CONSTRUCTION IDENTITAIRE DES MINORITES CULTURELLES ET DES IMMIGRES
D’ORIGINE AFRICAINE EN FRANCE: UNE IDENTITE UNIQUE OU PLURIELLE?
Par
Emmanuel Kwassi Akono
UNE THESE
Présentée à
Michigan State University
en vue de l’obtention du diplôme de
Français---Maîtrise en arts
2015
RESUME
CONSTRUCTION IDENTITAIRE DES MINORITES CULTURELLES ET DES IMMIGRES
D’ORIGINE AFRICAINE EN FRANCE: UNE IDENTITE UNIQUE OU PLURIELLE ?
Par
Emmanuel Kwassi Akono
L'objectif de cette thèse est d'explorer les œuvres d’Azouz Begag et de Leïla Houari
pour questionner un modèle complexe de l'identité chez les Africains nés à la période
postcoloniale, en particulier ceux qui sont d’origine maghrébine. Cela consiste aussi à appuyer
de nouvelles théories qui mettent en valeur le concept d’une subjectivité construite et d’une
rupture avec une mentalité monolithique. Le but principal de cette étude est d’examiner comment
le texte devient l’espace dynamique pour un discours créatif de l’identité qui émerge d’un espace
interculturel.
Dans le premier chapitre, nous argumentons que la majeure préoccupation des auteurs
africains est la demande de la vraie identité culturelle des jeunes Maghrébins qui font l’objet de
deux cultures et de deux mondes à la fois. Dans le deuxième chapitre, nous mettons l’accent sur
les réactions des auteurs africains à travers lesquelles la confiscation de leur liberté d’expression
mine les valeurs africaines, spécialement leur identité culturelle qu’ils veulent transmettre à la
nouvelle génération qui croit faire partie intégrante de la société européenne où elle se sent plus à
l’aise. Dans le troisième chapitre, nous explorons le travail de Begag qui démontre dans la
première partie, le mécanisme d’intimidation que le système éducatif français utilise pour
persuader le héros de sous-estimer ses origines et de s’assimiler à la culture dominante. Dans les
deuxième et troisième parties, nous nous appuyons sur le fait que le style de l’auteur est un
moyen pour lui d’éliminer la relation dialectique entre la France et l’Algérie pour mettre les
cultures française et arabe dans un contexte global.
IDENTITY CONSTRUCTION OF CULTURAL MINORITIES AND AFRICAN
IMMIGRANTS IN FRANCE: A UNIQUE OR PLURAL IDENTITY?
By
Emmanuel Kwassi Akono
A THESIS
Submitted to
Michigan State University
in partial fulfillment of the requirements
for the degree of
French –Master of Arts
2015
ABSTRACT
IDENTITY CONSTRUCTION OF CULTURAL MINORITIES AND AFRICAN
IMMIGRANTS IN FRANCE: A UNIQUE OR PLURAL IDENTITY?
By
Emmanuel Kwassi Akono
The aim of this dissertation is to explore the works of Azouz Begag and Leïla Houari to
question a complex model of identity among postcolonial born Africans especially those who
belong to the maghrebian background. It also consists of pressing for new theories which value a
concept of a constructed subjectivity and a rupture with a monolithic mentality. The main
purpose of this study is to examine how the text becomes a dynamic space for a creative
discourse of identity which emerges from an intercultural relation.
We argue in chapter one that the significant concern of African writers is the quest for
the correct cultural identity of young Maghrebians who represent two cultures and two worlds at
the same time. In chapter two, we emphasize the reactions of African writers through which the
confiscation of their freedom of speech burdens the African values, especially their cultural
identity they want to pass to the young generation which believes being an integral part of the
European society where they seem to fit better. In chapter three, we explore the work of Begag to
demonstrate the mechanism of intimidation that the French educational system employs to
persuade the character to underestimate his origins and assimilate into the mainstream culture.
We also stress that the author’s style is a way for him to eliminate the dialectical relationship
between France and Algeria and place Arabic and French cultures on a step of hybridity.
Copyright by
EMMANUEL KWASSI AKONO
2015
ACKNOWLEDGMENTS
J’aimerais exprimer en toute priorité ma sincère gratitude à mes deux directeurs de thèse,
Professeur Safoi Babana-Hampton et Professeur Ehsan Ahmed dont la rigueur, la disponibilité,
l’intégrité et le soutien constant m’ont permis d’affronter avec courage et détermination la
rédaction de ma thèse. Je prie enfin tous ceux et celles que j’ai oublié de citer nommément de
croire en ma sincère gratitude.
iv
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION………………………………………………………………………………1
CHAPITRE I…………………………………………………………………………………….4
REVENDICATION D’UNE IDENTITE COMPLEXE VUE PAR DES AUTEURS AFRICAINS
DE LA PREMIERE GENERATION
a. Un métissage né de la colonisation……………………………………………………………8
b. Ambiguïté ethnique et troubles identitaires…………………………………………………...9
CHAPITRE II…………………………………………………………………………………..14
REACTIONS DE CERTAINS AUTEURS AFRICAINS
CHAPITRE III…………………………………………………………………………………30
AUTRES REACTIONS CRITIQUES
a. Mécanisme d’intimidation et énoncé d’une acculturation …………………………………..38
b. Revendication d’un moi hybride par le style………………………………………………...41
c. La place des langues africaines dans le métissage culturel…………………………………..42
ANALYSE ET CONCLUSION……………………………………………………………….46
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………..53
v
INTRODUCTION
Notre étude se propose d’examiner les modes de conception de l’identité chez les
minorités françaises d’origine maghrébine dont est issue une nouvelle génération qui entre en
contact avec l’enseignement scolaire fondé sur des valeurs culturelles purement occidentales.
Pour comprendre la présence de ces minorités dans la communauté française, il s’avère
nécessaire de faire un détour sur les racines historiques de leur immigration en France.
Après la deuxième guerre mondiale, la France a dû faire appel à la main-d’œuvre de ses
colonies pour la reconstruction de son économie. Un grand nombre d’Africains notamment ceux
du Maghreb ont profité de cette occasion d’aller travailler dans la métropole pour subvenir à
leurs besoins économiques. Néanmoins à la fin des années d’indépendance en 1960,
l’immigration devient plutôt d’une part pour la métropole, un moyen d’avoir une main-d’œuvre
permanente et assurée, d’autre part pour des familles africaines, une occasion de s’y installer en
grand nombre car certains secteurs entiers de l’emploi sont délaissés par des travailleurs français
(Gillette, 19). La présence massive de ces familles entraîne la naissance d’une population en
marge de la société dominante. Mais, la France étant mal préparée et surprise par l’accroissement
démographique de cette nouvelle population, se voit obligée d’accueillir ceux qui en sont
membres dans des habitats en marge de la communauté française. La rencontre de cette nouvelle
société multiethnique et multilingue avec le pays hôte génère un mode de culture hybride que les
spécialistes tels que Bernard Dieterle, Yves Clavaron et Alain Montandon tentent d’appeler un
métissage culturel (Montandon cité ds. Clavaron, 7-10). Aujourd’hui, la problématique du
métissage oscille entre l’idée d’un pluralisme consensuel et celle d’une rencontre violente ou
pacifique des peuples à des périodes coloniale et postcoloniale, comme le soulignent Clavaron
dans Métissages littéraires - Postface (516) puis Marie-Claude Smouts dans La situation
1
postcoloniale (32). Dans le sens que lui donne Jean Bessière, le terme de métissage se substitue
à celui d’exotique et il traduit aujourd’hui une perte culturelle des différences c’est-à-dire un
déracinement de toutes les identités (Bessière cité ds. Clavaron, 14).
Souvent associé au terme de mélange, le métissage reste pourtant fort difficile à définir
tant le phénomène est complexe et multiple. La notion elle-même (métis étant issu de mixus,
mêlé) évoque le résultat du mélange de deux choses différentes qui est d’abord celui des races et
des cultures (Montandon, cité ds. Clavaron, 8). Pour ce qui concerne les cultures et le
phénomène en général, il est évident que nous nous trouvons en face d’un dualisme identité –
altérité dont les parties sont indissociables, d’un moi pluriel qui a des attachements avec des
culturelles différentes. Telle serait la position de Jean-Marc Moura dans son œuvre qui s’intitule
Littératures francophones et théorie postcoloniale dont la conception aspire à la synthèse. Elle
propose en cette nouvelle période, une fusion des voix qui se sait précaire car elle est issue d’un
passé jamais totalement éclairci mais dont la polyphonie, l’hybridité répondent d’une richesse et
d’un cheminement dans le monde de l’interaction générale des cultures (Moura, 150).
Egalement, les postcolonial studies, selon Marie-Claude Smouts, énoncent la même ambition de
coller au plus près de la réalité quotidienne des transactions sociales d’une part, et une prétention
à une pensée universelle de l’Autre (Smouts, 430).
Certes, la relation que cette nouvelle génération établit avec ses valeurs culturelles
d’origine et celles de la France se trouve difficile et ambiguë du moment où l’universalisme
occidental se joue sur le refus des croyances et des désirs de l’Autre. Aussi, le refus du pays
d’accueil de reconnaître une telle identité dans sa diversité culturelle ne place-t-il pas ces
immigrés dans un état de tiraillement entre deux mondes. Dans une société ainsi définie avec des
individus porteurs d’héritages ethniques et culturels différents, l’identité s’est formée dans
2
l’histoire du groupe ethnique qu’ils viennent de quitter et elle reste fortement attachée aux
valeurs de leurs pays d’origine. Même si de nouvelles identifications dans le nouvel
environnement de vie apparaissent, elles existent de façon superficielle.
La question de l’identité postcoloniale qui fait l’objet de nombreux travaux est souvent
perçue comme complexe parce qu’elle ne se conforme pas aux visions occidentales préétablies
qui partent du principe que la subjectivité est un phénomène qui pourrait être objectivement
déterminée. Nous nous inspirons des récits de vie des auteurs issus de l’immigration maghrébine
tels que Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag et Zeida de nulle part de Leïla Houari afin de
confronter leurs perceptions de l’identité postcoloniale en France aux visions dominantes de
l’Autre. A ces récits vont s’ajouter d’autres du même genre tels que C’était leur France : En
Algérie avant l’indépendance de Leila Sebbar et Georgette ! de Farida Belghoul afin que nous
puissions comprendre l’opération du métissage culturel des minorités culturelles et immigrés
d’origine africaine que la France considère comme une culture au singulier. Mais, le fait que le
terme métissage ou hybridation peut être présenté, selon Bhabha, comme « Un site de
négociation politique, un site de la construction du symbolique qui permet d’inaugurer une
interaction ou un dialogisme dominant / dominé » (Hommi Bhabha cité ds. Moura, 168) montre
qu’il y a eu des rapports interculturels entre l’Afrique et la France qu’on ne peut dissocier.
D’autres formules telles que « l’hybridité » ou « l’identité rhizome » de Glissant, les
« branchements » d’Amselle et « les espaces tiers » (le third space) de Bhabba, les postcolonial
studies énoncent la même ambition de coller au plus près de la réalité quotidienne les
transactions sociales issues des relations coloniales ou postcoloniales entre les hommes (Smouts,
430). Cela indique la nécessité de confronter les opinions des uns et des autres, celles de deux
mondes et de deux cultures qui se sont rencontrés et qui ont croisé leurs identités.
3
CHAPITRE I
REVENDICATION D’UNE IDENTITE COMPLEXE VUE PAR DES AUTEURS
AFRICAINS DE LA PREMIERE GENERATION
Longtemps, l’identité a été et demeure historiquement déterminée. Loin d’être fondée sur
des caractéristiques universelles, cette identité fait percevoir l’individu qui veut intégrer la
nouvelle société comme un être complexe qui vit dans un monde où la pureté de la race, de la
culture et de la langue n’existe réellement pas. Il paraît plutôt un produit du contact de deux
races et de deux cultures dont l’alliance devient ambivalente et complexe. C’est ainsi que sont
nées toutes les civilisations dont la rencontre pacifique ou guerrière des groupes humains a fait
apparaître une société nouvelle et hétérogène. Par exemple dans le domaine de la littérature
africaine, ce phénomène universel, selon Florence Paravy, prend une dimension particulièrement
importante du fait que l’histoire du continent relève d’un métissage imposé par la colonisation
vers un métissage volontaire qui est celui de l’écriture (Paravy, cité ds. Clavaron, 101).
L’activité littéraire est un exemple des moyens adoptés pour imaginer une identité complexe
qui serait le produit de la rencontre des langues africaines avec le français. Malgré leur minorité,
les auteurs africains tels que Birago Diop, Ousmane Socé et Bernard Dadié ont pu profiter de
cette rencontre pour revendiquer cette identité déjà complexe afin de donner au conte africain ses
titres de noblesse, privilégiant ainsi la littérature orale et sa participation à ce que Senghor
nomme la «civilisation de l’universel» (Gourdeau, 13). De plus, vont émerger sur le plan
thématique, des problèmes propres à cette minorité d’intellectuels partagés entre deux mondes.
Les romans de l’époque coloniale notamment Kocoumbo, l’étudiant noir d’Aké Loba et
L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane mettent déjà en scène le personnage du métis
4
biologique ou culturel et représentent une expérience vécue de la perte d’identité originale et du
déchirement, ce que résume ici Samba Diallo, héros de L’aventure ambiguë en ces termes :
Je ne suis pas un pays des Diallobés distinct, face à un Occident distinct, et
appréciant d’une tête froide ce que je puis lui prendre et ce qu’il faut que je lui
laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux. Il n’y a pas une tête lucide entre
deux termes d’un choix. Il y a une nature étrange en détresse de n’être pas deux.
(164)
L’identité individuelle ne semble donc pas perçue et assumée comme mixte ou métissée, mais
contradictoire. Or, un demi-siècle après la décolonisation, les sociétés africaines restent très
profondément marquées par la dualité culturelle. Le français est devenu la langue officielle, la
scolarisation débouche souvent sur des études supérieures qui vont être accomplies en Europe
tandis que l’immigration continue par compliquer les relations et les échanges entre les deux
continents.
De même, les écrivains d’aujourd’hui sont plus en contact avec l’Europe que ceux des
générations précédentes. Néanmoins, la littérature africaine malgré ses valeurs et ses enjeux se
trouve souvent délocalisée et pour l’écrivain africain, le questionnement sur sa propre identité
reste à l’ordre du jour comme en témoigne par exemple l’ouvrage d’Henri Lopes, Ma grandmère bantoue et mes ancêtres les Gaulois. L’utilisation des expressions « Ma grand-mère
bantoue » et « mes ancêtres les Gaulois » dans ce titre montre d’ores et déjà que deux
continents se sont rencontrés au moment de l’histoire. Alors pour l’auteur, il y a un métissage
c’est-à-dire un mélange des cultures qui doit exister et qu’il faut juxtaposer en prenant soin de
traiter les deux de façon égale pour en faire une belle et harmonieuse rencontre. Ce métissage
qu’il revendique n’est pas seulement celui venant de son grand-père Gaulois et de sa grand-mère
bantoue, mais aussi celle de la culture qui part du nord au sud et qui relie toutes les races ayant
participé à l’histoire.
5
Aussi, le thème du métissage culturel parfois conflictuel des Francophones d’Afrique
perdure-t-il dans les romans les plus récents. L’impasse, du Congolais Daniel Biyaoula (Présence
africaine, 1996) en est sans doute un bon exemple. Tout l’intérêt de ce roman est de dépasser
cette perspective binaire et contradictoire qui existe dans les romans de l’époque coloniale et de
mettre le sujet ou le colonisateur et l’objet ou le colonisé dans un contexte hybride pour
réconcilier des éléments contradictoires de leur expérience diasporique. Non seulement le héros
se sent partagé entre les deux univers, mais ces derniers ne lui donnent pas un repère identitaire
clair. Si, dans L’aventure ambiguë, Samba Diallo a la nostalgie d’un monde dont il se sent coupé
mais qui continue d’exister, Leïla Houari dans Zeida de nulle part comme beaucoup de jeunes
maghrébins, cherche partout, rêve de tout et finit par se sentir de nulle part. Etrangère dans son
propre pays le Maroc, étrangère en Belgique, sa terre adoptive, la narratrice est en conflit
profond avec les deux sociétés et se sent de nulle part, un sentiment qu’elle partage avec la
narratrice du roman de Fatou Diome, Le Ventre de l’Atlantique :
Irrésistible, l’envie de remonter à la source, car il est rassurant de penser que la
vie reste plus facile à saisir là où elle enfonce ses racines. Pourtant, revenir
équivaut pour moi à partir. Je vais chez moi comme on va à l’étranger, car je suis
devenue l’autre pour ceux que je continue à appeler les miens. (190)
La narratrice fait surgir ici une image qui ne renvoie à rien de réel. Elle se situe dans un entredeux imaginaire où disparaît la culture d’origine perçue comme négative face à la culture
occidentale jugée meilleure. En se cherchant tour à tour dans deux espaces géographiques et
culturels exclusifs, Zeida désire que son moi se construise dans une subjectivité homogène car
c’est le seul moyen qui s’offre à elle. Dans le premier chapitre, elle entreprend d’adhérer
exclusivement à une identité féminine occidentale. Puis, dans le deuxième, elle essaie de se
conformer uniquement à celle de son milieu d’origine. Le parcours de Zeida dans l’espace belge
et par la suite dans le milieu marocain montre que son passage d’une identité féminine
6
occidentale vers une identité féminine africaine s’inscrit dans un cadre culturel hybride.
Néanmoins, cette quête identitaire ne peut déboucher nulle part parce qu’elle est niée par des
mentalités occidentales peu disposées à mettre sur le même pied d’égalité les valeurs culturelles
de l’Autre. Ce manque de convergence des espaces culturels sert également de rupture dans
l’expression des écrivains de la première génération qui doivent écrire dans une langue qui n’est
pas leur langue maternelle mais celle de l’Occident qui leur est imposée.
En effet, l’accès à la littérature française semble être soigneusement contrôlé par l’autorité
coloniale qui soumet la pratique, d’où l’utilisation de la langue française se fait de façon
académique. Même si dans la littérature des premières générations, il y a une certaine
opportunité pour les Africains de se rattacher à leur histoire, leurs traditions et leurs langues,
l’institution scolaire des Africains est sous contrôle du fait que la scolarisation de ces derniers
pourrait devenir une arme à double tranchant. C’est dans cette écriture imposée par la force et
qui tente de décrire le continent africain que l’expression des réalités africaines va se faire. Cette
atmosphère donne l’image de quelque chose qui ne renvoie à rien de réel mais qui se situe plutôt
dans un entre-deux imaginaire où semblent disparaître les réalités du continent. Ceci explique
sans doute quelques apories qui ont existé dans les discours critiques des représentants de la
Négritude. Ainsi, l’on a vu naître des formules revendicatives et parfois provocatrices, comme
celle de Tchicaya U Tam’si qui dit ce qui suit : « Le français me colonise, je le colonise à mon
tour. » (Jacques Chevrier, cité ds Clavaron, 105). Il s’agit d’une véritable appropriation de la
langue française que résume Henri Lopes en ces termes : « En tout état de cause, le français n’est
plus en Afrique une langue étrangère. D’origine étrangère, cette langue est aujourd’hui africaine,
au même titre que nos langues maternelles » (Lopes cité ds. Clavaron, 105). C’est le cas dans le
roman d’Eveline Caduc qui s’intitule La Maison des Chacals où il y a la coprésence de deux
7
langues (Caduc, 2006). Bien que le roman soit écrit en français, plusieurs termes en dialecte
algérien viennent éclairer ses pages pour leur donner non seulement la consistance et la texture
appropriée, mais aussi pour les garder dans la gloire de leur différence, dans leur intégrité, dans
leur majesté. C’est aussi le cas dans le récit de Begag où Azouz fait un mélange du français et de
l’arabe pour répondre aux questions de M. Grand (Begag, 95-96). C’était, selon Jean-Paul Sartre,
une façon d’ouvrir la voie au véritable métissage qui allait faire « dégorger leur blancheur aux
mots » (Sartre, 18). Cependant, cette intégration linguistique qui doit s’accompagner de
l’émergence d’un français d’Afrique pose des problèmes d’assimilation pour le lecteur étranger
français de souche, raison pour laquelle le métissage culturel allait prendre une allure de
domination et de force du pays hôte sur les minorités culturelles d’Afrique , surtout du Maghreb.
a. Un métissage né de la colonisation
La colonisation a imposé en Afrique ce qui pourrait apparaître comme une forme de
métissage. En effet, l’imposition des lois, des institutions, de la culture et de la langue étrangère
par le système colonial donne naissance à un monde non pas métissé et unique, mais scindé où
coexistent deux structures politiques, sociales et culturelles, dont l’une assujettit l’autre. Comme
le rappelle Frantz Fanon dans son roman qui s’intitule Les damnés de la terre, « La zone habitée
par les colonisés n’est pas complémentaire de la zone habitée par les colons. Ces deux zones
s’opposent au service d’une unité supérieure » (Fanon, 42). Dans ce contexte, les contacts vont
se transformer en rapports d’exploitation et de domination culturelle où la France cherche à
transmettre aux peuples minoritaires, une part minimale de sa culture qui devient l’instrument le
plus efficace du système. C’est ce que Bernard Mouralis appelle «sous-culture coloniale» dont le
système scolaire en Afrique, selon Paravy, va servir de courroie de transmission d’une culture
purement occidentale (Paravy, cité dans Clavaron, 2005). Fanon, dans son analyse trouve que
8
« C’est le colon qui a fait et qui continue à faire le colonisé. Le colon tire sa vérité, c’est-à-dire
ses biens, du système colonial » (40) laissant inaperçu tout ce qui a trait aux valeurs du colonisé.
De plus, dans le domaine social, l’on voit à quel point le métissage est devenu un phénomène
producteur d’illusion en ce sens qu’il rend méconnaissable ce qui a existé et sème ainsi la
confusion dans toute notion d’appartenance et d’héritage.
De même, dans le domaine culturel, l’espace linguistique semble être de façon directe ou
indirecte, la source identitaire de l’individu qui parfois vit dans l’errance et dans l’incertitude.
Mais, il arrive que cette rupture socio-culturelle crée parfois des personnages abandonnés et
déchus qui finissent par se livrer à la délinquance pour se venger de l’indifférence de la société
dominante. C’est le cas des trois copains Saïd, Vintz et Hubert qui, dans le film intitulé La haine
de Matthieu Kassovitz (1996), manquent les cours et trouvent la passion et le désir de mener des
actes de vengeance et de destruction dans la banlieue où ils habitent à Paris. La raison est qu’ils
sont venus dans un monde qui leur appartient aussi mais qui, pour des raisons socialement
complexes et incontrôlables, n’arrive pas à mieux les intégrer. A ce niveau de la situation, la
problématique des minorités françaises d’origine nord-africaine coincés entre deux mondes, et
celle du métissage, comme le souligne Jean-Luc Bonniol, sont relativement dissemblables
(Bonniol, ds. Paravy, 102). L’identité individuelle de ces minorités ne semble donc pas perçue
comme intégrée mais dissociée et confuse.
b. Ambiguïté ethnique et troubles identitaires
Ces deux termes font référence à la politique française à l’égard de la migration africaine
après la décolonisation. Celle-ci est marquée par des phases successives et contradictoires. Par
exemple, dans les récits Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag et Zeida de nulle part de Leïla
Houari, l’on note que le héros et l’héroïne vivent dans une ambiguïté culturelle et qu’ils
9
incarnent respectivement dans leur état d’existence, deux mondes, deux cultures dans lesquels
se camouflent des tensions culturelles et ethniques. Cette tentative de fusion des deux identités
devient malheureusement ratée et conflictuelle, mettant ainsi l’Europe et l’Afrique en proie à la
réconciliation. Evidemment, les démarches entreprises par les critiques dans ce domaine tendent
à généraliser l’expérience de la nouvelle génération africaine qui souvent tourne autour des
thèmes tels que le racisme, le conflit des générations et leur vie dans les banlieues. Ensuite, la
question d’identité est souvent perçue comme problématique car l’identité est un phénomène qui
se construit à l’aide de plusieurs valeurs culturelles et non sur une politique d’assimilation
culturelle qu’impose la France aux élites coloniales et postcoloniales d’Afrique. Selon JeanMarc Moura, les enjeux et les conséquences de l’identité doivent faire l’objet des relations de
pouvoir entre les diverses régions du monde et ils doivent insister sur la valeur et la nécessité des
différences culturelles (Moura, 20-21). Toutes ces idées montrent que la subjectivité de
l’individu est un phénomène dynamique et contradictoire qui s’ouvre à la diversité.
De plus, les récits dont nous nous inspirons attestent que le véritable moi des personnes
ayant immigré en Europe notamment en France et en Belgique se construit à l’aide des modèles
culturels africains et européens, et tout cela mérite beaucoup d’attention. La quête de ce statut
symbolique, selon Marie-Claude Smouts, implique une lutte permanente des individus et des
groupements sociaux pour se définir avantageusement les uns par rapport aux autres (Smouts,
410). Il s’agit d’étudier les souffrances et les émotions qui sont nées des rencontres afin de
dépasser les sentiments de domination, de dépossession et d’humiliation dans les rapports entre
dominants et dominés. Pour mieux y parvenir, selon Smouts, il faut partir sur la base d’une
démocratie libérale pour rendre visibles les individus issus de la rencontre de deux mondes que
la société a négligés et les traiter de la même manière que tous les autres (433).
10
Dans la société française d’aujourd’hui, il existe un désir immense de recherche des
origines dans une partie importante de la jeunesse dont les parents viennent d’outre-mer. C’est
un besoin d’histoire dont on ne peut pas faire abstraction, comme le souligne Benjamin Stora
dans son analyse sur la France postcoloniale, avec une population en désir de compréhension et
qui est confrontée à des exigences politiques du présent (Stora cité ds. Smouts, 297).
La nouvelle littérature dont les écrivains d’aujourd’hui font mention affirme la défaillance des
schémas de pensée ethnocentristes qui continuent dans cette période moderne et postcoloniale à
conditionner la perception de l’identité de l’Autre ou de l’altérité culturelle. Cette étude se
propose de montrer que les espaces de l’entre-deux, comme le souligne Homi Bhabha, permettra
de voir comment élaborer des stratégies singulières ou communes pour initier de nouveaux
signes d’identité, et des sites promoteurs de collaboration et de contestation dans le but de mieux
reconnaître et d’affirmer l’autonomie de l’autre (Bhabha, 1994). Les propos de Jean-Paul Sartre
s’adaptent parfaitement à cette nouvelle génération d’auteurs qui voudrait confirmer que l’espace
littéraire se définit par le fait que « L’écrivain sait que la parole est action : il sait que dévoiler
c’est changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer » (Sartre, 1948). C’est ainsi
que ce lieu se veut un espace de transformation des mentalités françaises et belges et de
revendication pour de nouvelles conceptions identitaires qui répondent aux besoins d’une
génération issue de l’immigration africaine. C’est précisément ce genre de mentalité qui rend
complexe le parcours de chacun des personnages marquants des récits de Begag et Houari à
savoir Azouz et Zeida, et ceci débouchera inéluctablement vers une impossibilité pour eux de
choisir entre la culture africaine ou arabe et la culture occidentale. Ailleurs, cette crise identitaire
montre ainsi que la complexité du moi des deux personnages précités s’appuie sur le fait que les
deux sociétés laissent chacune une empreinte indélébile sur eux.
11
Azouz remet en question la complexité de ce phénomène d’acculturation dans la scène où il
proclame son arabité lorsqu’il réussit à surpasser ses camarades français en rédaction (Begag,
215). Ici, il s’appuie sur sa culture d’origine en utilisant une formule religieuse arabe « Par
Allah ! Allah Akbar ! » (216) pour vanter ses mérites. Cela indique que sa langue arabe demeure
celle à laquelle il a recours pour exprimer ses passions. Zeida, coincée dans un cercle vicieux à la
quête de son identité finira par s’en sortir une fois qu’elle accepte de construire son moi à partir
de la relation qu’elle entretient avec les cultures belge et marocaine. Houari situe ainsi Zeida
dans un entre-deux culturel pour montrer que son identité doit se construire à partir de la
rencontre des deux héritages belge et maghrébin. L’identité d’Azouz et de Zeida se situe au
croisement de deux mondes qui remet en question l’idée de l‘Europe de penser que la culture
dominante a plus d’influence sur la culture dominée. De ce fait, il faut noter que l’identité des
communautés nouvelles africaines nées de la colonisation ne se limite pas uniquement aux
valeurs des cultures d’origine ou des cultures occidentales. Il faudrait mettre les deux valeurs
ensemble. Azouz a beau se conformer aux règles coutumières arabes, il reconnait que ses
compatriotes ont parfaitement raison de le tenir pour un Français car il s’habitue mieux au mode
de vie des Français que celui de ses origines ancestrales (Begag 1986, 102-103). C’est
précisément ce constat qui donne naissance à un produit identitaire dont il est issu et qui demeure
à la fois différent et exceptionnel parce que influencé par le monde occidental.
En utilisant la notion de différence de Jacques Derrida, Stuart Hall se sert implicitement de la
métaphore de Léopold Sédar Senghor et d’Aimé Césaire pour démontrer que l’identité culturelle
dans le monde caribéen est permanemment liée à au moins trois présences : Présence Africaine,
Présence Européenne et Présence Américaine (Hall, 398-399). Hall par cette définition indique
que nos cultures portent des expériences historiques communes et des codes culturels partagés
12
devant faire de nous un peuple unique. C’est pour signifier que l’Afrique a pris des valeurs
culturelles nouvelles et qu’elle a une identité plurielle basée sur la diversité et l’hybridité qu’il
faut découvrir (402). Selon Hall, le colonisateur nierait ces valeurs essentielles pour la
reconstruction de l’identité du colonisé. Un tel préjugé et une telle tentative colonisatrice visant à
dénaturer l’Afrique remettent en question l’identité métisse, d’où la prise de conscience des
intellectuels africains pour dénoncer le caractère stéréotypique de la représentation des Africains
et mettre en valeur leur autoreprésentation.
13
CHAPITRE II
REACTIONS DE CERTAINS AUTEURS AFRICAINS
La confiscation de la liberté d’expression des auteurs africains et l’imposition des règles à
suivre dans la mise en pratique de la théorie postcoloniale deviennent flagrantes. Voulant
passionnément revaloriser leur civilisation niée par le colonialisme, des écrivains hommes et
femmes de la diaspora africaine tels que Birago Diop, Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire,
Zahia Rahmani et Assia Djebar pour ne citer que ceux-là, passent à l’écriture. Durant la seconde
moitié du XIXe siècle, ils vont s’exprimer en réaction à l’oppression culturelle du système
colonial français, rejetant d’une part l’assimilation culturelle et d’autre part, la dévalorisation de
l’Afrique et de sa culture.
De ce point de vue, la création du Mouvement de la Négritude vers les années 1930 qui a
pour tendance de rattacher les Noirs de nationalité et de statut français à leur histoire, leurs
traditions et leurs langues (Léon Damas cité ds. Kesteloot, 79), va non seulement pousser à la
révolte politique, avec le départ de l’occupant vers les années 1960, mais aussi à l’indépendance
et à la renaissance culturelle (128). Cette révolution des premiers écrivains a pour objectif de
sensibiliser davantage les Africains de la diaspora et d’ailleurs afin de restituer à leur histoire ses
véritables dimensions culturelles. Cependant, ce nouveau départ n’a pas suffi pour une vraie
réhabilitation des peuples colonisés dont la reconstruction de leur identité culturelle originale est
déjà influencée par le métissage. La preuve est que la liberté de ces porte-paroles de l’histoire
africaine a été confisquée du moment où ceux-ci ont dû travailler selon des directives qui leur ont
été données et sous une contrainte politique. L’absence du droit à la diversité culturelle traduit un
rejet ou une intolérance envers la différence culturelle. Ainsi, dans la perspective de dégager les
difficultés qu’éprouve le sujet postcolonial à s’intégrer dans un milieu qui véhicule une culture
14
jugée supérieure aux autres, et de voir si des efforts sont fournis de part et d’autre pour le respect
de la différence, le respect des cultures, il est nécessaire que nous fassions un peu l’analyse des
textes des auteurs contemporains sur la situation postcoloniale tels que C’était leur France : En
Algérie avant l’indépendance de Leila Sebbar et Georgette! de Farida Belghoul.
Evidemment, les littératures postcoloniales constituent des territoires privilégiés où
s’expriment les écrivains pour la revendication identitaire du colonisé longtemps réduit au statut
de l’être inférieur appelé à tout assimiler. Ce sont des territoires qui ont été marqués par des
identités ambiguës, des chocs qui se sont développés entre l’Europe surtout la France et
l’Afrique pour faire émerger des individus qui appartiennent à des identités devant lesquelles ils
ont de la peine à se reconnaître. Leur intégration en Europe comme en Afrique fait poser des
questions souvent complexes. Comment vont-ils pouvoir s’assimiler à la vie occidentale ?
Comment vont-ils s’intégrer dans la nouvelle société sans toutefois négliger les valeurs
originelles? Telle est l’histoire de Georgette, cette jeune fille déchirée entre la culture algérienne
de ses parents et celle qu’elle reçoit à l’école (Belghoul, 1986). En effet à la maison, la petite
fille reçoit de son père qui a des connaissances rudimentaires de l’arabe, l’apprentissage d’une
écriture qui s’effectue de droite à gauche. Une fois que la fillette est scolarisée, cette direction va
se trouver brutalement renversée par sa maîtresse qui la force à s’adapter à la culture occidentale.
Ce dilemme se structure donc autour de deux écritures française et arabe, voire deux directions
problématiques parce que contradictoires l’une par rapport à l’autre. Le glissement entre le
modèle paternel et celui de la maîtresse va bouleverser l’héroïne qui se sent d’autant plus
déséquilibrée parce que l’espace scolaire manque de lui assurer une transmission de l’endroit qui
correspond à son environnement familial vers le milieu scolaire. Ensuite, la négation de la langue
15
arabe qu’elle a apprise de son père la précipite dans un espace de discontinuité culturelle et la
plonge dans un état de déséquilibre.
De plus, le conflit de Georgette est le résultat d’une dégénérescence institutionnelle
destinée à façonner uniquement l’héroïne dans les lois de la culture française. Le système
scolaire en s’imposant de cette manière fonctionne non comme un lieu intermédiaire qui va
progressivement aider la fillette à mieux s’adapter aux deux mondes culturels mais comme un
milieu qui tend à changer brutalement son moi. Celle-ci n’ayant pas réussi à faire valoir dans cet
environnement le sens paternel au point de se voir exclue du système scolaire français se voit
dépersonnalisée. De ce fait, l’école représente pour Belghoul la négation de toute identité
étrangère et elle entraîne un acte de déculturation. Aussi, l’écriture se perçoit-elle ici comme un
instrument qui façonne les habitudes, la pensée et le moi de la fillette. Autrement dit, l’écriture
constitue pour Belghoul un espace absolu de la formation du moi qui se produit uniquement dans
des valeurs occidentales. Ce récit qui se construit à partir de l’apprentissage de l’écriture fait
l’objet d’une réflexion sur une mentalité européenne scolaire voire sociale fermée au concept de
la diversité culturelle. On peut voir que la voix de l’héroïne est fortement marquée par la
perception de l’écrivaine sur un processus de scolarisation dont l’initiation à l’écriture se voit
comme un lieu d’emprisonnement car il y a un manque de communication incapable de prendre
source dans un double héritage culturel.
Pareillement, dans C’était leur France : En Algérie avant l’indépendance de Leila Sebbar
(2007), nous remarquons que le pays natal ou l’espace d’origine qui a souvent été et demeure
l’espace intime ou le lieu de préférence se perd dans la nuit d’un temps qui devient inaccessible à
l’histoire. Par exemple, dans le premier extrait de ce récit de Leila Sebbar (Ma mère, la France)
et de Boualem Sansal (Les Leçons de grand-père), les auteurs évoquent respectivement l’absence
16
d’un rapport entre l’Algérie et la France dans leurs souvenirs d’enfance (Sebbar, 241 ; Sansal,
228). Ailleurs, les écoles chrétiennes avec une stricte séparation des sexes, prennent de
l’ascendance sur les écoles arabes plus anciennes et mixtes, puis les villages anciens à l’exemple
de Hennaya (Sebbar 240) sont laissés en ruine. La France est donc présente partout avec sa
langue, ses lois et sa religion, mais cette stratégie vient malheureusement remettre en cause tout
ce qui a rapport avec le passé et surtout avec l’histoire : les lieux de mémoires relatifs au paysage
sauvage, l’école où on apprend le français et l’arabe, le village fondateur que l’on quitte et dont
on garde en souvenir tout ce qu’il contient comme activités quotidiennes (238-240), tout cela est
remplacé par l’envahisseur qui dans un même pays et sur un même territoire pose des actes sur
lesquels l’on se demande ce que la France a été hier et ce qu’elle est aujourd’hui en Algérie dans
un pays qu’elle prend pourtant pour la sienne selon l’histoire (cf. discours du général De Gaulle à
Oran, le 6 juin 1958 : Ruscio, 151). En effet, l’on sent à travers ce premier extrait de Sebbar et
Sansal, une séquestration de la liberté et une phase de subordination des Algériens français par
rapport aux Français d’Algérie. Le constat est flagrant lorsque l’on jette un regard sur les
conditions de vie encore précaires de ceux-là qui ont tout appris sur la France et que l’on
voudrait bien considérer comme des Français alors qu’ils continuent de vivre dans l’incertitude
(Sansal 227).
Dans le deuxième récit de Benjamin Stora (Une France si proche, si lointaine…) et de
Jean-Jacques Jordi (Mon EnFrance), il y a également le motif de la quête identitaire africaine
dans laquelle l’origine historique semble être perdue, ce qui suscite des interrogations. Par
exemple pour Stora, la nation française devient une nation étrangère à l’histoire du peuple
d’Algérie et à l’histoire d’Afrique (266), un empire colonial qui courbe sous l’esclavage la nation
algérienne et où les Algériens bien que français n’étaient pas vraiment des Français (267-268).
17
Ailleurs, dans ce monde où les Algériens se veulent français, la volonté d’assimilation devient
difficile. Alors pour Benjamin Stora, cette France bien que proche s’éloigne parfois des réalités
algériennes souvent marquées par la vie indigène, la vie en communauté (267), surtout entre
juifs et musulmans pendant les fêtes religieuses (269). Ce mode de vie à Constantine comme en
France manque. Par exemple en Algérie, la France n’existe qu’à travers la démonstration
militaire, la richesse européenne souvent inaccessible à tous les Algériens (269). Même en
France, la séparation des quartiers et des habitats entre Français de France et Français d’Algérie
est flagrante (268). Ainsi, l’on note des contradictions infinies dans les écoles et les résidences.
En somme, il y a présence d’une frontière invisible entre les Français de France et ceux de
l’Algérie dans la mesure où il est difficile aux deux communautés de se fréquenter (269). Tout
cela laisse beaucoup de soupçons sur la vraie identité française attribuée aux Algériens.
Pour Jean-Jacques Jordi, les repères de la France que l’on porte en soi semblent suffire
pour que l’on se considère comme français. Par exemple, ces repères se traduisent à travers les
liens généalogiques, les caractères physiques que l’on a, les cartes postales qu’on possède et ce
qu’on connaît de la culture française. En effet, les perceptions de ce que Jordi appelle la vraie
France sont liées à l’identité personnelle ou individuelle en Algérie et en France. Outre les traits
physiques de sa grand-mère qui lui donnent la fierté de s’affirmer, l’auteur associe à l’identité,
l’éducation scolaire où l’on apprend la bonne prononciation, le diaporama et les cartes postales
pour obtenir plus d’information sur la France (Jordi cité dans L. Sebbar, 164-165). Cependant, la
perception de la France tant attendue devient illusoire. La transition se fait dans la douleur et
dans l’abandon, malgré les signes déterminants et surtout l’amour patriotique qui pousse certains
à se croire français. Ainsi vont surgir les problèmes d’intégration dans la nouvelle société qui
18
s’apparentent à une discrimination masquée du pays hôte. Il est dur de vivre, de trouver de
l’emploi puis de se loger(170).
Somme toute, l’arrivée en France pour Jordi rend le statut social des Pieds noirs algériens
beaucoup plus incertain et plonge plusieurs familles dans l’abandon et la déception. Comme l’a
annoncé Hélène Cixous dans cette mémoire historique de Sebbar, le rêve du pays inconnu des
Algériens juifs et arabes d’Oran semble être marqué par une double absence dès qu’ils arrivent
en France, une France qui, d’après l’histoire, est aussi la leur. Une fois dedans, on est dehors
(Sebbar, 92). Il y a ici l’existence d’une double absence : le fait de n’appartenir ni au monde
maghrébin ni au monde français, et la double présence c’est-à-dire l’appartenance aux deux
mondes en même temps. L’impossibilité de se représenter son domicile pour certains dans cette
mémoire de Sebbar nous permet de comprendre les enjeux psychologiques des personnages
migrants et cela nous donne par la suite des indices sur l’expérience de la migration, le sentiment
d’isolement et le rapport qu’ils se font entre leur pays d’origine et le pays d’accueil. C’est une
écriture qui paraît simple mais qui a priori fait passer une émotion profonde qui permet à
l’écrivaine d’attirer l’attention de son audience sur l’histoire d’un pays et celle de son peuple pris
dans un entre-deux culturel.
La situation est complexe dans la mesure où l’arrivée des immigrants africains dans le
monde occidental a souvent pris un autre tournant dans l’histoire des relations entre l’Europe et
l’Afrique, celui du refus de l’homogénéité et celui d’une marginalisation à double sens.
L’immigré se voit ainsi autre par rapport à ceux qui l’entourent et par rapport à soi-même. Le
constat est saisissant car cela fait penser à un refus de reconnaissance des droits de ces
immigrants en proie de leur intégration sociale et de la construction de leur propre identité.
Ailleurs, un tel constat est mis en exergue par Grégoire Polet qui dans son analyse semble
19
redéfinir non seulement l’histoire des immigrants africains, mais aussi celle de tous les peuples
exclus pour la même cause. Selon, lui, nous sommes tous dans une logique révolutionnaire et
libre où nous devons faire de notre espace habité, un monde universellement interconnecté qui
prend toute la forme d’une seule et même famille (Polet, 128-129). Néanmoins, la fin de la
domination coloniale ne signifie pas la fin de l’influence de la France sur la nouvelle société
africaine qui dans les milieux occidentaux continue à sentir encore le poids de l’abandon et de la
solitude. L’absence du pays d’origine, de la mère patrie qui n’a d’égale nulle part ailleurs, du
moins dans la conception de l’ancienne génération a fait que les hommes et les femmes de plume
se sont efforcés pour revisiter leur histoire plus ou moins niée afin de pouvoir traduire dans leurs
œuvres un territoire identitaire qui leur est aussi propre.
En effet, dans le récit Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag, l’auteur met en scène l’enfance
du héros qui fait face à un système socio-culturel qui refuse la reconnaissance de ses origines.
Dans ce schéma d’exclusion, Begag se voit opposé à un dilemme qui le déforme et le rend
inactif. Le refus de se plier aux exigences de sa propre communauté et la volonté de se
conformer au modèle scolaire de la France d’où il se croit naïvement originaire (Begag, 1985, p.
182) n’ont fait que compliquer son intégration dans deux mondes : la culture algérienne ou le
Chaâba puis celle de la France ou l’école. Ces deux mondes dans lesquels Azouz évolue
s’opposent de plusieurs façons. D’abord sur le plan social, la famille d’Azouz est pauvre et
habite en marge de la société lyonnaise. Ensuite, les traditions islamiques de sa collectivité
maghrébine contrastent avec celles de la culture européenne. Alors sur le plan social et culturel,
Azouz circule quotidiennement entre un univers doublement composé d’une culture arabe et
française. Contrairement aux personnages de Houari et de Belghoul, ce va-et-vient quotidien
entre les deux cultures ne semble pas a priori créer une ambiguïté de choix de ce qui va
20
constituer pour Azouz le modèle à suivre. Dès son passage à l’école, le héros semble rejeter les
principes de sa culture maghrébine supposée inférieure au profit de la culture française que
beaucoup de ses camarades trouvent supérieure et prestigieuse. Mais en même temps, Azouz
arrive à résister à l’influence du milieu qui devrait comprendre que l’identité est interchangeable
et qu’elle pourrait prendre des valeurs multiples compte tenu de l’origine ou du lieu de naissance.
C’est pour cela que Begag s’éloigne de tout complexe pour se voir tantôt juif ou arabe selon ses
origines patriarcales, tantôt français lorsqu’il se réfère au pays natal (Begag, 182-201).
En réalité, le pays natal ou l’espace d’origine n’est plus pour la nouvelle génération un
espace intime comme c’était le cas pour l’ancienne génération. Ce rattachement au pays
d’origine devient l’objet d’une vision tout à fait particulière à la nouvelle génération d’écrivains
subsahariens et maghrébins de langue française. Pour eux, le pays natal est plutôt un espace
reconsidéré sous le signe de l’errance, de la « transhumance » aux dires de l’écrivain togolais
Kossi Efoui et du mouvement continu (Francophonies 2011). Tout se fera donc dans un esprit
de déplacement d’un lieu à un autre par rapport aux origines et par rapport l’histoire.
Apparemment, dans leur condition d’expatriés par rapport à un pays qu’ils ont quitté, ces
écrivains de la nouvelle génération ne prennent pas pour terre de base cette Afrique que célèbrent
jalousement les premiers écrivains. Leur patrie devient désormais la littérature qu’ils se veulent
mondiale et diversifiée. Si chez l’ancienne génération, l’autre monde est un espace inquiétant,
voire problématique, cette conception n’est plus effective en ce qui concerne la nouvelle
génération. Etre entre deux mondes pour les nouveaux venants est une marque de liberté et
d’affranchissement de l’emprise des origines. Loin du pays d’origine, les écrivains de cette
nouvelle génération dans leur pratique littéraire semblent plus libres et dégagés des contraintes.
Ceci dit, il y a lieu de voir quelle position littéraire et politique les écrivains de la nouvelle
21
génération adoptent dans leur condition d’entre deux mondes et la place qu’ils accordent au pays
d’origine et au pays d’accueil dans leurs récits.
Par exemple dans le récit de Leïla Houari intitulé Zeida de nulle part, l’héroïne est à la
recherche de son identité marquée par une ambiguïté culturelle. En effet, le parcours de Zeida
dans l’espace belge et par la suite dans le milieu marocain où elle doit s’efforcer de s’adapter aux
habitudes traditionnelles (Houari, 26), révèle que son passage d’une identité vers une autre donne
naissance à un moi hybride. Le premier chapitre de ce récit s’ouvre sur la fuite de l’héroïne dans
les rues de Bruxelles. Cet espace qui va représenter un rappel constant à son statut d’exilé finira
par incarner pour elle le lieu de la grisaille, du froid, de l’indifférence et de l’exclusion (26-30).
C’est ainsi que ses nuits passées à l’écart de sa famille sont accompagnées de songes qui la
transportent au Maroc. Cette fugue qui ne provoque en elle que souffrance et confusion la pousse
à tenter un retour au pays d’origine. Ensuite, la seconde partie du récit décrit le refuge de Zeida
dans un village marocain ou la famille de son père va l’accueillir. Bien qu’elle s’efforce de
s’adapter aux habitudes de ses proches, elle ne réussira pas à effacer les signes et les habitudes de
l’exil qu’elle porte en elle comme une empreinte indélébile, ce qui l’incitera à trouver le chemin
de retour en Belgique. Ceci laisse à croire que le monde auquel appartient l’héroïne ne peut se
construire qu’à partir de la relation qu’elle entretient entre les cultures belge et marocaine.
Ailleurs, le récit de Houari s’articule autour d’une quête identitaire féminine qui s’effectue à
travers le personnage de Zeida marqué par une ambiguïté culturelle entre deux mondes
occidental et marocain. Son identité féminine belge se caractérise par une liberté dans le monde
occidental et un emprisonnement dans le monde africain manipulé par des règles traditionnelles
qui lui sont difficiles à suivre. Par exemple, son père limite ses actes dès sa puberté en lui faisant
savoir qu’elle est devenue fille et qu’elle doit se préserver des mauvaises compagnies (16). Le
22
père qui reste fortement attaché aux coutumes de son pays souhaite ne pas voir le corps de sa
fille influencé par la culture occidentale qu’il juge trop libre et sans retenue. Cette forme de
domination que le père exerce sur sa fille constitue l’imposition d’une discipline paternelle à
laquelle va résister Zeida (17). Puisque son univers intérieur dépend de deux mondes et de deux
cultures, avec son choix qui porte sur l’environnement belge, Zeida va transgresser les lois que
lui impose son père mais tout en sauvegardant ses valeurs culturelles d’origine (29-31). C’est une
façon pour Houari de nous montrer que la définition de l’identité culturelle n’est pas toujours
unique, et que cela nécessite parfois une combinaison des deux cultures dans la constitution
identitaire comme nous l’indique le cas de Zeida. Cela nécessite un travail approfondi à partir de
différentes expériences sur l’immigration en général pour arriver à mettre en place un mode de
vie adéquat entre les deux mondes afin d’éviter un déséquilibre identitaire et une rupture
culturelle parfois suicidaire pour certains.
Evidemment, la réécriture d’une histoire oubliée comme celle de Moze de Zahia Rahmani
montre le malaise identitaire d’un héros qui a été rejeté par sa propre nation l’Algérie pour avoir
servi la France, puis abandonné par la France sa deuxième patrie qui lui a nié ses droits.
L’homme banni par la société n’a plus de langue, plus de peuple et son histoire, s’il en a une,
n’est que celle de son suicide au pied du monument du soldat inconnu (Rahmani, 129). En effet,
derrière l’histoire de son père, ancien soldat algérien ayant combattu contre son peuple au nom
de la France, se cache la douleur d’un peuple mal compris, méprisé et dépossédé (138) à la
recherche de son identité culturelle devenue multiforme. Pour les parents qui ont subi tout le
poids de l’exil et de la torture lors de leur immigration en occident, ils préfèrent plutôt s’attacher
à leurs pays d’origine, à leurs traditions et à leurs langues. Mais, pour les enfants nés dans les
moments de crise entre l’Afrique et l’Europe, l’identité prend plusieurs formes, selon qu’ils
23
portent des noms africains ou étrangers. Mais, le danger est que les noms à consonance africaine,
des noms arabes ou harkis tels que Aïcha, Fatima, Mohamed, Azouz font des enfants nés de la
rencontre coloniale, des décolonisés colonisés qui ne sont ni exilés, ni immigrés et qui ne seront
rien comme le disait Moze (Rahmani, 73). La vraie naissance en France n’est reconnue que
lorsqu’on prend des prénoms tels que Catherine, Isabelle Jean-Marc ou Viviane. Mais naître en
France et choisir de l’assumer avec des prénoms inhabituels au système français à l’époque est
synonyme d’une aventure, un choc, un combat où la seule volonté ne fait pas la loi (Benaïssa,
135).
Certes, la tradition, la religion et la famille deviennent autant d’obstacles à franchir dans
cette course pour la recherche de l’identité. De même, le désir de posséder l’autre et de le
façonner en lui imposant une autre langue et une autre culture, est aussi une manière de porter un
sérieux coup à l’homogénéité entre les identités qui sont hybrides de par leurs rencontres
historiques. Ailleurs, cet état d’être est synonyme d’humiliation, du mépris et de l’abandon de
l’autre. La belle manière d’éviter parfois cette incohésion sociale et cette inégalité des chances
dans les écoles c’est d’être parmi les meilleurs à l’école comme le fait Azouz (Begag, 102) et
surtout de ne pas raconter toute son histoire mais plutôt celle de son lieu de naissance et de son
attachement à la France (182). Cependant, l’identité n’est pas exclusive et elle peut prendre des
valeurs multiples. Par exemple, on peut naître en Algérie et devenir français. On peut également
naître en France et être de nationalité algérienne (202). Tout ceci nous montre que l’identité n’est
pas fixe mais dynamique. Si le pays d’origine demeure pour l’ancienne génération le lieu
ancestral avec tout ce que cela contient comme coutumes et traditions par rapport à l’autre
monde inquiétant et problématique, cette conception n’est plus de mise pour la nouvelle
génération. Pour elle, le pays d’origine est un espace interconnecté qui suit un mouvement
24
continu et qui porte en lui des langues différentes, des cultures et des civilisations différentes.
Dans leur condition d’expatriés ou d’exilés par rapport à un pays qu’ils ont quitté, les écrivains
de la nouvelle génération ne s’attachent plus tellement à l’Afrique que jalousement veulent
conserver dans leurs récits ceux de l’ancienne génération qui font souvent référence au
Mouvement de la Négritude. Pour la nouvelle génération, l’identité se situe au niveau de la
rencontre des deux mondes qui optent pour l’exploration de la complexité des rapports
identitaires, des rapports de leurs langues et pour la communication. Les femmes écrivaines à
l’image de Zahia Rahmani, d’Aïcha Benaïssa et de Leila Sebbar sont conscientes de ce manque
d’interconnexion qui déchire les peuples pourtant liés par une même histoire mais à qui la France
ne reconnaît pas cette légitimité. En effet, Rahmani voudrait nous faire examiner les rapports de
domination de la métropole sur la minorité française d’Algérie. Pour elle, son père représente un
homme banni des deux sociétés. Considéré comme un traitre par son peuple et nié par la France
sa deuxième patrie qui ne reconnaît en lui « ni une victime de guerre, ni un soldat » (Rahmani,
61), Moze devient l’homme négatif qui n’a ni peuple, ni patrie, ni mémoire, un rien (73). Alors,
le récit de Rahmani devient une histoire personnelle qui n’est pas seulement limitée à l’histoire
de son père mais aussi à celle de la France colonisatrice qui nie l’histoire de l’Autre.
Dans son travail littéraire, la narratrice essaie de dominer et de vaincre la honte, l’adversité et
le rejet de l’autre. Aussi, voudrait-elle surpasser tout ce qui rend la situation de son père
avilissant, déshonorant et indigne (128). Egalement, Rahmani refuse les discours qui ne voient en
son père qu’un traitre (127) et elle veut d’une part apporter de la lumière sur toutes les zones
d’ombre de l’histoire de son père qui est aussi la sienne afin de jouir de son identité. D’autre part,
en s’inspirant de la tradition culturelle et historique de la France à travers la phrase suivante
« J’accuse le peuple français de m’avoir abandonnée. » (125), la narratrice voudrait rendre
25
présent dans l’esprit de la société française contemporaine, cet héritage colonial promis dont son
père et tous ceux qui ont combattu pour la France n’ont pas joui. Mais dans le même temps, elle
voudrait dépasser l’esprit de l’intolérance et de la vengeance pour trouver le chemin de la
réconciliation des mémoires. Elle veut transcender cette haine et dépasser les idées de guerre qui
portent atteinte à l’origine identitaire et à la dignité humaine. C’est une idée qui rejoint celle de
Ponchelet qui également dans son post-scriptum, s’indigne contre l’image d’immigrés que porte
la France sur ses propres fils, et qui plus est, sur ceux qui sont nés là-bas et qui n’ont jamais
émigré. Ceux-ci sont jugés d’être ni de France, ni d’ailleurs, des enfants de nulle part (Ponchelet
cité ds. Benaïssa, 139). C’est également le cas de Zeida qui, dans son aventure, se trouve
déchirée entre deux pays, deux langues, deux cultures et dont rien n’est à justifier chez elle au
Maroc comme en Belgique, son pays adoptif (Charlot ds. Houari, 1985, 11). Il n’en est pas
moins pour Sebbar qui, malgré tout ce que son pays a hérité de la France à savoir sa langue, ses
lois, sa religion (Sebbar 242), vit dans la tristesse et la solitude. La colonisation a effacé une
partie de ce qu’elle pourrait ajouter à ses souvenirs d’enfance, à son histoire encore incomplète.
Il s’agit de Hennaya, le village fondateur de ses rêves nocturnes (240) et de la mosquée (241).
Cependant, tous ces protagonistes savent qui ils sont et d’où ils viennent. Ils sont conscients
d’appartenir à un monde où leur autonomie de construire leur propre identité serait de mise.
C’est pourquoi ils s’insurgent contre le fait qu’on les identifie à leurs parents qui tout comme eux
sont devenus ce que le colonisateur a fait d’eux. C’est le lieu pour eux de prendre en main leur
destin et de trouver le chemin de l’intégration qui seule pourrait effacer les différences. Mais il
faudra d’abord penser à l’acceptation des différences ou la coexistence des diverses
communautés. Tout ceci n’est possible que lorsqu’on a l’esprit de réconciliation des mémoires,
de sensibilité transnationale et transculturelle qui inspire une culture de l’inclusion, de la
26
coexistence et du partage (Babana-Hampton dans Redouane et Bénayoun-Szmidt, 172). C’est à
partir de cette base commune que l’on peut mettre fin à l’illusion et la confusion des repères
identitaires qu’engendre le métissage culturel, notamment dans le domaine linguistique et
culturel.
De toute façon, la littérature issue de l’immigration subsaharienne et maghrébine en Europe
notamment en France nous montre une nouvelle forme d’écriture qui interroge l’identité
culturelle préétablie. Ailleurs, les images qu’elle révèle invitent la société française
contemporaine à reconsidérer sa position afin de dégager les similitudes entre les deux
rencontres linguistiques et culturelles puis d’explorer au-delà du concept de métissage, un espace
ayant des identités plurielles mais homogènes. Pour en venir à Azouz, lorsque M. Grand
demande ce qu’il faut pour se laver, les Français répondent une serviette et du savon. Azouz
s’empresse d’ajouter :
«- M’sieur, on a aussi besoin d’un chritte et d’une kaissa !
- De quoi ??! fait-il, les yeux grands ouverts de stupéfaction.
- Un chritte et une kaissa ! dis-je trois fois moins fort que précédemment,
- persuadé que quelque chose d’anormal est en train de se passer. » (95)
Le maître au lieu d’ignorer les propos d’Azouz, l’encourage à lui décrire les termes arabes afin
qu’il puisse lui donner l’équivalent en français. Mais en le corrigeant, l’enseignant élimine les
apports qui ne se conforment pas au modèle linguistique français. Begag, en utilisant des termes
arabes dévoile que l’enfant ne fait pas de distinction entre les deux registres linguistiques. Le
système scolaire, en assistant Azouz dans la maîtrise de la langue française, finit par supprimer
cette notion de similitude et de complémentarité. L’espace scolaire devient pour Azouz et pour
tout enfant issu de l’immigration occidentale, la source de la perte de la langue maternelle
souvent humiliée et écrasée par la puissance en place (Memmi, 126). Elle doit plutôt se poser
comme le foyer de la langue qui véhicule la culture (Gazabon, 14) et c’est à partir de ce
27
processus de scolarisation que la langue, tout comme l’écriture pour l’héroïne de Belghoul, doit
se présenter comme le lieu de la récupération de l’enfant et de son identité dans la culture
dominante. Toute décision contraire à cette hypothèse serait mal venue car elle mettrait ceux qui
ne peuvent pas franchir la barrière dans la zone de marginalisation, d’abandon et d’exclusion
comme c’est le cas des compatriotes et camarades de classe d’Azouz (Begag, 101).
Contrairement au personnage de Belghoul qui refuse une reformulation de son apprentissage
de l’écriture dans une subjectivité française, Azouz va quant à lui essayer de camoufler un
registre qui empêche son assimilation au cadre scolaire et décider de changer de peau (58). Ce
phénomène est particulier au colonisé dont l’ambition première sera d’égaler le Français, de lui
ressembler jusqu’à disparaître en lui (Memmi, 137-138), ce qui indique que l’acculturation se
constitue d’une démarche complexe. Azouz ne pourra pas se reformuler facilement dans cette
nouvelle société française. Son apparence arabe montre qu’il lui est impossible de se fondre
complètement dans le modèle français. Néanmoins, il imagine qu’il ne peut réussir à s’intégrer
dans cette société française qu’en se plaçant parmi les meilleurs élèves de sa classe. En effet, le
héros prend conscience que sa place dans la salle de classe va provoquer de meilleurs résultats
scolaires et une place de choix dans cette société française. Pour le faire, il va jusqu’à s’éloigner
de ses confrères arabes pendant les moments de recréation pour jouer exclusivement avec les
français (Begag, 103). A travers ce comportement, Begag montre ici que l’école représente un
lieu d’exclusion. C’est ainsi qu’il choisit la compagnie des Français pour montrer son orientation
dans un modèle français. Azouz, en acceptant comme sien ce passé français, se rend compte que
ce modèle historique incite en lui une certaine ambigüité ethnique car ses ancêtres ne
ressemblent pas à ceux qui sont décrits par le maître. Ailleurs, le héros se résigne à adopter
l’histoire de l’autre, et ce n’est pas de sa faute s’il doit tout accepter puisque le passé de ses aïeux
28
est absent des livres d’histoire française (60). Azouz reflète donc une image passive car il ne fait
que mimer et réitérer les discours et les textes qui lui sont imposés par le milieu scolaire. En
effet, il ne peut pas faire valoir sa diversité culturelle parce que tout ce qui n’est pas conforme à
ce système d’enseignement est considéré comme une interruption insolente violant les règles de
la situation pédagogique (Leeman, 149). C’est une dépossession culturelle dont il est tout à fait
conscient, mais il a été obligé de s’y soumettre par nécessité sociale. Ce choix représente pour lui
l’unique moyen de passer d’une situation qui défavorise à un statut privilégié.
29
CHAPITRE III
AUTRES REACTIONS CRITIQUES
Sans revenir trop longuement sur les idées d’ambiguïté culturelle dont souffre l’individu
perçu comme un sujet postcolonial à la quête d’une identité réelle, nous aimerions recourir à
d’autres auteurs afin de voir les jugements qu’ils font de la construction identitaire des minorités
culturelles et des immigrés africains en France.
Il ne fait aucun doute que la présence des minorités culturelles et des immigrés a souvent
suscité des problèmes d’intégration en France. Sonia Richardson à travers ses pages, discute
l’exploitation systématique des jeunes travailleuses africaines qui partent du statut légal à celui
d’illégal ou des sans-papier acculées par la peur, une perte d’identité qui les oblige d’accepter
des conditions de travail pénibles et des salaires dérisoires pour pouvoir joindre les deux bouts.
Dans la plupart des cas, la réalité qui attend les immigrés lorsqu’ils débarquent dans le pays où
ils comptent s’établir est triste. Par exemple, les femmes sont mises au chômage dès leur premier
séjour, d’où la nécessité pour elles de se livrer à des travaux domestiques ou à la prostitution.
Certes, la désillusion est grande pour tous ceux qui croient que leurs ancêtres sont des Gaulois
lorsqu’ils arrivent en Occident. Même si les lois françaises stipulent que les enfants d’étrangers
devraient bénéficier d’un égal accès à l’éducation (Richardson 2010, 144), la narratrice Zara
dans le roman de Sandrine Bessora découvre qu’il n’est pas facile d’obtenir une carte d’identité
française et que même le renouvellement d’une simple carte de séjour qui permet de travailler
comme la carte verte aux Etats-Unis n’est pas une affaire si simple (Bessora, 1999). En effet, la
vie en France est dominée par un jeu de carte dont l’obtention ou le refus peuvent ouvrir des
portes ou fermer l’accès au monde du travail ainsi qu’à l’intégration dans la société française.
Zara, la jeune étudiante au bord du désespoir, décide de choisir la voie la plus rapide, celle
30
d’épouser un Français de souche pour éviter la prostitution et mettre fin à toute souffrance.
Cependant, ce choix a été marqué par un grand échec. Bessora critique alors de façon indirecte la
politique menée par le gouvernement français pour résoudre le problème des sans-papiers. Le
refus d’intégrer le sujet colonial dans le monde postcolonial remet en cause le droit à la présence
physique des immigrants sur le territoire français et du coup cela explique de façon concrète la
séparation entre le monde occidental et le monde oriental.
Tout comme Zeida dans le récit de Leïla Houari, Zara se voit marginalisée dès qu’elle tente
de faire un mélange des codes sociaux et d’intégrer la tribu des Gaulois. C’est en ce moment que
l’héroïne s’enfonce dans la vie clandestine, une situation qui la place dans un duel identitaire
difficile à retrouver. Mais la question qui se pose est de savoir si le lien social doit toujours
demeurer unique ou si cela doit faire l’objet d’une fusion entre les éléments ayant participé à sa
construction. En effet, la crise de l’emploi et la récession vers les années 1980 en France
(Richardson, 12) fait de l’immigré africain le bouc émissaire du chômage des nationaux. Au lieu
d’une politique de coopération et de cohabitation usuelle que la France a promis d’entretenir
avec les nouveaux états indépendants d’Afrique, il s’est instauré une politique du bouclier qui
consiste à promouvoir une certaine idéologie de préservation contre l’invasion culturelle et
démographique des étrangers africains dont la plupart sont pourtant chez eux en Europe,
notamment en France selon le contrat historiquement établi par les autorités françaises. Ainsi va
naître une barrière linguistique entre les minorités culturelles et les français car la langue
maternelle de ces minorités va être perçue comme n’ayant aucune dignité, d’où la difficulté pour
ces dernières de surmonter les désillusions et l’oppression engendrées par un monde extérieur
qui les domine.
31
A propos des exigences de l’institution scolaire, Danielle Leeman trouve qu’Azouz reflète
une image passive car il ne fait que mimer les textes qui lui sont imposés par l’école nouvelle. Il
ne peut pas faire valoir sa diversité culturelle parce que tout ce qui n’est pas conforme au
nouveau système d’enseignement qu’il vient de découvrir est considéré comme une interruption
qui viole les règles pédagogiques (Leeman, 149). Pour ne pas bouleverser la situation, Azouz
enfouit en lui tout ce qu’il a hérité du Chaâba. Ce refoulement culturel se reflète dans la partie du
récit où le maître a demandé à ses élèves de raconter une journée de vacances à la campagne.
Pour ne pas se mettre hors des conventions de cette institution, Azouz s’efforce de fournir un
travail qui exclut ses origines du Chaâba. Avant d’écrire ce devoir, le héros mesure ses mots et
transforme son Chaâba à un espace qui est familier au maître : « Je ne peux pas lui parler du
Chaâba, mais je vais faire comme si c’était la campagne, celle qu’il imagine, » dit-il (Begag, 64).
Mettre en valeur les éléments du Chaâba est pour lui, courir le risque d’introduire un monde qui
diffère de celui de monsieur Grand. Craignant que son maître juge ses expériences de façon
négative, il se voit forcé de rédiger une histoire banale et sans fondement afin de répondre aux
exigences de l’école. Apparemment, Azouz s’est appliqué à écrire à partir de la pensée de l’autre,
un acte qui montre que l’école ne fournit aucun effort pour assister l’enfant à communiquer dans
son monde réel. C’est une manière pour Leeman et Begag de montrer que leurs œuvres sont
marquées par la dualité, la double appartenance linguistique et culturelle du héros à la recherche
de son identité culturelle qui existe dans la mémoire collective franco-maghrébine.
En effet, nous avons vu chez Belghoul que l’écriture se conçoit pour son personnage
comme un lieu d’emprisonnement où il est impossible à Georgette de trouver dans cet espace
social une langue de libération pour affirmer son identité personnelle puisqu’en agissant ainsi,
elle se détourne de la voie paternelle. C’est pourquoi cette écriture finit par la conduire à la mort.
32
Donc pour Belghoul, l’école constitue un lieu d’autodestruction et de dépersonnalisation. Par
contre pour Begag, cette nouvelle langue se traduit par des emprunts à la langue arabe, à la
langue française et au mélange des deux, ce qui l’enracine dans une identité complexe et
multiforme. Cette langue qui se compose d’un lexique régional, arabe et immigré se démarque
des deux autres écrivaines Houari et Belghoul. Par exemple, la protagoniste de Houari est limitée
dans ses mouvements à cause de son sexe. Cela fait que Leïla Houari est plus préoccupée par
l’expression d’une identité qui se structure autour de l’émancipation d’un corps féminin aux
prises avec les cultures arabe et française.
Cependant, Begag semble percevoir dans cette dualité, le système éducatif occidental
comme une promotion socio-culturelle. Au lieu de se rebeller contre le concept d’acculturation,
il profite des outils qu’il acquiert à l’école pour les mettre à son avantage dans cet espace
littéraire. C’est par cette langue nouvelle et personnelle que Begag réussit à bouleverser ce
conflit qui oppose le maître et son élève et à devenir maître de sa situation identitaire. La langue
de son écrit devient par excellence l’instrument libérateur lui permettant de dominer ce qui le
ronge et de lui donner le pouvoir de créer sa propre identité.
Contrairement à Houari et Belghoul, Begag arrive à faire refléter par son innovation, une
identité composée d’une langue qui s’écarte des exigences linguistiques et académiques. Cet
écart dans l’écriture montre une forme de résistance à la caricature d’un style homogène puisque
pour Begag, le fait de copier le style de l’autre devient un phénomène qui se caractérise plus par
un élément d’exclusion que d’inclusion. Ceci montre par ailleurs que l’espace de l’autre
fonctionne de façon ambiguë et complexe. De ce fait, Begag se rapproche des idées d’Albert
Memmi qui souligne que le colonisé scolarisé qui s’applique à simuler l’exemple de l’Autre ne
pourra être inclus comme un membre à part entière de la société de l’Autre. Seules, la libération
33
et la restauration de sa langue vont lui permettre de renouer avec son temps interrompu et de
retrouver la continuité perdue de son histoire (Memmi, 145). Dans cet espace de l’immigration,
cette mentalité rétrograde persiste à situer la nouvelle génération minoritaire africaine hors de
l’espace français puisque son comportement ne relève que de l’aspect de l’imitation et non pas
de l’original. Begag illustre parfaitement cette caractéristique par l’épisode où la maîtresse
d’école, madame Valard, accuse Azouz d’avoir mal copié Maupassant. L’enfant, rougi et
consterné par cette accusation se défend tant bien que mal, rappelant qu’il s’est plutôt inspiré de
la mésaventure d’un pauvre vieil homme raconté par monsieur Grand, son ancien maître d’école,
et qu’il n’avait rien volé à M. Maupassant. Cependant, il sera condamné sur des soupçons
(Begag, 211-213).
En fait, en réitérant les paroles de monsieur Grand, Azouz veut montrer d’une part, sa
soumission et sa docilité intellectuelle dans un milieu scolaire souvent intransigeant. Aussi,
voudrait-il s’inspirer des valeurs de ce milieu pour se sentir inclus. Cette partie du récit montre
les difficultés qui émergent dans le processus scolaire des immigrés. Tout en voulant former et
assimiler cet élève issu de l’immigration, la société française n’a pas réussi à voir dans son
écriture une certaine revalorisation culturelle. D’autre part, bien que formé dans une école
française, Begag veut adopter un style tout à fait nouveau qui se démarque de l’imitation et qui
fait exploser un modèle identitaire souvent rigide, montrant ainsi que sa narration s’inscrit dans
une expression naturellement plus libérale et plus innovatrice. Par ce geste, l’auteur veut voir
l’être issu de l’immigration maghrébine ou d’ailleurs capable d’utiliser les outils linguistiques
déjà mis en place avec ce qu’il possède afin de favoriser la progression socio-culturelle voire
identitaire de la nouvelle génération. En créant son propre répertoire, Begag met en relief une
écriture marquée par la rencontre et l’influence culturelle dont nous avons parlé plus loin (95) et
34
qu’il appuie avec un petit dictionnaire de l’arabe francisé vers la fin de son récit (233-238). Cet
emprunt à plusieurs styles linguistiques indique clairement que des cultures en contact ne
peuvent s’enfermer dans des mythes ethnocentriques socialement fabriqués qui minent le
concept d’universalité et de l’interaction réciproque entre les cultures (Clerc, 15).
Certes, Begag est pour la flexibilité et la transformation culturelle et linguistique qui
n’obstrue pas le dialogue entre les différents groupes sociaux. Dans cet environnement socioculturel, les différences doivent être vues de façon inclusive. Puis, la langue doit fonctionner sur
un processus de complémentarité et non d’exclusion. Begag accorde assez d’importance à sa
nouvelle langue, rejoignant ainsi l’auteur congolais Henri Lopès qui s’inspire de la langue de la
rue pour proclamer l’identité commune de l’intellectuel noir avec son peuple. C’est alors que
naît, selon Clerc, une nouvelle perception de l’identité : « langue métisse à travers laquelle
s’affirme non plus l’arrachement mais la rencontre, non plus la différence mais le mélange, et qui
semble comme la promesse d’avenir sur laquelle débouche ce renouveau de la parole
identitaire » (14). C’est à travers ce nouveau style que Begag veut montrer l’adaptabilité de la
langue française à l’individu qui la manipule. Cependant, le problème qui se pose est le refus du
dominateur d’intégrer le dominé dans la vie sociale et culturelle.
Alec Hargreaves en se référant à la création de la francophonie en 1960, rappelle que la
ligne de démarcation de ce mouvement était claire. Les voix francophones étaient, selon lui,
celles qui dans les périodes coloniales faisaient partie de la plus grande France et utilisaient la
langue hors des limites de la communauté nationale française dans l’intention de sécuriser
l’identité nationale française et son influence dans le monde (Hargreaves cité ds. Sahli, 49). Par
ailleurs, la création du Haut Comité pour la Défense et l’Expansion de la Langue Française peu
après les indépendances et la loi Toubon trente ans plus tard font penser à la protection et à la
35
promotion de la pureté de la langue française dans le monde (53). Même si les champions de la
francophonie ne se lassent pas de prôner l’utilisation de la langue française dans un esprit
universel, leurs efforts sont implicitement fondés sur l’affirmation de la différence. Tout ce
constat de Hargreaves se rapproche de celle de Laronde qui trouve que les tactiques les plus
radicales pour le boycott de la reproduction de la culture africaine ont été mises en place par la
France depuis l’enseignement scolaire précoce des Africains. Selon lui, même si les textes écrits
par les Africains remettent parfois en cause la culture française, leurs auteurs n’ont pas un vrai
regard critique sur la société française elle-même (Laronde, 2014). Cette dépendance constante
de la France dans le domaine littéraire crée des ambiguïtés dans les espaces francophones du fait
que l’éducation scolaire demeure encore limitée et que dans la plupart des pays africains, seule
une minorité de la population arrive à lire et à écrire en français.
Apparemment, le concept de la francophonie est en état de crise car l’intolérance
politique et culturelle de la France vis-à-vis des pays minoritaires est un choix qui va à l’encontre
de la vocation universelle et de l’affirmation de la différence que prône sans cesse le mouvement
(Hargreaves cité ds. Sahli, 49). Les écrivains de la première génération ont souvent écrit dans
une langue qui n’est pas la langue parlée par la majorité de leur public potentiel. En principe, le
fait d’ « Ecrire en pays dominé », selon Patrick Chamoiseau, ne doit pas être synonyme du rejet
de la langue d’origine. Au contraire, cela doit être, comme le propose Edouard Glissant dans
Poétique de la Relation, le lieu de rencontre, d’interaction et d’ambivalence entre les peuples
ayant connu la même histoire (McCusker cité ds. Forsdick & Murphy, 116). Même si l’on veut
préserver des idées originelles, le colonisateur et le colonisé ne doivent pas se voir comme des
entités séparées mais uniques parce qu’ils ont tous connu la même histoire. Toutefois, la langue
36
se présente comme un autre handicap pour cette notion de complémentarité entre les deux entités
européenne et africaine.
Evidemment, la langue européenne dans des pays francophones constitue pour la masse
une double barrière : il y a à la fois la barrière de la langue étrangère et la barrière de l’écrit. Par
exemple, l’apprentissage de la langue et surtout de l’écriture du français est perçu dans le roman
de Belghoul comme un processus d’aliénation et de désintégration sociale. Michel Laronde, dans
une interview avec Alec Hargreaves déclare:
L’écriture c’est la mort de la fille de Belghoul. En écrivant, je creuse une tombe, je creuse
la tombe, je creuse la tombe de la fille de mon père. Sur le plan purement matériel, mon
père ne peut pas lire les livres que j’écris. Si j’écrivais en arabe, il y aurait une espèce de
continuité, mais en écrivant en français j’ai l’impression de piétiner sur mon héritage, de
donner de l’eau au moulin de mes ennemis. (46)
En écrivant en français son récit sur une petite fille d’origine algérienne aux prises avec
l’institution scolaire française, Belghoul se heurte à la caractéristique d’une écriture singulière
qui aboutit à l’anéantissement de son héritage maghrébin. Cela relève d’une trahison car pour
elle, il s’agit d’un usage de faux qui montre le reniement de sa famille au profit de l’adoption
d’une autre qui est française, ce qui produit en elle un sentiment de perte et d’abandon. C’est un
ouvrage qui fait la critique de l’écriture purement académique qui ne peut pas mieux exprimer
une expérience vécue qui sort des normes scolaires. Todorov en se référant à Georgette ! fait
remarquer l’inadaptabilité culturelle de l’héroïne face à une institution scolaire rigide et
inflexible qui croit que ses valeurs sont les meilleures (Todorov, 20). A ce propos, Belghoul
trouve que l’école française à l’image de Georgette, représente la négation de toute identité autre
que celle qu’elle impose, ce qui indique une politique scolaire fermée au concept de la diversité
culturelle. L’initiation à l’écriture se vit dans son récit comme un processus d’emprisonnement
37
car elle ne peut pas manifester une parole identitaire qui prend source dans un double héritage
culturel.
a. Mécanisme d’intimidation et énoncé d’une acculturation
Pour Begag, dans Le Gone du Chaâba, l’auteur retrace le parcours scolaire du
personnage principal nommé Azouz qui entame une lutte d’ordre intellectuel pour faire valoir
dans la société dominante la culture maghrébine perçue comme inférieure et dévalorisante. Le
protagoniste se voit ainsi coincé entre deux cultures : celle de l’Algérie ou du Chaâba et celle de
la France représentée par l’école. Contrairement aux personnages de Houari et de Belghoul, la
vie quotidienne entre deux mondes et deux cultures ne semble pas a priori créer une ambiguïté de
choix pour ce qui constitue pour Azouz le modèle à suivre. Ce double itinéraire peut être lu
comme celui de l’intégration d’un enfant immigré qui, très tôt, a pris conscience que la réussite
de cette intégration passait par la maîtrise de la langue du pays d’adoption (Sourdot ds. Laronde,
109). Dès son arrivée à l’école, Azouz semble rejeter les principes de sa culture au profit de celle
de la France considérée comme étant supérieure et prestigieuse. Bien que conscient d’une
dépossession culturelle, il s’y soumet par nécessité sociale. Ce choix représente pour lui l’unique
moyen de passer d’une situation défavorisée à une situation privilégiée, celle qui va lui permettre
d’une part, de résister sur le plan culturel aux influences linguistiques de la culture dominante,
mais aussi d’autre part de mieux s’affirmer. Jean-Claude Blachère en révisant Le Gone du
Chaâba, trouve que Begag, dans son récit, opte pour une nouvelle langue, affirmant ainsi que
l’écriture académique n’est pas la seule adaptée à l’expression d’une diversité culturelle
(Blachère, 1993).
38
En effet, c’est derrière ce nouveau style que se cache la vraie identité du protagoniste.
Cependant, le rejet des principes culturels algériens au profit de ceux de l’occident prouve que la
relation qui s’établit entre Azouz et l’espace scolaire est considérée comme un milieu qui élimine
en lui une réalité identitaire au profit d’un moi fondé sur des critères de la société dominante. En
plus, cet espace scolaire est un milieu qui remet en cause la perception culturelle d’Azouz sur les
habitudes de sa communauté. Cet écart se fait sentir à l’école où le maître l’introduit à des
principes d’hygiène qui se distinguent de ceux du Chaâba. Tous les matins, le maître commence
son cours en initiant ses élèves à des leçons de morale. Ces enseignements quotidiens rendent
Azouz indigne et mal à l’aise. Il se trouve embarrassé d’être décentré par rapport au modèle
français. Ailleurs, le jeune héros se sent intimidé culturellement face aux structures de la France
qui semble lui présenter une image imposée. Dans ce va-et-vient entre deux mondes
culturellement fermés l’un à l’autre, le choix d’Azouz va porter sur un moi qui se fonde sur un
système scolaire dominant. Mais, pour ne pas soulever cette attitude discriminatoire, le
protagoniste et les autres Arabes de la classe restent passifs à l’égard des leçons du maître:
«Nous les Arabes de la classe, on n’a rien à dire. Les yeux, les oreilles grands ouverts, j’écoute le
débat » (Begag, 57). Le silence des arabes de la classe met en évidence leur situation dans une
discontinuité culturelle. La bonne atmosphère qui doit normalement régner dans cet
environnement scolaire est absente, et le comportement d’Azouz indique davantage que cette
institution fonctionne sur un système d’exclusion quand bien même les garçons et les filles se
connaissent tous, rient et plaisantent ensemble (214). L’école devient donc, selon Michael
O’Riley, un lieu de nettoyage ethnique dont le but traduit l’appartenance à une pure identité
ethnique française (O’Riley cité ds. Norman, 119). Le non-respect des conventions historiques
39
fait place à l’existence d’une ethnicité fictive qui supprime toute différence ethnique et qui crée
la division entre la race nationale pure et celles des immigrants jugée impure.
Le style de Begag, bien plus que celui de Belghoul et de Houari se montre un outil de
résistance contre un tel système socio-culturel qui refuse de reconnaître la spécificité africaine et
qui est par conséquent fixé dans un modèle de l’exclusion. C’est en effet par sa manière d’écrire
que Begag affirme que son protagoniste n’agit pas en termes de soustraction ou d’exclusion des
valeurs qui le façonnent mais plutôt en termes d’addition ou d’inclusion de ses origines
culturelles. Le personnage d’Azouz se situe dans un moi pluriel, celui dont les besoins
identitaires sont hétérogènes et complexes. C’est aussi le cas d’Esther la protagoniste qui, dans
Sépharade d’Eliette Abécassis, finit par comprendre plus tard qu’ « elle n’était pas la fille
d’immigrants juifs marocains, elle était française à part entière, elle ne se sentait ni alsacienne ni
strasbourgeoise, elle se voulait universelle, loin de tout particularisme, de tout ce qui la rendait
différente, de tous les points saillants de sa personnalité et même de son apparence. » (Abécassis,
42)
De plus, le titre Zeida de nulle part nous donne une nouvelle perception de ce que peut
être une identité. C’est exactement une telle perception qui détache l’héroïne d’une identité
nationale qui se veut singulière et cohérente. Par ce titre, Houari s’interroge sur les théories
identitaires préfabriquées qui empêchent l’individu à se construire sa propre identité. Pour
écarter son héroïne d’une constitution identitaire qui repose sur des critères fixes et inadaptables,
Houari lui retire l’espace de naissance. Elle souligne ici que la transition de Zeida de la Belgique
au Maroc se traduit par une mutation d’un espace imaginaire vers celui de la réalité. C’est ainsi
que les paroles de sa grand-mère s’avèrent indispensables et profitables pour elle : « Sa grandmère avait raison, elle ne devait pas fuir, jusqu’à présent elle n’avait fait que courir après des
40
ombres, la réponse n’était ici, l’exil lui avait bien plus appris qu’elle ne le croyait, l’exil était et
serait toujours son ami, il lui avait appris à chercher ses racines » (Houari, 83). L’exil donne à
Zeida une image positive puisqu’il n’est plus pour elle un ennemi mais un ami qui lui fait
découvrir que ses propres racines se trouvent entre deux mondes qui l’habitent. Ainsi, l’auteur à
travers le personnage de Zeida, met en relief une identité qui ne peut pas se limiter seulement au
concept de l’occident. Il est donc important de mettre en relation les cordes qui séparent les
langues européennes et africaines. Ce geste pourrait mettre fin à la fragmentation et faire naître
un nouveau regard sur le monde environnant.
b. Revendication d’un moi hybride par le style
Aujourd’hui, force est de constater que des écrivains de la deuxième génération
proclament le droit à la diversité culturelle, le respect de la différence et la relation entre
plusieurs cultures. Cet esprit de décentration met donc en évidence le développement d’un
métissage littéraire qui prend en compte l’intégration des différences linguistiques et culturelles
des Africains dans les milieux occidentaux. En effet, la langue qu’utilisent dans leurs récits,
Begag, Belghoul, Houari, entre autres, veut mettre en valeur cette ambivalence. Par exemple, le
choix d’une narratrice enfant autorise Belghoul d’écrire dans son récit, certaines erreurs comme
« la sonne cloche » au lieu de « la cloche sonne » car elles sont celles d’une petite qui ne peut
encore ni lire ni écrire, mais qui a assez d’idées pour se raconter (Durmelat cité ds. Laronde, 35).
Ailleurs, ce choix nous indique que malgré la rigidité et la rigueur dans l’utilisation de la langue
française, il doit y avoir une certaine relation entre l’école qui représente l’espace public et la
maison, celle de l’autorité privée. De ce point de vue, l’on peut penser que non seulement les
erreurs sont acceptables mais qu’elles contribuent à la décrispation de l’atmosphère déjà tendue
et à l’interaction entre le dominé et le dominant. Néanmoins, ce qui importe est de se demander
41
qu’elle est l’identité du destinataire à qui l’on veut s’adresser et comment tenir compte de ses
besoins communicatifs. C’est ce que l’occident a oublié ou refusé de faire, mettant ainsi en état
de crise sa politique traditionnelle.
Samba Diallo dans L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, rappelle qu’il n’est pas
un pays des Diallobés distinct, face à un Occident distinct, mais qu’il est devenu les deux (Kane,
1961). Ce sentiment d’embarras de choix des protagonistes qui s’écarte d’une identité fixe
nécessite la reformulation d’un moi qui n’est plus simple mais complexe. C’est ce que démontre
Begag par l’intermédiaire d’Azouz qui, dans le choix de son langage arabo-français, rappelle à
monsieur Grand qu’ « on a aussi besoin d’un chritte et d’une kaissa » (Begag 95) c’est-à-dire un
gant de toilette et un gant de crin. De ce point de vue, l’utilisation des mots français et arabes
sous-entend un croisement ou mieux encore un métissage des éléments séparés, à savoir deux
langues et deux cultures.
c. La place des langues africaines dans le métissage culturel
En outre lorsqu’on parle de l’identité, il faut également penser à l’usage de la langue qui est
l’autre élément faisant partie du métissage culturel africain. Elle est non seulement un moyen de
communication, mais pour un écrivain, elle est et demeure surtout un moyen de transformation
(Djebar, 49). Il doit à cet effet défendre la diversité puis encourager l’acceptation par les citoyens
de leurs différences au sein d’un même ensemble (Gourévitch, 440) comme à l’image de la
francophonie. Cependant, l’on s’étonne parfois de voir que la langue maternelle du colonisé qui
recèle tout ce qu’il a comme sensations, passions et rêves est la moins valorisée. Comme le dit
Derrida, pour les sujets colonisés, le maître prenait d’abord et en particulier la figure d’un maître
d’école dont la mission était de transmettre l’amour du beau langage et des belles lettres
42
(Derrida, 1996). Il s’est doté des moyens possibles pour la transformation de l’immigré
maghrébin en homme autonome capable de maîtriser une langue non maternelle. Ce dernier se
trouve donc dans l’incapacité d’écrire dans la langue de ses ancêtres car c’est une langue
essentiellement orale encore proche de ses origines rurales. Les conditions matérielles de son
existence et la déformation de son moi lui font incarner l’incapacité et le refus de s’en servir. S’il
s’obstine à écrire dans sa langue, il risque de s’adresser à un auditoire de sourds. La seule chance
qui lui est donné c’est de continuer à écrire dans la langue française au point de gommer toute
forme d’expressivité dans le vocabulaire ou la syntaxe qui pourrait évoquer ses origines. Dans ce
contexte, la recherche de l’utilisation du français par un tel individu soumis loin d’être le signe
d’une aliénation ou d’une imitation, devient au contraire un moyen de revanche sociale où
l’élève cherche à égaler voire surpasser le maître dans une sorte de surenchère avec lui
(Christiane Albert cité ds. Bonnemaison-Richard et Laporte, 2009).
Mais, le problème qui se pose est que le colonisé continue d’écrire pour un autre peuple que
le sien et pour les vainqueurs de son peuple, d’où la nécessité pour la nouvelle génération
d’essayer d’écrire dans la langue maternelle, celle qui l’enlève de l’état où l’a trouvé le
colonisateur. Le moyen pour sortir de cette impasse identitaire comme le propose Senghor dans
la postface d’Ethiopique, c’est de s’approprier le français et de « retourner boire à la source » en
imprimant à cette langue, des rythmes ou des images appartenant à l’univers culturel africain
(Senghor, 1956, p. 153). De ce point de vue, il s’avère nécessaire de se servir de la traduction
comme un acte permettant de croiser ou de métisser des éléments qui sont séparés à savoir deux
langues, deux moyens de communication et deux cultures, ce que Glissant qualifie d’ « une
pratique nouvelle et imparable du précieux métissage culturel » (Glissant, 45). Les récits
d’Azouz Begag (Le Gone du Chaâba), de Farida Belghoul (Georgette!), de Leila Sebbar (C’était
43
leur France : En Algérie avant l’indépendance) et de Medhi Charef (Le Thé au harem d’Archi
Ahmed), entre autres, marquent cette véritable ambivalence. Par exemple dans le récit de Charef,
Madjid est « convaincu qu’il n’est ni arabe ni français. Il est fils d’immigrés, paumé entre deux
cultures, deux histoires, deux langues, deux couleurs de peau, ni blanc, ni noir, à s’inventer ses
propres racines » (Laronde, 23).
Du reste, lorsqu’on parle de cultures métissées, ce n’est pas pour définir une catégorie
particulière qui s’opposerait à d’autres catégories, mais pour affirmer l’ouverture d’une approche
infinie de la relation, comme conscience et comme projet, comme théorie et comme réalité
(Glissant, 428). C’est pour cela que l’espace des langues africaines doit être semblable à un
instrument de reformulation identitaire pour le pays dominant et le pays dominé, celui qui tient
compte de tous les aspects d’un moi hybride s’adaptant à une expression culturelle diversifiée.
De plus, dans le récit Le Gone du Chaâba, Azouz le jeune héros tiraillé entre deux cultures et
deux langues va pourtant trouver de l’aide à l’intérieur même de l’institution scolaire. Loin de se
moquer de lui lorsqu’il utilise des mots appartenant à un registre tout à fait différent tels que
chritte et kaissa (95), monsieur Grand, l’instituteur, l’encourage à se tirer d’affaire : « - C’est
bien de nous avoir appris ça, en tout cas ! » (96). Mieux encore, son professeur de français,
monsieur Loubon, pied-noir d’origine, qui parle et écrit l’arabe, établit avec lui un véritable
rapport entre leurs identités, voire leurs origines et leurs langues : « moi je suis français et je suis
né en Algérie, et vous, vous êtes né à Lyon mais vous êtes algérien » (202). D’une part, l’école
reste non seulement pour Azouz la place privilégiée de l’échange social, mais aussi le point de
rencontre entre le monde du Chaâba et la société dominante. D’autre part, elle demeure pour lui,
le lieu où il arrive à sortir de l’exclusion et du déchirement pour mieux se recentrer et mettre en
valeur les rapports sociolinguistiques entre l’Algérie son pays d’origine et la France sa terre
44
d’accueil. Tout au long de son récit, Begag se sert des mots ayant des valeurs linguistiques qui ne
coïncident pas toujours avec la norme scolaire comme par exemples le chritte, le kaissa (95) pour
désigner des gants de toilette, un Gaouri (102) pour désigner un Français. Bien qu’il reconnaisse
qu’il y a certains de ces mots qui n’ont pas d’équivalence dans la langue du maître (58), Begag
arrive à se tirer d’affaire en essayant de les normaliser. C’est la dynamique de recentration qui,
selon Laronde, n’est pas synonyme de rupture avec les origines (Laronde, 119), mais un acte qui
rappelle qu’il doit y avoir un certain point de rencontre et une certaine solidarité entre l’arabe et
le français. Comme le souligne Marie-Claude Smouts dans son ouvrage qui s’intitule La
situation postcoloniale, il est nécessaire que le présent et le passé, l’interne et l’externe
s’interpénètrent. C’est un acte qui, dans un esprit de pluralisme social et culturel, doit englober
toutes les phases de la colonisation à savoir : le temps des empires, le temps des indépendances,
la période qui a suivi ces indépendances, le temps d’aujourd’hui (Smouts, 31-32). Ceci pourra
favoriser la poursuite des études postcoloniales en considérant les histoires particulières autant
que l’histoire de la colonisation, les acteurs de même que les structures. Ailleurs, cet acte de
reconnaissance réciproque pourra permettre aux Français de regarder au-delà des querelles
intestines afin de redonner aux peuples dominés leur place dans l’histoire, leur culture et leur
dignité (33).
45
ANALYSE ET CONCLUSION
Certes, l’apprentissage de la langue française mais aussi et surtout sa maîtrise parfaite
sont devenus pour l’immigré africain, une nécessité absolue de pouvoir se tailler une place dans
un monde qu’il connaît à peine. Cependant, l’histoire coloniale et postcoloniale nous indique que
des rencontres qui ont eu et qui continuent d’avoir lieu entre l’Afrique et l’Occident dans
plusieurs domaines, notamment dans les domaines politique, social et culturel ont souvent été
problématiques, ce qui nous renvoie à faire une analyse profonde d’une telle situation. Notre
regard sur le concept du métissage culturel n’est pas de reproduire un portrait du drame colonial
vécu par le colonisateur et le colonisé. Il s’agit plutôt de voir si des efforts ont été fournis pour
l’intégration du colonisé dans le domaine socio-culturel à partir des rencontres après les
indépendances africaines.
Il ne fait aucun doute que la présence des immigrés a toujours évoqué des problèmes
d’intégration tant sur le plan social que sur le plan culturel car un certain nombre d’immigrés ne
parlent pas la langue française à leur arrivée et vivent uniquement dans leur communauté
d’origine. Dans le camp des Français d’origine française, il y a une prédominance du droit du
sang sur le droit du sol qui selon les relations coloniales lie la France à l’Afrique et qui constitue
le fondement même de cette immigration. Ainsi, au lieu de la politique de coopération et de la
cohabitation que la France entretient avec les nouveaux états indépendants d’Afrique, s’instaure
une politique du bouclier qui consiste à préserver la langue française contre l’invasion culturelle
de l’étranger africain dont le talent constitue pourtant un atout pour le développement et le
rayonnement de la France. Les années 1960 voient donc se développer dans la littérature
d’Afrique francophone subsaharienne, le thème de l’insertion difficile du jeune étudiant en
France lorsque nous faisons référence à l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou à côté de celui
46
de l’oppression avec Les Damnés de la terre (1961) ou Peau noire, masques blancs 1952) de
Frantz Fanon. En effet, Fanon met l’accent sur la violence psychique qui consiste à imposer une
langue étrangère au colonisé, un acte synonyme d’une aliénation par rapport à sa culture locale et
d’une errance dans un monde de l’entre-deux (Richardson, 25). Les pays du Maghreb ne font pas
exception à un tel mécanisme dont le but consiste à obliger l’autre à rompre avec sa langue
d’origine pour se faire domestiquer dans un style purement occidental. Les récits de Houari, de
Belghoul et de Begag mettent en relief la conformité à des modèles homogènes dont le résultat
ne peut qu’accroître le malaise identitaire de leurs personnages. La vie quotidienne des
protagonistes entre deux mondes européen et maghrébin est remise en cause du fait qu’on exige
d’eux un mode de vie singulier, d’où la nécessité de créer une identité nouvelle qui ne se limite
pas au stade péjoratif entre le sujet et l’objet.
L’héroïne de Houari tente de créer son moi à partir des espaces géographiques belge et
marocain. Cependant, le monde intérieur de Zeida traversé par deux cultures va rendre son choix
entre une identité féminine belge et marocaine irréalisable. L’échec de l’héroïne de reformuler
son corps dans les deux espaces n’est en fait qu’une manière pour Houari de revendiquer un
féminisme qui doit s’ouvrir sur une identité plurielle. En ce qui concerne l’héroïne de Belghoul,
l’espace scolaire la force à vivre dans une culture qui se distingue de celle de l’espace familiale
jugée inférieure. Cependant, Georgette dont la vie quotidienne se passe entre deux forces, celles
du père et celle de la maîtresse, refuse de se limiter au modèle scolaire et plus précisément à une
écriture qui la condamne à une identité unique. Pour ne pas succomber à une écriture qui
déculturalise, la fin du récit se termine par la mort de l’héroïne. Cette mort incarne en quelque
sorte le symbole d’une rupture avec d’une mentalité homogène qui n’offre pas à Belghoul la
chance de reconstruire sa vraie identité.
47
Pour en venir à Begag, le récit semble évoquer que le personnage d’Azouz devient
l’enfant modèle d’une acculturation réussie. Ce dernier qui est issu des cultures algérienne et
française est séduit dès son passage à l’école par la culture de la société dominante jugée
supérieure. Cependant, après analyse du récit, nous remarquons que son assimilation a eu lieu
sous l’effet d’un mécanisme d’intimidation, ce qui engendre un choix forcé plutôt que délibéré.
La reformulation des conventions simplifiées et homogènes qui voit Azouz toujours avec les
Français (Begag, 92) et qui obéit au doigt et à l’œil à M. Grand (103) ne relève que du domaine
de l’illusion. Dans l’entremise de l’espace littéraire, Begag démontre que l’écriture originale est
celle qui provient d’une langue située au carrefour de la rencontre entre deux mondes arabe et
français, ce qui permet de faire valoir une subjectivité réelle. Azouz trouve la réalité identitaire à
travers cette rencontre qui le révèle comme un produit de deux cultures. Par ce style « -M’sieur,
on a aussi besoin d’un chritte et d’une kaissa » (95), Begag arrive à se débarrasser d’une langue
académique qu’il perçoit comme passive et moins ouverte à l’expression identitaire dynamique
et plurielle. Son récit incarne donc la revendication d’une diversité culturelle, le droit à la
différence et l’ajustement des mentalités occidentales à de nouvelles théories sur l’identité. Tel
doit normalement fonctionner le statut de la francophonie qui malheureusement demeure encore
ambigu du fait que la France continue de dominer ses anciens territoires coloniaux.
De la même manière que les écrivains subsahariens et maghrébins réclament leur identité
à travers leurs récits, il faut signaler que d’autres immigrés choisissent de le faire par le biais du
sport. La référence est par exemple, l’épopée du tennisman Franco-Camerounais Yannick Noah,
vainqueur en 1983 à Roland-Garros. Elle est aussi celle des vedettes du football de l’équipe de
France qui en 1998 remporte le tournoi de coupe du monde. Il s’agit des Beurs Zinedine Zidane,
Samir Nasri, des Africains Patrick Vieira, Marcel Desailly, Claude Makélélé, puis des
48
ressortissants des Dom-Tom (Département d’Outre-Mer et Territoire d’Outre-Mer) antillais,
réunionnais, canaques, guyanais et guadeloupéens Thierry Henri, William Gallas, Christian
Karembeu et Lilian Thuram (Gourévitch, 2009, 336-337). En effet, le football valorise non
seulement la performance individuelle, le travail d’équipe, la solidarité, la répartition des tâches,
mais aussi et surtout la chance de gagner. De ce fait, l’emploi des sportifs étrangers en France
nous fait poser la question de savoir si l’on peut annuler les différences culturelles.
Si le terme « métis » a été longtemps péjoratif, il semble que le métissage doit se traduire
aujourd’hui par des valeurs d’hybridité, d’égalité et de tolérance car nul territoire n’est à l’abri du
phénomène du métissage, du mélange entre les peuples dont les valeurs sont multiples. DuclotClément pense que le métissage indique simultanément la figure du métis et la notion de création
par ce mélange, la rencontre entre deux entités différentes. Selon elle, les analyses critiques qui
présentent le métissage comme un lieu d’articulation et de transformation doivent faire de
l’identité métisse discriminée une identité célébrée en quête d’autonomie et de valorisation
(Duclot-Clément cité ds. Clavaron, 49). De plus, Bessière dans son analyse sur le métissage et
ses ambivalences, souligne que le terme de métissage se substitue à celui d’exotique ou qu’il
traduit aujourd’hui une perte culturelle des différences, ce qui peut se formuler par le
déracinement de toutes les identités, préalable à la planétarisation ou à la mondialisation.
(Bessière, 2005). Le métissage culturel peut donc se percevoir comme la rencontre et l’union de
deux êtres différents ayant participé à une même histoire, celle de la colonisation.
Ailleurs, ce qui importe c’est de voir le colonisateur et le colonisé regarder au-delà de
leurs querelles intestines pour repenser leurs expériences historiques, celles qui dépassent les
conflits racistes et qui fait de la France une nation qui prône la coexistence de différentes cultures
ethniques de façon globale sans distinction de race, de sexe et de religion (Rosello, 140-144).
49
C’est le lieu de rejoindre l’idée d’Abécassis qui, en s’inspirant de l’humanisme de Montaigne,
place Esther, l’héroïne de son récit dans une position où elle pouvait trouver une réponse à sa
question identitaire ; le point de départ qui est l’homme, et le point d’aboutissement, l’homme,
cet homme universel qui réunissait tous les hommes, quels que soient les peuples et les religions
auxquels ils appartenaient (Abécassis, 43). Ce qui compte pour elle, ce ne sont pas les
particularités, la couleur de la peau et l’origine, mais plutôt ce qui fait que malgré les
singularités, chacun peut se reconnaître en l’Autre. Ainsi, dans l’esprit de voir l’écriture
référentielle prendre le pas sur celle qui est formelle, Moura propose que cela se fasse dans un
esprit de dialogue entre plusieurs cultures et qu’il existe une fusion des voix qui s’opère sur la
base d’une pluralité linguistique et d’une interaction générale entre le dominant et le dominé
(Moura, 3).
Somme toute, le monde a actuellement soif de liberté et d’union. Ce qui importe, c’est le
sentiment d’indépendance, l’absence d’infériorité et la possibilité pour chaque peuple de se
développer suivant ses intérêts mais aussi suivant ses tendances profondes. Aussi, faut-il
reconnaître que la civilisation, pour rester vivante et humaine doit, selon Hubert Deschamps, être
irriguée de courants divers (Deschamps, 126). Le modèle occidental ne sera universel qu’en se
traduisant sur des formes multiples permettant de mieux comprendre ce qui définit une identité
culturelle. L’on aimerait voir, selon les idéaux de la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme, un monde cosmopolite dans lequel la promotion des interactions entre les personnes
opposées ou hostiles les unes aux autres converge vers une unité culturelle, intellectuelle et
politique de toute l’humanité (Balibar, 216-217). Aujourd’hui, l’écriture entre les pays d’origine
et les pays d’accueil incarne la revendication d’une diversité culturelle, le droit à la différence et
la rupture avec des idées préfabriquées. Les écrivains de la deuxième génération annoncent le
50
temps où doivent se rejoindre les cultures afin de mettre en valeur tous les canaux qui entrent
dans la composition du moi des personnages. C’est uniquement cette manière de penser qui va
doter leur subjectivité d’un pouvoir naturel et réel. Patricia Geesey dans ses recherches
concernant une telle situation pense que les espaces culturels qui émergent dans la période
postcoloniale posent des problèmes d’intégration sociale et de l’acceptation de l’autre.
Cependant, la chose la plus civilisée que l’occident doit faire au début de ce millénium
postcolonial et post-moderne d’après elle, c’est de reconnaître d’une part que les immigrés
africains sont impliqués des deux côtés de l’équation identitaire. D’autre part, c’est d’explorer la
complémentarité et l’interdépendance entre les nouvelles tendances littéraires qui sont produites
par l’hétérogénéité croissante de la composition ethnique de la France (Geesey, 1999).
En effet, la langue de Molière en rapport avec la francophonie doit exalter
l’universalisme d’un mariage entre la France et l’Afrique. Certes, la vocation de la francophonie
doit être interculturelle. Elle nécessite une révision dans son concept et dans ses institutions afin
de mieux s’adapter aux réalités linguistiques du moment. Aujourd’hui, le temps est venu pour les
Français de France et ceux des pays francophones de se décomplexer et de se mobiliser
davantage pour porter à travers le monde leur expérience culturelle repensée et rénovée dans le
respect et le partage des diversités culturelles. Ainsi, les études postcoloniales mettront plutôt en
avant un français conçu comme langue au pluriel dépourvu d’un centre qui n’est pas
indispensable pour la communication entre ceux qui en font l’usage. Cette langue, selon Fénelon,
« n’est qu’un mélange de grec, de latin et de tudesque, avec quelques restes confus de gaulois»
auquel il faut ajouter des éléments orientaux, africains et caribéens et ne plus considérer l’anglais
comme un ennemi mortel (Smouts, 102). Les ouvrages issus de l’immigration tels que Le Gone
du Chaâba et Zeida de nulle part interrogent donc une société européenne, surtout française qui
51
malgré toutes ses promesses faites à ceux qui ont combattu pour ses intérêts, refuse d’adopter
une notion de multiculturalité et de voir l’identité comme un processus qui se construit dans la
globalité.
Tout compte fait, le terme « identité » aujourd’hui est questionnant lorsque l’on sait que
l’Europe et la France sont des entités politiques qui parlent autant de langues, sinon plus, qu’elles
ne comportent de pays. Ce multilinguisme est le fond du métissage culturel qu’il s’agit de
respecter, d’échanger et de mélanger. La meilleure façon pour y parvenir, selon Julia KristevaJoyaux, est de conduire une politique plus décomplexée de la langue française et de la
Francophonie en France et à l’extérieur, d’organiser effectivement l’enseignement de deux
langues vivantes dans l’enseignement secondaire et supérieur français puis de recourir
massivement à la traduction, à l’interprétation et au sous-titrage (Kristeva-Joyaux, 2009). Le
débat est alors lancé et il a pour objectif, l’éveil des consciences sociales européennes sur une
identité culturelle plus ouverte et plus diversifiée. Néanmoins, la question qui se pose est de
savoir si l’hexagone entend les nouvelles voix qui émergent aujourd’hui dans les profondeurs de
l’espace francophone et s’il pense ouvrir les portes pour l’existence durable de cette nouvelle
culture à identité multiple.
52
BIBLIOGRAPHIE
53
BIBLIOGRAPHIE
Corpus
Begag, Azouz. Le Gone du Chaâba. Paris : Editions du Seuil. 1986. Print.
Houari, Leïla. Zeida de nulle part. Paris : L’Harmattan. 1985. Print.
Textes secondaires
Belghoul, Farida. Georgette! Paris: Barrault. 1986. Print.
Sebbar, Leila. C’était leur France : En Algérie avant l’indépendance. Paris:
Gallimard. 2007. Print.
Ouvrages cités
Abécassis, Eliette. Sépharade. Paris : Editions Albin Michel. 2009. Print.
Babana-Hampton, Safoi dans Redouane, Najib et Benayoun-Szmidt, Yvette. La
généalogie tourmentée du harki chez Zahia Rahmani : Mémoire du soldat inconnu.
Michigan State U, 2013.
Begag, Azouz. Le Gone du Chaâba. Paris : Editions du Seuil. 1986. Print.
Chevrier, Jacques. « Francophonie et littérature comparée, vers de nouvelles aventures »,
Bulletin de liaison et d’information de la société française de littérature générale et
comparée. no 12, printemps 1992, p.14.
Clavaron, Yves et Bernard Dieterle. Métissages littéraires. Publications de l’Université de SaintEtienne, France. 2005. Michigan State U. Web. June 2014. .
Clerc, Jeanne-Marie. Le renouveau de la parole identitaire. Montpellier : Université Paul Valéry,
1993. Print.
Diome, Fatou. Le Ventre de l’Atlantique. Paris : Ed. Anne Marie Carrière. 2003. Print.
Kane, Cheikh Hamidou. L’aventure ambiguë. Paris : Union Générale d’Editions. 1961. Print.
Laronde, Michel. L’écriture décentrée. La langue de l’autre dans le roman contemporain. Paris :
L’Harmattan. 1996. Print.
Moura, Jean-Marc. Littératures francophones et théorie postcoloniale: L’hybridation.
QUADRIGE / PUF. 150-172. n.d.
_____ . Littératures francophones et théorie postcoloniale. QUADRIGE / PUF. 1-22. n.d.
54
Rahmani, Zahia. Moze. Paris : Sabine Wespieser Editeur. 2003. Print.
Redouane, Najib et Benayoun-Szmidt, Yvette. (2012). Qu’en est-il de la littérature « Beur » au
féminin? Paris : France, L’Harmattan. http://www.librairicharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
Sartre, Jean-Paul. Qu’est-ce que la littérature ? Paris : Gallimard. 1948. Print.
Ouvrages consultés
Balibar, Etienne. Toward a diasporic citizen? From internationalism to cosmopolitics.
The Creolization of Theory. Duke University Press. 2011. Web. June 2014. < http:
//www.msu.edu/ >.
Benaïssa, Aïcha, Ponchelet, Sophie. Née en France : Histoire d’une jeune beur. Paris : Editions
Payot. 1990. Print.
Bessière, Jean. Métissages littéraires. Notes sur le métissage et sur ses ambivalences critiques
aujourd’hui. Pour une mise en perspective littéraire comparatiste. Paris : Publications de
l’Université de Saint-Etienne. 2005. Michigan State U. Web. June. 2014. .
Bessora, Sandrine. 53 cm. Paris : Serpent à plumes. 1999. Print.
Bhabha, Homi. The Location of Culture. New York: Routledge, 1994. 40-197. Web. 19 Dec.
2014. < http: //www.msu.edu/ >.
Blachère, Jean-Claude. “La ‘langue du peuple’ dans le roman négro-africain d’expression
française". Le renouveau de la parole identitaire. Ed. Mireille Calle-Gruber et JeanneMarie Clerc. Montpellier : Université Paul Valéry, 1993. 33-48.
Bonnemaison-Richard, Sébastien, et Laporte, Nadine. « Ecrire en couleur : Altérité et écriture
chez Albert Memmi.» La langue de l’autre. PUP. 2009. 1-10. Michigan State U. Web. 12
Feb 2015.
Caduc, Eveline. La Maison des chacals. Paris: Editions du Rocher. 2006. Print
Charef, Medhi. Le Thé au harem d’Archi Ahmed. Paris : Gallimard. 1983. Print.
Derrida, Jacques. Le monolinguisme de l’autre. Ed. Galilée. 1996. Print.
Deschamps, Hubert. La fin des empires coloniaux. Paris : PUF. 1950. Print.
Djebar, Assia. “Le roman maghrébin francophone. Entre les langues, entre les cultures :
Quarante ans d’un parcours : Assia Djebar. 1957-1997", diss., Université Paul
Valéry, 1999. Michigan State U. Web. 12 June 2014.
55
Fanon, Frantz. Les damnés de la terre. Paris: Editions La Découverte. n. d. 39-243. Web. Spring
2015.
«Francophonies: Résumés des communications.» francophonie-s.blogspot.com/2011/04/résumésdes-communications.html. Michigan State U. Web. 2 Feb. 2015. http://www.msu.edu/>.
Forsdick, Charles & Murphy, David. Francophone Postcolonial Studies. A Critical Introduction.
New York: Oxford University Press. 2003. Print.
Gazabon, Benoît. Identité et appartenance culturelles : incidences sur l’enseignement d’une
langue maternelle. » Revue de l’ACLA. 17 (1995) : 11-21
Geesey, Patricia. “L'écriture décentrée: La langue de l'Autre dans le roman
contemporain.” Research in African Literatures. Fall 1999. 30.3. ProQuest. Michigan
State U. Web. 2 Feb. 2015. .
Gillette, Alain et Abdelmalek Sayad. L’immigration algérienne en France. Paris : éditions
entente. 1976. Print.
Glissant, Edouard. Le discours antillais. Paris: Gallimard. 1997. 418-439. Web. June 2014. <
http: //www.msu.edu/ >.
______. Introduction à une poétique du divers. Paris : Gallimard. 1996. Print.
Gourdeau, Jean-Pierre. La littérature négro-africaine. Paris: Collection
Thema/anthologie. 1973. Print.
Gourévitch, Jean-Paul. Les Africains de France. Paris: Acropole. 2009. Print.
Hall, Stuart. Cultural identity and diaspora. New York: Columbia University Press.
1994. Web. June 2014. < http: //www.msu.edu/ >.
Kassovitz, Mathieu. « La Haine. » Online video clip. YouTube. YouTube, 31 May 1995. Web.
Printemps 2014.
Kesteloot, Lilyan. Anthologie négro-africaine. Paris : Marabout Université. 1967.
Print.
Kristeva-Joyaux, Julia. Le message culturel de la France et la vocation interculturelle de la
francophonie. Paris: Journaux Officiels. 2009. Michigan State U. Web. 2 Feb. 2015.
.
Laronde, Michel. Rethinking Reading, Writing, and a Moral Code in Contemporary France:
Postcolonializing High Culture in the Schools of the Republic. Lanham: Lexington
Books. 2014. Print.
56
Leeman, Danielle. “Interaction. Professeur-Etudiant/Etudiant-Professeur. Et didactique de la
grammaire dans l’enseignement supérieur". Etudes Littéraires Maghrébines. 6 (1995):
147-157. Michigan State U. Web. 13 June 2014.
Memmi, Albert. Portrait du colonisé, Portrait du colonisateur. Paris : Buchet/Chastel. 1957.
Print.
Moura, Jean-Marc. Littératures francophones et théorie postcoloniale. Paris: PUF.
1999. Print.
Norman, Buford. FLS. Origins and Identities in French Literature. Volume XXVI. AmsterdamAtlanta: Rodopi, 1999. Print.
O’Riley, Michael F. (Re) Drawing the Borders of French National Identity: Transmission
Problems in “Beur” Literature. cf. Buford Norman. Origins and Identities in French
Literature. Vol.26. Amsterdam-Atlanta: Rodopi, 1999. 109-122. Print.
Polet, Grégoire. L’atlas du monde. Paris : Gallimard. 2007. 124-137. Web. June 2014. < http:
//www.msu.edu/ >.
Richardson, Sonia Delphine. Réalités et fictions du travail de l'immigré subsaharien dans la
France Postcoloniale. ProQuest, UMI Dissertations Publishing, 2010.
Rosello, Mireille. Tactical universalism and new multiculturalist claims in postcolonial
France. New York: Oxford University Press. 2003. Web. June 2014. < http:
//www.msu.edu/ >.
Ruscio, Alain. La décolonisation tragique. Paris : Messidor/Editions sociales. 1987. Print.
Sahli, Kamal. Francophone Voices. Elm Bank Publications. 1999. Print.
Sartre, Jean-Paul. « Orphée noir ». Introduction à Léopold Sédar Senghor. Anthologie de la
nouvelle poésie nègre et malgache de langue française. 1948, rééd. Paris : PUF. 1985.
Print.
Senghor, Léopold Sédar. « Comme des lamantins vont boire à la source. » Ethiopiques. Paris :
Seuil. 1956. Print.
Smouts, Marie-Claude. La situation postcoloniale. Paris: Sciences Po. 2007. Print.
Tarozzi-Goldsmith, Marcella. Nonrepresentational Forms of the Comic: Humor, Irony,
and Jokes. New York: Peter Lang Publishing Inc. 1991. Print.
Todorov, Tzvetan. Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine. Paris:
Seuil. 1989. Print.
57