CONSTRUCTION IDENTITAIRE DES MINORITES CULTURELLES ET DES IMMIGRES D’ORIGINE AFRICAINE EN FRANCE: UNE IDENTITE UNIQUE OU PLURIELLE? Par Emmanuel Kwassi Akono UNE THESE Présentée à Michigan State University en vue de l’obtention du diplôme de Français---Maîtrise en arts 2015 RESUME CONSTRUCTION IDENTITAIRE DES MINORITES CULTURELLES ET DES IMMIGRES D’ORIGINE AFRICAINE EN FRANCE: UNE IDENTITE UNIQUE OU PLURIELLE ? Par Emmanuel Kwassi Akono L'objectif de cette thèse est d'explorer les œuvres d’Azouz Begag et de Leïla Houari pour questionner un modèle complexe de l'identité chez les Africains nés à la période postcoloniale, en particulier ceux qui sont d’origine maghrébine. Cela consiste aussi à appuyer de nouvelles théories qui mettent en valeur le concept d’une subjectivité construite et d’une rupture avec une mentalité monolithique. Le but principal de cette étude est d’examiner comment le texte devient l’espace dynamique pour un discours créatif de l’identité qui émerge d’un espace interculturel. Dans le premier chapitre, nous argumentons que la majeure préoccupation des auteurs africains est la demande de la vraie identité culturelle des jeunes Maghrébins qui font l’objet de deux cultures et de deux mondes à la fois. Dans le deuxième chapitre, nous mettons l’accent sur les réactions des auteurs africains à travers lesquelles la confiscation de leur liberté d’expression mine les valeurs africaines, spécialement leur identité culturelle qu’ils veulent transmettre à la nouvelle génération qui croit faire partie intégrante de la société européenne où elle se sent plus à l’aise. Dans le troisième chapitre, nous explorons le travail de Begag qui démontre dans la première partie, le mécanisme d’intimidation que le système éducatif français utilise pour persuader le héros de sous-estimer ses origines et de s’assimiler à la culture dominante. Dans les deuxième et troisième parties, nous nous appuyons sur le fait que le style de l’auteur est un moyen pour lui d’éliminer la relation dialectique entre la France et l’Algérie pour mettre les cultures française et arabe dans un contexte global. IDENTITY CONSTRUCTION OF CULTURAL MINORITIES AND AFRICAN IMMIGRANTS IN FRANCE: A UNIQUE OR PLURAL IDENTITY? By Emmanuel Kwassi Akono A THESIS Submitted to Michigan State University in partial fulfillment of the requirements for the degree of French –Master of Arts 2015 ABSTRACT IDENTITY CONSTRUCTION OF CULTURAL MINORITIES AND AFRICAN IMMIGRANTS IN FRANCE: A UNIQUE OR PLURAL IDENTITY? By Emmanuel Kwassi Akono The aim of this dissertation is to explore the works of Azouz Begag and Leïla Houari to question a complex model of identity among postcolonial born Africans especially those who belong to the maghrebian background. It also consists of pressing for new theories which value a concept of a constructed subjectivity and a rupture with a monolithic mentality. The main purpose of this study is to examine how the text becomes a dynamic space for a creative discourse of identity which emerges from an intercultural relation. We argue in chapter one that the significant concern of African writers is the quest for the correct cultural identity of young Maghrebians who represent two cultures and two worlds at the same time. In chapter two, we emphasize the reactions of African writers through which the confiscation of their freedom of speech burdens the African values, especially their cultural identity they want to pass to the young generation which believes being an integral part of the European society where they seem to fit better. In chapter three, we explore the work of Begag to demonstrate the mechanism of intimidation that the French educational system employs to persuade the character to underestimate his origins and assimilate into the mainstream culture. We also stress that the author’s style is a way for him to eliminate the dialectical relationship between France and Algeria and place Arabic and French cultures on a step of hybridity. Copyright by EMMANUEL KWASSI AKONO 2015 ACKNOWLEDGMENTS J’aimerais exprimer en toute priorité ma sincère gratitude à mes deux directeurs de thèse, Professeur Safoi Babana-Hampton et Professeur Ehsan Ahmed dont la rigueur, la disponibilité, l’intégrité et le soutien constant m’ont permis d’affronter avec courage et détermination la rédaction de ma thèse. Je prie enfin tous ceux et celles que j’ai oublié de citer nommément de croire en ma sincère gratitude. iv TABLE DES MATIERES INTRODUCTION………………………………………………………………………………1 CHAPITRE I…………………………………………………………………………………….4 REVENDICATION D’UNE IDENTITE COMPLEXE VUE PAR DES AUTEURS AFRICAINS DE LA PREMIERE GENERATION a. Un métissage né de la colonisation……………………………………………………………8 b. Ambiguïté ethnique et troubles identitaires…………………………………………………...9 CHAPITRE II…………………………………………………………………………………..14 REACTIONS DE CERTAINS AUTEURS AFRICAINS CHAPITRE III…………………………………………………………………………………30 AUTRES REACTIONS CRITIQUES a. Mécanisme d’intimidation et énoncé d’une acculturation …………………………………..38 b. Revendication d’un moi hybride par le style………………………………………………...41 c. La place des langues africaines dans le métissage culturel…………………………………..42 ANALYSE ET CONCLUSION……………………………………………………………….46 BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………..53 v INTRODUCTION Notre étude se propose d’examiner les modes de conception de l’identité chez les minorités françaises d’origine maghrébine dont est issue une nouvelle génération qui entre en contact avec l’enseignement scolaire fondé sur des valeurs culturelles purement occidentales. Pour comprendre la présence de ces minorités dans la communauté française, il s’avère nécessaire de faire un détour sur les racines historiques de leur immigration en France. Après la deuxième guerre mondiale, la France a dû faire appel à la main-d’œuvre de ses colonies pour la reconstruction de son économie. Un grand nombre d’Africains notamment ceux du Maghreb ont profité de cette occasion d’aller travailler dans la métropole pour subvenir à leurs besoins économiques. Néanmoins à la fin des années d’indépendance en 1960, l’immigration devient plutôt d’une part pour la métropole, un moyen d’avoir une main-d’œuvre permanente et assurée, d’autre part pour des familles africaines, une occasion de s’y installer en grand nombre car certains secteurs entiers de l’emploi sont délaissés par des travailleurs français (Gillette, 19). La présence massive de ces familles entraîne la naissance d’une population en marge de la société dominante. Mais, la France étant mal préparée et surprise par l’accroissement démographique de cette nouvelle population, se voit obligée d’accueillir ceux qui en sont membres dans des habitats en marge de la communauté française. La rencontre de cette nouvelle société multiethnique et multilingue avec le pays hôte génère un mode de culture hybride que les spécialistes tels que Bernard Dieterle, Yves Clavaron et Alain Montandon tentent d’appeler un métissage culturel (Montandon cité ds. Clavaron, 7-10). Aujourd’hui, la problématique du métissage oscille entre l’idée d’un pluralisme consensuel et celle d’une rencontre violente ou pacifique des peuples à des périodes coloniale et postcoloniale, comme le soulignent Clavaron dans Métissages littéraires - Postface (516) puis Marie-Claude Smouts dans La situation 1 postcoloniale (32). Dans le sens que lui donne Jean Bessière, le terme de métissage se substitue à celui d’exotique et il traduit aujourd’hui une perte culturelle des différences c’est-à-dire un déracinement de toutes les identités (Bessière cité ds. Clavaron, 14). Souvent associé au terme de mélange, le métissage reste pourtant fort difficile à définir tant le phénomène est complexe et multiple. La notion elle-même (métis étant issu de mixus, mêlé) évoque le résultat du mélange de deux choses différentes qui est d’abord celui des races et des cultures (Montandon, cité ds. Clavaron, 8). Pour ce qui concerne les cultures et le phénomène en général, il est évident que nous nous trouvons en face d’un dualisme identité – altérité dont les parties sont indissociables, d’un moi pluriel qui a des attachements avec des culturelles différentes. Telle serait la position de Jean-Marc Moura dans son œuvre qui s’intitule Littératures francophones et théorie postcoloniale dont la conception aspire à la synthèse. Elle propose en cette nouvelle période, une fusion des voix qui se sait précaire car elle est issue d’un passé jamais totalement éclairci mais dont la polyphonie, l’hybridité répondent d’une richesse et d’un cheminement dans le monde de l’interaction générale des cultures (Moura, 150). Egalement, les postcolonial studies, selon Marie-Claude Smouts, énoncent la même ambition de coller au plus près de la réalité quotidienne des transactions sociales d’une part, et une prétention à une pensée universelle de l’Autre (Smouts, 430). Certes, la relation que cette nouvelle génération établit avec ses valeurs culturelles d’origine et celles de la France se trouve difficile et ambiguë du moment où l’universalisme occidental se joue sur le refus des croyances et des désirs de l’Autre. Aussi, le refus du pays d’accueil de reconnaître une telle identité dans sa diversité culturelle ne place-t-il pas ces immigrés dans un état de tiraillement entre deux mondes. Dans une société ainsi définie avec des individus porteurs d’héritages ethniques et culturels différents, l’identité s’est formée dans 2 l’histoire du groupe ethnique qu’ils viennent de quitter et elle reste fortement attachée aux valeurs de leurs pays d’origine. Même si de nouvelles identifications dans le nouvel environnement de vie apparaissent, elles existent de façon superficielle. La question de l’identité postcoloniale qui fait l’objet de nombreux travaux est souvent perçue comme complexe parce qu’elle ne se conforme pas aux visions occidentales préétablies qui partent du principe que la subjectivité est un phénomène qui pourrait être objectivement déterminée. Nous nous inspirons des récits de vie des auteurs issus de l’immigration maghrébine tels que Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag et Zeida de nulle part de Leïla Houari afin de confronter leurs perceptions de l’identité postcoloniale en France aux visions dominantes de l’Autre. A ces récits vont s’ajouter d’autres du même genre tels que C’était leur France : En Algérie avant l’indépendance de Leila Sebbar et Georgette ! de Farida Belghoul afin que nous puissions comprendre l’opération du métissage culturel des minorités culturelles et immigrés d’origine africaine que la France considère comme une culture au singulier. Mais, le fait que le terme métissage ou hybridation peut être présenté, selon Bhabha, comme « Un site de négociation politique, un site de la construction du symbolique qui permet d’inaugurer une interaction ou un dialogisme dominant / dominé » (Hommi Bhabha cité ds. Moura, 168) montre qu’il y a eu des rapports interculturels entre l’Afrique et la France qu’on ne peut dissocier. D’autres formules telles que « l’hybridité » ou « l’identité rhizome » de Glissant, les « branchements » d’Amselle et « les espaces tiers » (le third space) de Bhabba, les postcolonial studies énoncent la même ambition de coller au plus près de la réalité quotidienne les transactions sociales issues des relations coloniales ou postcoloniales entre les hommes (Smouts, 430). Cela indique la nécessité de confronter les opinions des uns et des autres, celles de deux mondes et de deux cultures qui se sont rencontrés et qui ont croisé leurs identités. 3 CHAPITRE I REVENDICATION D’UNE IDENTITE COMPLEXE VUE PAR DES AUTEURS AFRICAINS DE LA PREMIERE GENERATION Longtemps, l’identité a été et demeure historiquement déterminée. Loin d’être fondée sur des caractéristiques universelles, cette identité fait percevoir l’individu qui veut intégrer la nouvelle société comme un être complexe qui vit dans un monde où la pureté de la race, de la culture et de la langue n’existe réellement pas. Il paraît plutôt un produit du contact de deux races et de deux cultures dont l’alliance devient ambivalente et complexe. C’est ainsi que sont nées toutes les civilisations dont la rencontre pacifique ou guerrière des groupes humains a fait apparaître une société nouvelle et hétérogène. Par exemple dans le domaine de la littérature africaine, ce phénomène universel, selon Florence Paravy, prend une dimension particulièrement importante du fait que l’histoire du continent relève d’un métissage imposé par la colonisation vers un métissage volontaire qui est celui de l’écriture (Paravy, cité ds. Clavaron, 101). L’activité littéraire est un exemple des moyens adoptés pour imaginer une identité complexe qui serait le produit de la rencontre des langues africaines avec le français. Malgré leur minorité, les auteurs africains tels que Birago Diop, Ousmane Socé et Bernard Dadié ont pu profiter de cette rencontre pour revendiquer cette identité déjà complexe afin de donner au conte africain ses titres de noblesse, privilégiant ainsi la littérature orale et sa participation à ce que Senghor nomme la «civilisation de l’universel» (Gourdeau, 13). De plus, vont émerger sur le plan thématique, des problèmes propres à cette minorité d’intellectuels partagés entre deux mondes. Les romans de l’époque coloniale notamment Kocoumbo, l’étudiant noir d’Aké Loba et L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane mettent déjà en scène le personnage du métis 4 biologique ou culturel et représentent une expérience vécue de la perte d’identité originale et du déchirement, ce que résume ici Samba Diallo, héros de L’aventure ambiguë en ces termes : Je ne suis pas un pays des Diallobés distinct, face à un Occident distinct, et appréciant d’une tête froide ce que je puis lui prendre et ce qu’il faut que je lui laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux. Il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un choix. Il y a une nature étrange en détresse de n’être pas deux. (164) L’identité individuelle ne semble donc pas perçue et assumée comme mixte ou métissée, mais contradictoire. Or, un demi-siècle après la décolonisation, les sociétés africaines restent très profondément marquées par la dualité culturelle. Le français est devenu la langue officielle, la scolarisation débouche souvent sur des études supérieures qui vont être accomplies en Europe tandis que l’immigration continue par compliquer les relations et les échanges entre les deux continents. De même, les écrivains d’aujourd’hui sont plus en contact avec l’Europe que ceux des générations précédentes. Néanmoins, la littérature africaine malgré ses valeurs et ses enjeux se trouve souvent délocalisée et pour l’écrivain africain, le questionnement sur sa propre identité reste à l’ordre du jour comme en témoigne par exemple l’ouvrage d’Henri Lopes, Ma grandmère bantoue et mes ancêtres les Gaulois. L’utilisation des expressions « Ma grand-mère bantoue » et « mes ancêtres les Gaulois » dans ce titre montre d’ores et déjà que deux continents se sont rencontrés au moment de l’histoire. Alors pour l’auteur, il y a un métissage c’est-à-dire un mélange des cultures qui doit exister et qu’il faut juxtaposer en prenant soin de traiter les deux de façon égale pour en faire une belle et harmonieuse rencontre. Ce métissage qu’il revendique n’est pas seulement celui venant de son grand-père Gaulois et de sa grand-mère bantoue, mais aussi celle de la culture qui part du nord au sud et qui relie toutes les races ayant participé à l’histoire. 5 Aussi, le thème du métissage culturel parfois conflictuel des Francophones d’Afrique perdure-t-il dans les romans les plus récents. L’impasse, du Congolais Daniel Biyaoula (Présence africaine, 1996) en est sans doute un bon exemple. Tout l’intérêt de ce roman est de dépasser cette perspective binaire et contradictoire qui existe dans les romans de l’époque coloniale et de mettre le sujet ou le colonisateur et l’objet ou le colonisé dans un contexte hybride pour réconcilier des éléments contradictoires de leur expérience diasporique. Non seulement le héros se sent partagé entre les deux univers, mais ces derniers ne lui donnent pas un repère identitaire clair. Si, dans L’aventure ambiguë, Samba Diallo a la nostalgie d’un monde dont il se sent coupé mais qui continue d’exister, Leïla Houari dans Zeida de nulle part comme beaucoup de jeunes maghrébins, cherche partout, rêve de tout et finit par se sentir de nulle part. Etrangère dans son propre pays le Maroc, étrangère en Belgique, sa terre adoptive, la narratrice est en conflit profond avec les deux sociétés et se sent de nulle part, un sentiment qu’elle partage avec la narratrice du roman de Fatou Diome, Le Ventre de l’Atlantique : Irrésistible, l’envie de remonter à la source, car il est rassurant de penser que la vie reste plus facile à saisir là où elle enfonce ses racines. Pourtant, revenir équivaut pour moi à partir. Je vais chez moi comme on va à l’étranger, car je suis devenue l’autre pour ceux que je continue à appeler les miens. (190) La narratrice fait surgir ici une image qui ne renvoie à rien de réel. Elle se situe dans un entredeux imaginaire où disparaît la culture d’origine perçue comme négative face à la culture occidentale jugée meilleure. En se cherchant tour à tour dans deux espaces géographiques et culturels exclusifs, Zeida désire que son moi se construise dans une subjectivité homogène car c’est le seul moyen qui s’offre à elle. Dans le premier chapitre, elle entreprend d’adhérer exclusivement à une identité féminine occidentale. Puis, dans le deuxième, elle essaie de se conformer uniquement à celle de son milieu d’origine. Le parcours de Zeida dans l’espace belge et par la suite dans le milieu marocain montre que son passage d’une identité féminine 6 occidentale vers une identité féminine africaine s’inscrit dans un cadre culturel hybride. Néanmoins, cette quête identitaire ne peut déboucher nulle part parce qu’elle est niée par des mentalités occidentales peu disposées à mettre sur le même pied d’égalité les valeurs culturelles de l’Autre. Ce manque de convergence des espaces culturels sert également de rupture dans l’expression des écrivains de la première génération qui doivent écrire dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle mais celle de l’Occident qui leur est imposée. En effet, l’accès à la littérature française semble être soigneusement contrôlé par l’autorité coloniale qui soumet la pratique, d’où l’utilisation de la langue française se fait de façon académique. Même si dans la littérature des premières générations, il y a une certaine opportunité pour les Africains de se rattacher à leur histoire, leurs traditions et leurs langues, l’institution scolaire des Africains est sous contrôle du fait que la scolarisation de ces derniers pourrait devenir une arme à double tranchant. C’est dans cette écriture imposée par la force et qui tente de décrire le continent africain que l’expression des réalités africaines va se faire. Cette atmosphère donne l’image de quelque chose qui ne renvoie à rien de réel mais qui se situe plutôt dans un entre-deux imaginaire où semblent disparaître les réalités du continent. Ceci explique sans doute quelques apories qui ont existé dans les discours critiques des représentants de la Négritude. Ainsi, l’on a vu naître des formules revendicatives et parfois provocatrices, comme celle de Tchicaya U Tam’si qui dit ce qui suit : « Le français me colonise, je le colonise à mon tour. » (Jacques Chevrier, cité ds Clavaron, 105). Il s’agit d’une véritable appropriation de la langue française que résume Henri Lopes en ces termes : « En tout état de cause, le français n’est plus en Afrique une langue étrangère. D’origine étrangère, cette langue est aujourd’hui africaine, au même titre que nos langues maternelles » (Lopes cité ds. Clavaron, 105). C’est le cas dans le roman d’Eveline Caduc qui s’intitule La Maison des Chacals où il y a la coprésence de deux 7 langues (Caduc, 2006). Bien que le roman soit écrit en français, plusieurs termes en dialecte algérien viennent éclairer ses pages pour leur donner non seulement la consistance et la texture appropriée, mais aussi pour les garder dans la gloire de leur différence, dans leur intégrité, dans leur majesté. C’est aussi le cas dans le récit de Begag où Azouz fait un mélange du français et de l’arabe pour répondre aux questions de M. Grand (Begag, 95-96). C’était, selon Jean-Paul Sartre, une façon d’ouvrir la voie au véritable métissage qui allait faire « dégorger leur blancheur aux mots » (Sartre, 18). Cependant, cette intégration linguistique qui doit s’accompagner de l’émergence d’un français d’Afrique pose des problèmes d’assimilation pour le lecteur étranger français de souche, raison pour laquelle le métissage culturel allait prendre une allure de domination et de force du pays hôte sur les minorités culturelles d’Afrique , surtout du Maghreb. a. Un métissage né de la colonisation La colonisation a imposé en Afrique ce qui pourrait apparaître comme une forme de métissage. En effet, l’imposition des lois, des institutions, de la culture et de la langue étrangère par le système colonial donne naissance à un monde non pas métissé et unique, mais scindé où coexistent deux structures politiques, sociales et culturelles, dont l’une assujettit l’autre. Comme le rappelle Frantz Fanon dans son roman qui s’intitule Les damnés de la terre, « La zone habitée par les colonisés n’est pas complémentaire de la zone habitée par les colons. Ces deux zones s’opposent au service d’une unité supérieure » (Fanon, 42). Dans ce contexte, les contacts vont se transformer en rapports d’exploitation et de domination culturelle où la France cherche à transmettre aux peuples minoritaires, une part minimale de sa culture qui devient l’instrument le plus efficace du système. C’est ce que Bernard Mouralis appelle «sous-culture coloniale» dont le système scolaire en Afrique, selon Paravy, va servir de courroie de transmission d’une culture purement occidentale (Paravy, cité dans Clavaron, 2005). Fanon, dans son analyse trouve que 8 « C’est le colon qui a fait et qui continue à faire le colonisé. Le colon tire sa vérité, c’est-à-dire ses biens, du système colonial » (40) laissant inaperçu tout ce qui a trait aux valeurs du colonisé. De plus, dans le domaine social, l’on voit à quel point le métissage est devenu un phénomène producteur d’illusion en ce sens qu’il rend méconnaissable ce qui a existé et sème ainsi la confusion dans toute notion d’appartenance et d’héritage. De même, dans le domaine culturel, l’espace linguistique semble être de façon directe ou indirecte, la source identitaire de l’individu qui parfois vit dans l’errance et dans l’incertitude. Mais, il arrive que cette rupture socio-culturelle crée parfois des personnages abandonnés et déchus qui finissent par se livrer à la délinquance pour se venger de l’indifférence de la société dominante. C’est le cas des trois copains Saïd, Vintz et Hubert qui, dans le film intitulé La haine de Matthieu Kassovitz (1996), manquent les cours et trouvent la passion et le désir de mener des actes de vengeance et de destruction dans la banlieue où ils habitent à Paris. La raison est qu’ils sont venus dans un monde qui leur appartient aussi mais qui, pour des raisons socialement complexes et incontrôlables, n’arrive pas à mieux les intégrer. A ce niveau de la situation, la problématique des minorités françaises d’origine nord-africaine coincés entre deux mondes, et celle du métissage, comme le souligne Jean-Luc Bonniol, sont relativement dissemblables (Bonniol, ds. Paravy, 102). L’identité individuelle de ces minorités ne semble donc pas perçue comme intégrée mais dissociée et confuse. b. Ambiguïté ethnique et troubles identitaires Ces deux termes font référence à la politique française à l’égard de la migration africaine après la décolonisation. Celle-ci est marquée par des phases successives et contradictoires. Par exemple, dans les récits Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag et Zeida de nulle part de Leïla Houari, l’on note que le héros et l’héroïne vivent dans une ambiguïté culturelle et qu’ils 9 incarnent respectivement dans leur état d’existence, deux mondes, deux cultures dans lesquels se camouflent des tensions culturelles et ethniques. Cette tentative de fusion des deux identités devient malheureusement ratée et conflictuelle, mettant ainsi l’Europe et l’Afrique en proie à la réconciliation. Evidemment, les démarches entreprises par les critiques dans ce domaine tendent à généraliser l’expérience de la nouvelle génération africaine qui souvent tourne autour des thèmes tels que le racisme, le conflit des générations et leur vie dans les banlieues. Ensuite, la question d’identité est souvent perçue comme problématique car l’identité est un phénomène qui se construit à l’aide de plusieurs valeurs culturelles et non sur une politique d’assimilation culturelle qu’impose la France aux élites coloniales et postcoloniales d’Afrique. Selon JeanMarc Moura, les enjeux et les conséquences de l’identité doivent faire l’objet des relations de pouvoir entre les diverses régions du monde et ils doivent insister sur la valeur et la nécessité des différences culturelles (Moura, 20-21). Toutes ces idées montrent que la subjectivité de l’individu est un phénomène dynamique et contradictoire qui s’ouvre à la diversité. De plus, les récits dont nous nous inspirons attestent que le véritable moi des personnes ayant immigré en Europe notamment en France et en Belgique se construit à l’aide des modèles culturels africains et européens, et tout cela mérite beaucoup d’attention. La quête de ce statut symbolique, selon Marie-Claude Smouts, implique une lutte permanente des individus et des groupements sociaux pour se définir avantageusement les uns par rapport aux autres (Smouts, 410). Il s’agit d’étudier les souffrances et les émotions qui sont nées des rencontres afin de dépasser les sentiments de domination, de dépossession et d’humiliation dans les rapports entre dominants et dominés. Pour mieux y parvenir, selon Smouts, il faut partir sur la base d’une démocratie libérale pour rendre visibles les individus issus de la rencontre de deux mondes que la société a négligés et les traiter de la même manière que tous les autres (433). 10 Dans la société française d’aujourd’hui, il existe un désir immense de recherche des origines dans une partie importante de la jeunesse dont les parents viennent d’outre-mer. C’est un besoin d’histoire dont on ne peut pas faire abstraction, comme le souligne Benjamin Stora dans son analyse sur la France postcoloniale, avec une population en désir de compréhension et qui est confrontée à des exigences politiques du présent (Stora cité ds. Smouts, 297). La nouvelle littérature dont les écrivains d’aujourd’hui font mention affirme la défaillance des schémas de pensée ethnocentristes qui continuent dans cette période moderne et postcoloniale à conditionner la perception de l’identité de l’Autre ou de l’altérité culturelle. Cette étude se propose de montrer que les espaces de l’entre-deux, comme le souligne Homi Bhabha, permettra de voir comment élaborer des stratégies singulières ou communes pour initier de nouveaux signes d’identité, et des sites promoteurs de collaboration et de contestation dans le but de mieux reconnaître et d’affirmer l’autonomie de l’autre (Bhabha, 1994). Les propos de Jean-Paul Sartre s’adaptent parfaitement à cette nouvelle génération d’auteurs qui voudrait confirmer que l’espace littéraire se définit par le fait que « L’écrivain sait que la parole est action : il sait que dévoiler c’est changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer » (Sartre, 1948). C’est ainsi que ce lieu se veut un espace de transformation des mentalités françaises et belges et de revendication pour de nouvelles conceptions identitaires qui répondent aux besoins d’une génération issue de l’immigration africaine. C’est précisément ce genre de mentalité qui rend complexe le parcours de chacun des personnages marquants des récits de Begag et Houari à savoir Azouz et Zeida, et ceci débouchera inéluctablement vers une impossibilité pour eux de choisir entre la culture africaine ou arabe et la culture occidentale. Ailleurs, cette crise identitaire montre ainsi que la complexité du moi des deux personnages précités s’appuie sur le fait que les deux sociétés laissent chacune une empreinte indélébile sur eux. 11 Azouz remet en question la complexité de ce phénomène d’acculturation dans la scène où il proclame son arabité lorsqu’il réussit à surpasser ses camarades français en rédaction (Begag, 215). Ici, il s’appuie sur sa culture d’origine en utilisant une formule religieuse arabe « Par Allah ! Allah Akbar ! » (216) pour vanter ses mérites. Cela indique que sa langue arabe demeure celle à laquelle il a recours pour exprimer ses passions. Zeida, coincée dans un cercle vicieux à la quête de son identité finira par s’en sortir une fois qu’elle accepte de construire son moi à partir de la relation qu’elle entretient avec les cultures belge et marocaine. Houari situe ainsi Zeida dans un entre-deux culturel pour montrer que son identité doit se construire à partir de la rencontre des deux héritages belge et maghrébin. L’identité d’Azouz et de Zeida se situe au croisement de deux mondes qui remet en question l’idée de l‘Europe de penser que la culture dominante a plus d’influence sur la culture dominée. De ce fait, il faut noter que l’identité des communautés nouvelles africaines nées de la colonisation ne se limite pas uniquement aux valeurs des cultures d’origine ou des cultures occidentales. Il faudrait mettre les deux valeurs ensemble. Azouz a beau se conformer aux règles coutumières arabes, il reconnait que ses compatriotes ont parfaitement raison de le tenir pour un Français car il s’habitue mieux au mode de vie des Français que celui de ses origines ancestrales (Begag 1986, 102-103). C’est précisément ce constat qui donne naissance à un produit identitaire dont il est issu et qui demeure à la fois différent et exceptionnel parce que influencé par le monde occidental. En utilisant la notion de différence de Jacques Derrida, Stuart Hall se sert implicitement de la métaphore de Léopold Sédar Senghor et d’Aimé Césaire pour démontrer que l’identité culturelle dans le monde caribéen est permanemment liée à au moins trois présences : Présence Africaine, Présence Européenne et Présence Américaine (Hall, 398-399). Hall par cette définition indique que nos cultures portent des expériences historiques communes et des codes culturels partagés 12 devant faire de nous un peuple unique. C’est pour signifier que l’Afrique a pris des valeurs culturelles nouvelles et qu’elle a une identité plurielle basée sur la diversité et l’hybridité qu’il faut découvrir (402). Selon Hall, le colonisateur nierait ces valeurs essentielles pour la reconstruction de l’identité du colonisé. Un tel préjugé et une telle tentative colonisatrice visant à dénaturer l’Afrique remettent en question l’identité métisse, d’où la prise de conscience des intellectuels africains pour dénoncer le caractère stéréotypique de la représentation des Africains et mettre en valeur leur autoreprésentation. 13 CHAPITRE II REACTIONS DE CERTAINS AUTEURS AFRICAINS La confiscation de la liberté d’expression des auteurs africains et l’imposition des règles à suivre dans la mise en pratique de la théorie postcoloniale deviennent flagrantes. Voulant passionnément revaloriser leur civilisation niée par le colonialisme, des écrivains hommes et femmes de la diaspora africaine tels que Birago Diop, Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Zahia Rahmani et Assia Djebar pour ne citer que ceux-là, passent à l’écriture. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, ils vont s’exprimer en réaction à l’oppression culturelle du système colonial français, rejetant d’une part l’assimilation culturelle et d’autre part, la dévalorisation de l’Afrique et de sa culture. De ce point de vue, la création du Mouvement de la Négritude vers les années 1930 qui a pour tendance de rattacher les Noirs de nationalité et de statut français à leur histoire, leurs traditions et leurs langues (Léon Damas cité ds. Kesteloot, 79), va non seulement pousser à la révolte politique, avec le départ de l’occupant vers les années 1960, mais aussi à l’indépendance et à la renaissance culturelle (128). Cette révolution des premiers écrivains a pour objectif de sensibiliser davantage les Africains de la diaspora et d’ailleurs afin de restituer à leur histoire ses véritables dimensions culturelles. Cependant, ce nouveau départ n’a pas suffi pour une vraie réhabilitation des peuples colonisés dont la reconstruction de leur identité culturelle originale est déjà influencée par le métissage. La preuve est que la liberté de ces porte-paroles de l’histoire africaine a été confisquée du moment où ceux-ci ont dû travailler selon des directives qui leur ont été données et sous une contrainte politique. L’absence du droit à la diversité culturelle traduit un rejet ou une intolérance envers la différence culturelle. Ainsi, dans la perspective de dégager les difficultés qu’éprouve le sujet postcolonial à s’intégrer dans un milieu qui véhicule une culture 14 jugée supérieure aux autres, et de voir si des efforts sont fournis de part et d’autre pour le respect de la différence, le respect des cultures, il est nécessaire que nous fassions un peu l’analyse des textes des auteurs contemporains sur la situation postcoloniale tels que C’était leur France : En Algérie avant l’indépendance de Leila Sebbar et Georgette! de Farida Belghoul. Evidemment, les littératures postcoloniales constituent des territoires privilégiés où s’expriment les écrivains pour la revendication identitaire du colonisé longtemps réduit au statut de l’être inférieur appelé à tout assimiler. Ce sont des territoires qui ont été marqués par des identités ambiguës, des chocs qui se sont développés entre l’Europe surtout la France et l’Afrique pour faire émerger des individus qui appartiennent à des identités devant lesquelles ils ont de la peine à se reconnaître. Leur intégration en Europe comme en Afrique fait poser des questions souvent complexes. Comment vont-ils pouvoir s’assimiler à la vie occidentale ? Comment vont-ils s’intégrer dans la nouvelle société sans toutefois négliger les valeurs originelles? Telle est l’histoire de Georgette, cette jeune fille déchirée entre la culture algérienne de ses parents et celle qu’elle reçoit à l’école (Belghoul, 1986). En effet à la maison, la petite fille reçoit de son père qui a des connaissances rudimentaires de l’arabe, l’apprentissage d’une écriture qui s’effectue de droite à gauche. Une fois que la fillette est scolarisée, cette direction va se trouver brutalement renversée par sa maîtresse qui la force à s’adapter à la culture occidentale. Ce dilemme se structure donc autour de deux écritures française et arabe, voire deux directions problématiques parce que contradictoires l’une par rapport à l’autre. Le glissement entre le modèle paternel et celui de la maîtresse va bouleverser l’héroïne qui se sent d’autant plus déséquilibrée parce que l’espace scolaire manque de lui assurer une transmission de l’endroit qui correspond à son environnement familial vers le milieu scolaire. Ensuite, la négation de la langue 15 arabe qu’elle a apprise de son père la précipite dans un espace de discontinuité culturelle et la plonge dans un état de déséquilibre. De plus, le conflit de Georgette est le résultat d’une dégénérescence institutionnelle destinée à façonner uniquement l’héroïne dans les lois de la culture française. Le système scolaire en s’imposant de cette manière fonctionne non comme un lieu intermédiaire qui va progressivement aider la fillette à mieux s’adapter aux deux mondes culturels mais comme un milieu qui tend à changer brutalement son moi. Celle-ci n’ayant pas réussi à faire valoir dans cet environnement le sens paternel au point de se voir exclue du système scolaire français se voit dépersonnalisée. De ce fait, l’école représente pour Belghoul la négation de toute identité étrangère et elle entraîne un acte de déculturation. Aussi, l’écriture se perçoit-elle ici comme un instrument qui façonne les habitudes, la pensée et le moi de la fillette. Autrement dit, l’écriture constitue pour Belghoul un espace absolu de la formation du moi qui se produit uniquement dans des valeurs occidentales. Ce récit qui se construit à partir de l’apprentissage de l’écriture fait l’objet d’une réflexion sur une mentalité européenne scolaire voire sociale fermée au concept de la diversité culturelle. On peut voir que la voix de l’héroïne est fortement marquée par la perception de l’écrivaine sur un processus de scolarisation dont l’initiation à l’écriture se voit comme un lieu d’emprisonnement car il y a un manque de communication incapable de prendre source dans un double héritage culturel. Pareillement, dans C’était leur France : En Algérie avant l’indépendance de Leila Sebbar (2007), nous remarquons que le pays natal ou l’espace d’origine qui a souvent été et demeure l’espace intime ou le lieu de préférence se perd dans la nuit d’un temps qui devient inaccessible à l’histoire. Par exemple, dans le premier extrait de ce récit de Leila Sebbar (Ma mère, la France) et de Boualem Sansal (Les Leçons de grand-père), les auteurs évoquent respectivement l’absence 16 d’un rapport entre l’Algérie et la France dans leurs souvenirs d’enfance (Sebbar, 241 ; Sansal, 228). Ailleurs, les écoles chrétiennes avec une stricte séparation des sexes, prennent de l’ascendance sur les écoles arabes plus anciennes et mixtes, puis les villages anciens à l’exemple de Hennaya (Sebbar 240) sont laissés en ruine. La France est donc présente partout avec sa langue, ses lois et sa religion, mais cette stratégie vient malheureusement remettre en cause tout ce qui a rapport avec le passé et surtout avec l’histoire : les lieux de mémoires relatifs au paysage sauvage, l’école où on apprend le français et l’arabe, le village fondateur que l’on quitte et dont on garde en souvenir tout ce qu’il contient comme activités quotidiennes (238-240), tout cela est remplacé par l’envahisseur qui dans un même pays et sur un même territoire pose des actes sur lesquels l’on se demande ce que la France a été hier et ce qu’elle est aujourd’hui en Algérie dans un pays qu’elle prend pourtant pour la sienne selon l’histoire (cf. discours du général De Gaulle à Oran, le 6 juin 1958 : Ruscio, 151). En effet, l’on sent à travers ce premier extrait de Sebbar et Sansal, une séquestration de la liberté et une phase de subordination des Algériens français par rapport aux Français d’Algérie. Le constat est flagrant lorsque l’on jette un regard sur les conditions de vie encore précaires de ceux-là qui ont tout appris sur la France et que l’on voudrait bien considérer comme des Français alors qu’ils continuent de vivre dans l’incertitude (Sansal 227). Dans le deuxième récit de Benjamin Stora (Une France si proche, si lointaine…) et de Jean-Jacques Jordi (Mon EnFrance), il y a également le motif de la quête identitaire africaine dans laquelle l’origine historique semble être perdue, ce qui suscite des interrogations. Par exemple pour Stora, la nation française devient une nation étrangère à l’histoire du peuple d’Algérie et à l’histoire d’Afrique (266), un empire colonial qui courbe sous l’esclavage la nation algérienne et où les Algériens bien que français n’étaient pas vraiment des Français (267-268). 17 Ailleurs, dans ce monde où les Algériens se veulent français, la volonté d’assimilation devient difficile. Alors pour Benjamin Stora, cette France bien que proche s’éloigne parfois des réalités algériennes souvent marquées par la vie indigène, la vie en communauté (267), surtout entre juifs et musulmans pendant les fêtes religieuses (269). Ce mode de vie à Constantine comme en France manque. Par exemple en Algérie, la France n’existe qu’à travers la démonstration militaire, la richesse européenne souvent inaccessible à tous les Algériens (269). Même en France, la séparation des quartiers et des habitats entre Français de France et Français d’Algérie est flagrante (268). Ainsi, l’on note des contradictions infinies dans les écoles et les résidences. En somme, il y a présence d’une frontière invisible entre les Français de France et ceux de l’Algérie dans la mesure où il est difficile aux deux communautés de se fréquenter (269). Tout cela laisse beaucoup de soupçons sur la vraie identité française attribuée aux Algériens. Pour Jean-Jacques Jordi, les repères de la France que l’on porte en soi semblent suffire pour que l’on se considère comme français. Par exemple, ces repères se traduisent à travers les liens généalogiques, les caractères physiques que l’on a, les cartes postales qu’on possède et ce qu’on connaît de la culture française. En effet, les perceptions de ce que Jordi appelle la vraie France sont liées à l’identité personnelle ou individuelle en Algérie et en France. Outre les traits physiques de sa grand-mère qui lui donnent la fierté de s’affirmer, l’auteur associe à l’identité, l’éducation scolaire où l’on apprend la bonne prononciation, le diaporama et les cartes postales pour obtenir plus d’information sur la France (Jordi cité dans L. Sebbar, 164-165). Cependant, la perception de la France tant attendue devient illusoire. La transition se fait dans la douleur et dans l’abandon, malgré les signes déterminants et surtout l’amour patriotique qui pousse certains à se croire français. Ainsi vont surgir les problèmes d’intégration dans la nouvelle société qui 18 s’apparentent à une discrimination masquée du pays hôte. Il est dur de vivre, de trouver de l’emploi puis de se loger(170). Somme toute, l’arrivée en France pour Jordi rend le statut social des Pieds noirs algériens beaucoup plus incertain et plonge plusieurs familles dans l’abandon et la déception. Comme l’a annoncé Hélène Cixous dans cette mémoire historique de Sebbar, le rêve du pays inconnu des Algériens juifs et arabes d’Oran semble être marqué par une double absence dès qu’ils arrivent en France, une France qui, d’après l’histoire, est aussi la leur. Une fois dedans, on est dehors (Sebbar, 92). Il y a ici l’existence d’une double absence : le fait de n’appartenir ni au monde maghrébin ni au monde français, et la double présence c’est-à-dire l’appartenance aux deux mondes en même temps. L’impossibilité de se représenter son domicile pour certains dans cette mémoire de Sebbar nous permet de comprendre les enjeux psychologiques des personnages migrants et cela nous donne par la suite des indices sur l’expérience de la migration, le sentiment d’isolement et le rapport qu’ils se font entre leur pays d’origine et le pays d’accueil. C’est une écriture qui paraît simple mais qui a priori fait passer une émotion profonde qui permet à l’écrivaine d’attirer l’attention de son audience sur l’histoire d’un pays et celle de son peuple pris dans un entre-deux culturel. La situation est complexe dans la mesure où l’arrivée des immigrants africains dans le monde occidental a souvent pris un autre tournant dans l’histoire des relations entre l’Europe et l’Afrique, celui du refus de l’homogénéité et celui d’une marginalisation à double sens. L’immigré se voit ainsi autre par rapport à ceux qui l’entourent et par rapport à soi-même. Le constat est saisissant car cela fait penser à un refus de reconnaissance des droits de ces immigrants en proie de leur intégration sociale et de la construction de leur propre identité. Ailleurs, un tel constat est mis en exergue par Grégoire Polet qui dans son analyse semble 19 redéfinir non seulement l’histoire des immigrants africains, mais aussi celle de tous les peuples exclus pour la même cause. Selon, lui, nous sommes tous dans une logique révolutionnaire et libre où nous devons faire de notre espace habité, un monde universellement interconnecté qui prend toute la forme d’une seule et même famille (Polet, 128-129). Néanmoins, la fin de la domination coloniale ne signifie pas la fin de l’influence de la France sur la nouvelle société africaine qui dans les milieux occidentaux continue à sentir encore le poids de l’abandon et de la solitude. L’absence du pays d’origine, de la mère patrie qui n’a d’égale nulle part ailleurs, du moins dans la conception de l’ancienne génération a fait que les hommes et les femmes de plume se sont efforcés pour revisiter leur histoire plus ou moins niée afin de pouvoir traduire dans leurs œuvres un territoire identitaire qui leur est aussi propre. En effet, dans le récit Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag, l’auteur met en scène l’enfance du héros qui fait face à un système socio-culturel qui refuse la reconnaissance de ses origines. Dans ce schéma d’exclusion, Begag se voit opposé à un dilemme qui le déforme et le rend inactif. Le refus de se plier aux exigences de sa propre communauté et la volonté de se conformer au modèle scolaire de la France d’où il se croit naïvement originaire (Begag, 1985, p. 182) n’ont fait que compliquer son intégration dans deux mondes : la culture algérienne ou le Chaâba puis celle de la France ou l’école. Ces deux mondes dans lesquels Azouz évolue s’opposent de plusieurs façons. D’abord sur le plan social, la famille d’Azouz est pauvre et habite en marge de la société lyonnaise. Ensuite, les traditions islamiques de sa collectivité maghrébine contrastent avec celles de la culture européenne. Alors sur le plan social et culturel, Azouz circule quotidiennement entre un univers doublement composé d’une culture arabe et française. Contrairement aux personnages de Houari et de Belghoul, ce va-et-vient quotidien entre les deux cultures ne semble pas a priori créer une ambiguïté de choix de ce qui va 20 constituer pour Azouz le modèle à suivre. Dès son passage à l’école, le héros semble rejeter les principes de sa culture maghrébine supposée inférieure au profit de la culture française que beaucoup de ses camarades trouvent supérieure et prestigieuse. Mais en même temps, Azouz arrive à résister à l’influence du milieu qui devrait comprendre que l’identité est interchangeable et qu’elle pourrait prendre des valeurs multiples compte tenu de l’origine ou du lieu de naissance. C’est pour cela que Begag s’éloigne de tout complexe pour se voir tantôt juif ou arabe selon ses origines patriarcales, tantôt français lorsqu’il se réfère au pays natal (Begag, 182-201). En réalité, le pays natal ou l’espace d’origine n’est plus pour la nouvelle génération un espace intime comme c’était le cas pour l’ancienne génération. Ce rattachement au pays d’origine devient l’objet d’une vision tout à fait particulière à la nouvelle génération d’écrivains subsahariens et maghrébins de langue française. Pour eux, le pays natal est plutôt un espace reconsidéré sous le signe de l’errance, de la « transhumance » aux dires de l’écrivain togolais Kossi Efoui et du mouvement continu (Francophonies 2011). Tout se fera donc dans un esprit de déplacement d’un lieu à un autre par rapport aux origines et par rapport l’histoire. Apparemment, dans leur condition d’expatriés par rapport à un pays qu’ils ont quitté, ces écrivains de la nouvelle génération ne prennent pas pour terre de base cette Afrique que célèbrent jalousement les premiers écrivains. Leur patrie devient désormais la littérature qu’ils se veulent mondiale et diversifiée. Si chez l’ancienne génération, l’autre monde est un espace inquiétant, voire problématique, cette conception n’est plus effective en ce qui concerne la nouvelle génération. Etre entre deux mondes pour les nouveaux venants est une marque de liberté et d’affranchissement de l’emprise des origines. Loin du pays d’origine, les écrivains de cette nouvelle génération dans leur pratique littéraire semblent plus libres et dégagés des contraintes. Ceci dit, il y a lieu de voir quelle position littéraire et politique les écrivains de la nouvelle 21 génération adoptent dans leur condition d’entre deux mondes et la place qu’ils accordent au pays d’origine et au pays d’accueil dans leurs récits. Par exemple dans le récit de Leïla Houari intitulé Zeida de nulle part, l’héroïne est à la recherche de son identité marquée par une ambiguïté culturelle. En effet, le parcours de Zeida dans l’espace belge et par la suite dans le milieu marocain où elle doit s’efforcer de s’adapter aux habitudes traditionnelles (Houari, 26), révèle que son passage d’une identité vers une autre donne naissance à un moi hybride. Le premier chapitre de ce récit s’ouvre sur la fuite de l’héroïne dans les rues de Bruxelles. Cet espace qui va représenter un rappel constant à son statut d’exilé finira par incarner pour elle le lieu de la grisaille, du froid, de l’indifférence et de l’exclusion (26-30). C’est ainsi que ses nuits passées à l’écart de sa famille sont accompagnées de songes qui la transportent au Maroc. Cette fugue qui ne provoque en elle que souffrance et confusion la pousse à tenter un retour au pays d’origine. Ensuite, la seconde partie du récit décrit le refuge de Zeida dans un village marocain ou la famille de son père va l’accueillir. Bien qu’elle s’efforce de s’adapter aux habitudes de ses proches, elle ne réussira pas à effacer les signes et les habitudes de l’exil qu’elle porte en elle comme une empreinte indélébile, ce qui l’incitera à trouver le chemin de retour en Belgique. Ceci laisse à croire que le monde auquel appartient l’héroïne ne peut se construire qu’à partir de la relation qu’elle entretient entre les cultures belge et marocaine. Ailleurs, le récit de Houari s’articule autour d’une quête identitaire féminine qui s’effectue à travers le personnage de Zeida marqué par une ambiguïté culturelle entre deux mondes occidental et marocain. Son identité féminine belge se caractérise par une liberté dans le monde occidental et un emprisonnement dans le monde africain manipulé par des règles traditionnelles qui lui sont difficiles à suivre. Par exemple, son père limite ses actes dès sa puberté en lui faisant savoir qu’elle est devenue fille et qu’elle doit se préserver des mauvaises compagnies (16). Le 22 père qui reste fortement attaché aux coutumes de son pays souhaite ne pas voir le corps de sa fille influencé par la culture occidentale qu’il juge trop libre et sans retenue. Cette forme de domination que le père exerce sur sa fille constitue l’imposition d’une discipline paternelle à laquelle va résister Zeida (17). Puisque son univers intérieur dépend de deux mondes et de deux cultures, avec son choix qui porte sur l’environnement belge, Zeida va transgresser les lois que lui impose son père mais tout en sauvegardant ses valeurs culturelles d’origine (29-31). C’est une façon pour Houari de nous montrer que la définition de l’identité culturelle n’est pas toujours unique, et que cela nécessite parfois une combinaison des deux cultures dans la constitution identitaire comme nous l’indique le cas de Zeida. Cela nécessite un travail approfondi à partir de différentes expériences sur l’immigration en général pour arriver à mettre en place un mode de vie adéquat entre les deux mondes afin d’éviter un déséquilibre identitaire et une rupture culturelle parfois suicidaire pour certains. Evidemment, la réécriture d’une histoire oubliée comme celle de Moze de Zahia Rahmani montre le malaise identitaire d’un héros qui a été rejeté par sa propre nation l’Algérie pour avoir servi la France, puis abandonné par la France sa deuxième patrie qui lui a nié ses droits. L’homme banni par la société n’a plus de langue, plus de peuple et son histoire, s’il en a une, n’est que celle de son suicide au pied du monument du soldat inconnu (Rahmani, 129). En effet, derrière l’histoire de son père, ancien soldat algérien ayant combattu contre son peuple au nom de la France, se cache la douleur d’un peuple mal compris, méprisé et dépossédé (138) à la recherche de son identité culturelle devenue multiforme. Pour les parents qui ont subi tout le poids de l’exil et de la torture lors de leur immigration en occident, ils préfèrent plutôt s’attacher à leurs pays d’origine, à leurs traditions et à leurs langues. Mais, pour les enfants nés dans les moments de crise entre l’Afrique et l’Europe, l’identité prend plusieurs formes, selon qu’ils 23 portent des noms africains ou étrangers. Mais, le danger est que les noms à consonance africaine, des noms arabes ou harkis tels que Aïcha, Fatima, Mohamed, Azouz font des enfants nés de la rencontre coloniale, des décolonisés colonisés qui ne sont ni exilés, ni immigrés et qui ne seront rien comme le disait Moze (Rahmani, 73). La vraie naissance en France n’est reconnue que lorsqu’on prend des prénoms tels que Catherine, Isabelle Jean-Marc ou Viviane. Mais naître en France et choisir de l’assumer avec des prénoms inhabituels au système français à l’époque est synonyme d’une aventure, un choc, un combat où la seule volonté ne fait pas la loi (Benaïssa, 135). Certes, la tradition, la religion et la famille deviennent autant d’obstacles à franchir dans cette course pour la recherche de l’identité. De même, le désir de posséder l’autre et de le façonner en lui imposant une autre langue et une autre culture, est aussi une manière de porter un sérieux coup à l’homogénéité entre les identités qui sont hybrides de par leurs rencontres historiques. Ailleurs, cet état d’être est synonyme d’humiliation, du mépris et de l’abandon de l’autre. La belle manière d’éviter parfois cette incohésion sociale et cette inégalité des chances dans les écoles c’est d’être parmi les meilleurs à l’école comme le fait Azouz (Begag, 102) et surtout de ne pas raconter toute son histoire mais plutôt celle de son lieu de naissance et de son attachement à la France (182). Cependant, l’identité n’est pas exclusive et elle peut prendre des valeurs multiples. Par exemple, on peut naître en Algérie et devenir français. On peut également naître en France et être de nationalité algérienne (202). Tout ceci nous montre que l’identité n’est pas fixe mais dynamique. Si le pays d’origine demeure pour l’ancienne génération le lieu ancestral avec tout ce que cela contient comme coutumes et traditions par rapport à l’autre monde inquiétant et problématique, cette conception n’est plus de mise pour la nouvelle génération. Pour elle, le pays d’origine est un espace interconnecté qui suit un mouvement 24 continu et qui porte en lui des langues différentes, des cultures et des civilisations différentes. Dans leur condition d’expatriés ou d’exilés par rapport à un pays qu’ils ont quitté, les écrivains de la nouvelle génération ne s’attachent plus tellement à l’Afrique que jalousement veulent conserver dans leurs récits ceux de l’ancienne génération qui font souvent référence au Mouvement de la Négritude. Pour la nouvelle génération, l’identité se situe au niveau de la rencontre des deux mondes qui optent pour l’exploration de la complexité des rapports identitaires, des rapports de leurs langues et pour la communication. Les femmes écrivaines à l’image de Zahia Rahmani, d’Aïcha Benaïssa et de Leila Sebbar sont conscientes de ce manque d’interconnexion qui déchire les peuples pourtant liés par une même histoire mais à qui la France ne reconnaît pas cette légitimité. En effet, Rahmani voudrait nous faire examiner les rapports de domination de la métropole sur la minorité française d’Algérie. Pour elle, son père représente un homme banni des deux sociétés. Considéré comme un traitre par son peuple et nié par la France sa deuxième patrie qui ne reconnaît en lui « ni une victime de guerre, ni un soldat » (Rahmani, 61), Moze devient l’homme négatif qui n’a ni peuple, ni patrie, ni mémoire, un rien (73). Alors, le récit de Rahmani devient une histoire personnelle qui n’est pas seulement limitée à l’histoire de son père mais aussi à celle de la France colonisatrice qui nie l’histoire de l’Autre. Dans son travail littéraire, la narratrice essaie de dominer et de vaincre la honte, l’adversité et le rejet de l’autre. Aussi, voudrait-elle surpasser tout ce qui rend la situation de son père avilissant, déshonorant et indigne (128). Egalement, Rahmani refuse les discours qui ne voient en son père qu’un traitre (127) et elle veut d’une part apporter de la lumière sur toutes les zones d’ombre de l’histoire de son père qui est aussi la sienne afin de jouir de son identité. D’autre part, en s’inspirant de la tradition culturelle et historique de la France à travers la phrase suivante « J’accuse le peuple français de m’avoir abandonnée. » (125), la narratrice voudrait rendre 25 présent dans l’esprit de la société française contemporaine, cet héritage colonial promis dont son père et tous ceux qui ont combattu pour la France n’ont pas joui. Mais dans le même temps, elle voudrait dépasser l’esprit de l’intolérance et de la vengeance pour trouver le chemin de la réconciliation des mémoires. Elle veut transcender cette haine et dépasser les idées de guerre qui portent atteinte à l’origine identitaire et à la dignité humaine. C’est une idée qui rejoint celle de Ponchelet qui également dans son post-scriptum, s’indigne contre l’image d’immigrés que porte la France sur ses propres fils, et qui plus est, sur ceux qui sont nés là-bas et qui n’ont jamais émigré. Ceux-ci sont jugés d’être ni de France, ni d’ailleurs, des enfants de nulle part (Ponchelet cité ds. Benaïssa, 139). C’est également le cas de Zeida qui, dans son aventure, se trouve déchirée entre deux pays, deux langues, deux cultures et dont rien n’est à justifier chez elle au Maroc comme en Belgique, son pays adoptif (Charlot ds. Houari, 1985, 11). Il n’en est pas moins pour Sebbar qui, malgré tout ce que son pays a hérité de la France à savoir sa langue, ses lois, sa religion (Sebbar 242), vit dans la tristesse et la solitude. La colonisation a effacé une partie de ce qu’elle pourrait ajouter à ses souvenirs d’enfance, à son histoire encore incomplète. Il s’agit de Hennaya, le village fondateur de ses rêves nocturnes (240) et de la mosquée (241). Cependant, tous ces protagonistes savent qui ils sont et d’où ils viennent. Ils sont conscients d’appartenir à un monde où leur autonomie de construire leur propre identité serait de mise. C’est pourquoi ils s’insurgent contre le fait qu’on les identifie à leurs parents qui tout comme eux sont devenus ce que le colonisateur a fait d’eux. C’est le lieu pour eux de prendre en main leur destin et de trouver le chemin de l’intégration qui seule pourrait effacer les différences. Mais il faudra d’abord penser à l’acceptation des différences ou la coexistence des diverses communautés. Tout ceci n’est possible que lorsqu’on a l’esprit de réconciliation des mémoires, de sensibilité transnationale et transculturelle qui inspire une culture de l’inclusion, de la 26 coexistence et du partage (Babana-Hampton dans Redouane et Bénayoun-Szmidt, 172). C’est à partir de cette base commune que l’on peut mettre fin à l’illusion et la confusion des repères identitaires qu’engendre le métissage culturel, notamment dans le domaine linguistique et culturel. De toute façon, la littérature issue de l’immigration subsaharienne et maghrébine en Europe notamment en France nous montre une nouvelle forme d’écriture qui interroge l’identité culturelle préétablie. Ailleurs, les images qu’elle révèle invitent la société française contemporaine à reconsidérer sa position afin de dégager les similitudes entre les deux rencontres linguistiques et culturelles puis d’explorer au-delà du concept de métissage, un espace ayant des identités plurielles mais homogènes. Pour en venir à Azouz, lorsque M. Grand demande ce qu’il faut pour se laver, les Français répondent une serviette et du savon. Azouz s’empresse d’ajouter : «- M’sieur, on a aussi besoin d’un chritte et d’une kaissa ! - De quoi ??! fait-il, les yeux grands ouverts de stupéfaction. - Un chritte et une kaissa ! dis-je trois fois moins fort que précédemment, - persuadé que quelque chose d’anormal est en train de se passer. » (95) Le maître au lieu d’ignorer les propos d’Azouz, l’encourage à lui décrire les termes arabes afin qu’il puisse lui donner l’équivalent en français. Mais en le corrigeant, l’enseignant élimine les apports qui ne se conforment pas au modèle linguistique français. Begag, en utilisant des termes arabes dévoile que l’enfant ne fait pas de distinction entre les deux registres linguistiques. Le système scolaire, en assistant Azouz dans la maîtrise de la langue française, finit par supprimer cette notion de similitude et de complémentarité. L’espace scolaire devient pour Azouz et pour tout enfant issu de l’immigration occidentale, la source de la perte de la langue maternelle souvent humiliée et écrasée par la puissance en place (Memmi, 126). Elle doit plutôt se poser comme le foyer de la langue qui véhicule la culture (Gazabon, 14) et c’est à partir de ce 27 processus de scolarisation que la langue, tout comme l’écriture pour l’héroïne de Belghoul, doit se présenter comme le lieu de la récupération de l’enfant et de son identité dans la culture dominante. Toute décision contraire à cette hypothèse serait mal venue car elle mettrait ceux qui ne peuvent pas franchir la barrière dans la zone de marginalisation, d’abandon et d’exclusion comme c’est le cas des compatriotes et camarades de classe d’Azouz (Begag, 101). Contrairement au personnage de Belghoul qui refuse une reformulation de son apprentissage de l’écriture dans une subjectivité française, Azouz va quant à lui essayer de camoufler un registre qui empêche son assimilation au cadre scolaire et décider de changer de peau (58). Ce phénomène est particulier au colonisé dont l’ambition première sera d’égaler le Français, de lui ressembler jusqu’à disparaître en lui (Memmi, 137-138), ce qui indique que l’acculturation se constitue d’une démarche complexe. Azouz ne pourra pas se reformuler facilement dans cette nouvelle société française. Son apparence arabe montre qu’il lui est impossible de se fondre complètement dans le modèle français. Néanmoins, il imagine qu’il ne peut réussir à s’intégrer dans cette société française qu’en se plaçant parmi les meilleurs élèves de sa classe. En effet, le héros prend conscience que sa place dans la salle de classe va provoquer de meilleurs résultats scolaires et une place de choix dans cette société française. Pour le faire, il va jusqu’à s’éloigner de ses confrères arabes pendant les moments de recréation pour jouer exclusivement avec les français (Begag, 103). A travers ce comportement, Begag montre ici que l’école représente un lieu d’exclusion. C’est ainsi qu’il choisit la compagnie des Français pour montrer son orientation dans un modèle français. Azouz, en acceptant comme sien ce passé français, se rend compte que ce modèle historique incite en lui une certaine ambigüité ethnique car ses ancêtres ne ressemblent pas à ceux qui sont décrits par le maître. Ailleurs, le héros se résigne à adopter l’histoire de l’autre, et ce n’est pas de sa faute s’il doit tout accepter puisque le passé de ses aïeux 28 est absent des livres d’histoire française (60). Azouz reflète donc une image passive car il ne fait que mimer et réitérer les discours et les textes qui lui sont imposés par le milieu scolaire. En effet, il ne peut pas faire valoir sa diversité culturelle parce que tout ce qui n’est pas conforme à ce système d’enseignement est considéré comme une interruption insolente violant les règles de la situation pédagogique (Leeman, 149). C’est une dépossession culturelle dont il est tout à fait conscient, mais il a été obligé de s’y soumettre par nécessité sociale. Ce choix représente pour lui l’unique moyen de passer d’une situation qui défavorise à un statut privilégié. 29 CHAPITRE III AUTRES REACTIONS CRITIQUES Sans revenir trop longuement sur les idées d’ambiguïté culturelle dont souffre l’individu perçu comme un sujet postcolonial à la quête d’une identité réelle, nous aimerions recourir à d’autres auteurs afin de voir les jugements qu’ils font de la construction identitaire des minorités culturelles et des immigrés africains en France. Il ne fait aucun doute que la présence des minorités culturelles et des immigrés a souvent suscité des problèmes d’intégration en France. Sonia Richardson à travers ses pages, discute l’exploitation systématique des jeunes travailleuses africaines qui partent du statut légal à celui d’illégal ou des sans-papier acculées par la peur, une perte d’identité qui les oblige d’accepter des conditions de travail pénibles et des salaires dérisoires pour pouvoir joindre les deux bouts. Dans la plupart des cas, la réalité qui attend les immigrés lorsqu’ils débarquent dans le pays où ils comptent s’établir est triste. Par exemple, les femmes sont mises au chômage dès leur premier séjour, d’où la nécessité pour elles de se livrer à des travaux domestiques ou à la prostitution. Certes, la désillusion est grande pour tous ceux qui croient que leurs ancêtres sont des Gaulois lorsqu’ils arrivent en Occident. Même si les lois françaises stipulent que les enfants d’étrangers devraient bénéficier d’un égal accès à l’éducation (Richardson 2010, 144), la narratrice Zara dans le roman de Sandrine Bessora découvre qu’il n’est pas facile d’obtenir une carte d’identité française et que même le renouvellement d’une simple carte de séjour qui permet de travailler comme la carte verte aux Etats-Unis n’est pas une affaire si simple (Bessora, 1999). En effet, la vie en France est dominée par un jeu de carte dont l’obtention ou le refus peuvent ouvrir des portes ou fermer l’accès au monde du travail ainsi qu’à l’intégration dans la société française. Zara, la jeune étudiante au bord du désespoir, décide de choisir la voie la plus rapide, celle 30 d’épouser un Français de souche pour éviter la prostitution et mettre fin à toute souffrance. Cependant, ce choix a été marqué par un grand échec. Bessora critique alors de façon indirecte la politique menée par le gouvernement français pour résoudre le problème des sans-papiers. Le refus d’intégrer le sujet colonial dans le monde postcolonial remet en cause le droit à la présence physique des immigrants sur le territoire français et du coup cela explique de façon concrète la séparation entre le monde occidental et le monde oriental. Tout comme Zeida dans le récit de Leïla Houari, Zara se voit marginalisée dès qu’elle tente de faire un mélange des codes sociaux et d’intégrer la tribu des Gaulois. C’est en ce moment que l’héroïne s’enfonce dans la vie clandestine, une situation qui la place dans un duel identitaire difficile à retrouver. Mais la question qui se pose est de savoir si le lien social doit toujours demeurer unique ou si cela doit faire l’objet d’une fusion entre les éléments ayant participé à sa construction. En effet, la crise de l’emploi et la récession vers les années 1980 en France (Richardson, 12) fait de l’immigré africain le bouc émissaire du chômage des nationaux. Au lieu d’une politique de coopération et de cohabitation usuelle que la France a promis d’entretenir avec les nouveaux états indépendants d’Afrique, il s’est instauré une politique du bouclier qui consiste à promouvoir une certaine idéologie de préservation contre l’invasion culturelle et démographique des étrangers africains dont la plupart sont pourtant chez eux en Europe, notamment en France selon le contrat historiquement établi par les autorités françaises. Ainsi va naître une barrière linguistique entre les minorités culturelles et les français car la langue maternelle de ces minorités va être perçue comme n’ayant aucune dignité, d’où la difficulté pour ces dernières de surmonter les désillusions et l’oppression engendrées par un monde extérieur qui les domine. 31 A propos des exigences de l’institution scolaire, Danielle Leeman trouve qu’Azouz reflète une image passive car il ne fait que mimer les textes qui lui sont imposés par l’école nouvelle. Il ne peut pas faire valoir sa diversité culturelle parce que tout ce qui n’est pas conforme au nouveau système d’enseignement qu’il vient de découvrir est considéré comme une interruption qui viole les règles pédagogiques (Leeman, 149). Pour ne pas bouleverser la situation, Azouz enfouit en lui tout ce qu’il a hérité du Chaâba. Ce refoulement culturel se reflète dans la partie du récit où le maître a demandé à ses élèves de raconter une journée de vacances à la campagne. Pour ne pas se mettre hors des conventions de cette institution, Azouz s’efforce de fournir un travail qui exclut ses origines du Chaâba. Avant d’écrire ce devoir, le héros mesure ses mots et transforme son Chaâba à un espace qui est familier au maître : « Je ne peux pas lui parler du Chaâba, mais je vais faire comme si c’était la campagne, celle qu’il imagine, » dit-il (Begag, 64). Mettre en valeur les éléments du Chaâba est pour lui, courir le risque d’introduire un monde qui diffère de celui de monsieur Grand. Craignant que son maître juge ses expériences de façon négative, il se voit forcé de rédiger une histoire banale et sans fondement afin de répondre aux exigences de l’école. Apparemment, Azouz s’est appliqué à écrire à partir de la pensée de l’autre, un acte qui montre que l’école ne fournit aucun effort pour assister l’enfant à communiquer dans son monde réel. C’est une manière pour Leeman et Begag de montrer que leurs œuvres sont marquées par la dualité, la double appartenance linguistique et culturelle du héros à la recherche de son identité culturelle qui existe dans la mémoire collective franco-maghrébine. En effet, nous avons vu chez Belghoul que l’écriture se conçoit pour son personnage comme un lieu d’emprisonnement où il est impossible à Georgette de trouver dans cet espace social une langue de libération pour affirmer son identité personnelle puisqu’en agissant ainsi, elle se détourne de la voie paternelle. C’est pourquoi cette écriture finit par la conduire à la mort. 32 Donc pour Belghoul, l’école constitue un lieu d’autodestruction et de dépersonnalisation. Par contre pour Begag, cette nouvelle langue se traduit par des emprunts à la langue arabe, à la langue française et au mélange des deux, ce qui l’enracine dans une identité complexe et multiforme. Cette langue qui se compose d’un lexique régional, arabe et immigré se démarque des deux autres écrivaines Houari et Belghoul. Par exemple, la protagoniste de Houari est limitée dans ses mouvements à cause de son sexe. Cela fait que Leïla Houari est plus préoccupée par l’expression d’une identité qui se structure autour de l’émancipation d’un corps féminin aux prises avec les cultures arabe et française. Cependant, Begag semble percevoir dans cette dualité, le système éducatif occidental comme une promotion socio-culturelle. Au lieu de se rebeller contre le concept d’acculturation, il profite des outils qu’il acquiert à l’école pour les mettre à son avantage dans cet espace littéraire. C’est par cette langue nouvelle et personnelle que Begag réussit à bouleverser ce conflit qui oppose le maître et son élève et à devenir maître de sa situation identitaire. La langue de son écrit devient par excellence l’instrument libérateur lui permettant de dominer ce qui le ronge et de lui donner le pouvoir de créer sa propre identité. Contrairement à Houari et Belghoul, Begag arrive à faire refléter par son innovation, une identité composée d’une langue qui s’écarte des exigences linguistiques et académiques. Cet écart dans l’écriture montre une forme de résistance à la caricature d’un style homogène puisque pour Begag, le fait de copier le style de l’autre devient un phénomène qui se caractérise plus par un élément d’exclusion que d’inclusion. Ceci montre par ailleurs que l’espace de l’autre fonctionne de façon ambiguë et complexe. De ce fait, Begag se rapproche des idées d’Albert Memmi qui souligne que le colonisé scolarisé qui s’applique à simuler l’exemple de l’Autre ne pourra être inclus comme un membre à part entière de la société de l’Autre. Seules, la libération 33 et la restauration de sa langue vont lui permettre de renouer avec son temps interrompu et de retrouver la continuité perdue de son histoire (Memmi, 145). Dans cet espace de l’immigration, cette mentalité rétrograde persiste à situer la nouvelle génération minoritaire africaine hors de l’espace français puisque son comportement ne relève que de l’aspect de l’imitation et non pas de l’original. Begag illustre parfaitement cette caractéristique par l’épisode où la maîtresse d’école, madame Valard, accuse Azouz d’avoir mal copié Maupassant. L’enfant, rougi et consterné par cette accusation se défend tant bien que mal, rappelant qu’il s’est plutôt inspiré de la mésaventure d’un pauvre vieil homme raconté par monsieur Grand, son ancien maître d’école, et qu’il n’avait rien volé à M. Maupassant. Cependant, il sera condamné sur des soupçons (Begag, 211-213). En fait, en réitérant les paroles de monsieur Grand, Azouz veut montrer d’une part, sa soumission et sa docilité intellectuelle dans un milieu scolaire souvent intransigeant. Aussi, voudrait-il s’inspirer des valeurs de ce milieu pour se sentir inclus. Cette partie du récit montre les difficultés qui émergent dans le processus scolaire des immigrés. Tout en voulant former et assimiler cet élève issu de l’immigration, la société française n’a pas réussi à voir dans son écriture une certaine revalorisation culturelle. D’autre part, bien que formé dans une école française, Begag veut adopter un style tout à fait nouveau qui se démarque de l’imitation et qui fait exploser un modèle identitaire souvent rigide, montrant ainsi que sa narration s’inscrit dans une expression naturellement plus libérale et plus innovatrice. Par ce geste, l’auteur veut voir l’être issu de l’immigration maghrébine ou d’ailleurs capable d’utiliser les outils linguistiques déjà mis en place avec ce qu’il possède afin de favoriser la progression socio-culturelle voire identitaire de la nouvelle génération. En créant son propre répertoire, Begag met en relief une écriture marquée par la rencontre et l’influence culturelle dont nous avons parlé plus loin (95) et 34 qu’il appuie avec un petit dictionnaire de l’arabe francisé vers la fin de son récit (233-238). Cet emprunt à plusieurs styles linguistiques indique clairement que des cultures en contact ne peuvent s’enfermer dans des mythes ethnocentriques socialement fabriqués qui minent le concept d’universalité et de l’interaction réciproque entre les cultures (Clerc, 15). Certes, Begag est pour la flexibilité et la transformation culturelle et linguistique qui n’obstrue pas le dialogue entre les différents groupes sociaux. Dans cet environnement socioculturel, les différences doivent être vues de façon inclusive. Puis, la langue doit fonctionner sur un processus de complémentarité et non d’exclusion. Begag accorde assez d’importance à sa nouvelle langue, rejoignant ainsi l’auteur congolais Henri Lopès qui s’inspire de la langue de la rue pour proclamer l’identité commune de l’intellectuel noir avec son peuple. C’est alors que naît, selon Clerc, une nouvelle perception de l’identité : « langue métisse à travers laquelle s’affirme non plus l’arrachement mais la rencontre, non plus la différence mais le mélange, et qui semble comme la promesse d’avenir sur laquelle débouche ce renouveau de la parole identitaire » (14). C’est à travers ce nouveau style que Begag veut montrer l’adaptabilité de la langue française à l’individu qui la manipule. Cependant, le problème qui se pose est le refus du dominateur d’intégrer le dominé dans la vie sociale et culturelle. Alec Hargreaves en se référant à la création de la francophonie en 1960, rappelle que la ligne de démarcation de ce mouvement était claire. Les voix francophones étaient, selon lui, celles qui dans les périodes coloniales faisaient partie de la plus grande France et utilisaient la langue hors des limites de la communauté nationale française dans l’intention de sécuriser l’identité nationale française et son influence dans le monde (Hargreaves cité ds. Sahli, 49). Par ailleurs, la création du Haut Comité pour la Défense et l’Expansion de la Langue Française peu après les indépendances et la loi Toubon trente ans plus tard font penser à la protection et à la 35 promotion de la pureté de la langue française dans le monde (53). Même si les champions de la francophonie ne se lassent pas de prôner l’utilisation de la langue française dans un esprit universel, leurs efforts sont implicitement fondés sur l’affirmation de la différence. Tout ce constat de Hargreaves se rapproche de celle de Laronde qui trouve que les tactiques les plus radicales pour le boycott de la reproduction de la culture africaine ont été mises en place par la France depuis l’enseignement scolaire précoce des Africains. Selon lui, même si les textes écrits par les Africains remettent parfois en cause la culture française, leurs auteurs n’ont pas un vrai regard critique sur la société française elle-même (Laronde, 2014). Cette dépendance constante de la France dans le domaine littéraire crée des ambiguïtés dans les espaces francophones du fait que l’éducation scolaire demeure encore limitée et que dans la plupart des pays africains, seule une minorité de la population arrive à lire et à écrire en français. Apparemment, le concept de la francophonie est en état de crise car l’intolérance politique et culturelle de la France vis-à-vis des pays minoritaires est un choix qui va à l’encontre de la vocation universelle et de l’affirmation de la différence que prône sans cesse le mouvement (Hargreaves cité ds. Sahli, 49). Les écrivains de la première génération ont souvent écrit dans une langue qui n’est pas la langue parlée par la majorité de leur public potentiel. En principe, le fait d’ « Ecrire en pays dominé », selon Patrick Chamoiseau, ne doit pas être synonyme du rejet de la langue d’origine. Au contraire, cela doit être, comme le propose Edouard Glissant dans Poétique de la Relation, le lieu de rencontre, d’interaction et d’ambivalence entre les peuples ayant connu la même histoire (McCusker cité ds. Forsdick & Murphy, 116). Même si l’on veut préserver des idées originelles, le colonisateur et le colonisé ne doivent pas se voir comme des entités séparées mais uniques parce qu’ils ont tous connu la même histoire. Toutefois, la langue 36 se présente comme un autre handicap pour cette notion de complémentarité entre les deux entités européenne et africaine. Evidemment, la langue européenne dans des pays francophones constitue pour la masse une double barrière : il y a à la fois la barrière de la langue étrangère et la barrière de l’écrit. Par exemple, l’apprentissage de la langue et surtout de l’écriture du français est perçu dans le roman de Belghoul comme un processus d’aliénation et de désintégration sociale. Michel Laronde, dans une interview avec Alec Hargreaves déclare: L’écriture c’est la mort de la fille de Belghoul. En écrivant, je creuse une tombe, je creuse la tombe, je creuse la tombe de la fille de mon père. Sur le plan purement matériel, mon père ne peut pas lire les livres que j’écris. Si j’écrivais en arabe, il y aurait une espèce de continuité, mais en écrivant en français j’ai l’impression de piétiner sur mon héritage, de donner de l’eau au moulin de mes ennemis. (46) En écrivant en français son récit sur une petite fille d’origine algérienne aux prises avec l’institution scolaire française, Belghoul se heurte à la caractéristique d’une écriture singulière qui aboutit à l’anéantissement de son héritage maghrébin. Cela relève d’une trahison car pour elle, il s’agit d’un usage de faux qui montre le reniement de sa famille au profit de l’adoption d’une autre qui est française, ce qui produit en elle un sentiment de perte et d’abandon. C’est un ouvrage qui fait la critique de l’écriture purement académique qui ne peut pas mieux exprimer une expérience vécue qui sort des normes scolaires. Todorov en se référant à Georgette ! fait remarquer l’inadaptabilité culturelle de l’héroïne face à une institution scolaire rigide et inflexible qui croit que ses valeurs sont les meilleures (Todorov, 20). A ce propos, Belghoul trouve que l’école française à l’image de Georgette, représente la négation de toute identité autre que celle qu’elle impose, ce qui indique une politique scolaire fermée au concept de la diversité culturelle. L’initiation à l’écriture se vit dans son récit comme un processus d’emprisonnement 37 car elle ne peut pas manifester une parole identitaire qui prend source dans un double héritage culturel. a. Mécanisme d’intimidation et énoncé d’une acculturation Pour Begag, dans Le Gone du Chaâba, l’auteur retrace le parcours scolaire du personnage principal nommé Azouz qui entame une lutte d’ordre intellectuel pour faire valoir dans la société dominante la culture maghrébine perçue comme inférieure et dévalorisante. Le protagoniste se voit ainsi coincé entre deux cultures : celle de l’Algérie ou du Chaâba et celle de la France représentée par l’école. Contrairement aux personnages de Houari et de Belghoul, la vie quotidienne entre deux mondes et deux cultures ne semble pas a priori créer une ambiguïté de choix pour ce qui constitue pour Azouz le modèle à suivre. Ce double itinéraire peut être lu comme celui de l’intégration d’un enfant immigré qui, très tôt, a pris conscience que la réussite de cette intégration passait par la maîtrise de la langue du pays d’adoption (Sourdot ds. Laronde, 109). Dès son arrivée à l’école, Azouz semble rejeter les principes de sa culture au profit de celle de la France considérée comme étant supérieure et prestigieuse. Bien que conscient d’une dépossession culturelle, il s’y soumet par nécessité sociale. Ce choix représente pour lui l’unique moyen de passer d’une situation défavorisée à une situation privilégiée, celle qui va lui permettre d’une part, de résister sur le plan culturel aux influences linguistiques de la culture dominante, mais aussi d’autre part de mieux s’affirmer. Jean-Claude Blachère en révisant Le Gone du Chaâba, trouve que Begag, dans son récit, opte pour une nouvelle langue, affirmant ainsi que l’écriture académique n’est pas la seule adaptée à l’expression d’une diversité culturelle (Blachère, 1993). 38 En effet, c’est derrière ce nouveau style que se cache la vraie identité du protagoniste. Cependant, le rejet des principes culturels algériens au profit de ceux de l’occident prouve que la relation qui s’établit entre Azouz et l’espace scolaire est considérée comme un milieu qui élimine en lui une réalité identitaire au profit d’un moi fondé sur des critères de la société dominante. En plus, cet espace scolaire est un milieu qui remet en cause la perception culturelle d’Azouz sur les habitudes de sa communauté. Cet écart se fait sentir à l’école où le maître l’introduit à des principes d’hygiène qui se distinguent de ceux du Chaâba. Tous les matins, le maître commence son cours en initiant ses élèves à des leçons de morale. Ces enseignements quotidiens rendent Azouz indigne et mal à l’aise. Il se trouve embarrassé d’être décentré par rapport au modèle français. Ailleurs, le jeune héros se sent intimidé culturellement face aux structures de la France qui semble lui présenter une image imposée. Dans ce va-et-vient entre deux mondes culturellement fermés l’un à l’autre, le choix d’Azouz va porter sur un moi qui se fonde sur un système scolaire dominant. Mais, pour ne pas soulever cette attitude discriminatoire, le protagoniste et les autres Arabes de la classe restent passifs à l’égard des leçons du maître: «Nous les Arabes de la classe, on n’a rien à dire. Les yeux, les oreilles grands ouverts, j’écoute le débat » (Begag, 57). Le silence des arabes de la classe met en évidence leur situation dans une discontinuité culturelle. La bonne atmosphère qui doit normalement régner dans cet environnement scolaire est absente, et le comportement d’Azouz indique davantage que cette institution fonctionne sur un système d’exclusion quand bien même les garçons et les filles se connaissent tous, rient et plaisantent ensemble (214). L’école devient donc, selon Michael O’Riley, un lieu de nettoyage ethnique dont le but traduit l’appartenance à une pure identité ethnique française (O’Riley cité ds. Norman, 119). Le non-respect des conventions historiques 39 fait place à l’existence d’une ethnicité fictive qui supprime toute différence ethnique et qui crée la division entre la race nationale pure et celles des immigrants jugée impure. Le style de Begag, bien plus que celui de Belghoul et de Houari se montre un outil de résistance contre un tel système socio-culturel qui refuse de reconnaître la spécificité africaine et qui est par conséquent fixé dans un modèle de l’exclusion. C’est en effet par sa manière d’écrire que Begag affirme que son protagoniste n’agit pas en termes de soustraction ou d’exclusion des valeurs qui le façonnent mais plutôt en termes d’addition ou d’inclusion de ses origines culturelles. Le personnage d’Azouz se situe dans un moi pluriel, celui dont les besoins identitaires sont hétérogènes et complexes. C’est aussi le cas d’Esther la protagoniste qui, dans Sépharade d’Eliette Abécassis, finit par comprendre plus tard qu’ « elle n’était pas la fille d’immigrants juifs marocains, elle était française à part entière, elle ne se sentait ni alsacienne ni strasbourgeoise, elle se voulait universelle, loin de tout particularisme, de tout ce qui la rendait différente, de tous les points saillants de sa personnalité et même de son apparence. » (Abécassis, 42) De plus, le titre Zeida de nulle part nous donne une nouvelle perception de ce que peut être une identité. C’est exactement une telle perception qui détache l’héroïne d’une identité nationale qui se veut singulière et cohérente. Par ce titre, Houari s’interroge sur les théories identitaires préfabriquées qui empêchent l’individu à se construire sa propre identité. Pour écarter son héroïne d’une constitution identitaire qui repose sur des critères fixes et inadaptables, Houari lui retire l’espace de naissance. Elle souligne ici que la transition de Zeida de la Belgique au Maroc se traduit par une mutation d’un espace imaginaire vers celui de la réalité. C’est ainsi que les paroles de sa grand-mère s’avèrent indispensables et profitables pour elle : « Sa grandmère avait raison, elle ne devait pas fuir, jusqu’à présent elle n’avait fait que courir après des 40 ombres, la réponse n’était ici, l’exil lui avait bien plus appris qu’elle ne le croyait, l’exil était et serait toujours son ami, il lui avait appris à chercher ses racines » (Houari, 83). L’exil donne à Zeida une image positive puisqu’il n’est plus pour elle un ennemi mais un ami qui lui fait découvrir que ses propres racines se trouvent entre deux mondes qui l’habitent. Ainsi, l’auteur à travers le personnage de Zeida, met en relief une identité qui ne peut pas se limiter seulement au concept de l’occident. Il est donc important de mettre en relation les cordes qui séparent les langues européennes et africaines. Ce geste pourrait mettre fin à la fragmentation et faire naître un nouveau regard sur le monde environnant. b. Revendication d’un moi hybride par le style Aujourd’hui, force est de constater que des écrivains de la deuxième génération proclament le droit à la diversité culturelle, le respect de la différence et la relation entre plusieurs cultures. Cet esprit de décentration met donc en évidence le développement d’un métissage littéraire qui prend en compte l’intégration des différences linguistiques et culturelles des Africains dans les milieux occidentaux. En effet, la langue qu’utilisent dans leurs récits, Begag, Belghoul, Houari, entre autres, veut mettre en valeur cette ambivalence. Par exemple, le choix d’une narratrice enfant autorise Belghoul d’écrire dans son récit, certaines erreurs comme « la sonne cloche » au lieu de « la cloche sonne » car elles sont celles d’une petite qui ne peut encore ni lire ni écrire, mais qui a assez d’idées pour se raconter (Durmelat cité ds. Laronde, 35). Ailleurs, ce choix nous indique que malgré la rigidité et la rigueur dans l’utilisation de la langue française, il doit y avoir une certaine relation entre l’école qui représente l’espace public et la maison, celle de l’autorité privée. De ce point de vue, l’on peut penser que non seulement les erreurs sont acceptables mais qu’elles contribuent à la décrispation de l’atmosphère déjà tendue et à l’interaction entre le dominé et le dominant. Néanmoins, ce qui importe est de se demander 41 qu’elle est l’identité du destinataire à qui l’on veut s’adresser et comment tenir compte de ses besoins communicatifs. C’est ce que l’occident a oublié ou refusé de faire, mettant ainsi en état de crise sa politique traditionnelle. Samba Diallo dans L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, rappelle qu’il n’est pas un pays des Diallobés distinct, face à un Occident distinct, mais qu’il est devenu les deux (Kane, 1961). Ce sentiment d’embarras de choix des protagonistes qui s’écarte d’une identité fixe nécessite la reformulation d’un moi qui n’est plus simple mais complexe. C’est ce que démontre Begag par l’intermédiaire d’Azouz qui, dans le choix de son langage arabo-français, rappelle à monsieur Grand qu’ « on a aussi besoin d’un chritte et d’une kaissa » (Begag 95) c’est-à-dire un gant de toilette et un gant de crin. De ce point de vue, l’utilisation des mots français et arabes sous-entend un croisement ou mieux encore un métissage des éléments séparés, à savoir deux langues et deux cultures. c. La place des langues africaines dans le métissage culturel En outre lorsqu’on parle de l’identité, il faut également penser à l’usage de la langue qui est l’autre élément faisant partie du métissage culturel africain. Elle est non seulement un moyen de communication, mais pour un écrivain, elle est et demeure surtout un moyen de transformation (Djebar, 49). Il doit à cet effet défendre la diversité puis encourager l’acceptation par les citoyens de leurs différences au sein d’un même ensemble (Gourévitch, 440) comme à l’image de la francophonie. Cependant, l’on s’étonne parfois de voir que la langue maternelle du colonisé qui recèle tout ce qu’il a comme sensations, passions et rêves est la moins valorisée. Comme le dit Derrida, pour les sujets colonisés, le maître prenait d’abord et en particulier la figure d’un maître d’école dont la mission était de transmettre l’amour du beau langage et des belles lettres 42 (Derrida, 1996). Il s’est doté des moyens possibles pour la transformation de l’immigré maghrébin en homme autonome capable de maîtriser une langue non maternelle. Ce dernier se trouve donc dans l’incapacité d’écrire dans la langue de ses ancêtres car c’est une langue essentiellement orale encore proche de ses origines rurales. Les conditions matérielles de son existence et la déformation de son moi lui font incarner l’incapacité et le refus de s’en servir. S’il s’obstine à écrire dans sa langue, il risque de s’adresser à un auditoire de sourds. La seule chance qui lui est donné c’est de continuer à écrire dans la langue française au point de gommer toute forme d’expressivité dans le vocabulaire ou la syntaxe qui pourrait évoquer ses origines. Dans ce contexte, la recherche de l’utilisation du français par un tel individu soumis loin d’être le signe d’une aliénation ou d’une imitation, devient au contraire un moyen de revanche sociale où l’élève cherche à égaler voire surpasser le maître dans une sorte de surenchère avec lui (Christiane Albert cité ds. Bonnemaison-Richard et Laporte, 2009). Mais, le problème qui se pose est que le colonisé continue d’écrire pour un autre peuple que le sien et pour les vainqueurs de son peuple, d’où la nécessité pour la nouvelle génération d’essayer d’écrire dans la langue maternelle, celle qui l’enlève de l’état où l’a trouvé le colonisateur. Le moyen pour sortir de cette impasse identitaire comme le propose Senghor dans la postface d’Ethiopique, c’est de s’approprier le français et de « retourner boire à la source » en imprimant à cette langue, des rythmes ou des images appartenant à l’univers culturel africain (Senghor, 1956, p. 153). De ce point de vue, il s’avère nécessaire de se servir de la traduction comme un acte permettant de croiser ou de métisser des éléments qui sont séparés à savoir deux langues, deux moyens de communication et deux cultures, ce que Glissant qualifie d’ « une pratique nouvelle et imparable du précieux métissage culturel » (Glissant, 45). Les récits d’Azouz Begag (Le Gone du Chaâba), de Farida Belghoul (Georgette!), de Leila Sebbar (C’était 43 leur France : En Algérie avant l’indépendance) et de Medhi Charef (Le Thé au harem d’Archi Ahmed), entre autres, marquent cette véritable ambivalence. Par exemple dans le récit de Charef, Madjid est « convaincu qu’il n’est ni arabe ni français. Il est fils d’immigrés, paumé entre deux cultures, deux histoires, deux langues, deux couleurs de peau, ni blanc, ni noir, à s’inventer ses propres racines » (Laronde, 23). Du reste, lorsqu’on parle de cultures métissées, ce n’est pas pour définir une catégorie particulière qui s’opposerait à d’autres catégories, mais pour affirmer l’ouverture d’une approche infinie de la relation, comme conscience et comme projet, comme théorie et comme réalité (Glissant, 428). C’est pour cela que l’espace des langues africaines doit être semblable à un instrument de reformulation identitaire pour le pays dominant et le pays dominé, celui qui tient compte de tous les aspects d’un moi hybride s’adaptant à une expression culturelle diversifiée. De plus, dans le récit Le Gone du Chaâba, Azouz le jeune héros tiraillé entre deux cultures et deux langues va pourtant trouver de l’aide à l’intérieur même de l’institution scolaire. Loin de se moquer de lui lorsqu’il utilise des mots appartenant à un registre tout à fait différent tels que chritte et kaissa (95), monsieur Grand, l’instituteur, l’encourage à se tirer d’affaire : « - C’est bien de nous avoir appris ça, en tout cas ! » (96). Mieux encore, son professeur de français, monsieur Loubon, pied-noir d’origine, qui parle et écrit l’arabe, établit avec lui un véritable rapport entre leurs identités, voire leurs origines et leurs langues : « moi je suis français et je suis né en Algérie, et vous, vous êtes né à Lyon mais vous êtes algérien » (202). D’une part, l’école reste non seulement pour Azouz la place privilégiée de l’échange social, mais aussi le point de rencontre entre le monde du Chaâba et la société dominante. D’autre part, elle demeure pour lui, le lieu où il arrive à sortir de l’exclusion et du déchirement pour mieux se recentrer et mettre en valeur les rapports sociolinguistiques entre l’Algérie son pays d’origine et la France sa terre 44 d’accueil. Tout au long de son récit, Begag se sert des mots ayant des valeurs linguistiques qui ne coïncident pas toujours avec la norme scolaire comme par exemples le chritte, le kaissa (95) pour désigner des gants de toilette, un Gaouri (102) pour désigner un Français. Bien qu’il reconnaisse qu’il y a certains de ces mots qui n’ont pas d’équivalence dans la langue du maître (58), Begag arrive à se tirer d’affaire en essayant de les normaliser. C’est la dynamique de recentration qui, selon Laronde, n’est pas synonyme de rupture avec les origines (Laronde, 119), mais un acte qui rappelle qu’il doit y avoir un certain point de rencontre et une certaine solidarité entre l’arabe et le français. Comme le souligne Marie-Claude Smouts dans son ouvrage qui s’intitule La situation postcoloniale, il est nécessaire que le présent et le passé, l’interne et l’externe s’interpénètrent. C’est un acte qui, dans un esprit de pluralisme social et culturel, doit englober toutes les phases de la colonisation à savoir : le temps des empires, le temps des indépendances, la période qui a suivi ces indépendances, le temps d’aujourd’hui (Smouts, 31-32). Ceci pourra favoriser la poursuite des études postcoloniales en considérant les histoires particulières autant que l’histoire de la colonisation, les acteurs de même que les structures. Ailleurs, cet acte de reconnaissance réciproque pourra permettre aux Français de regarder au-delà des querelles intestines afin de redonner aux peuples dominés leur place dans l’histoire, leur culture et leur dignité (33). 45 ANALYSE ET CONCLUSION Certes, l’apprentissage de la langue française mais aussi et surtout sa maîtrise parfaite sont devenus pour l’immigré africain, une nécessité absolue de pouvoir se tailler une place dans un monde qu’il connaît à peine. Cependant, l’histoire coloniale et postcoloniale nous indique que des rencontres qui ont eu et qui continuent d’avoir lieu entre l’Afrique et l’Occident dans plusieurs domaines, notamment dans les domaines politique, social et culturel ont souvent été problématiques, ce qui nous renvoie à faire une analyse profonde d’une telle situation. Notre regard sur le concept du métissage culturel n’est pas de reproduire un portrait du drame colonial vécu par le colonisateur et le colonisé. Il s’agit plutôt de voir si des efforts ont été fournis pour l’intégration du colonisé dans le domaine socio-culturel à partir des rencontres après les indépendances africaines. Il ne fait aucun doute que la présence des immigrés a toujours évoqué des problèmes d’intégration tant sur le plan social que sur le plan culturel car un certain nombre d’immigrés ne parlent pas la langue française à leur arrivée et vivent uniquement dans leur communauté d’origine. Dans le camp des Français d’origine française, il y a une prédominance du droit du sang sur le droit du sol qui selon les relations coloniales lie la France à l’Afrique et qui constitue le fondement même de cette immigration. Ainsi, au lieu de la politique de coopération et de la cohabitation que la France entretient avec les nouveaux états indépendants d’Afrique, s’instaure une politique du bouclier qui consiste à préserver la langue française contre l’invasion culturelle de l’étranger africain dont le talent constitue pourtant un atout pour le développement et le rayonnement de la France. Les années 1960 voient donc se développer dans la littérature d’Afrique francophone subsaharienne, le thème de l’insertion difficile du jeune étudiant en France lorsque nous faisons référence à l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou à côté de celui 46 de l’oppression avec Les Damnés de la terre (1961) ou Peau noire, masques blancs 1952) de Frantz Fanon. En effet, Fanon met l’accent sur la violence psychique qui consiste à imposer une langue étrangère au colonisé, un acte synonyme d’une aliénation par rapport à sa culture locale et d’une errance dans un monde de l’entre-deux (Richardson, 25). Les pays du Maghreb ne font pas exception à un tel mécanisme dont le but consiste à obliger l’autre à rompre avec sa langue d’origine pour se faire domestiquer dans un style purement occidental. Les récits de Houari, de Belghoul et de Begag mettent en relief la conformité à des modèles homogènes dont le résultat ne peut qu’accroître le malaise identitaire de leurs personnages. La vie quotidienne des protagonistes entre deux mondes européen et maghrébin est remise en cause du fait qu’on exige d’eux un mode de vie singulier, d’où la nécessité de créer une identité nouvelle qui ne se limite pas au stade péjoratif entre le sujet et l’objet. L’héroïne de Houari tente de créer son moi à partir des espaces géographiques belge et marocain. Cependant, le monde intérieur de Zeida traversé par deux cultures va rendre son choix entre une identité féminine belge et marocaine irréalisable. L’échec de l’héroïne de reformuler son corps dans les deux espaces n’est en fait qu’une manière pour Houari de revendiquer un féminisme qui doit s’ouvrir sur une identité plurielle. En ce qui concerne l’héroïne de Belghoul, l’espace scolaire la force à vivre dans une culture qui se distingue de celle de l’espace familiale jugée inférieure. Cependant, Georgette dont la vie quotidienne se passe entre deux forces, celles du père et celle de la maîtresse, refuse de se limiter au modèle scolaire et plus précisément à une écriture qui la condamne à une identité unique. Pour ne pas succomber à une écriture qui déculturalise, la fin du récit se termine par la mort de l’héroïne. Cette mort incarne en quelque sorte le symbole d’une rupture avec d’une mentalité homogène qui n’offre pas à Belghoul la chance de reconstruire sa vraie identité. 47 Pour en venir à Begag, le récit semble évoquer que le personnage d’Azouz devient l’enfant modèle d’une acculturation réussie. Ce dernier qui est issu des cultures algérienne et française est séduit dès son passage à l’école par la culture de la société dominante jugée supérieure. Cependant, après analyse du récit, nous remarquons que son assimilation a eu lieu sous l’effet d’un mécanisme d’intimidation, ce qui engendre un choix forcé plutôt que délibéré. La reformulation des conventions simplifiées et homogènes qui voit Azouz toujours avec les Français (Begag, 92) et qui obéit au doigt et à l’œil à M. Grand (103) ne relève que du domaine de l’illusion. Dans l’entremise de l’espace littéraire, Begag démontre que l’écriture originale est celle qui provient d’une langue située au carrefour de la rencontre entre deux mondes arabe et français, ce qui permet de faire valoir une subjectivité réelle. Azouz trouve la réalité identitaire à travers cette rencontre qui le révèle comme un produit de deux cultures. Par ce style « -M’sieur, on a aussi besoin d’un chritte et d’une kaissa » (95), Begag arrive à se débarrasser d’une langue académique qu’il perçoit comme passive et moins ouverte à l’expression identitaire dynamique et plurielle. Son récit incarne donc la revendication d’une diversité culturelle, le droit à la différence et l’ajustement des mentalités occidentales à de nouvelles théories sur l’identité. Tel doit normalement fonctionner le statut de la francophonie qui malheureusement demeure encore ambigu du fait que la France continue de dominer ses anciens territoires coloniaux. De la même manière que les écrivains subsahariens et maghrébins réclament leur identité à travers leurs récits, il faut signaler que d’autres immigrés choisissent de le faire par le biais du sport. La référence est par exemple, l’épopée du tennisman Franco-Camerounais Yannick Noah, vainqueur en 1983 à Roland-Garros. Elle est aussi celle des vedettes du football de l’équipe de France qui en 1998 remporte le tournoi de coupe du monde. Il s’agit des Beurs Zinedine Zidane, Samir Nasri, des Africains Patrick Vieira, Marcel Desailly, Claude Makélélé, puis des 48 ressortissants des Dom-Tom (Département d’Outre-Mer et Territoire d’Outre-Mer) antillais, réunionnais, canaques, guyanais et guadeloupéens Thierry Henri, William Gallas, Christian Karembeu et Lilian Thuram (Gourévitch, 2009, 336-337). En effet, le football valorise non seulement la performance individuelle, le travail d’équipe, la solidarité, la répartition des tâches, mais aussi et surtout la chance de gagner. De ce fait, l’emploi des sportifs étrangers en France nous fait poser la question de savoir si l’on peut annuler les différences culturelles. Si le terme « métis » a été longtemps péjoratif, il semble que le métissage doit se traduire aujourd’hui par des valeurs d’hybridité, d’égalité et de tolérance car nul territoire n’est à l’abri du phénomène du métissage, du mélange entre les peuples dont les valeurs sont multiples. DuclotClément pense que le métissage indique simultanément la figure du métis et la notion de création par ce mélange, la rencontre entre deux entités différentes. Selon elle, les analyses critiques qui présentent le métissage comme un lieu d’articulation et de transformation doivent faire de l’identité métisse discriminée une identité célébrée en quête d’autonomie et de valorisation (Duclot-Clément cité ds. Clavaron, 49). De plus, Bessière dans son analyse sur le métissage et ses ambivalences, souligne que le terme de métissage se substitue à celui d’exotique ou qu’il traduit aujourd’hui une perte culturelle des différences, ce qui peut se formuler par le déracinement de toutes les identités, préalable à la planétarisation ou à la mondialisation. (Bessière, 2005). Le métissage culturel peut donc se percevoir comme la rencontre et l’union de deux êtres différents ayant participé à une même histoire, celle de la colonisation. Ailleurs, ce qui importe c’est de voir le colonisateur et le colonisé regarder au-delà de leurs querelles intestines pour repenser leurs expériences historiques, celles qui dépassent les conflits racistes et qui fait de la France une nation qui prône la coexistence de différentes cultures ethniques de façon globale sans distinction de race, de sexe et de religion (Rosello, 140-144). 49 C’est le lieu de rejoindre l’idée d’Abécassis qui, en s’inspirant de l’humanisme de Montaigne, place Esther, l’héroïne de son récit dans une position où elle pouvait trouver une réponse à sa question identitaire ; le point de départ qui est l’homme, et le point d’aboutissement, l’homme, cet homme universel qui réunissait tous les hommes, quels que soient les peuples et les religions auxquels ils appartenaient (Abécassis, 43). Ce qui compte pour elle, ce ne sont pas les particularités, la couleur de la peau et l’origine, mais plutôt ce qui fait que malgré les singularités, chacun peut se reconnaître en l’Autre. Ainsi, dans l’esprit de voir l’écriture référentielle prendre le pas sur celle qui est formelle, Moura propose que cela se fasse dans un esprit de dialogue entre plusieurs cultures et qu’il existe une fusion des voix qui s’opère sur la base d’une pluralité linguistique et d’une interaction générale entre le dominant et le dominé (Moura, 3). Somme toute, le monde a actuellement soif de liberté et d’union. Ce qui importe, c’est le sentiment d’indépendance, l’absence d’infériorité et la possibilité pour chaque peuple de se développer suivant ses intérêts mais aussi suivant ses tendances profondes. Aussi, faut-il reconnaître que la civilisation, pour rester vivante et humaine doit, selon Hubert Deschamps, être irriguée de courants divers (Deschamps, 126). Le modèle occidental ne sera universel qu’en se traduisant sur des formes multiples permettant de mieux comprendre ce qui définit une identité culturelle. L’on aimerait voir, selon les idéaux de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, un monde cosmopolite dans lequel la promotion des interactions entre les personnes opposées ou hostiles les unes aux autres converge vers une unité culturelle, intellectuelle et politique de toute l’humanité (Balibar, 216-217). Aujourd’hui, l’écriture entre les pays d’origine et les pays d’accueil incarne la revendication d’une diversité culturelle, le droit à la différence et la rupture avec des idées préfabriquées. Les écrivains de la deuxième génération annoncent le 50 temps où doivent se rejoindre les cultures afin de mettre en valeur tous les canaux qui entrent dans la composition du moi des personnages. C’est uniquement cette manière de penser qui va doter leur subjectivité d’un pouvoir naturel et réel. Patricia Geesey dans ses recherches concernant une telle situation pense que les espaces culturels qui émergent dans la période postcoloniale posent des problèmes d’intégration sociale et de l’acceptation de l’autre. Cependant, la chose la plus civilisée que l’occident doit faire au début de ce millénium postcolonial et post-moderne d’après elle, c’est de reconnaître d’une part que les immigrés africains sont impliqués des deux côtés de l’équation identitaire. D’autre part, c’est d’explorer la complémentarité et l’interdépendance entre les nouvelles tendances littéraires qui sont produites par l’hétérogénéité croissante de la composition ethnique de la France (Geesey, 1999). En effet, la langue de Molière en rapport avec la francophonie doit exalter l’universalisme d’un mariage entre la France et l’Afrique. Certes, la vocation de la francophonie doit être interculturelle. Elle nécessite une révision dans son concept et dans ses institutions afin de mieux s’adapter aux réalités linguistiques du moment. Aujourd’hui, le temps est venu pour les Français de France et ceux des pays francophones de se décomplexer et de se mobiliser davantage pour porter à travers le monde leur expérience culturelle repensée et rénovée dans le respect et le partage des diversités culturelles. Ainsi, les études postcoloniales mettront plutôt en avant un français conçu comme langue au pluriel dépourvu d’un centre qui n’est pas indispensable pour la communication entre ceux qui en font l’usage. Cette langue, selon Fénelon, « n’est qu’un mélange de grec, de latin et de tudesque, avec quelques restes confus de gaulois» auquel il faut ajouter des éléments orientaux, africains et caribéens et ne plus considérer l’anglais comme un ennemi mortel (Smouts, 102). Les ouvrages issus de l’immigration tels que Le Gone du Chaâba et Zeida de nulle part interrogent donc une société européenne, surtout française qui 51 malgré toutes ses promesses faites à ceux qui ont combattu pour ses intérêts, refuse d’adopter une notion de multiculturalité et de voir l’identité comme un processus qui se construit dans la globalité. Tout compte fait, le terme « identité » aujourd’hui est questionnant lorsque l’on sait que l’Europe et la France sont des entités politiques qui parlent autant de langues, sinon plus, qu’elles ne comportent de pays. Ce multilinguisme est le fond du métissage culturel qu’il s’agit de respecter, d’échanger et de mélanger. La meilleure façon pour y parvenir, selon Julia KristevaJoyaux, est de conduire une politique plus décomplexée de la langue française et de la Francophonie en France et à l’extérieur, d’organiser effectivement l’enseignement de deux langues vivantes dans l’enseignement secondaire et supérieur français puis de recourir massivement à la traduction, à l’interprétation et au sous-titrage (Kristeva-Joyaux, 2009). Le débat est alors lancé et il a pour objectif, l’éveil des consciences sociales européennes sur une identité culturelle plus ouverte et plus diversifiée. Néanmoins, la question qui se pose est de savoir si l’hexagone entend les nouvelles voix qui émergent aujourd’hui dans les profondeurs de l’espace francophone et s’il pense ouvrir les portes pour l’existence durable de cette nouvelle culture à identité multiple. 52 BIBLIOGRAPHIE 53 BIBLIOGRAPHIE Corpus Begag, Azouz. Le Gone du Chaâba. Paris : Editions du Seuil. 1986. Print. Houari, Leïla. Zeida de nulle part. 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