son intrusion, son exclusion pourrait rétablir l’ordre détruit par sa presence, comme cela se passe dans Tartuffe. Inscrit dans l’etre biologique de l’individu st ds la société, ls parasite amour-propre fait presque figure de donnée genetique, de tiers a jamais inclus, pour reprendre l’expression de Serres. Il est inclus mais ne peut étre exclu. La question poses par La Rochefoucauld est donc non celle du rétablissement de l’ordre mais celle de son aménagement. La stabilité des relations humaines doit etre regles par la repression de l’amour-propre. Sans cette repression, les hommes vivraient dans un état de guerre perpétuel proche de celui que condamne Hobbes,u ainsi que le suggeraient la maxime 88 de la premiere édition--supprimee des la deuxieme edition des Maximes-—et sa version plus longue du Manuscrit de Liancourt: La justice n'est qu’une vive apprehension qu’on nous 6te ce qui nous appartient; de 1a vient cette consideration et cs respect pour tous les intérets du prochain st cette scrupuleuse application a ne lui faire aucun prejudice. Sans cette crainte qui retient l’homme dans les bornes de biens que la naissance ou la fortune a donnés, pressé par la violente passion de se conserver, comme par uns faim enragée, i1 ferait des courses continuellement sur les autres. (L 109) Devant la férocité animals des etres humains poussés par le seul instinct de conservation, une solution s’impose pour "maintenir la société" (RD II). La seule facon d’aménager le désordre reside, pour La Rochefoucauld, dans une more volonta: A 1’inI consta etre 1 La Roc (l’hor Uh art dimen: L’har régle (RD 1 Ceper True) fut j ease acce Vivr 800i Pas 300: 131 une morale individuelle de dissimulation consciente et volontaire de l’amour-proprez42 Il faudrait du moins savoir cacher ce désir de preference, puisqu’il est trop naturel en nous pour nous en pouvoir défairs; il faudrait faire son plaisir et celui des autres, menager leur amour-propre, st ne ls blesser jamais. (RD II, c’est nous qui soulignons.) A l’indifférenciation du collectif entierement et constamment parasite par le meme tiers, la réponse doit etre individuelle. Le commerce ideal des honnetes gens de La Rochefoucauld consiste alors en un art de vivre (l’honneteté) et de préserver la société. L’honnétete étant un art de vivre, "on ne peut s’étonner qu’ells comporte une dimension esthétique," rappelle a juste titre Lafond.“3 L’harmonie presque musicals par laquelle chacun devrait régler, "accorder son air et ses manieres avec sa figure" (RD III) s’inscrit bien sfir dans cette dimension. Cependant, ainsi que le signals a juste titre Jacques Truchet: "Peut-etre cette 'honneteté’ dont La Rochefoucauld fut le théoricien et le modele consiste-t-elle essentiellement en cela: aménager la vie pour la rendre acceptable."H En fait, chez l’auteur des Maximes, l’art de vivre est, comme 1e dit Truchet, "essentiellement social.“5 La dimension esthétique de l’honneteté ne resout pas en elle—meme la problématique du désordre dans la société. Hobbes voyait dans l’établissement d’un "Common Power," auque their of me voice déso: indi est Cons and eve: Nic 801' for de in 132 auquel pourraient arriver les hommes en conférant "all their power and strength upon one man, or upon one Assembly of men, that may reduce all their Wills, by plurality of voices, unto one Will,"u la seule solution possible au désordre social. Si chacun renonce a son pouvoir individuel, par une sorte de procuration, la paix sociale est établis. Seule demeure l’unité: "This is more than Consent, or Concord; it is a reall Unitie of them, in one and the same Person, made by Covenant of everyman with every man."H La Rochefoucauld-—et, nous 1e verrons, Nicole-—concoit l’aménagement social selon la meme idée d’engagement presque contractuel auquel devrait se soumettre chaque membre de la collectivité, pour le bon fonctionnement social de celle—ci.48 A l’harmonie intérieure st extérieurs de chaque individu (RD III) devrait correspondre l’harmonis des relations humaines. Pour parvenir a l’aménagement du désordre, chaque individu doit donc dissimuler son amour-prOpre, tenter de renoncer a la tyrannie de son moi. Ne pouvant cependant occulter son amour—propre, chacun doit parvenir a "faire son plaisir et celui des autres" (RD II). Le rapport avec l’autre a donc besoin d’etre réglé sur le rapport a soi, ainsi que le suggere le fonctionnement de l’amitié (M 81). Le contr6le de l’amour—proprs s’exerce par l’établissement de bornes excluant tout exces. Ainsi, "La complaisance est nécessaire dans la société, mais elle doit avoir des bornes: elle devient une servitude quand elle est excessi "plait confial honnetI de sag s’agit d’ordi Rochei Parfl Roch modé tout inde Chas et per 981 dof dh II 133 excessive" (RD II). Résidu de l’amour-propre puisqu’elle "plait toujours a celui qui la recoit" (RD V), la confiance—~bien qu’elle soit indispensable au "commerce des honnétes gens" (RD II)—-a aussi besoin d’étre retenue dans de sages limites parce que, lorsqu’on la pratique, "il ne s’agit pas de nous uniquement, et nos interéts sont mélés d’ordinaire avec les intérets des autres" (RD V). La Rochefoucauld énonce ainsi: Je ne pretends pas détruire par ce que je dis la confiance, si nécessaire entre les hommes puisqu’elle est le lien de la société et de l’amitie, je pretends seulement y mettre des bornes, et la rendre honnete et fidele. Je veux qu’elle soit toujours vrais et toujours prudente. (RD V) Devant le fiel d’Alceste, Philinte rétorquait que "La parfaite raison fuit toute extrémité."" Comme Philinte, La Rochefoucauld se fait l’avocat de la sobriéte et de la moderation. I1 veut encourager les hommes a se detacher de toute servitude excessive en sauvegardant leur indépendance: "Pour rendre la société commode, il faut que chacun conserve sa liberté" (RD II). La société est "regles et soutenue ... par des égards qui doivent etre entre les personnes qui veulent vivre ensemble" (RD II). Les abus s’en trouvent proscrits: ceux qui ont "de la supériorité par la naissance ou par des qualités personnelles ... n’en doivent pas abuser" (RD II). C’est uniquement au prix d’efforts personnels "pour rendre la société commode" (RD 11) que la cacophonie est evitée: mis l’ut faut int] con que con V9) 134 On peut prendre des routes diverses, n’avoir pas les memes vues ni les memes talents, pourvu qu’on aide au plaisir de la société, et qu’on y observe la meme justesse que les différentes voix et les divers instruments doivent observer dans la musique. (RD II) Le comportement a adopter consiste en un savant dosage mis en evidence, notamment dans la seconde réflexion, par l’utilisation que fait La Rochefoucauld des injonctions "il faut...," atténuées par des restrictions ou des corrections introduites par la conjonction "mais" ou la locution conjonctive "sans que": "il faut se pouvoir séparer, sans que cette separation apports de changement....Il faut contribuer ... au divertissement des personnes avec qui on veut vivre; mais il ne faut pas étre toujours..." (RD II). L’essentiel demeure, dans l’amitié et par extension dans toutes relations sociales, de "garder beaucoup de mesure" (RD II). Cette mesure trouve son prolongement dans la prudence qui permst de parer a tous les dangers et oblige a respecter l’autre sans cependant lui laisser trop d’ouverture. La prudence permst d’éviter l’immodération tout en sauvegardant ses intérets. Le vrai honnete homme est ainsi celui qui "ne se pique de rien" (M 203), celui que rien--pas meme l’amitié et la fidélité (RD V)—-ne saurait ebranler. Et l’honneteté consiste en la combinaison d’une méthode circonspecte de contr6le de soi et du désir de respect de soi: un honnete homme ... doit non seulement menager ses paroles et ses tons, il doit encore menager A la II)--u1 dont 0‘ (RD IV meme e veut e faire IV). 1 céder "11 f donne Pe des I gardI Prés Mai 135 ses conjectures, st ne laisser jamais rien voir, dans ses discours ni dans son air, qui puisse tourner l’esprit des autres vers ce qu’il ne veut pas dire. (RD V) A la mesure, la Rochefoucauld ajoute 1a distance (RD II)-—un des procédés permettant de cacher l’amour-propre-- dont chacun doit faire preuve dans l'art de la conversation (RD IV). Chacun doit se montrer reserve a l’égard de soi- méme et d’autrui: "Il faut écouter ceux qui parlent, si on veut étre écouté; i1 faut leur laisser la liberté de se faire entendre, st meme de dire des choses inutiles" (RD IV). En meme temps, "il faut éviter de contester ... et céder aisément l’avantage de decider" (RD IV). En somme, "Il faut éviter de parler longtemps de sci-meme, et de se donner souvent pour exemple" (RD IV). Par sa volonté d’effacement, l’honnete homme se dégage des conflits superficiels. Il parvient a les contr6ler en gardant ses distances, ce qui lui permst en meme temps de préserver l’intimité de son etre: Comme on doit garder des distances pour voir les objets, i1 en faut garder aussi pour la société: chacun a son point de vue, d’ofi il veut etre regarde; on a raison, le plus souvent, de ne vouloir pas étre éclairé de trop pres, et il n’y a presque point d’homme qui veuille, en toutes choses, se laisser voir tel qu’il est. (RD II) Mais surtout, il se soustrait a la violence mimétique qui régit les rapports sociaux. "Il est dangereux de vouloir etre toujours le maitre de la conversation" (RD IV) car l’on se pose comme supérieur a autrui. L’interlocuteur se sent s’emj cont meme ciat l’ir plus déf imp Ll 136 sent alors diminué dans son amour-propre et ne peut s’empecher d’imiter son modele et de postuler a son tour au contr6le de la conversation. Du désir mimétique et de la meme volonté de domination chez chacun nait l’indifféren- ciation qui provoque 1e désordre. En fait, le problems de l’instabilité des relations sociales est rendu d’autant plus complexe qu’il ne saurait etre résolu par l’abolition definitive de l’amour-propre, puisque celle—oi est impossible. Comme l’amour—propre qui ne peut exister qu’aux dépens de son h6te et "qui ne se soucie que d’étre" (MS 1), l'homme ne peut exister et etre qu’en fonction de l’organisme social auquel il appartient. L’amour-propre n’est que dans son rapport a l’h6te: 11 a de différentes inclinations selon la diversité des temperaments qui le tournent, et le dévouent tant6t a la gloire, tant6t aux richesses, et tant6t aux plaisirs; i1 en change selon le changement de nos ages, de nos fortunes et de nos experiences. (MS 1) L’homme, lui, trouve sa raison d’etre dans son rapport a la société. La pierre d’achoppement pour le bon st paisible fonctionnement de la société consiste alors avant tout dans le fait que "Chacun veut trouver son plaisir et ses avantages aux dépens des autres" (RD II). La Rochefoucauld s’attache justement a encourager les individus a ne pas vivre aux dépens des autres, a exister "sans sujétion" (RD II), c’est—a—dire a tenter de se soustraire du cercle infernal représenté par l’inevitable désir besoin ne pas bless: montrl dans l’hon qui r respe inter indi d’am more l’éI 1e 81 137 désir mimétique et par la nécessité--pour satisfaire les besoins de leur amour—proprs--des rapports avec autrui. En ne parlant jamais "avec des airs d’autorité" (RD IV), en ne 1' blessant jamais les sentiments d’autrui, en sachant se montrer a ... [ceux qui se fient en nous] toujours vrais dans nos bonnes qualités et dans nos défauts meme" (RD V), l’honnéte homme refusera de se poser comme ls partenaire qui renvoie la meme balls que celle qu’on lui a envoyée. Il respectera l’amour-propre (et donc 1e désir d’étre) de son interlocuteur, tout en respectant ls sien. Par la meme, il a la possibilité, grace a sa modeste contribution individuelle, de restituer les accords différentiels et d’aménager 1e désordre des rapports humains. Le message de Nicole n’est guere different. Fondant sa morale sur le respect de l’autre, Nicole fait confiance a l’etre humain: Le repos d’une vie douce et tranquille, dans lequel on entretient quantite d’amitiés illustres, et l’on rend service a beaucoup de gens de qualité et de mérite, sans intérét et sans dépendance, en se contentant d’avoir dans le monde la reputation d’un homme civil, obligeant, désintéresse, bon ami, cette vie, dis-je, a des charmes qui la peuvent faire préferer a toutes les grandeurs du monde par un amour-propre éclairé, et qui sait comparer les désavantages des divers etats. (CAP 197) L’honnete homme de Nicole, comme celui de La Rochefoucauld, "aide au plaisir de la société" (RD II). Il comprend que les intérets individuels ont le pouvoir d’assurer la stabilité sociale. Le désordre des relations humaines, chez Nico] de 1’ rieu: des‘ uniq soci trOI et. "di 88 138 Nicole, peut aussi etrs aménage. Néanmoins, la resorption de l’instabilité prend chez lui une double dimension-~exté- rieure et intérieure--que l’on ne trouve pas chez l’auteur des Maximes. Alors que La Rochefoucauld encourage uniquement l’homme a travailler "pour la douceur de la société" (RD II), nous verrons que Nicole entend démontrer a l’individu que ce travail lui permettra en meme temps de trouver "le repos d’une vie douce et tranquille" (CAP 197) et de vivre en paix avec lui-meme. L’homme corrompu est, selon Nicole, tout occupé d’une "disposition tyrannique" (CAP 179). Par amour-propre, "il se fait le centre de tout; il voudrait dominer sur tout" (CAP 179). Or, ainsi que le dit Pascal, "la pente vers soi est le commencement de tout désordre" (Pensées 477). Le despotisme du moi rend les hommes "violents, injustes, cruels, ambitieux, flatteurs, envieux, insolents, querelleurs" (CAP 180). Comme chez Hobbes,5° l’état de guerre entre les hommes trouve son origine et sa definition dans l’inclination despotique naturelle des hommes. Ainsi, "il y a ... une malignité qui les [les hommes] ports a contredire les sentiments des autres" (PH 221). Tous possedent "une tyrannie naturelle par laquelle ils voudraient dominer sur tous les hommes st les assujettir a leurs volontés" (PH 233). Chez Nicole, le désordre initial des relations humaines nait principalement du fait que l’amour-propre de chaque homme "est mais fair sont donc (CAI lons répI l’é le par rés Nh qu de 00 139 homme s’oppose a celui des autres. C’est l’amour—propre qui "est la cause de cette guerre" (CAP 180) entre les hommes, mais c’est également lui qui "saura bien 1e moyen de les faire vivre en paix" (CAP 181). Les désirs conflictuels sont source de rivalité (CAP 180). Nicole conclut: "Voila donc par la tous les hommes aux mains les uns des autres“)1 (CAP 180). Du fait de son pessimisme jansénists, de la longueur et de la variété des essais qui autorisent les repetitions, Nicole met bien plus Souvent l’accent sur 1’etat de guerre originel régnant entre les hommes que ne 1e fait La Rochefoucauld. La lutte sans merci, commandée par le désir de dominer de l’amour-propre, represents le résidu de la Chute. La celebre description du bal, que Nicole utilise pour démontrer que "Nous ne voyons jamais qu’une petite partie du spectacle qui est expose aux yeux de notre ame" (CD 140), présente plusieurs images de peines corporelles que les etres humains s’infligent mutuellement. Le bal consiste apparamment en "une assembles de personnes agréables qui ne pensent qu’e se divertir" (CD 141), en "un spectacle qui flatte les sens" (CD 141). La lumiere de la foi fait cependant découvrir l’horreur a "ceux qu’elle éclaire" (CD 141): Elle leur découvre un massacre horrible d’6mes qui s’entre-tusnt les unes les autres; elle leur découvre des femmes en qui le demon habits, qui font a de miserables hommes mille plaies mortelles, et des hommes qui percent le coeur de ces femmes par leurs criminelles idolétries. Elle leur fait voir les demons qui entrent dans ces ames par tous les sens de leurs corps, qui les et 1 égm res sem cel que l9! 140 empoisonnent par tous les objets qu’ils leur presentent, qui les lient de mille chaines, qui leur préparent mille supplices, qui les foulent aux pieds, et qui se rient de leur illusion et de leur aveuglement. (CD 141) Pascal, évoquant "un nombre d’hommes dans les chaines, \ et tous condamnes a mort, dont les uns étant chaque jour égorgés a la vue des autres,’ et observant que "ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables" (Pensées 199), proposait la meme image que celle de Nicole st notait, ainsi que le suggere ce dernier, que "C'est l’image de la condition des hommes" (Pensées 199). L’amour-propre pousse continuellement les hommes corrompus a s’égorger. Chez Pascal, "chaque mg; est l’ennemi et voudrait étre le tyran de tous les autres" (Pensées 455). La Rochefoucauld remarque que l’amour-propre "rend les hommes idolétres d’eux-memes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens" (MS 1). Nicole lui reconnait la meme "disposition tyran- nique" (CAP 179) et le décrit surtout comme "1e centre et la source de toutes nos maladies" (CSM 41). Comme chez La Rochefoucauld, sa presence constitue l’une des composantes de l’instabilité des relations humaines. Pourtant, en dépit de sa constatation de la férocité naturelle des étres humains et de leur continuel désir de domination d’autrui, Nicole reconnait a la société une valeur positive, ainsi que le fait La Rochefoucauld. Comme lui, il avoue que l’homme détient ls pouvoir de détruire la société Le retr Martin des Egg AntoinI S’il I s’att la so parag avec font Cito: 141 société, alors qu’il faut justement la conserver (PH 226). Le retrait du monde qu’exigeait l’extrémiste janséniste Martin de Barcos est particulierement étranger a l’auteur des Essais defimorale.52 En effet, selon ce dernier et Antoine Arnauld, C’est dans le monde que se livrait le combat et dans le monde qu’il fallait assurer le triomphe de la vérité: point d’hésitation done a employer, dans toute la mesure ou l’honneteté le permet- tait, les méthodes du monde....Arnauld st Nicole ... demeurent persuades que leurs efforts ne sont pas inefficaces, qu’avec la grace de Dieu, leurs labeurs peuvent faire triompher la vérité dans la société des hommes, si corrompus soient-ils.53 S’il cherche a établir la vérité dans le monde, Nicole s’attache aussi a vouloir le rendre meilleur-st a faire de la société humaine un monde vivable. Les deux premiers paragraphes de l’essai "Des moyens de conserver la paix avec les hommes" soulignent bien le fait que les hommes font intrinsequement partie de la société; ils sont citoyens de plusieurs villes et du monde: Toutes les sociétés dont nous faisons partie, toutes les choses avec lesquelles nous avons quelque liaison et quelque commerce, sur lesquelles nous agissons, et qui agissent sur nous, et dont le different état est capable d’alterer la disposition ds notre éme, sont les villes ou nous passons le temps de notre pélérinage, parce que notre ame s’y occupe st s’y repose. Ainsi le monde entier est notre ville, parce qu’en qualité d’habitants du monde nous avons liaison avec tous les hommes, et que nous en recevons meme tant6t de l’utilite et tant6t du dommage. (PH 207) L’ét pour 327) enti pre séc bor 142 L’etre humain se concoit difficilsment hors de la société, pour Nicole. "Les faux rapports qu’on fait de nous" (R 327), remarque-t—il, ne peuvent etre évités" car "renoncer entierement au commerce des hommes ... n’sst ni possible, ni utile a tout le monde" (R 328)--ce qu’on croirait presque sorti de la bouche du Philinte de Moliere. Nicole croit en la société humaine. Selon lui, la sécurité, le repos, la prosperité d’une société et le bonheur des hommes dependent entierement de l'ordre politiqus (G 397). Si celui-oi "était détruit," écrit-il, "on ne pourrait dire qu’on possede rien. Tous les hommes seraient ennemis les uns des autres, et il y aurait une guerre générale entre eux, qui ne se deciderait que par la force" (G 397).H Pour Nicole, comme auparavant pour Montaigne et Hobbes,55 l’instabilité sociale et politiqus est le pire des etats. Il reprend d’ailleurs les mots de Pascal (Pensées 320), "la guerre civile est ls plus grand de tous les maux" (G 396). Nicole voit donc naturellement en "la sureté et le repos" "les deux principaux biens de la vie (CAP 198). La sureté sera assurée par l’ordre politiqus. La tranquillité de chaque etre humain se trouvera dans l’ordre intérieur--atteint par la suppression des passions—~et celui de la vie sociale. Des lors, la morale sociale de Nicole a pour base la description des moyens que les hommes ont mis en oeuvre pour établir l’ord propr catiI résiI poli stab Fl) prés pro) fai les soi uni qu ca 00 143 l’ordre social au depart inexistant du fait de l’amour- propre de chaque homme. Ensuite, elle repose sur l'expli- cation des moyens de faire disparaitre les désordres résiduels qui menacent le bon fonctionnement social et politiqus de la vie collective et donc de préserver la stabilité. Selon Nicole, les hommes ont su--pour assurer la preservation de l’espece humaine--résoudre partiellement ls problems du désordre et y substituer une paix relative. Il fait remarquer que les "moyens de conserver la paix avec les hommes" existent. Selon lui, l’amour-proprs--bien qu’il soit la cause de la guerre entre tous les hommes-—"a pu unir les hommes dans la meme société" (CAP 180). Cause du désordre social originel, cet amour—propre est l’élément qui, réprimé, restaure en meme temps ls social st oblige la collectivité a recourir a un compromis, a établir un contrat social tacite. Au depart, chacun désirs dominer l’autre. Il est alors confronté au désir equivalent de chacun de ses interlocuteurs. En ce sens, a son état brut, l’amour—propre represents un principe universel d’indiffé- renciation. Se souciant moins d’etre (contrairement a l’amour—propre de La Rochefoucauld [MS 1]) que de dominer (CAP 181), l’amour-propre de Nicole est celui qui "aime a s’assujettir tout le monde" (CAP 181). Nul ne fait plus exception a sa regle de domination et chacun se livre a un combat sans merci: "il [l’amour—propre] voit clairement que les autres ne sont nullement disposes a se laisser dominer, et sont mieux" Les 1 acco l’au Soci 144 et sont plut6t préts de lui 6ter les biens qu’il aime le mieux" (CAP 181). Nicole constate alors: Chacun se voit donc dans l’impuissance de réussir par la force dans les desseins que son ambition lui suggere, et appréhende meme justement de perdre par la violence des autres les biens essentiels qu’il possede. C’est ce qui oblige d’abord a se reduire au soin de sa propre conservation, et l’on ne trouve point d’autre moyen pour cela que de s’unir avec d’autres hommes pour repousser par la force ceux qui entreprendraisnt de nous ravir la vie et les biens. Et pour affermir cette union on fait des lois, et on ordonne des chatiments contre ceux qui les violent. Ainsi, par le moyen des roues et des gibets qu’on établit en commun, on réprime les pensées et les desseins tyranniques de l’amour-propre de chaque particulier. (CAP 181) Les individus, se voyant exclus de la violence ouverte ... sont réduits a chercher d’autres voies, et a substi- tuer l’artifice a la force, et ils n’en trouvent point d’autre que de tacher de contenter l’amour— propre de ceux dont ils ont besoin, au lieu de le tyranniser. (CAP 181) Nicole se distingue de La Rochefoucauld dans la mesure ou chez ce dernier les hommes ne sont pas parvenus e un accord, si ce n’est dans le commerce tres particulier de l’amitié. Si La Rochefoucauld, dans la réflexion "De la société," entend parler "du commerce particulier que les honnetes gens doivent avoir ensemble" (RD II), c’est bien parce que ce commerce n’existe pas au moment on il parle. Nicole, lui, voit dans les différents moyens qu’emploient les individus pour contenter l’amour-propre de chacun "la source et le fondement de tout commerce qui se pratique entre n’lé‘ 268) pour peut rep] fail éch. cel l’a dés de do IN 145 entre les hommes" (CAP 181), "la civilité humains ... n’[étant] qu’une espece de commerce d’amour—propre" (CC 268). Certes, ce commerce consiste en un echange ("on donne pour obtenir" [CAP 181]). Mais, contrairement a ce qu’on peut observer chez La Rochefoucauld, l’échange ne represents pas une aporie. Il est constructif, bien qu’il faille remarquer que, cherchant "d’autres voies" pour échapper a la violence ouverte, les hommes substituent a cells-oi une sorte de violence cachée, commandée par l’artifice. La Rochefoucauld explore les possibilités de résoudre 1e désordre, ainsi que le montre l’utilisation des verbes devoir et falloir st celle des temps: "les honnetes hommes doivent," "il faudrait" (RD II), "il faut" (RD II, III, IV). En un sens, il est particulierement proche de La Fontaine qui met l’accent sur la confusion existant dans la vie collective. A la difference de La Fontaine, cependant, il croit en la possibilité d’gmenager ce désordre. Nicole, par contre, enseigne et expose les moyens de conserver l’ordre que la collectivité a su établir et dont seul l’agsncement l’inquiete. Les intentions des deux auteurs sont donc légerement différentes. Leurs demonstrations (abstraction faite des elaborations sur l’ordre politiqus auxquelles se livre Nicole) et leur mise en valeur de la portée de l’honneteté sont dans leurs plus grandes lignes identiques. Al trouh résid sein peuVI NL di 00 146 Alors que La Rochefoucauld voyait dans l’amour-propre 1e trouble—fete des relations humaines, Nicole explique les résidus de désordre social par la presence dss passions au sein de l’homme. Les perturbations de la vie en société peuvent néanmoins etre résorbées: On se procure la paix a sci-meme en réglant ses pensées et ses passions. Et par cette paix intérieure, on contribue beaucoup a la paix de la société dans laquelle on vit: parce qu’il n’y a guere que les passions qui la troublent. Mais comme cette paix avec ceux qui nous sont unis par des liens plus étroits, et par un commerce plus frequent, est d’une extreme importance pour entretenir 1a tranquillité dans nous-memes, st qu’il n’y a rien ds plus capable de la troubler que la division si opposes a cette paix, c’est de celle-la principalement qu’il faut entendre cette instruction du prophets: 'Quoerits pacem civitatis ad quam transmigrare vos feci.’ Cherchez la paix de la ville qui est le lieu de votre exil. (PH 208-09) Nicole se rapproche ainsi de La Bruyere, qui observe les divisions, l’instabilite de la vie sociale des villesN et conclut: "Otez les passions, l’intéret, l’injustice, [st] quel calme dans les plus grandes villes!"57 Les passions, dont nous avons précédemment examine la fonction parasi- taire au sein de l’homme, assument 1e meme r61e dans l’organisme social. Elles sont a la fois ectoparasites et endoparasites. I1 faut tenter soit de s’en débarrasser, soit de les expulser pour éviter qu’elles n’introduisent ls chaos par leur proliferation, ce en quoi consiste ls devoir individuel de chaque chrétien. La troisieme solution est de se soustraire aux maladies qu’elles répandent. Ce sera 1e 1a pr l’ord prati 321), la sI au b par tin --cI peS‘ la fra 147 la premiere tache des grands puisque sur eux seuls repose l’ordre politiqus. Mais l’honnetete, c’est-e-dire la pratique de "l’ouverture du commerce de l’entretien" (R 321), permettra a chaque individu de ne point "faire tort a la société humaine" (R 321) et d’apporter sa contribution au bon fonctionnement de la société dans laquelle il vit. Nous l’avons vu dans le deuxieme chapitre, la contagion par les exemples revet chez Nicole toutes les caractéris- tiques de la peste. Nicole, dans "De la grandeur,’ reprend —-cette fois-oi dans le contexts de la cour-—l’image de la pests et l’ajoute a celle du parcours maritime fatal dans la mer des passions (FH 91). Il effectue ainsi un parallele frappant entre "les dangers ou l’on est dans le monde de perdre la vie du corps" et "le danger de perdre son ame" (G 415). "Un jeune prince agréable de corps et d’esprit, qui entre a la cour avec peu de lumiere chrétienne et beaucoup d’inclination pour les plaisirs" (G 415) s’expose donc aux dangers suivants: Celui ou s’exposerait un homme qui entreprendrait le voyage des Indes sur un bateau de pecheur sans gouvernail et sans pilots; celui que l’on court en entrant et en séjournant dans une ville et dans une maison pestiférée, parmi des cadavres empestés. (G 415) Les deux images concernent l’itinéraire personnel de ce jeune prince. Cependant, la seconde image met moins l’accent sur le cheminement que sur la comparaison entre la vie de cour (la maison), la vie en société (la ville) et la conta 1118ch la tI (G 4 repr autr ils Cert pri Pou 413 de dis ph do 148 contagion de la peste. Le microcosms est a l’image du macrocosme. La pests et, avec elle, 1e désordre regnent. Les grands vivent dans une atmosphere pestiférée, dans le tumulte (G 421). Ils "respirent un air ... contagieux" (G 421). Leur exemple est édifiant dans la mesure ou ils représentent a plus grands échelle ce que sont tous les autres hommes: "ils sont pleins" de passions (G 414) "et ils les ont meme plus violentes que les autres" (G 415). Certes, contrairement aux autres hommes, ils ne peuvent se priver "absolument" (G 414) des plaisirs et des richesses. Pourtant, les grands "ne laissent pas d’etre hommes" (G 413) Comme les autres hommes, ils sont malades et blesses de leurs passions. "Ils sont hommes et pécheurs, c’est-e- dire pleins de corruption, de miseres, de ténebres et de plaies intérieures. Ils doivent reconnaitre ces plaies, ils doivent y remédier" (G 413). Or, un des moyens permettant d’évitsr 1a contamination de la pests et de guérir serait de se retirer du monde et de se detacher des biens du monde: Le moyen ordinaire de guérir de ces maladies [l’orgueil, la volupté, les plaisirs] est de se priver des choses qui les causent et qui les nourrissent. Mais c’est ce que leur condition ne leur permst pas. Ils ne peuvent se séparer ni de leurs richesses, ni de leurs honneurs, ni de leur pompe. Ils sont peu en état de pratiquer la mortification st encore moins la retraite.... Cependant il faut guérir ou périr. (G 413) "Guérir ou perir," telle est la question poses par la contagion de la pests et celle des maladies des passions. Cette Ct luxe et c’est-é (G 410) dérégle "Bet reciprI poursu Chez l cette tranq tYran retrc du rf rappI une Prof 149 Cette contagion exemplifiée par la propension des grands au luxe et aux plaisirs les empeche d’accomplir leurs devoirs, c’est-a-dire de "remédier a divers désordres" de la société (G 410). Elle aboutit a un inevitable et irrémédiable dereglement qui met en danger l’ordre politiqus et social. "Between the plague and social disorder there is a reciprocal affinity,”8 fait observer Rene Girard, poursuivant: In many parts of world, the words we translate as "plague" can be viewed as a generic label for a variety of ills that affect the community as a whole and threaten or seem to threaten the very existence of social life.5’ Chez Nicole, la vie sociale est bel et bien menacée par cette peste qui regne a/sur la vie de la cour. Sa tranquillité est compromise par l’inclination a la tyrannie dont les grands font preuve a la cour. L’on retrouve ici Hobbes, sa description de l’état de guerre et du risque de disparition de l’espece qui en découle. Nicole rappelle que tous les hommes corrompus ont pour inclination "une tyrannie naturelle que le péché a graves au plus profond de leur coeur" (G 411). "Mais," continue—t-il, les personnes de basse naissance ne peuvent facilement l’exercer, parce que les autres ne leur cedent pas. Ils sont continuellement avertis par la resistance que l’on fait a leurs désirs, que les autres hommes ne sont pas faits pour eux. (G 411) Les gral tyrannil que tou tions" contrat meme ts a 33311 aux hos volont sur ce tielle bouleI Pas rI & pou 403). Le refus destr auss: mala 150 Les grands outrepassent leurs pouvoirs et exercent la tyrannie de leur amour-propre. Ils "sont accoutumés a voir que tout le monde leur cede et se rend a leurs inclina- tions" (G 411). Par leur attitude, ils dissolvent le contrat social base sur la repression de l’amour-propre. En meme temps, ils n’accomplissent pas la tache que Dieu leur a assignee puisque "Dieu ne communique point sa puissanoe aux hommes, afin qu’ils assujettissent les autres a leur volonté, puisque cette domination de la volonté d’un homme sur celle d’un autre homme est naturellement st essen- tiellement injuste" (G 403). L’ordre voulu par Dieu est bouleverse lorsque les grands regnent eux-memes, ne font pas régner Dieu, et n’exercent pas leur "pur ministers, qui a pour fin l’honneur de Dieu et l’avantage des hommes" (G 403). Le danger souligne par Nicole reside dans l’oubli ou le refus de l’autorité et de la puissanoe divine, la destruction de l’ordre créé par Dieu. Mais il consiste aussi en la crise sociale et politiqus. "Les animaux malades de la pests”o de La Fontaine trouvent en l’ane le bouc émissaire dont ls sacrifice restaurera l’ordre social. Nicole, comme La Rochefoucauld, se refuse a suggerer "l’expulsion de la violence par la violence."°1 11 encourage les grands a ne pas usurper le pouvoir que leur a confere Dieu et a vivre chrétiennement, c’est—a-dire "a etre humbles dans leurs honneurs, pauvres dans leurs richesses, pénétrés de leur misere dans leur bonheur appars etre l que 1 la pa de l’ qu’i] vient tion' la " envi solI memI nor plu irr cor pas 151 apparent" (G 414). Pour Nicole, l’ordre de la société doit etre preserve, non restaure. Il doit etre conserve, ainsi que l’indique le titre de l’essai "Des moyens de conserver la paix avec les hommes." Les grands ne peuvent se retirer de l’univers pestifére de la cour. Csla ne signifie pas qu’ils doivent nécessairement périr st que l’ordre social vienne a s’écrouler. La guérison--ou plutot l’immunisa- tion--possible par l’exercice de moyens humains st grace a la "protection toute miraculeuse" de Dieu (G 413) est envisageable. L’exemple des grands est intéressant parce que la solution morale préconisée par Nicole est finalement la meme que celle qu’il propose aux "petits,' au commun des mortels.°2 La constatation que Nicole craint le désordre plus qu’il n’en observe la presence pratiquement irrémédiable, comme 1e fait La Rochefoucauld, s’en trouve confirmée. Chacun, selon Nicole, doit d’abord régler ses passions. Cependant, pour conserver l’ordre social chaque individu doit travailler sur l’intérieur st l’extérieur: "On ne réussira jamais dans la pratique de ces regles [de l’honneteté] si l’on ne travaille que sur l’extérieur, et que l’on ne tache de reformer l’interieur meme" (PH 230). Le travail sur l’extérieur--par la pratique de la civilité, qu’il faut "purifier ... et non pas ... bannir" (CC 276)-- mene a la paix dans la société. "La civilité," écrit Nicole, "consiste a céder aux autres, autant que l’ordre du monde le peut permettre, a les prét 273). LI pas sui' les aut menager pairs. des aut le moyu pas le parce 234). hommes 233). qui s les é bless 215). Nicoi 0Din soci I honr de I (RD rep leg 152 les préférer a soi, a les considérer au-dessus de soi" (CC 273). Le désordre apparait des que ces préceptes ne sont pas suivis et du fait "qu’on ne se ménage pas assez les uns les autres" (PH 209). La Rochefoucauld veut que les hommes ménagent et ne blessent jamais l’amour-propre de leurs pairs. 11 énonce qu’"il faudrait faire son plaisir st celui des autres" (RD II). Nicole, lui, recherche "non pas ... ls moyen de plaire aux hommes, mais seulement celui de ne pas leur déplaire, et de ne nous pas attirer leur aversion, parce que cela suffit a la paix dont nous parlons" (PH 234). Il repete qu’il faut respecter et "menager les hommes" (PH 231), les "menager dans leurs passions" (PH 233). "Cs sont toujours [les] mécontentements réciproques qui sont les causes des divisions; et l’unique moyen de les éviter, c’est de ne faire jamais rien qui puisse blesser personne, et de ne se blesser jamais de rien" (PH 215). La contradiction fait des plaies (PH 228), constate Nicole, st "témoigner que l’on n’approuve pas quelques opinions de ceux avec qui on vit ... serait détruire la société au lieu de la conserver" (PH 226). La politesse, selon La Rochefoucauld, empeche les honnetes gens "d’etre choqués et de choquer les autres par de certaines facons de parler trop seches st trop dures" (RD II). Elle soustrait toute intention blessante. Nicole reprend la meme image et les memes termes. Ne point blesser les hommes, ne point les cho uer, garder des mesures figurent parmi les mots cles qui parsement l’essai "Des moyens I ajouter bon sra De plu une qt note I II). I garde (P112 savoi retii civij "La deSs Chez cute diai Hut m0n ESQ 153 moyens de conserver la paix avec les hommes." Il faut leur ajouter l’idée de suppression (en quelque sorte séparer 1e bon grain de l’ivraie53): les principaux moyens, pour ne point blesser les hommes, se réduisent au silence et a la modsstie, c’est-a—dire a la suppression des sentiments qui pourraient choquer lorsque l’utilité n’est pas assez grande pour s’y exposer, et a garder tant de mesures quand on est oblige de les faire paraitre, qu’on en ots, autant qu’il est possible, cs qu’il y a de dur dans la contradiction. (PH 230) De plus, comme chez l’auteur des Maximes, l’honneteté est une question de recul et de distanciation. La Rochefoucauld note qu’on doit garder des distances pour la société (RD II). Nicole lui fait echo. Selon lui, il est nécessaire de garder "une retenue générale a l’égard de tout le monde" (PH 223). Pour conserver la paix dans la société, il faut savoir supporter les fautes d’autrui a notre égard, se retirer des altercations et "apprendre a contredire civilement et avec humilité" (PH 226). De toute maniere, "La prudence nous oblige ... a quitter absolument le dessein chimérique de corriger tout ce qui nous déplait chez les autres" (PH 241), comments Nicole qui, sans pour fl autant "prendre les hommes tels qu’il sont, semble presque dialoguer avec Philinte, pour qui "c’est une folie a nulls autre seconde / De vouloir se meler de corriger le monde."04 Toute cette pratique d’honnetsté ramene finalement les hommes a eux-memes et les encourage a une ascese sociale individuelle. Alor cercle Nicole soustr: entend memes possil égales des aI que 1 de so aller des s inger pour flat reco Seul "11 14., 154 Alors que La Rochefoucauld voit dans la flatterie un cercle vicieux auquel il est presque impossible d’échapper, Nicole remarque qu’il est dans le pouvoir de chacun de s’y soustraire st qu’il existe meme des "regles pour [en] entendre le langage" (CSM 63). Peu de choses sont d’elles- memes irréversibles chez Nicole. Chaque individu a la possibilité d’échapper a la contagion des exemples. Il peut également tirer divers enseignements du comportement social des autres et suivre différentes regles de conduite, ainsi que le font remarquer, par exemple dans "De la connaissance de soi," de nombreux titres de chapitres: "Comment on doit aller au—devant de la vérité en la cherchant dans l’exemple des autres" (CSM 32), "Qu’il se faut instruire par les jugements qu’on entend faire des autres" (CSM 34), "Regles pour entendre le langage des avertissements, de la flatterie et du silence" (CSM 63). La Rochefoucauld, lui, reconnait aussi que rien n’est en soi impossible. Seulement, selon lui, la volonté des hommes fait défaut: "11 y a peu de choses impossibles d’elles~memes; et l’application pour les faire réussir nous manque plus que les moyens" (M 243). I1 n’est donc pas surprenant de voir Nicole énoncer avec fermeté que, lorsqu’on a tendance a faire preuve d’impatience a l’égard d’autrui, "notre premier soin doit etre de travailler sur nous-memes" (PH 222), ce qu’il repete plus loin: "Nous sommes charges de travailler sur nous-memes et de nous corriger de nos défauts; et si nous ..__. M. _..____- ...—J 1e fa dehor rela‘ at d mons vit tout cell 1e: uti uti (IfE 1% ch 155 Is faisions comme il faut, rien de ce qui viendrait du dehors ne serait capable de nous troubler" (PH 241). Les relations humaines sont pour Nicole une question de travail st d’effort. Nicole accuse l’amour-propre d’etre "ls monstre que nous renfermons dans notre sein" (CAP 180). ”I1 vit et regne absolument en nous....Il est le principe de toutes nos actions" (CAP 180). Sa description est proche de celle qu’en fait La Rochefoucauld. Mais, écrit Nicole, "en le retenant dans de justes bornes, on en peut tirer quelque utilite et s’en servir pour tromper en quelque sorte l’amour—propre" (CSM 53).°5 L’amour-propre doit etre utilise a bon escient. La connaissance de sci-meme, ainsi, "fait un bon usage de l’amour—propre" (CSM 30). Quant a l’ordre de la société, i1 sera maintenu par "un amour- propre éclairé"°5 dont les effets ressemblent a ceux de la charité: pour reformer entierement le monde, c’est-a-dire pour en bannir tous les vices et tous les désordres grossiers, et pour rendre les hommes heureux des cette vie meme, il ne faudrait, au défaut de charité, que leur donner a tous un amour-propre éclairé, qui sfit discerner ses vrais intérets et y tendre par les voies que la droite raison lui découvrirait. Quelque corrompue que cette société fut au dedans et aux yeux de Dieu, i1 n’y aurait rien au-dehors de mieux réglé, de plus civil, de plus juste, de plus pacifique, de plus honnete, de plus généreux; et ce qui serait de plus admirable, c’est que, n’etant animée et remuée que par l’amour—propre, l’amour-propre n’y paraitrait point, et qu’étant entierement vide de charité, on me verrait partout que la forme st les caracteres de la charité. (CAP 199) Les amour- est do propre en quI diffe: Cepen Nicol peut désor sociI Null Nico meme ress est avo que fél dar éc 0e If 156 Les honnetes gens, chez Nicole, font abstraction de leur amour—propre devant les autres. Ils 1e déguisent. Nicole est donc amené a conclure: "Cette suppression de l’amour- propre est proprement ce qui fait l’honnetete humaine, et en quoi elle consiste" (CAP 185), ce qui en théorie ne differs guere du commerce ideal de La Rochefoucauld. Cependant, le but de leur demonstration est different. Nicole pretend que la pratique de l’amour-propre éclairé peut rendre les hommes heureux, qu’elle repousse le désordre. La Rochefoucauld entend simplement "rendre la société commode" (RD II), "maintenir la société" (RD II). Nulle part n’expose-t—il aussi explicitement que le fait Nicole comment "rendre les hommes heureux des_cette vie meme" (CAP 199). Certes, selon La Rochefoucauld, il est du ressort de chacun de trouver le bonheur car "La félicité est dans le gout st non pas dans les chosss; et c’est par avoir ce qu’on aime qu’on est heureux, et non par avoir ce que les autres trouvent aimable" (M 48). Ainsi définie, la félicité, si l’on suppose qu’elle existe, se trouve donc dans le rapport a soi, non dans le rapport a l’autre. Principe general, l’honneteté, comme l’amour—propre éclairé, ressemble a la charité selon Nicole: toutes deux "nous éloignent de l’affectation, st principalement de celle des choses qui ne conviennsnt pas a notre état" (CAP 188). Ainsi, l’honneteté psut écarter les hommes des vices, comme la charité. Elle peut également "soutenir l'esprit et l’empecher de tomber dans des exces dangereux" (CAP 204). Nicole reflex d’homm qu’il condit l'homI a "ne qu’il Roche Cells paix (an laqu I La co DO 11 157 Nicole se démarque ici de La Rochefoucauld qui conclut sa réflexion sur la société en écrivant qu’"il n’y a point d’homms qui veuille, en toutes choses, se laisser voir tel qu’il est" (RD II). D’apres l’auteur des Maximes, la condition humaine peut etre changes: réduit a le cacher, l’homme ne peut se défaire de l’amour-propre; il est amené a "ne vouloir pas étre éclairé de trop pres" (RD II) parce qu’il ne peut changer "ce qu’il est." La morale de La Rochefoucauld est entierement tournée vers l’extérieur. Cells de Nicole l’est vers l’extérieur st l’intérieur: e la paix extérieurs, "qui consiste dans la civilité humaine" (PH 213), doit correspondre la paix intérieure, sur laquelle repose aussi la paix de la société (PH 208). Bernard Chédozeau l’explique tres bien: Nicole a defini un systems moral qui, a la lumiere de Descartes, construit l’homme en exercant sa volonté (et sa rssponsabilité) a la lumiere de son entendement (et de sa conscience). L’homme chrétien pourra ainsi vivre en paix, a l’intérieur du monde, avec lui—meme st avec les autres.67 La Rochefoucauld n’entend pas redresser.68 Nicole, par contre, vise a "fournir un enseignement moral."69 Ainsi, pour l’auteur des Essais de mgrale, l’homme est capable par l’utilisation de moyens humains non seulement de se connaitre mais aussi de créer et de maintenir un état de paix au sein de la collectivité. Meme si l’honneteté qu’il préconise est fort rapprochés de celle recommandee par Nicole, meme s’il croit lui aussi aux dangers de la féroci Rochef désoré les hI Nicol ne pr heure solut 158 férocité humaine et en l’amélioration des rapports, La Rochefoucauld ne présente que des solutions partielles au désordre des relations humaines. Il remarque simplement que les hommes peuvent tenter de l’aménager. Contrairement a Nicole-~et c’est la leur principal point de divergence--il ne pretend pas trouver la solution qui rendrait les hommes heureux, peut-étre pour souligner 1e fait que cette solution n’existe pas. 951340 rrvhllii. 159 REFERENCES 1 La Fontaine 166. Toutes les citations subsequentes de la fable "La querelle des chiens et des chats, st celle des chats et des souris" sont extraites de la meme page. 2 La Fontaine 78. ("Le loup st 1’ agneau.") Ira Wade, etudiant La Fontaine en tant que libre- -penseur, montre notamment l’ importance de la force chez l’ auteur des Fables. Rapprochant La Fontaine de Hobbes (voir nos rapprochements dans ce chapitre), il conclut fort a propos son etude en montrant qu’une des lecons de La Fontaine consiste a nous amener a reconnaitre l’inevitable lutte existant entre les hommes et la domination que la force y exerce. Ainsi, pour La Fontaine, "We must recognize that every creature has its opposite, that life is a struggle for survival in which everybody lives at the expense of some other body. Finally, we must be prepared to accept that in the struggle what dominates is force: 'La raison du plus fort est toujours la meilleure.’" Finalement, poursuit Wade, "La Fontaine rejoins Hobbes, Spinoza, and Pascal in his conviction that justice is founded not on Right, but on Force" (The Intellectual Origins of the French Enlightenment [Princeton: Princeton UP, 1971] 417). 3 Le problems de l’ordre et du désordre dans la société revient a de nombreuses reprises dans la thématique des Fables de La Fontaine. Ce problems mériterait d’étre étudie dans la fable "L’aigle, 1a laie et la chatte" (92). En effet, dans cette fable, c’est "La chatte [qui] détruisit par sa fourbe l’accord." Détruisant l’ordre et la paix sociale, introduisant une peur indifférenciée chez l’aigle et la laie, la chatte contribue a leur disparition: "La faim détruisit tout: il ne resta personne ... / Qui n’allét ds vie a trépas." De meme, on peut voir que dans "Le chat, la beletts, et le petit lapin" (125) la belette entre dans le logis du maitre st y instaure 1e désordre. Finalement, Raminagrobis--le chat-jugs que l’on consults-- "Jetant des deux c6tés la griffe en meme temps, / Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre." Chez La Fontaine, on se fait la guerre pour rien. D’une part, l’introduction inevitable du désordre dans une société apparemment ordonnée (et dans laquelle les differences sont abolies) tourne toujours au désavantage d’une espece, a sa disparition. D’autre part, i1 semble que toute tentative faite pour restaurer l’ordre ou régler les querelles tourne court (voir "Les vautours et les pigeons," [121]; la aussi les pigeons disparaissent). Contrairement a La Rochefoucauld--qui comme nous 1e verrons suggere qu’il faut aménager le désordre—-et a Nicole--qui montre qu’il faut 160 conserver la paix que les hommes ont pu établir au moyen ds l’amour-propre--La Fontaine ns semble pas croire e l’abolition possible du désordre. Jules Brody ls montre bien, chez La Fontaine, "division, discord, difference are built into the world; any attempt, however well intentionsd, to correct or alter this dispensation will go down as an assault on the essential, radical alterity of life and the human condition." 11 poursuit: "The weak and the strong, the lovers and the killers of this world, are consigned by nature--‘c’est la loi de nature’--to irrevocable difference, to be lived out extraterritorially in perpetual estrangement and alienation. This is the nature of things" ("La Fontaine, ‘Les Vautours et les pigeons' [VII, 8]: An Intertextual Reading," Convepgencegp Rhetoric and Poetic in Seventeenth—Century Frgnce. Essais for Hpgh M.4D§vidson, eds. David Lee Rubin et Mary B. McKinley (Columbus: Ohio State UP, 1989] 156). Pour La Fontaine, la société humaine doit donc fonctionner a partir des differences, meme s’il en results un conflit perpétuel. 4 Starobinski, "La Rochefoucauld" 215. 5 La Fontaine, dans son épitre dedicatoire au Dauphin, écrit: "Je me sers d’animaux pour instruire les hommes" (75). 6 Madame de Sévigné, Lettres, ed. Gerard Gailly, 3 vols. (Paris: Gallimard, 1956) 1: 278. 7 La Fontaine, par contre, a clairement été influence par La Rochefoucauld. Celui-oi fournit le sujet du "Discours a Monsieur le duc de La Rochefoucauld" (155) et de la fable "L’homme et son image," qui lui est dédicacée (78). Sur la réflexion XI et l’influence de l’auteur des Maximes sur La Fontaine, voir Philip A. Wadsworth, "La Fontaine and La Rochefoucauld," Romanic Review 46.4 (1955): 241-49. Louis Van Delft conclut également a la proximité des idées exposées dans cette réflexion par La Rochefoucauld avec celles de La Fontaine ("Physiognomonie et peinture du caractere: G. Della Porta, Le Brun, La Rochefoucauld," L’Esprit Crégteur 25.1 [1985]: 43-52). 3 Jacques Truchet, dans le glossairs de son edition des Maximes définit "ravissant" par "qui s’empare de proies" (La Rochefoucauld 644). Pierre Dumonceaux propose la definition "qui s’empare de force" (Langue et sensibilité au XVIIegsiecle. L’évolution du voggbulaire affectif [Genevez Droz, 1975] 100). 9 "Man to Man is an arrant Wolfe." Thomas Hobbes, "The epistle dedicatory," De Give. The English Vergign, ed. Howard Warrender (Oxford: Clarendon, 1983) 24. Sur l’influence de Hobbes sur Nicole, voir Lionel Rothkrug, Opposition to Louis XIV. The Political and Socigl Origins 161 of the French Enlightenpent (Princeton: Princeton UP, 1965) 50 et Nannerl O. Keohane, Philosophy and the State in France. The Renaisggnce to the Enlightenpent (Princeton: Princeton UP, 1980) 294—95. Marcel Raymond établit la meme parenté entre Nicole et Hobbes st s’attache entre autres a "montrer que les sources de la sociologie optimists des 'philosophes’ doivent etre cherchées, pour une part, dans la sociologie pessimiste du XVII° siecle," et notamment chez Nicole ("Du jansénisme a la morale de l’intéret," Mercure de France 330 [1957]: 239). Sur la situation poli- tique qui derive de l’état de guerre, chez Hobbes et chez Nicole, voir Dale Van Kley, "Pierre Nicole, Jansenism, and the Morality of Enlightened Self—Interest," Anticipptigpg of the Enligptenpent in England, France and Geppany, eds. Alan C. Kors et J. Paul (Philadelphia: U of Pennsylvania P, 1987) 73-4. E.D. James fait les memes rapprochements, en rappelant également l’influence du De jure belli et pacis de Hugo Grotius (137). I1 convient par ailleurs de mettre l’accent sur l’importance accordée par Nicole aux théori— ciens politiquss. I1 suggere ainsi dans son "Traité de l’éducation d’un prince" que les enfants (en l’occurence le jeune prince) doivent apprendre par coeur d’excellents livres. A sa lists d’auteurs latins, i1 ajoute "les nouveaux," parmi lesquels figurent entre autres Buchanan.et Grotius (EP 2: 247). De plus, tous les critiques précé- demment mentionnés, a qui il faut ajouter Chédozeau (2: 331), E.D. James (163—74) et Gustave Lanson, qui met en relief la notion d’utilité chez Nicole ("Le rele de l’expérience dans la formation de la philosophie du XVIIIe siecle en France," Essais de_péthode de critique et d’higtoire littéraire, éd. Henri Peyre [Paris: Hachette, 1965] 297-335), voient en l’auteur des Essais de_pgrale, sinon un précurseur du XVIIIe siecle, du moins des idées politiques et sociales précursivss des theories qu’eta- bliront les philosophes des Lumieres. 1° Voir Paul Hazard, La crise de la conscience europeenne. 1680—1715 (Paris: Fayard, 1961) et l’ouvrage précédemment cité de Ira Wade, The Intellectual Origips of the French Enlightenpgnt, notamment le sous~chapitre intitulé "Hobbes’ State" (267—83). 11 Voir Joseph Vialatoux, ;§_cité totalitaire de Hobbes, 2e ed. (Lyon: Chronique Socials de France, 1952) 85. Sur la vie de Hobbes et ses séjours en France, voir Charles H. Hinnant, Thomas Hobbes, Twayne Series (Boston: G. K. Hall, 1977) 13—31. 13 La premiere edition du De Cive est une edition latine. La traduction francaise fut effectuée plus tard par Samuel Sorbiere, publiée en 1649 a Amsterdam et rééditee a Paris en 1651. Sur ces editions du De Cive, voir Cornelis W. Schoneveld, "Some Features of the Seventeenth-Century Edit Else der IntI Leu: Q-F’DF-‘v 162 Editions of Hobbes’s ‘De Cive’ Printed in Holland and Elsewhere," Thomas Hobbeg, Hi§_Viewg of Mpg, ed. J. G. Van der Bend, Proc. of the Hobbes symposium at the International School of Philosophy in the Netherlands, Leusden, September 1979 (Amsterdam: Rodopi, 1982) 125-42. 13 James 137. 14 Le Miganthrope V,i (c’est nous qui soulignons), dans Moliere 342. 15 Le Miganthrope V,i dans Moliere 342. Philinte, dans la premiere scene de la piece, s’apercoit immédiatement de la férocité animals qu’Alceste confere aux etres humains. Mais, s’il voit en l’homme des vices naturels, il refuse de conclure a la perversité naturelle de toute l’espece humaine. "Oui," répond-il a Alceste, "je vois ces défauts, dont votre ems murmurs, / Comme vices unis a l’humaine nature; / Et mon esprit enfin n’est pas plus offense / De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, / Que de voir des vautours affamés de carnage, / Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage" (325). 1‘ La Bruyere 281. ("Des jugements.") 17 Chez La Fontaine, par exemple, tous les hommes ne sont pas ambitieux (voir "Le berger et le roi" 152). On peut etre charitable (voir "Le villageois et le serpent" 114), meme si, comme le montre cette fable, la charité n’est pas toujours payee d’un juste retour. La veritable amitié existe ("Les deux amis" 131, "L’ours et l’amateur des jardins" 130). 1° Hobbes 49. 19 Voir Hobbes 49: "But it is easily judg’d how disagreeable a thing to the preservation either of Man— kind, or of each single Man, a perpetuall flap is: But it is perpetuall in its own nature, because in regard of the equality of those that strive, it cannot be ended by Victory; for in this state the Conquerour is subject to so much danger, as it were to be accounted a Miracle, if any, even the most strong should close up his life with many years, and old age." 3° La Fontaine 163. ("Les compagnons d’Ulysse.") Que ce soit chez Moliere--a travers la voix d’Alceste——, chez La Fontaine st (voir plus loin) chez Bossuet, la repetition de la reference (faite sciemment ou non) au "homo homini lupus" de Hobbes est frappante. De maniere tres intéressante, Georges Couton, dans La politiqus de La Fontaine (Paris: Les Belles Lettres, 1959) met a plusieurs reprises l’accent sur la parenté des idées de La Fontaine 163 avec celles de Machiavel st Hobbes et conclut qu’il incline a penser que "La Fontaine leur doit beaucoup de sa morale sans illusion" (108). 21 Voir Thomas Hobbes, Levigthan, ed. C. B. Macpherson, 3e ed. (London: Penguin, 1985) 184. Parce que deux hommes désirent la meme chose, "they become enemies; and in the way to their End, (which is principally their owns conservation, and sometimes their delectation only,) endeavour to destroy, or subdue one an other." Sur la force considérée comme base de la vie sociale par Pascal et les rapports entre les theses de ce dernier avec celles de Hobbes, voir Wade 320-21 st Antoine Adam, L’Epoque de Pascal, vol. 2 de Higtoire de la littérature francgiseflgp XVIIe siecle, 5 vols. (Paris: Domat, 1948~1956) 2: 280-81. 22 Keohane 252. 23 Bossuet 24: 117 (Politique tires dgg propres paroles de l’Ecriture gginte). Bossuet, des le debut de cet ouvrage, constate que "les cruautes sont fréquentes dans le genre humain" et poursuit: "Il n’y a rien de plus brutal ni de plus sanguinaire que l’homme" (23: 486). Un parallele entre Hobbes, La Fontaine, Bossuet st leurs vues sur la conduite humaine est effectue de maniere intéressante par Georges Couton (50). 3‘ Pascal montre que l’inclination de notre volonté a vouloir tout faire tendre a soi est "contre tout ordre." "Il faut tendre au general," poursuit-i1, "et la pente vers soi est le commencement de tout désordre, en police, en économie, dans le corps particulier de l’homme" (Pensées 477). 25 Hobbes, Leviathan 188. Le concept de paix, d’ordre social, est bien ce qui concerne Hobbes, la fondation de son systems politiqus. Ainsi Vialatoux explique-t-il bien: "L’idée directrice qui commands, non pas seulement 1a sociologie mais toute la cosmologie, toute la Physique de Hobbes, c’est celle de l’ordre politiqus; ou, pour lui donner les noms par lesquels Hobbes le désigne, l’idee de la paix; plus précisément encore, de la tranquillité ou de la sécurité individuelle" (77). 25 L’on comprend mieux le commentaire sur les Essais de morale qu’a fait Voltaire dans Le_§iecle de Louig XIV. Voltaire, qui pourtant portait psu en estime les jansé- nistes, écrit dans son "Catalogue des écrivains" que "les Essai§_degpprale, qui sont utiles au genre humain, ne periront pas." Il poursuit: "Le chapitre, surtout, des moyens de conserver la paix dans la société est un chef 164 d’oeuvre auquel on ne trouve rien d’égal en ce genre dans l’antiquité" (Le siecle de Louis XIV, éd. R. Groos, 2 vols. [Paris: Garnier Freres, 1929-1930] 2: 326). 27 James 137. James, d’ailleurs, poursuit: "A similar combination of these tendencies, which in general divided Protestants from natural law theorists, is found in Hobbes, and may help to define the affinities of his thoughts with that of Nicole and Pascal" (138). . 28 Louis van Delft observe lui-aussi la convergence de vues sur la nature humaine entre Hobbes et La Rochefou- cauld. "Il est clair," écrit-i1, "que la psychologie de La Rochefoucauld est marquee par ce réalisme nouveau, dont les maitres sont Machiavel, Hobbes, Gracian" ("Pour une lecture mondaine de La Rochefoucauld," Images de La Rochefoucauld. Actes du Tricentenaire, 1680-1980, Actes du colloque d’Angouleme, eds. Jean Lafond st Jean Mesnard [Paris: PUF, 1984] 148). Voir également Moore, La Rochefoucguld: Hip Mind 67-79. 29 Voir Antony McKenna, "Quelques aspects de la reception des Maximes en Angleterre," Images de La Rochefoucauld. Actes du Tricentengire, 1680-1980, Actes du colloque d’Angouleme, éds. Jean Lafond et Jean Mesnard (Paris: PUF, 1984) 77—94, et Monique Nemer, "La dénegation dans la reception de La Rochefoucauld en Angleterre," Images de La Rochefoucauld. Actes du Tricentenairel 1680- 1980, Actes du colloque d’Angouleme, eds. Jean Lafond et Jean Mesnard (Paris: PUF, 1984) 95-107. Emile Thouverez, quant a lui, trouve chez Nicole—-dans son utilisation de l’amour-propre-—"une doctrine sociale qui fait prévoir Mandeville et la Fable des Abeilles" (Pierre Nicole [Paris: Gabalda, 1926] 134). Sur Nicole et Mandeville, voir également James 170. 3° Le Misanthrope I,i dans Moliere 325. 31 L’utilisation du "on" que fait La Fontaine dans sa fable "Les animaux malades de la pests" fonctionne de la meme maniere. La constatation narrative "tous étaient frappés. / On n’en voyait point d’occupés" et la réflexion d’ordre general "L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents / On fait de pareils dévouements" mises a part, la balls rebondit, dans le debat, entre l’individu et la voix collective. Le berger declare "Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que [lui]: / Car pp doit souhaiter selon toute justice / Que le coupable périsse." Chacun parle, meme si la faute n’est pas celle d’un seul individu. Mais au désordre collectif doit correspondre une solution collective. Au "on" indéfini et en crise, doit répondre Is "on" de la collectivité, et non 1a voix ds chacun. Donc "2E cria haro sur le baudet" (118, c’est nous qui soulignons). 165 La Rochefoucauld, lui, n’opte pas pour une solution sacrificielle a meme de restaurer l’ordre collectif. Comme nous l’avons déja dit, il veut encourager une solution collective dont ls but est d’aménager 1e désordre. 32 Girard, La Violence 77. 33 Girard, La Violence 77. 34 Girard, La Violence 233. 35 Girard, La Violence 233. 3° Sur la projection hors du temps que symbolise l’aphorisme, et l’universalite que les pluriels suggerent, voir Monique Nemer, "Les intermittences de la vérité. Maxims, sentence on aphorisme: notes sur l’évolution d’un genre," Studi Francesi 78 (1982): 484-93. 3' Lafond, Lg Rochefoucauld. Augustinisme 28. 38 Voir Pascal, Pensées 455: "En un mot, le mg; a deux qualités: il est injuste en soi, en ce qu’il se fait centre de tout; il est incommode aux autres, en ce qu’il les veut asservir: car chaque pp; est l’ennemi et voudrait etre le tyran de tous les autres." 39 Serres 278. 4° Lafond, La Rochefoucauld. Augustinisme 179. Voir également Odette de Mourgues qui considers aussi l’amour— propre comme un facteur biologique (Two French Moralistg; La Rochefoucauld and Lngruyere (Cambridge: Cambridge UP, 1978] 90-1). ‘1 Jean Lafond effectue le meme rapprochement et cite la meme maxime supprimée: "Ce qui les [les hommes] conduit en effet, c’est cet amour-propre qui, s’il n’etait réprimé, 'ferait des courses continuelles sur les autres’, et en deviendrait sans scrupules 1e tyran." La note 136, qui renvoit a la citation précédente, mentionne a juste titre Nicole: "C’est la ce qui justifie la société civile pour Nicole: 'par le moyen des roues et des gibets qu’on établit en commun, on réprime les pensées et les desseins tyranniques de l’amour-propre de chaque particulier’ (‘De la charité et de l’amour-propre’). Nous ne sommes pas loin ici de Hobbes" (La Rochefoucpuld. Augustinisme 51). 42 On voit en quoi se distinguent La Rochefoucauld-- qui préconise de cacher l’amour—propre-—et Pascal. Celui- ci, dans son dialogue imaginaire avec Mitton, écrit: "Le mg; est haissable: vous, Miton, le couvrez, vous ne l’6tez 166 pas pour cela; vous etes donc toujours haissable" (Pensées 455). Comme ls montre tres bien Jean Mesnard dans son chapitre sur l’honnete homme chez Pascal, "Pascal dénonce au contraire [de Mitton qui reconnaissait que ‘l’honneteté ... n’est, a le bien prendre, que l’amour-propre bien réglé’] dans l’amour—propre ls vice fondamental qui pervertit toutes les relations humaines, les établissant dans le mensonge" (Les Pensées de Pgscal [Paris: SEDES, 1976] 119). ‘3 Lafond, La Rochefoucauld. Augustinisme 107. Sur l’esthétique de l’ honneteté chez La Rochefoucauld, voir plus particulierement la seconde partie de 1’ article de Jean Starobinski, "La Rochefoucauld et les morales substitutives" 211-39. ‘4 Jacques Truchet, Introduction, dans La Rochefoucauld lxvi. ‘5 La Rochefoucauld lxvi. ‘5 Hobbes, Leviathan 227. ‘7 Hobbes, Leviathan 227. ‘8 Starobinski, dans son article "La Rochefoucauld et les morales substitutives," effectue un rapprochement similaire entre l’auteur des Maximes et Hobbes en étudiant le "pari pour la parole" (214) que font La Rochefoucauld et ses amis aristocrates qui ne veulent se soumettre au pouvoir absolu du Roi. Starobinski écrit donc: "L’idéal de l’honneteté--tel qu’il se formule chez La Rochefoucauld et quelques—uns de ses contemporains--reproduit a l’échelle du salon ce que Hobbes définissait a l’échelle de l’Etat. C’est 1e meme fond de doctrine, mais ramene a un horizon rétréci....Ce que fonds la parole, pour La Rochefoucauld et ses amis, ce n’est pas l’Etat raisonnable, le Commonwealth, l’immense corps du Leviathan: c’est la possibilité d’etablir les liens qui rapprocheront les membres d’une étroite ‘société polis’" (215). ‘9 Le Misanthrope I,i dans Moliere 325. On ajoutera cependant que, comme 1e dit Jean Lafond, "La Rochefoucauld n’est pas Philinte" (La RochefouQeHld. Apggstinisme 145). 5° "So the nature of War, consisteth not in actuall fighting; but in the known disposition" (Hobbes, Leviathan 186). sa c’est alors que Nicole fait directement allusion a Hobbes. Il poursuit: "et si celui qui [Hobbes] a dit qu’ils naissent dans un état de guerre, et que chaque homme est naturellement ennemi de tous les hommes, efit voulu 167 seulement représenter par ses paroles 1a disposition du coeur des hommes les uns envers les autres, sans prétendre la faire passer pour légitime et pour juste, il aurait dit une chose aussi conforms a la vérité et a l’expérience que celle qu’il soutient est contraire a la raison et a la justice" (CAP 180). On peut supposer que Nicole a dfi lire le Leviathan. Le segment précédemment cité "chaque homme est naturellement ennemi de tous les hommes," ainsi que la demonstration selon laquelle, si l’ordre politiqus était détruit, "Tous les hommes seraient ennemis les uns des autres, et il y aurait une guerre générale entre eux" (G 397) fait sans nul doute reference au treizieme chapitre du Leviathan. Hobbes, dans ce chapitre, montre que la condition naturelle des hommes est un état de guerre, "a time of Warre, where every man is Enemy to every man" (Leviathan 186). 52 Sur les courants internes du mouvement janséniste, la position de Barcos et celle de Nicole notamment en ce qui concerne le retrait du monde, voir Lucien Goldmann, Lg Dieu cache. Etude sur la vision tpagique dang les 'Pensées’ de Pascal et dans le théetre de Racine (Paris: Gallimard, 1959) 157-82. 53 Louis Cognet, "Le mépris du monde a Port-Royal et dans le jansénisme," Revue digggétique et de pystique 41 (1965): 399. Sur Nicole et la retraite, voir également David Graham, "‘Courage, j’ai vaincu le monde’: retraite st engagement dans les Eggais de morglg de Pierre Nicole," Eggcal, Corneille. Desert, retrgite, engagement, Actes de Tucson (Paris, Seattle, Tfibingen: PFSCL, 1984) 239-58. 54 Ce passage entier de "De la grandeur" est étonnamment proche du chapitre XIII de la premiere partie ("Of man") du Leviathan. Nicole met particulierement l’accent sur la valeur du commerce et de l’industrie humaine et son aspect positif pour l’individu-—c’est-e-dire sur tout ce qui est mis en danger ou qui n’existe pas dans le désordre de l’état de guerre de Hobbes. Ainsi, écrit-i1, "on us jouit de son bien, on ne voyage sans danger, on ne demeure en repos dans sa maison, on ne recoit les avantages du commerce, on ne tire des services de l’industrie des autres hommes et de la société humaine, que par le moyen de l’ordre politiqus" (G 397). Cet extrait est a rapprocher d’un passage de "De la charité et de l’amour-propre" dans lequel Nicole montre que, pour échapper a la destruction totals qui découlerait de l’état de guerre permanent, les hommes "contente[nt] l’amour-propre de ceux dont ils ont besoin" par d’autres moyens, "au lieu de le tyranniser" (CAP 181). Ils sont donc réduits "e substituer l’artifice a la force" (CAP 181). L’amour-propre--comme nous ls verrons plus loin--devient alors pour Nicole un moyen de conserver l’ordre social. Grace a cette stabilité, la prosperité 168 économique peut se développer: "Les uns téchent de se rendre utiles a ses intérets [ceux de l’amour-propre des autres], les autres emploient la flatterie pour le gagner. On donne pour obtenir. C’est la source et le fondement de tout le commerce qui se pratique entre les hommes, et qui se divsrsifie de mille manieres; car on ne fait pas seulement trafic de marchandises qu’on donne pour d’autres marchandises, ou pour de l’argsnt, mais on fait aussi trafic de travaux, de services, d’assiduités, de civilités; st on echange tout cela" (CAP 181). Nicole reprend dans "De la grandeur" une grande lists détaillée de biens économiques st culturels qui disparaitraient si l’ordre politiqus était anéanti. Cet ordre sert alors les bourgeois comme les plus grands: "L’ordre politiqus est une invention admirable que les hommes ont trouvee, pour procurer a tous les particuliers les commodités dont les plus grands rois ne sauraient jouir, quelque nombre d’officiers qu’ils aient, et quelques richesses qu’ils possedent, si cet ordre était détruit" (G 399). Nous l’avons vu, Nicole souligne tres clairement que, sans cet ordre politiqus et social, les hommes vivraient dans un état de guerre permanent. Ses constatations sont proches de celles de Hobbes qui, avant de betir sa théorie politiqus qui sera a meme de faire vivre les hommes en paix, s’attache a observer les consequences nefastss de la condition naturelle d’état de guerre entre les hommes. Ainsi Hobbes écrit-i1: "Whatsoever therefore is consequent to a time of Warre, where every man is Enemy to every man; the same is consequent to the time, wherein men live without other security, than what their own strength, and their own invention shall furnish them withall. In such condition, there is no place for Industry; because the fruit thereof is uncertain: and consequently no Culture of the Earth; no Navigation, nor use of the commodities that may be imported by Sea; no commodious Building; no Instruments of moving, and removing such things as require much force; no Knowledge of the face of the Earth; no account of Time; no Arts; no Letters; no Society" (Leviathan 186). 55 Voir le commentaire des affaires politiques de Montaigne dans "De la praesumption." "Le pis que je trouve en nostre estat," écrit-i1, "c’est l’instabilité, et que nos loix, non plus que nos vestemens, ne peuvent prendre une forms arrestée" (639). Hobbes fut, lui aussi, hante par les guerres civiles. Sur ls problems ds l’ordre et du désordre chez Hobbes, voir Raymond Polin, "Le systems politiqus de Hobbes," L’Information Littéraire 30.2 (1978): 63-5; et Jon Stratton, "Law and the Ideology of Order: The Problem of Knowledge in Thomas Hobbes’ ‘Leviathan,’" 1642: Literature and Power in the Seventeenth-Century, eds. Francis Barker, et al. (Colchester: U of Essex, 1981) 258- 73. 169 5° La Bruyere, 110. ("De la société.") 5' La Bruyere, 220. ("De l’homme.") 5° Girard, "The Plague" 137. 59 Girard, "The Plague" 138. 3° La Fontaine 118. Voir l’analyse de la fable que fait Rene Girard (Le bouc 8). ‘1 Girard, Le bouc 278. 52 Le grand, chez Nicole, assume le rele d’un haut fonctionnaire de l’Etat. En ce sens, son statut moral ne differs guere de celui des autres hommes. Bernard Chédozeau, dans un excellent article, montre particulierement bien en quoi Nicole veut "considérer le grand comme individu, [feint] de croire qu’il peut ne pas etre au sommet d’un type defini d’organisation sociale, [veut] lui interdire de briller de son mieux par les utilia et les respects, [veut] lui infliger l’existence individuelle, ideal de la bourgeoisie et des magistrats" ("Nicole et la grandeur," Recherche§_§ur le XVIIe siecle. II, éd. Andre Robinet [Paris: CNRS, 1978] 107). Chédozeau explique parfaitement dans quelle mesure Nicole se fait égalitariste et quelles sont les contradictions de l’analyse de l’auteur des Essais de morale. Ainsi, démontre Chédozeau, "Nicole veut 'sauver’ le grand; mais dans son systems, pour le sauver i1 doit le ruiner. Le grand ne peut pas se sauver dans un systems de salut individuel st bourgeois" ("Nicole" 107). Sur la condition des grands telle qu’elle est analyses par Nicole dans "De la grandeur," voir l’étude de Charles Mazouer, "L’analyse du pouvoir dans le traité 'De la grandeur’ de Pierre Nicole," Cahiers de littérature du XVIIeggiecle 9 (1987): 193-204. 53 Emile Thouverez rappelle a bon escient que, "par un raffinement de théologien, Nicole se rappelle que l’Evangile recommande laisser pousser ensemble l’ivraie et le bon grain, que la moisson séparera; et 11 nous declare que, si Dieu a fait si semblables entre eux les effets extérieurs de la charité et de l’amour-propre, c’est qu’il ne veut pas designer manifestement des cette vie quels sont les pécheurs et quels sont les justes, parce que, s’ils étaient ainsi désignés, les justes succomberaient sous l’orgeuil et cesseraient d’etre justes" (134). 5‘ Le Miganthrope I,i dans Moliere 325. ‘5 Sur l’utilitarisme ds Nicole, notamment sous- entendu par l’utilisation st l’utilité de l’amour-propre, voir Gustave Lanson, "Germes d’utilitarisme dans la pensée 170 catholique; et libéralisme des administrateurs sous Louis XIV," et "La transformation des idées morales: Malebranche, Nicole," Originegfet prepiere§_panifestationgfds l’egprit philoggphique dans la littegpture francaige de 1675 a 1748, réimprimé de Revue deg Cours et Conférenceg, vols. 16-18, 1907—1910 (New York: Burt Franklin, 1973) 43-56, 327-36. Voir également Lanson, Essais 297-335. 5° E.D. James, dans son chapitre "The moral basis of society and its laws" (148-61) fait une excellente etude sur l’efficacité de l’amour—propre éclairé pour le bon ordre social. ‘7 Chédozeau, "Religion" 1: 14. E.D. James, dans un contexts different, met aussi l’accent sur le volontarisme guide par la raison que doit exercer l’homme pour servir Dieu, d’apres Nicole (115). ‘3 Chédozeau, "Religion" 2: 320. ‘9 Voir Chédozeau, "Religion" 2: 320-24. Chédozeau, comparant Nicole a La Rochefoucauld, montre que "Des trois démarches successives de la pensée de Nicole: explication, description, enseignement moral, La Rochefoucauld ne connait que la seconde, en simple spectateur désabusé des désordres qu’il décrit. I1 refuse l’explication théologique sous-jacente aussi bien que le but d’enseignement" ("Religion" 2: 320). CHAPITRE 4 DE L’ECRITURE AU STYLE: RATIONALISATION ET PARADOXES 171 172 "Quand on joue a la paume, c’est une meme balls dont joue l’un et l’autre, mais 1’un la place mieux que l’autre" (Pensées 22) répondait Pascal a ceux qui l’accusaient de ne rien dire de nouveau. Il rappelle aussi avant tout que "la disposition des matieres est nouvelle" (Pensées 22). La Rochefoucauld et Nicole, nous l’avons vu dans les chapitres precedents, peuvent sembler jouer au meme jeu. Certains des themes qui font la matiere de leur oeuvre sont en effet similaires et leurs points de rencontre dépassent souvent le simple partage d’un champ d’investigation commun. Nicole, pourtant, laisse toujours plus d’ouverturs sur l’homme et son destin moral que ne 1e fait La Rochefou- cauld. Si l’auteur des Essais de morale reconnait qu’il existe bel et bien un vide au sein de l’homme, il travaille a encourager les hommes a combler cette vacuité. De meme, s’il admet qu’il est difficile de se connaitre sci-meme, Nicole souligne ls fait qu’il faut travailler a cette connaissance de soi, qu’il n’est pas impossible d’y parve- nir partiellement. Nicole fait clairement appel a notre raison. Nous devons etre vigilants st nous regarder en touts chose. La raison fait la force de l’homme, explique Nicole, et la faiblesse de l’homme "consiste dans l’impuis- sance ou sa volonté se trouve de se conduire par la raison" (FH 91). La vie chrétienne consiste a suivre la volonté absolue de Dieu (SVD 102), mais il existe, pour Nicole, des "moyens humains" (SVD 131) qui nous menent a Dieu. Des lors, comme 1e dit Bernard Chédozeau, "les 'moyens humains’ 173 fondent la légitimité de l’entreprise morale tout entiere."1 Ce sont précisément ces moyens humains que Nicole s’attache a découvrir, a exploiter. En consequence son regard ne peut se porter uniquement sur la description des effets comme ls fait celui de La Rochefoucauld. Nicole se donne pour but de "betir" l’homme, de le convaincre des moyens humains mis a sa disposition. La Rochefoucauld se contente de laisser l’évidence nous confondre. I1 déconstruit et ne nous laisse entrevoir et découvrir qu’une réalité fragmentée et fragmentaire. Or, ces itinéraires différents transparaissent dans l’ecriture meme des deux auteurs. Nous verrons ainsi que l’écriture de Nicole recele des marques de rationalisme cartésien. Cells de La Rochefoucauld, par contre, porterait presque des traces de la vision tragique de Pascal. Les divergences radicales qui séparent Pierre Nicole de La Rochefoucauld s’observeront d’abord a partir des genres littéraires respectifs qu’ils adopterent, a partir de leur ecriture. Le but de ce chapitre consiste done a explorer la maniere dont chaque auteur transcrit sa vision morale. Bien qu’il admiret fort celui qu’il appelait un "grand esprit de ce siecle" (CSM 12, CAP 185), et qu’il considéret son recueil comme "l’un des plus utiles que l’on puisse mettre entre les mains des Princes qui ont de l’esprit" (EP 8: 255), Nicole n’était pas sans reserve a l’egard de l’auteur des Pensées.2 Répondant au jugement des Pensées 174 qu’avait fait Madame de La Fayette--"c’sst méchant signs pour ceux qui ne goflteront pas ce livre," avait-elle com- menté--3 il écrit au Marquis de Sévigné qu’il pourrait formuler plusieurs objections a l’ouvrage de Pascal et s’attache plus particulierement dans sa lettre a contre- carrer la conception pascalienne de l’ennui.4 Sa critique des Pensées dépasse ls simple désaccord sur quelques principes et ses reproches éclairent la démarche stylis- tique qu’il s’est efforcé de suivre. "J’ai eu jusqu’ici quelque chose de 'ce méchant signe,’ avoue-t-il, pour— \ suivant a propos des Pensées: J’y ai bien trouve un grand nombre de pierres bien taillées, et capables d’orner un grand betiment, mais le reste ne m’a paru que des matériaux confus, sans que je visse assez l’usage qu’il en voulait faire.5 Descartes percevait le philosophe comme un architects.6 Nicole, lui, voit en l’écrivain un betisseur. Son jugement des Pensées le prouve bien: l’oeuvre écrite doit selon lui ressembler a un betiment. La matiere d’écriture se travaille comme la pierre. En exposant ce qui distingue ceux qu’il nomme dans le titre de la cinquantieme pensée "les esprits de mouche," Nicole reconnait de surcroit qu’il faut laisser des traces, des empreintes, creuser la matiere que l’on travaille: "11 y a des gens qui ne font qu’effleurer les matieres, et qui s’y promenent comme des mouches; ils n’approfondissent rien; d’autres au contraire 175 laissent des traces, et cavent ce qu’ils manient" (P #L, 6: 193). D’une part, Nicole sait mauvais gré a Pascal de n’avoir pas beti son ouvrage, faisant preuve de beaucoup de sevérité et oubliant sOrsment un peu vite que le projet qui deviendra les Pensées était reste inachevé a la mort de Pascal. Pascal, pensait a tort Nicole, ne laisserait alors jamais de traces dans la posterité.7 D’autre part, l’auteur des Essais de morale reproche a Pascal a la fois la confusion, le manque de clarté, l’indistinction de la matiere que ce dernier avait travaillée. En vérité, cette accusation met plus particulierement en lumiere la forme stylistique et le genre adoptés par Nicole ainsi que le but qu’il se donne en tant qu’ecrivain moralists. L’approche de Nicole sera d’ailleurs mise en pratique--l’on pourrait presque dire miss a l’essai--dans l’edition meme des Pensées de Pascal, l’edition de Port-Royal a laquelle Nicole avait travaille aupres d’Arnauld, de du Bois, de Treville et de Filleau de la Chaize. Les Pensées offrent une nouvelle disposition des matieres. L’influence qu’elles ont pu avoir n’est ici pas des moindres. Confrontés a la composition fragmentée et au désordre des liasses de Pascal, les éditeurs sont genes, quasiment désemparés. L’absence d’ordre les importune a tel point qu’Etienne Perier, dans sa preface a l’édition de Port-Royal de 1670, se voit a plusieurs reprises contraint de justifier ls travail editorial des Messieurs. Sans ce 176 travail, explique—t-il, "on considérerait ce volume, grossi inutilement de tant de pensées imparfaites, que comme un amas confus, sans ordre, sans suite, st qui ne pouvait servir a rien."8 Tout l’effort de contention rationnelle des éditeurs résidsra alors dans la remiss en ordre et l’"écrémage" des fragments, c’est-a-dire la suppression des pensées "ou trop obscures, ou trop imparfaites."’ Le fragment dérange les éditeurs de Port-Royal. Le désordre les déconcerte. Lui aussi trouble st incommode par la facture pascalienne, Nicole renouvelera son travail d’éditeur sur ses propres essais et s’attachera plus particulierement a éviter la démarche de l’auteur des Pensées. Or, Pascal--notamment par le "Renversement continuel du pour au contre" (Pensées 328) et son ecriture fragmentée—- traduit justement une vision tragique de l’homme et de ses paradoxes. Il conviendra d’examiner si la fragmentation imposée par La Rochefoucauld sous la forms des Maximes laisse transparaitre une vision semblable. En ce qui concerne Nicole, cependant, force est de constater que la forme meme des Pensées vise un but qu’il ne soupconne point on qu’il refuse de concevoir comme valide. Lucien Goldmann l’a bien démontre: Il peut y avoir un plan logique pour un écrit rationaliste, un ordre de la persuasion pour un écrit spirituel; il n’y a, pour une oeuvre tragique, qu’une seule forms d’ordre valable, celui du fragment, qui est recherche d’ordre, mais recherche qui n’a pas réussi, et ne peut pas 177 réussir, a l’approcher. Si Pascal est un grand écrivain-—et il l’est--c’est tout d’abord parce qu’a l’encontre des valeurs esthétiques de ses contemporains, sceptiques ou rationalistes, il a su trouver et manier les deux formss d’expression littéraire exigées par sa propre philosophie, le paradoxe et le fragment, et fait ainsi des Pensées ce qu’elles sont en vérité, un chef- d’oeuvre paradoxal, achevé de par son inache- vement.1° De meme, s’appuyant sur la pensée 37311 pour démontrer que dans les Pensées Pascal pratique l’incertitude et le désordre st refuse de suivre un code de continuité de maniere a manipuler 1e désir du lecteur et a faire naitre en ce dernier l’aspiration a l’ordre et a la certitude, Sara Melzer parvient a la demonstration suivante: The Pensées aggravate the desire for certainty, order, and unity by rejecting all the values established by seventeenth-century thinkers and by disclosing the prevalence of their opposites. Since the narrator’s own goal is truth, he describes his means of achieving it in terms of disunity and disorder, an aesthetic of obscurity.12 Elle poursuit, apres avoir cite la pensée 373: The highlighting of disorder in the narrator’s discourse has four effects. First, it emphasizes the chaotic nature of the subject matter. To impose order on an inherently disorderly subject matter would be false and misleading. Second, it shows that all discourse is by nature mechanical and conventional and thus there can be no order. Any order that one chooses can be reversed. Third, it serves a specific persuasive purpose: the discourse of disorder turns the reader against the proud rationalism of Descartes which deludes itself into thinking that it can possess a true order. Fourth, it creates the desire for a transcendent order.13 178 Pascal, ainsi, prendrait clairement le contrepied de Descartes.1‘ Or, c’est justement en Descartes que l’on semble en partie trouver sinon 1e modele de Nicole, du moins une reference tres probable et un appui théorique pour la construction des essais. Nicole, suivant une orientation clairement cartésienne et classique, tend a mettre en valeur les notions de clarté et d’ordre. A l’encontre de Descartes, cependant, il ne condamne pas totalement l’emploi d’ornements.15 L’ornementation doit selon lui etre uniquement utilisée a bon escient, dans un but manifests. Ainsi, dans ce contexts cartésien, Pascal ne ne peut que lui paraitre obscur. Nicole, en fait, ne recherche pas l’ordre. Il le trouve, l’applique afin de faire appel aux facultés rationalistes de ses lecteurs. Loin de mettre en question et de souligner l’aporie en laquelle consiste la recherche d’un ordre qui n’existe pas, Nicole prene une plus grands clarté st montre sa confiance dans les préceptes de la méthode exposes par Descartes dans son Diggours de laipéthode. L’influence cartésienne est nette dans Lg ngique ou 412;: de penser et l’on peut legitimement penser que Nicole lui-meme se soit considérablement imprégne des quatre regles de la méthode de Descartes.1‘ Ainsi Arnauld et Nicole exposent—ils clairement dans la derniers partie de leur ouvrage qu’en ce qui concerne la méthode pour bien penser, "le tout est de bien arranger ses pensées, en se servant de celles qui sont claires st evidentss, pour 179 penetrer dans ce qui paraissoit plus cache."17 Certes, rappellent les auteurs, certaines choses demeurent incompréhensibles et "11 y a ... de la certitude et de l’incertitude, et dans l’esprit et dans les sens, et cs seroit une faute égale de vouloir faire passer toutes choses ou pour certaines, ou pour incertaines."18 Néanmoins, poursuivent-ils, les quatre regles de la méthode "que M. Descartes propose dans sa Methods, peuvent etre utiles pour se garder de l’erreur en voulant recherchsr la vérité dans les sciences humaines, quoiqu’a dire vrai elles soient generales pour toutes sortes de méthode, et non particulieres pour la seule analyse."19 Le seul fait d’ordonner ses pensées peut donc permettre de "se garder de l’erreur" mais également de sonder les profondeurs, " "penetrer dans ce qui paraissoit plus cache, comme nous l’avons vu précédemment. Arnauld et Nicole interpretent ici la troisieme regle de Descartes e leur maniere. Ce n’est plus a la connaissance "des [objets les] plus composés"3° qu’il convient de parvenir mais a celle du camouflé, de l’indiscernable. La conduite ordonnée de la pensée devrait rendre possible l’exploration intérieure, rendre l’invi- sible visible st transparent. Par consequent, contrairement 6 ce que Sara Melzer constate chez Pascal, l’on note chez les auteurs de la ppgique ou lflggt de penser le rejet d’une esthétique d’obscurité ainsi que la certitude de pouvoir Parvenir a "trouver la vérité par la voie de la raison."21 180 Dans cette perspective, Nicole réagirait devant la confusion pascalienne en faisant clairement valoir des principes cartésiens. Miss a part leur divergence d’intention, c’est également a partir de ces principes qu’il s’oppose a La Rochefoucauld. Nous démontrerons que l’auteur des Essais de morale s’efforce avant tout d’ordonner son discours. Nicole affirmerait ainsi que la matiere qu’il travaille peut etre explores, retracée, et agencée de maniere rationnelle. En cs sens il se démarque radicalement de La Rochefoucauld,22 ce dernier faisant justement état de l’impasse que represents une telle démarche. Cependant, nous verrons aussi que Nicole--suivant le quatrieme precepts de Descartes23 en tentant de ne rien omettre--se heurte a certaines difficultés dans les essais 0 cu il se donne pour dessein de "démeler,' c’est-e-dire d’explorer la matiere anthropologique et non la matiere théologique. Nicole betit. Mais s’il le fait en techant d’ordonner systématiquement sa matiere et ds la presenter clairement, il y réussit inégalement. Il semble hesitant, partagé entre d’une part 1e désir d’etre ordonné, 1e souhait d’offrir des interpretations raisonnees aux problemes moraux, et d’autre part l’obligation a développer la matiere inepuisable que lui imposent ses sujets d’investigation et de demonstration. Il convient donc d’examiner si les Essais de morale ne dévoilent précisément pas des paradoxes chez Nicole st si certaines de ses hésitations sur la forme que ses essais devaient revetir 181 éclairent sa vue de l’homme, le rapprochent ou l’eloignent de l’écriture minimale de La Rochefoucauld. La vision de l’homme de Nicole s’écarte du tragique dont elle est revetie chez Pascal. C’est en fait dans ce meme sens que la dialectique de Nicole s’opposera a la lucidité tragique de La Rochefoucauld. L’on a noté l’image de l’ecrivain-betisseur dans la lettre sur Pascal que Nicole avait adresses au Marquis de Sévigné. On la retrouve dans une autre lettre. S’excusant de devoir refuser d’écrire une epitaphe que lui avait demandee le Prieur de Saint Germain-dss-Prés, il explique: je me sens pressé de vous avouer tres sincerement que je n’ai point du tout celui [le talent] de réussir dans les ouvrages qui demandent de l’invention et de la beauté d’esprit, ou il faut se soutenir de sci—meme, et preter des ornements a ce que l’on traits. Ilgpe faut toujourgvune pgse et unggppui grossier etgpptériel, et gu’il y \ ait quelque chose e prouver et a depeler: a moins de cela je tombs, et ne me saurais soutenir.H (C’est nous qui soulignons.) Sa maniere d’écrire toute entiere est ici resumes. Le constructeur a besoin d’une base, de fondements, d’un point d’appui justement "grossier et matériel,‘ comme il le dit. Le défaut de soubassemsnts ne provoque pas seulement l’écroulement de l’édifice écrit. Bien plus, il déclenche la chute de l’auteur lui-meme, l’entraine sur des sables mouvants desquels i1 ne peut réchapper, rendant ainsi toute creation littéraire inconcevable et impossible. 182 Nicole entend betir, prouver, démeler mais non rejeter sable et gravier de maniere a construire sur une assise solids comme techait de le faire Descartes, philosophe.25 Les fondements de la morale de Nicole (1e christianisme a touts épreuve) sont bien entendu inébranlables et forment ainsi les soubassemsnts de toutes ses inductions. Nicole travaille sur une base connue st solide. Il ne la remet pas en question. Au contraire, le but de son travail consiste a la rendre encore plus inamovible. Nicole suggere aux hommes les attaches qu’ils doivent prendre a cette base, alors que La Rochefoucauld se contente de nous décrire comme deter- minés et mines de l’intérieur. Dans cette perspective, il est clair que Nicole se donne pour but de démontrer, et de le faire de maniere rationnelle. Pascal était "confus," Nicole veut éclaircir et développer un argument logique. La Rochefoucauld, lui, se distinguera clairement de cette attitude rationaliste. Il ne démontrera pas, il démontera. SOn dessein sera avant tout de chercher, d’explorer l’intérieur de l’homme, de penetrer. La morale de Nicole dépasse la simple exploration et la description sommaire. F. Armand-Jean, abbe de la Trappe, encourageant Nicole a poursuivre l’écriture de ses Essais de morale, ne s’y est pas trompe. 11 comments avec justesse ls style et les buts de Nicole, lui écrivant: Vous y [dans les Essais de morals] avez explique les vérites Evangéliques les plus importantes et les plus ignorées. Les consequences et inductions que vous en tirez sont si précieuses et si 183 naturelles, qu’il est impossible qu’elles ne persuadent, et qu’elles ne pénetrent, a moins qu’elles ne trouvent des fines de marbre et de bronze. Vous vous y etes proportionne a ceux a qui vous avez voulu vous rendre utile, st vous en venez a bout.26 Pour l’abbé de la Trappe comme pour Nicole, ce sont fina- lement les emes qu’il faut penetrer, plus que la matiere. Des lors, Nicole ne se contente pas de simplement "caver" ce qu’il écrit, i1 entend se mettre a la portée de son lecteur, démontrer--tirer des conséquences--et persuader,37 d’ou la longueur de ses essais. Curieusement, les premieres editions des trois premiers volumes des Essais de morale étaient caractérisees par la division des textes en petites sections numérotées,28 le texte étant, comme Bernard Chédozeau 1e fait remarquer, "distribué en courts paragraphes de quelques phrases," par lesquels "Nicole étudiait ainsi 1e meme problems sous une multiplicité de points de vue différents."n On lit donc dans l’avertissement place a la tete de l’édition definitive des Essais de morale: D’abord on n’avait distingue ces Traités que par des nombres, comme si c’eussent été des amas de pensées detachees. Mais comme 11 y avait néanmoins un veritable ordre dans ces pensées; et que l’on a été averti que cette multitude de nombres produisait quelque confusion, on a cru depuis les devoir diviser en Chapitres, et réunir ainsi diverses pensées sous un meme titre, ce qui fait mieux voir la suite et l’ordre du Traité. Il se pourra faire néanmoins par ce changement, qu’en quelques endroits les Chapitres paraitront ou trop lies avec ce qui precede, ou trop psu 184 lies dans leurs parties; parce qu’il échappe toujours des défauts de cette sorte, quelque soin qu’on apports dans ces revues.3° Que Nicole ait conduit par ordre ses pensées, comme l’encourageait 1e deuxieme precepts de Descartes, cela ne fait nul doute: "il y avait ... un veritable ordre dans ces N pensées. Cet ordre n’étant nullement apparent, ls devoir de Nicole fut donc "de les rendre claires et intelli- gibles."31 Ce qui n’était qu’un "amas,' un entassement qui créait un sentiment de confusion chez le lecteur est alors devenu un betiment construit--si l’on en croit l’Avertisse- ment de l’edition des Essais--selon les deuxieme et troisieme préceptes de la méthode énonces par Descartes: la division des difficultés (s’effectuant dans les Essais de morale en chapitres), la conduite de la pensée par ordre, et finalement la supposition qu’il existe "meme de l’ordre entre ceux [les objets] qui ne se precedent point naturel- lement les uns les autres."32 La Rochefoucauld, lui, refusera de systématiquement mettre en ordre les "pensées détachées" qui font la matiere des Maximes, meme si certaines d’entre elles appartiennent au meme registre. "Pour ce qui est de l’ordre de ces réflexions," écrit-i1 dans "Le libraire au lecteur," "on n’aura pas de peine a juger que comme elles sont toutes sur des matieres différentes, il était difficile d’y en observer. Et bien qu’il y en ait plusieurs sur un meme sujet, on n’a pas cru les devoir toujours mettre de suite, 185 de crainte d’snnuyer le lecteur..." (5). Il est du ressort du lecteur, ajoute La Rochefoucauld, de consulter la table des matieres ds facon a regrouper les maximes traitant du meme sujet (5). Or, justement, la table des matieres vient souligner 1e fait que la taxinomie des vices et des vertus demeure une classification arbitraire. La Rochefoucauld percoit l’homme comme fondamentalement desordonné dans son comportement st bouleverse par le chaos intérieur qui le ronge. Des lors, seul le pele-mele des maximes présentées au lecteur sans ordre est a meme de restituer cette réalité decousue qui vient defier la raison. De plus, alors que Nicole avait au depart choisi un genre fragmentaire proche de la maxime de par sa concision, son changement d’itinéraire l’opposera radicalement a la technique de l’écriture adoptés par La Rochefoucauld. Celui-oi elaguera, taillera au fil des editions. Nicole, lui, échafaudera et érigera.33 Au propre comme au figure, nous verrons un La Rochefoucauld qui déconstruit et équarrit alors que Nicole charpente l’homme et son oeuvre. "L’éloquence est une peinture de la pensée; et ainsi, ceux qui, apres avoir peint, ajoutent encore, font un tableau au lieu d’un portrait" (Pensées 26), écrivait Pascal, exprimant sans ls vouloir quelles furent les consequences de la démarche de Nicole. De ses "pensées détachées" comme le sont les pierres taillées, Nicole aura donc élevé ses betiments, ses essais bien construits. La division par chapitres numérotes caractérisera tous les 186 essais, les plus longs étant également divisés en deux grandes parties, comme par exemple "De la connaissance de sci-meme," "De la soumission a la volonté de Dieu," ou "Des moyens de conserver la paix avec les hommes." Quant aux "Pensées sur divers sujets de morale," publiées posthu- mement, elles attestent bien ls désir (relatif) de concision qui avait au depart pu séduire Nicole. La longueur inégale et la separation de chaque phrase en un paragraphs different dans certaines pensées ne montrent cependant rien de systématique. Ces pensées, "pieces ou l’on traits de divers points sans liaison" (P #LX, 6: 201), avaient pourtant quelque chose qui plaisait a Nicole, comme l’indique le texte suivant: "Beauté de découvrir plusieurs vérites tout d’une vue.” C’est un grand ornement dans la nouvelle maniere de betir, que tous les appartements s’enfilent, en sorte qu’en ouvrant les portes on les découvre tous. De meme c’est un grand ornement dans une piece, quand la proposition du sujet vous fait voir en quelque sorte toute la piece, mais d’une maniere qui excite plutet ls désir de voir distinctement ce qu’elle montre, qu’elle ne le satisfait en découvrant tout ce qu’elle contient. Ces pieces ou l’on traits de divers points sans liaison, sont commme ces betiments ofi l’on va de chambre en chambre, et ou l’on ne voit jamais plus d’une chambre a la fois. (P #LX, 6: 201) Nicole semble en fait avoir eu des sentiments fort partagés sur la maniere d’écrire. Il admire, dans la pensée précédemment citée, un style qu’il se verra oblige d’abandonner--peut-etre apres avoir conclu a son manque de 187 talent, a l’impasse représentée par une telle démarche, ou peut-etre apres avoir découvert que la fragmentation revels justement l’impasse. En meme temps, dans une lettre ou il explique a son interlocuteur sa volonté a ne pas s’sngager dans une dispute sur la transubstantiation, i1 jugs les petits écrits "tres dangereux et tres inutilss."=H Nicole, en fait, ne veut pas s’engager dans la dispute et le dit clairement a son correspondant. Mais ce qu’il voulait éviter était aussi "de faire un petit écrit sur une matiere qui ne peut etre bien traitée qu’avec quelque étendue."35 De plus, au problems impose par la concision d’un texte, se greffe toujours dans l’esprit de Nicole celui du désordre et de l’indétermination des pensées éparses. Dans une réponse a une lettre dans laquelle on lui reprochait de ne pas avoir "suivi 1a meilleure voie dans les Essais de morale,"3° Nicole se justifie et écrit: si je m’occupe quelquefois e écrire, ce n’est point dans la vue que le monde ait grand besoin de ce que je fais. 11 y a plus de dix ans que je n’ai point d’autre dessein en écrivant que de m’occuper, et d’appliquer mon esprit a certains sujets qui me paraissent utiles pour moi-meme. Ainsi je suis paye de mon travail par mon travail meme, et quand je serais tout seul au monde, je ne ferais pas autre chose que ce que je fais. Si je pouvais lire autant que je voudrais, ou que j’eusse une autre occupation, on ne verrait gue- res d’ouvrages de ma facon; car je ne travaille guere que quand je n’ai pas autre chose a faire. J'aipe néanpoins mieux m’occuper de cette pppiere, que d’ecrire des pensées vagues et sans ordre, parce que cela tient plus l’esprit en haleine, et l’empechs de tomber dans la langueur et dans l’ennui, qui est un état, que [sic] je crois, qu’on est oblige d’eviter.37 188 Certes, Nicole travaille a ses essais par gofit. Il se lance ainsi une sorte de défi personnel. Ceci n’explique pourtant pas pourquoi il avait bel et bien renonce aux pensées frag- mentaires qui formaient la matiere des premieres editions des Essais degmorale. Or, dans sa lettre sur la transubstantiation ou il jugs inutiles et dangereux les petits écrits, Nicole se surprend précisément a développer un petit traité. Ayant dfi inter- rompre la redaction de sa lettre, i1 la reprend trois semaines apres et écrit: "Je me suis apercu en la [sa lettre] relisant que je faisais justement ce que j’avais voulu éviter."38 La clé du style prolixe de Nicole se trouve peut-etre dans cette anecdote. Nicole se serait-il "laisse aller," ou aurait-i1 voulu diviser les difficultés a l’infini? N’sst-il pas constamment tiraillé entre sa volonté de débattre parcimonieusement sur quelques points et son désir cache de traitsr sa matiere a fond? Il est en fait conscient des limites prescrites par un traité et par l’esprit. La concision impose des choix, des delimitations de la matiere sur laquelle on travaille. Sur ce point Nicole est clair: Mais comme cs n’est pas ici ls lieu d’en traitsr a fond, et que c’est plutet la matiere d’une morale tout entiere que d’un petit écrit comme celui-oi, l’on se contentera d’y proposer en général quelques avis pour éviter, dans l’etude qu’il en faut faire toute sa vie, les égarements volontaires et les illusions subtiles ou l’aver- sion pour la vérité nous engage...." (CSM 43) 189 Les limitations de l’écrit rejoignent souvent celles de l’esprit-—qui dénotent la faiblesse de l’homme. Nicole, comme 1e fait Arnauld, "admet un domaine accessible a la raison, et un domaine qui la dépasse."3’ Le paradoxe que souleve la forme dss Essais de:porale semble en fait determine par les reductions et déficiences de notre esprit. Nous divisons les choses les plus simples en diverses idées, parce que notre esprit est encore trop étroit pour les pouvoir comprendre toutes ensemble. Tout est trop grand pour lui. Il faut qu’il raccourcisss tout ce qu’il considers, ou qu’il en retranche la plus grands partie pour le proportionner a sa petitesse.... La vue de notre esprit est a psu pres semblable A cells de notre corps; je veux dire qu’elle est aussi superficielle et aussi bornes. Nos yeux ne pénetrent point la profondeur des corps, ils s’arretent a la surface. Plus ils étendent leur vue, plus elle est confuse....Nous ne connaissons de meme que la surface et l’écorce de la plupart des choses. Nous en détachons comme uns feuille delicate pour faire l’objet de notre pensée. Si les objets sont un peu etendus, ils nous confondent. Il faut nécessairement que nous les considérions par parties, et souvent la multiplicité de ces parties nous rejette dans la confusion que nous voulions éviter. (FH 85) Ainsi que le note fort a propos Bruce H. Davis,4° inca— pables de ne "connaitre qu’un seul objet, et une seule vérité e la fois" (FH 85), nous suivons 1e second precepts cartésien en divisant les difficultés. Or, cette division peut souvent conduire a la confusion, l’accent étant ici particulierement mis sur le désordre et la complication qui en découlent.‘1 La perception des étendues ne concoure qu’e une indétermination supplementaire. Enfin, la vue des 190 profondeurs nous est interdite. La pénétration—-celle la meme qui consiste a atteindre l’essence sous l’écorce et que La Bruyere‘!2 allait etre amené a reconnaitre comme impraticable--est impossible a l’esprit, constate Nicole. Paradoxalement, i1 ne faudrait pourtant pas renoncer a une telle entreprise, ajoute-t-il. Alors que le dessein de La Rochefoucauld sera justement de penetrer les profondeurs intérieures et de les mettre a jour, Nicole se contente de nous suggerer de nous forcer a plonger sous la surface. Bien que l’on puisse facilement apprendre "de maniere spe- culative" (CSM 44) les verites morales "recues unanimement" (CSM 43) et celles sur lesquelles les hommes sont partagés, "il ne l’est pas de s’en servir de la vérité comme d’une lumiere pour découvrir 1e fond de son coeur st pour juger de ses actions" (CSM 44). La penetration, ici clairement une exploration des tenebres, est peut-etre difficile a tout un chacun. Elle demeure néanmoins envisageable et nécessaire. Cependant, avant qu’elle n’entre dans le domaine du moraliste, cette penetration est principalement du ressort de chaque individu. C’est ainsi qu’il pourra arriver a la connaissance de soi. L’individu pénétrera donc ses tenebres intérieures moins au depart pour y faire un inventaire a la maniere du moralists que pour y chercher uniquement ce qui est contraire a la vérité: "quelque éloignement que nous sentions pour la verite, il faut que nous nous forcions nous—memes d’en approcher et de nous en servir comme d’un flambeau pour chercher dans les plus 191 profonds replis de notre ems tout ce qui peut y etre contraire" (CSM 44). A la recherche, néanmoins, s’ajoute la nécessité de connaissance. Nicole, en fait, soutient malgré tout la validité de la démarche cognitive cartésienne: il faut t3cher de concevoir plus distinctement la corruption de notre nature; car 11 ne suffit pas d’en avoir seulement une idée confuse et generals, comme celle que nous venons de tracer: il faut en considérer en detail les diverses parties et les effets qui en dependent, et s’efforcer ds connaitre a fond l’injustice, la vanité et la faiblesse de l’homme, le progres et les effets de ses passions.... (CSM 42) Seulement, par cette division détaillée de la matiere, sa vue s’étend et confond les objets d’investigation. En fait, tout notre effort doit tendre a une connaissance approfondie, voire taxinomique—-sans qu’il soit certain que l’on puisse l’atteindre ("il faut techer," indique Nicole). On trouve 1a l’explication de la prolixité de l’auteur des Essais de morale. Cependant, malgré son application a se diriger vers l’intérieur, le regard de Nicole--lorsqu’il se pose sur l’homme--s’arrete le plus souvent e l’extérieur. Les métaphores, dans "De la faiblesse de l’homme," ramenent toujours l’homme a sa proportion et a son positionnement dans l’espace, c’est-a-dire au propre la dimension que l’on peut voir st au figure celle que l’on peut concevoir. S’il se pose sur l’intérieur, ls regard de Nicole s’attarde sur la "machine composes d’une infinite de 192 tuyaux et de ressorts" (FH 73), mais il ne plonge guere au dela. Il s’arrete essentiellement sur la déstabilisation de l’homme. Ainsi, les hommes--dans leur faiblesse--seront toujours en mouvement, les objets meme d’un seisme: "mille ... choses ... vaines les emportent et les renversent, parce que leur ems n’a point de force, de solidité ni de fermeté" (FH 91-92, c’est nous qui soulignons). Plus loin, "les moindres bagatslles ... ebrpnlent, ... agitent" l’homme (FH 93, c’est nous qui soulignons). En fait, si ls regard de Nicole se fixe sur l’exterieur, c’est que l’auteur des Essais de morale s’interesse moins au mécanisme en lui-meme qu’aux effets qu’il produit, et moins a la connaissance des passions qu’a leurs racines, leur cheminement et consequences: sans se contenter de reconnaitre simplement que nous avons la racine et la source de ces défauts [l’injustice, la vanité, et de la faiblesse], techons de plus de découvrir ce que ces racines ont produit en nous et jusqu’a quel point elles y sont vivantes. (CSM 42-43) Comme La Rochefoucauld, Nicole reconnait que l’on ne peut connaitre ni les passions ni l’homme, mais seulement leur progres, leurs effets et la faiblesse de l’etre humain. Paradoxalement, en donnant un fond a l’homme et a l’amour—propre ainsi que des racines aux passions, il soutient en meme temps que l’on peut parvenir a les connaitre et a les décrire. Ce faisant, meme si ces contradictions revelent certaines hesitations, Nicole 193 laisse finalement transparaitre une plus grands confiance en la faculté cognitive qu’il n’y parait. Enfin, chez Nicole-~ainsi que nous le verrons en conclusion--c’est a partir de ce fond, de cette base, que la construction ds l’homme pourra s’effectuer. L’homme étant sans fond chez La Rochefoucauld, i1 sera inévitablement inconstructible. Lorsqu’il ne s’attache pas a traitsr de la matiere proprement humaine, Nicole semble particulierement marque de rationalisme cartésien. Ainsi, s’agissant des preuves de l’existence de Dieu, Il y en a d’abstraites et de métaphysiques ... et je ne vois pas qu’il soit raisonnable de prendre plaisir a les décrier; mais i1 y en a aussi qui sont plus sensibles, plus conformes a notre raison, plus proportionnées a la plupart des esprits, et qui sont telles, qu’il faut que nous nous fassions violence pour y résister; et ce sont celles que j’ai dessein de recueillir dans ce discours. (PED 2) Nicole fait appel a notre raison: "La raison n’a qu’a suivre son instinct naturel pour se persuader qu’il y a un Dieu createur de tout ce que nous voyons" (PED 2). Ses preuves de l’existence de Dieu seront naturelles, exposées clairement une a une..Nicole, Emile Thouverez l’a bien dit, "démontre Dieu par les preuves classiques, cosmologique et téléologique, c’est-a-dire par la nécessité d’un Dieu créateur et d’un Dieu providence.“3 Mais, si en effet il "corrige le mécanisme de Descartes et rétablit les causes finales écartées par celui-oi,"u son rationalisme est cartésien et son discours y gagns en clarté. “Il est 194 ridicule de ... supposer un mouvement incréé et éternel" (PED 3) écrit Nicole, démontrant pas a pas que "Tout cs qu’il y a done dans le monde nous conduit a la connaissance du Createur du monde, matiere, mouvement, esprits" (PED 5). "Les hommes et les animaux sont nouveaux, ce qui suffit pour prouver l’existence de leur Créateur" (PED 5). Les preuves géologiques viennent confirmer sa creation par son Créateur: le monde n’sst pas éternel. S’il l’était, l’érosion aurait déja effectue son travail. Les inventions récentes (les moulins, la presse, 1a poudre a canon, 1a boussole) corroborent l’argument et "sont des preuves ssnsibles de la nouveaute des hommes" (PED 8). Ainsi, l’usage de la raison nous amene non plus seulement a chercher Dieu, mais a le trouver.‘5 La réussite de Nicole tient ici dans la concision et la clarté de son discours, "un abrégé." L’écriture, grace a l’utilisation d’exemples on ne peut plus concrets, confirms le degoflt de Nicole pour la confusion st l’obscurité. L’ecrit de Nicole sur les préventions et les préjugés suit la meme orientation. Clairement divisé en vingt—quatre points tres courts, l’essai "Des bornes légitimes de cette maxime; qu’il ne faut point se prévenir et de l’abus qu’on en peut faire" (6: 119) ports certaines traces des préceptes cartésiens de la méthode.‘6 En fait, si Nicole sait ici, comme dans son discours sur les preuves de Dieu, se faire concis, c’est qu’il semble épuiser une matiere qui n’est pas inépuisable. Confronté 195 aux problemes moraux, et notamment a celui de la faiblesse de l’homme, Nicole laisse transparaitre plus d’ambiguités qu’il n’y parait. Les opinions paradoxales que Nicole formula 5 l’égard de Pascal s’expliquent mieux. L’auteur des Essais de morale fait prendre conscience du destin douloureux de l’homme, de sa nature et sa condition tragiques. Mais il ne saurait s’arreter 1a. Ne pouvant se contenter de la description des effets des passions, i1 s’attache e betir l’homme plus qu’a vraiment 1e décons- truire. Pour traitsr sa matiere a fond, Nicole reprend le dualisme de l’homme cartésien et emprunte a Pascal son argumentation sur la force et la faiblesse de l’homme. Les paradoxes qui font de l’homme pascalien un etre essentiel— lement contradictoire finissent par disparaitre chez Nicole. Ce dernier a confiance en l’homme st lui points la direction de son bonheur. Certainss valeurs sont acces- sibles, pour Nicole. Meme si la faiblesse de l’homme ne fait aucun doute, il est nécessaire de travailler a leur realisation. Ainsi, c’est dans cette optique que Nicole conclut son essai sur les "moyens de conserver la paix avec les hommes" en énoncant: "Ainsi le principal moyen pour établir l’Eme dans uns paix solids et inébranlable, c’est de l’affermir dans cet unique amour qui ne regarde que Dieu en toutes choses, qui ne désirs que de lui plaire, et qui met tout son bonheur a obéir a ses lois" (PH 265). L’essai "De la faiblesse de l’homme" s’ouvre sur l’image de l’homme tout gonflé: "L’orgueil est une enflure du coeur 196 par laquelle l’homme s’étend et se grossit en quelque sorte en lui-meme, et rehausse son idée par celle de force, de grandeur st d’excellence" (FH 70). Comme la grenouille de La Fontaine,47 l’homme s’attache a gonfler son apparence extérieurs. Ce gonflement presque pathologique lui donne uns assise et une importance qu’il n’a pas et que paradoxalement ce meme gonflement met en danger. Avec l’orgueil, l’homme se betit, "rehausse son idée,’ c’est-a- dire s’éleve en prenant appui sur l’idée de force, de grandeur et d’excellence. Tout gonfle, il se trouve cependant menacé comme la grenouille--non d’explosion mais d’un envol aux consequences périlleuses. Devant cs danger, il est de notre ressort de faire dégonfler le ballon avant qu’il n’explose ou ne s’envols: "il faut piqusr cette enflure pour en faire sortir le vent qui la cause" (FH 72). Onze chapitres plus loin, l’accent sera toujours place sur la presomption de l’homme et l’image de l’enflure: Cs que nous prenons pour course, est une fuite; pour elevation, est une chute; pour fermeté, est légereté. Cette immobilite st cette raideur inflexible qui parait en quelques actions n’est qu’une dureté produite par le vent des passions qui enfle comme des ballons ceux qu’elles possedent. Quelqusfois ce vent les éleve en haut, quelquefois il les précipite en bas. Mais en haut et en bas ils sont également légers et faibles.‘ (FH 95) La comparaison des hommes avec des ballons flottant au gré des vents s’inscrit ici dans la logique de l’argu- mentation de Nicole. Le chapitre precedent, s’ouvrant sur 197 le manque d’assiette de l’eme, développe d’une part l’image des hommes suspendus "par une infinite de fils faibles et délies, a un grand nombre de choses vaines" (FH 93), st d’autre part la comparaison bien connue avec les oiseaux ("Nous sommes comme des oiseaux qui sont en l’air, mais qui n’y peuvent demeurer sans mouvement" [FH 94]) pour expliquer "la vanité des appuis que l’eme se fait pour se soutenir" (FH 93). L’image "du vent des passions qui enfle comme des ballons ceux qu’elle possede" et qui les ports permst a Nicole de réunir l’idée d’un remplissage et d’un gonflement vains et celle de la faiblesse veritable de l’homme. Parallelement, Nicole prend a dessein le contrepied de la premiere image du chapitre ("l’homme s’étend et se grossit," par orgueil) dans le troisieme chapitre de son essai. Ainsi, ce qui fait naitre ou qui entretient dans l’homme cette idée présomptueuse [l’idée de sa puissanoe et de sa force], c’est que l’apour:propre ls resserre et le renferme tellepent en lui—meme, que de toutes les choses du monde il ne s’applique qu’a celles qui ont rapport a lui et qui sont liées avec lui. (FH 74, c’est nous qui soulignons.) Le grossissement volontaire évoque dans le premier chapitre fait inévitablement contrasts avec le rapetissement involontaire, commandé par la force de constriction de l’amour-propre, dont l’homme sait toutefois tirer parti, par la limitation de son champ d’action. L’homme est le -..—_- 198 terrain de forces contradictoires qui finissent par rendre paradoxale l’importance spatiale qu’il se donne et qui lui est donnée. Précédant le passage ou l’amour-propre fait son apparition, la description tres cartésienne de la machine qu’est notre corps ("une machine composes d’une infinite de \ tuyaux et de ressorts propres a produire une diversité d’actions et de mouvements" [FH 73]) st celle de la force de cette machine qui "est un peu plus grands dans les uns que dans les autres, mais ... fort petite en tous" (FH 74) servent non a explorer mais a retracer le microcosms intérieur et a corroborer l’idee de la force et la faiblesse de l’homme. Nicole, comme Pascal et La Rochefoucauld, se sert de ce que Jules Brody nomme "une rhétorique de juxtaposition."4° L’homme ne peut se comprendre qu’en fonction de ses paradoxes. Introduite a point nomme, l’atrophie imposée par l’amour—propre rétablit l’homme dans un contexts spatial: "c’est par la place qu’il [l’homme] se donne dans ce petit monde qu’il se forms cette idée avantageuse de sa grandeur" (FH 74—5). Des lors, la demonstration de la faiblesse de l’homme peut logiquement passer, comme chez Pascal, par celle de la "Disproportion de l’homme" (Pensées 72). Nicole reprend alors, tout au long de l’essai, le réseau d’images de Pascal (notamment celles de l’homme dans l’infini, du cachot, de l’atome, de l’engloutissement [FH 75], du flottement [FH 91], de l’assiette ferme [FH 93], du divertissement [FH 98, Pensées 139]). Ainsi la dualité des 199 deux images (gonflement/atrophie) permst-elle a Nicole de transposer le problems du volume représenté par l’homme st donc de sa disproportion. Rapetissé et en meme temps tout gonfle, l’homme n’est pas grand chose st veut etre tout ("nous sommes quelque chose, et ne sommes pas tout," écrit Pascal [Pensées 72]). Or, les paradoxes que note Nicole ne donnent pas a l’homme la dimension tragique qu’elle prend chez Pascal. Disséminées dans le texte, réparties au fil des chapitres, les métaphores qui soulignent le paradoxe de la condition humaine demeurent des moyens sporadiques choisis par l’auteur pour démontrer et emporter la conviction. Contrairement a Pascal, Nicole ne se sépare pas de la pensée dialectique.49 Nicole, sans prendre clairement le contrepied de Pascal puisqu’il lui emprunte ses images et le texte des "Deux infinis" (Pensées 72, FH 75-76), ne soutient pas plus que ne le fait Pascal que la certitude soit de l’ordre de la raison. Sa dialectique fait cependant appel a notre raison. Les paradoxes, chez Nicole, finissent finalement par disparaitre: "Ne cherchons donc point de force dans la nature de l’homme," conclut-i1, en poursuivant, "De quelque ceté que nous la regardions, nous n’y trouverons que faiblesse et qu’impuissance; c’est en Dieu seul et dans sa grace qu’il la faut chercher" (FH 98). Une fois les paradoxes disperses de par la dissemination des métaphores, ensuite effacés (comme 1e souligne 1a citation précédente) 200 et non plus ramassés dans l’espace clos du fragment, 1e tragique disparait. 11 se dissout pour laisser place a une coherence dénuée de contradiction, une cohesion que l’ordre rationnel du discours (ici de l’essai) laissait déja transparaitre depuis ls debut. Lucien Goldmann voyait dans la conscience tragique exemplifiée par Pascal et Racine une reaction au dévelop— pement du cartésianisme et de sa confiance en la raison: On peut caractériser la conscience tragique a cette epoque par la comprehension rigoureuse et precise du monde nouveau créé par l’individua- lisme rationaliste, avec tout ce qu’il contenait de positif, de précieux et surtout de définiti- vement acquis pour la pensée et la conscience humaines, mais en meme temps par le refus radical d’accepter ce monde comme seule chance et seule perspective de l’homme.... La raison est un facteur important de la vie humaine, un facteur dont l’homme est a juste titre fisr et qu’il ne pourra plus jamais abandonner, mais elle n’e§p_pas tout l’hoppg et surtout elle ne doit st ne peut pas suffire a la vie humaine; et cela sur aucun plan, pas meme celui qui lui semble particulierement propre de la recherche de la vérité scientifique.5° Nicole étant résolument cartésien dans la démarche de sa pensée et démontrant qu’il existe des "moyens humains" pouvant nous mener a Dieu, il est clair qu’il n’a pas la conscience tragique que Goldmann confers a Pascal. Tout aussi absents de sa morale sont les deux traits les plus caractéristiques de la conscience tragique qu’expose Goldmann: "l’exigsnce abgolue et exclusive de realisation de valeurs irréalisableg et son corrolaire le ’tout ou rien’, l’absence de degrés et de nuancesg_l’abssnce totals 201 de relgtivité."51 Nicole, en mettant l’accent sur les "moyens humains," pose des valeurs réalisables. Ces moyens, ainsi que la pratique de l’"amour-propre éclairé" comme nous l’avons vu dans le chapitre precedent, offrent bien des nuances et des compromis de la part de l’auteur des Essais de morale. Ceux-ci 1e démarquent nettement de la vision tragique de Pascal, dont il s’était pourtant inspire dans son essai sur la faiblesse de l’homme. "On n’écrit pas," observait Nicole, "dans la vue de la seule vérité, mais aussi dans la vue de persuasion des autres" (P #XV, 6: 160). Or, nous l’avons vu, sa dialectique infers 1e besoin d’un rationalisme a toute épreuve. Malgre cela, dans les textes les plus Chrétiens, l’édification passe souvent chez Nicole par la nécessité de faire peur a son lecteur, de marteler son imagination au moyen d’images vives st fortes et d’exagerations fortement hyperboliques.52 Henri Brémond, qui apres Saint-Beuve reprochait non sans tort a Nicole ses "tristes imagina- tions,"53 voyait ainsi avec justesse que Nicole "tend a exagérer la corruption, l’impuissance de l’homme déchu, et comme tous ses amis de Port-Royal, les miseres de l'Eglise finissante."54 Mais, poursuit Brémond, "la foudre de Nicole est toujours mouillée;" il y a en effet chez lui quelque chose qui "ne prend pas."55 Les exagérations (que ce soit par exemple la description du "carnage spirituel" [CD 147] que represents ls bal, ou l’image des serpents se jetant sur l’homme a l’heure du 202 jugement [QDF 4, 2: 83]) témoignent bien sfir du continuel souci d’enseignement moral dont Nicole fait preuve. Mais si en effet quelque chose "ne prend pas," il semble que ce soit bien parce que Nicole lui-meme n’est pas entierement convaincu de sa maniere d’argumenter. Ses exagérations font appel a notre imagination, a nos reactions viscéralss et non a notre raison. A ce titre, elles font sans aucun doute contrasts avec les passages et textes dans lesquels Nicole fait confiance a la raison humaine. Le style de Nicole, Saints—Beuve s’en est assez afflige, ne possede ni la densité tragique ni la vraisem- blance ni l’élargissement progressif des plus beaux textes de Pascal ni, bien sflr, la concision extreme st suffisante de La Rochefoucauld. "Quelque terrible que soit cette image, ce n’sst qu’un faible crayon de ce que font ordinairement les hommes, et de ce qui leur arrive au jour de leur mort" (QDF 4, 2: 83) écrit Nicole dans les "Quatre dernieres fins de l’homme." Or, ce commentaire que Nicole croit devoir ajouter a la fin de son passage sur les serpents a l’heure du jugement, voulant souligner la litote que represents l’image entiere, ne nous fait constater que l’obligation dont semble avoir parfois fait preuve l’auteur e utiliser l’hyperbole pour impressionner l’imagination du lecteur. La technique de Nicole est la meme lorsqu’il décrit les hommes corrompus en reprenant l’image de l’Evangile (Isa. 1,6) dans "De la connaissance de soi- A O O C 0 meme." "Qu’on s’imagine donc une plaie universelle ou 203 plutet un amas de plaies, de pestes, de charbons, dont 1e corps d’un homme soit tout couvert; qu’entre ces plaies il y en ait qui paraissent plus envenimées et plus enflam— mées,’ commence-t-il, cleturant l’image en énoncant: "Voila l’imags de l’état ou nous sommes nés et de ce que nous sommes par la nature" (CSM 41). Ces additions finales participent a la nécessité d’explication, a la volonté de persuasion dont Nicole fait avant tout étalage dans ses textes les plus Chrétiens. Elles montrent plus simplement que le texte ne parle pas de lui-meme, puisque Nicole s’est cru oblige de l’expliquer. S’efforcant sans succes d’etre "tragique"--c’est-a-dire de faire état d’une conscience tragique en récusant les compromis et les nuances-—Nicole souligne simplement qu’il ne l’est pas. Nous avons donc vu qu’a l’encontre de La Rochefoucauld, Nicole, par son insatiable besoin d’explications, de demonstrations, et ses continuelles injonctions, reconnait que psu d’abimes lui sont impénétrables. Il fait observer au lecteur que la conduite de l’homme est non seulement explicable, mais aussi-~et surtout-—modifiable. Dans la mesure ou cette conduite est rectifiable, ou les "moyens humains" peuvent nous mener a Dieu, le tragique de la condition humaine n’est guere envisageable que comme point de depart, pour ensuite disparaitre. C’est aussi en ce sens que le rationalisme cartésien de Nicole est essentiel parce qu’il permst par sa clarté et sa logique de deduction de rendre les Essais de morale accessibles a un vaste 204 public,55 st clairement comprehensibles. Les Essais de morale proposent a l’homme chrétien de suivre certains préceptes moraux de facon a vivre en paix avec lui-meme et avec les autres. Dans ce contexts la description pure et simple de l’état de l’homme corrompu fait difficilement contrepoids avec l’enseignement théologique et moral. L’intention de Nicole est avant tout persuasive et didactique. C’est en ce sens qu’elle diverge radicalement de l’intention de La Rochefoucauld. "Les autres forment l’homme; je 1e recite," declarait Montaigne en introduisant son essai "Du repentir."57 Au vu de leur approche stylistique, c’est en ce fossé existant entre la didactique morale et la description que reside la difference essentielle qui sépare Nicole de La Rochefou- cauld. Cette divergence d’intention témoigne d’une vision de l’homme opposée. Dans la mesure ou elle est moins fondée sur la description que sur un comportement a adopter que l’auteur fixe de lui-meme, la "construction" de l’homme ne semblera poser aucun problems a Nicole. L’etre humain de Nicole aura un fond, une sorte de dalle, de socle qui lui donne une stabilité et rend possible la "construction"-- celle de l’homme et celle de l’essai, par diverses couches. Les Maximes, quant a elles, représentent une réalité infiniment plus complexe parce que les aphorismes descrip- tifs tentent par leur forms fixe de figer ce qui n’a ni fond ni assise. La description pure et simple de l’homme 205 force l’auteur a stabiliser son objet d’étude. Précisément par ses affirmations et ses maximes, La Rochefoucauld souleve 1e problems de la definition, de la description et des limites qui lui sont imposées. Nicole regarde pour construire. La Rochefoucauld explore. Le regard de Nicole se tourne vers l’intérieur pour se diriger vers l’exterieur st former l’homme. Celui de l’auteur dss Maximes se ports sur un intérieur en perpétuel mouvement dont la stabilisation est impossible. Des 1a premiere edition des Réflexiong ouggentences et Q§§i29§_p9rales, le frontispice montrait "l’amour de la vérité" 6tant a Séneque son masque, révélant ainsi son visage torture. La démarche morale et stylistique de La Rochefoucauld est sans equivoque. L’intention premiere de l’auteur est de dévoiler 1e cache. Jules Brody 1e resume bien: "la techs du style de La Rochefoucauld est préci— sément de produire au regard de tous [une] connaissance refuses et réprimée."58 La premiere et la seconde epigraphe des deux dernieres editions (du vivant de l’auteur) des Maximes définissent parfaitement non seulement l’état d’esprit qui marque l’oeuvre mais aussi sa traduction stylistique. La maxime 181 de la premiere edition enoncait: "Nous sommes préoccupés de telle sorte en notre faveur que ce que nous prenons souvent pour des vertus n’est en effet qu’un nombre de vices qui leur ressemblent, et que l’orgueil et l’amour—propre nous ont déguisés" (RM1 CLXXXI). De la 206 premiere partie de l’énoncé ("Nous sommes préoccupés de telle sorte"), La Rochefoucauld effectue une deduction qui consiste en un double dévoilement, une double dénégation: "ce que nous prenons ... pour ... n’est que.’ L’on denote ainsi un double écart59 qui, dans cette maxime, ne peut etre validé sans les prémices prealablement énonces. La derniers proposition subordonnée met ls déguisement des vices a l’actif de l’orgueil et de l'amour-propre, la position passive de l’homme faisant contrasts avec sa proéminence dans la premiere partie de la phrase (repetition du nous, et possessif). A deux reprises, cette maxime sera remaniée, élaguée5° par La Rochefoucauld pour finalement devenir l’épigraphe definitive du recueil: "Nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguises." Bases a la fois sur le dévoilement, sur l’antithese, sur la cleture61 et sur l’élargissement, la densité ds cette epigraphe62 resume la démarche adoptés par La Rochefoucauld dans ses Maximes. L’opération de dévoilement s’effectue par "la relation d’identité deceptive" représentée par "la copule restrictive"53 ne ... que, pour reprendre la terminologie de Roland Barthes. Elle se trouve accentuée par la double revelation des masques: les vertus mais aussi les vices sont démasqués. L’antithese est exprimée par le paradoxe de l’équivalence entre vertus et vices, ce paradoxe étant mis en valeur par la juxtaposition des deux termes dans l’espace limite de la phrase. C’est a cela que tient la cleture établis par la maxime. Les deux concepts 207 antithétiques--ecartelés aux extremites de la phrase--que représentent les vices et les vertus se cetoient et s’accouplent (grece au copule etre). Toute disjonction a disparu. L’espace (le fossé) séparant normalement les vertus des vices est cleturé, rempli, par "la relation d’identité" qui a été dévoilée. L’élargissement, quant a lui, tient a deux facteurs: d’une part les pluriels, sous— sntendant une quantite infinie de combinaisons; d’autre part l’atténuation sensible exprimée par l’adverbe de temps, lui-meme modéré, "le plus souvent;' et finalement l’adjectif "déguisés." Les passions qui dans la premiere édition (RM1 CLXXXI) étaient a l’origine du déguisement ont été omises. Il reste donc toujours, finalement, des abimes impénétrables et indéfinissables. Etant emblématique de la démarche adoptés par La Rochefoucauld dans son recueil tout entier, l’épigraphe definitive pose a elle seule le problems de l’enoncé fragmentaire et celui des limitations imposées par le fragment. D’une part, ls fragment, si l’on s’en tient au sens que revet ce terms lorsqu’il s’agit des Pensées, met inévitablement en valeur le sens d’inachevement d’un projet. L’écriture fragmentaire se revels sous forme de morceaux tronqués, de pierres qui n’ont pas été assemblées. Le projet des Maximes ayant eté clairement mené a son terms par son auteur, ls problems se pose sous un angle different en ce qui concerne La Rochefoucauld. D’autre part, ls fragment se pose comme une piece achevee, taillee et qui 208 pourtant se détache de l’ensemble auquel elle appartenait. Le fragment est a la fois achevé et inachevé. C’est en ce paradoxe que se tient la maxime-~et peut-etre est-cs également es en quoi les Maximes de La Rochefoucauld se rapprochent des Pensées de Pascal. Par son extreme concision et par sa cleture, la maxime est achevée. Il n’existe pas d’ordre sinon celui du paradoxe, "Nos vertus ne sont ... que des vices." Par l’infinité de paradoxes qu’elle sous-entend, par les pluriels qu’elle tents de ceindre, la maxime laisse au lecteur un sentiment paradoxal d’inachevement, sentiment auquel 1e recueil de maximes apposées sans ordre n’est sfirement pas étranger. Somme touts, il est du ressort du lecteur de trouver l’ordre qu’il préfere. La Rochefoucauld ne veut pas l’imposer. Parallelement, la maxime laisse la ports ouverte aux questions et aux réflexions personnelles. Dans cs contexte, l’élargissement final de l’épigraphe donne certes au lecteur "quelque chose a penser,"5‘ ainsi que le disait La Fontaine lorsqu’il définissait la qualité d’un ouvrage dans son "Discours a Monsieur le duc de La Rochefoucauld." Nicole désirant tout dire et donc n’accorder a son lecteur aucune initiative, l’opposition entre les deux auteurs sur ce point ne saurait etre plus claire.°5 Bien qu’il faille se souvenir que l’ensemble des maximes développera l’énoncé d’introduction place en exergue, l’élargissement de l’épigraphe definitive souleve 209 une problématique supplémentaire: celle des limites de la caractérisation dans les Maximes. "Il est plus aisé de connaitre l’homme en general que de connaitre un homme en particulier" (M 436) écrit La Rochefoucauld. Les hommes forment son champ d’investi— gation, et il se proposera de "penetrer dans le fond de leur coeur."66 Or, promenant sa lanterns dans les replis intérieurs, parti a la recherche de l’identité intérieure de l’homme, La Rochefoucauld est confronté au problems de la definition et de la description de l’etre humain. Qui sommes-nous et que sommes-nous? Chez La Rochefoucauld, la caractérisation de l’etre humain passe par celle des passions qui le dominent, celle de ses vertus, de ses vices, et de la fortune. L’homme ss trouve donc etre caractérise par des forces qui lui sont intérieures, mais en meme temps—~de par leur personnification--irremédia- blement extérieures. On peut ainsi presque dire que chez l’auteur des Maximes, comme pour La Bruyere, "tel homme au fond et en lui-meme ne se peut définir: trop de choses qui sont hors de lui l’alterent, le changent, le bouleversent; il n’est point précisément ce qu’il est ou ce qu’il parait etre."67 Contrairement a La Bruyere,68 La Rochefoucauld n’entend pas faire le portrait de l’homme. Son regard est tourne vers l’intérieur, les profondeurs. La phrase d’introduction de l’"Avis au lecteur" de la premiere edition dss Maximes présentait clairement 1e dessein de l’autsur: "Voici un 210 portrait du coeur de l’homme que je donne au public, sous le nom de Réflexiop§_ou Maximes morales."59 Cette definition du recueil des Maximes ayant été supprimée des la deuxieme edition, il est légitime de s’interroger sur l’intention ds l’auteur. La Rochefoucauld se serait-i1 apercu de 1’impossibilité de caractériser le coeur humain? Incontestablement, il explore, cherche a "connaitre l’homme en general ... [et] en particulier" (M 436). Seulement, cet homme particulier est le terrain de métamorphoses continuelles: "On est quelquefois aussi different de sci-meme que des autres" (M 135). Au bout du compte La Rochefoucauld se trouve amené a (voire meme, oblige de) sonder ce qui conduit l’homme, les passions dominantes, et a les déceler sous les vertus, leur camouflage. Ce sont ces passions, ces vices qui définissent l’homme et qui forment la matiere de l’oeuvre, comme le suggere l’épigraphe. Louise Horowitz démontre que dans Leg Caracteres, "La Bruyere’s world becomes a mass of undifferentiated changing matter,"7° et que "Everything and everyone is in a state of constant flux and transition, beyond the moralist’s grasp.”1 Or, les transformations perpétuelles et le manque de fixité qui font/sont l’homme de La Bruyere représentent st définissent le microcosms intérieur de l’homme de La Rochefoucauld. Cet homme ne peut se définir, non parce que "trop de choses ... hors de lui l’alterent," non pas parce qu’il est comme chez Nicole constamment ebranlé, mais parce que trop de choses en lui 211 l’alterent, ces choses étant de surcroit indéfinissablss, impossibles a saisir et a stabiliser pour de bon, comme les passions qui pullulent a l’infini en notre sein: "11 y a dans le coeur humain une generation perpétuelle de passions, en sorte que la ruins de l’une est presque toujours l’établissement de l’autre" (M 10). Nicole constate et admet que l’homme est gouverné. Connaissant son but ("Pour travailler, il faut connaitre 1e but de son travail," rappelle-t—il [RST 2: 279]), il travaille a partir de cette donnée. La Rochefoucauld, lui, travaille, non a partir de, mais pp; cette donnée. Ce faisant, il semble que l’auteur des Maximes s’attache a figgp ce qui gouverne l’homme et constate alors peu a peu, au fil des remaniements, l’aporie de sa démarche. Il lui est possible d’éclaircir et d’expliquer l’attitude de l’homme en société ou dans le contexts plus intime de l’amour ou de l’amitié, c’est-e—dire de décrire les effets des passions les plus diverses, des humeurs ou de la fortune et de répertorier les déterminismes. Mais l’homme ne peut pas etre defini parce que ce qui forms sa réalité intérieure ne peut etre fixe. "Il semble que la nature ait prescrit a chaque homme des sa naissance des bornes pour les vertus et pour les vices" (M 189), écrit La Rochefou- cauld. L’indétermination regne. Les apparences laissent penser ("Il semble") qu’il existe des bornes, donc des limites fixes aux vertus et aux vices. Cependant rien n’est certain et les pluriels renforcent l’imprécision. Des lors, 212 comment "faire l’anatomie de tous les replis du coeur,"H c’est-a-dire procéder a une etude scientifique de la nature on de la structure des organes, lorsque ceux-oi, comme les passions, se multiplient a l’infini sans que leur proge- niture ne leur ressemble nécessairement (M 10), lorsque ces memes organes sont en perpétuel mouvement et lorsque seul le vide represents l’essence de l’etre humain? Jean Starobinski démontre parfaitement bien que la description de l’amour-propre (MS 1) de La Rochefoucauld évoque un mouvement qui ne s’arrete pas, qui se perd ou se rassemble indéfiniment, qui n’est jamais a court d’invention, auquel tous les possibles sont ouverts mais qui d’emblee se rapports an moi comme a un centre immuable....Un unique appetit jamais assouvi, uns énergie désirante, monotone et acharnée se manifestent par une succession de figures changeantes. Il n’est pas possible de s’arreter, si l’on veut définir l’amour-propre: il est tout, il est capable de prendre tous les visages, qui seront a la fois ses masques et sa veritable expression.H L’amour-propre de La Rochefoucauld ne peut etre defini que par ses mouvements, ses "mille insensibles tours et retours" (MS 1). Il "ne se soucie que d’etre" (MS 1) mais finalement n’ggp que changement, qu’agitation, comme la mer: Il est inconstant, et outre les changements qui viennent des causes étrangeres, il y en a une infinite qui naissent de lui, et de son propre fonds; il est inconstant d’inconstance, de légereté, d’amour, de nouveaute, de lassitude et de dégofit; il est capricieux, et on Is voit quelquefois travailler avec le dernier empresse- ment, st avec des travaux incroyables, a obtenir 213 des choses qui ne lui sont point avantageuses, et qui meme lui sont nuisibles, mais qu’il poursuit parce qu’il les veut. (MS 1) "Voile la peinture ds l’amour—proprs" (MS 1) écrit La Rochefoucauld, reconnaissant que sa caractérisation est une gageure. Seuls "ses éternels mouvements" (MS 1) peuvent etre évoqués--difficilement répertoriés de par leur diversité st leur accumulation sans fin--et finalement décrits et définis de maniere concise grece a la compa- raison avec la mer qui conclut la maxime. La longueur de la maxime supprimée est révélatrice: l’amour—propre ne peut pas etre fixe sur le papier. Puisqu’il demeure sans fond, sans borne, sa description dépasse les limites de l’aphorisme. Son indétermination est flagrante, a tel point que La Rochefoucauld, en supprimant cette tentative de definition et de caractérisation, renoncera a son entreprise. Désormais, on verra l’amour- propre se proposer a gagner quelque chose (M 83), ne pas vouloir payer (M 228), "s’oublier lui-meme" (M 236), inventer (M 247), régner dans l’amour (M 262), aveugler et éclaircir les hommes (M 494), l’on pourra constater ses effets (M 504); dans les Réflexions il sera assujettissant (RD X) et "flatte" (RD XIII). Sa presence continusra a se faire sentir, bien sfir. Il existsra certes, mais sans que l’on sache cs qu’il est vraiment. Jamais cet amour-propre n’aura la proéminence que lui accorde Nicole lorsqu’il reconnait les bénéfices pour la société d’un amour-propre 214 éclairé. Chez La Rochefoucauld, en somme, au propre comme au figure, i1 sera cache et se cachera, relégué dans des profondeurs opaques. Seuls le superlatif et le comparatif de supériorité pourront ls définir st suggerer son absolu et sa prépo— tence: "L’amour—propre est le plus grand de tous les flatteurs" (M 2) et "L’amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde" (M 4). Dans les deux maximes, sa prééminence—-négative puisqu’il est compare aux flatteurs et a un homme habile--est établis par rapport a une autre suprematie: d’une part celle du nombre et la totalité (M 2), d’autre part celle du superlatif ("plus habile que le plus habile" [M 4]). Dans les deux cas, l’imprécision domine. Est-cs alors donner une definition que de faire équivaloir l’amour-propre a un flatteur et a un habile homme, fussent-ils les plus grands et les plus forts; est-cs le décrire ou bien le caractériser? La Rochefoucauld semble en fait ne vouloir plus souligner que le déterminisme extérieur a l’homme, opérant indépendamment de la volonté humaine. La definition exhaustive et la caractérisation se revelent impossibles. Seule demeure la description des effets. Le problems souleve par la démarche de La Rochefoucauld est double. Tout d’abord, du fait de l’opération de dévoilement et de l’utilisation récurrente du verbe etre,74 la description frele souvent la definition et semble 215 indiquer que cette derniers peut etre esquissée. L’épi- graphs est a cet égard révélatrice. Elle tente de dépeindre nos vertus, la definition ne pouvant s’effectuer que par l’equivalence avec leur antonyme. Et d’autre part, La Rochefoucauld semble renoncer aux definitions et aux caractérisations. Ou du moins il fait sentir son incapacité a restituer l’exactitude des faits, des vicissitudes, son impuissance a découvrir quel est véritablement ce fond du coeur de l’homme qu’il voulait anatomiser. Comme il l’avait fait pour l’amour-propre, La Rochefou- cauld s’était efforcé dans la premiere edition de caractériser l’orgueil et ses "différentes métamorphoses" (RM1 XXXVII). L’orgueil est ainsi celui qui joue "tout seul tous les personnages de la comédie humaine" (RM1 XXXVII), un comédien a mille facettes. Personnifié, il a ses. mouvements, ses déguisements, ses stratagemes, "il s’abaisse devant les hommes pour s’élever sur eux" (RM1 CCLXXVII). La Rochefoucauld se trouve alors oblige de reconnaitre que "ces changements [sont] presque infinis" (RM1 CCLXXVII). L’orgueil ne peut se décrire que dans le repos, un moment privilégié ou "il n’est jamais si rare et si extraordinaire.‘ "Alors on le voit les yeux baisses, dans une contenance modeste et reposée; toutes ses paroles sont douces et respectueuses" (RM1 CCLXXVII). Cependant, cs repos meme n’est qu’un déguisement de plus, qu’un mouvement de plus de sa part, puisque l’orgueil apparait "sous la forme et l’habit de l’humilité" (RM1 CCLXXVII). 216 Personnage (contrairement au statut purement patho- logique dont il est reveti chez Nicole), l’orgueil n’a aucun fond, aucune substance intérieure qui lui soit propre, qui fasse office de centre ds gravité et le stabilise. Il n’existe que par ses apparences extérieures (car lassé de ses relss incessants, il arrive qu’il "se montre avec un visage naturel, et se découvre par la fierté" [RM1 XXXVIIJ) et par ses mots, sa parole de comédien ("si on l’en veut croire, il est indigne de tous les honneurs..." [RM1 CCLXXVIIJ). Acteur, il est tous ses personnages sans rien etre lui-meme. Dans l’édition definitive, plus rien ne le caractérise. La maxime 37 de la premiere edition, ou on lui voit un visage naturel, fut supprimée. Quant a la premiere maxime 257, elle sera retouchée. L’image arretée de l’orgueil en mouvement dans son repos a disparu. Seule la constatation de ses perpétuelles transformations permettra d’en esquisser une definition: L’humilité n’est souvent qu’une feinte soumission, dont on se sert pour soumettre les autres; c’est un artifice de l’orgueil qui s’abaisse pour s’elever; et bien qu’il se transforms en mille manieres, il n’est jamais mieux déguise et plus capable de tromper que lorsqu’il se cache sous la figure de l’humilite. (M 254) Au reste, comment caractériser ces passions les plus diverses qui vivent au sein de l’homme tout en se livrant e leurs activités favorites si elles se ressemblent toutes, 217 si seul 1e mouvement sert a les définir? L’interet, qui "parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, meme celui de désintéressé" (M 30) se distingue-t-il de l’orgueil ou de l’amour-propre? Tout, de la matiere corporelle de l’etre humain a la raison, est mouvement. "La jeunesse est une ivresse continuelle: c’est la fievre de la raison" (M 271). Ne connaissant ni le repos ni la sobriété, cette jeunesse est donc un transport permanent. Elle aussi ne se définit que par le mouvement. La raison, quant a elle, a ses écarts, ses elevations anormales et mouvements de temperature. Les humeurs du corps sont un flux continuel qui nous met en mouvement; elles "ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volonté; elles roulent ensemble et exercent successivement un empire secret en nous" (M 297). Enfin, les passions ne survivent que dans/par 1e mouvement, car elles sont mouvement. Comme les humeurs du corps, comme l’amour (M 75, 175, RD IX), elles défient toute autre definition. Ainsi, "la jalousie ne subsiste que dans les doutes, l’incertitude est sa matiere" (RM1 XXXV). Des la deuxieme edition, La Rochefoucauld retirera cette definition (si vague st en meme temps si révélatrice soit—elle) de l’essence de la jalousie, tout comme il supprimera l’explication supplementaire sur ses mouvements ("c’est une passion qui cherche tous les jours de nouveaux sujets d’inquiétude, et de nouveaux tourmente" [RM1 XXXV]). 218 Indefinissable, sans substance, la jalousie ne peut etre fixes. On ne peut que rapporter ses mouvements, ses effets, et constater qu’elle meurt dans le repos, privée de sa substance vitale: "La jalousie se nourrit dans les doutes, et elle devient fureur, ou elle finit, sitet qu’on passe du doute a la certitude" (M 32). Tout aussi indescriptible et impossible a stabiliser est la paresse. Elle est violente et, dans la premiere edition des Maximes, "a la force d’arreter les plus grands vaisseaux" (RM1 CCXC). Son repos ("c’est la remore ... c’est une bonace" [RM1 CCXC]) est compare non seulement aux écueils, mais aussi, paradoxalement, aux mouvements atmosphériques que représentent les tempetes. La deuxieme edition ne retiendra que la violence de sa puissanoe, ses mouvements destructeurs: “toute languissante qu’ells est ... elle usurpe sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie; elle y détruit et y consume insensi- blement les passions et les vertus" (M 266). Une fois encore, seuls les effets peuvent etre répertoriés. La forms fixe de la maxime ne peut que suggerer le mouvement, non 1e restituer. Elle capture les motions, mais, dans sa fixité, ne peut les cerner. Paradoxalement, st c’est la peut-etre sa plus grands beauté, elle figs ce qui ne peut pas etre figé st par les limites qu’elle impose tente de donner un fond a ce qui n’a pas de fond. Les Maximes semblent donc par leur concision et leur densité extremes définir le tout, vouloir ceindre tous les 219 pluriels--les vices, les vertus, les replis du coeur, les hommes en general. Or, la fragmentation du recueil s’ajoute a la constatation des singuliers indéfinissablss st instabilisables--l’amour-propre, l’orgueil, la paresse, la jalousie, la fortune, l’amour, le coeur de l’homme, l'homme en particulier—-pour souligner, sinon l’impossibilité et l’aporie de toute démarche descriptive et de la caractérisation du coeur humain, du moins sa grande complexité. Nicole, comme La Rochefoucauld, reconnaissait qu’"il y a deux sortes de connaissances de l’homme, l’une générale st l’autre particuliers" (CSM 40). Bien qu’elle prenne "une infinite de diverses formss ..., c’est ... a cette connaissance particuliers de notre état que nous devons tendre" (CSM 40) écrit—i1. Or, poursuit-i1, "pour concevoir plus distinctement la corruption de notre nature" (CSM 42), ii faut détailler et, comme nous l’avons deja vu, "s’efforcer de connaitre a fond l’injustice, la vanité et la faiblesse de l’homme, le progres et les effets de ses passions" (CSM 42). Detailler, décrire le tout avec precision, selon Nicole, ne constitue pas une gageure. Avec circonspection, i1 répertorie, classifie. S’il existe bel et bien "deux sortes de connaissances de l’homme," i1 les nomme et les examine, l’une apres l’autre. Contrairement a La Rochefoucauld, il n’entrevoit guere la difficulté a connaitre et a saisir l’homme en general ou en particulier. 220 Pour l’auteur des Essais de morale, le portrait de l’homme est une entreprise réalisable. Chaque etre humain a la possibilité de fixer ce qui chez La Rochefoucauld s’esquive perpétuellement, de peindre son portrait, et donc de découvrir ce qu’il est: En un mot, i1 faut agir e peu pres dans cette etude [l’étude de sci—meme] comme si on avait entrepris de travailler toute sa vie a faire son portrait, c’est-a-dire qu’il faut y donner tous les jours quelque coup de pinceau, sans effacer ce qui en est déje trop trace. Ainsi, on remar- quera tantet une passion et tantet une autre. On découvrira aujourd’hui une illusion de l’amour- propre, et une autre demain; et par 1a nous formerons peu a peu un portrait si ressemblant que nous pourrons voir a chaque moment tout ce que nous sommes; de sorte que nous aurons sans cesse lieu de nous dire a nous-memes: Voila ce que je suis. (CSM 48) De meme, si la connaissance de soi "consiste a techer de connaitre ses passions, ses humeurs, ses faiblesses, ses défauts, les déguisements dont l’amour-propre se sert pour les couvrir ... et les injustices secretes ou i1 nous engage" (CSM 47), cela signifie bien que celles-oi et ceux- ci sont saisissables et ne se dérobent pas continuellement a notre entendement. "Nous sommes ... doubles," explique Nicole, "c’est-a-dire, qu’il y a deux personnes dans chaque personne, l’une écoute et concoit la raison, l’autre est le jouet de passions....tout le désordre consiste en ce que souvent 1a passion conduit a altérer la raison."75 Des lors, c’est en renforcant, en consolidant la raison76 que l’on peut parvenir a comprendre puis a 221 combattre et a effacer les passions. La dualité existant en l’homme chez Nicole suggere un combat envisageable. Mine par les passions qui le menent a leur gré sans qu’il soit capable de saisir cette subversion intérieure, l’homme de La Rochefoucauld n’aura pas cette ports ouverte sur la connaissance de soi st ls rejet de ses passions destruc- trices. Or, chez Nicole, les passions et l’amour-propre ne se déroberont pas a notre discernement. Bien au contraire, ils feront bloc, auront une puissanoe presque physique (les passions ont une force tres violente qui les rend meme capables de renverser les edifices spirituels, explique par exemple Nicole [S 381]). Dans le texte meme, leur presence et leur description sont nécessaires: l’ennemi doit etre present afin que sa miss a mort puisse avoir lieu. L’amour-propre de Nicole, comme celui de la celebre maxime supprimée de La Rochefoucauld, a ses adresses (CSM 45), "mille vues st mille retours" (PH 245) et "use d’artifices" (CSM 23). Comme chez La Rochefoucauld, il est mouvement, mais sa description n’est nullement omise. Ainsi, quelque grand que soit notre amour-propre, il est néanmoins aveugle, insensible, stupide, déraisonnable. Il est pénetré de choses de néant; il est insensible aux plus grands objets. Il craint sans raison; et 11 ne craint point lorsqu’il a toute raison de craindre. Il est sans ordre et sans regle dans ses mouvements. Une bagatslle l’occupe, ls remplit, ls transporte, et souvent ce qu’il y a de plus grand au monde ne le touche point. (CD 138) 222 L’amour-propre de Nicole ne se cache pas. Il est pg. Quand bien meme il soit déguise, sa presence as fait toujours sentir. Car pour l’auteur des Essaigide morale l’amour-propre a une odeur qui le trahit: "Quelque adresse que l’amour-propre ait pour se déguiser,-il mele néanmoins toujours quelque exhalaison de mauvaise odeur parmi les apparences de bien dont i1 frappe les sens."77 De plus, paradoxalement, meme dans ses vicissitudes--cependant moindres que celles de l’amour-propre de La Rochefoucauld-- il peut etre rempli. On le verra aussi "naturellement malin, jaloux, envieux, plein de venin st de fiel" (CAP 195), comme si sa plénitude lui offrait un centre de gravité, lui donnait une assise ou une base stable rendant sa description possible. Chez Nicole, de surcroit, l’amour—propre cherche le confort et donc la stabilité: "il aime encore plus la vie et les commodités, et les aises de la vie, que la domination" (CAP 181) et, pouvant faire preuve de constance, il "a une patience d’intéret et de vanité" (CAP 196). ll cherche a s’installer, a se fixer en prenant des faux pretextes "pour s’établir dans une mauvaise sflreté, et pour éviter les pensées et mouvements de crainte, qui lui sont toujours incommodes, parce qu’ils troublent toujours un peu cette tranquillité et ce repos dont il est bien aise de jouir" (CD 150). La Rochefoucauld, ne pouvant "sonder la profondeur, ni percer les tenebres de ses abimss" (MS 1) et le montrant plonge dans une "obscurité épaisse" (MS 1), ne 223 lui trouvait aucun fond. Nicole, par contre, lui donne un fond qui justement le rend descriptible. Il fait ainsi remarquer que pour en connaitre la nature, "il faut d’abord considérer l’amour-propre dans son fond et dans ses premieres pentss, afin de voir ensuite de quelle sorte il se déguise pour ss dérober a la vue du monde" (CAP 179). L’amour-propre, chez Nicole, a une presence pernicieuse presque inébranlable. Cause du désordre, "il vivra toujours en nous jusqu’a la mort, st nous fera toujours sentir quelqu’un de ces mauvais effets."78 "I1 faudrait essayer de le tromper a notre tour"79 poursuit Nicole. Les futurs et la repetition de l’adverbe de temps "toujours" le souli- gnent bien dans la citation précédente, la presence de l’amour-propre n’en demeure cependant pas moins inalie— nable. Bien plus, si l’on peut en effet en explorer le fond, il est également possible de situer l’amour—propre. I1 "reside dans 1e fond de l’eme" (CSM 56). Il existe chez Nicole des limites--le fond impliquant l’image d’une sorte de soubassement et de plancher--qui retisnnent l’amourrpropre et permettent de le ceindre. De meme, si "on ne connait jamais avec certitude cs qu’on appelle 1e fond du coeur" (CSM 67), si "Il y a toujours dans le coeur de l’homme ... des abimes impénétrables" (CSM 67), et si la tristesse, l’amour, la joie, la crainte et le désespoir sont des "mouvements violents [qui] naissent d’un fond inconnu st d’un abime cache" (CD 138), ce fond existe bel et bien 224 selon Nicole.8° Comme l’on peut se servir de la vérité "comme d’un flambeau pour chercher dans les plus profonds replis de notre ems tout ce qui peut y etre contraire" (CSM 44) l’on peut essayer de "découvrir 1e fond de soncoeur" (CSM 44). Toute certitude sur la nature du coeur de l’homme se dérobera chez La Rochefoucauld. Le regard se perd dans ce coeur sans fond veritable, vide st creusé par des forces intérieures qui elles-memes n’ont aucunes limites sur lesquelles l’oeil puisse s’arreter. Nicole, par contre, en sous-entendant qu’il existe un fond en l’homme, se declare pret a donner au vrai chrétien un aplomb dont il n’est jamais question dans les Mpgipgg. L’observation des phenomenes, chez Nicole, doit trouver un prolongement moral. Alors que le fond ds l’homme se dérobe a notre entendement dans les Maximes, Nicole s’attache a rendre a l’homme une stabilité perdue ou en danger d’envol. Il s’agit pour Nicole de substituer, grece a l’amour de Dieu, une assise, une stabilité definitive a un remplissage qui fait de l’homme un etre ballotté. La gloire humaine est définie comme "cette fumée et cette vapeur qui nous enfle et qui nous rsmplit" (EHD 362), et l’orgueil comme "une enflure du coeur par laquelle l’homme s’étend et se grossit en quelque sorte en lui-meme" (FH 70). Le gonflement, quelle qu’en soit la cause, nous 6te notre force d’inertie. Cells-oi sera récupérés en crevant ls ballon (FH 72). Une fois dégonflée, l’snflure retrouvera toute son immobilité et son équilibre. Le danger consiste a 225 perdre son assiette alors que l’esprit doit etre maintenu dans une "assiette raisonnable" (P #VII, 6: 153): généralement il faut renoncer a tout ce qui dissipe notre esprit, qui 1e fait sortir de son assiette, qui le rend evaporé, qui le remplit d’idées et de pensées confuses et tumultuaires. (UT 8: 45) L’homme devra enraciner les vertus dans son coeur,81 les rendre et se rendre inébranlables. Seule demeurera la matiere solids, celle qui constitue le soubassement du vrai chrétien: Heureux ceux qui dans ce feu [le feu du jugement de Dieu], qui détruira toutes les oeuvres 'humaines, se trouveront avoir le fondement solids de l’amour de Jesus—Christ qui ne peut etre détruit, et quelque peu de cet or et de ces pierres précieuses qui y subsisteront, et n’en deviendront que plus éclatantes." (QDF 2, 4: 90) A partir de ce fondement et de la description des effets des passions, Nicole peut designer au chrétien la position solids qu’il doit adopter. Le chrétien doit se tenir ferme dans le torrent du monde, il doit "etre comme un rocher battu continuellement des flots et qui demeure immobile."82 Ainsi, parti de la description de l’homme cahoté et cher- chant une assiette ferme, Nicole en arrive a faire du chrétien qui travaille a établir son ems "dans une paix solids et inébranlable" (PH 265) une matiere insrte, infrangible, un bloc stable impermeable aux saccades infligéss par les passions. 226 Comme il construit ses essais, Nicole construit l’homme (ou l’encourage a se construire). Il dénombre et décons- truit dans ce seul but. A l’instar de La Rochefoucauld, Nicole n’a cependant pas la prétention d’etre exhaustif. Il ne traits que de certains aspects moraux et la totalité des Essais de porale demeure fragmentée, chaque essai ou traité formant une entité séparée83 et développant un sujet particulier. C’est la un des paradoxes de Nicole. I1 acheve sans achever. La morale entiere est fragmentée en différents essais mais en meme temps Nicole refuse le fragment. Il ne laisse, néanmoins, jamais d’ouverture. Par ses demonstrations, ses "vives" images quand il en utilise et meme ses descriptions, il cherche a instruire. La Rochefoucauld explore, découvre st met a jour. Nicole, lui, explique. La Rochefoucauld, enfin, refuse la construction en fragmentant son ouvrage. Il tient l’assemblage pour impossible, le dénombrement et la mise en ordrs d’une matiere sans ordre pour inconcevables. L’auteur des Maximes s’arrete au démantelement. En effet, l’évidence, dans les Maximes, tient de la constatation des phenomenes. "La Rochefoucauld ne se justifie pas, il affirms, et donne 1e paradoxe pour une sorte d’évidence"84 comments avec justesse Jean Lafond en comparant la démarche de l’auteur des Maximes A cells de Pascal. La plupart des maximes révéleront au grand jour d’une part les effets et activites secretes des passions les plus diverses, et d’autre part les motivations internes 227 de l’homme. Devant l’anarchie qui prédomine, leur description tout d’une piece ne peut etre comprehensive. La maxime—-piece détachée--est alors la forms la plus appropriée qui puisse exister pour restituer a la fois la certitude des effets et motivations caches et pour souligner l’indétsrmination qui transparait sous la surface. Elle permet, pour reprendre les mots de Nicole, de "découvrir plusieurs vérités d’une vue," de voir "une chambre a la fois" (P #LX, 6: 201) et surtout de constater l’enfilade sans fin et sans fond des profondeurs inté- rieures. La maxime, chez La Rochefoucauld, refuse d’épuiser une matiere qui est inépuisable. Ainsi, "la forme étant cleture et ouverture, 1e sens est tout a la fois present et absent, fait et a faire.”5 En somme, Nicole et La Rochefoucauld ne jouent pas au meme jeu. Alors que Pascal et La Rochefoucauld cherchent, Nicole "trouve." En conférant au chrétien des "moyens humains" qui menent a Dieu, l’auteur des Essais d§_pgrale s’engage sur un terrain étranger a la conscience tragique pascalienne. La Rochefoucauld, lui, s’en tient a une recherche perpétuelle de la réalité exacts du coeur de l’homme. Pascal voulait faire comprendre a l’homme "qu’il est un monstre incomprehensible" (Pensées 420). ll cherchait "en gémissant": Je bleme également, et ceux qui prennent parti de louer l’homme, et ceux qui 1e prennent de le blemer, et ceux qui le prennent de se divertir; 228 et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant. (Pensées 421) La Rochefoucauld, lui, n’atteint pas cette dimension tragique. Et il ne cherche pas en gémissant. Moins que la duplicité fonciere qui caractérise l’homme, il s’attache a démanteler la duplicité des forces intérieures qui nous dépossedent. La Rochefoucauld ne conviendra jamais que "le moi est haissable" (Pensées 455). I1 décrit, en laissant l’évidence des faits porter le jugement moral. Finalement, il laisse la lucidité etre maitre et conclure. Les yeux ouverts, La Rochefoucauld découvre st cherche. Grece a la precision presque mécanique de la maxime, il trouve l’ordre. Mais par la désorganisation qui transparait sous la juxtaposition des maximes, il dévoile le désordre en lequel consistent les profondeurs humaines, un chaos qui ne peut etre retrace. Devant cet enchevetrement, seule la coupe diamentaire de la maxime parvient a rétablir l’alignement des contraires et des paradoxes, la symétrie, c’est-a-dire un ordrs esthétique. Nicole, lui, avait abandonné la partie. En renoncant a rédiger des pensées fragmentées et en composant des essais organises, détaillés et didactiques, il fait appel a notre faculté de raisonner. La Rochefoucauld, par contre, en appelle a notre coeur. La forms diamentaire de la maxime nous éblouit et nous frappe. Seul demeure l’éclat du fragment. "L’éloquence ne doit pas seulement causer un sentiment de plaisir, mais elle doit laisser le dard dans 229 is coeur" (P #LI, 6: 193), écrivait l’auteur des Essais de morale dans les "Pensées sur divers sujets de morale." Ainsi, l’éloquence de l’entreprise littéraire de La Roche- foucauld trouve-t-elle finalement-—et paradoxalement--sa parfaite definition chez Nicole. 230 REFERENCES 1 Chédozeau, "Religion" 2: 412. Sur ce point et le rele de la raison dans la théologie morale de Nicole, voir Davis 145-94. 2 Nicole—-aux cetés d’Arnauld, de Du Bois, de Treville, et de Filleau de la Chaise-~comptait parmi les membres du petit comite charge de l’édition de Port-Royal des Pensées (la premiere edition, parue en 1670). Il témoignait cependant de beaucoup de severité a l’encontre de Pascal, dont il disait-—selon l’abbé de Saint-Pierre—- que "c’était un ramasseur de coquilles" (Charles Saints- Beuve, Port—Royal, éd. Maxims Leroy, 3 vols. [Paris: Gallimard, 1953] 2: 348). Son manque de discernement pour l’écrivain qu’est Pascal est flagrant. Il écrit ainsi e M. de Saint-Calais (le 3 septsmbre 1662, soit deux semaines apres la mort de Pascal): "I1 [Pascal] sera peu connu dans la posterité, ce qui nous reste d’ouvrages de luy n’sstant pas capables de faire connoistre la vaste étendue de cet esprit....que rsste-t-il de ce grand esprit que deux ou trois petits ouvrages dont il y en a de fort inutiles" (cette lettre, n’ayant pas été publiée avant 1912, est citée par Ernest Jovy, "Pascal et Nicole," Etudes pggcaliennes, 9 vols. (Paris: Vrin, 1932) 8: 201-02). Sur Pascal et Nicole, voir Jovy 8: 195-207, Saints-Beuve 2: 337-56, 864-66, 909-12, et A. Vermeylen, "Pascal et Nicole," Lettrss Romaneg 16 (1962): 315-39, ce dernier s’attachant plus particulierement "a préciser a quel titre et dans quelles conditions les compositions de Nicole peuvent servir a éclairer quelquefois les notes de Pascal, ou du moins a en confirmer l’exégese" (316). L’abbé Henri Brémond, quant a lui, fait des reserves sur l’influence que Pascal aurait eu sur Nicole et penche pour le contraire (pg conquete mystique. L’ecole de Port—Royal, vol. 4 de Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’§_nosgjour§, 12 vols. [Paris: Bloud et Gay, 1925] 4: 420). L’attitude de Nicole vis-a-vis de Pascal est assez curieuse. Malgre les critiques, il lui emprunte ses images, le mentionne, et reconnait bel et bien l’utilite des Pensées dans son "Traité ds l’éducation d’un Prince" (EP 2: 255—56), énoncant en autres qu’"Il y a ... un air 81 grand, si élevé et en meme temps si simple et si éloigne de toute affectation dans tout ce qu’il [Pascal] écrit, que rien n’est plus capable de leur [les jeunes princes] former l’esprit, et de leur donner le gofit et l’idée d’une maniere noble et naturelle d’écrire et de parler" (EP 2: 255). 3 Nicole reproche a Madame de La Fayette de se montrer 231 trop générale dans son jugement des Pensées. Il écrit au Marquis de Sévigné: "apres cs jugement si précis que Mad. de la F. [Madame de La Fayette] porte que 'c’est méchant signs pour ceux qui ne gofiteront pas ce livrs,’ nous voile réduits a n’en oser dire notre sentiment, et a fairs semblant de trouver admirable ce que nous n’entendons pas. Elle devait donc au moins nous instruire plus en particulier de ce que nous y devons admirer, et ne se pas contenter de certaines louanges générales qui ne font que nous convaincre que nous n’avons pas l’esprit d’y découvrir ce qu’elle découvre, mais qui ne nous servent de rien pour le trouver" (Lettre LXXXVIII, 8: 179—80). 4 Lettre LXXXVIII au Marquis de Sévigné, 8: 181-82. Voir nos commentaires a la note 5 du chapitre 1. 5 Lettre LXXXVIII au Marquis de Sévigné, 8: 180. 11 est intéressant de constater qu’un des lecteurs a qui Madame de Sable avait envoyé des copies des Maximes en 1663 afin de procéder e une sorte de sondage d’opinion reprend les memes images que Nicole pour critiquer 1e travail de La Rochefou— cauld. Cet auteur inconnu écrit: "J’ai l’esprit si rempli des idées de masonneries que je m’imagine que tout ce que je vois en a la ressemblance et que cet ouvrage s’y peut comparer. Je sais bien que vous direz que je ne suis qu’un mason ou un charpentier en cette matiere, mais vous m’avouerez aussi qu’il est compose de différents matériaux; on y remarque de belles pierres, j’en demeure d’accord; mais on ne saurait disconvenir qu’il ne s’y trouve aussi du moellon st beaucoup de pletras, qui sont si mal joints ensemble qu’il est impossible qu’ils puissent faire corps ni liaison, et par consequent que l’ouvrage puisse subsister" (Lettre, d’auteur inconnu, a Madame de Sable. 1663, dans La Rochefoucauld 571). Nicole aurait d’ailleurs sOrement souscrit a la réflexion sur Pascal et La Rochefoucauld d’Alfred de Vigny: "Des fragments, des chapiteaux de colonne ne sont pas des monuments réguliers. Il est commode de passer pour architects parce qu’on laisse ce fouillis de pierres dans un chantier pele-mele et sans ordrs" (nous supprimons les méchancetés qui precedent), cité dans Corrado Rosso, Proces §_La Rochefoucauld et a la maxime (Pisa: Goliardica; Paris: Nizet, 1986) 29. 5 Voir Nathan Edelman, "The Mixed Metaphor in Descartes," The Eye of the Beholder. Egsay§:in French Literature, ed. Jules Brody (Baltimore: Johns Hopkins UP, 1974) 107-20. 7 Jovy 201. Voir notre deuxieme note. 8 Etienne Périer, "Preface de l’edition de Port- Royal (1670)" dans Pascal 62. 232 9 Etienne Périer, 1e neveu de Pascal, décrit le travail editorial entrepris sur les Pensées de maniere suivante: "L’on a pris seulement parmi as grand nombre de pensées celles qui ont paru les plus claires et les plus achevées; et on les donne telles qu’on les a trouvées, sans y rien ajouter ni changer, si ce n’est qu’au lieu qu’elles étaient sans suite, sans liaison, et dispersées confusément de ceté et d’autre, on les a mises dans quelque sorte d’ordre, et réduit sous les memes titres celles qui étaient sur les memes sujets; st l’on a supprimé toutes les autres qui étaient ou trop obscures, ou trop imparfaites" (Pascal 62—63). Le problems de la composition fragmentaire des "papiers" de Pascal-—"lui qui savait disposer les choses dans un si beau jour et un si bel ordre" (Pascal 61)--a certainement hanté st préoccupe Périer (si ce n’est Nicole et ses amis éditeurs), qui dans sa preface revient sans cesse a la question de l’ordre dans le recueil. 1° Goldmann 220. 11 "Pyrrhonismg.--J’écrirai ici mes pensées sans ordrs et non pas peut-etre dans une confusion sans dessein. C’est 1e veritable ordrs et qui marquera toujours mon objet par le désordre meme. Je ferais trop d’honneur a mon sujet si je 1e traitais avec ordrs puisque je veux montrer qu’il en est incapable." (Pensées 373) 12 Sara E. Melzer, Discourses of the Fall. A Study of Pascal’s Pensées (Berkeley, Los Angeles, London: U of California P, 1986) 65. 13 Melzer 66. 14 "In Opposition to Descartes, Pascal believes that the ordering of elements into chains of reason of any length merely creates the illusion of wholeness and unity leading to knowledge. For Pascal, although the ordering of parts must form successive chains, the chains extend infinitely such that they cannot be encompassed by a' whole," explique notamment Sara Melzer (50), montrant que c’est a partir du refus d’un discours rationnel cartésien qu’il faut comprendre le "Renversement continuel du pour au contre" (Pensées 328). 15 Arnauld et Nicole, se ralliant a la clarté cartésienne dans La Logique ou lLQEt de penser, récusent l’éloquence rhétoricienne: "On a considéré, par exemple, en ce qui regarde la Rhétorique, que le secours qu’on en pouvait tirer pour trouver des pensées, des expressions, et des embellissements, n’était pas si considerable. L’esprit fournit assez de pensées; l’usage donne les expressions, et pour les figures et les ornements, on n’en a toujours que trop. Ainsi tout consiste presque a s’éloigner de certaines 233 mauvaises manieres d’ecrire & de parler, st surtout d’un style artificiel et rhétoricien compose de pensées fausses et hyperboliques et de figures forcées, qui est le plus grand de tous les vices" (50). Néanmoins, Thomas M. Carr 1e démontre tres bien, "they allow for more accessible forms of eloquence. Indeed, in spite of the fact that they exclude rhetorical theory and push the rhetorical to the margins of logic and linguistics, the grudging concessions they make to traditional rhetoric for the sake of sermons can be extended to legitimize a more wide-ranging eloquence than they admit" (Descartes and the Regilience of Rhetoric. Varieties of Cartesian Rhetorical Theory [Carbondale et Edwardsville: Southern Illinois UP, 1990] 63; sur les vues d’Arnauld, Nicole, et Pascal sur l’éloquence, voir ls chapitre 4: "Port-Royal and Eloquence. Rhetoric at the Margins" 62-87). Si l’on s’en tient a Nicole, nous avons deja vu qu’a ses yeux les belles pierres d’ornement de Pascal ne suffisaient pas a faire des Pensées une oeuvre comprehensible et donc efficace. Le but de Nicole n’était pas de plaire par l’utilisation unique et vains d’orne- ments qui auraient pu entraver l’ordre cartésien de ses écrits. "On n’écrit pas," observe Nicole, "dans la vue de la seule vérité, mais aussi dans la vue de persuasion des autres" (P #XV, 6: 160). Pour lui, l’art de l’eloquence, dans ce contexte, "consiste a donner de vives idées des choses, et proportionnées aux sujets que l’on traits" (Lettre X0 5 Monsieur de la Chaize, 8: 188). L’éloquence doit venir au secours de la vérité, et n’etre ni gratuite ni banale. Ainsi Nicole écrit-i1: "C’sst maintenant le regne de l’éloquence d’eau chaude, ou autrement de l’éloquence anodine, et c’est un goat psu connu, que celui qui est exprimé dans ce vers: ... 'Un discours a du gofit quand i1 frappe le coeur.’ On a raison de désapprouver ce goat, quand ce qui frappe n’est qu’une points qui a psu de justesse et de vérité; mais non pas quand ce sont des choses judicieuses, vives et vraies" (Lettre XLIII, 7: 184). 15 Les relations entre le cartésianisme, La Logigue, et la Grammaire generals et raisonnée de Port-Royal (écrite par Antoine Arnauld st Claude Lancelot) ont été étudiées a de nombreuses reprises. Gustave Lanson n’a pas manque de noter que "les jansénistes memes sont les plus decides cartésiens qu’il y ait" (Histoire de la littergture fran aise, éd. Paul Tuffrau [Paris: Hachette, 1951] 401). L’influence de Descartes se fait autant sentir dans la Grammaire que dans La Logique. Roland Donze, dans son ouvrage sur la Grappaire écrit ainsi: "Arnauld a par- faitement compris Descartes; et s'il applique dans sa Grammaire la méthode demonstrative, c’est en connaissance de cause: non pas qu’il s’imagine qu’elle lui permettra de découvrir la vérité, mais parce qu’elle convient parfai— \ tement a la nature d’un ouvrage qui se propose de donner 234 an lecteur une explication raisonnée d’un ensemble de regles et de connaissances acquises" (La Grammaire générale et raigonnée de Port-Royal. Contribution §¥l’histoire deg idées grammaticals§_en France [Berne: Francke, 1967] 27). Sur Descartes, Arnauld, Nicole, La Lpgique, et la Grammaire de Port-Royal, voir Carr 62—87, Noam Chomsky, Cartesian Linguistics (New York: Harper and Row, 1966), Goldmann 176- 77, ls cinquieme chapitre d’Henri Gouhier ("Du ceté de Port—Royal," et notamment ls sous—chapitre "Arnauld et la défense de la philosophie cartésienne") dans ggptegianisme et augustinisme angVIIe siecle (Paris: Vrin, 1978) 123-46, Jean—Claude Pariente, L’Analvge du langage a Port-Royal. Six etudes lggico—grammaticalgg (Paris: Minuit, 1985), Andre Robinet, Le Langage classigue (Paris: Klincksieck, 1978), ainsi que le sous—chapitre de Discourses of the Fall de Sara Melzer intitulé "Arnauld, Nicole, La Logique of Port-Royal: The Struggle between Semiology and Rhetoric" (18—26), et finalement la section "Aristote, Descartes et la Logique de Port—Royal" de l’introduction de Louis Marin a La Logique (Arnauld et Nicole 12-16). Bernard Chédozeau souligne constamment dans sa these de doctorat d’Etat sur Nicole les relents de cartésianisme chez l’auteur des Egsai§_de morale, et écrit dans un article sur Madame de Sévigné et Nicole: "Nicole et une bonne partie du second Port—Royal s’appuient sur le cartésianisme pour affirmer que, dans une certaine mesure, l’homme peut et par consequent doit. Il peut grece aux moyens humains dont il dispose, qui sont comme l’expression concrete de cette forme de grece suffisante qu’Arnauld et Nicole reconnaissaient déje des 1656. Rt le moralists Nicole ajoutera que l’homme doit a la lumiere de Descartes former sa conscience intérieure vers un nouvel ideal de 'chrétien intérieur’, vigilant et actif" ("Religion et morale chez Madame de Sévigné," Marseille 95 [4e trimestre 1973]: 57). Chédozeau poursuit dans le débat suivant sa communication: "Nicole a découvert Descartes, et apres cette lecture (1645—1655), il abandonne l’augustinisme et evolue vers un certain néothomisme qui reintroduit la liberté de l’homme. Est-cs parce qu’il a lu Descartes? Je ne crois pas qu’on puisse parler d’influence, mais au moins on peut parler de concomitance" ("Religion et morale chez Madame de Sévigné" 58). En ce qui concerne les allusions directes a Descartes ("un homme qui change toute la face de la phiIOSOphie" [FH 83]) par Nicole, voir "De la faiblesse de l’homme" 83—84, et la lettre LXXXII intitulée "Sur la maniere d’enseigner la philosophie aux jeunes religieux, 8: 149-56. Descartes, reconnait Nicole, "est sans doute plus raisonnable que les autres" (8: 155—56). Mais, écrit-i1, "si j’avais a revivre, ... je ferais en sorte qu’on ne me mettrait pas au nombre des Cartesiens, non plus qu’en celui des autres" (8: 153). 235 17 Arnauld et Nicole 357. Nous avons modernise l’orthographe et supprimé toutes les abréviations (c’est—e- dire remplacé & par "et") dans toutes les citations a £3 pggique ou lflgrt de penser. 18 Arnauld et Nicole 362. 19 Arnauld et Nicole 375. Apres avoir repris les quatre regles cartésiennes, Arnauld et Nicole concluent: "Il est vrai qu’il y a beaucoup de difficulté a observer ces regles, mais il est toujours avantageux de les avoir dans l’esprit, et de les garder autant que l’on peut lorsqu’on veut trouver la vérité par la voie de la raison, et autant que notre esprit est capable de la connaitre" (375). 2° "Le troisieme [précepte était] de conduire par ordre mes pensées, en commencant par les objets les plus simples et les plus aises a connaitre, pour monter psu a psu, comme par degrés, jusqu’a la connaissance des plus composes; et supposant meme de l’ordre entre ceux qui ne se precedent point naturellement les uns les autres." Rene Descartes, Discours de la méthode, éd. Etienne Gilson, 1970 (Paris: Vrin, 1984) 70. 21 Arnauld et Nicole 375. 22 Si l’on trouve en Nicole des relents cartésiens, rien de tel ne laisse transparaitre chez La Rochefoucauld. L’auteur des Maximes n’était pas cartésien. Sur cs point, voir Gustave Lanson, "L’influence de la philosophie cartésienne sur la littérature francaise" dans Essais 217, 225. 23 "Et le dernier [précepte était] de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assure de ne rien omettre." Descartes 71. 2‘ Lettre LXXXI au Reverend Pere de Bretagne, Prieur de Saint Germain-des-Pres, 8: 145. 25 Descartes écrivait, dans Objectione§_septimae in Meditationes de prima philosgphia cum Notis authoris: "J’ai declare en plusieurs endroits de mes écrits que je techais partout d’imiter les architectes qui, pour élever de grands edifices aux lieux ou le roc, l’argile, et la terre ferme sont couverts de sable et de gravier, creusent premierement de profondes fosses, et rejettent de la non seulement le gravier, mais tout ce qui se trouve appuyé sur lui, ou qui est melé ou confondu ensemble, afin de poser par apres leurs fondements sur le roc et la terre ferme. Car de la meme facon j’ai premierement rejeté comme du sable et du gravier tout ce que j’ai reconnu etre douteux et incertain 236 st apres cela ayant considéré qu’on ne pouvait pas douter que la substance qui doute ainsi de tout, ou qui pense, ne ffit pendant qu’elle doute, je me suis servi de cela comme d’une terre ferme, sur laquelle j’ai posé les fondements de ma philosophie." Rene Descartes, Méditgtions petaphysiques, trad. st ed. Florence Khodoss, 2e ed. (Paris: PUF, 1988) 307. Voir également Nathan Edelman, qui cite le meme passage et le comments (108). 26 Premiere lettre de Monsieur l’abbé de la Trappe, 8: 267. 27 Voir Buford Norman, "Nicole’s Essais de morale: Logic and Persuasion," The French Essa , French Literature Series, 9 (Columbia: U of South Carolina P, 1982) 9—17. Norman note fort a propos: "it is clear that Nicole was more interested in writing a ‘discours général,’ i.e., in explaining, than in simply presenting judgments which could serve as models for other judgments——he wanted to persuade his readers, not just form them" (13). 28 E.D. James 180. 29 Chédozeau, "Religion et morale chez Pierre Nicole" 2: 328. Cs travail de remaniement fut achevé en 1679, pour la troisieme edition des Essais de morale (E.D. James 180). Chédozeau établit ds plus que Nicole reprend les analyses spirituelles des Visionnaires, qui répondaient aux attaques des Jésuites, pour en donner "un tour purement moral" ("Religion et morale chez Pierre Nicole" 2: 326). Non sans intéret, i1 rapproche ici Nicole de La Rochefoucauld et pose la question "Pourquoi, a l’instar de La Rochefoucauld, procede-t-il [Nicole] a une sorts de laicisation morale d’un propos initialement religieux?" ("Religion et morale chez Pierre Nicole" 2: 326)- 3° Avertissement, 1: vi. On comprend en lisant l’Avertissement que les "pensées détachées" de Nicole étaient d’une nature bien différente de celles critiquees par Le Pere Bernard Lamy—-c’est—e-dire les sentences ou maximes ornements. En effet, celui-oi écrit, dans Lg Rhétorique ou l’Art de bien parler: "On doit partout éviter ce qui s’appelle phrase et faire consister l’esprit a des choses raisonnablss, et a les dire d’une maniere natu- relle....Les sentences trop fréquentes affectent ainsi l’uniformité du style. Ces pensées détachees sont comme des pieces cousues et rapportées qui, étant d’une couleur différente du reste de l’etoffe, font une bizarrerie ridicule" (cite dans Nemer 487). 31 Descartes, Le Discours 52. 32 Descartes, Le Discours 70. 237 33 De ce point de vue, la "construction" editorials entreprise par Nicole peut etre rapprochés de la démarche de La Bruyere. "Editorially, Les Caractereg are an anomaly" écrit Louise Horowitz, en poursuivant: "Rather than moving toward greater precision and concision (as with La Rochefoucauld’s Maximes), La Bruyere’s book went through eight editions of ever-increasing magnitude: by the time the last one was published in 1695, the work had more than doubled in size. On the basic level of ‘material,’ then (for ultimately, the Caracteres are composed of ’filler’ in a non-pejorative sense), the text impressively challenges the very concept of dissolution" ("Things Thick and Thin: The Material of Les Caractereg," French Review 64.1 [October 1990]: 13). A leur maniere, les Essais de porale pourraient constituer une autre "anomalie." L’écriture de La Bruyere, cependant, demeurera fragmen- taire et discontinue. Ce n’est pas par hasard qu’slle lui valut, de la part des auteurs du Mercure Galant, presque les memes commentaires que ceux que Nicole formulait a l’égard des Pensées de Pascal. Le livre de La Bruyere, écrivait le Mercure Galant, "ne peut etre appelle livre, que parce qu’il a une couverture, et qu’il est relie comme les autres livres. Ce n’est qu’un amas de pieces détachées, qui ne peut faire connaitre si celui qui les a faites aurait assez de genie et de lumieres pour bien conduire un ouvrage qui serait suivi" (cite dans Jules Brody, Du style a la pensée. Trois etudes sur leg 'Caractéregi de La Bruyere [Lexington: French Forum, 1980] 58). 34 Lettre LXXXIII, 8: 157. 35 Lettre LXXXIII, 8: 162. 35 Lettre XCVII, 8: 241. 37 Lettre XCVII, 8: 243-44. C’est nous qui soulignons. Nicole avait des problemes de vue qui l’empechaient, semble-t—il, de soutenir une lecture prolongée, surtout ‘ lorsqu’il s’agissait de manuscrits (voir 1a Lettre LXXV a un supérieur de l’ordre de Citeaux, 8: 91). 3° Lettre LXXXIII, 8: 162. 39 Goldmann 288. 2° Davis 152. 41 Sur ce point et a propos de ce passage de "De la faiblesse de l’homme," voir Davis 152-54. 238 ‘2 Sur 1’importance de la penetration chez La Bruyere, voir Louise K. Horowitz, "La Bruyere: The Limits of Characterization," French Forpp 1 (1976): 131, et "Things" 15-160 43 Thouverez 72. Nicole répondrait ainsi a Descartes et aux Meditation§_petaphy§ique§ touchgnt l§_pr§piere philosophie dans lesquelles l’exigtence de Dieu et la digtinction reglle entre l’epe et le corpgfde l’homme sont démontrées, publiées en 1641. Antoine Adam voit fort a propos dans le discours de Nicole "contenant en abrégé les preuves naturelles de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’eme" une riposte a Pascal: "il [Nicole] croyait que les preuves naturelles de l’existence de Dieu sont valides, et en 1670, c’est—e-dire au moment on parurent les Pensées, il écrivit un Discours pour la justification de ces preuves" (voir le volume L’époque de Pascal dans Histoire 2: 292). ‘4 Thouverez 72. 45 Nicole se distingue ici clairement de Pascal qui "admet chez tout homme, qu’il soit croyant ou libertin, l’existence d’une raison a travers laquelle on peut l’amener a la recherche de Dieu st au pari, mais qui lui rappelle aussi toujours que Dieu n’est pas manifests, qu’il est un Dieu absent et present, un Dieu qui se cache" (Goldmann 326). Nicole montre que Dieu est present a notre raison, alors que "Le livre de Pascal et le fragment 233 s’adressent," écrit Goldmann, "a tout homme--Pascal y compris—~dans la mesure ou il peut et doit arriver par l’usage de sa raison a chercher Dieu" (326). Le Dieu de Nicole est aussi incomprehensible que celui de Pascal. Nicole s’attache cependant a montrer a la raison les preuves de son existence, alors que Pascal exhorte: "Travaillez donc, non pas a vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions" (Pensées 233). ‘5 Le premier precepts cartésien de la méthode "était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je me la connusse évidemment etre telle: c’est-e-dire, d’éviter soigneusement la precipitation et la prevention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui ss présenterait si clairement et si distinctement a men esprit, que je n’eusss aucune occasion de le mettre en doute" (Descartes, Le Discougg 68-69). Nicole ouvre son essai en déclarant" "On ne peut nier qu’il ne soit tres nécessaire, non seulement aux Rois, aux Juges, aux Avocats, mais généralement a tout le monde, d’éviter les préventions et les préjuges" (BL 119). I1 poursuit en enoncant qu’"Il n’y a point de principe de raison plus evident que celui- 151 Qu’il faut se rendre aux choses claires, qu’il faut 239 douter des choses douteuses, et qu’il faut juger plus vraisemblable ce qui est appuyé sur des preuves plus vraisemblables" (BL 120) et examine ensuite un e un les défauts de la maxime "Qu’il ne faut point ss prévenir," pour finalement soulever le problems de la justice. 47 "La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf" dans La Fontaine 75. ‘8 Brody, Du style 65—66. 4’ Voir le commentaire de Lucien Goldmann, dans son chapitre "Le paradoxe et le fragment" (216-27): "si la pensée pascalienne affirms, contre le rationalisme et l’empirisme, la vérité des contraires, elle se sépare de la pensée dialectique par son caractere essentiellement statique, tragique et paradoxal: statique, parce qu’affirmant la valeur unique et exclusive de la synthese (vérité vrais, justice juste, etc.), elle nie toute possibilité, non seulement de la réaliser, mais encore de l’approcher; aussi n’y a-t-il pour la pensée ds Pascal aucun espoir de progres a 1’interieur du tempg humain; paradoxale, parce qu’elle concoit toute réalité comme heurt et opposition des contraires, d’une these et d’une antithese en meme temps opposees st inseparables st dont aucun espoir intramondain ne permst d’atténuer l’irréductabilité; tra i ue, parce que l’homme ne peut éviter ni accepter 1e paradoxe, parce qu’il n’est homme que dans la mesure ou, affirmant la possibilité réelle de la synthese, il en fait l’axe de son existence, tout en restant en permanence conscient que cette affirmation meme ne saurait échapper au paradoxe, que la certitude la plus absolue, la plus forte, qu’il lui soit donné d’atteindre, n’est ni de l’ordre de la raison ni de celui de l’intuition directs et immediate; elle est une certitude incertaine, pratique (Kant), une certitude du coeur, un postulat, un pari" (219). 5° Goldmann 43. 51 Goldmann 72. 52 Voir la note 15. 53 Brémond 4: 466. Saints-Beuve, lui, observait que, chez lui, "ce qui choque, c’est la tranquillité de deduction et la justesse ds mots avec laquelle il exprime des choses étonnantes ou meme quelquefois épouvantables" (2: 908) et trouvait ls style de Nicole "si triste st attristé" (2: 905). Sur cs dernier point Charles de Sévigné aurait été du meme avis. Il écrit a sa soeur que "le traité 'De la connaissance de sci-meme’ [lui] parait difficile a comprendre, sophistiqué, galimatias en quelques endroits, 240 et surtout ennuyeux presque partout" (Madame de Sévigné 2: 24). Sa mere, par contre, ne tarissait pas d’éloges pour Nicole, qu’ells trouvait "de la meme étoffe que Pascal" (1: 298, 1: 331) et dont elle admirait fort le langage et "la force dans l’arrangement des mots" (2: 20). 54 Brémond 4: 466. 55 Brémond 4: 466. 55 Bernard Chédozeau rappelle que c’est en effet "une caractéristique du second Port-Royal que d’avoir prétendu s’adresser s tous les Chrétiens, meme mondains" et poursuit: "Nicole n’écrit pas ses Essais de‘morale pour les théologiens, pour d’autres moralistes ou pour des confesseurs et directeurs d’emes; il parle a l’honnete homme, noble et bourgeois (mais jamais pour le peuple)" ("Religion et morale chez Pierre Nicole" 2: 327). 57 Montaigne 782. 58 Brody, Du_§tyle 24. 59 Monique Nemer fait remarquer, dans son article sur l’évolution de la maxime au cours des siecles dans lequel la primauté est donnée a Chamfort, Rene Char et surtout La Rochefoucauld, que "De simple duplication du vraisembla- ble-—défini par 1e Pers Rapin comme 'tout ce qui est conforms a l’esprit du public’—-sa maxime [celle de La Rochefoucauld] en devient la mise en cause, la dénégation. Elle se fait descriptive--et surtout critique....Il y a maxime dans la mesure cu il y a écart" (486). ‘0 La maxime sera modifies st deplacee, devenant 1a maxime 172 des 2°, 3e et 4e editions et étant en meme temps places en exergue. Le texte est legerement change: "Nous sommes si préoccupés en notre faveur que souvent ce que nous prenons pour des vertus n’est que des vices qui leur ressemblent, et que l’amour-propre nous déguise" (La Rochefoucauld 324). ‘1 Voir Brody, Duggtyle 26: "Dans la phrase classique forms et fond se confondent. Son principe ideologique est la contrariété et le paradoxe; son principe rythmique est l’antithese et la simultanéité; son principe structural est la densité et la cleture. Et c’est la convergence de ces elements qui assure une identité totals entre le medium et le message." 52 Pour une etude de l’épigraphe, voir Jean—Pierre 53 Barthes 76. 241 0‘ La Fontaine 155. Jean Lafond parle d’"une esthétique de l’inachevement volontaire" (La Rochefoucauld. Augustinisme 121). 55 La conclusion de l’article que Buford Norman consacre a Nicole met particulierement l’accent sur cet aspect (14-15). 5‘ "Avis au lecteur" de la premiere edition des Maximes dans La Rochefoucauld 267. 57 La Bruyere 219 ("De l’homme"). ‘9 Voir les deux premieres phrases des Capgcteres: La Bruyere 29. ‘9 "Avis au lecteur" de la premiere edition des Maximes dans La Rochefoucauld 267. 7° Louise Horowitz, "La Bruyere" 129. 71 Horowitz, "La Bruyere" 135-36. 72 Lettre de La Rochefoucauld au Pere Thomas Esprit. 6 février 1664, dans La Rochefoucauld 579. 73 Starobinski, "Complexité" 33. 7‘ Le verbe etre apparait en premiere position dans la lists des occurences du vocabulaire des Maximes avec 373 occurences (voir Jean de Bazin, Vocabulaire des Maximes de La Rochefoucauld [Paris: Nizet, 1967] 31). 75 Lettre X (intitulée "Divers moyens d’acquérir les lumieres dont on a besoin; ce que peuvent faire les autres pour nous aider"), VII: 48. ' 75 Nicole se démarque néanmoins du Descartes des Passions de l’eme et de l’exercice de la volonté qu’il y prene (voir René Descartes, Les Passion§_de l’eme, éd. Jean-Maurice Monnoyer [Paris: Gallimard, 1988], notamment l’article 211 et la conclusion [article 212]). 77 "Sur l’Evangile du Lundi de la Semaine Saints," 11: 232. 7° Lettre XLVIII a une supérieure de religieuses, 7: 216. 79 Lettre XLVIII a une supérieure de religieuses, 7: 216. 242 9° Starobinski procede a la meme argumentation et cite "Des diverses manieres dont on tents Dieu": "nous avons si peu de lumiere pour penetrer 1e fond de notre coeur, que nous ne distinguons point avec certitude par quel principe nous agissons, et si c’est par cupidité ou par charité....Il se fait un cercle infini et imperceptible de retours sur retours, de réflexions sur réflexions dans ces actions de l’eme, st il y a toujours en nous un certain fond et une certaine racine qui nous demeure inconnue durant toute notre vie" (MTD 172—73). I1 comments: "Tandis que Nicole désigne un 'fonds’ et une ‘racine,’ La Rochefoucauld veut que le fonds se dérobe encore, non seulement parce qu’il nous serait obscur mais en raison d’un vide qui le creuserait et nous empecherait de rejoindre aucune essence derriere" ("La Rochefoucauld" 18). as "Sur l’Epitre du V. Dimanche d’apres Pasque [sicle" 12: 3. 82 Sur l’Epitre du I. Dimanche dans l’Octave de l’Epiphanie," 9: 243. 33 Bernard Chédozeau fait remarquer que l’originalité des Essais de porale tient du sujet. "A la difference de ses devanciers," écrit Chédozeau, "Nicole n’écrit pas un ouvrage théorique global et exhaustif; i1 traits seulement certains aspects d’une seule question; comment faire son salut (problems individuel) dans le monde (problems social)? Répondant fragmentairement a cette grande inquiétude de son epoque, Nicole évite le pédantisme du traité de morale. Il y a ainsi, dans le choix du sujet de fond des Essais de morale, une nouveaute qui leur permst de se presenter comme une oeuvre a jamais achevee, en perpétuelle gestation. Cet inachevement affirmé correspond a un renouveau méthodologique. Nicole poursuit une recherche indéfinie" ("Religion st morale chez Pierre Nicole" 2: 327). 9‘ Lafond, La Rochefoucauld. Augustinisme 132. 85 Jean Lafond, éd., "Des formss breves de la littérature morale aux XVIe et XVIIe siecles," Les Formeg breves de la progeget le discours discontinu (Paris: Vrin, 1984) 118. CONCLUSION "Qu’est-ce que l’homme?", s’interrogent La Rochefoucauld et Pierre Nicole. Terrain de discontinuites permanentes, jouet des passions et de l’amour—propre, marionnette sociale imitée et manipulée par les "autres" en société, l’homme est mine et dépossédé de son autonomie. Son vide intérieur nous convainc de son néant et de sa faiblesse. L’etre humain n’a, pour La Rochefoucauld et Nicole, aucune consistance. Son existence sociale ne vaut guere mieux. Determines par le regard de l’autre, toute conduite est calculee a l’avanCe. Etant subordonnés aux forces inté- rieures que représentent les passions et l’amour-propre ainsi qu’e un comportement en société que ces memes forces nous dictent, notre liberté d’action et notre souveraineté paraissent somme toute limitées. Dans cet aveuglement et cette illusion la conscience et la connaissance de sci-meme deviennent presque des gageures. Aveuglé st trompe par ce qui est en lui-meme et se dérobe a son entendement, l’homme est bien peu de chose. Par leur anatomie des profondeurs intérieures et du comportement social, La Rochefoucauld et Nicole posent sur l’homme ce regard de moralists purement descriptif. Ils 244 suggerent les dangers que nous encourons puisque l’amour- propre et la domination des passions ont en nous-memes un rele subversif et que, de surcroit, ils menacent l’ordre social. Cependant, chacun de ces deux auteurs laisse transparaitre une vision de l’homme qui lui est propre. Bien plus, par cette vision particuliers de la nature humaine il nous indique quel sens prend son entreprise littéraire. L’auteur des Maximes et celui des Essais de morale partent tous deux d’un meme point de depart: l’homme. Ecrivains moralistes, armés du meme souci descriptif, ils s’attachent a découvrir ce qu’est l’homme et a cerner ce qui le conditionne. Tous deux effrayés par le danger de la férocité des rapports en société ils concoivent des solutions au désordre des relations sociales qui les rapprochent. Cependant, ils ne travaillent pas ni dans le meme but ni dans le meme état d’esprit. En consequence, leur entreprise littéraire prend des accents fort différents. Selon Nicole, l’homme peut, s’il se sert de la force de resistance qui est a sa disposition, parvenir e la connaissance de soi. S’il est vigilant, il lui est possible d’expulser les passions, de s’y soustraire. La bonne utilisation de l’"amour-propre éclairé" lui permettra ds tromper l’amour-propre a son propre jeu. Le mimétisme--ce cercle infernal destructeur de la vie sociale-—peut également etre évité, démontre Nicole. Or, c’est en cet 245 enseignement moral-—que Nicole amarre a sa morale descrip— criptive——que reside l’écart qui le sépare de La Roche— foucauld. Par cet enseignement, par les "moyens humains" qu’il attribue a l’homme, par son approche cartésienne et rationaliste de l’écriture, Nicole fait confiance a l’homme. En tant qu’écrivain, il croit également en sa techs: betir l’homme et l’amener—-meme s’il n’est que faiblesse-—a se construire lui-meme, a se tenir inébran- lable dans son amour de Dieu et par consequent a combler son vide intérieur. Ainsi, comme l’a écrit Bernard Chédozeau, "fortement inspire du cartésianisme et de tendance nettement humaniste,"1 le systems moral de Nicole met l’homme a la premiere place, affirms que l’homme peut contribuer, efficacement et positivement, a l’oeuvre de son salut par une ascese et une action appropriées; d’autre part, Nicole enseigne apres Saint Francois de Sales que l’homme chrétien peut, dans le monde tel qu’il est, tenir une place difficile mais légitime. Ce moralisme se propose comme une spiritualité tres intellectuelle et rationaliste, que Nicole appelle une "devotion spirituelle."2 Nicole croit donc en des valeurs réalisables. Il ne fait pas état d’une conscience tragique a la maniere de Barcos et de Pascal. Sa morale nuances, aux accents cartésiens, fait inévitablement contrasts avec l’extrémisme tragique du courant barcosien de Port—Royal.3 En effet, Martin de Barcos "refuse ... toute confiance a la raison et aux facultés naturelles."4 Et son extremisme 246 refuse ... toutes les valeurs relatives du monde manifests et a la limite de l’Eglise militants, 11 se retire dans la solitude au nom précisément d’une exigence de valeurs absolues, radicalement différentes de celles que saurait atteindre dans cette vie l’homme dont la volonté est corrompue par le péché originel.s Ses valeurs étant absolues et irréalisables, Barcos preche le retrait du monde. Pascal, de qui on a bien souvent rapproche Nicole, présente de son 06té une conscience tragique différente de celle de Barcos parce qu’il émet et reconnait a la fois des certitudes et des incertitudes quant a l’existencs de Dieu pour l’homme. En suggérant le pari, comme l’explique Lucien Goldmann, "il ne peut plus se contenter de refuser simplement le monde et la raison."6 C’est ainsi que chez Pascal, "Au non de Barcos, i1 faut ajouter le oui, au refus de monde insuffisant, la recherche intramondaine des valeurs authentiques."7 Contrairement a Barcos qui concevait le désordre comme "ls seul ordrs valable pour le chrétien,"8 Pascal recherche l’ordre et par le fragment souligne l’aporie de sa démarche. Or, pour Nicole, la recherche de l’ordre n’est pas irréalisable. Sa composition des Essaigrde morale, empreinte de cartésianisme, le montre bien. I1 semble en fait que ce soit chez La Rochefoucauld que se laissent déceler des marques de conscience tragique. Non celles, extremes, de Barcos. Mais celles de Pascal. Il existe en La Rochefoucauld certaines tendances tragiques qui ls démar- quent considérablement de Nicole. Dans la mesure ou la 247 vision tragique telle que la définit Lucien Goldmann est un retour a la religion, a la fgi,9 attribuer a La Roche— foucauld une telle vision serait deplacé. L’auteur des Maximes présente clairement une morale laique. Dieu n’est plus cache. Il est simplement absent. La Rochefoucauld accepts le monde. Chaque homme, selon lui, dispose de l’honneteté pour apporter sa contribution individuelle au bon ordrs de la société. Cela ne laisse guere entrevoir un sens du tragique chez La Rochefoucauld. En effet, rappelle Goldmann, consacrer sa vie a la realisation progressive de valeurs réalisables et comportant des degrés mene a des positions intramondaines athées (rationa— lisme, empirisme), religieuses (thomisme) ou révolutionnaires (matérialisme dialectique), mais en tout cas étrangeres a la tragedie."1° Pourtant, seules les Réflggion§_diverse§ démontrent que La Rochefoucauld tient en vérité certaines valeurs pour réalisables. Les Maximes laissent entrevoir une position nettement plus désabusée. Certes, l’amitié peut etre vraie et parfaite dans les Maximes (M 81), mais elle repose toujours sur l’amour-propre de chacun. Elle n’est jamais gratuite et se trouve finalement réduits a un echange de bons offices (M 83). L’honnetete n’est pas non plus omise dans les Maximes, mais elle se limite a une sorte d’esthétique (M 202, 203, 206) desinteressée. Sa nécessité n’y est jamais affirmée telle qu’elle l’est dans "De la société" (RD II). 248 La Rochefoucauld, dans les Maximes, présente une morale anthropologique purement descriptive. Il s’attache au démantelement de l’homme et concoit la réalité humaine comme decousue et morcelée. Il n’existe pas vraiment en La Rochefoucauld de conscience tragique puisqu’il n’exige pas la realisation de valeurs irréalisables. L’on peut néan- moins déceler en lui ce que l’on pourrait nommer une lucidité "tragique." La Rochefoucauld souligne bien que nous avons des devoirs envers nous-memes.11 Ainsi, "Les faux honnetes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et a eux—memes. Les vrais honnetes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent" (M 202), énonce-t-il par exemple. Seulement, ses constatations sur la nature humaine viennent contrecarrer ses espoirs et ses suggestions de realisation de certaines valeurs. C’sst en cela que sa lucidité devient tragique. L’auteur des Maximes plonge dans les profondeurs intérieures pour nous faire prendre conscience de notre dépossession morale. Il montre cependant que l’homme est incapable de parvenir a la connaissance de soi. "La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu’on serait capable de faire devant tout le monde" (M 216), écrit-i1. Mais, au vu de la corruption de notre nature présentée dans les Maximes, cette perfection est-elle vraiment envisageable? Il faudrait aussi savoir cacher l’amour-prOpre, explique La Rochefoucauld dans "De la société" (RD II). Or, meme lorsque sa preeminence est supprimée (MS 1), La Rochefoucauld constate que sa presence 249 ne saurait st ne peut etre effacés. Enfin, essayant de parvenir a uns definition de l’homme, de ses passions, de son amour-propre, La Rochefoucauld se trouve amené a souligner l’aporie de sa démarche. La réalité qu’il présente a nos yeux dans les Maximes demeure fragmentée et fragmentaire. Par leur nature essentiellement descriptive les Maximes ne laissent guere entrevoir de progres, d’amélioration de la condition humaine. En s’arretant a la description dans ses Maximes, La Rochefoucauld n’ose ou ne veut pas exiger la "realisation de valeurs irréalisables"12 qui, selon la definition de Goldmann, caractérise 1a conscience tragique. Il ne semble pas non plus désirer croire en la realisation de valeurs réalisables. En vérité, chez La Rochefoucauld, l’evidence dss faits--a laquelle s’ajoutsnt, contrairement a ce que nous trouvons chez Nicole, l’absence de Dieu et l’impossi— bilité de trouver sa force en Dieu--s’avere etre bien psu compatible avec la notion meme de valeur. C’est en ce sens que sa lucidité porte certaines marques tragiques et qu’elle se distingue radicalement de la morale didactique et rationaliste de Nicole. La Rochefoucauld st Pierre Nicole en arrivent finalement a des certitudes sur la condition de l’homme et le devoir d’un écrivain bien différentes. Les paralleles que nous avons effectués entre eux ainsi que les rapprochements avec Pascal, La Fontaine, et La Bruyere montrent que l’on peut bel st bien discerner des tendances communes au sein des 250 écrivains moralistes du dix—septieme siecle en France. Leurs particularismes mettent cependant en valeur la diversité de considerations sur l’homme et sur l’écriture qu’a pu connaitre la seconde moitié du grand siecle. 251 REFERENCES 1 Chédozeau, "Religion et morale chez Pierre Nicole" 2 Chédozeau, "Religion et morale chez Pierre Nicole" 3 Voir Goldmann 164-82. 9 Goldmann 178. 5 Goldmann 169. 5 Goldmann 222. 7 Goldmann 222. 9 Goldmann 222. 9 Goldmann 43. 1° Goldmann 71. 11 Voir sur ce point Henri Coulst, "La Rochefoucauld, ou la peur d’etre dupe," ommage au Doyen Etienne Gros (Gap: Imp. Louis-Jean, 1959) 107-9. 12 Goldmann 72. BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE I. SOURCES PRIMAIRES: Arnauld, Antoine et Pierre Nicole. La Logique ou l’art de penser, contenant, outre les regles communes, plusieurs observations nouvelles, propreg a former le igggmgpp, Paris: Flammarion, 1970. Bossuet, Jacques Bénigne. Oeuvres completes. 31 vols. Ed. F. Lachat. Paris: Vives, 1875. Descartes, Rene. Discours de la méthode. Ed. Etienne Gilson. 1970. 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