1 '.'IIIII'IIII|IDI§IIIII LIBRARY Michigan State ' University PLACE IN RETURN BOX to remove this checkout from your record. To AVOID PINS return on or before date due. MAY BE RECALLED with earlier due date if requested. DATE DUE DATE DUE DATE DUE moo animus-p14 .--.—-o- ‘ u ”C... 5L - LA.REPRESENTATION DE LA FEMME CHEZ RETIF DE LA BRETONNE ET ISABELLE DE CHARRIERE: UNE REBELLION CONTRE LE SILENCE BY Catherine Tamareille A DISSERTATION Submitted to Michigan State University In partial fulfillment of the requirements for the degree of DOCTOR OF PHILOSOPHY Department of Romance and Classical Languages 1999 "‘L. O..- (I) ' "“ .9. .E~.:SEQO.‘ - :~~.~A. .' a ‘.&'.-.‘ ..A D .. I. . ' a n' Qt. ...\- ‘- .n I 0‘ . n \."; a a iota»... ‘. c..~ ... .A’QI ‘ " ~ :~ .,, b5.~~‘ . ‘ § 5.- “‘v..__ .. \ Q‘fi..:.: E vuh.“ U..‘\ ABSTRACT LA REPRESENTATION DE LA FEMME CHEZ RETIF DE LA BRETONNE ET ISABELLE DE CHARRIERE: UNE REBELLION CONTRE LE SILENCE BY Catherine Tamareille This dissertation involves a study of the representation of women in the late eighteenth-century fiction and a contrast of those images of women projected in the writings of Rétif de la Bretonne (1734—1812) and Isabelle de Charriere (1740-1805). The study proposes to examine the masculine'viewpoint of Rétif and the feminine perspective of Charriere in the light of gender, genre and narrative techniques. The texts chosen for this project illustrate the authors' common preoccupation with the power structures, which determine male/female relations. In Lg Pornographe, Les Contemporaines and La Paysanne pervertie, Rétif exposes female confinement as the basis of the new bourgeois ideology. In her epistolary novels (Les Lettres de Mistriss Henley, Les Lettres neuchateloises, Les Lettres écrites de Lausanne) Charriére proposes ways to recast the socio-sexual codes of patriarcal society. While letters and tales serve Rétif to affirm male domination in the new Inn'q-A' p: .‘onivuoh d o . O a 2’ C " -' ubouuvodo ‘ .':.A'I -; “.Ubvb-.’ .A-'-.‘F. . .- :‘v 9.. h 6.4.-. .~ - ._ bourgeois social order, the openness of Charriére's epistolary novels allows her to disclose the constraints generally imposed upon women's lives. This dissertation seeks to locate itself in the intersection between the historical and the formal by exploring the historical components relevant to the study of women in the works of Rétif and Charriere, and by applying a feminist approach to their texts. To my husband Gary and my daughter Claire Av-.g.."~ ’ \ A ""-‘-a‘-_ . , ‘ . r" ‘ 9. "F a .-"~‘“H .‘ "‘"v. ., V‘... " ‘ o ACKNOWLEDGMENTS I would like to express my appreciation to all the people who helped me completing this dissertation. I am especially grateful to my director, Professor Herbert Josephs for his outstanding editorial and critical expertise and to my husband for his continuous support throughout this long journey. .‘m Ahov-o oo‘o. .g. ' . D'°\ --—. . - , I d I In-.. 0-. . ; P a- 5 o v - ‘ “ii A O. ‘ A ~. . o . ‘4 A -I‘»- Mo“--- . --r 'H 91-...-. ". ‘Q- - :- .n C ~-_'~ .‘ A. V :A o.“' 9 q ~C ~~~ " r 53 . " -- q n I. .N ‘ bu“ — -‘ “ A.‘ . . - Vs. ‘ p- -.. C . 4. ha ”‘5‘ V A q .- ~~° ‘v 3“ u.‘ \‘A w ‘v ‘Q ‘ - A ‘5 f5“ ~‘J‘~ ‘0“! TABLE OF CONTENTS INTRODUCTION 1 CHAPTER 1 IMAGES DE LA FEMME AVANT 1780 27 Le principe d'égalité selon Poulain de la Barre ............... 31 La question de la femme chez les philosophes ..................... 35 La femme comme mystere chez Diderot 44 Laclos ou comment restreindre l'effort féminin .................. 54 CHAPTER 2 L'IMAGE DE LA FEMME CHEZ RETIF DE LA BRETONNE 63 Place de la femme dans la cosmogonie restivienne ............ 63 Les Contemporaines 85 La Paysanne pervertie 101 CHAPTER 3 MADAME DE CHARRIERE ET LA TRADITION EPISTOLAIRE 128 Du sacrifice a l'affirmation de soi: Julianne et Marianne des Lettres neuchateloises 136 Les Lettres de.Mistriss Henley’ on l'effacement de la femme dans le mariage 154 Les Lettres écrites de Lausanne ou la reconnaissance de la voix feminine 175 CONCLUSION 206 BIBLIOGRAPHY 215 -~ - u ‘A-".:’. .".-‘o¢. - o ..A- - ‘3' - a .. ~.~-- - b . :A.-‘c~’ :- bvoo..-‘.. ‘. . ~”. - \ h ' ~~ .- DbQD-“‘-. . O 2%-“ . ‘ .I ‘ «'5 1 d 1.,- .ra. \ ”é -o h ' \‘. V ‘ D ' s s: “ y“e “ A' . .e“ “'“‘P“ \‘.= ‘ ‘I‘S ‘4 ‘ “‘:’ Q 5‘ c‘ ¢-~° bu. . ‘. \I“““ s ‘ ‘ ‘E ‘ “E is. INTRODUCTION "Le bonheur d'une femme est d'aimer son mari et d'en étre aimeé".1 Tel est le conseil maternel adressé a la future Princesse de Cleves. Une simple phrase qui animera pourtant le débat sur la question de la femme aux dix- septieme et dix-huitieme siecles. Le rOle de la femme, sa fonction et ses besoins constituent en effet les themes privilégiés du monde littéraire a l'époque classique et au siecle des Lumieres, siecle ou la femme est visiblement le centre de l'action, souvent manifeste des le titre meme de nombreux ouvrages.2 Les multiples études littéraires consacrées a la femme au dix-huitieme siecle confirment l'intérét porté a la question.3 L'image de la femme, ayant déja investi l'univers du récit depuis l'époque classique, s'installe au coeur des textes épistolaires qui triomphent dans la seconde moitié du siecle avec les chefs d'oeuvre comme La Nbuvelle Heloise (1761) et Les Liaisons dangereuses (1782). S'il est incontestable que la plupart des romans par lettres publiés entre 1761 et 1782 sont écrits par des écrivains masculins, les romancieres se plaisent aussi a tirer les ficelles du genre exploitant avec succes ses multiples ressources pour peindre la condition feminine telle qu'elles la ressentent dans la vie quotidienne. Plus '.'-o‘° c‘-'| 0’ an. "": 5 -:ova gr' :' u.uou '9'" ‘ o - .- -\ 60._" V. ‘9‘; V;- : our—IV. o.‘-- ‘ I:'O-~n ~ , r‘. o.-‘.. . - earner la RA' “d ~voJ ‘Fu." V~‘ qu'une simple mode qui s'éteindra au dix-neuviéme siecle, le genre épistolaire, avec sa multiplicité de points de vue et sa possibilité de dénouement ouvert, convient aux écrivains -hommes ou femmes- tentant d'imposer leur vision de la femme. Mais depuis ces quinze dernieres années, c'est particulierement 1e jeu de relations entre formes narratives et representation féminine au dix-huitieme siecle qui ne cesse de passionner la critique.4 Cette etude vise a examiner la flexibilité des genres narratifs, et particulierement celle de la forme épistolaire a l'égard de la representation feminine chez deux auteurs de la période pré-révolutionnaire, Isabelle de Charriere et Rétif de la Bretonne. Du conte au récit épistolaire, la femme investit le monde romanesque et son image complexe navigue entre deux tendances distinctes qui coexisteront pourtant jusqu'a la Revolution. La premiere de ces tendances repose sur un discours prive confinant la femme vertueuse dans le domaine du domestique; la seconde favorise au contraire un discours public ouvrant la femme sur le monde extérieur. Représentant une femme chaste, fidele et soumise, le discours de la vertu se fait porte-parole d'une nouvelle. mentalité, celle de la bourgeoisie. Nee d'un amour de liberté et d'une forte hostilité envers le monde aristocratique et feodal, la bourgeoisie s'est enrichie par .Anp an; Mud-vb . o '. I.- ';' I! r d‘oov-hv-Ov a -' uoOA—uy 2' \ 0 floats-1'. A. pu.v'.- UK b or. boigi- 0 "V' DOAn-y 4' s ‘ "..-~v-- . "'V‘.‘ A‘— - ‘ °6hd.o-... .‘o . I a “‘F‘ p: o¢ is...-‘- ‘A pp. . .~\ ' ‘V‘ :- "~'.""¢~ I o r:,. Sh"; O doob._‘.- '- ‘ . - q ‘ '1 g kg. ¢~.‘-. ~- ‘un: QIA.‘ o b ~h‘s ‘.‘ A 3 .:A ‘U ~V‘.S ‘V‘ “ 9 “e Y‘y. P's. ‘I\‘ “\a‘;‘ ‘ -“ V a ‘ s :‘H‘ \1 ~ . ‘\‘&A~ C c.‘ G s ~ ~ 5‘». s‘ A“. ‘. Tc. ‘~ 53 6“‘ ‘eg'?:. “5 r 1e négoce et a progressivement envahi les domaines du parlement et des finances. Elle a pénétré au sein méme de l'aristocratie grace a la catégorie sociale des "robins", les bourgeois cultivés qui formaient l'élite de l'aristocratie bourgeoise (Bénichou 152). La passion et l'irrationnel sont proscrits chez le bourgeois qui cultive au contraire le culte du travail, de la morale et du domestique.s Pour lutter contre la débauche de l'aristocratie et du peuple sous la Régence (1715-1723), la bourgeoisie établit une stricte education basée sur une morale chrétienne. Ce modele est renforcé chez les jeunes filles dont l'instruction, dans les anneés qui precedent la Revolution, est entreprise a la maison par les parents: la jeune bourgeoise est formée pour devenir une femme au foyer exemplaire. Cependant, la jeune fille du peuple est souvent forcée, par son indigence meme, 3 chercher du travail a l'extérieur. Face aux limitations imposées aux femmes par la mentalité bourgeoise, qui n'envisage la destinée feminine que sous un angle domestique, un noyau d'écrivains en vient a reconsidérer la place de la femme dans la société. Le principal objectif de ce travail est d'étudier comment le conflit entre l'épanouissement de la société bourgeoise et l'épanouissement de la femme eclate dans les structures narratives utilisées par les deux auteurs. A travers l'exploration d'éléments a la fois historiques et v... ‘A-’ . ‘ Int-F." ..~ .vaov“ Q. \ Cs cm a» a. .: . . s .3 I. e . a. .3. h: . S . . a. . . e s a. r. u o 9 9‘. Q Q . 5 .1 :u . . . e u.“ . ¢ ”i .4 . . .% ki. gnu V. n‘y F. 32‘.-. .I..; C" b h théoriques concernant la relation entre les deux sexes, cette etude se situe a l'intersection de deux méthodes: l'analyse culturelle et l'approche formelle. L'omniprésence de l'image de la femme vertueuse ou de son contraire, la femme perverse, est difficilement contestable dans un siecle ou la recherche du bonheur humain repose sur le discours de la vertu. Un homme vertueux est un homme de bien, généreux, honnéte, franc et courtois; a ces qualités s'ajoutent chez la femme, celles de la chasteté avant l'union conjugale et de la fidélité apres le mariage. Mais se conformer aux devoirs dictés par les regles de la société est loin de garantir un bonheur total comme 1e montre la souffrance entrainée par un conflit entre le devoir et les désirs personnels. Diderot exprime clairement cette souffrance dans la piece Le Fils Naturel (1757) lorsque Dorval, déchiré entre son amour pour Rosalie, la fiancee de son meilleur ami, et son affection sincere pour celui-ci, decide en un monologue douloureux, de sacrifier ses sentiments pour la jeune femme au nom de son amitié pour Clairville. Comme l'atteste la citation suivante, le devoir l'emporte sur la satisfaction personnelle: Je peux étre le plus malheureux des hommes; mais je ne me rendrai pas le plus vil...Vertu douce et cruelle idée! Chers et barbares devoirs! Amitié qui m'enchaine et qui me déchire, vous serez obéie. O vertu, qu'es-tu, si tu n'exiges aucun sacrifice? Amitié, tu n'es qu'un vain nom, si tu n'imposes aucune loi...Clairville épousera donc Rosalie. (73) Diderot souligne ici le lien entre le discours de la vertu et la notion de sacrifice humain. Mais une fois l'effort accompli, quelles sont les consequences directes sur le héros ou l'héroine? Lorsque Dorval découvre que Rosalie n'est autre que sa soeur, la piece peut se fermer sur un dénouement heureux. En est-il de méme lorsque le discours de la vertu est applique a la femme? Au coeur de ce débat, deux écrivains, Rétif de la Bretonne (1734-1814) et Isabelle de Charriere (1740-1805), se distinguent par leur réflexion profonde sur la correlation entre la vertu feminine et le bonheur humain. Chaque auteur étant représentatif d'une des deux tendances évoquées plus haut, une étude parallele de leurs textes les plus pertinents a notre projet permettra de capturer l'image complexe de la femme a l'aube de la Revolution, une femme dont le désir d'indépendance est enrayé par les principes moraux de la bourgeoisie montante. Devant l'abondance des écrits de Rétif et Charriere, cette étude se contente de l'analyse des oeuvres qui cernent 1e mieux l'image de la femme. Nous nous attacherons a trois textes de Rétif, Les Gynographes (1777), Les Contemporaines (1780), La Paysanne pervertie (1784) dont le titre fait allusion au Paysan avoca— "' ~ .0 a ~‘-l-.- - .. . . -"' .:" .— .— -..¢------ ~-. . a- V q r ‘ --—~ '9... an. , - up - Q -~ . -_ u ;= “7"- .'~ boo-o- - . ..,,- " \ \ -0- .-‘~ - l-. ~:..-‘_" it in parvenu de Marivaux, et trois romans épistolaires de Charriére, Les Lettres neuchateloises (1784), Les Lettres de Austriss Henley (1784) et Les Lettres écrites de Lausanne (1786). Chaque auteur y examine le discours de la vertu et les principes conventionnels dictant la conduite des femmes sous l'Ancien Regime, pour verifier si ces principes cautionnent le bonheur féminin. Alors que Rétif pose la soumission de la femme a la vertu traditionnelle comme garant du bonheur de la société, Charriere constate que le discours de la vertu situe la femme en marge de la société et propose d'autres options pour libérer celle-Ci des contraintes imposées par les conventions morales. La femme, ou plutét les femmes, sont bien au centre des écrits de nos deux auteurs. L'épigraphe de Rétif, "Nox et Amor", dans les Nuits de Paris, empruntée au poete Ovide, en témoigne.6 L'image de la femme, la mere, la jeune fille débauchée ou encore la femme plus mure, traverse les romans autobiographiques (Mbnsieur Nicolas, La Vie de mon pére), les romans libertins (Lucile ou les progrés de la vertu, La Paysanne pervertie, Sara), les textes réformateurs (Le Pornographe, Les Gynographes) ou encore les contes et anecdotes (Les Contemporaines, Les Nuits de Paris, Les Parisiennes). Rétif élabore ainsi une notion de la féminité définie par la douceur, la patience et la soumission, v o .3 .v. .- .- -.o - ” -c-‘o-"fi." ..-A--' .O“.' up a..--~'-’ . A“- 5 2..=‘Q‘Q.w - ‘ O . Q - ~—.— . ~u. caractéres moraux qui répondent selon lui au rOle biologique et social de la femme. Partant du principe que la vertu féminine -chasteté, innocence, ignorance- contribue au bien-étre humain, l'oeuvre restivienne recherche le moyen le plus sur de la préserver et expose les consequences fatales du sacrifice de l'innocence sur la femme et la communauté toute entiere. Rétif constate la remise en question de la suprématie de l'homme pendant la période galante de la premiere moitié du siécle et l'affaiblissement de la domination masculine qui s'ensuivit. Le mouvement précieux avait deja féminisé l'homme aristocratique qui, sous prétexte de se rapprocher de l'objet de sa conquéte, s'était mis a porter bijoux, dentelles, rouge et faux cheveux. Cette féminisation s'accélere lors des deux premiers tiers du siecle des Lumieres lorsque les "petits maitres" délaissent leurs obligations préférant peaufiner leur image dans le boudoir que sur la scene politique ou militairee.7 Mais cette obsession a vouloir ressembler aux femmes remet en question la difference sexuelle a la base de la société patriarcale. Rétif y réagit en affirmant la nécessité d'un renouveau de la domination masculine; pour créer une nouvelle image de l'homme, il faut admettre une fois pour toute l'infériorité naturelle de la femme et la maintenir dans un rOle domestique ou la vertu gouverne ses pensées et ses actes. Le .o “" .— s 5...... r ‘. v..- L. ‘ '01. “--~- try-I... ‘\v- a a... -\§ an. 3‘ .2 systeme restivien tel qu'il apparait dans La Philosophie de .Mbnsieur Nicolas, repose sur une distinction fondamentale entre les sexes: l'homme est naturellement supérieur a la femme dont la fonction biologique determine l'existence. Une analyse des idées essentielles de deux ouvrages réformateurs (Le Pornographe et Les Gynographes) permettra d'éclaircir le jugement de Rétif sur la société dans laquelle il vit. C'est en réfléchissant sur la place de la femme dans la société que Rétif répond a une question essentielle pour lui: "comment empécher la corruption générale des moeurs?". La communauté idéale a laquelle il aspire exige de redéfinir les relations entre les deux sexes et de remettre, comme il le fait dans les Gynographes, "les femmes a leur place".8 Ceci est rendu possible en redonnant l'autorité aux chefs de famille a travers la repression de tout désir féminin favorisée par le contréle infini exercé par l'homme sur la femme (la sequestration en est l'exemple extreme). La création de l'étre bourgeois nécessite de redéfinir la vertu feminine en tant que soumission et dépendance a l'autorité masculine. Ce systeme influence considérablement la representation littéraire de la femme dans les ouvrages publiés postérieurement aux textes réformateurs. La Paysanne Pervertie expose les consequences de l'indépendance feminine et du libertinage de moeurs qui s'ensuit. Livrée a elle-méme . 0‘. .~- no r ‘ ' p§ vi- our- b~ .-« - 4 ’ ,- 0-‘ ‘0‘ it- o A Ahap- '-"b\_ - o.»....... o .O. ‘. g‘ a . ‘7 ‘- ~-'.-‘-~‘o- - 09. o ' . ;:~-... ' ~"~¢o‘ ‘.... ‘ a ‘3: v- H- ‘5 h‘ \ F ‘ “' b . u .— ‘..D .Q A- ."‘ A‘ —.‘ ‘u .. H y- -_5 az‘. ‘-~‘ ' ‘. A~n '_ .- ~.. 93 ”w s \‘\. ~‘ §_. s ~ C 5 ~x‘l- F>‘ \ e."- . ~ ‘ D ‘ K‘ h ‘t:“... ~ ~“v \ s...‘ .. .‘flqa‘Q ‘ ‘s .- - “' i ‘~ .; c-‘ ‘~ s“ \‘.‘ I 5“ L‘- g “~‘-:‘ cw s‘ ’ h I‘- ‘ h ‘ ‘ S; \ I ‘ 'A s. A ~‘: . ‘i \‘~~§ \ ‘\ ‘s. ‘ “. ‘- s A 5'." .. 5., . ‘ s ‘A \ “ - dans une ville inconnue, l'héroine sombre vite dans la débauche et découvre le pouvoir que les femmes peuvent avoir sur les hommes. Le désir de l'autonomie se lie étroitement ici au plaisir qu'éprouve la femme a dominer l'homme et il représente une inquiétante menace pour la société patriarcale. L'écriture épistolaire feminine est fortement condamnée puisqu'elle constitue selon Rétif, un moyen de fixer par écrit le contrOle de la femme sur l'homme. Offrant un nombre impressionnant de portraits féminins, les Contemporaines permettent de cerner la representation restivienne de la femme et de constater, a travers l'étude des plus pertinentes nouvelles, la maniere dont la femme se trouve cantonnée dans l'espace domestique de la vertu. L'usurpation du pouvoir par les femmes ("La Fille séduite") ou encore l'inclination perverse des femmes (”La Duchesse") sont sanctionnées par l'emprisonnement des fautives ou la métamorphose de l'héroine, et debouche infailliblement sur la restauration des valeurs restiviennes qui s'affirme a travers la restitution de l'autorité masculine. Le domaine du féminin est continuellement percu comme étant celui du "passif" ou du "négatif" et se situe a l'écart, en marge du pouvoir patriarcal. L'oeuvre d'Isabelle de Charriere démystifie le modele féminin restivien en montrant que la vertu conventionnelle conduit non au bonheur mais a l'effacement de la voix n R --“v- ) vow-i- - -F-- n.. .V' A--.» .. “ o.--_-,,_ 4 . ’C-“Fv - . ‘ ‘ a cvbwe...‘-:: ' Q r... ‘ -‘. 5-. ‘ ,— . ‘..‘--‘_ I.-.‘ \_, —. -_ ~_~‘ ‘ ‘ - h‘-..~‘ : -‘~A .A ~:‘~.‘_ "" ~"—. “' :- . ~-__ g I a D as . “ ‘3 vs a q ““ “-‘R . ’VC.‘ . s I .5"- .‘Q‘ 5 feminine dans la Vie quotidienne conjugale. Les Lettres de Mistriss Henley (1784) illustrent le dilemme moral d'une heroine partagée entre son désir d'affirmer son individualité et sa fidélité a la vertu conventionnelle. La clOture du roman, coincidant avec la cessation de l'activité épistolaire de Mistriss Henley, suggere a la fois le triomphe de la vertu sur le désir d'autonomie, et la mort symbolique de l'héroine. Mais l'effacement de la femme dans le domaine du privé débouche paradoxalement sur une reconnaissance publique qui se produit a travers la publication de ses lettres par son amie. Madame de Charriere pose ainsi l'écriture comme principal échappatoire pour la femme, s'opposant alors directement a la perspective restivienne et entrevoyant la possibilité d'une amelioration de la condition feminine. Isabelle de Charriere ne rejette pas la vertu feminine mais pose la nécessité de redéfinir le concept dans la perspective du bonheur féminin en tenant compte du désir de liberté de la femme. Elle révele le besoin de la femme de progresser vers l'autonomie en s'ouvrant sur le monde extérieur, ce qui exige un passage par l'écriture (Lettres écrites de Lausanne). Elle se révolte contre la mise a l'écart de la femme, sacrifiée au bonheur bourgeois et, contrairement a Rétif, envisage une reconciliation entre vertu feminine et indépendance. L'étude de la problématique 10 p A.---¢-. -_ _..- '-’A " .- hwfi- "- . 3. i “9‘ '— \ - ,.--.- u- gaunt-"A g— o- s.-.- ‘O-v‘- ~...' .~. Q§ ‘ a AA~<9vv - we: w..'. a: . . ~ .. A9. “ 3. 2 .2 I T. L u. ..a g: .1 de la vertu feminine chez Rétif et Charriere permet de voir comment l'établissement de la société bourgeoise entrave l'épanouissement de l'identité de la femme a l'aube de la Revolution. La critique n'a redécouvert que récemment ces deux auteurs longtemps restés dans l'obscurité. En ce qui concerne Rétif, la rareté de ses ouvrages et l'immensité de son oeuvre expliquent que si son nom n'est pas tombé dans l'oubli, son travail demeure encore tres peu connu. Ce n'est que depuis 1949 que les rétiviens disposent d'une bibliographie precise grace a l'ouvrage de J. Rives Childs qui recense 187 volumes sous quarante-quatre titres.9Le travail fondamental de Pierre Testud, Rétif de la Bretonne ou la creation littéraire (1979) a le mérite de considérer l'oeuvre dans sa totalité. A travers une analyse precise des romans, contes et nouvelles, pieces et ouvrages théoriques de Rétif, Testud examine la confusion du réel et de l'imaginaire dans l'oeuvre de l'écrivain. La tendance de Rétif a reprendre et remanier des episodes de son propre passé aboutit a rendre imprécises les frontieres du réel et de l'imaginaire. Un certain nombre d'articles se révélent d'un intérét particulier pour l'analyse des ouvrages réformateurs de Rétif ou pour l'étude du motif de la ville de Paris dans ses textes.10 L'existence de Rétif, riche en episodes 11 .. . . :. v. v. . :— .¢_. we. . . t. .. . c. I ..II.. .. ;. .. :. C. ... . . S r 3 .. :. s a z a. v; .. z. 2 . .2 .3 .. .u A. z. a. a. a. .c a. a» a. A. A. a. .u “L. .. y? s. .. .M .. .2 .2 s .. .. v. r. .. t. I e. a» t d‘ ~ s r. .3 .. .3 .. r. u a. .3 a. .2 I +1 a C a. a . ‘\ .a a: u.. . w a. .— 2. v . v . .. v. u: . . . v . _ . .6 . . . .3 e . a. a. a» V“ G. >~ uh: . . at . . VA . . 3. ..~ ... a. . . s . .C .3 .3 t a e e . .l .. . . a e .2 . . 3. z. .2 v . .. .. a. .a . . . . . . .. . . . . . a u .c. i. t \ 2. .5 u- . . i l 3. .u. 5. .. . . . . . L. 9. p e 2‘ . s. .3 . . 3 vs . C. .3 .2 c. .p. . . . . . . re. w. an o- -_ .u. a. ~. \~ .2. ~ . .s» 6‘ us. \ a. so. qe mystérieux, a toujours été une source intarissable pour les biographes.11 La plus récente biographie tente de décrypter l'écriture singuliére de Rétif en examinant minutieusement l'existence mouvementée de l'écrivain.12 Cependant, ce sont les romans épistolaires Le paysan perverti et La paysanne pervertie qui de tout temps ont passionné la critique. Trés récemment, Claude Klein dans Rétif de la Bretonne et ses doubles (1995), situe l'oeuvre comme un tableau critique des moeurs de son siécle dont les personnages deviendront des modeles pour les romanciers du dix-neuvieme siécle. Bien que la femme soit omniprésente dans l'oeuvre de Rétif, elle n'apparait qu'en filigrane dans les études critiques mentionnées plus haut. Claude Klein a le mérite de consacrer un chapitre a l'analyse de La paysanne pervertie, mais en se concentrant exclusivement sur un roman épistolaire, il ne parvient a dégager qu'une image floue de la femme rétivienne. Soit a cause de l'étendue de l'oeuvre, soit a cause de la vision clairement negative sur les femmes, la representation feminine a été négligée. Cette présente étude tente, sinon de combler ce vide, de faire mieux comprendre la réflexion de Rétif sur les femmes. L'oeuvre de Charriere est aussi vaste et variée que, celle de Rétif: des milliers de lettres, vingt-six pieces, quatre-vingt-trois poemes, environ dix romans et nouvelles, des pamphlets, essais politiques et morceaux de musique. 12 ..- _ .'I ‘ -— ' ~ It‘- .U. .u-. gz': an - ..-- ‘v-- V‘-"“' ovwo-v- '--‘-~- - ‘- .. 0...-..‘- ‘ - 7 Ir - _A -- A - u- . .o---‘..‘- .T‘v “ a- . “v- ..;: - “‘ ‘ . ‘A 4“ ‘: Lv.., we.-“‘ A... "' ~ ~! h-“ “ . Depuis la parution de la quasi totalité de son oeuvre en 1980 dans les Oeuvres Completes, l'intérét porté a la romanciere n'a cessé de croitre. Comme nous l'avons observe dans le cas de Rétif, la critique a souvent préféré se consacrer a des études biographiques compte tenu de l'immense correspondance rééditée récemment entre la romanciere et Benjamin Constant. Bien qu'ayant vu le jour en Hollande et tres peu séjourné en France, Charriére est Francaise par son education, ses lectures et son esprit. Pourtant riche en observations sur la société francaise pre- révolutionnaire”, la partie politique de son oeuvre n'a été abordée que tres récemment par Mehda Karmarkar dans Madame de Charriére et la revolution des idées (1995), qui met en évidence le caractere novateur des idées de la romanciere sur l'éducation, l'égalité et les droits des hommes et des femmes. Auparavant, c'étaient surtout les romans épistolaires de Charriere qui retenaient l'attention de la critique14 et ce n'est vraiment que dans les vingt dernieres années que de solides études critiques ont paru examinant les romans épistolaires sous un angle nouveau. Dans Trois femmes: Le monde de.Madame de Charriere (1981), Alix Deguise analyse le motif de la morale stricte dans le roman Trois femmes. Sigyn Minier s'attache quant a elle aux themes de la dépendance et la solitude dans les trois premiers romans de Charriere. De nombreux articles replacent les romans 13 . . L . . .—e v . . u .3 G. o. .. r? v. a. . a. n. . . .u .t E .2 . . v . .—. . . . . v . . . ._. . . u . .au —.. v. .A. v. .e. . . . c : . .e. . p». .. .a . .n¢ 3. .” w¢ “b. . .. . . . u . h . . . ... ... .3. .. . . r . .. . f a a . 2. .~ . —\~ ya .x. .h. ;. ... . s :— . u . .n s s u». a.“ a. .e. .3 ”I ‘ § s ‘ ‘V-q_ - ‘-A‘ N- .: a~ 4. :.\ E «x» épistolaires de Charriere dans le débat féministe sur la clOture des textes féminins et leur aspect parfois inachevé.15 Dans son récent ouvrage Revealing Difference: The Fiction of Isabelle de Charriére (1995), Jenene Allison confronte pertinemment le fond et la forme des textes les plus représentatifs pour montrer comment Charriére réussit a déplacer l'image traditionnelle de la femme. Contrairement a la présente étude qui se limite a trois textes de Charriére, celle dFAllison examine la plupart des contes et romans publiés dans les volumes huit et neuf des Oeuvres completes. A travers 1e portrait de nombreuses héroines, Allison dégage un vaste éventail de themes qui illustrent, selon elle, les nombreuses méthodes d'approche que la critique moderne devrait considérer dans sa tentative de révéler la signification sociale d'un sujet aussi délicat que la difference entre les sexes. Depuis plus d'un siecle, la condition feminine au siecle des Lumieres continue d'intriguer la critique, ce sujet demeurant toutefois marginal dans le corpus de la littérature du siecle. Au coeur du roman, l'image de la femme devient l'aimant d'un univers critique en ébullition (May 21). Excellent point de départ a cette etude, la massive these d'état de Pierre Fauchery, La destinée feminine dans le roman européen du dix-huitiéme siécle (1972), se concentre sur la femme romanesque dans la 14 o t I i i I l i - - .- .- .:, ".." OG’UIO--. - ‘- 'A q a--. — ‘ .l. .-.~ ~-_. --.."- 0'. a — .— fi-‘---~ -w ;- ~;~A'- v- ‘--_--.- -~ - t .2.“ .1: ~- h- ‘ D--- i‘ “g u.-_ - .. — r- ‘ ‘_ .‘ h “ -- I, 1 O l 'l -— —,—.-— -— i (t I I D l', m r D :0 ID (I) I" ll' littérature francaise, anglaise et allemande (plus de 500 romans dans sa bibliographie). La tache monumentale de Fauchery 1e force a classer les heroines en fonction d'un rOle stéréotypé: fille, mere et épouse. Il souligne la nature feminine antithétique ange/démon, vierge/prostituée et démontre qu'une des fonctions du roman au dix-huitieme siécle est d'élever la femme a la dignité du mythe. La these de Paul Hoffmann, La Femme dans la pensée des Lumieres (1977) enquéte sur la notion de la femme d'une perspective a la fois physiologique, pathologique, juridique et anthropologique. La derniere partie de cette vaste etude est centrée sur les travaux de moralistes et philosophes majeurs tels que Poulain, Montesquieu, Rousseau, Buffon et Diderot. Publie en 1975, l'ouvrage de Vera Lee a mi-chemin entre l'art et l'histoire, The Reign of WOmen in 18th century France, tente de retracer l'ascension de la femme dans l'Ancien Regime en s'appuyant sur de célebres illustrations (Greuze et Boucher notamment). Comme le titre l'indique, cet ouvrage se penche particulierement sur les aspects positifs de la condition feminine. Une vague d' anthologies critiques consacrées a l'image de la femme déferle depuis les vingt dernieres années; souvent éditées par des femmes, elles offrent l'avantage d'inclure en un seul volume une vue d'ensemble de l'accomplissement des femmes des Lumieres dans le domaine politique, social, culturel, littéraire ou encore 15 r O o ..0' .v \ -'--oo-- on. . I .2 :. .t .. A. .e r . I . . a - . :4 —. v‘ a g p. ‘— V . a ' ~§ —. ‘ha .“ pk. §~ ~N‘ ;. .t t. ._ .. .. 2 —. a. .. o 3 u. 3 . .\ v. .. .2 :. a. ... a. a. . .. a. . . ..a z. .3 .. . . s a. 2. t. .7 1 . . a. .2 .. _ a. a . v. v. ~ 3 A. a .a a. . . «\s .I . :. x. .h .2 : L a. 3 a. .. .. .3 at .3 ,2 .. .. v. .. .. z. .. .3 a. .. :. e. m. l. p. .2 u. .a 3. .u ... . . .. .. s... v. s. uy .. 2. e vs w“. 3‘ .. .w x . .. . . . .. ... t 3. .1 .._ :.. :e L . a“... . p? . a. 4.. ~. a. v . . . s . . s. 1. .3 q . e~ . s a...“ scientifique. French Women and the Age of Enlightenment (1984), édité par Samia Spencer et Germaine Brée, déploie quinze essais consacrés a la femme dans la société suivis de sa representation littéraire chez les grands auteurs ou philosophes du siecle. Plus récemment, A History of Women in the West (1993) retrace, de l'Antiquité a l'époque contemporaine, les événements historiques et sociaux ayant affecté les relations entre les deux sexes. Le troisiéme volume intitulé Renaissance and Enlightenment paradoxes a guidé notre recherche grace a son exploration minutieuse du role de la femme et de son pouvoir dans la société de l'Ancien Regime. Les essais sur l'éducation et le corps de la femme, la famille et le travail féminin ont particuliérement retenu notre attention.16 De nombreux ouvrages et articles se concentrent aujourd'hui sur la femme et l'écriture (Goodman, The Republic of Letters, 1994) ou la femme et la Revolution. A cet égard, l'ouvrage de Madelyn Gutwirth, The Twilight of the Goddesses (1992), établit admirablement la representation de la femme dans l'ere révolutionnaire tout en révélant la confrontation latente entre la mentalité dominante en cette fin de siécle, incapable de concevoir un changement dans la condition feminine, et un courant de pensée tendant vers une liberation de la voix feminine. Les gravures illustrant sciemment Chaque chapitre aident le 16 w- “"9"" - o:"v" - :A-"-': i: :‘o..-oav - . -- -_v .;.--'3 :1... O’—' .- -7 ‘ .- - - v..- “ onl'-- ' —'A". I;.. u "‘ ‘ . .."".. C .- -'~‘-~v.- ‘ ‘ o -..-v"--- . A 0- ‘ ‘v. . q. " r. r“ - ‘ d 6 «v- ‘.. ~A.~v“ -~--: -nq- . . ‘.~-. '1‘ ~ H: b§b~ ~N I. ' ‘ Dp-gh ‘ " voo5§ hp“ ‘oov () lecteur a mieux cerner la representation de la condition feminine avant et apres la Revolution. Finalement, les femmes écrivains suscitent depuis ces dernieres années un intérét grandissant. L'ouvrage de Joan Stewart, Gynographs: French Novels by Women of the Late Eighteenth Century (1993) s'inscrit dans l'effort féministe de restaurer l'écriture féminine dans le canon de la littérature francaise.17 Le roman par lettres a favorise la représentation de la femme au siecle des Lumieres. Pour mieux saisir l'influence du roman épistolaire au dix-huitiéme siécle, il est utile de rappeler briévement son développement et son lien avec le discours de la vertu. Dans son article "What was Enlightenment?"m, Lionel Gossman constate que le siécle des Lumiéres nait d'un double mouvement: critique et invention. Cherchant a libérer le lecteur du systeme métaphysique cartésien ayant dominé la pensée du siécle precedent, les philosophes exposent sous ses yeux les préjugés humains a l'aide d'une nouvelle méthode empirique, développée dans les essais de Locke et Condillac.19 Comme le note Gossman (488), c'est a travers 1e regard candide d'un personnage étranger aux moeurs européennes que les notions admises et acceptées depuis l'époque classique sont réévaluées. Par sa diversité de points de vue, le roman épistolaire illustre donc bien la volonté d'enquéter et d'accéder a la connaissance qui distingue le siecle des Lumiéres de toutes les autres l7 . ',..- “‘7""‘. . D'oo""- o . .- flfl" v-v~:~ ,3: ....----: cut-vb ’ :""‘~~.. ‘:. bvv "O'. A". ' ti) ‘1) I) V! 1 can“ ‘9- ... -O'DO- O .— (f) H0“---- U) a. b- -‘,. V~ - u . -.‘ a. n C--- -“a . m l l ' H’ périodes. Le regard innocent que portent les Persans de Montesquieu (ou encore le héros de Candide) sur le monde européen expose les aberrations d'une société basée sur d'anciens préjugés. Le genre épistolaire, mais aussi les dialogues, l'Encyclopédie, et les dictionnaires symbolisent le souci des philosophes de remettre en question certaines notions. Le Dictionnaire historique et critique de Bayle exemplifie cette tendance: fragmente, traversé de notes et de renvois, l'ouvrage de Bayle illustre l'aspect critique qui caractérise les travaux des philosophes des Lumiéres. Comme l'observe MacArthur, ce mouvement tendant vers la critique et l'invention traverse l'Encyclopédie qui, par la multitude de points de vue qu'elle présente, rend impossible l'établissement d'une vérité stable et univoque. Comme le dictionnaire et l'Encyclopédie, la forme épistolaire compromet toute tentative d'imposer un jugement objectif. (Extravagant narratives, 22) Procurant des perspectives multiples sur un meme événement et caractérisée par l'absence de l'autorité d'un narrateur, la forme épistolaire laisse le lecteur libre de juger les personnages selon son interpretation personnelle. Il n'existe normalement pas de narrateur pour influencer son opinion ou le guider vers une direction particuliére. Comme le remarque Rousset: "La méthode épistolaire contraint le récit a la discontinuité, elle le fragmente et le disperse l8 O -uo V ’-- - - l ‘_A'-- v_ ‘ -av"..- -- .-‘ --- -~-"-v- - .3 £33! .A!” ~ '0‘ .. v. a. .. z. A entre divers rédacteurs qui n'en connaissent pas la totalité; seul le lecteur du livre est en mesure de la reconstituer" (Narcisse romancier, 21). De plus, 1e récit épistolaire ne se clot pas sur une signification definitive comme peut le faire le récit a la premiere on a la troisieme personne, a travers la parole fixe du narrateur. De par sa grande mobilité et son refus de fixer la signification du texte, la forme épistolaire fit souvent naitre le désir de réécrire la fin des textes; ce fut le cas pour les Lettres d'une Péruvienne dont le dénouement ambigu avait laissé perplexes bien des lecteurs et critiques de Madame de Graffigny.20 Le roman par lettres du siecle des Lumieres est ancré dans une tradition romanesque épistolaire datant des Héroides d'Ovide et des lettres d'Héloise et Abélard écrites a l'époque médiévale. De cette tradition sont nées les célébres Lettres portugaises (1669) avec lesquelles la lettre devient prétexte a un échange libertin. Au dix- septiéme siécle, cette tradition se transforme lentement et le romanesque se teinte d'éléments didactiques. Les auteurs ne se contentent plus de distraire leurs lecteurs avec des intrigues de seduction mais cherchent en plus a les instruire. Comme en témoignent Les Lettres portugaises, longtemps considérées comme une correspondance authentique, le roman épistolaire accentue l'aspect reel des lettres dans l9 la preface ou dans la correspondance elle-meme. Versini observe que pour les lecteurs du dix-septiéme siecle, "le concept de lettre est lié a celui de l'authenticité, voire de réalité quotidienne, dont tout un mouvement qui écarte du romanesque et du roman assure la faveur a partir de 1660 environ" (Le Roman épistolaire, 42). Le tournant vers un genre épistolaire plus réaliste s'accompagne de l'élaboration du concept littéraire de la vertu feminine. La lettre perd alors toute connotation libertine et devient le moyen, pour l'héroine du roman épistolaire sentimentale, de trouver le salut, a savoir une profonde tranquillité au sein de sa famille. Le désir de la femme de regagner sa vertu et de triompher du vice devient donc bien le theme principal des romans par lettres de la seconde moitié du dix-septieme siécle. Bien entendu, le concept de vertu n'est pas a l'origine un concept spécifiquement féminin. L'étymologie du mot véhicule une notion de perfection morale associée, dans l'antiquité, aux qualités masculines telles que la force ou la valeur. Ce n'est qu'a partir du seizieme siécle que le mot vient a signifier la chasteté de la femme“, caractéristique morale comme chez l'homme mais entierement basée sur la notion de preservation de la virginité avant le mariage ou de fidélité conjugale. La representation féminine passe désormais par l'image d'une vertu menacée et la 20 v 'A n’:: .- v, 'o.v'-" __ p-ur“-‘. ‘— “"-‘.v-~- - O Anni-"'- : U.-.’-I' t--- -' v 2’ ‘ ‘ - 'h.-'---‘- a '-'-'A.’. u- . 00--.-nn- _.O': a-.. .. p .'---_ u»— .. “. . - “ A .‘-“. no“ . _ . -3 =“ ; —. va'-‘-. ‘.'~ ‘V‘ ‘-.--': - .. ;'..-A“ “ I \ ...‘.‘5 U % ‘-.Q o.= ‘- u... v.“ U p 0. ' ‘ R “Vb-u v Nu“ p-‘ a v. ‘ \ up ‘HIE‘ .2 ?:h ‘ U ‘V ‘..‘c-_ y H g y. :.‘=* ‘V‘A \ v ‘ 5 _“C.q ~V «I. .:§‘ s h‘ z-s chasteté, ou sa restauration, devient le symbole des valeurs bourgeoises appliquées a la femme. Le retour a la vertu, s'opérant de maniere traditionnelle a la fin des romans épistolaires sentimentaux, peut se faire par le sacrifice de l'héroine qui dépasse son désir a travers l'écriture. La lettre devient alors le moyen pour l'héroine de trouver le salut. La transformation de la femme et le retour a la vertu célébrent les valeurs conjugales et familiales. Le roman épistolaire fait triompher l'espace domestique ou la femme dirige la demeure familiale d‘une maniere idéale et vertueuse.22 C'est dans cet espace domestique bourgeois que la femme évolue a l'aube de la Revolution. Comme l'observe Gutwirth, la bourgeoisie est une reaction contre les ravages de la débauche de la premiere moitié du siecle (The Twilight of the Goddesses, 70). La bourgeoisie célébre les valeurs de la fidélité conjugale et du mérite personnel tout en préconisant l'économie financiere dans les ménages. Ce nouvel ordre social s'oppose donc aux valeurs d'une aristocratie mondaine qui recherchait avant tout le plaisir personnel et les distractions dans les salons. A cet égard, Joan Landes souligne qu'en se divertissant dans le monde, les aristocrates en oublient leurs obligations politiques ou militaires (WOmen and the Public Sphere, 27). Les salons et l'idéal précieux furent séverement condamnés et tenus 21 —— ) H. ( ( aav“ “ V-..» o J “a....— ~~v"» . Q ' I: .- . - R" .- Uo.-- ‘ .A-~-,_ Viv--- ‘-"“qu ' ”r-‘ut- \-'A—. -A "..‘ a} Vs. Q“ ... ‘ burs-“-‘es o Ufi‘ ' s s ~~“' c; V's h.‘ ' “A "“3=:‘:—-. .‘-.. s In, . ‘u '-.. w- A , v“. a . I.” G F ‘ ‘ "-~ on . . 5‘ -‘ g»- . .':. responsables par la bourgeoisie de l'affaiblissement de l'état. Comme en témoigne le commentaire suivant de Jacques- Joseph Duguet, le role public tenu par les femmes au dix- septieme et au début du dix-huitieme siécle était clairement considéré comme une menace contre l'ordre de la société:23 Insensiblement, la cour ou elles [les femmes] ont du pouvoir (...) dégénere en une cour pleine d'amusement, de plaisirs, d'occupations frivoles. Le luxe, la bonne chére, 1e jeu, l'amour et toutes les suites de ces passions y regnent. La ville imite bientot la cour, et la province suit bientot ces pernicieux exemples. Ainsi toute la nation, pleine autrefois de courage, s'amollit et devient effiminée et l'amour du plaisir et de l'argent y succéde a celui de la vertu.24 Ces observations lui permettent d'affirmer la nécessité de n'accorder aux femmes aucune part au gouvernement: "Elles seront modestes et pleines de raison quand elles seront conduites. Mais elles rempliront de corruption la cour et l'Etat, si elles deviennent maitresses"(182). En consequence, l'isolement de la femme dans la demeure conjugale est proposée par l'ordre bourgeois comme solution pour fortifier la société. Avant d'aborder la representation de la femme chez. Rétif et Charriére, il ne sera pas inutile de définir les deux tendances qui déterminent l'image de la femme avant 22 n‘. a a "' a q. ,a"" P .n'““ J‘ an..! "9 ..u-u O“ nan-.05 . K F H buvohuwl n‘a. p 7“- 0 -. “ ‘7...,. u\_ : r'ku... ‘ 9"... ..,,~ " O ' ‘5‘4 0 'D.‘ 7-. ~ .- ..—-.. -: 1780. L'une semble favoriser l'émancipation de la femme (la notion de la femme forte, le féminisme de Poulain de la Barre, les physiocrates des Lumieres) alors que l'autre s'appuie sur un discours médical qui représente la femme comme un étre faible confiné au sein de la demeure familiale. Ce role domestique, excluant la femme de la société, atteindra son apogee dans La Nouvelle Heloise (1761) qui se révele une grande source d'inspiration chez Rétif et Charriére. Il est indispensable de se pencher a present sur les notions de vertu feminine et d'espace privé/public chez quelques écrivains majeurs du siécle des Lumiéres. 23 .3 -— - ".'~-v-- a -‘.'A“_ A“ v- .a. .m. .u» .u. v ....o -."I rd 1-. .- usd' u a ‘F Vic.-.- a «an... A" ~-..-.': \ a: no a. 7. V. u G.- .- n. . .. a pm u u . a a. u . a . C. u u v. A: -~ .1 .I‘. I.‘ F ‘ u ‘ Ib- Notes 1 La Princesse de Cleves (Paris: Bordas,1990) 74. 2 Voir La NOuvelle Heloise (Paris: Garnier, 1967). 3 Consulter Fauchery, Destinée feminine dans le roman européen (Paris: Armand Colin, 1972). 4MacArthur, Altman, Jackson, Lanser. 5 Bardoux, La Bourgeoisie francaise 1789—1848 (Paris: Levy, 1886) 3. 6 Rétif de la Bretonne, Les Nuits de Paris, (Paris: Gallimard, 1980) 29. ‘7Gutwirth 14-17. Les tendances féminines des petits maitres provoquent une réaction violente chez les hommes soucieux de maintenir la difference sexuelle. 8 Les Gynographes 87. 9 Rives Childs, Restif de la Bretonne: Témoignages et Jugements. Bibliographie (Paris: Briffaut, 1949). 10Voir André Lebois, "Le peuple urbain et le peuple rural d'apres Restif," Etudes sur le dix-huitieme siécle I (1974). “ Marc Chadourne, Restif de la Bretonne ou le siécle prophétique (Paris: Hachette, 1958) et Ned Rival, Rétif de la Bretonne ou les amours perverties (Paris: Perrin, 1982) présentent tous deux de facon tres vivante la biographie de l'écrivain. 24 o. " _. 0", dd? o"' . ,. .- '. I. -‘VV::“-' .5 Vi.-- . _q... ~d- .. v-. ” Daniel Baruch, Restif de la Bretonne (Paris: Fayard, 1996). ” Voir Henriette et Richard ainsi que le theatre et la correspondance de Madame de Charriére. M Jean Starobinski, "Les Lettres écrites de Lausanne, de Madame de Charriére: Inhibition psychique et interdit social," Romans et Lumiéres au XVIIIe siécle (Paris: Editions Sociales, 1970). U Consultez Olga B. Cragg, "Closure and the doxa in the feminine novel of the eighteenth century in France," §X§E 304 (1992): 728-32. Elisabeth MacArthur, "Devious Narratives: Refusal of Closure in Two Eighteenth-Century Epistolary Novels," Eighteenth-Century Studies 21 (1987): 1-20. ” Martine Sonnet, "A Daughter to Educate," A History of Women in the West, ed. Georges Duby and Michelle Perrot, vol. 3 (Cambridge: The Belknap Press of Harvard UP,1992) 101-31. ” Consulter également Nancy Miller, A Heroine's Text: Readings in the French and English Nevel 1722-1782 (New York: Columbia UP, 1980). m Lionel Gossman, "What was Enlightenment?" A New History of French Literature, ed. Dennis Hollier (cambridge: Harvard UP, 1989) 487-95. 25 II .. - '. '.. .gOOr as u ' .V. .Ub-O .- 1'... v v. ‘ oovl '4 q s. ‘_ - H unto- Iv~on~p~ - A - Ugo-nugh‘- , 0 O ". u .Incnq _' . m-v‘vo-«L - . ‘- ’4 On 1;“ b h .,. A . ‘“.‘ \V‘l b ”r. ” Ernst Cassirer, The Philosophy of the Enlightenment (Princeton: Princeton UP, 1951). 20Voir Downing A. Thomas, "Economie et Dénouement dans les Lettres d'une Péruvienne," Le Dénouement Romanesque (Paris: Université Paris Sud Orsay, 1993) 169-176. 21Bien que la notion de chasteté concerne principalement, dans la littérature, la femme, l'Encyclopédie la définit hors contexte sexuel (233). 22Cette tendance est clairement illustrée par Rousseau dans La Nbuvelle Heloise (Paris: Garnier, 1967). anacques Joseph Duguet, Institution d'un Prince, ou, Traité des qualités, vertus et des devoirs d'un souverain (Londres: Nourse, 1750),182. “ Passage cite par Joan Landes dans Wbmen and the Public Sphere in the Age of the French Revolution (Ithaca, New York: Cornell UP, 1988) 27. 26 v"‘ .1-- v-" .0 0 ap. ~«. .nu . “A. by. ; o- u :3 town-Cb B “'0-.. A‘- v»~.-§ - .2 a ..—‘ 2. .J. CHAPITRE I IMAGES DE LA FEM AVANT 1780 Le debut du dix-septiéme siécle marque un tournant décisif dans l'histoire du féminisme francais. Le mouvement précieux et les nouvelles notions de femme forte, d'honnéte femme et de femme généreuse qui traversent la premiere partie du siecle, ont en commun le souci de valoriser l'image de la femme. La préciosité cherche a battre en bréche la notion aristotélicienne perpétuée tout au long de la Renaissance et basée sur le concept de la "privation" qui établit une hierarchie des étres humains et représente la femme comme un "male imparfait". Dans son Livre de la generation des animaux,.Aristote considére la femme comme "une ébauche, comme une production incomplete, vicieuse et contraire au but d'une nature qui, dans un ordre plus parfait, n'engendrerait que des males” (Darmon 19)1. Au seiziéme siécle, les humanistes revendiquent la supériorité naturelle de l'homme sur la femme exigeant d'elle docilité et soumission. Dans son Institution de la femme chrétienne, l'humaniste J.-L. Vivés distingue clairement entre le role de la femme et celui du mari: "Entre les animaux les femelles naturellement obtemperent aux males, les suivent, flattent, blandissent et permettent 27 étre chétiées d'iceux. Aussi la nature a armé les males de plus grande force (...) L'homme use de ses droits comme seigneur de la femme, mais non la femme du mari" (37). L'Institution du mariage chrétien d'Erasme constitue, quant a elle, une féroce diatribe contre les femmes: "La femme est un animal inapte et ridicule. Platon avait raison de se demander dans quelle catégorie la placer, celle des étre raisonnables ou des brutes (...) La femme est toujours femme, c'est a dire stupide" (148). A.l'aube du dix-septieme siécle, la femme demeure pour la plupart des savants un étre incomplet, une déficience de la nature, incapable meme de remplir sa fonction naturelle, l'enfantement, sans la presence de l'homme. Ancrés dans la tradition humaniste, les écrits moralistes du debut du siecle continuent a véhiculer l‘image de la femme faible gouvernée par les sens et dont la vertu est sans cesse menacée par la tentation du vice. Les moralistes reprochent aux femmes leur incapacité a dominer leurs passions expliquant cette faiblesse par une constitution physique fragile et facilement influencable, notion soutenue par le discours medical. Comme l'a montré Evelyne Berriot-Salvadore, 1e mythe de la femme incomplete est remplacé au dix-septiéme siecle par celui de la femme comme utérus.2 Cet organe est tenu responsable de la plupart des maladies féminines et particuliérement de l'hystérie (ou fureurs utérines) qui devient 1e symbole de la féminité dans 28 ‘ .1‘..'~ p u p. U .O". r a! a. I:"'\ - an--- h .n-. '- . q ‘ ..-' ' Q“ n. p a... "3'0“” ‘- ‘ O o- r...‘..- - "“v.‘ q- A h ”31:“: -vJ-~ ‘--' \‘Vufl. . ‘ ~¢..t-‘-.- h .0... ‘ «I. . pl a. . .- .:"‘a ‘ N. «c.‘ ‘5 i §v~‘e Y G I ~& h sa“ 5. -. h‘dfi. ‘ _ l A b af u-“ .b" V" le discours medical. Gouvernée par cet organe mystérieux, la femme est vulnérable et incapable de maitriser ses passions. D'apres Ferrand (La maladie d'amour, ou mélancolie érotique, 1623), la violence du désir et du plaisir féminins serait une sorte de compensation de la nature pour les douleurs de l'enfantement. Pour lutter contre la faiblesse naturelle de la femme a succomber a la sensualité, l'ambition ou l'avarice, les moralistes préchent l'obéissance et la modestie, gardiennes de la chasteté, comme moyens de surveiller les passions féminines. Ces trois vices dominant chez la femme sont considérés par tous les grands moralistes de l'époque3 comme les plus dangereux ennemis de la vertu féminine glorifiée par l'image de la femme forte. La décennie précédant la régence d'Anne d'Autriche assiste a la montée du prestige féminin et a la consecration de la femme fOrte. La littérature moraliste renonce a ne peindre que l'inconstance et l'instabilité des femmes et se penche sur l'étude de la vertu feminine (Maclean 76). La femme devient constante, fidele, résolue, énergique et forte. Les gravures de l'époque se plaisent a représenter la femme dans une situation militaire, entreprenant des taches traditionnellement réservées aux hommes. La présence de l'armure renforce la nouvelle notion de l'héroisme féminin évoquant les amazones comme la Princesse de Condé ou la Duchesse de Chevreuse qui bataillent a travers 1e royaume. 29 'n“' V c... - ;--‘ V ' 5:..-"‘ --- b‘-- - \ § '1" Leur role crucial dans la Fronde témoigne de la presence féminine dans la vie politique et sociale de l'époque (Maclean 209-232). La representation littéraire de la femme forte} demeure principalement le domaine des hommes et il est remarquable que Madeleine de Scudéry soit la seule femme écrivain de l'époque qui ait contribué au genre; ses Femmes illustres (1642) appartiennent a la tradition de la littérature féministe composée par les femmes et inaugurée au siecle précédent par Christine de Pizan qui chanta les louanges de Jeanne dlArc, sa contemporaine. Il est vrai que l'image de la femme forte remettait en question celle, traditionnelle, de la femme modeste et douce soutenue par la critique contemporaine. L'image de la femme erudite ou savante fait écho a celle de la femme forte. Cependant, ces termes créés par le mouvement précieux ont servi de prétexte a certains auteurs masculins pour ridiculiser les aspirations des femmes a participer a la vie littéraire. A.cet égard, 1e succés des Femmes savantes (1672) de Moliere a certainement retardé les progrés de l'instruction feminine. Le discours féminin, que ce soit la prise de parole dans les salons ou les textes produits par les femmes écrivains, cherche a prouver l'excellence de la femme dans des domaines varies. Mais si la conversation subtile et l'esprit des femmes dans les salons sont largement reconnus, la femme auteur demeure 30 -,~F‘ v..v . . . 1. ._ "v ... u. .C a. ..- .3 —. .. v. .3 1. .2 3. t. .a. ~50. .x. auy encore la cible d'attaques anti—féministes la forcant souvent a publier sous l'anonymat, comme par exemple la salonniére Marie le Jars de Gournay forcée de justifier son activité littéraire dans une Apologie pour celle qui escrit (1634). Nul ne peut donc ignorer que la notion dela femme erudite et courageuse révolutionne la maniere dont la femme était alors représentée dans les textes. Mais si l'influence des femmes est indiscutable, force est de reconnaitre la condition inférieure ou les tient toujours la loi civile et religieuse.5 Le sentiment de cette contradiction et la désir de la résoudre en faveur des femmes suscitent, pendant la seconde moitié du siécle, de tres nombreux plaidoyers a la gloire du sexe féminin.6 Lo principe d'éqalité selon Poulain do la Barre De l'égalité des deux sexes de Poulain de la Barre (1678) est l'un des ouvrages qui se démarquent par sa nouveauté et son originalité signalant un tournant dans le développement de la querelle des femmes. Comme l'observe Badinter: "Poulain ouvre la porte non seulement a la liberation psychologique et morale de la femme, mais aussi a sa liberation intellectuelle. En proclamant l'indépendance totale de la pensée a l'égard des conditions physiques de la sexualité, i1 affirme l'égale aptitude de la femme et de 31 l'homme a toutes les oeuvres de l'entendement" (31). La méthode adoptée par Poulain est nouvelle: par un retour sur l'histoire, il se propose de mieux comprendre 1a situation des femmes a son époque. Poulain souligne lui-meme sa conception comprehensive de l'histoire: "Si on avait suivi cette régle...on ne serait pas tombé en tant de méprises: et dans ce qui concerne la condition présente des femmes, on aurait reconnu qu'elles n'ont été assujetties que par la loi du plus fort, et que ce n'a pas été faute de capacité naturelle ni de mérite qu'elles n'ont point partagé avec nous ce qui éléve notre sexe au-dessus du leur" (14). Comme l'observe Albistur, c'est la loi du plus fort qui explique pour Poulain l'histoire des relations entre les deux sexes (160). La robustesse de l'homme lui donne le droit de se charger des téches extérieures (chasse, péche) alors que la femme fragile et souvent incommodée par la grossesse et ses suites, doit souvent dépendre de son époux. Poulain remarque que les femmes, "a cause de leur fonction qui demandaient moins de force, furent regardées comme inférieures aux hommes” (21). Albistur observe a juste titre que le féminisme de Poulain "constitue 1a premiere tentative d'explication anthropologique et existentielle de la servitude feminine" (161). Reléguée a la maison, la femme est exclue du domaine religieux, culturel et politique de la communauté a laquelle 32 v . . . a . . a. 3 . . v . q . . .Aa ”vi. an. aw. Wu .- . u -_ w‘. w. VQ. Q_~ s‘ - ~w. § ¢”. u. >. a. a: .u A: 3. a: u. .3 A. w‘ a: z: .3 I A: Q. ~ ‘ s - «S. . . ... .u .t 5 . . . “ Mu .. .. . . . . . S 1 : 3 t :. ... .. . . . . . .u. . . .2 . :. z. .. . ... ..._ .1. t S .2. i. .. . x .n S r." I ... . . . a. 1 E . . a. u I 1 . E .: E J... n”. .T“. .2“ .2. J“ . . . . a“ .. . . . . .3 I ... . . .~ ~3 3 . r .: elle appartient. Cette tradition établie dés les sociétés primitives se trouve renforcée par l'instauration de lois qui interdisent l'accés de la femme a la vie publique de facon definitive: "Toutes les lois semblent n'avoir été faites que pour maintenir les hommes dans la possession ou ils sont" (12). Selon Poulain, "l'esprit n'a pas de sexe" (59) et l'homme n'est qu'un usurpateur ayant nié depuis trop longtemps l'égalité entre les sexes. Poulain démontre l'illégitimité de l'inégalité entre l'homme et la femme en distinguant, comme l'avait fait avant lui Descartes, le corps dela pensée: la difference des sexes ne concerne que le corps et les qualités physiques ne peuvent en aucun cas influencer directement l'esprit. D'apres Poulain, le cerveau de la femme est exactement semblable a celui de l'homme: "Les impressions des sens s'y recoivent et s'y rassemblent de meme facon et ne s'y conservent point autrement pour l'imagination et pour la mémoire. Les femmes entendent comme nous, par les oreilles; elles voient par les yeux, et elles gofitent avec la langue..."(112). La difference entre les sexes, loin d'étre naturelle, résulte donc de l'usurpation par l'homme du pouvoir. Accoutumés a voir la femme assujettie par la Loi du plus fort, les hommes ont creusé le fossé qui les séparait du sexe féminin en leur interdisant 1e droit a l'éducation et en les confinant dans l'ignorance. Alors que les garcons épanouissent dés l'enfance leurs 33 .5 --- uv“-" 5-- no- *"v - . -~"‘-- vii-”- :. a: 5—. . :— an. .. v. 3. 3" .a. Ibo E ‘3‘” ...;. UD‘V‘- ‘R‘ -~. A- ... ‘- : . .: s‘5 -~ ~‘ ~ .‘ 2. .: a» S a: capacités corporelles et intellectuelles, les jeunes filles demeurent inactives, cloitrées dans des couvents. Le principe d'égalité selon Poulain débouche sur un programme pédagogique développé dans son ouvrage De l'éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et dans les moeurs (1674) qui offre aux femmes les memes possibilités qu'aux hommes. Poulain suggére aux femmes d'exercer leur corps et leur esprit afin de retrouver leur place légitime dans la société. Sur le plan intellectuel, la femme qui recoit une education appropriée doit avoir le droit de choisir sa profession: "Si les femmes avaient étudié dans les universités, avec les hommes, ou dans celles qu'on auraient établiés pour elles en particulier, elles pourraient entrer dans les degrés et prendre le titre de Docteur et de Maitre de Théologie, et en médecine, en l'un et l'autre droit: et leur génie qui les dispose si avantageusement a apprendre, disposerait aussi a enseigner avec succés" (162) Poulain souligne ici le "genie" de la femme, c'est a dire la facon de penser qui lui est propre, sa nature. Pour lui, les femmes possédent des qualités particulieres, féminines, comme l'éloquence naturelle, la patience on encore le sens pratique. Poulain contredit ici son principe d'égalité car en distinguant certaines qualités spécifiques a la femme, il tend par implication a limiter ses capacités dans d'autres domaines. 34 QA"':" : '.‘. vu- :""':‘ ' S ".. 0 ‘gnau o ‘.. 'gpoon l‘ I on. O"‘ " a» A"? N a c.0A en‘- H' '- '( .u.v.-v‘- N. I a.-- 4 .1“): 2" ‘7‘.-." :‘UM '.6 ~." ‘ 'h.’ ~ ’0‘; :- NS ‘ i 8"" ‘; .‘vn‘ .1..- "‘._.~ . fl 3" ‘I ‘1 Au moment méme ou paraissent les oeuvres de Poulain, un courant antiféministe commence a s'installer. De grands écrivains7 s'unissent a la fin du siecle pour "circonscrire l'empire des femmes dans les bornes du pays du Tendre ou [a] les renvoyer durement au foyer” (Abensour XVIII). Esclaves de leur coeur et de leurs sens, les femmes demeurent inférieures a l'homme. Comme l'observent tres souvent les critiques de l'époque, 1e triomphe de la monarchie absolue dans le domaine politique freine l'émancipation de la femme. Selon Abensour: "1e regne de Louix XIV, ou triomphent l'ordre, la regle et, dans l'Etat, le pouvoir d'un seul, est évidemment défavorable a toute manifestation d'indépendance feminine qui, remettant en question la puissance du mari dans la famille, la suprématie théorique des hommes dans la société, semblerait bouleverser l'ordre politique et religieux, menacer dangereusement 1e tréne et l'autel" (158) Si la querelle des femmes, ce "genre littéraire qui prend pour theme la satire on l'apologie 'abstraite' des femmes", selon l'expression d'Albistur et Armogathe (185), semble s'apaiser pendant le régne du roi Soleil (1661-1715), les salons continuent a fleurir dans la capitale et la querelle rebondit dés les premieres décennies du siecle des Lumiéres. 35 .3 .: ~\~ .ad a. T. P». 4:. C A» '.. :— ~\v .: .2 . \ La question de la femme chez les philosophes du dix-huitiéma siécla La transition du dix—septiéme siecle au siecle des Lumieres se manifeste dans la transformation des salons mondains en salons intellectuels grace a l'effort conjoint des salonnieres et encyclopedistes. Les salonnieres de l'époque classique avaient déja joué un role crucial dans la remise en question des structures sociales de la noblesse francaise. En effet, c'est grace a l'influence des précieuses que le cercle étroit des salons, jusqu' alors reserves exclusivement aux aristocrates, s'est élargi. Elles ont encourage l'intégration des bourgeois, des hommes de bien et de tout individu reconnu dans des domaines aussi variés que le commerce, les finances ou les lettres. Pour la premiere fois, 1a vertu humaine devient donc un critere de reconnaissance sociale. Les salonnieres ont facilité l'acces des hommes de bien dans le monde en leur enseignant les graces sociales ou les maniéres aristocratiques.8Ce faisant, elles ont contribué a la fois a la consolidation d'une élite sur le déclin et a la definition de l'idée de salon comme un espace cosmopolite et multi-culturel. Les précieuses du dix-septiéme siécle constituaient déja une force sociale qui ne fera que s'intensifier au siecle des Lumiéres. 36 (D (n Any-"n"_ .- p \ bbfifi"..‘~ ‘ FDA A . , ‘ ‘v v- .. “"‘~ in... .. an...“ “A h‘ l u- ,_ """v a- . 3 n. V ) 4 a~. a 4 ~‘ “-“*-.‘3- ._... ..._e: at) (n (I) (D ’. I) (I) h. I A. I ~ ~‘ I. 'b ‘u g 4 N. ~ C 9 II F‘ R. ‘ I-‘~ Les salons fréquentés assidument par les philosophes des Lumieres avaient un but tout différent. Comme l'observe Dena Goodman, les salonnieres des Lumieres n'étaient pas des précieuses et l'acces aux salons offrait l'entrée dans la République des Lettres non dans le cercle mondain de la noblesse. Cet espace public devint le lieu privilégié des écrivains et philosophes pour critiquer librement la monarchie (330). En transformant un idéal mondain en un espace de travail intellectuel visant a la regeneration de la société, les salonnieres du dix-huitieme siecle adherent au projet encyclopédiste mené par les philosophes. Des la premiere moitié du siecle les écrivains vont se livrer a un examen scrupuleux de tous les sujets épineux de leur époque: gouvernement, société, institutions, moeurs. Comme en témoignent les multiples études démontrant l'égalité des femmes, les philosophes se sont largement intéressés a la question des sexes et du statut de la femme dans la société.9 Ce courant égalitaire se retrouve dans L'Encyclopédie dont certains articles favorisent l'émancipation du sexe féminin. Jaucourt, auteur de l'article "femme" (section droit naturel) remet en question l'autorité maritale qui ne correspond, selon lui, a aucun principe de nature. Il tente de démontrer que l'inégalité entre l'homme et la femme n'est pas légitimée par le droit naturel: "Il parait d'abord: 1) qu'il serait difficile de 37 .. . .5 . a. .. Mu . . V‘ C .. j. . . .. .,. .. a“ r : u... .3 .2 r . 0' o w b. .a .b 5. a». Q. 3. u. .w: m: ..= v. a v . a. 2. \t. N" .Z ._ I . . . a ' av ..l . .1 v . . "“1 Ad. ”’v an" . o a¢ . u .w - .. t. «F' " .a d ‘ .A"'s" -"-‘oc- “‘.’ -‘ démontrer que l'autorité du mari vienne de la nature; parce que ce principe est contraire a l'égalité naturelle des hommes; et de cela seul que l'on est propre a commander, il ne s'ensuit pas qu'on en ait actuellement le droit; 2) l'homme n'a pas toujours plus de force de corps, de sagesse, d'esprit et de conduite que la femme" (t.6, 471). Comme le remarque Procious Malueg, l'article affirme clairement l'égalité des sexes dans le mariage et reconnait que les traditions et lois ont obscurci cette égalité naturelle (262). Steinbrflgge observe que l'article de Jaucourt releve du courant de pensée des physiocrates (334) orienté vers une réflexion critique sur le probleme de l'évolution démographique. Le discours physiocrate, préoccupé par la reproduction biologique de l'homme, est émancipateur dans la mesure ou il place le sexe féminin dans un systeme d'utilité. Cet aspect de L'Encyclopédie témoigne de la volonté du siecle des Lumieres de réhabiliter la femme en la réintégrant dans une nouvelle anthropologie des genres. Pourtant, en portant a la fonction biologique de la femme un intérét fondamental, les physiocrates et encyclopédistes la confinent a la fonction de femme au foyer et l'excluent du monde masculin et de la vie sociale. Le systéme physique de la femme révéle en effet un role qui lui est prédestiné: la fragilité de ses 05, la délicatesse de ses tissus, 1a 38 .'II-.V.-. O Chou u-.- Ana... III .- ‘O‘Iw U“os ‘Q ‘ “=.': c...... - p ‘EGA‘. A. .CO4'--v. C- .‘Dh‘ o. "v . ' ~€ 1 . :QGC:*0 H-V._~. ‘ ' I ' I : I,,._ n O 60“...| RA.‘ ‘ a.-~ C. .‘a. d :- "u ”Ar-d: U“.q D l b’a U ~’. hsb‘e k'. "v. ' petitesse de son cerveau signalaient une vocation naturelle pour la maternité. Selon les physiocrates, la mollesse de sa constitution est merveilleusement assortie aux fonctions qui lui sont dévolues comme par exemple celle de bercer son enfant. A l'intelligence paternelle correspond donc l'instinct maternel. On dénie a la femme tout talent lui concedant tout juste un certain héroisme maternel, celui de sauver son enfant d'un danger. Cette nouvelle definition a la fois médicale, morale et sociale de la femme est illustrée par 1e trés populaire Systeme physique et moral de la femme, ou tableau philosophique de la constitution, de l'état organique, du temperament, des moeurs et des fonctions propres au sexe publié en 1775 par le médecin et philosophe Roussel et dont l'influence se fait sentir dans de nombreux articles de L'Encyclopédie. Le nouvel ideal féminin s'organise autour des nécessités économiques de la société bourgeoise. L'article "Femme", écrit par Desmahis, oppose la femme galante, Chloe, a l'honnéte femme. Desmahis condamne la vie de la premiere dont la mondanité symbolise l'aristocratie parisienne: "Elle sait également et dissimuler des désirs et feindre des sentiments, et composer des ris et verser des larmes. Elle a rarement dans l'ame ce qu'elle a dans les yeux" (472). Le cercle mondain est interdit a l'honnéte femme qui incarne la moralité bourgeoise: "Renfermée dans les devoirs de femme et 39 in “5'9 “ ......I A'F’.”'a: '._'a- v» on. “A“ ' ~ \ _ at. "u ‘ A-OIN I‘. \ ‘v-vuuodlA abnO-Qnr v.0...A-z... . .‘..‘\na ’ ‘ Q 6- ‘1'" 4 ' C I‘l- I ay H i .M-‘bog‘ . x A... 0" ." ‘ 'v~~‘... ' . u. Q .“’ s: QI‘" a‘. v‘..“ .- - ~ . '9. ‘ Q 1'9ae : .2. R “5521' “ de mere, elle consacre ses jours a la pratique des vertus obscures: occupée du gouvernement de sa famille, elle regne sur son mari, sur ses enfants par la douceur, sur ses domestiques par la bonté: sa maison est la demeure des sentiments religieux, de la piété filiale, de l'amour conjugal, de la tendresse maternelle, de l'ordre, de la paix intérieure, du doux sommeil et de la santé: économe et sédentaire, elle en écarte les passions et les besoins" (472). En enfermant la femme dans la sphere familiale, Desmahis la coupe de la vie sociale réservée au cercle masculin. L'article "Femme" (Morale) de Desmahis, le plus long des quatre articles écrits sur le theme de la femme, contredit les idées d'égalité avancées par Jaucourt. Pour lui, la femme est faible, timide, fausse, équivoque, curieuse, cruelle et coquette. Il suggere que la femme, "infligée de troubles physiologiques qui l'affaiblissent, plus sensible qu'intelligente, est par nature soumise a l'homme et qu'elle ne peut échapper a la tutelle masculine (Jaton 76). La philosophie des Lumieres s'efforce de libérer la femme de la conception chrétienne qui justifie l'origine divine de la subordination de la femme a l'homme selon 1e mythe de la creation et le péché originel. En adoptant un discours medical et scientifique, les philosophes tentent de créer une nouvelle image de la femme. Cependant, Anne-Marie .‘gnyAv-O . A ‘ub‘s no: u» n. o ~~~.. ' “cm-(6.: rb§-'..‘ h V‘. ya A 5.. ‘5 Jaton souligne que cette soi-disant liberation enferme la femme dans un "credo scientiste plus puissant et plus efficace" (78). Le discours medical n'ouvre qu'une breche apparente dans le systeme onto-théologique en vigueur. Comme l'observe Colette Piau-Gillot, les articles "Fibres" de l'Encyclopédie ne font guere évoluer l'image de la femme: "Les fibres du cerveau de l'homme, solides, élastiques, imbibées d'un suc léger aux oscillations longues et fortes, permettent l'étude de la chronologie, de la métaphysique, de la mathématique, des monades, des précisions objectives. Les fibres du cerveau des femmes ont des oscillations courtes et faibles, mais plus fréquentes et plus légéres; elles ont la grace, la vivacité, l'enjouement, l'imagination gracieuse, les railleries fines, elles jugent de tout ce qui dépend du gout, découvrent les degrés imperceptibles des passions, mais tout ceci de facon superficielle. Le grand art de la poésie, de l'éloquence et de l'histoire leur est inconnu" (320). De meme, la plupart des théoriciens de la generation nient la participation de la femme a la reproduction. DlAumont critique 1a théorie de Buffonu’dans l'article "Generation": "Ne semble-t-il pas suffisant pour faire sentir le peu de fondement de l'idée d'une vraie semence dans les femmes, de demander pourquoi, si elles ont de la semence entierement semblable a celle de l'homme, elle ne 41 .- In -¢b---o' ,- .9.-- .;'CO'<— — 6-5.- u--. o ="?“o ~-—~-- ‘ _ . ‘ “ar- hob--- . .‘ “‘A~ — ~‘ —~ 3““!‘v -oo‘, ' ‘. “-c- . in: ‘- -‘.. ‘5‘. a '-' ‘ ~ -’ ‘v- -u' . 'R“ --. a ‘ ‘\ I. . “ A ~ . ~~= . Q ~‘ \‘k‘ w.-. ‘v fin .~‘ ‘ o a. h- ‘ ‘ 5““: ‘ produit pas les memes effets, les memes changements dans le corps des filles, qu'elle produit dans le corps des garcons a l'age de la puberté?". Colette Piau-Gillot en conclut: "Si en vingt ans, contraints par l'influence des idées de Buffon, ces encyclopédistes reconnaissent l'activité génitrice de l'homme, ils la refusent encore a la femme, simple dépositaire de l'embryon donné par Dieu" (321). Le débat sur la génération dissimule la hantise de la supériorité féminine: les hommes s'affolent a l'idée que les femmes puissent concevoir seules, refuser 1a procreation ou encore avorter a volonté. En affirmant la part decisive de l'homme dans la procreation, les textes médicaux et littéraires de l'époque s'assurent ainsi que le contréle masculin demeure intact et que la femme, selon l'expression de Rétif de la Bretonne, "reste a sa place". Comme nous l'avons observe plus haut, "la femme est définie par rapport a l'homme comme manque, comme excédent ou, selon une théorie plus élaborée, comme inversion" (Delon 36). Au dix-huitieme siecle, nous rappelle Elisabeth de Fontenay, i1 n'existe pas encore de termes médicaux spécifiques pour décrire le corps de la femme et les ovaires sont traditionnellement appelées "testicules" (38). L'ignorance quant aux organes reproducteurs féminins tendaient a faire de la femme "un homme manque” conformémemt a la these aristotélicienne. Mais contrairement a la plupart 42 .2 H‘ .. V ._ v. .. : 3 i .. 2. u S de ses contemporains, le physicien Roussel insiste sur les differences entre les deux sexes, differences innées et determinant le caractere de Chaque sexe: "Il est donc vraisemblable que la disposition des parties qui composent 1e corps de la femme, est déterminée par la nature meme, et qu'elle sert de fondement au caractere physique et moral qui la distingue" (17). Nous observons encore une fois ici la reduction de la femme a sa nature biologique. Le tournant épistémologique (1e passage du rationalisme au sensualisme) qui a lieu au début du siecle affecte 1e discours sur la nature de la femme et permet de tracer l'image de la femme faible et inférieure a l'homme. La position rationaliste qui distingue la "res cogitans" de la "res extensa" est fortement remise en cause an dix-huitieme siecle. Locke, et apres lui Condillac dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines, affirme que les concepts produits par la raison humaine dérivent de l'expérience et la perception sensorielle. Si la connaissance provient des sens, il est alors nécessaire de reconsidérer les differences physiques entre l'homme et la femme. Thomas, l'historien, et Roussel, le physicien, affirment que les capacités intellectuelles des femmes dependent de leur nature biologique. Dans son Essai sur le caractere, les moeurs et l'esprit des femmes dans différents siecles (1772), Thomas démontre l'infériorité 43 -- intellectuelle des femmes qu'il attribue a la faiblesse naturelle de leurs organes. Thomas considere la femme incapable de concentrer son esprit afin d'accéder a une réflexion rationnelle et philosophique. Mais 1e pouvoir d'imagination des femmes est infini: ”Leurs sens mobiles parcourent tous les objets et en emportent l'image...Le monde réel ne leur suffit pas; elles aiment a se créer un monde imaginaire; elles l'habitent et l'embellissent" (84). Contrairement a l'imagination rationnelle masculine, l'imagination exaltée de la femme lui retire donc 1e droit a la connaissance. Ce "systéme physique" de la femme traverse les écrits théoriques de l'époque et se retrouve chez Diderot sous une forme-particulierement intéressante. La fauna comm mystére chez Diderot L'essai Sur les femmes de Diderot écrit en réponse a l'ouvrage de Thomas, L'Essai sur le caractére, les moeurs et l'esprit des femmes dans les différents siécles, illustre le mythe de l'ambiguité de la femme, ange et demon. Trouvant l'essai de Thomas trop logique et trop insensible, Diderot remarque: "Quand on écrit des femmes, il faut tremper sa plume dans l'arc-en-ciel et jeter sur la ligne la poussiére des ailes du papillon; comme le petit chien du pélerin, a Chaque fois qu'on secoue la patte il faut qu'en tombe des 44 FF— v. 5v '5. C. .— .2 .3 .2 .3 u? 4 ~ I. .2 .2 E 3 . .. a . a. E S 2. perles; et il n'en tombe point de celle de M. Thomas" (956). D'emblée, Diderot évoque la force naturelle et la sensibilité feminine. Si Diderot compatit a la condition des femmes qui s'insurgent contre l'injustice de leur statut dans la société, il s'étend surtout longuement sur les différents aspects spectaculaires de son caractere imprévisible et passionné aux limites de l'irrationnel. Se basant sur les découvertes physiologiques, Diderot définit la femme a la fois comme un manque (frigidité, santé fragile) et comme un exces (sensibilité et intuition débordantes, violence hystérique). Diderot se joint a de nombreux médecins célébres déclarant les femmes en proie a une hystérie envahissante et dont les manifestations varient en apparence et en intensité. L'hystérie, dans le sens étymologique du mot, est une manifestation a la fois physiologique et psychologique de l'utérus sous la forme de déreglements des sens, physiques et mentaux: ”C'est de l'organe propre a son sexe que partent toutes ses idées extravagantes” (951). Blandine McLaughlin observe que cette explication physiologique du caractere féminin s'accorde avec les idées exposées dans le Réve de d'Alembert et les Elements de physiologie ou Diderot insiste sur la relation entre le psychique et le physiologique (298). Contrairement a l'homme toujours capable de conserver un contrOle de soi, la femme 45 ' .oo-‘. " v "1 0"“ fl . a. '4- o 1 C D '7’ l" c" an. 5“ a Q. ~ . (I) est dominée par sa propre sensualité: "La femme dominée par l'hystérisme éprouve je ne sais quoi d'infernal ou de céleste. Quelquefois elle m'a fait frissonner. C'est dans la fureur de la béte féroce qui fait partie d'elle—méme, que je l'ai vue, que je l'ai entendue" (953). L'organe sexuel de la femme ou "la béte féroce" lui interdit tout controle de soi. La dépendance de la femme a sa sexualité la lie 3 l'état sauvage originel.“ De plus, la femme est incapable d'appréhender comme l'homme les valeurs morales a la base de notre société: "[F]aute de réfexion et de principes, rien ne pénétre jusqu'a une certaine profondeur de conviction dans l'entendement des femmes; les idées de justice, de vertu, de vice, de bonté, de méchanceté nagent a la surperficie de leur ame” (956). La femme n'appartient donc pas a un espace réel, palpable mais a un monde mystérieux et indéchiffrable: "Le symbole des femmes en général est celui de l'Apocalypse sur le front de laquelle il est écrit: MYSTERE” (957). 'S'il est vrai que l'essai de Diderot jette un nouveau regard sur la femme en refusant de la définir comme un homme manque (Fontenay 34), ce regard n'en réduit pas moins la femme a un étre sexuel gouverne par des sensations trompeuses et imprévisibles qui 1a privent de la capacité de raisonner. Comme 1e souligne Steinbrflgge,"the corporality of the female capacity for knowledge is dominated by woman's sex-specific bodily organs. This difference leads to a u - ,na " ‘ V V ‘" av".‘n ' A .go" 0 .- “o0J " ",,-o .30. V“ .O‘AV.. ‘ ..‘-o u u ... .‘F ’60-.- . . A. .- “. ... F. v- ‘7‘ ba. ‘41 . .- u I.- (I) ~ , .. - :..'-~ 'vb . unnu . : ,5. b ." ‘u. ‘ i FA“- 0 “V I .. 1-. ‘AA-.‘ ic~~"- a .uln.A .' 'n' A 0" ' qualitative displacement. While sensations contribute to the development of man's cognitive (and moral) capacity, they tend to limit or misguide this development in woman" (46). A l'instar des théories médicales de l'époque, le texte de Diderot souligne l'infériorité de la femme en rappelant ses multiples handicaps: d'abord physique, causé par un organe qui entrave son fonctionnement normal, puis social, provoqué par une instruction insuffisante. C'est au coeur de cette idéologie dominante fondée par un discours scientifique dont nous venons d'observer les principales orientations qu'il nous faut replacer les representations littéraires de la femme par les grands philosophes ou écrivains de la seconde moitié des Lumieres. Cependant, le discours médical a lui seul ne peut expliquer le refus de voir la femme intellectuellement égale a l'homme. Les plus grands penseurs du siecle tiennent un discours visant a reléguer la femme dans le cadre étroit du foyer conjugal. Dans la Nbuvelle Heloise (1761), Rousseau crée l'image d'une femme naturelle perpétuant 1e bien dans la société. La maternité est également au coeur de sa réflexion sur la condition feminine. Selon lui, la mission fondamentale de la femme est d'éduquer ses enfants afin qu'ils deviennent de vertueux citoyens capables de contribuer a l'établissement d'une société vertueuse. La femme doit alors sacrifier aux devoirs naturels et sociaux 47 5.4 de la maternité ses droits individuels au savoir et au pouvoir. Son statut d'épouse/mere vertueuse, illustre par Julie, est donc indispensable au renouveau social recherche par Rousseau. La conception rousseauiste de la raison humaine permet de mieux situer l'image negative de la nature de la femme telle qu'elle apparait dans l'Emile ou La Nbuvelle Heloise. Dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), Rousseau affirme que l'amour-propre est a l'origine des inégalités entre les hommes et de la corruption de la société qui en découle. La raison humaine, exercée dans un premier temps afin de combler les besoins physiques communautaires (inventer la ligne et l'hamecon pour se nourrir de sa péche) mais servant tres vite a satisfaire des intéréts privés, transforme l'homme en un étre égoiste et passionné: "C'est la raison qui engendre l'amour-propre, et c'est la réflexion qui la fortifie; c'est elle qui replie l'homme sur lui-meme: c'est elle qui 1e sépare de tout ce qui le gene et l'afflige. C'est la philosophie qui l'isole; c'est par elle qu'il dit en secret, a l'aspect d'un homme souffrant: "Péris si tu veux; je suis en sfireté"' (174). Si la femme pouvait échapper a la transformation de l'amour de soi en l'amour propre, si elle pouvait conserver le sentiment naturel que l'homme a perdu, si elle pouvait demeurer a tout jamais dans 48 .c-ov' - . 1"; *- ".a‘ -H‘ i O q a A. v“"' p ‘l 0". bit 93 :q o‘ o: fibfi’y bVobb- “1&3“ .‘ “"“QUe 5‘) .‘a mCAc .e la ge“ W est ~P‘\y ivuiev fl 7‘: 5‘ r‘u fém. “a. ‘iCn- un état de nature, alors, elle pourrait remplir sa mission domestique tout en travaillant pour le bien de la société. Pour ceci, il faut éduquer la femme des sa tendre jeunesse. Dans la cinquieme partie de l'Emile, Rousseau aborde l'éducation de Sophie, la compagne de son éleve: I1 faut les [les filles] exercer d'abord a la contrainte, afin qu'il ne leur cofite jamais rien a dompter toutes leurs fantaisies pour les soumettre aux volontés d'autrui. Si elles voulaient toujours travailler on devrait quelquefois les forcer a ne rien faire. La dissipation, la frivolité, l'inconstance, Sont des défauts qui naissent aisément de leurs premiers goats corrompus et toujours suivis. Pour prévenir cet abus apprenez-leur surtout a se vaincre (709). Dans l'Emile, Rousseau définit clairement sa position sur la nature feminine: se basant sur des constatations d'ordre purement biologique, il passe en revue les qualités spécifiquement féminines telles que la timidité, la pudeur et la modestie, puis conclut a l'infériorité intellectuelle de la femme. Comme tout étre dans l'état de nature, la femme est gouvernée par ses désirs instinctifs et seule 1a pudeur, vertu feminine par excellence, peut réguler ses désirs illimités. 49 ‘- .9. «av ‘A Q; .3 a.» Comme l'observe Liselotte Steinbrflgge (345), le développement des capacités intellectuelles de la femme est considéré contre nature dans le systeme rousseauiste. La femme doit seulement penser en termes concrets, son experience étant nécessairement liée a la vie quotidienne: "La recherche des vérités abstraites et spéculatives, des principes, des axiomes dans les sciences, tout ce qui tend a généraliser les idées n'est point du ressort des femmes: leurs études doivent se rapporter toutes a la pratique; c'est a elles a faire l'application des principes que l'homme a trouvés, et c'est a elle de faire les observations qui ménent l'homme a l'établissement des principes'(Emile 736-737). Avec La Nbuvelle Heloise, Rousseau érige un nouveau modele féminin qui influencera toute 1a littérature de la seconde moitié du siecle. Julie y incarne l'idéal de la vertu feminine, les valeurs de pureté, chasteté et fidélité que nous avons mentionnées plus haut. Cependant, Julie dissimule en elle un autre ideal, celui de sa passion pour Saint-Preux qui ne l'abandonnera qu'avec la mort. La Nbuvelle Heloise illustre le conflit entre l'idéal féminin émanant de l'imagination masculine (ce que la femme devrait étre) et la réalité féminine (besoins physiques, passion). Simone de Beauvoir a remarque a cet égard 1a representation littéraire de la nature antithétique de la femme: "La femme 50 cl) In I V w 5 w ”a. I I A .3’5’VF'S _....~o - ..:Au0an: QCOUV‘UV‘4‘ ~py.-- n ,. c x v. uni-r AAFVOAF. ~ r- u vvu' you -. . I-yvA-uv F *'..~‘. \ 5n.“ Ink“. “can ..‘ V. C‘N A; van“ U- l d‘ A h. "We”; ‘ c .3 “‘.s Q..- v.. ‘. ‘9' “‘Au' 1 A.~‘L \A.~ CR!) V.“ l'. ."¢‘.'.G \ ‘ 's Q ‘~ fl ‘ M N \ a“ "“e F A I \A . . '8‘ ‘S" 1‘ A“ est a la fois Eve et la Vierge Marie. Elle est une idole, une servante, la source de la vie, une puissance des ténébres (Le Deuxiéme Sexe, 242). Voltaire avait déja illustré dans L'Ingénu la position insoutenable de la femme incapable d'harmoniser l'idéal vertueux et une autre réalité quotidienne, celle des conventions de la société.lfille de St. Yves découvre avec horreur que son corps constitue une monnaie d'échange contre la libération du Huron. Apres avoir failli a sa vertu et trahi l'idéal auquel elle croyait si fort, la jeune femme ne peut plus vivre en accord avec elle-meme. Comme l'observe Ruth Thomas, "The death of Mlle de St. Yves, which is the sign of subservience to the male ideal and of her dependency on male values, is paradoxically her freedom from them" (324). La vie de la jeune femme demeure déterminée par le concept de la vertu feminine qu'elle n'a pas pu conserver dans son désir de sauver 1e Huron. La mort de l'héroine prend les traits d'un suicide alors qu'elle ne peut réconcilier l'idéal féminin impose par la société et le monde réel incapable de préserver sa virginité. Contrairement a l'héroine de Voltaire, Julie dans la Nouvelle Heloise n'est pas forcée de tromper son amant dans l'espoir de le sauver. Mais pour les deux femmes, la vertu ne mene pas au bonheur et seule la mort semble étre une solution. Comme l'observe Vera Lee (350), Julie se trouve 51 nut-fl“ '9‘ e: ‘:.5000V' .. I:::‘ A' :5 Iva-V." . . n ".yO” “a Ugo-J JV . .4. A "'A\#3 a g.» 5"" '.A...' . I ~ 9 ..-¢.’ v- Oyavvfiy. "F a P .O‘IU. ‘6. iv ‘°v~-n§¢é '0od.u. . . M“ .. t‘ “.2? U-no..‘~- --A¢- v . ‘ 325““ " ‘ b .a'4‘ua fun» I la 1 'f' 'u-,. ‘ ‘ "‘9: ~‘ s.“ h . "‘~S¢~ & 7": ‘ 4.. '; A . ““521?- 5‘ o‘» :e T‘!‘ I VJ Te ‘ Q ~., :JM’ *9 at ‘ i 'L '14 déchirée entre deux types de vertu: la vertu de sentiment (sa passion sacrée pour Saint-Preux/sa sexualité) et la vertu de l'honneur (le code chrétien de pureté/la conduite imposée a la femme par la société) . Apres son mariage avec Wolmar, elle réussit a réconcilier ces deux types de vertu a travers une conversion religieuse et morale qui lui permet de rester fidéle a son mari et a sa famille tout en laissant la place a sa passion pour Saint-Preux. La perte de la Virginité équivaut a une disparition de ce que la société Considere étre le cote le plus noble de la femme et pour y remédier Julie ira jusqu'a sacrifier la sexualité qui l'a Perdue. Apres sa conversion, Julie devient un étre inaccessible ayant oblitéré sa vraie nature et ses vrais désirs. En choisissant d'étre vertueuse a tout prix, elle a SaCrifié une partie de son étre, son moi désirant. Comme l'a éGrit Diderot dans l'Eloge de Richardson, "la vertu est une disposition préconcue a s'immoler en réalité". La vertu de Julie, désormais seule garante de l'harmonie de Clarens, rend donc possible l'existence d'un univers harmonieux, éloigné des "écarts d'imagination" ou peut s'épanouir 1 . iIllage idéale de la femme au foyer régnant sur la vie domestique. Comme celle de Mlle de St. Yves, la vie entiere (le Julie est déterminée par les valeurs masculines de la pureté et de la fidélité. Le désir réprimé par Julie pour Qt>éltr aux lois de la société (loi du Pére) ressurgit 52 ‘ paiA":' ' Cu:"""“ ‘ U 0 ‘ ‘: A O A F 4- av: “D.-. vfi‘b . . . up 'n nc-IP In b stats.» "‘I~-—p . O “who... .. '3'?b1.1r pur sans désir, un amour vertueux, qui lui permette de dominer ses sentiments. Cet ideal, ignorant les besoins Se”(Inels et émotionnels de la femme, méne inévitablement a l ' a~ciultere et a la satisfaction du besoin d'amour charnel de l ‘ h-éroine. Une fois détruite, la féminité exemplaire de TC>I—‘larvel laisse place a une féminité désirante qui ne cessera 56 A'AI-r- v) — i .v... ~9~~ 0’! ootfiéb v” In. C'. . ", H as... 1‘; ‘- Q..- U~ :3 v. vav‘c'c q ‘ “" vvv‘og “An" N“: r". In..- ‘ I :"""‘.‘ new “'v~‘ ' ‘5 Q ’1 a 9' “6.9: §.u. ‘ g‘ G I. ' ' ‘ ‘ jusqu'a la mort d'étre tourmentée par le remords. Sacrifiée un ideal codifié par les hommes, Madame de Tourvel ne § a menace cependant jamais, comme le fait la Marquise de Merteuil, la domination masculine. Madelyn Gutwirth a raison d' écrire: "With the easily defeated Tourvel [.. .] the indictment against the rise of social woman was complete" (28 1) . Alors que Madame de Tourvel craint de perdre contréle de sa vie en laissant libre cours a ses désirs, Madame de Merteuil organise la sienne selon un libertinage sans mesure Pour une femme de sa condition. Dans sa lettre aAltobiographique, la Marquise expose comment elle a pu S'élever au dessus de.son sexe et acquérir une liberté de mouVement (sociale et sexuelle) comparable a celle de Valmont: "Je dis mes principes, et je le dis a dessein: car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, recus sans examen et suivis par habitude, ils sont 1e fruit de mes profondes réflexions; je les ai créées, et je puis dire que je suis mon ouvrage" (233) - Madame de Me“E‘teuil est coupable d'avoir ignoré les limites de son sexe et <3. 'avoir empiété sur le champ de bataille des hommes, adoptant leurs armes et leurs regles dans un domaine QUi Len]: est normalement reserve. Alors qu'elle croit pouvoir défier Valmont impunément, sa revendication de l'autonomie SEXHelle est tenue en échec et la Marquise se retrouve 57 ‘ I 1Qfl‘ ' ’- s:‘,c.eo ‘ ‘v;flfiel 5.9.5.” :‘vtfi‘har'l. . cal-v.45." 0 due“; : I u» N v: k~~ .e u. ‘-.~‘ ‘ \ ‘ y “ ‘::““40E Y ‘Q. ‘i L‘. ‘KF‘ Edines “3v 1 F‘s .a I ;:~;‘-. ,. 4!,“ I F- u V~=E ‘ i Q ’GI- , s #- §»‘~e‘ L ‘1‘.» . ~Ckc°flv soudain au ban de la société. La maladie symbolique qui la frappe, la petite vérole, constitue un avertissement pour les femmes qui, comme elle, tenteraient d'usurper les privileges réservés aux hommes et leur rappelle qu'elles ont plutét intérét a rester a leur place. Comme l'indique Fauchery: "la petite vérole de la Merteuil et de quelques- unes de ses émules joue [...] le role d'un révélateur, non seulement quant aux noirceurs de leur étre profond, mais quant a la fragilité de toute conquéte feminine" (620). Le sort de Madame de Merteuil est arrété dés qu'elle declare la guerre a Valmont pour mener sa propre bataille. Elle est Punie pour avoir surpassé Valmont et menace la sexualité masculine exarcerbée chez le libertin. L'idéologie dominante aux dix-septieme et dix-huitieme siécles représente la femme comme un étre faible gouverne par la passion devant ainsi étre maintenue dans une sphere farlliliale a l'écart de la société. Comme nous venons d' Observer, les femmes qui transgressent cet espace d':>’~'Ilest:'Lque finissent d'une maniére ou d'une autre par étre réduites au silence. C'est dans cette tradition que 3 ' inscrit l'oeuvre de Rétif de la Bretonne. Comme l'avaient fait avant lui les moralistes et Encyclopédistes, il cherche é. "remettre les femmes a leur place" dans un univers ~ b0llzrgeois contrélé par l'homme. Mais derriere son projet de confiner la femme dans un espace familial se cache celui de 58 ..'>. . It: ‘7 "‘ t'u-O‘ J: redonner l'autorité aux chefs de famille, étape primordiale a l'établissement de la société bourgeoise développée par Rétif dans ses écrits théoriques. 59 I “‘ I r.“ ‘ rng‘flv bu. .«bhvb . 3‘ :a': ‘ *‘ ~u§u15 v.05, n'a-u q “azues fie “Am: ‘A- . ' ever". ~:...-. v4“‘fi‘r -,. "““ildnne C. n ‘v . h R b .L: “VI A“ ‘L 3 \‘A\\ s‘y" we“ "‘0' u l “t ..e. ‘II (VI Notes 1Au contraire, la théorie de Galien définit la femme par rapport a l'homme comme inversion. Les organes masculins seraient, selon lui, le renversement et l'extériorité des organes de la femme. Voir Michel Delon, ‘Le Prétexte anatomique,” Dix-huitiéme siecle 12 (1980) 36. 2 Le discours médical soutient l'image imparfaite du corps féminin. Evelyne Berriot-Salvadore, ‘The Discourse of Medicine and Science," A History of Women in the West Ed. Georges Duby and Michelle Perrot, Vol 3. (Cambridge: The Belknap Press of Harvard UP, 1993) 352-355. 3 Nous pensons en particulier a Du Bosc, La Mothe Le VaIar'er, Henri du Lisdam, Claude Maillard et Paul Caillet. ‘ La Gallerie des femmes fortes (1647) du Pere Pierre Le Moyne n'est qu'un exemple parmi une multitude d'essais, marlifestes et pamphlets glorifiant l'héroisme féminin. 5 Le mariage et le choix du conjoint restent 1e fait du E>€51=€a et la legislation renforce sans cesse l'autorité ma 8 culine . 6 Le Traité de l'Education des filles (1687) de Fénelon lllUStre la confiance remarquable de cette fin de siecle dans le pouvoir de l'éducation chez les deux sexes. Les défenses et apologies du sexe féminin publiées a cette A?’ '0‘. ‘s AF.“‘ 05""! O u .04". r“'"9 yvi‘v O I 3 v ;.>. any .' ‘, . ‘AvKo ‘VQ I N C:.".‘:e s ’ b ‘I ARV A44 1 s 9 ‘.. in H. époque ont sans aucun doute favorise l'affranchissement intellectuel de la femme. 7 Boileau fait imprimer en 1694 son injurieuse Satire contre les femmes et Bossuet rappelle que l'inégalité des sexes a été consacrée pour l'éternité par le Créateur lui- méme (Elevation sur les mystéres). 8 Les précieuses enseignaient le style, l'habit, le langage, l'art et la littérature, tous les ingredients nécessaires de la noblesse. Joan Landes, Wbmen and the Public Sphere in the Age of the French Revolution (Ithaca, New york: Cornell UP, 1988) 23-25. 9 De la grandeur et de l'excellence des femmes au- dessus des hommes (1713), Le triomphe du beau sexe sur les hommes (1719), La femme docteur (1731) La supériorité des dames sur les hommes (1744). m VOir Denise Brahimi, "La sexualité dans l'anthropologie humaniste de Buffon",Dix-huitiéme siecle 12 (1980): 113-126. “ [P]lus civilisées que nous en dehors, elles sont restées de vraies sauvages en dedans, toutes machiavélistes, du.p1us au moins" (957). ” Consultez Nancy Miller, The.Heroine's Text: Readings in the French and English Novel, 1722-1782 (New York: Columbia UP, 1980) 47-63. 61 . O R Q-\ Au" 3 , V w y'ao- ‘0 V. ‘ u .:A AQ"'° "UV‘Vv‘. v 1-flfl "'“ " ‘-,I d.“" .,., a c o 13Pour une interpretation psychanalytique du jardin, consultez Peggy Kamuf, Fictions of Feminine Desire: Disclosure of Heloise (Lincoln and London: U of Nebraska, 1982) 79-96. 62 CHAPITRE 2 L' IMAGE DE LA FEM CHEZ RETIF DE LA BRETONNE La place de la femme dans la cosmologie restivienne Dans la Philosophie de Monsieur Nicolas (1796), Rétif expose un systéme d'une "philosophie plus claire, plus frappante que tous ceux que l'on connait" (116). Avant d'étudier les hommes et les animaux, il explique l'origine des planétes et des cometes sur lesquelles vit l'espece humaine, animale et végétale. Les planetes constitueraient, selon lui, une partie détachée du soleil, planete centrale enflammée ou "'Etre-principe" (117), "Soleil des Soleils”. Cette planéte lumineuse animant l'univers tout entier n'est autre que la plus parfaite image de Dieu. Comme l'observe Dennis Fletcher, les ”scories" expliquent, dans le systeme restivien, l'origine des planetes qui sont féminines et inertes contrairement aux soleils males (98). La Terre provient de la force solaire et n'a aucune existence en soi: la planete Terre n'est en effet qu'un déchet émanant de l'énergie surabondante générée par le soleil. Comme Eve est lfiée de la c6te d'Adam, la terre a été formée d'éléments SOlaires dont l'énergie la maintient en orbite. Cette CoSmogonie, représentant clairement une vision masculine de 63 l'univers, est fondée sur le principe de la supériorité du male : "Rétif se forge une conception sexuelle de l'univers. [...] la vie est le produit de la copulation de Dieu, premier et essentiellement male, avec la nature, premiere et essentiellement femelle" (Viatte 257). Caractérisé par sa "tendance insurmontable a multiplier son existence” (258), l'homme est mieux représenté par l'image d'une "bougie, qui en allume cent, mille autres" contrairement a la femme "la bougie qu'il allume, le sujet sur 1equel il opere en allumant la méche" (381). Rétif expose la domination de la Nature sur l'homme et affirme son dévouement a l'ordre naturel sous la dictée duquel il écrit son systeme du monde et de la nature. Dieu est ”le grand tout" dirigeant l'univers et toute forme de vie emerge de l'interaction entre deux étres opposes mais complémentaires: l'homme et la femme (Fletcher 98). Alors que l'homme incarne l'eau et le feu participant activement a la creation de l'univers, la femme, terre et air, y joue un role moins important. La description des propriétés physiques de l'air met en relief la négativité feminine: "C'est l'air porteur du son [...] ceci prouve encore sa femelléité; il ne résonne, que parce qu'il est creux, comme toutes les femelles: au lieu que le feu, l'eau sont Ilénétrans comme les males [...] L'origine de l'air est le feu dont l'air est une scorie" (232) . Associée a l'air, la femme devient écho, reservoir de ce que produit la force masculine. Sa destinée sur terre consiste a re-produire ce que l'homme a brillamment construit. La femme, comme l'air, ne produit aucun son par elle-meme. Elle n'est qu'un recipient qui contient la parole de l'homme. La femme est Echo, la figure douloureuse des.Métamorphoses d'Ovide, condamnée par Juno, la reine de l'Olympe, a une parole minimale, celle de la repetition.1 La parole productrice est refusée 3 Echo. La femme selon le systéme restivien est donc tenue a l'écart, exclue du discours masculin dont elle est l'objet, jamais le sujet. Nous verrons bientot dans quelle mesure les contes des Contemporaines représentent la femme a l'image d'Echo: bien qu'elle soit centrale a l'histoire, elle n'est que l'objet du discours du narrateur qui privilégie l'homme comme sujet principal. Le systeme restivien repose sur la distinction des sexes. L'homme et la femme sont plus différents que ne 1e sont l'homme et n'importe quelle espece animale: La similitude de pouvoir et d'organe de pouvoir est commune a tous les males et leur donne une ressemblance fonciére d'organisation. Les femmes et les femelles, au contraire, ont une autre faculté absolument différente, et qui s'engraine dans celle-la: la femelle recoit, admet, développe; elle a la faculté passive, qui la fait ressembler a la terre végétale; elle donne au 65 germe confié par l'homme, ou le male, une substance qui a des vaisseaux intérieurs, comme son lait en a, lesquels le portent a l'extérieur. (272) L'identité sexuelle de la femme selon Rétif repose sur les fonctions naturelles de la procreation et son role dans la société restivienne n'est déterminé qu'en fonction de sa capacité biologique a procréer. La nature l'a destinée a n'étre que l'instrument de la faculté masculine de communiquer l'étincelle de la vie. S'il est vrai que l'homme et la femme sont complémentaires, il n'en demeure pas moins vrai que c'est l'homme, et l‘homme seulement, qui crée la vie: "L'étre animé [...] a, pour se reproduire, une double faculté: l'active et la passive. L'active est le lot du male. 11 a en lui-meme, outre la vie, la divine, l'inconcevable, faculté de la donner, par un membre qui lui est propre" (179). Comme le soleil, puisant son énergie en Dieu son pere, enflamme et anime les planétes de l'univers, l'homme donne vie a l'humanité: La procreation faite par le male, dont le membre excitatif a mis en mouvement les organes de la femelle, pour qu'ils s'ouvrent, et recoivent dans la partie propre a lui donner le développement, le germe émis et doué de l'esprit de vie, est un procédé admirable de la nature, qui a divinisé les males en leur donnant, ann- ‘~.~v “Va! 9'. O .1 ”Ht. . nky A: ~ A a ~\.~ .. u q\~ .N‘ .\u bornée, une qualité, une faculté sans bornes en Dieu. (270) Dans le systeme restivien, l'homme est supérieur a la femme car c'est lui qui garantit la perpetuation de l'espéce et donc la preservation de l'humanité. Si cette cosmogonie s'appuie de temps a autre sur la religion grecque et romaine, elle privilégie les rites égyptiens dont les figures mythiques (Osiris et Isis) affirment la domination de l'homme sur la femme. C'est le principe de l'analogie2 qui sert de base a la théorie rétivienne: "The truths which lie hidden behind the veil of myth, symbol and allegory are easily discoverable at any time by recourse to analogy, the keystone of the entire structure, expressed in the wearisomely reiterated formula 'tout est image et type dans la nature'" (Fletcher (101). Il est alors facile a Rétif de déclarer: "Tu es un petit Dieu, image du Dieu universel" (153) et d'en conclure a l'infériorité de la femme: "Tout est subordonné dans la nature [...]; il est sans exemple qu'il y ait a cote l'un de l'autre deux Soleils, ou deux Terres de la meme grandeur; le Soleil est le chef unique, et les planetes lui sont Subordonnées: c'est la plus belle image qu'on puisse donner incapacité -> passivité -> négativité, entrainant la mise a l'écart de ces femmes par l'ordre patriarcal. Cette interpretation de la féminité illustrée par les nouvelles restiviennes précédentes fait echo a la théorie de Kristeva sur l'aspect marginal, dissident de la femme. Selon Julia Kristeva, la notion de féminité s'apparente a toute autre notion définie comme marginale par le pouvoir central en place: intellectuels dissidents, classe ouvriere, mode sémiotique.13 Dans Des Chinoises, Kristeva distingue la vérité de l'ordre symbolique, défini par la filiation patrilinéaire at par un discours logique et rationnel (39), de la vérité féminine associée avec l'inconscient et les pulsions refoulées par le Pere, le signe et le temps (40), en d'autres termes par l'ordre symbolique. L'ordre symbolique repose sur la parole communicative et unificatrice s'efforcant de rassembler les membres de la société, une parole paternelle permettant la filiation par la transmission du nom du pere. L'unité sociale et la survie de la société dependent ainsi du rOle symbolique de l'ordre paternel. Les femmes sont alors mises de c6té: "L'économie de ce dispositif exige que les femmes soient a l'écart aussi bien du principe unique, seul vrai et légiférant, de la Parole, que de la face (toujours paternelle) selon laquelle 98 la procreation obtient une valeur sociale: a l'écart du savoir et du pouvoir" (Des Chinoises 25). Kristeva définit donc le féminin comme une position psychique, un domaine préservé dans l'inconscient, marginal a l'ordre symbolique (le domaine du Nom du Pere comme l'analyse Lacan). Dans Des Chinoises, elle releve le choix offert a la petite fille: l'identification a la mere ou l'identification au pére. Dans le premier cas, "les phases pré-oedipiennes (l'érotisme oral et anal) s'en trouvent intensifiées” (33) la rendant marginale a l'ordre symbolique; dans le second cas, la femme, oblitere "les traces de la dépendance vis-a -vis du corps de la mere", accédant ainsi a la maitrise symbolique (33). Les heroines restiviennes étudiées dans les nouvelles précédentes exemplifient ce que Kristeva définit comme le féminin, une position en dehors de l'ordre social paternel symbolique, une construction de l'ordre patriarcal. Les personnages masculins restiviens incarnent pour la plupart les valeurs considérées comme typiquement masculines: maitrise, parole communicative permettant un échange social stable. Nous avons observe a plusieurs reprises a quel point Rétif s'efforcait de définir ses heroines comme "féminines" et leurs époux, peres ou amants comme "masculins". Cette tendance a vouloir maintenir la difference sexuelle a tout prix est la condition premiere de la coherence de la 99 société. Comme le constate Toril Moi, ceci permet a l'ordre patriarcal de définir non pas seulement la féminité mais toutes les femmes comme marginales a la société (166). La femme devient frontiere entre l'ordre symbolique intérieur dans lequel évolue l'homme et le chaos du monde extérieur avec lequel se confondent les femmes étant en marge du domaine symbolique. La femme n'est donc ni a l'intérieur ni a l'extérieur. Son statut batard, hybride, permet a l'ordre symbolique de dénigrer la femme comme symbole du mal on an contraire de la vénérer comme une déesse. La femme a deux visages, ange ou demon, est celle que Rétif nous décrit tout au fil de ses Contemporaines . 100 La Paysanne pervertie Avec La Paysanne pervertie (1784), Rétif resserre son etude de portraits féminins a une heroine, Ursule, dont la destinée lui permet de développer sa critique de la société libertine. A travers les tribulations d'Ursule et les commentaires du narrateur, le texte établit en effet un univers moral base sur le travail et la vertu. La femme devient alors la fondation de la société morale. Le roman renvoie dos a dos la société aristocratique et le peuple qui en pervertissant leurs femmes rendent impossible l'établissement d'un nouveau monde. Dans la Paysanne pervertie, les conventions du roman épistolaire, que nous avons observées dans l'introduction, sont perturbées par la presence de Pierre R**, le frere d'Ursule, qui assume la responsabilité du texte et dont les notes en italique traversent le roman d'un bout a l'autre. Selon Patrick Graille et Laurent Quillerie, la fonction de ses notes est purement moralisatrice (26) et elles permettent a Pierre d'insister sur la déchéance d'Ursule et son abandon progressif de la mentalité paysanne. Des la lettre 2, par exemple, il s'insurge déja contre la conduite de sa soeur: "La flatteuse! elle commence déja a parler comme elle croit qu'on veut qu'elle parle" (53). Dans la note de la lettre 112, il s'indigne contre les effets du 101 libertinage sur les femmes et fait l'éloge de l'éducation et des moeurs paysannes: "Voila donc ce que produisent la science et l'instruction données aux femmes! La fainéantise, les comedies, les bals, la délicatesse, la braverie, la flatteuserie, les dévergondent! Eh! qu'elles travaillent comme ma bonne mere, elles seront sages comme elle" (367). Pierre dévoile ici par contre-coup les valeurs purement terriennes d'un nouvel élitisme social qui réunirait travail laborieux et vertu. La pensée bourgeoise rejette a la fois une aristocratie sur le déclin, a la veille de perdre son pouvoir politique, et un peuple miserable. L'univers aristocrate est symbolise par le marquis et par 1e seigneur italien, figure diabolique du roman, qui entraine la perte de l'héroine. La presence du personnage féminin de la marquise, uniquement préoccupée par la satisfaction de ses désirs, accentue le lien entre aristocratie et libertinage, illustrant ainsi la notion d'une société instable, égoiste, a la recherche du plaisir personnel. A travers le personnage de Lagouache, les prostituées (a l'exception de Zéphire) ou encore les hommes de main de l'Italien, Rétif décrit la populace comme un monde vulgaire, miserable et déchu. L'aristocratie et le peuple sont violemment condamnés dans le roman comme deux pOles stériles et inutiles. Comme l'écrivent Patrick Graille et Laurent Quillerie, "la pensée bourgeoise transparait ici 102 qui repousse simultanément les fastes de l'artifice et l'infamante misere" (28). 115 observent tres justement le "nivellement" qui s'opére dans la logique du récit entre l'aristocratie et le peuple a travers la reduction de l'espace qui sépare les deux univers (27). La déchéance touche aussi bien le marquis, qui apres son mariage emploie avec Ursule "des expressions révoltantes" (527), que Lagouache, le rustre de faubourg. La ville permet a Ursule de cotoyer ces deux univers avant de retrouver sa vertu initiale fortifiée grace a ses experiences a Paris. Cette vertu n'était pourtant pas assez solide et comme toutes les femmes, Ursule est égarée par sa sensibilité et ses désirs. Ce n'est que grace a l'appui des femmes vertueuses et pures de son village qu'elle peut se réintégrer dans l'espace domestique et contribuer ainsi a l'établissement de la société morale. Una vertu bien fragile Place au debut de la premiere partie du roman, l'avant- propos de Pierre se concentre sur une description idyllique de l'héroine a peine ternie par une breve evocation de la déchéance d'Ursule, sa penitence, et sa mort (45). Dans sa preface du roman, Beatrice Didier constate la predominance des épithétes moraux sur les adjectifs pittoresques:14 103 "C'était la grace du visage et du corps; la douceur, la naiveté, la candeur du caractere; la bonté du coeur; la générosité de l'ame" (45). La gravure de la premiere partie représentant Ursule enfant, pure et innocente, vient renforcer l'impression de nature vertueuse de la jeune fille qui s'exprime surtout a travers l'apparence angélique d'Ursule "qui ne tient que de Dieu" (46). En insistant sur la beauté divine et les qualités morales de la jeune fille, le narrateur restaure l'image d'une famille heureuse et harmonieuse telle qu'elle était avant le depart d'Edmond et d'Ursule pour la ville. Les enfants, images du pere, lui- meme image de Dieu, cautionnent la preservation de l'honneur familial, leur vertu servant de garant a la cohesion de la famille R**. La vertu d'Ursule, que Pierre présente comme naturelle, apparait des lors de nature ambigfle puisqu'elle est une condition nécessaire a la survie de la lignée R**. La lettre 2, dans laquelle Ursule se présente elle-meme, contredit l'avant-propos de Pierre qui évoquait une vertu idéale étroitement rattachée a l'enfance paysanne protégée. Ursule nous livre un portrait contrasté mettant en lumiere sa nature ambivalente. La sensibilité d'Ursule se manifeste dés la seconde lettre écrite a Madame Parangon ou elle dévoile un désir d'indépendance et un penchant marque pour le plaisir. Dans les Gynographes, Rétif avait déja insiste sur l'envie de 104 plaire de la femme qui, selon l'expression d'Hoffmann "veut étre désirée et trouve tout son bonheur a exciter les passions" (45). Ursule se démarque des autres filles de son village en dénigrant les coutumes paysannes qui interdisent aux femmes de choisir leur époux: "Voila comme les filles sont ici traitées; elles n'ont seulement pas la satisfaction de recevoir celui qui leur plairait le mieux" (55). Le réve d'Ursule d'étre issue d'une famille noble révéle son désir d'élévation sociale. La prétendue "tendresse filiale" d'Ursule, tant vantée par Pierre dans l'avant-propos, devient douteuse alors qu'elle décrit son réve d'étre la fille d'une marquise sans éprouver aucune gene a l'égard de ses véritables parents. Revenue dans son village apres moins d'un mois passé a Au**, Ursule s'y sent déja étrangere et laisse entrevoir son veritable caractere: "je suis un peu vive, fiere, orgueilleuse, j'aimerais a paraitre, a étre riche..." (57). Le tableau vertueux brossé par Pierre est donc fortement altéré par Ursule elle-meme dés que celle-ci prend la plume, laissant entrevoir une nature complexe ou cohabitent vertu et inclination vers le plaisir. Alors que l'avant-propos de Pierre rendait la ville responsable de la chute de sa soeur, la deuxieme lettre rédigée par la jeune fille montre que c'est sa nature meme qui l'attire vers les maniéres affectées de la ville. Contrairement a l'avant- propos qui évolue dans un monde idéal, la lettre 5 confirme 105 a quel point la subjectivité d'Ursule determine ses reactions face a un univers urbain qui lui est encore étranger. Décrivant a Fanchon le récent mariage d'Edmond avec la cousine de Madame Parangon, Ursule exprime ses sentiments sur la jeune femme, sa nouvelle belle-soeur et la maniere dont elle est traitée a Au**. La, elle trouve tout "aimable" (l'adjectif revient a cinq reprises), et ne peut decider laquelle des deux femmes est la plus gracieuse, se contredisant d'ailleurs a ce sujet (63), prise dans un tourbillon d'amabilité ou elle ne distingue plus la réalité de l'illusion. Remarquant un changement de son apparence (blancheur de peau, port de souliers et de mules), Ursule souligne les compliments qu'elle fait naitre chez son entourage: "Ma petite figure a fait ici quelque impression" (64). Le plaisir qu'elle ressent a entendre ces "mignardises" l'entralne a porter un jugement de valeur sur le monde qui l'entoure. Les reactions d'Ursule ne sont plus dictées que par la sensibilité qui gouverne désormais sa pensée. Les lettres 38 et 40 illustrent le triomphe de la sensibilité feminine sur la vertu. Ursule avoue avoir été trahie par ses sens dans les bras du marquis, son agresseur: "Je m'éveillai dans ses bras, et s'il faut l'avouer, mes sens d'accord avec lui" (184). De son COté, Madame Parangon 106 est forcée de reconnaitre son désir pour Edmond malgré la violence dont il a fait preuve: "Ne pouvant plus douter de ses vues, je l'évitai, mais sans le hair. Le pouvais-je, quand je portais dans mon sein le complice...Et je le porte encore: mon coeur me trahissait" (200). Par devoir et respect des préjugés, les femmes tentent de résister aux assauts masculins mais, trompées par leurs sens, elles deviennent complices de leurs séducteurs. Par le parallélisme des deux Seductions, Rétif souligne l'attitude libertine des hommes et la faiblesse des femmes dont la chute est provoquée par le conflit entre le coeur et la raison, entre la sensibilité feminine et la vertu. Trop fragile et trop souvent menacée, la vertu ne constitue pas toujours un bouclier contre les dangers de la ville. La perte de l'innocence ou la réussit. sociale Avant l'assaut du marquis, i1 ne restait plus a Ursule que sa chasteté, la conservation de sa virginité avant le mariage, ce qui définit la vertu feminine par excellence. Une fois sous l'empire de sa sensibilité, Ursule laisse échapper son bien le plus précieux, "ce qu'on ne retrouve jamais" 189). Consciente de la portée de ce sacrifice, elle écrit: "Car ne nous flattons pas, ma cousine; quand les filles ont éprouve ce cruel affront, elles n'ont plus la 107 meme délicatesse, ni la méme vertu si elles en conservent encore" (310). Ursule fait l'erreur de croire qu’il existe plusieurs types de vertu chez la femme. Elle insinue ici que la virginité n'est pas la seule vertu feminine et qu'étre riche peut aider les femmes a acquérir de nouvelles qualités. La perte de la virginité, vécue comme un échec personnel (328), est remplacée par la possession de biens matériels. La jeune paysanne opere un renversement intérieur ou l'acces a la richesse vient compenser la perte de son innocence. Ce marché ne l'embarrasse guere puisqu'il satisfait pleinement sa quéte du plaisir a travers l'élévation sociale. Rétif observe ici la précarité de la vertu feminine en butte aux passions effrénées et le danger que peut signifier la perte de l'innocence lorqu'il confere a la femme un pouvoir sur l'homme. La perte de la virginité devient alors nuisible non seulement pour la femme (les malheurs d'Ursule en témoignent) mais pour la société en general et plus particulierement pour les hommes. La liaison d'Ursule avec le marquis lui procure une nouvelle liberté définie sur le plan financier: entretenue, elle obtient 60.000 livres par an et se hisse ainsi au rang' de la marquise, dans le domaine social au moins. L'ascension sociale d'Ursule se manifeste également dans la relation épistolaire qu'elle engage avec la marquise. En s'adressant a elle dans la lettre 100, sous 108 prétexte de se mettre sous ses ordres quant a la conduite a adopter avec le marquis (329), Ursule affirme son existence a travers l'écriture. Son nouveau statut de femme entretenue lui permet de se croire sur un pied d'égalité avec la marquise a qui elle espere bien le faire entendre. Par cette lettre, Ursule croit prendre une revanche sociale, revendiquant son indépendance en signalant a la marquise l'influence qu'elle possede sur son époux: "Madame, M. le marquis m'a aimée; et quoiqu'il ne m'aime plus, puisqu'il est votre mari, il a conserve des égards pour moi auxquels je ne suis pas insensible” (329). La relation des deux femmes se place rapidement sous le signe de la tromperie, le marquis devenant leur victime. Une apparente égalité entre elles existe sur le plan économique (le dépouillement de la fortune du marquis) et sensuel (le libertinage des sens comme la "partie carree" le révéle). La complicité entre Ursule et la marquise semble instaurer un univers ou toutes les frontieres sociales auraient été abolies mais comme l'observe Claude Klein, cette image d'un monde sans classes repose sur une "illusion égalitaire" (154) que rien ne garantit. Dans leur désir de se venger des hommes, les deux femmes partagent un moment les memes emotions et le meme sentiment de domination sans se douter que ce jeu ne repose que sur de fragiles apparences. 109 Cependant, ce jeu libertin ouvre a Ursule un espace nouveau ou elle joue le premier r61e en manoeuvrant les actions des libertins: "Montdor s'est mis en devoir de me prouver qu'il m'adorait: j'éludais adroitement; je faisais comme ces enfants qui jouent a la baie ; je l'ai tantalisé ; les femmes le font si souvent qu'elles peuvent bien prendre leur revanche" (373). La domination d'Ursule provoque ainsi l'humiliation des hommes et renverse les rOles en faisant du libertin la victime de la paysanne pervertie. Ce monde a l'envers présente un danger auquel Rétif n'est pas insensible: la fievre de domination des femmes menace non seulement la suprématie masculine mais aussi la société; l'argent dépensé libéralement par Ursule et par les femmes entretenues en general, en vetements, chaussures ou fantaisies libertines, risque vite de ruiner la nation. Rétif dénonce par la bouche d'Ursule la frivolité d'une société décadente trouvant dans le luxe un moyen de s'évader de la réalité: "Voila plus de cinquante mille écus que je dépense depuis un an, et le marquis n'a guere fourni que quatre-vingt mille livres; encore commence-t-il a se plaindre (..) J'ai déja fait remonter dix fois mes diamants; Chaque mouchoir ne me sert qu'une fois" (380). Le commerce d’objets de luxe ne représente qu'une partie infime de l'économie du pays, contrairement a ce qu'Ursule et les aristocrates semblent croire. Rétif contribue ici au débat 110 sur la question du luxe qui prend toute son importance pour le pays dans un contexte économique. Comme le furent les Encyclopédistes, Rétif est influence par les théories des physiocrates pour lesquels la veritable richesse de la nation ne reside pas dans l'importation d'objets frivoles et de grand luxe mais dans la production agricole. L'excés de la dépense chez Ursule représente l'oisiveté et l'inutilité des mondains parisiens qui jouissent de la vie aux dépens des agriculteurs, sans faire un geste pour enrichir leur pays. Attirée de plus en plus vers les biens matériels, Ursule se prend finalement de passion pour le jeu qui constitue, selon Jacques Rustin "1e signe le plus visible de la désintégration des valeurs" (45). L'attirance de la paysanne pour le plaisir l'a conduite a évoluer dans un univers sans valeurs ou la vertu feminine se mesure en livres et en écus. Ecrituro at autonomic Le plaisir, dans La Paysanne Pervertie, c'est aussi celui de l'écriture découvert par Ursule des son arrivée a la ville. Les premieres lettres manifestent a la fois l'innocence et 1e respect filial d'Ursule: "Car les deux demoiselles d'ici sont trop spirituelles pour moi, et il me 111 semble que je serai plus a mon aise, quand j'aurai la jolie petite demoiselle Fanchette pour causer (...) Votre tendre et obéissante fille, Ursule R--" (51-52). La sincérité de la jeune fille transparait a travers les expressions ”je vous dirai", "je puis bien dire", montrant le souci d'Ursule de relater a ses parents les événements d'une maniére objective. Le style de cette premiere lettre est extrémement candide et direct. La deuxieme lettre adressée a Madame Parangon et écrite pres d'un mois apres la précédente témoigne de l'évolution d'Ursule, sa transformation étant mise en relief par une note de l'éditeur remarquant que la jeune fille manie déja les ressources de la langue francaise. De son aveu meme, l'écriture d'Ursule est dés lors placée sous le signe du déguisement, de la tromperie: "Comme je ne fais guere mes lettres qu'en cachette, ma chere soeur, afin de pouvoir parler plus librement, j'écris par petits intervalles” (131). Au cours du roman, l'écriture d'Ursule évolue et son style s'affine au contact de ses correspondants. Elle apprend l'art de manipuler ceux qui 1a lisent, intégrant d'autres missives a la sienne, rapportant 1e discours d'autrui en italique, citant des vers (399), on encore usant a bon escient de la ponctuation pour émouvoir son lecteur. Son écriture devient touchante au point d'influencer le bon sens paysan de Fanchon. A cet égard, Pierre déplorera 112 plusieurs fois les propos de sa femme: "Ma pauvre femme la [Ursule] loue, de ce qu'il ne fallait pas la louer" (156). A partir de la cinquiéme partie, le triangle épistolaire Ursule/Laure/Gaudet succede au trio Ursule/Fanchon/Parangon. L'échange devient dangereux car les libertins savent stimuler le désir d'indépendance de l'héroine qui devient rapidement maitresse dans l'art du libertinage (384). Le discours d'Ursule devient, comme celui de Laure ou de Gaudet, libertin, c'est a dire entierement tourné vers le plaisir. Mais alors que celui de Laure (255) est un discours stratégique, "un masque, un faux semblant, dont la seule finalité est de mystifier l'autre" (Anne-Marie Jaton 315), le discours d'Ursule se confond avec la satisfaction de relater un épisode agréable. L'écriture lui permet en effet de reproduire une scene libertine dans laquelle elle a régné sur ses amants/victimes. La narration de ses exces libertins a la lettre 122 lui procure une jouissance libératrice qui lui confirme sa supériorité sur les hommes: "Tout me rit autour de moi: j'ai le plaisir, comme certaines princesses, de choisir les plus beaux hommes (...) Je suis fille, maitresse de moi, et c'est mon état que de faire des heureux" (375). C'est 1e plaisir suscité par le spectacle de la dépendance masculine qui alimente l'écriture d'Ursule et lui procure un sentiment d'autonomie et de domination. L'écriture autorise 113 bien une inscription de son triomphe sur l'univers masculin et répond a son désir de fixer par écrit ses exploits ainsi qu'a sa volonté d'étre lue et reconnue par un public (en l'occurrence, Gaudet ou Laure). En definitive, Ursule est tourmentée par les memes besoins que ceux de l'écrivain. L'échange épistolaire avec Gaudet ou Laure la conduit a une surenchere d'actions libertines: plus elle relate ses experiences, plus elle s'enfonce dans la carriere du vice. Le lecteur a vite le sentiment que c'est 1e fait meme d'écrire qui pousse Ursule a sombrer dans la débauche. Rétif condamne l'écriture feminine qui, selon lui, se confond avec le plaisir de la domination. A travers Gaudet, son porte- parole a cet égard, Rétif en vient a comparer les femmes auteurs aux prostituées parisiennes: "Toute femme qui se produit en public par sa plume, est préte a s'y produire comme actrice, j'oserais dire comme courtisane" (354). La femme engagée dans un échange épistolaire, transgressant la sphere privée de la famille pour pénétrer dans un univers qui la reconnait en tant qu'individu social et indépendant, représente une menace potentielle pour la société patriarcale (Mc Arthur 44). Rétif constate ici l'aspect nuisible de l'écriture pour la femme vertueuse: en permettant la découverte du plaisir de l'autonomie, l'écriture précipite l'escalade de la femme dans ce que Rétif représente comme 1e vice. Il établit ainsi un 114 paralléle entre l'accés a l'écriture et l'accés a l'indépendance qui conduisent tous deux, selon son systéme, a la déchéance de la destinée feminine, représentée par la sequestration d'Ursule chez l'Italien. A travers la lettre 120, ou il distingue clairement la vertu (univers stable et honnéte) du vice (espace de la tromperie et de l'autonomie), Rétif affirme fermement le lien entre l'autonomie de la femme et la carriere dans le vice. La sincérité s'oppose a la manipulation, a la ruse dont les hommes sont désormais les victimes. Ursule dénigre la vertu qu'elle compare a son rouge "qui donne de l'éclat” (403) et dont elle se pare a l'occasion pour séduire une future victime. Elle s'octroie la liberté d'adopter un nouveau visage, une nouvelle parure pour Chaque situation: "La coiffure en bacchante annonce une Cleopatre; celle en folle, une badine, qui leurre et couronne tour a tour; celle en naive une Vierge, qui se defend avec maladresse" (384). Cette liberté dans l'apparence fait echo a une autonomie épistolaire qui la libere et lui procure le pouvoir de choisir ses amants ou ses correspondants (comme la marquise), ce qu'elle ne pouvait faire dans son village. Cependant, la liberté d'Ursule entraine le chaos le plus complet autour d'elle et menace meme la destruction de son entourage: H5 Plusieurs hommes incommodés par elle [Ursule] sont furieux et l'auraient poignardée, ou jetée par la fenétre, si on ne l'avaient pas cachée: ils doivent faire enlever toute notre maison...nous allons nous mettre en sureté" écrit Laure a Edmond.(436) En soulignant les consequences néfastes du comportement d'Ursule sur son entourage, Rétif dépasse le cadre de son heroine et vise toutes les femmes qui, comme elle, recherchent l'indépendance a tout prix. Ursule rappelle ici l'image de la ‘Furie” déja rencontrée chez Babet et Pauline, les heroines de ‘La fille séduite”. Ces femmes constituent un danger réel pour la société et doivent étre arrétées. Pour échapper a la mort et empécher la désintégration de son univers proche, Ursule doit retrouver 1e droit chemin. L'affaccmont d'Ursule on 1. retour a la vertu .Alors que les parties cinq et six se concentraient sur l'échange libertin entre Ursule, Laure, Gaudet et Laguache, la septieme partie se clét sur le repentir de l'héroine et le retour de la vertu dans son coeur. Sur la plan du récit, cette transformation se manifeste par l'anéantissement de l'échange libertin et le retour d'une correspondance vertueuse entre les paysannes Edmée, Fanchon, Catherine et Madame Parangon. Ce morcellement de l'échange épistolaire 116 permet d'effacer la parole libertine en réintroduisant un discours moral féminin. La correspondance de Fanchon, Edmée et Catherine restaure les valeurs familiales et domestiques: "C'est [Catherine] une bonne soeur, et plutét mere que soeur a mon endroit. Que Dieu la bénisse! Pour notre Georget, il ne songe qu'au travail" (486). La réintégration d'Ursule dans la sphere privée se trouve soulignée par sa propre parole édifiante: ”Je te prie, ma chere soeur, de mettre aux pieds de nos tres chers pere et mere, les voeux de leur indigne fille: ta mediation les rendra moins téméraires" (499). Le discours de l'héroine est un discours de soumission ou la vertu feminine triomphe de l'exces du libertinage. La signature au bas de la lettre 155, "Ursule pécheresse", montre la dissociation de l'heroine avec son passe et la creation d'un nouvel étre vertueux. Ursule se soumet entierement au marquis qu'elle a accepté d'épouser. Renoncant a agir par elle-meme, elle se place désormais sous l'autorité de son mari: "J'aurais bien des choses a vous marquer, monsieur, mais le titre que vous voulez prendre a mon égard me ferme la bouche, et je me conforme, des ce moment de mon acceptation, aux lois de soumission qu'il va m'imposer. Il ne sied pas a une femme de faire la raisonneuse avec son mari" (511). L'image de la bouche fermée traduit l'effacement textuel d'Ursule abdiquant sa voix devant la loi du pére/mari. Le retour de la domination 117 masculine se fait alors a travers le sacrifice de la parole féminine, punie pour avoir menacé les structures patriarcales traditionnelles. Le dénouement est clair et la destinée de l'héroine est bouclée. Comme dans Les Contemporaines, Rétif cléture son texte sans ambiguité. La structure narrative du roman traduit le rejet de deux univers instables qui forment des individus dépourvus de compassion et d'ambition, si ce n'est que sur le plan personnel. La structure en boucle du roman, allant de l'ascension de l'héroine a sa chute, puis a sa redemption et enfin a sa mort, réinstaure les valeurs stables de la tranquillité du monde rural. La derniére lettre de Fanchon, écrite dix ans apres la mort d'Ursule et relatant cette fois l'enterrement d'Edmond, impose une double cloture au roman, accentuée par la remarque de Fanchon en italique: "Tout est fini" (535). La volonté de clotfirer 1e roman de facon definitive se traduit également par la "Complainte du paysan et de la paysanne chantée dans leur pays" qui suit directement 1a derniere lettre de Fanchon. Par cette complainte de 55 couplets, qui retrace sur un air populaire du moyen age les malheurs d'Ursule et de son frére, le texte imprime une derniere fois un contenu moral: "Or profitons tous de l'exemple/Que leur sort donne au paysan/I1 faut que chacun le contemple/Pour fuir la ville et vivre aux champs" (559). Comme l'observent Patrick 118 Graille et Laurent Quillerie, la complainte "participe tout a la fois de la tradition purement orale et du genre populaire par excellence" et "le pathétisme, l'exemplarité morale et l'exotisme de [la] forme assurent une ultime authenticité romanesque empreinte d'actualité littéraire" (27). Mais surtout, cette complainte accentue la volonté de donner au texte un dénouement univoque ou regnent l'ordre et la stabilité. L'insistence sur la double mort des héros et sur les ceremonies qui s‘en suivent permet de fixer le triomphe de la vertu sur le libertinage et de célébrer le retour des valeurs rurales. De plus, la presence des gravures qui traversent l'édition du "Cercle du livre précieux" de La Paysanne participe a cette celebration des moeurs paysannes. Testud observe la réimpression, dans cette edition, de seulement huit des 138 gravures originales qui forment selon l'expression de Rétif "une histoire en tableaux sans la moindre lacune" (Testud, 362). Rétif utilise Chaque frontispice d'une maniere graphique et parfois meme symbolique pour dépeindre la déchéance progressive de l'héroine. Chaque frontispice est précédé d'un commentaire expliquant la gravure et parfois le passage du roman illustre par le dessin est indiqué. Tous ces commentaires risquent d'alourdir le texte. Mais Testud remarque a cet égard que c'est "la gout du theatre qui pousse Rétif a 119 chercher un prolongement visuel du texte écrit (...) Elle [l'estampe] donne a voir de facon immédiate et tend ainsi a réduire la distance qui sépare le livre du theatre" (La Paysanne, Au Cercle du livre précieux). Le support visuel constitué par les estampes permet de créer l'illusion d'authenticité chez le lecteur qui devient alors aussi spectateur. Non seulement, comme l’écrit McElaney-Johnson (21), les gravures engagent le lecteur dans un acte d'interprétation, elles le guident aussi vers l'interprétation que Rétif espere lui faire épouser. En voyant par exemple l'élégance raffinée du boudoir d'Ursule (sixieme estampe), 1e lecteur associe le luxe aristocrate a la corruption de la ville. L'organisation des gravures témoigne de la preoccupation morale de l'auteur, de sa volonté de souligner la relation entre le vice et la société urbaine: l'estampe montrant Ursule dans son boudoir est suivie par un dessin de l'héroine humiliée publiquement. Insistant constamment sur la menace qui pese sur l'héroine a la ville, les gravures guident l'interprétation du lecteur comme le font également les notes en italiques de Pierre, les observations morales de Pierre qui interrompent les lettres ou encore les titres des lettres. [Le titre de la lettre 111 "Comme les femmes courent vite dans la carriere du vice, des qu'elles y sont entrees!" (366) dirige d'emblée l'interprétation du lecteur.] Les divers points de vue 120 présentés par l'échange épistolaire sont finalement soumis a l'autorité de Pierre et de l'éditeur qui composent le texte. Le lecteur, apres avoir été confronté a de multiples perspectives, est amené a la fin a reconnaitre la supériorité d'un monde stable construit sur une vertu morale qui constitue la base de la société bourgeoise. La stabilité de cette nouvelle communauté depend de la place que la femme y occupe. Une femme qui menace la société patriarcale par son comportement libertin n'a pas de place dans l'idéologie bourgeoise et doit regagner l'univers domestique auquel elle appartient naturellement d'aprés Rétif. L'utilisation de la forme épistolaire dans la Paysanne pervertie permet de remettre Ursule a sa place d'une maniere moins expéditive que dans les Comtemporaines mais sans aucun doute plus efficace. Par leur brieveté et leur dénouement moralisateur, les nouvelles précédemment étudiées réduisent l'identité feminine a un r61e bien spécifique. Chaque nouvelle définit l'héroine par son titre de noblesse, sa profession ou celle de son mari ("La duchesse", "La femme du laboureur", "La jolie bonnetiere”...) En recensant dans un seul ouvrage le maximum de portraits de femme possible, provenant des classes sociales les plus variées, Rétif fixe ses heroines dans le temps et l'espace, délimitant leur existence entre le pOIe de la vertu et celui du vice. Chaque nouvelle est précédée 121 d'une estampe accompagnée d'une breve réplique d'un des personnages. L'estampe de "La jolie bonnetiere, ou la fille trop fiere de sa beauté" représente un homme les bras au ciel devant une jeune fille qui se cache le visage d'une main. Le commentaire est eloquent: "Un Fat, regardant avec derision la jolie bonnetiére, rougie par la petite vérole: Quoi! Mon enfant! C'est toi! Tu fais peur!" (10). D'emblée, dans cette mise en abyme des valeurs restiviennes, l'héroine est privée de toute liberté d'action et de tout espoir d'échapper au destin que le narrateur lui a choisi. Sa destinée incarne de facon allégorique l'activité du lecteur dont l'interprétation est déterminée dés les premieres pages de la nouvelle. Rétif'impose donc d'entrée de jeu un jugement moral renforce a l'intérieur meme de la nouvelle par la presence de l'autorité envahissante du narrateur et de dénouements moralisateurs. Un an plus tard, dans la Paysanne pervertie, Rétif a recours a la forme épistolaire qui va lui servir a élaborer sa representation de la femme. On est en droit de se demander pourquoi Rétif, apres avoir condamne l'écriture feminine dans les Gynographes et les Contemporaines, laisse ici les femmes s'exprimer librement dans un échange de lettres qui recouvre une période de plus de quinze ans. Rétif exploite les nombreuses ressources du genre épistolaire, étirant son roman dans le temps comme dans 122 l'espace pour mieux retracer l'évolution des personnages. Mais c'est surtout l'échange des lettres, avec ses différents destinataires et points de vue, qui permet a l'auteur de faire pénétrer ses lecteurs dans la conscience des personnages féminins. Ursule, jeune femme complexe par sa pensée et ses transformations, se dévoile a maintes reprises dans ses lettres comme un personnage double, a deux facettes. Rétif se sert par exemple du procédé des relations paralléles en faisant écrire par Ursule deux lettres différentes relatant son enlevement par le marquis. Dans l'une (lettre 40), destinée a Fanchon, elle se décrit comme une femme violentée; dans l'autre (lettre 38), écrite a Laure, comme une libertine consentante. Rétif manipule ici les strategies narratives du genre épistolaire pour peindre la duplicité de la femme. Il renforce 1e lien, déja établi dans les Contemporaines par le narrateur omniscient, entre l'écriture feminine et la personnalité de la femme d'une maniere encore plus radicale puisque c'est son texte lui— meme qui atteste de son caractere malfaisant. La voix d'Ursule est ainsi doublement transgressée: par le scripteur masculin qui s'approprie ses lettres pour servir son projet de remettre les femmes a leur place, puis par le narrateur qui se fait éditeur de sa correspondance. C'est contre ce détournement de la voix feminine que s'insurge madame de Charriere s'emparant a son tour de la 123 plume pour remettre non les hommes, mais "les choses a leur place" (Lettres de Mistriss Henley, 102). 124 Notes 1 Comme le souligne Naomi Segal, le discours contraint d'Echo définit son étre tout entier: "Her speaking is never an act of choice or initiative. She must follow, not chase; catch fire and not inflame" (6). Naomi Segal, Narcissus and Echo (New York: St. Martin’s, 1988). 2Dans La Philosophie de.Mbnsieur Nicolas , Rétif affirme lui-meme que l'analogie est "le raisonnement par lequel il [je] monte du connu a l'inconnu" (461). 3 Robert Mauzi définit ainsi le bourgeois: "Le bourgeois est donc l'homme qui a refusé l'amour pour l'économie, qui cherche l'affirmation de son étre dans la poursuite et la mise en reserve des biens matériels" (269). ll precise plus loin: "1e bonheur du bourgeois n'est pas ailleurs qu'en sa maison. Et sa maison n'est heureuse que si tout y est fondé sur des principes. L'un de ceux-ci astreint l'épouse du bourgeois a prendre en toute chose le contrepied des pensées et des gestes d'une mondaine" (281). ‘Bicétre était l'école pour enfants de choeur ou Rétif séjourna avant de pénétrer dans la capitale. Daniel Baruch évoque brievement l'année passée dans cette institution et les rapports de Rétif avec ses camarades. Daniel Baruch, Nicolas Edmé Restif de la Bretonne (Paris: Fayard, 1996) 48- 56. EB 5 ”Vous allaitez vos enfants, et ces innocentes creatures trouvent sur votre sein une nourriture qui est le complement et la suite naturelle de celle qu'ils ont prise dans vos entrailles" (Gynographes 123). 6 La remarque suivante de Sebastien Mercier, contemporain et avide lecteur de Rétif, en témoigne: "Non, il ne faut pas qu'une creature séduisante et pourrie attaque dans la rue le jeune homme, en lui montrant des appas propres a échauffer un vieillard, ni qu'elle fasse perdre en un instant a son malheureux pere 1e fruit de dix-huit années de soins. Non, il ne faut pas que l'époux, jusque-la fidele, rencontre tous les soirs de ces femmes, marchant avec un air de volupté, qui ne fut jamais dans la respectable mere de famille. Voilez ces objets de tentation a tous les regards! Eloignez-les!” (Tableau de Paris 109). 7 La plupart des nouvelles se ferment sur une breve remarque relevant la situation présente des personnages: "Je sais que le Comte suit encore son premier plan de conduite” (IX,332). 8 Voir aussi Jean Delumeau, La peur en Occident (Paris: Fayart, 1978). 9 Selon l'expression de Nancy Miller employee au sujet de Madame de Merteuil. 1” Nous pensons en particulier a Manon, Julie, Madame de Tourvel et Virginie. Voir Ruth Thomas "The Death of an 126 Ideal: Female suicides in the Eighteenth- Century French Novel," French Wbmen and the Age of Enlightenment, ed. Samia Spencer (Bloomington: Indiana UP, 1984) 321-332. “ Voir la diatribe dirigée contre les Parisiennes dans "La Jolie fille de boutique". ” ”Ensevelie dans les détails économiques et qu'au lieu de nouvelles publiques, et de littérature, de spectacles, de parties de plaisir, ou de médisance, elle LAgnes] ne l'entretenait que de ces riens de ménage" (143). '” Associé avec l'ordre maternel, la figure de la mere pré-oedipienne, le mode sémiotique domine dans le psyche de la femme (Rowley and Grosz 194) et se caractérise chez la femme par un discours-marginal, parfois irrationnel (rire, jeu de mots; traces de l'inconscient, phase pré-oedipale); i1 constitue en quelque sorte l'élément perturbateur qui subvertit les structures de la linguistique traditionnelle (Moi 162). Kristeva souligne qu'il ne s'agit pas d'un element spécifiquement féminin: dans La Revolution du langage poétique (606), elle l'identifie notamment chez les écrivains d'avant-garde (e.g. la fluidité de l'écriture d'Artaud et son rejet du style conventionnel). “ Restif de la Bretonne, La Paysanne pervertie: ou les dangers de la ville (Paris: Garnier-Flammarion, 1972) 16. 127 Chapitre 3 MRDAME DE CHARRIERE ET LA TRADITION EPISTOLAIRE Dans ses quelques pages consacrées a la romanciére au dix- huitiéme siécle, Fauchery souligne les affinités de la forme épistolaire avec ce qu'il considere étre les traits essentiels de la féminité: Epistoliere de fondation, la femme passe pour ainsi dire insensiblement de la lettre spontanée a la lettre imaginée. Les facilités du genre sont immenses (...). Ni l'ellipse ni la digression n'y peuvent étre blamées: elles passent pour des moyens légitimes de se tenir au plus pres de la vie meme de la conscience, et la femme a licence de s'y abandonner sans reproche a ce primesaut, a cette naiveté en partie naturelle, en partie acquise et a demi feinte, conforme a l'idée recue de son sexe, au type de plaisir que le public et plus spécialement les hommes attendent de lui. (111) Fauchery souleve ici une consideration importante: la lettre fait ressortir la pensée intime de la femme et dévoile ses emotions les plus secretes. De plus, la flexibilité du genre aide a faire l'impasse sur les erreurs de style commises par une romanciere innocente et inexpérimentée. Fauchery resume une notion fondamentale au dix-huitieme siecle, celle de la H8 femme écrivain dont le succes s'explique par sa sensibilité, non par son talent d'artiste. A.travers un bref commentaire de la relation du genre épistolaire avec l'image de la femme dans les salons puis une étude approfondie de trois romans par lettres de Madame de Charriére, cette partie se propose de montrer pourquoi ce genre est traditionnellement associé a la femme et comment notre écrivain déplace les frontieres du genre afin d'exposer une nouvelle image de la féminité. Georges May constate que la littérature épistolaire tire son origine de la société précieuse du dix-septieme siecle ou les lettres étaient lues publiquement dans les salons ("La littérature épistolaire", 835). Comme toutes les relations sociales de cette époque, les lettres faisaient partie d'un systéme codifié, le code de l'honnéteté, développé au cours de conversations par les précieuses et les salonnieres.1 Dans les salons ou les femmes prennent l'avantage sur la gente masculine, la tradition pétrarquienne définit les relations entre les sexes: alors que l'homme malheureux souffre de la froideur et du controle émotionnel de sa maitresse, la femme distante ne partage pas la douleur de son amant. Les salons mondains qui se multiplient au dix-septieme siecle créent une atmosphere favorable a la prise de parole par les femmes. Leurs qualités morales et intellectuelles s'y épanouissent et le débat sur la querelle des femmes 129 rebondit. Dans sa chambre bleue, la Marquise de Rambouillet surnommée la "divine Arthénice", tient salon fondant une tradition qui colorera la vie culturelle francaise jusqu'au début du dix-neuvieme siecle. A l'intérieur de l'espace privé de sa chambre (ruelle, alcéve ou encore réduit), la Marquise recevait son monde conversant sur des sujets aussi graves que le rOle des femmes dans le mariage ou la fréquence des naissances et leurs consequences néfastes sur la santé des meres. Ces discussions stimulantes persuadent les femmes qu'elles sont non seulement capables de prendre contréle de leur destinée mais qu'elles en ont aussi le droit (DeJean 21). Comme l'observe Abensour, "les femmes sont l'ame de tous les cénacles, l'esprit de tous les salons. Le gout des femmes fait la loi, imposant la clarté, l'unique et admirable clarté de nos chefs d'oeuvre classiques" (x). De meme que Fauchery, Abensour est incapable de dissocier la sensibilité de la femme de son talent littéraire. Selon lui, c'est 1e gout de la femme qui est reconnu, non son intelligence ou ses dons artistiques. La préciosité, celebration de l'élégance, de la finesse et de la sensibilité, situe malgré tout la femme au centre de la creation artistique et contribue ainsi a sa rehabilitation dans la société. Désormais l'idéal de tous les salons, la préciosité offre aux femmes qui les fréquentent la 130 possibilité d'une existence nouvelle ou elles peuvent librement exercer leurs facultés intellectuelles au lieu de remplir uniquement leur role traditionnel de mere et d'épouse. Les précieuses se veulent "savantes", sans toutefois le montrer comme les pédants, et cultivent un univers ou l'amour purifié demeure a l'abri des dangers de la monotonie. Mais la littérature ne devient pas seulement un outil de raffinement social: conscientes de la domination par l'homme sur la femme, les précieuses revendiquent également une égalité des sexes dans le mariage rejetant l'image de la femme confinée dans un espace domestique. La nouvelle image de la femme mariée proposée par le mouvement précieux ne limiterait donc plus le role de l'épouse a celui de bonne ménagere. Du Bosc écrit dans L'honneste femme: I1 ne faut donc pas imaginer qu'en parlant de cette femme accomplie de qui nous faisons l'éloge, nous entendions de peindre une mere de famille qui sait bien commander a ses servantes, et qui a le soin de peigner ses enfants. Quoique nous ne blamions point cela, néanmoins il faut avouer que la Musique, l'histoire, la Philosophie, et d'autres pareils exercices sont plus convenables a notre dessein, que ceux d'une bonne ménagere... (115) Les précieuses aspirent a développer le rOle social de l'épouse et revendiquent une plus grande liberté a 131 l'intérieur du mariage. Comme en témoigne la conversation suivante entre Tisandre et Sapho, Mademoiselle de Scudéry se plaint plus souvent de l'autorité maritale que de l'institution du mariage: "Vous regardez donc tous les hommes comme des Tirans? reprit Tisandre: je les regarde du moins comme le pouvant devenir, répliqua-t-elle, des que je les regarde comme pouvant étre maris".2 Les précieuses s'insurgent également contre la maternité forcée avancant parfois des solutions pour lutter contre la tyrannie des maris. Dans leur refus de se conformer a l'image de la femme au foyer enfermée dans le cadre étroit de la famille, les salonnieres menacent les fonctions traditionnelles de la société patriarcale. Les lettres, comme les salons, permettaient aux femmes d'échapper aux contraintes de la société en dirigeant leur propre vie.3 iMais de meme que les salons, les lettres étaient aussi considérées par les conservateurs comme un danger social. Certains écrivains du dix-septiéme siecle4 ont réagi a cette menace en réintégrant dans le genre épistolaire la tradition ovidienne qui avait été abandonnée dans les salons. Le theme de l'amante agonisante est exemplifié dans les Héroides d'Ovide ou l'héroine, apres avoir été séduite puis abandonnée, exprime sa douleur dans des lettres destinées a l'homme de qui elle est toujours éprise. La representation ovidienne de la souffrance 132 féminine pose le destin de la femme comme le résultat inevitable d'un amour qui n'est pas partagé. L'héroine est présentée comme une victime incapable de dominer ses emotions alors que l'homme demeure toujours maitre de la situation.5 Les éditeurs des romans féminins par lettres au dix- septieme siecle se mettent a l'unisson pour faire l'éloge du don exceptionnel de la femme pour le genre épistolaire et soulignent le caractere authentique et naturel de leur production.6 Une simple référence au désintérét de l'auteur de publier ces lettres augmentent leur authenticité: elles sont destinées a un amant et non pas a un public plus large. Ces lettres, écrites d'un lieu intime comme le boudoir ou le secrétaire, appartiennent a un espace privé. L'héroine épistoliere est donc une femme qui souffre des peines d'amour et qui épanche son coeur dans ses lettres. La promotion continuelle de l'écriture authentique feminine a permis de renforcer une image negative de la féminité et de confiner les femmes dans un espace domestique. De plus, en admirant le talent épistolaire des femmes, les théoriciens du roman par lettres relégue la femme dans cette forme littéraire particuliere, l'excluant en meme temps de tout autre genre narratif (Goldsmith 48). Cette mise a l'écart révéle l'anxiété des hommes a l'égard du potentiel 133 littéraire des femmes et leur volonté de limiter l'acces de la femme a la sphere littéraire. L'appropriation par les hommes du texte épistolaire féminin s'observe dans le petit chef-d'oeuvre Les Lettres portugaises (1669). Ce bref roman est compose des cinq lettres de Mariane, religieuse portugaise, a un jeune francais qui l'a séduite, aimée puis abandonnée. Elle y exprime avec exces sa douleur et sa passion dévorante. Jusqu'au vingtiéme siecle, les lettres de Mariane furent considérées comme l'expression veritable et authentique de la passion d'une femme trompée. Que 1a preface mentionne l'amant, l'éditeur et le traducteur, mais se taise sur l'auteur fait sembler le texte encore plus authentique puisqu'il est impossible qu'une femme ait publié ses lettres elle-meme. Guilleragues, le veritable auteur des lettres, d'apres les découvertes faites au vingtieme siecle, a donc véhiculé pendant trois siecles l'image d'une femme victime entierement dépendante de l'homme qu'elle aime. En identifiant son heroine comme l'auteur des lettres, Guilleragues a également maintenu l'association de l'écriture feminine avec le genre épistolaire. A.peine un siécle plus tard, un petit roman par lettres de Madame Riccoboni, Les Lettres de.Mistriss Fanni Butlerd (1757), souleve les memes préoccupations d'une maniere nouvelle toutefois qui influencera l'oeuvre d'Isabelle de 134 Charriere. Le recueil des lettres d'une jeune anglaise abandonnée par son amant retrace une passion fougueuse mais breve et se clét sur le désespoir et la haine de la jeune femme. Peu aprés le début de leur liaison, Mylord Alfred est appelé en mission militaire et a son retour, il accepte a l'insu de Fanni d'épouser une riche aristocrate. Quand la jeune fille l'apprend, il lui jure son amour et lui propose de continuer leur liaison secretement. Malgré son amour, la jeune fille refuse et exige qu'il lui retourne ses lettres. Elle dénonce alors publiquement mais de facon anonyme sa conduite dans un journal avant de publier toutes ses lettres sous la forme du roman que nous lisons aujourd'hui. A.premiere vue, les lettres de Fanni semblent confirmer la théorie de l'écriture féminine authentique, naturelle, basée sur les émotions de la femme comme nous l'avons observé dans Les Lettres Portugaises. Pourtant, contrairement aux heroines d'Ovide et a Mariane, Fanni reprend contrOle de sa destinée par la publication finale des lettres. Ce roman constitue ce qu'Elisabeth Cook appelle "a textual contract" entre la romanciere et son public7 annoncant la possibilité d'une égalité entre les sexes. En publiant elle-meme son texte, Fanni échappe a l'espace domestique ou la femme demeure inexorablement subordonnée a l'homme. 135 Du sacrifice a l'affirmation da soi: Julianna at Marianna dos Lettres neuchateloises L'Histoire de Sara Burgerhart, roman épistolaire hollandais publié en 1782 ouvre la voie a un réalisme nouveau qui convient au style de Madame de Charriére: " Je venais de voir dans Sara Burgerhart (roman hollandais) qu'en peignant des lieux et des moeurs que l'on connait bien, l'on donne a des personnages fictifs une réalité précieuse" (Oeuvres completes, VI 558). Rien de plus dépouillé en effet que l'intrigue des Lettres neuchateloises : Quelques jours aprés son arrivée a Neuchatel ou il vient de s'installer pour apprendre le métier de marchand, Henri Meyer, neveu d'un négociant allemand, rencontre une jeune couturiere qu'il console d'avoir sali la robe qu'elle portait a Mlle de La Prise. Alors qu'il s'éprend de la jeune aristocrate rencontrée quelques jours plus tard au concert, Meyer entretient avec l'ouvriére Julianne une trés breve liaison qui a pourtant des suites puisque la jeune fille se découvre rapidement enceinte. La couturiere confie son état a Marianne de La Prise qui, au mépris de toutes les bienséances, prend en charge la situation en révélant a Meyer la condition de la jeune fille. Le sort de celle-Ci sera scellé par un éloignement accompagné de compensations financiéres mais celui des deux jeunes personnes, dont 136 l'amour progresse jusqu'a un aveu mutuel, reste cependant incertain puisque le roman se termine sur le depart de Meyer qui se rend au chevet de son ami malade. Le roman parut au début de l'année 1784 et bien que publié sous l'anonymat, il fut rapidement attribué a Madame de Charriere (Trousson 177). On lui reprocha aussitét son acide peinture des moeurs et usages neuchatelois8 ainsi que la trivialité des passages 00 Julianne s'exprime dans son patois francisé de tailleuse: Et le lendemain, comme nous étions en journée, je courus a fiere aube chez la Jeanne-Aimee pour tout ca lui dire, et nous jaublames ensemble que j'achéterais de mes trois petits écus un mouchoir de gaze, et un pierrot de gaze avec un grand fond, et un ruban rouge pour mettre avec. (54) Ce réalisme linguistique sembla le comble du vulgaire a la bonne société de Neuchatel. Mais ce qui choqua surtout les lecteurs contemporains, c'est le traitement non- conventionnel par l'auteur de la seduction de Julianne et des événements qui s'ensuivent. Madame de Charriere renverse en effet les rapports entre les personnages en refusant de les définir selon leur classe ou sexe; elle préconise au contraire l'égalité entre les personnages. Le sacrifice de la jeune ouvriere rendra possible 1a prise de parole de 137 Marianne qui s'affirme a la fin du roman comme une jeune femme indépendante ayant trouvé sa voie/voix dans le monde. La rencontre entre Meyer et Julianne est d'abord placée, d'une maniére assez banale, sous le signe de la chute: "J'avais avec la robe encore un paquet sous mon bras, et en me retournant j'ai tout ca laissé tomber, et je suis tombée; il avait plu et le chemin était glissant" (47). Si comme le remarque Monique Moser-Verrey (66), la chute illustre de facon symbolique l'inévitable destin de la jeune fille dont la robe et la reputation seront tachées dans l'accident, il n'est pas question pour la romanciere d'exploiter ce savoureux motif mais de peindre une situation on un individu vient en aide a une personne en détresse. Peu importe qu'il s'agisse d'un homme et d'une femme, d'un bourgeois et d'une ouvriere: les differences de sexe ou de classe doivent s'effacer lorsque la situation d'un individu est au premier plan: sans se soucier de leur difference sociale, Meyer offre son aide a la jeune fille et la raccompagne chez ses maitresses. Le texte ne manque pas d'observer l'existence du préjugé social: "Mes maitresses ont été tout étonnées qu'un si beau Monsieur eut pris la peine de venir avec moi et elles n'ont rien dit d'autre tout le soir" (47). Notons que l'adjectif "beau" englobe ici I l'aspect physique et social de Meyer. Quand i1 rencontre Julianne a nouveau dans la rue, Meyer ignore une fois encore 138 1e préjugé social lui venant en aide comme il l'avait déja fait: "Fallait-il a présent la dédaigner et la méconnaitre?" (73). Meyer exerce ici un jugement personnel au dépens des conventions sociales qui imposant une separation entre les classes et les genres. La conduite de Meyer préconise au contraire l'élimination des definitions rigides entre individus et appelle a l'affirmation du jugement individuel (Margriet Bruijn-Lacy 250). Le theme du chemin glissant sera repris dans la dix-huitieme lettre lorsque Meyer offre son bras a Marianne de La Prise qui l'accepte volontiers malgré les réticences de ses deux amies: "Mais! vous étes folles; nous sommes trop heureuses" s'exclame-t-elle spontanément (73). Bien que Marianne soit d'une classe sociale supérieure a celle de Meyer, elle accepte son secours méprisant les regles rigides de la société. L'héroine définit la vertu comme l'application d'une morale personnelle plutbt que comme 1e respect des convenances. Le motif de la chute n'est donc pas prétexte a une situation scabreuse ou le désir du jeune homme serait responsable de la seduction de Julianne. Ce désir est d'ailleurs complétement absent du texte qui insiste plutot sur les circonstances de la rencontre: le hasard, l'inadvertance de Julianne, la descente glissante, les encombres (le paquet et la robe) et la vue de Meyer- ”un monsieur qui avait l'air bien genti, qui avait un joli 139 habit" (47)- troublant la jeune tailleuse. Ce n'est donc pas le travail d'un séducteur aguerri que nous décrit l'auteur a la maniere de Rétif de la Bretonne dans "La fille séduite". Le silence d'Henri Meyer nous fait oublier que Julianne a été séduite: il évoque brievement dans ses lettres sa rencontre avec Julianne a deux reprises sans jamais entrer dans les details: "C'est une longue histoire que je te raconterai peut-étre quelque jour, si elle a des suites; ce qui j'espere n'arrivera pas" (53) "Je n'ai pas continue; je ne pouvais conter mon histoire jusqu'au bout: le commencement me faisait plus d'honneur que la fin” (73). S'il est clair que son ami peut deviner son aventure, la discretion dont il fait preuve ici révéle un sentiment de gene et de culpabilité meme s'il déclarera plus tard dans une lettre a son oncle qu'il n'a pas séduit Julianne (82). Le texte n'accuse d'ailleurs ni l'un ni l'autre et tous les deux sont a la fois victimes des circonstances et coupables de n'avoir pas su faire face a une situation périlleuse. Julianne n'est certainement pas victime d'un libertin- corrupteur comme le sont la plupart des jeunes heroines de Rétif. Inversant les données des romans traditionnels, ‘Madame de Charriere excuse en partie la conduite de Meyer en faisant de lui un personnage innocent. Comme 1e remarque Joan Stewart, la virginité du héros a laquelle fait allusion 1e texte (Meyer avoue a son confident qu'il était encore un 140 enfant avant sa rencontre avec Julianne [71]) lui permet de transcender 1e rOle dégradant de séducteur et d'entretenir son amour pour Marianne une fois la femme séduite éliminée.9 L'oncle de Meyer accepte de lui venir en aide: "Faites partir la fille. Ne négligez rien pour qu'elle fasse le voyage surement. Je veux qu'elle accouche ici. J'aurai soin d'elle. Mais le tout a condition qu'elle reparte d'abord apres ses couches, et me laisse l'enfant. Je ferai meme quelque chose pour elle si je suis content de sa conduite" (82). L'éloignement de Julianne et les compensations financieres qui lui sont offertes pour renoncer a son enfant permettent de sauvegarder sa reputation et celle de Meyer mais aussi de préserver la relation amoureuse entre ce dernier et Marianne de La Prise. Loin d'étre completement idéale pour la jeune tailleuse, cette resolution lui évite néanmoins de partager le sort des heroines qui sombrent dans la débauche apres avoir donné naissance a un enfant illégitime.10 Joan Stewart remarque que malgré son strict code moral, la société calviniste de Neuchatel avance la possibilité d'une transaction financiere pour sauver la femme du déshonneur (66). Il nous semble aussi que l'argent offre la solution aux questions de chair dans une société qui cherche a nier l'existence de pulsions sexuelles chez l'homme; alors que l'échange d'argent servait a faire un peu oublier la fonction des maisons closes chez Rétif, il permet 141 d'atténuer ici les consequences d'un acte sexuel reprehensible. La presence de l'argent traverse d'ailleurs tout le texte puisque a Chaque rencontre, Meyer offre a Julianne un écu ou un petit cadeau (55). Cependant, i1 faut noter ici que l'argent ne constitue en aucun cas une recompense aux faveurs accordées par Julianne. Le texte récuse l'image de la femme entretenue que nous avons observée par exemple dans la Paysanne Pervertie de Rétif. Les cadeaux offerts par Meyer sont au contraire une maniére personnelle pour le jeune homme de marquer son respect et sa pitié a l'égard de la condition difficile de Julianne. Il exprime d'ailleurs sa compassion pour les travailleuses dans sa premiere lettre: "Je n'aime pas trop a voir des femmes travailler (...) et l'autre jour dans mon carrosse je me trouvais l'air d'un sot et d'un insolent, en passant au milieu de ces pauvres vendangeuses" (48). La breve liaison entre les deux jeunes personnes redéfinit le theme de la seduction et permet a Marianne de se découvrir un rOle autre que celui exige par la société patriarcale. Nous avons observe que la rencontre entre Meyer et Julianne évoluait au dela du code social qui condamne le mélange de la bourgeoisie et de la classe ouvriere. Le rejet du code social et de ses contraintes, par le rapprochement des classes sociales, impregne le texte d'un air d'égalité 142 entre les protagonistes. A son arrivée a Neuchatel, Meyer remarque: "Il me semble que tous les Neuchatelois sont parents et il n'est pas bien étonnant qu'ils ne fassent pas de grandes facons les uns avec les autres" (51). Les trois couches sociales représentées dans le roman (ouvriere, bourgeoise et aristocratique) sont basées sur le respect mutuel et se mélangent au fil des lettres. Monique Moser- Verrey remarque que la robe salie de Mlle de La Prise symbolise 1a solidarité des deux jeunes femmes malgré leur difference de classe (70). Le fait que Marianne n'en veuille pas a Julianne d'avoir taché la robe entrainera cette derniere a lui confier le secret de sa grossesse. Le sens d'égalité s'étend a la relation entre Meyer et le Comte Max lors de la scene du bal. Kathleen Jaegger a bien montre comment 1e traitement des contre-danses dégageait un sentiment d'égalité entre les deux hommes contre toutes les bienséances (170): alors que Marianne a accordé la premiere danse au Comte Max, le retard de l'aristocrate permet a ‘Meyer de commencer la danse avec la jeune fille. L'expression "prendre notre place" on plutét prendre sa ‘place insinue ici une certaine ressemblance entre les deux individus puisque malgré leur difference de classe, ils sont deux danseurs a égalité aux yeux de la jeune fille: "Le comte Max n'était pas encore arrive, elle m'a présenté sa 143 main avec une grace charmante et nous avons pris notre place" (60). Les lettres soulevent également a plusieurs reprises la question de la separation de genre. Alors que l'éducation de Marianne se révéle traditionnelle, (danse, chant...), celle de Meyer est originale pour un jeune homme destiné au commerce: "J'ai pris un maitre de violon, qui vient tous les jours de deux a trois" (49). L'éducation ne doit pas étre déterminée par le sexe ou la classe sociale mais par le désir personnel, l'ambition de Chaque individu. Madame de Charriére va encore plus loin en modifiant l'image traditionnelle de l'homme a travers la description d'un Meyer bouleversé devant Mlle de La Prise: "Quand il fut question de prendre mon violon, il fallut que mon voisin me tirat par la manche: jamais je n'ai été si sot, ni si faché de l'avoir été" (53). De plus, l'émotion affecte les deux personnages d'une maniere égale puisque Mlle de La Prise rougit pendant le concert alors que Meyer rougit au souvenir de son propre embarras. Ce décalage temporel souligne que les deux sexes peuvent étre également soumis a d'intenses emotions. Le personnage d'Henri Meyer a souvent été considéré comme l'homme 1e plus sympathique de l'oeuvre de iMadame de Charriere; disons simplement qu'il est l'un des rares a ne pas se conformer au modele traditionnel de 144 l'homme raisonnable dont Mr. Henley, nous l'observerons bientét, est l'image la plus representative. C'est dans ce climat d'égalité que s'épanouit l'identité de Marianne. Au debut du roman, l'héroine apparait comme une jeune fille traditionnelle, dépendante de sa famille et de sa condition sociale (Sigyn-Minier 32-33). Dans la onzieme lettre ou elle prend la parole pour la premiere fois, Marianne s'adresse ainsi a sa confidente: En attendant que nos sociétés commencent, je passe mes soirées a ourler des serviettes ou a jouer au piquet avec mon pere. Il veut que je chante au concert: cela ne fera de mal ni de bien a personne, car on ne m'entendra pas. Mais j'ai achevé de devenir cet été une fort passable musicienne, et je l'accompagne de la harpe aussi bien que du clavessin; mais je ne fais aussi qu'accompagner.(63) Ces quelques lignes témoignent de l'ennui d'une jeune fille confinée dans la demeure paternelle, impatiente de participer a la vie sociale, publique, et désireuse de faire entendre sa voix littéralement (au concert) et figurativement (dans la société). Ses premieres lettres sont des lettres-confession ou elle exprime un ennui quotidien, "un assemblage de si petites choses que je ne saurais comment te [Mlle de Ville] les raconter. Chacune d'elles est un rien; ou ne doit paraitre qu'un rien quand meme elle 145 serait quelque chose" (64). Marianne fait allusion dans cette douziéme lettre a sa rencontre avec Meyer qui ne doit paraitre qu'un rien meme si en réalité, cette rencontre l'a touchée. Les contraintes morales imposées a la jeune fille se dégagent clairement: sa condition ne l'autorise pas a évoquer certains événements (ici sa rencontre troublante au concert avec Meyer) a son gré; dans ce domaine personnel et intime sa voix demeure bridée meme avec sa meilleure amie. Pourtant, Marianne a déja raconté cet événement dans une lettre écrite juste avant celle-ci mais qu'elle n'ose envoyer que beaucoup plus tard: "Tu le veux absolument? hé bien a la bonne heure, tu le sauras! Je t'écrivis une lettre qui, apres cela, me parut folle; j'en écrivis une autre pour excuser celle-la (...) je te l'envoie sans l'ouvrir, je ne veux pas la relire" (65). Le choix de Marianne d'expédier sa "folle" lettre marque une liberation par l'écriture et annonce une prise de parole qui s'effectuera a travers 1a révélation de la grossesse de Julianne. Déja ici, sa lettre prend ses distances par rapport aux régles et contraintes imposées par la société: "Apparemment l'on croit qu'il faut qu'un jeune homme soit amoureux pendant quelques samaines avant que la belle paraisse étre un peu sensible. Je ne me vanterai pas d'avoir suivi cette décente coutume" (67). Au lieu du rOle actif qu'elle aspire a jouer dans la société, Marianne doit d'abord obéir a son pére qui l'oblige a 146 "souscrire au bal, a [me] faire deux robes neuves et 3' reprendre [mes] maitres" (62). Pourtant, ce que Marianne considere ici comme une simple soumission aux ordres paternels est aussi la clef de son entrée dans la sphere publique: comme la mere de Cecile des Lettres écrites de Lausanne, Monsieur de La Prise desire montrer sa fille dans les cercles mondains espérant lui faire faire un mariage favorable. Dans la lettre douze, Marianne fait allusion elle-meme a la situation financiere difficile de son pere observant que "dans ces circonstances et avec cette fortune, il est rare qu'on se marie" (64). C'est donc en sortant de l'espace privé que Marianne peut faire entendre sa voix, affirmer sa personnalité dans le monde. Lorsque Julianne lui confie son état, Marianne se rend compte qu'elle peut a la fois aider la jeune tailleuse et réaliser son propre but, se rapprocher de Meyer dont elle est tombée amoureuse depuis la scene du concert. Lors d'une assemblée neuchateloise, Mlle de La Prise dévoile a Meyer les consequences de sa conduite et l'engage a secourir la mere et le futur enfant: "Eh bien, M2.Meyer, que voulez-vous donc que je dise a la fille?". La voix de Marianne se fait entendre ici sans detour grace a l'emploi du discours direct.11 La jeune fille défie en effet toutes les conventions et bienséances en se chargeant de déméler 1e sort d'une jeune tailleuse enceinte. Cette prise de parole 147 dans un lieu public 00 toute la bonne société de Neuchatel se trouve réunie est donc doublement audacieuse. La stratégie de Marianne, qui place le Comte Max entre elle et Meyer afin de ne pas choquer l'opinion publique de ce qui pourrait ressembler a une conversation galante, témoigne de sa maturité et de son contréle sur un événement qui aurait pu la dépasser. La situation de Julianne rend donc possible l'affirmation de soi de Marianne. Elle trouve sa place dans la société et découvre sa voix qui est celle d'une femme active at responsable. Meyer remarque un changement chez la jeune femme: "Elle n'est pas moins naturelle, mais elle n'est plus si gaie: je la trouve imposante; i1 y a dans son maintien une noble assurance" (85). La contenance de Marianne provient de sa position de supériorité dans un entourage essentiellement male (Henri, son pere, le Comte). Comme Julianne l'a choisie pour confidente, elle exerce sa propre volonté en choisissant d'elle-méme le moment et la maniere de révéler le secret. Elle prend possession de tous les pouvoirs, orchestre la discussion, sa "grande affaire" (79) avec le talent d'un metteur en scene: "Nous serons souvent interrompus; i1 ne faudra pas avoir l'air d'en étre fachés; il faudra nous quitter quelquefois, quitter la conversation, et puis la reprendre" (79). Enfin elle omet de demander a iMeyer s'il consent a ce que le Comte assiste a leur 148 discussion: "J'aurais du vous le demander plutét" remarque- t-elle apres avoir engagé la conversation (80). La grossesse de Julianne lui permet de renverser les r61es et de s'approprier celui qui est traditionnellement interdit aux femmes. Meme si elle a d0 mettre de c6té sa jalousie, Marianne participe désormais a la vie sociale, aux affaires extérieures normalement réservées aux hommes. Le ton des premieres lettres-confession de Marianne exprimant un ennui quotidien a fait place a la voix beaucoup plus assurée d'une jeune fille énergique qui mene le jeu: Je suis bien heureuse a present: je suis bien aise meme du chagrin que j'ai eu; j'aurais payé encore plus cher le contentement que j'ai la place que j'occupe: car je suis a present comme un ami que l'on puisse avoir, et comme le plus cher ami que l'on puisse avoir; je suis au fait de ses affaires; j'agis pour lui: je sais sa pensée, et nous nous entendons sans nous parler. (86) La forme masculine du mot "ami" révéle le sentiment d'égalité que ressent Marianne a COté de Meyer. En servant d'intermediaire a Julianne, Marianne a pris la place de Godefroi Dorville, le confident/ami d'Henri dont celui-ci déplorait tant l'absence dans sa premiere lettre. La grossesse de Julianne a permis a l'héroine d'entrer dans un espace traditionnellement réservé a l'homme [l'ami] en exécutant ce qu'elle appelle "une grande affaire" (79) dont 149 la réussite est tout a son honneur. Marianne a réalisé le réve de Mistriss Henley alors qu'elle contemplait un monde extérieur bouillonnant hors de portée: obtenir une reconnaissance en participant a la vie sociale. Mais contrairement a l'héroine d'Hollowpark, Marianne n'a pas a lutter contre un homme raisonnable, ayant un pere12 et un amant qui favorisent plus les valeurs de l'amour que celles des bienséances. Dans les Lettres neuchateloises Madame de Charriere lance un appel a l'égalité de classe et de sexe. La solidarité entre les personnages est sincere et efficace: Marianne et Julianne, Henri et le Comte Max renoncent aux préjugés pour arriver'a une solution acceptable pour tous. Le texte bouleverse l'image traditionnelle de la destinée feminine entierement dépendante des hommes puisque c'est ici une femme qui prend en charge le sort d'une autre femme. Cependant, si la resolution de l'intrigue (en ce qui concerne Julianne au moins) jette une lueur d'espoir dans la representation de la condition feminine, elle demeure cependant ambigué puisque la liberation d'une femme se fait au prix du sacrifice d'une autre femme. Meme si le sacrifice de Julianne n'est pas synonyme de mort comme dans d'autres romans féminins”, il n'en demeure pas moins un sacrifice. Malgré une revendication pour plus d'égalité entre les deux sexes, Madame de Charriere demeure consciente qu'a 150 l'aube de la proclamation des droits de l'homme, ceux de la femme restent encore largement ignores. 151 Notes 1 Consulter Laurent Versini, Laclos et la tradition, essai sur les sources et la technique des Liaisons dangereuses (Paris: Klincksieck, 1968) 234. 2 Mademoiselle de Scudéry, Artaméne ou le grand Cyrus, 577. 3 Voir Elisabeth MacArthur, Extravagant Narratives : Closure and Dynamics in the Epistolary Form (Princeton, NJ: Princeton UP, 1990) 44. 4 Voir par exemple La Bruyere. 5 Katharine Jensen, "Male Models of Feminine Epistolarity; Or How to Write Like a Woman in Seventeenth- Century France," Writinggthe Female Voice: Essays on Epistolarnyiterature (1989): 34. 6Elisabeth Goldsmith, "Authority, Authenticity and the Publication of Letters by Women," Writing the Female Voice: Essays on Epistolary Literature (1989): 47. 7 Elisabeth Cook, Epistolary Bodies: Gender and Genre in the Eighteenth-Century Republic of Letters (Stanford CA; Stanford UP, 1996) 120. a Philippe Godet,.Madame de Charriére et ses amis d’aprés de nombreux documents inédits (1740-1805) (Geneve: Slatkine, 1973) 277. NH 9 Joan Stewart, ‘Sex, Text and Exchange: Lettres Neuchateloises and Lettres de Milady Catesby," Eighteenth- Century-Life 13.1 (1989): 62. Son article discute le systéme d'échange dans lequel se situent selon elle la jeune fille chaste et la femme séduite. m Rétif de la Bretonne, "La fille séduite” ou encore plus tard Les Miserables de Victor Hugo (1862). M Le discours direct marque une prise de position contre l'opinion générale. Lire l'article de Monique Moser- Verrey, ‘Isabelle de Charriere en quéte d'une meilleure entente,” Stanford French Review 11.1 (1987): 68. 12Pour une discussion sur Mr. de La Prise, consultez Kathleen Jaegger,.Male and Female Roles in the Eighteenth Century: The Challenge to Replacement and Displacement in the Novels of Isabelle de Charriére (New York: Lang, 1994) 185. ” Madame Riccoboni, Lettres de Milady JUliette Catesby (1759). EB Les Lettres de Mistriss Henley on l'effacement da 1a fauna dans la mariage Tandis que Madame de Charriére s'occupait de la publication des Lettres neuchateloises au printemps de l'année 1784, les cercles littéraires qu'elle fréquentait a Geneve s'intéressaient au sort du héros du.Mari Sentimental ou le mariage comme il y en a quelques-ans de Samuel de Constant de Rebecque (1783). Ce petit roman épistolaire relate les difficultés conjugales de Monsieur Bompré avec sa nouvelle femme rencontrée a Geneve. Celle-ci, n'appréciant guere le mode de vie paysan du Pays de Vaud d'ou vient son époux se revele rapidement une femme tyrannique.1 Ecrit d'un point de vue masculin, Le Mari Sentimental condamne sans appel l'effet néfaste de la ville sur la sensibilité feminine: c'est un lieu de débauche et de perversion responsable du penchant de Madame Bompré pour le luxe et l'indépendance. Ayant gofité aux airs de la ville, l'héroine sera incapable de se plaire a la campagne ou elle s'ennuiera profondément. Tres vite, elle se révéle insensible, égoiste et méchante: avec une cruauté que Monsieur Bompré hésite a reconnaitre, sa femme 1e prive de tout ce qui lui rendait la vie supportable (elle l'oblige a vendre son cheval, fait tuer son chien...) et le conduit au suicide. Le Mari Sentimental appartient au genre du livre de conduite, 154 lecture tres populaire parmi la classe bourgeoise qui préconisait la bonne conduite faite de sagesse et de vertu, et le contréle de soi. Ce petit livre faisant sensation, on ne s'occupait qu'a chercher des modéles du couple Bompré pour s'apitoyer sur le sort du mari maltraité. Une malheureuse veuve Caillat, dont le mari s'était suicidé en 1780, se trouva visée au point de faire imprimer un démenti détaillé! Ainsi, les prédications formulées dans les premieres pages des Lettres de.Mistriss Henley publiées par son amie sur l'effet que produirait la lecture du roman de Constant ne sont nullement exagérées. Madame de Charriere sent qu'il faut, selon sa propre expression, "remettre les choses a leur place" (102) et prend 1e contre-pied du point de vue exposé par Samuel de Constant en illustrant la prise de contrOle par M. Henley sur la destinée de sa jeune épouse. Dans la lettre d'ouverture, Mistriss Henley évoque le roman de Constant, cet "aimable et cruel petit livre" (101) qui exige, selon elle, une riposte d'un point de vue féminin. Mistriss Henley justifie 1a conduite de l'héroine de Constant comme la consequence de l'ennui et du sentiment d'inutilité dont les femmes mariées se sentent envahies: "Il n'y avait pas la de quoi occuper une existence" (101). Comme beaucoup de femmes mariées, Mistriss Henley ressent un vide dans une relation conjugale ou la domination 155 du mari laisse peu de liberté a la femme. Les six lettres écrites par Mistriss Henley posent explicitement le probleme de l'identification des femmes a l'image romanesque de la vertu feminine qui associe les qualités de l‘épouse a celles de la moderation et de la soumission au chef de famille. Mais cette representation masculine de la femme ne coincide pas toujours avec la nature reelle de l'épouse. Le roman de Charriere dévoile les consequences de la remise en cause par l'épouse du modele déterminé par la société patriarcale. La personnalité de Mistriss Henley n'accepte pas de vivre dans l'ombre de son mari et refuse de seulement jouer un rOle domestique dans une maison conjugale ou elle tente d'imposer au contraire ses opinions et son jugement. L'héroine est tiraillée entre le désir d'assumer sa personnalité et celui d'adhérer aux normes de la société qui lui imposent d'étre une épouse et une mere modeles. La maniere dont l'hérolne justifie 1e choix de M. Henley comme époux est révélateur des attentes et des contraintes de la société en ce qui concerne 1e comportement féminin. La femme vertueuse est censée refuser l'éclat et l'apparence chez un mari pour favoriser au contraire les qualités morales, l'honnéteté et la simplicité. Entre un_ prétendant venant des Indes et aimant "la bonne chere, les arts et les plaisirs" (103) et M. Henley, veuf noble touchant de la campagne anglaise, elle ne peut se permettre 156 d'hésiter: "Mais me donner moi-meme de mon choix, contre des diamants, des perles, des tapis, des parfums, des mousselines brodées d'or, des soupers, des fétes, je ne pouvais m'y résoudre, et je promis ma main a Monsieur Henley" (104). Redoutant que la sentence publique la juge comme une femme frivole et ruine ainsi sa reputation, elle renonce a un mariage fastueux promettant sinon l'indépendance, au moins l'acces a la sphere publique (Londres et les soupers) qui lui sera interdit par son mariage avec M. Henley. A cet égard, Joan Stewart souligne qu'au lieu de célébrer un choix personnel et indépendant, sa decision témoigne d'une soumission aux regles de la société qui dictent toujours la conduite des femmes a l'aube de la Revolution (103). C'est bien le désir d'adhérer au modele de la femme heureuse dans son r61e de mere et d'épouse qui a force la future Mistriss Henley a quitter la maison de sa tante. Pourtant, elle se sent toujours attirée par l'image de cette femme célibataire qui a rempli aupres d'elle un rOle de mere exemplaire sans avoir pourtant souscrit au modele conventionnel de la maternité. L'image de sa tante est a l'origine du conflit de l'héroine qui, bien que mariée selon la tradition, s'embarque a la recherche d'une identité autre que celle de la mere/épouse. un Des son arrivée a Hollowpark, 1e chateau familial, Mistriss Henley est introduite dans un univers entierement tourné vers le passe; les meubles et la tapisserie de sa chambre, brodés par les ancétres de M. Henley, respirent le respect de la tradition et la resistance a tout ce qui est nouveau. Comme en témoigne la presence du portrait de l'ancienne femme de M. Henley dans sa chambre, l'héroine n'est pas considérée en tant que nouvelle épouse mais plutét comme successeur, quelqu'un qui doit tenir lieu de Mistriss Henley, c'est a dire adopter la meme ligne de conduite. Ce portrait symbolise l'idee que toutes les femmes sont les memes, interchangeables comme une peinture. L'arrivée de Mistriss Henley étant donc placée sous 1e signe de la continuité, c'est en revendiquant sa difference avec l'ancienne Mistriss Henley qu'elle cherche a se manifester en tant que nouvelle épouse. Le remaniement de l'ameublement de sa chambre permet a Mistriss Henley d'affirmer sa place dans la demeure conjugale comme maitresse de maison. Sa revendication se base sur la solidarité entre les femmes (mere/grand-mere) qui les conduit a réclamer 1e droit a l'individualité féminine:2 Ah! dit Monsieur Henley, que dirait ma grand-mere, que dirait ma mere, si elles voyaient...elle diraient sans doute, repris-je vivement, que je dois me servir de mes meubles a ma guise comme elles se servaient des leurs, 158 que je ne dois pas étre une étrangere jusque dans ma chambre; et depuis le temps que je me plains de ces pesants fauteuils et de cette sombre tapisserie, elles vous auraient prié de me donner d'autres chaises...(106) .A plusieurs reprises, l'héroine tente de faire entendre sa voix et y réussit momentanément: "J'ai fait porter les fauteuils dans le salon, le canapé dans un garde-meuble. J'ai ordonné a un laquais de dépendre 1e portrait de la premiere Mad. Henley, qui était en face de mon lit: Mais, Madame! a dit le laquais, -obéissez ou sortez, lui-ai-je répondu" (106). En tant qu'épouse, elle réclame le droit a un jugement personnel en s'opposant a l'opinion de son mari concernant ses parents: "Mais s'il vient a me dire: Ma cousine est une bonne femme. Je dis non; elle est épilogueuse, envieuse, pointilleuse. S'il dit que Monsieur un tel son cousin est un galant-homme, dont i1 fait cas, je réponds que c'est un grossier ivrogne” (107). En célébrant ici la clairvoyance de l'héroine, Madame de Charriere remet en question l'image de la femme incapable d'exercer un jugement personnel de par ses capacités intellectuelles médiocres voire inexistentes. Ce n'est pas toujours l'homme qui malgré sa supériorité intellectuelle traditionnellement acceptée fait preuve du meilleur jugement. Le chat angola, les chaussures et le chapeau orné de fleurs artificielles, 159 symboles du gout individuel de la jeune femme, déplaisent a M. Henley car ils représentent la nouveauté de la ville d'ou vient la jeune femme. M. Henley lui reprochera d'avoir habillé sa fille selon une mode qui ne convient pas au style de la campagne. Cette reaction dissimule deux craintes chez M. Henley: celle d'étre contaminé par les nouvelles coutumes de la ville, qui remettent en cause les traditions, et celle des actions individuelles de Mistriss Henley qu'il lui faut sans cesse surveiller pour conserver son rOle de chef de famille. La disparition du chat et la deterioration du chapeau a fleurs seulement quelques jours apres son arrivée a Hollowpark annoncent d'une maniére symbolique l'effacement de Mistriss Henley dans le mariage. Si l'image de l'ancienne Mistriss Henley correspond a celle de la femme raisonnable, effacée et vertueuse comme la représente le livre de conduite, l'image de la nouvelle Mistriss Henley coincide avec le ceté irrationnel de la femme gouvernée par ses emotions ou désirs. C'est cet envers que M. Henley s'efforce de gommer chez sa femme pour qu'il ne reste plus que l'endroit, le bon c6té souple et docile. Le texte insiste sur l'opposition entre la raison et l'émotion qui caractérise le couple Henley. Des la premiere lettre, l'hérolne constate leur différente personnalité: ”mes fantaisies, mes humeurs, mes impatiences trouvaient toujours sa raison et sa moderation en leur chemin" (104). 160 Elle crie, pleure, rougit de plaisir alors que son mari est modéré, parle doucement et témoigne d'un calme inébranlable. Les lettres insistent sur le caractere émotionnel de Mistriss Henley et sur son instabilité psychologique: aprés avoir déplacé le portrait de l'ancienne Mistriss Henley, elle le remet a sa place initiale et au sujet de Fanny qu'elle a renvoyée, elle regrette de s'étre "trop précipitée" (112) c'est-a-dire d'étre allée trop vite sans réfléchir. Ne pas penser, c'est justement le principal reproche que le siecle des Lumieres addresse aux femmes. Si elles remettent en cause leur jugement, comme le fait ici l'héroine, c'est qu'elles ont grandi dans une société qui s'est continuellement efforcée de nier leurs capacités intellectuelles ou de les mater. .A l'aube de la Revolution, le roman de Charriere nous rappelle que l'exces et le sentiment sont toujours percus comme le mauvais cOté de la femme ou comme une faiblesse qui doit étre domptée, contrélée. Cette image negative n'autorise pas la femme a fréquenter le domaine public réservé aux hommes et contribue a la gommer de la société. M. Henley réussit a dompter le désir personnel de sa femme en la confrontant sans relache aux convenances de la société auxquelles elle n'obéit pas toujours comme l'ancienne Mistriss Henley. Ce faisant, il la place en marge du raisonnable: ”VOus avez raison, Monsieur...j'ai eu tort 161 de lui mettre tout cela" (104) s'excuse-t-elle lorsque son mari lui reproche l'habillement de sa fille. Son comportement est considéré extravagant car il s'écarte du mode de vie raisonnable de Mr. Henley. Envahie par un sentiment de culpabilité, l'héroine ne peut alors qu'énumérer passivement les "torts" dont l'accuse son mari: "J'avais tort, je 1e sais bien ; c'est moi qui avais tort" (105), ”je deplore mes torts" (107), "la j'ai déploré amerement ... tout le mal dont j'étais cause" (110), ”Aurait-il raison, ma chere amie, aurai-je eu encore tort, toujours tort, tort en tout?" (111). Les reproches dont elle fait l'objet sont encore plus douloureux qu'ils se situent dans le domaine de la vie quotidienne domestique (l'instruction de sa belle-fille, l'ameublement de sa chambre, les rapports avec les domestiques du chateau, les toilettes de la jeune femme, l'allaitement du futur enfant), un domaine que la femme est censée maitriser "naturellement" sans que le mari ait besoin d'interférer. Ces reproches incessants placent l'héroine en dehors du code de la bienséance, l'excluent de la sphere raisonnable a laquelle la femme est tenue d'appartenir; ce rejet insupportable fait inévitablement naitre chez l'héroine un sentiment de culpabilité soutenu par l'image de la "mauvaise mere". Lorsqu'elle se rend compte que son mari blame son comportement fougueux et ses opinions personnelles, Mistriss 162 Henley s'auto-accuse et condamne elle-meme son attitude, ses idées qu'elle évoque en termes de "folies" (121). Afin de réintégrer l'espace du raisonnable, de redevenir une épouse/mere respectable aux yeux de son mari et de la société, Mistriss Henley choisit d'effacer le c6té de sa personnalité jugé extravagant. Le sacrifice par l'héroine d'une partie d'elle-méme (ses idées, son jugement...) constituant son étre authentique se fait aisément et sans colere de la part de la jeune femme. Résignée et soumise, elle convient désormais a l'image romanesque de la vertu feminine. L'autorité de son mari est trop étouffante et la pression sociale trop forte pour que l'héroine réussisse a imposer sa personnalité. La lettre qu'elle écrit a M. Henley, et dont le brouillon raturé a "presqu'autant de mots effacés que de mots laissés” (117) marque le renoncement de Mistriss Henley a son étre authentique, instable et passionné. Les mots qu'elle refuse d'écrire sont les memes qu'elle ne prononcera plus et qui demeureront enfouis au plus profond de son étre. Ces mots refoulés sont ceux de la révolte, de la colére, ceux qui accuseraient Mr. Henley d'avoir tort et qui lui donneraient raison a elle. Ces mots, l'héroine n'ose les écrire de peur d'étre définitivement exclue de la société. Tout le pouvoir de l'homme sur la femme se manifeste dans la suppression de ces quelques mots qu'elle ne peut ni écrire 163 ni prononcer. La lettre écrite laborieusement, raturée malgré l'existence d'un brouillon, illustre également le handicap de la femme a s'exprimer par écrit en dehors d'une correspondance feminine pour laquelle ses talents sont universellement reconnus. Nous avons souligne plus haut que depuis le dix-septieme siécle, la femme était censée exceller dans un genre de correspondance qui lui permettait d'épancher ses véritables emotions d'une maniére naturelle. Les difficultés d'expression de l'héroine dans cette lettre adressée a son époux résultent du confinement littéraire dans lequel la femme est tenue, limitée a une correspondance intime qui lui interdit de s'épanouir dans un autre genre. Au lieu donc de manifester sa colere, Mistriss Henley exprime son dévouement et sa soumission a son mari: "A l'avenir, je veux faire mon devoir, non d'apres ma fantaisie, mais d'apres votre jugement. Je ne vous demande pas de me tracer un plan; je tacherai de deviner vos idées pour m'y soumettre" (118). La réponse, presque immediate, de M. Henley est une réponse verbale faite avec une aisance qui contraste violemment avec l'activité laborieuse de Mistriss Henley: WMe suis-je plaint,.Madame, m'a-t-il dit en m'embrassant, ai-je parlé de.Miss Clairville, ai-je pensé a aucune Miss Clairville" (118). Sa réponse, sous forme de questions rhétoriques, témoigne de la liberté et de l'indépendance du mari. Alors qu'au debut du roman l'héroine 164 s'exprimait librement et oralement avec son époux, elle lui écrit ici en témoignage de sa bonne volonté et de sa soumission. Ce genre de correspondance (lettres et missives) enferme la femme dans l'espace réduit de son boudoir ou de son secrétaire, et marque clairement une distance entre l'héroine et son époux. Le passage de l'oralité a l'écriture traduit ici celui du domaine public a l'espace domestique ou s'enfonce Mistriss Henley. La passivité de la jeune femme renforce nettement l'image d'une femme résignée a jouer le role que la société exige d'elle: celui de l'épouse/mere active dans un domaine domestique restreint mais effacée devant son mari. Lorsque Mistriss-Henley apprend qu'elle est enceinte, elle consulte son mari au sujet de l'allaitement du futur enfant. Craignant que la vivacité du temperament de sa femme n'affecte le bébé, il decide de consulter un médecin. Rappelons qu'a l'époque ou écrit Charriere, les nouvelles meres préféraient, pour diverses raisons, employer une nourrice plutbt que d'allaiter leur enfant (Pasco 45). Considérant les tendances émotionnelles de sa femme dangereuses pour l'enfant, c'est ici le futur pere, M. Henley, qui ne peut envisager l'allaitement. La femme est donc encore une fois soumise au jugement des hommes qui la représentent comme un étre excessif et lui retirent la parole ainsi que le droit a la décision personnelle. Le 165 choix de son époux, négligeant la santé de Mistriss Henley et ses emotions personnelles, la plonge dans un sentiment de solitude. Pourtant, fidéle a ses projets, elle réagit tres calmement: "cette fois je ne contestai point, je ne m'emportai point, je ne fus qu'attristée" (120). L'évanouissement de l'héroine, lorsqu'elle découvre le refus de son mari d'accepter un siege au parlement de Londres sans méme l'avoir consultée, suggére une incapacité a la fois physique et psychologique a confronter l'ordre établi représente ici par son époux: elle a désormais perdu tout contrble sur son corps et sur le monde extérieur.‘I D'autre part, la défaillance de Mistriss Henley qui peut étre rapprochée des vapeurs auxquelles les femmes sont fréquemment soumises a cette époque, renforce la notion de la faiblesse feminine caractérisée ici par une instabilité physique et mentale. Cette fragilité typiquement feminine coincide parfaitement avec la nouvelle image de l'héroine, celle d'une femme docile qui ne fait pas de bruit au point meme de s'évanouir silencieusement..A ce moment, il est permis de dire que la voix de Mistriss Henley s'est littéralement et figurativement éteinte. Elle accepte désormais de se conformer a la norme et de devenir une femme passive et raisonnable: "Ce dont je me trouve le mieux, . c'est de regarder...les feuilles paraitre et se déployer...Je ne me connais a rien, je n'approfondis rien; 166 mais je contemple et j'admire cet Univers si rempli, si animé" (118). L'héroine oppose son ignorance et le vide de son existence au monde extérieur bouillonnant auquel elle n'a pas accés. Le personnage de Mistriss Henley correspond donc désormais a l'image conventionnelle de l'épouse retranchée dans un espace domestique d'ou elle ne peut que regarder évoluer le monde extérieur ou elle n'a pas de place. C'est dans cet univers étranger que son riche prétendant venant des Indes qui "aimait la bonne chere, les arts et les plaisirs" (103) aurait pu la faire pénétrer. Un tel mariage lui aurait en effet permis l'acces a la ville, un espace public, et procure "une liberté plus entiere, une opulence plus brillante" (103). La ville avec ses institutions culturelles (le theatre, l'opéra...) aurait satisfait son désir d'indépendance. Ce qu'elle appelle la "partie vile de [mon] coeur” ou ce qu'elle n'ose reconnaitre comme son gout personnel ou ses désirs, y aspirait alors mais en choisissant d'épouser Henley elle a d0 abandonner ces réves. A la sixieme lettre, l'héroine renonce définitivement a ses penchants personnels (son étre authentique) pour se plier aux normes de la société. Elle se conforme au modele de l'épouse docile a qui toute revendication est absolument interdite: "Pour la derniere fois vous verrez mon coeur; aprés cela je m'interdis la plainte: il faut qu'il change on 167 ne s'ouvre plus" (119), "Dans un an, dans deux ans, vous apprendrez, je l'espere, que je suis raisonnable et heureuse, ou que je ne suis plus" (122). Ces deux alternatives débouchent l'une comme l'autre sur l'effacement de l'héroine, car le renoncement a son temperament passionné pour épouser les valeurs masculines reviendrait dans sa situation a une forme de suicide..Alors que Rétif et ses précurseurs ont affirme l'accomplissement par la femme de ses obligations envers la société, a travers le mariage et la maternité, comme la voie d'acces a la raison et au bonheur, Charriere expose les dangers d'une telle notion chez une femme tourmentée par son désir d'indépendance. La raison et la moderation que Mistriss Henley admire chez son mari ne lui apporte pas le bonheur auquel elle aspire. Au contraire, a cause de ce trop plein de raison, elle se sent seule et incomprise: "je suis seule, personne ne sent avec moi" (107). Le chagrin de l'hérolne donne a la raison de son mari une nouvelle signification qui s'infiltre dans le roman au fil des plaintes de Mistriss Henley. Le lecteur est invite a constater l'insensibilité et l'indifférence de M. Henley: "Tout ce que je sens est donc absurde, ou bien M. Henley est insensible et dur" (120). Les lettres de l'héroine compromettent pen a pen l'exaltation de la raison qui dominait au debut du roman. L'association de la femme avec une instabilité mentale permet de la confiner 168 dans la sphere privée de la demeure conjugale, Hollowpark, un nom évocateur en ce qui concerne l'héroine de Charriere.5 Le retranchement de Mistriss Henley dans un espace domestique se refléte dans sa correspondance avec son amie ou elle confesse d'une maniére intime ses sentiments et ses emotions. L'étranglement de son existence atteint son paroxysme avec l'annonce de sa grossesse dans la plus courte lettre du roman: "Je n'en puis plus douter, ma tres chere amie, je suis grosse; je viens de l'écrire a ma tante, je l'ai priée de le dire a M. Henley, qui est a Londres depuis quelques jours" (119). En passant par l'intermédiaire de sa tante pour annoncer l'heureuse nouvelle, elle s'éloigne encore davantage de la sphere publique dans laquelle évolue son mari. Le contraste entre l'annonce de la grossesse par l'héroine et le refus par son mari d'évoquer l'emploi qui lui a été offert a Londres souligne bien les mondes distincts et presque étrangers l'un de l'autre auquel appartiennent l'homme et la femme. Lorsque Mistriss Henley interroge son mari pour connaitre les motifs qui l'ont amené a tenir secret sa proposition d'emploi, i1 lui rétorque qu'elle n'aurait jamais pu changer sa décision et que si l'affaire n'était pas devenue publique, i1 ne lui en aurait jamais fait part. L'héroine est clairement exclue du domaine public et politique par son mari: 169 J'ai voulu dire quelque chose; mais j'avais été si attentive, j’étais tellement combattue entre l'estime que m'arrachait tant de moderation, de raison, de droiture dans mon mari, et l'horreur de me voir si étrangére a ses sentiments, si fort exclue de ses pensées, si inutile, si isolée, que je n'ai pu parler. (122) Elle est alors reléguée dans un univers privé symbolise par sa grossesse ou le role reproducteur qui fixe la place de la femme dans la société. Mistriss Henley interrompt sa correspondance alors que son sort dans la société est determine par la maternité. La cessation de son échange épistolaire marque l'anéantissement de son étre authentique et l'effacement de la femme derriere 1a mere de famille. Mistriss Henley continue a correspondre avec son amie jusqu'a ce que son réle d'épouse ne le lui permette plus. Pourtant, sa premiere lettre illustrait une aspiration a accéder a un espace public a travers la publication de ses lettres. Son histoire, racontée au passe, est en effet d‘emblée concue pour devenir publique et exercer une certaine influence sur ses futurs lecteurs. L'héroine envisage ceci comme possible grace a l'intermédiaire de sa confidente qui deviendrait la traductrice et l'éditrice de ses lettres: 170 Vous dirai-je la pensée qui me vient? Si ma lettre ou mes lettres ont quelque justesse et vous paraissent propres a exciter quelque intérét, seulement assez pour se faire lire, traduisez-les en changeant les noms, en omettant ce qui vous paraitra ennuyeux ou inutile. Je crois que beaucoup de femmes sont dans le meme cas que moi. Je voudrais, sinon corriger, du moins avertir les maris; je voudrais remettre les choses a leur place. (102) Ce contrat littéraire entre l'écrivain et la confidente Ote aux lettres l'aspect intime qui caractérise traditionnellement, comme nous l'avons constate plus haut, 1a correspondance feminine. Charriere souligne ici le désir de la femme écrivain de publier et d'étre lue par de futurs lecteurs. La romanciére doit assumer la responsabilité de son texte et ne plus étre contrainte a publier dans l'anonymatislMéme si elle délégue le pouvoir de publier a son amie (contrairement a Fanni Butlerd qui s'en charge elle-meme), l'héroine de Charriere prend soin de ne pas laisser tomber son oeuvre dans de mains inconnues. D'autre part, elle permet a son amie de quitter le lieu privé d'ou elle lit ses lettres et de pénétrer l'espace public offert par le monde de la publication. Contrairement aux romans épistolaires traditionnels ou les dates, les lieux ou encore le nom du correspondant sont mentionnés pour renforcer 171 l'authenticité des événements, le cadre du texte de Madame de Charriere omet toute stratégie littéraire et se contente de classifier les lettres sous les titres "premiere lettre", "deuxieme lettre" etc... Nous avons pu observer dans la préface des Lettres portugaises qu'en omettant le nom de l'auteur, l'éditeur cherchait a souligner l'aspect intime des lettres les rendant alors plus authentiques. Au contraire, le texte de Charriere a été écrit dans l'espoir d'étre publié. Le passage cite plus haut montre bien la transformation de la confidente en éditrice potentielle du texte de Mistriss Henley.7 Charriere dénonce le cachet d'authenticité traditionnellement attribue aux romans féminins et souligne que les lettres de son heroine sont vraies a travers le choix clairement formulé de l'auteur de publier. En devenant publiques, les lettres font renaitre la voix de Mistriss Henley et le lecteur entrevoit la possibilité d'une cohabitation entre l'épouse et la romanciere. L'amie a qui Mistriss Henley confie son texte constitue une sorte de double de la tante célibataire qui avait volontairement choisi une existence indépendante sans mari ou enfants biologiques. En invitant son amie a prendre possession de ses lettres, l'héroine la prie d'exercer son jugement quant au choix des passages a publier ou a omettre. Ce modele féminin qui assumerait son identité a travers un 172 choix personnel est celui auquel aspire Mistriss Henley sans toutefois étre capable de repousser le modele masculin que la société impose aux femmes. Cécile, la jeune heroine des Lettres de Lausanne, réussira avec l'aide de sa mere, a dépasser la notion traditionnelle de la femme au foyer. 173 Notes 1 Voir l'introduction de Giovanni Riccioli, Le.Mari Sentimental ou le mariage comme il y en a quelques-ans (Milano: Cisalpino-Goliardica, 1975) 25. 2 Kathleen Jaeger 12. 3 Rétif de la Bretonne, "La femme du laboureur,” Les Contemporaines. La mere demeure un exemple de bonté et d'honnéteté pour ses enfants. 4 Joan Stewart, Gynographs: French Novels by Women of the Late Eighteenth Century (Lincoln NB: U of Nebraska P, 1993) 107. 5"Hollowpark" vient de l'anglais "hollow" qui signifie "creux", faisant écho, de facon ironique, a l'existence de l'héroine au chateau. 6 L'identité de la romanciere est parfois difficile a reconnaitre quand de nombreux ouvrages sont signés "Monsieur" ou "Madame" suivi d'une ou plusieurs initiales ou astérisques. L'édition de 1764 des Lettres du.Marquis de Roselle d'Elie de Beaumont est signée "Madame ***" alors que celle de 1770 est signée "Madame E.D.B". ‘7Susan Lanser, Fictions of Authority: WOmen writers and Narrative VOice (Ithaca, NY: Cornell UP, 1992) 145. NW Les Lettres écrites db Lausanne ou la reconnaissance do la voix féminins En 1784, le besoin d'écrire qui tourmente Madame de Charriere ne s'est pas apaisé et c'est vers cette époque qu'elle se met au livret d'un opéra-comique, L'Incognito, auquel elle doit pourtant renoncer faute de trouver un musicien désireux de se charger de la mélodie. Elle se rabat alors sur la comédie, un genre qu'elle avait pratique plus jeune avec Le Nable, et publie La Famille d'Ornac en 1785. Lorsqu'elle apprend par hasard l'existence de trois volumes de Lettres lausannoises, elle se sent volée de son inspiration: "Quoi, dis-je, on me vole mon titre! Mais je préviendrais ce pédant audacieux. Aussitbt je montai dans ma chambre et je me dépéchai d'écrire. Huit ou dix jours aprés, les Lettres écrites de Lausanne étaient faites" (Oeuvres Completes, II, 454). Les deux premieres parties des Lettres écrites de Lausanne (1785/87) sont respectivement constituées des histoires de Cécile et Caliste, deux jeunes femmes rendues malheureuses par des amants indécis. L'un des plus célébres romans épistolaires de Madame de Charriere, les Lettres écrites de Lausanne, furent surtout appréciées pour le tragique dénouement de l'histoire de Caliste. Si 1e sort des 175 heroines est radicalement different (Caliste meurt, Cécile devient une jeune femme indépendante), elles souffrent toutes deux du manque de passion de leur amant. La premiere partie nous livre la correspondance d'une mere préoccupée par l'établissement de sa fille Cécile. Au fil des lettres, adressées a une parente résidant en Languedoc, nous découvrons les premiers émois et les déceptions amoureuses de la jeune fille. La seconde partie est contenue presque } entiérement dans une longue lettre adressée a la mere de Cecile et dans laquelle William, le gouverneur du Lord anglais dont Cécile est tombée amoureuse, relate sa passion douloureuse pour Caliste, une ancienne comédienne que son pere lui a interdit d'épouser. Avec un enchainement artificiel, des narrateurs et protagonistes différents, les deux parties semblent distinctes a bien des égards.1 Si le manque de conclusion distingue la premiere partie, le dénouement conventionnel de la seconde valut a son auteur de chaleureuses louanges. Cependant, la critique s'est efforcée de découvrir la complémentarité des deux parties, montrant comment l'histoire de Caliste conclut celle, inachevée, de Cécile. C'est seulement en 1980, date de la publication des. oeuvres completes d'Isabelle de Charriere, que le lecteur et la critique contemporains découvrent les trois courtes suites des Lettres écrites de Lausanne, trois "fragments"2 176 dont les nouveaux narrateurs développent et étoffent le texte. Le passage de Cécile d'objet du discours a narratrice et épouse illustre l'affranchissement de la voix feminine qui prend la parole. Si Caliste meurt, victime des préjugés sociaux et du manque de communication entre les deux sexes, Cécile renait, maitrise le sens de son existence et réussit a trouver sa place dans un monde parfois hostile. A travers la destinée de deux heroines exceptionnelles, Charriére découvre deux aspects de la condition féminine: la possibilité d'une liberation et la menace toujours persistante de la sujétion de la femme a des contraintes morales et sociales. Afin de mieux exposer la réflexion de l'auteur sur la destinée feminine, cette présente etude se situe a contre-courant de l'oeuvre en se concentrant tout d'abord sur la deuxieme partie. Les deux heroines sont d'emblée définies par leur manque d'autonomie, leur dépendance narrative et morale. Cécile nous apparait a travers le regard maternel de la narratrice alors que Caliste est présentée du point de vue amoureux de William: elles sont toutes deux l'objet de la narration et n'ont pas la parole.3.A une dépendance narrative répond dans le texte une dépendance maternelle et financiere chez Cecile, morale chez Caliste. Née de parents a la fois fortunes et respectés, Caliste est corrompue trés jeune par une mere dépravée qui profite 177 de la beauté de sa fille pour en faire une comédienne et la vendre a un vieil aristocrate riche, Lord L.(191-92). Apres la mort de celui-Ci, Caliste rencontre le narrateur et en tombe immédiatement amoureuse, son sentiment étant entierement partagé. Caliste est victime de son passé de femme entretenue (le fait qu'elle soit innocente accentue l'injustice du jugement social) qui l'exclut d'une vie sociale réguliere: "Dépendante, quoiqu'adorée, dédaignée par les uns tandis qu'elle était servie a genoux par les autres, elle avait contracté je ne sais quelle reserve triste qui tenait tout ensemble de la fierté et de l'effroi" (193). Le procédé stylistique de l'opposition illustre la mise a l'écart de l'héroine, sa situation batarde. A cette époque, seul un mariage honorable permet aux femmes déconsidérées de sortir de l'exil social auquel la société les a condamnées.4 Cependant, Lord L. n'a pas cru bon d'épouser Caliste lui interdisant ainsi la reconnaissance publique tant espérée. Le texte souligne ici l'égoisme d'un homme plus préoccupé par son bonheur personnel que par l'avenir de la femme qu'il dit aimer: "Ou je connais mal 1e public, on celle qui n'a rien gagné a étre ma compagne que le plaisir de rendre l'homme qui l'adorait le plus heureux des mortels, en sera plus respectée que celle a qui on laisserait un nom et un titre” (194). Dans une note an bas de la page, Madame de Charriere ne peut se retenir de souligner la soumission de 178 la femme au jugement social que les hommes feignent parfois d'oublier: "Il connaissait mal le public et raisonnait mal" (194). Seule une conduite exemplaire pourrait racheter le passe irrégulier de Caliste. Bien qu'elle se conduise de la maniere la plus vertueuse possible, le pére de William est incapable de lui pardonner son passé. Le préjugé des bonnes moeurs est encore tenace a la fin du siecle bien que, comme l'observe Pelckmans (506), ces préjugés aient tendance a disparaitre et que tout le monde, sauf 1e pere de William, admire chez Caliste son existence vertueuse. Inquiete de leur reputation, 1e jeune homme interroge un voisin: ”Et ne se moquent-ils pas de moi? Oh non, Monsieur, ils s'étonnent et voila tout. VOus étes aimés et respectés l'un et l'autre" (205).5 Caliste éprouve tout au long de sa vie un sentiment de solitude se sentant aliénée et victime des préjugés d'une société patriarcale qui 1a rejette (Karmarkar et Kern 135). Meme apres son mariage avec M.M*** a la fin du roman, Caliste est aussi accablée qu'une enfant muette, tributaire de sa mere: "Je me revois ici plus malheureuse et plus délaissée que quand je vins jouer sur ce meme theatre, et que je n'appartenais a personne qu'a une mere qui me donna pour de l'argent" (223). Dépendante de sa famille, du jugement de la société, des hommes, Caliste ne peut s'épanouir et sa voix reste étouffée. 179 L'amour de William pour une ancienne femme entretenue menace l'honneur de sa famille: "on ne portera atteinte a mon honneur ni a celui de ma famille" affirme son pere (199). Caliste compromet ainsi l'ordre établi, les relations pére/fils et la stabilité de la famille. D'autre part, la jeune femme menace de prendre l'ascendant sur William, jeune homme passif et effacé de nature. Notons en effet que si Caliste est moralement dépendante a certains égards, elle est matériellement autonome ayant hérité d'immeubles par deux fois dans le roman, d'un oncle et d'un parent de son ancien protecteur. De plus, Caliste témoigne a plusieurs occasions d'une indépendance surprenante: c'est elle qui par exemple exprime la premiere son amour a William, brisant les regles traditionnelles des relations amoureuses. Dans un effort pour diriger sa destinée, la jeune femme saisit l'opportunité de prendre la parole a la place de William. L'indépendance financiere de Caliste lui permet aussi d'organiser ses soirées avec William, Mais si l'argent lui confere une certaine autonomie, ce n'est pas suffisant pour lui faire prendre contréle de sa destinée. En refusant d'accepter Caliste, 1e pere de William.minera son indépendance financiére. C'est cette autonomie naissante qui suscite la crainte du pere de William. Dans une lettre ou il imagine un éventuel mariage entre son fils et Caliste, il écrit: 180 Et si dans ce moment je croyais voir quelqu'un parler de mon fils ou de ses enfants, je supposerais qu'on dit c'est le mari d'une telle, ce sont les enfants d'une telle. En vérité, Madame, cela serait insupportable, car a present que cela n'a rien de reel, l'idée m'en est insupportable. (202) Ce qui est inacceptable pour le pere de William, c'est que Caliste puisse un jour tenir le premier role et effacer son fils dans le mariage en le dominant sur le plan financier et moral. Il envisage ici une société ou la mere (par sa reputation dans ce cas) determinerait la position sociale de la famillefi et repousse aussitbt cette idée comme une aberration de la nature. Comme nous l'avons observe chez les personnages de Rétif7, i1 souhaite que son fils épouse une femme qui devienne "la femme de William", non pas l'inverse. Nous sommes ici a nouveau confrontés au theme de la peur de la domination feminine. Le pere de William se sert de l'autorité que lui confere la société (le nom du pere) pour faire obstacle a une union qui mettrait en danger la place de son fils dans la maison conjugale, son rOle de chef de famille at par la son rOle de pere. L'arrogance dont témoigne 1e pére quand il affirme qu'une autre femme pourrait aimer son fils autant que Caliste (201), derive de son pouvoir dans une société qui définit la femme comme un étre échangeable (l'une peut remplacer l'autre).8 Dans une 181 société de plus en plus basée sur une valeur d'échange, la femme devient objet dénuée de toute individualité. A travers la benediction du pere de William, Caliste tente d'obtenir un rétablissement social. Fidele aux préceptes de la vertu, elle adopte une conduite exemplaire, repoussant les avances de William que les plaisirs de la musique et de la conversation ne satisfont plus (203). Caliste ne cedera pourtant jamais au jeune homme. Son refus de la satisfaction personnelle (une liaison) et son renoncement final au jeune homme correspond au sacrifice exigé par la vertu. L'amour authentique, pilier de la société dans la philosophie du bonheur, est ici sacrifié a la regle sociale. Comme William et son pere, Caliste cede aux pressions de la société. Confrontée a la loi du pere, Caliste devient muette, incapable d'assumer pleinement sa personnalité:9 ”Depuis ce moment Caliste ne fut plus la meme (...) elle perdit cette sérénité, cette égalité, cet a- propos dans toutes ses actions qui auparavant ne la quittait pas" (203). Son mariage avec M. M*** auquel elle se soumet a la fin du roman ne lui apporte pas le bonheur mais la tranquillité qui résulte d'une decision raisonnable comme un mariage de convenance. Quant a William, il accepte d'épouser Lady Betty pour regagner l'amour de son pere. En tant que fils, i1 remplit son devoir en obéissant a l'autorité paternelle; en tant qu'homme, il accomplit son r01e social 182 en faisant un enfant a sa nouvelle femme. Comme nous allons le voir dans les pages suivantes, l'ordre est rétabli a la fin du roman et il ne reste plus a l'héroine qu'a disparaitre. C'est la discipline morale imposée a Caliste qui sera responsable de sa mort. L'idéal de vertu tel qu'il est appliqué aux femmes est également remise en cause dans la premiere partie des Lettres de Lausanne a travers le discours maternel. Si Caliste demeure jusqu'a la fin subordonnée aux exigences d'une société patriarcale, Cécile réussit grace a son education a échapper a la dépendance féminine. Contrairement a Caliste, elle ne recherche pas la reconnaissance sociale et se révéle meme indifférente a l'opinion publique. Cécile représente la preoccupation majeure de sa mere et de toutes les meres: c'est une jeune fille a marier. L'autorité maternelle s'exerce ici exclusivement dans le but de rendre Cécile heureuse (autorité différente dans L'histoire de caliste). Toutes les actions maternelles sont tournées vers Cécile: "J'aimais ma fille uniquement; rien, a ce qu'il me semble, n'a partagé mon attention, ni balance dans mon coeur son intérét" (149). Le destin de la narratrice est de disparaitre devant sa fille (elle est exclusivement "la mere de Cecile") et un jour s'en séparer, comme nous le verrons dans la suite III. Le regard maternel de la narratrice, a travers lequel nous découvrons Cecile, 183 établit une distance entre le lecteur et la jeune fille, écart renforcé par l'emploi de verbes d'impression tels que "paraitre", "sembler” ou "avoir l'air”. La narratrice interpréte sans cesse les réactions de sa fille selon sa propre sensibilité donnant au lecteur une perspective incomplete voire fausse de la jeune heroine: "Cécile m'a paru cependant un peu plus sérieuse et réservée"( 153). Le fait qu'elle ne soit pas tout de suite nommée mais plutOt désignée comme "ma fille", ”une jeune fille", "elle" (137) accentue la distance et permet a l'auteur d'assimiler son sort a celui de toutes les autres jeunes filles de son époque qui comme elle sont confrontées au probléme du mariage. Cécile apparait d'abord comme une source de soucis pour sa mere qui l'appelle "[Ma] pauvre Cecile" (138). Le mariage représente l'aboutissement de l'éducation, 1e dernier obstacle qu'il faut surmonter avant de se séparer de sa progéniture. La lettre d'ouverture illustre le sentiment de soulagement qui doit suivre apres le mariage d'une fille: "Combien vous avez tort de vous plaindre! Un gendre d'un mérite mediocre, mais que votre fille a épouse sans répugnance: un établissement que vous meme regardez comme avantageux, mais sur lequel vous avez été a peine consultée! Qu'est-ce que cela fait? Que vous importe?" (137). Les plaintes de sa parente lui paraissent dérisoires car, apres 184 tout, elle vient de réaliser le réve de toutes les meres, marier sa fille. Le mariage de Cécile est rendu difficile par sa situation financiére mediocre. A travers l'histoire de trois generations, la narratrice expose longuement dans la seconde lettre l'état de sa fortune: sa dot n'a pas compensé l'héritage de son mari qu'il a d0 partager entre ses quatre freres. Ce passage détaillé (140) illustre la dépendance matérielle de l'héroine et des femmes de condition en général (Cecile est issue de la noblesse d'épée) dont le destin releve des héritages et des alliances familiales. Starobinski souligne que la femme de qualité est d'autant plus désavantagée par'les "interdits nobilaires" qui ne l'autorisent pas a travailler pour augmenter ses revenus (137). L'héroine est donc contrainte a cultiver d'autres richesses si elle veut un jour se marier. Consciente de la pauvreté de Cecile, sa mere travaille a la rendre séduisante et intéressante afin qu'on la remarque non pas pour ses richesses mais pour sa personnalité: "VCus voyez bien que, si on l'épouse, ce ne sera pas pour avoir pensé, mais pour l'avoir vue. I1 faut donc la montrer" (138). Charriere distingue ici le mariage de raison, qui rabaisse la femme au statut d'objet d'échange, et le mariage d'amour qui considere les qualités morales de la femme. Mais dans les deux cas, la femme 185 demeure la chose qu'il faut montrer comme une marchandise a vendre. Cécile ne réunit pas les canons de la beauté10 (gros cou, pied et main passables, levres un peu grosses) mais se distingue par un charme indéfinissable que meme sa mere ne peut préciser: ”une certaine transparence dans le teint, je ne sais quoi de satiné, de brillant" (139). La description de la jeune fille par sa mere vise a presenter Cecile comme une jeune fille différente, individuelle comme l'est également son education: pas de danse, ni de harpe, ni de langues étrangeres (148) comme l'éducation l'exigeait alors mais au contraire un enseignement personnalisé: "Je lui ai appris autant d'arithmétiques qu'une femme a besoin d‘en savoir. Je lui ai montre a coudre, a tricoter et a faire de la dentelle. J'ai laisse tout le reste au hasard" (148). Si la mere exerce son autorité aux moments critiques, Cecile posséde une certaine liberté dans la vie quotidienne justifiée par la relation de confiance entre la mere et la fille: Vous étes étonnée que Cécile sorte seule, et puisse recevoir sans moi de jeunes hommes et de jeunes femmes. Je vois meme que vous me blamez a cet égard, mais vous avez tort. Pourquoi ne la pas laisser jouir d'une I liberté que nos usages autorisent, et dont elle est si peu tentée d'abuser? (158) 186 La narratrice place toute sa confiance dans le sentiment du devoir chez Cécile et comme les meres de nombreux romans féminins“, elle recommande a sa fille d'adopter une conduite vertueuse et irréprochable. Les conseils maternels portent essentiellement sur l'idéal de vertu tel qu'il s'applique a la femme. La narratrice distingue en effet la vertu masculine (courage et héroisme) de la vertu feminine qui exige que la femme préserve sa virginité avant le mariage et demeure fidele a son époux: "C'est le devoir, c'est la profession de toute femme que d'étre sage. Elle ne se l'est pas choisie, mais la plupart des hommes n'ont pas choisi la leur" (161). Au dix- huitieme siecle, la vertu s'identifie avec la défense de la virginité. A cet égard, Fauchery a montre que l'existence des heroines de cette période se confond totalement avec l'exercice de la vertu”. Cécile apprend de sa mere que pour préserver sa vertu, elle doit contraindre ses emotions, controler ses sentiments, les nier meme s'il le faut, pour mieux se protéger du désir masculin. Dans l'espoir de faire un mariage heureux, Cecile accepte la discipline morale imposée par la société (elle niera ses sentiments devant le jeune lord anglais). Cependant, dans une lettre destinée a Cecile, la narratrice soutient que la vertu feminine ne se confond pas exclusivement avec la chasteté et que si Cécile venait a manquer de sagesse, elle ne l'en aimerait pas moins 187 pour ses autres vertus (163). La narratrice refuse de réduire l'image de la femme a une contrainte sexuelle qui n'est autre qu'un préjugé social, une obligation imposée a la femme exclusivement. A cet égard, Madame de Charriére se différencie des écrivains de son époque qui limitent l'image de la femme a deux conditions: la vertu totale (Pamela) ou le vice (Manon).13 D'autre part, elle affirme a nouveau dans ce roman que la vertu n'est pas une source de bonheur chez la femme. Bien qu'elle soit un modele de vertu et de sagesse, Cecile ne gagne pas l'amour de l'homme qu'elle aime et la premiere partie se termine par le depart de la mere et la fille, fatiguées d'attendre que le Lord anglais se declare. Cécile reconnait la discipline morale imposée aux femmes par la société mais découvre qu'il existe d'autres options pour la femme que celle de se marier a peine sortie de l'enfance. La jeune fille prend en main son destin lorsqu'elle decide de ne plus rester chez elle en compagnie de ses prétendants: "11 me semble qu'il faudrait moins rester chez nous, et que ces trois ou quatre hommes nous trouvassent moins souvent seules" (170). Cecile s'écarte ici de la norme (recevoir du monde, faire la conversation). Ce qui était présente comme une urgence au debut du texte- le mariage de Cécile— devient secondaire et est mis en attente: Cécile refuse en effet de faire un mariage de convenance en épousant le bernois dont elle n'est pas amoureuse. 188 L'institution du mariage est donc reconsidérée au cours de cette premiere partie. En suspendant le mariage de Cécile, Madame de Charriere signale qu'il existe d'autres réalités pour la femme que celles imposées par le monde extérieur. L'amour maternel est l‘une de ces réalités que Charriere explore dans son texte. Le sentiment de la mere envers son enfant est un theme quasi absent des romans traditionnels ou une intrigue sentimentale est communément de rigueur. Si l'amitié feminine (mere/fille) ou entre amies apparait dans d'autres romans féminins“, cette amitié demeure en general subordonnée aux sentiments hétérosexuels. Les Lettres de Lausanne se singularisent par le fait que Madame de Charriere y traite l'amour maternel comme sujet principal. I1 semble au premier abord que les relations mere/fille ne concernent que la premiere partie du roman mais les trois suites du roman replacent au premier plan le theme de l'amour maternel et le récit sentimental de la "Continuation" n'apparait plus que comme une parenthese dans le theme de l'amitié feminine. Les trois suites intégrent en effet l'intrigue amoureuse entre William et Caliste dans le contexte plus large de l'amour maternel. La premiere suite, ou la reaction de la mere de Cecile au tragique récit de William, opere un retour sur la jeune heroine réduisant alors l'histoire de Caliste a un point de comparaison: "Vous 189 m'avez fait me figurer moi-meme, mere veuve de la plus aimable des filles, (...) le monde tel qu'il serait, vide désert et mort je pense..." (239). La deuxieme suite est constituée d'une lettre du pere d'Edouard dans laquelle i1 exprime ses préoccupations a l'égard de son fils: "J'aurais fort aime cette Cécile pour belle-fille et j'aurais fort aimé que mon fils se fut marié par amour” (243). Les soucis paternels (qui faisaient également l'objet de la Continuation) concernant l'établissement du jeune homme font echo aux soucis maternels de la premiere partie. Finalement, en répondant a la question initiale, "Ma pauvre Cécile, que devienda-t-elle?" (138), 1a derniere suite boucle le roman et met fin a la domination du discours maternel: Cécile est mariée. Ayant établi que l'amour maternel constitue le theme principal du roman, il reste a étudier pourquoi notre auteur privilégie—t-elle cet espace féminin aux dépens de l'intrigue sentimentale. La relation entre Cecile et sa mere est fondée sur la franchise, la confiance et la communication. L'amour maternel dans le roman est indépendant des contraintes sociales; nous avons vu plus haut que dans sa representation de la vertu, la mere de Cécile se distancie des préjugés sociaux tels qu'ils s'appliquent aux femmes. Cette entente unique entre la mere et la fille ne peut se développer entre l'homme et la femme 190 dont la relation est faussée par le jeu social. L'homme dans le roman est d'ailleurs représente comme un ennemi a travers les tuteurs de Cécile qui tourmentent quelquefois sa mere sur son education: On veut qu'elle soit a la fois franche et réservée. Qu'est-ce que cela veut dire? On veut qu'elle craigne le blame sans désirer la louange (...) Voila comment avec des mots qui se laissent mettre a coté les uns des autres, on fabrique des caractéres, des législations, des educations et des bonheurs domestiques impossibles. (137-138) La narratrice souligne que cette notion n'est autre qu'une construction verbale, une notion inventée comme les lois et l'éducation par des hommes qui imposent aux femmes leur conception de la morale et de la raison. Madame de Charriere distingue ici 1e bonheur domestique tel que les hommes l'imaginent“5(l'ideal de la vertu) et l'idée du bonheur chez la femme, l'amour maternel ici. L'homme est aussi ennemi car i1 peut provoquer par le mariage la separation entre la mere et la fille: dans la lettre d'ouverture, 1e mariage de la fille de son amie est évoque en termes de "rupture angoissante" (Didier 101). Les courtisans de Cecile ne posent pourtant pas de menace et a part le Lord anglais, Edouard, ils n'apparaissent que de loin a l'état de prétendants sans que la narratrice ait 191 besoin de les nommer autrement que par leur fonction (le fils du baillif, par exemple). Cependant, la menace existe et dans la conversation au sujet du mariage, la narratrice rappelle a sa fille le danger que les hommes peuvent représenter: ”Oui, Cecile, il ne faut pas vous faire illusion, un homme cherche a inspirer, pour lui seul, a Chaque femme un sentiment qu'il n'a le plus souvent que pour l'espece" (160). Ne pas considérer la femme comme une entité individuelle, c'est le principal reproche adressé aux hommes par Charriere. Lorsque Cecile tente d'apprendre si 1e mariage est alors nécessaire, sa mere lui réplique: "Oui Cecile: vous voyez combien il est doux d'étre mere" (164). La maternité apparait donc comme le véritable bonheur que la femme puisse retirer du mariage. La maternité comme source du bonheur est une idée qui germe pendant la deuxieme moitié du siécle. Avant que l'influence de Rousseau ne se fasse sentir dans les foyers, les meres ne se souciaient guere de leur progéniture dont l'éducation était généralement confiée a des tuteurs pour les garcons, et aux religieuses des couvents pour les filles (Fairchilds 100). Apres Rousseau, la mere est censée prendre en charge l'éducation de ses enfants, particulierement celle de ses filles. Théologiens et moralistes deviennent convaincus que la moralité de la femme lui vient de sa mere (Hufton 40). La communication entre 192 mere et fille s'établit progressivement mais la littérature propose peu d'exemples de relations qui soient fondées sur la franchise et la liberté comme elle l'est chez Charriere. Au contraire, les consequences néfastes de l'échec des relations mere-fille est un theme largement développé a cette époque”. Madame de Charriere s'emploie a décrire une parfaite entente entre Cecile et sa mere qui se singularise par une totale intimité. Cécile relate toujours a sa mere ses experiences amoureuses et si elle parle parfois a demi- mots, elle en dit toujours assez pour que sa mere la comprenne et la conseille; l'épisode ou Cecile laisse éclater sa jalousie apres avoir surpris le jeune Lord avec la femme de chambre de Madame de *** en témoigne (153). La confiance de la fille pour la mere est réciproque, basée sur une education vertueuse et ouverte: "Cécile m'a demandé la permission de répondre. J'ai dit que je souscrivais d'avance a tout ce qu'elle dirait” (168). Cecile et sa mere vivent dans une espece de codépendance qui ”assume la féminité non plus comme un manque, mais comme une plénitude et une sorte de revanche, puisque sur ce point au moins la femme peut s'enorgueillir d'un pouvoir que l'homme n'a pas" (Didier 103). Décue par l'indifférence du Lord anglais, Cecile decide en accord avec sa mere de s'éloigner de Lausanne, semblant ainsi se destiner au célibat: 193 Vous m'avez demandé, maman m'a-t-elle dit, si je me consolerais de ne pas me marier. 11 me semble que ce serait selon le genre de vie que je pourrais mener, (...) si vous trouviez bon que nous allassions en Hollande ou en Angleterre tenir une boutique ou établir une pension, je crois qu'étant toujours avec vous et occupée et n'ayant pas le temps d'aller dans le monde, (...) je ne convoiterais et je regretterais rien et que ma vie pourrait étre tres douce. (179) L'espace féminin imagine ici par Cecile se situe en marge du monde patriarcal. Pour Fauchery, le couple mere/fille ainsi présente tend a "former un petit kyste jumeau de féminité au sein du monde viril (...) L'union se realise done a l'écart de l'homme et presque contre lui" (140). Plutbt que de véhiculer une image negative de la féminité (un kyste malade), Madame de Charriere traduit ici un nouvel univers ou les femmes obtiendraient l'indépendance et le pouvoir que la société leur a interdits. La boutique dont réve Cecile constitue la métaphore du désir féminin en ce qui concerne l'acquisition de l'indépendance. Le commerce, reserve aux hommes et interdit aux femmes aristocrates (d'ou la nécessité de fuir a l'étranger) représente la participation des femmes a la vie sociale et extérieure. La boutique gérée par la mere et la fille renverse l'idée de commerce telle qu'elle se situe dans le 194 monde patriarcal ou les femmes sont une marchandise d'échange (Irigaray 81). Cependant, ce réve de vivre a l'écart du monde n'est pas une solution pour la romanciére qui se garde bien d'opter en faveur du célibat (comment 1e pourrait-elle sans renoncer aussi a la maternité?). S'il est vrai que la premiere partie ne se termine pas par un mariage de l'héroine, resistant ainsi a la clbture traditionnelle, nous retrouvons la jeune fille mariée dans la suite III. Datée d'avril 1795, c'est-a-dire onze ans aprés les lettres de la premiere partie, la troisiéme suite du roman est constituée d'une courte lettre de Cecile adressée a sa mere dans laquelle elle réitére son amour filial et sa douleur d'étre séparée de sa mere: "Nous avons fait ce que nous devions chere Maman i1 ne faut donc pas s'attrister ni se plaindre mais cette separation est bien cruelle" (247). Installée a Berne avec son nouvel époux qui n'est pas le jeune Lord anglais, Cecile s'appréte a commencer une nouvelle vie loin de sa mere. Bien que Cecile avoue ne pas aimer écrire, on devine aisément que cette lettre, composée juste aprés le depart de la mere, constitue 1e début d'une longue correspondance entre les deux femmes: "Je n'ai jamais aime a écrire, je ne me suis jamais beaucoup souciée de ce qui se passait hors de chez vous ou de chez moi" (247). Cecile souligne ici le lien entre les lettres et le monde 195 extérieur. Elle n'avait pas besoin d'écrire parce qu'elle n'avait pas de contact avec le dehors; comme nous l'avons constate, tout se passait dans la maison maternelle. Avec son mariage, Cécile se trouve confrontée a un espace different (une nouvelle ville, de nouveaux amis, une correspondance nouvelle). La jeune fille a désormais acces au domaine public. Cette lettre est donc doublement symbolique car elle illustre le passage de Cecile d'objet du discours maternel confinée dans un espace privé a narratrice ouverte sur le monde extérieur. A.travers la separation avec la mere, Cecile fait entendre sa voix sans que rien ne s'interpose entre elle et le lecteur. L'image de Cécile narratrice se calque sur celle de la femme mariée, offrant alors la vision d'une femme qui a trouve sa place dans l'union conjugale. En effet, 1e debut de la correspondance entre la mere et la fille coincidant avec le debut de la vie maritale de Cécile présente la possibilité d'une coexistence entre la femme écrivain et l'épouse. Le roman peut étre ainsi considéré comme l'histoire de la creation de la voix feminine. Les structures narratives et le dénouement ouvert viennent renforcer cette nouvelle perspective sur la femme. .Alors que l'histoire de Caliste venait contrebalancer la voix de la mere de Cécile par celle de William, deux des trois suites sont aussi composées par deux nouveaux narrateurs, 1e pere du petit Lord et Cécile elle-meme. 196 Beatrice Didier observe que le génie de Madame de Charriere est d'avoir fait parler un homme pour raconter l'histoire émouvante de Caliste”. En choisissant un narrateur male pour la deuxieme partie, la romanciére évite ainsi le style de l'affectivité. Les nouveaux narrateurs des deux dernieres suites font progresser le roman vers une forme polyphonique. En multipliant et confondant les voix dans le texte (féminins/masculins), Charriere prévient l'isolement de la voix de la femme et sa reduction a l'image de "l'épistoliere". La voix féminine COtoyant d'autres voix n'est plus limitée a un genre spécifique, a un rOIe particulier on a une fonction stéréotypée. L'image d'une expression feminine plus libre est annoncée des la premiere partie a travers le discours politique de la mere de Cécile. Son projet de réforme tend a établir une sorte de matriarcat ou le rang social (noblesse ou bourgeoisie) serait transmis par les femmes. La narratrice propose en effet de diviser 1e pays en trois classes: les nobles, les officiers et le peuple: Tout homme en se mariant, entrerait dans la classe de sa femme, et ses enfants en seraient comme lui. Cette disposition aurait trois motifs. D'abord les enfants sont encore plus certainement de la femme que du mari. En second lieu, la premiere education, les préjugés, on les tient plus de sa mere que de son pere. En troisieme 197 lieu, je croirais par cet arrangement, augmenter l'émulation chez les hommes, et faciliter le mariage pour les filles... (142-143) La narratrice rénove ici non seulement la structure sociale, en proposant que l'homme prenne en se mariant la classe de sa femme, mais aussi 1e genre épistolaire féminin traditionnellement limité aux questions domestiques. En entrant dans le domaine politique, la narratrice transgresse un territoire reserve aux hommes et affirme ainsi la présence de la femme a un autre niveau que celui de la sphere privée. La premiere partie du roman fut assez bien accueillie mais la critique contemporaine regretta 1e manque de conclusion de l'histoire de Cecile et reprocha a la romanciere de ne pas se donner la peine de dénouer ses histoires (Godet 298). En effet, en février 1788, La Harpe se plaint que l'aventure amoureuse de Cecile et du jeune Lord ne soit qu'une "conception avortée" (Stewart 113). La troisieme suite demeure vague meme si nous apprenons que Cécile est mariée: elle semble s'étre installée a Berne avec un époux qui n'est pas identifie, si ce n'est qu'il est entiérement dévoué a sa mere (247). Charriere laisse intentionnellement son lecteur ignorant quant aux sentiments de la jeune épouse a l'égard de son mariage pour bien marquer que ce n'est pas uniquement son role d'épouse ou de 198 mere qui faconne sa personnalité. Le nom de son mari est délibérément passé sous silence car Cecile n'est pas, dans le cadre du roman tout au moins, représentée comme l'épouse d'un homme dont elle porte le nom. En effet, elle continue a s'appeler Cécile n'ayant pas perdu son identité contrairement a Mistriss Henley dont le prénom n'avait jamais été mentionne. Le choix de la romanciere de terminer son texte sur un dénouement ouvert témoigne de son refus d'enfermer Cecile dans un rOle spécifique et de laisser ouverte sa destinée. Charriére refuse une clOture conventionnelle (mort ou mariage de l'héroine) dans sa premiere partie ou elle fait dire a la mere de Cécile: ”Mais songez que ma fille et moi ne sommes pas un roman comme Adele et sa mere, ni une lecon, ni un exemple a citer" (149). Au contraire, au debut de l'histoire de Caliste qui se termine par la mort de l'héroine, William écrit: "Mon histoire est romanesque" (189). Dans la premiere partie, Charriere s'éloigne donc des conventions littéraires qui limitent trop souvent 1e sort des heroines a deux alternatives, le texte "euphorique" (mariage) ou le texte "dysphorique" (mort).18 L'ambiguité du dénouement libérerait alors le texte du fardeau des conventions littéraires qui exigent la resolution de l'intrigue, et favoriserait ainsi l'ouverture de la femme sur le monde extérieur. Les regles de la société a l'égard de la femme 199 (les restrictions et contraintes) se refletent dans les conventions littéraires qui dictent le sort des heroines. L'histoire romanesque de Caliste racontée par un narrateur sous la forme du roman-mémoire (constitue d'une unique lettre), débouche sur un retour a l'ordre (les relations pere/fils, triomphe de l'amour raisonnable dans le mariage de Caliste avec un autre homme) et sur l'effacement de la femme, l'élément perturbateur dont la mort peut étre lue comme une punition. La cloture definitive de la deuxieme partie révéle le besoin d'un univers stable, coherent, "restivien," ou l'autorité du male (ou celui du pére) n'admet pas d'étre remise en question et triomphe a la fin. Le genie de Madame de Charriere est d'avoir réussi a libérer l'image de la femme dans sa representation littéraire, grace a une utilisation personnelle du roman épistolaire qui fut sans doute son genre de predilection. Dans les trois romans que nous venons d'analyser, elle manipule 1e dénouement de maniere a ce qu'il ne soit jamais completement ferme en évitant délibérément les details surla mort ou le mariage de ses heroines. Mame dans les deux textes dont la fin semble la plus évidente, i1 demeure un certain flottement: dans Les Lettres de.Mistriss Henley, l'accent est plus mis sur l'utilisation des lettres destinées a la publication que sur le sort de l'héroine dont la mort est seulement suggérée comme une possibilité. Les 200 Lettres neuchateloises se ferment sur un aveu d'amour mutuel mais aussi sur la separation de Meyer et Marianne. La mort et le mariage ne sont donc pas présentés comme l'aboutissement de la destinée féminine mais plutot comme un épisode qui pourrait autoriser la femme a envahir un espace autre que celui de la maison conjugale. L'échange épistolaire sert également le projet littéraire de Charriere: l'existence d'une seule épistoliere dans Les Lettres de Mistriss Henley force le lecteur a interpreter la voix feminine comme le miroir de la condition de la femme isolee dans un univers clos. L'absence de renseignement sur la confidente dont on ignore le nom et le sentiment envers les lettres qu'elle recoit, vient renforcer l'impression de solitude qui se dégage du contenu de la correspondance. Au contraire, nous avons vu plus haut comment la polyphonie des deux autres textes permettait de faire circuler la voix feminine dans un réseau de lettres. S'il est vrai que les heroines se contentent en général d'un seul correspondant (la mere ou la confidente)”, leurs lettres font partie de l'échange épistolaire que constitue le texte. La derniere missive de Marianne a Meyer est évoquée par le Comte Max qui raconte a Meyer les circonstances dans lesquelles 1a jeune fille l'a écrite: "Je me suis rapproché; et elle a pris une carte, et m'a demandé un crayon: on la regardait; elle a d'abord dessiné une 201 fleur. Ensuite elle a écrit" (88). Cette mise en abyme de l'écriture féminine permet d'identifier l'espace dans lequel évolue désormais la jeune fille, un espace public (la demeure de l'héroine mais aussi un lieu ou son entourage se réunit pour jouer) ou elle a trouve sa place. Madame de Charriere utilise ainsi l'échange épistolaire entre un personnage secondaire, le Comte Max, et le jeune Meyer pour affirmer la reconnaissance de la femme écrivain. 202 Notes 1 Caliste a été considéré comme la version dramatique de l'histoire de Cecile. Consultez Jean Starobinski, ‘Les Lettres écrites de Lausanne de Madame de Charriere: inhibition psychique et interdit social,” Romans et Lumiéres au XVIIIe siecle (1970): 133. 2 Selon l'expression de l'éditeur (617). 3 ”Le personnage (a la troisieme personne) dont nous parle l'épistolier, ne nous apparait qu'au travers de cette conscience interposée: objet du récit, il est a la merci des sentiments que le narrateur éprouve a son égard" (Starobinski 135). 4NOus pensons a Mademoiselle dFAisnon dans l'épisode de Madame de la Pommeraye du Jacques le Fataliste de Diderot. L'ancienne prostituée joue le jeu de la vertu pour se faire épouser par le Marquis des Arcis. Une ultime manipulation des apparences lui permet de quitter le monde des courtisanes et d'acquérir une position sociale inespérée dont elle promet, a la fin, d'étre digne. 5 VOir aussi l'épisode ou le Général conseille au rival de William d'épouser Caliste, malgré son passé de comédienne (209). an 6 Ceci fait écho au projet de réforme de la mere de Cecile ou "tout homme, en se mariant, entrerait dans la classe de sa femme” (143). '7Voir les titres des nouvelles des Contemporaines comme "La Femme du laboureur”. 8 Consulter Jaeger pour une discussion sur la femme comme étre interchangeable (62). 9 Cet episode est reminiscent de l'évanouissement de Mistriss Henley. m Pour un expose des canons de la beauté, lire l'article de Sara F. Matthews Grieco, ‘The Body, Appearance, and Sexuality,” A History of Women in the West 3 (1993): 58. u Voir Les Lettres du.Marquis de Roselle d'Elie de Beaumont. ” "En meme temps celle-Ci [la vertu] tend a se subordonner la totalité de l'étre moral. La vertu enveloppe nécessairement toutes les vertus qu'elle resume et cristallise" (307). l3En réduisant l'image feminine a deux conditions radicalement opposées, Richardson et l'abbé Prévost interdisent a la femme le droit d'explorer leurs emotions. “ A cet égard, voir 1e roman de Madame Riccoboni, Lettres de Milady Juliette Catesby (1759). flM ” Ceci rappelle Les Lettres de.Mistriss Henley et la notion de "raison" telle qu'elle est appliquée a la femme. “ Nous pensons a Cécile des Liaisons dangereuses, et Genlis, Histoire intéressante de la Duchesse de C***). U "Que l'on suppose l'histoire racontée par Caliste et l'on serait tombé dans toutes les ornieres du roman féminin: on aurait probablement eu une oeuvre attendrissante, ou le style sensible aurait entrainé un larmoiement continu de la victime" (106). ” Termes utilisés par Nancy Miller dans The Heroine's Text. ” A l'exception de Marianne de la Prise qui écrit a Meyer une courte note. fl” CONCLUSION La capacité de la femme de trouver sa subjectivité en s'exprimant a travers l'écriture, la parole ou le refus du mariage, au lieu de se conformer au statut d'objet d'échange dans une société ou le pouvoir est du caté des hommes, constitue la preoccupation centrale des oeuvres de Rétif et Charriere tout comme celle de nombreux auteurs du siecle suivant. Mais c'est des le milieu des Lumieres que se développe, dans le roman de Madame de Graffigny, lesLettres d'une péruvienne (1747), le motif de la maitrise du langage par la femme. La romanciere profita de l'intérét marque du siecle pour l'exotisme pour se pencher sur les inégalités de langue et de sexe dans cet ouvrage épistolaire qui remporta un succes immédiat.1 Si Rétif reconnaissait chez elle un style raffiné, on peut aisément deviner que les sujets qu'elle explore ne l'inspiraient guere, sa femme idéale étant justement l'automate que Graffigny avait cherché a dénoncer dans son roman. A.travers l'histoire d'amour entre une jeune Péruvienne, Zilia, et un prince inca, Aza, Graffigny réécrit la tradition épistolaire qui associe la femme avec la passion amoureuse. D'abord enlevée par des Espagnols puis par des marins francais qui l'emmenent de force dans leur pays, Zilia sombre dans un isolement linguistique dont elle flfi triomphera grace a l'apprentissage de la langue francaise et l'intégration dans la société de sa nouvelle patrie. Au moyen d'une analyse critique de la société francaise, Zilia libere ses lettres de toute consideration amoureuse. Elle choisit constamment d'évoquer ses tribulations en France ou les pratiques socio-culturelles francaises plutot que de succomber a l'émotion que lui procure la trahison d'Aza..A la fin du roman, elle réussira a surmonter sa souffrance en affirmant une écriture individuelle développée a travers son experience culturelle avec la France. Ainsi que pour Mistriss Henley, l'expression écrite fonctionne comme un échappatoire a l'isolement de la femme. C'est donc son enlevement qui permet a Zilia d'acceder a une indépendance sans precedent a travers l'écriture: son texte est d'abord compose a l'aide de quipos dont elle sera elle—meme la traductrice. L'autorité textuelle démontrée par l'héroine se reflete dans l'acces a une totale autonomie a la fin du roman puisqu'elle refuse d'épouser son ami Déterville, lui préférant une vie solitaire dans un petit chateau pres de Paris dont elle est devenue propriétaire. Graffigny représente une femme maitresse de sa subjectivité, capable de renverser la destinée traditionnelle de l'épouse/mere qui la condamnerait au statut d'objet d'échange; Zilia ne se sent en effet jamais obligée d'étre reconnaissante envers Déterville pour ses cadeaux et nombreux services rendus, en 207 acceptant de l'épouser. Elle nous fait ainsi comprendre que la femme n'est pas destinée a vivre dans un systeme d'échange qui limite ses possibilités au role spécifique de l'épouse. Cette fonction de marionnette est décrite a travers la pratique de la visite a laquelle sont soumises les femmes francaises. Alors que les hommes ont le choix entre plusieurs activités en dehors de la maison conjugale, la vie publique des femmes se resume a rendre visite a un entourage choisi par leur époux. Ce rituel sert a réduire l'individualité de la femme et a l'empécher de réfléchir a sa condition: en voyant les autres femmes participer aux mémes obligations qu'elle, la femme modele se sait appartenir a la norme. Seule Zilia, grace a son parcours peu commun, peut voir que cette vie correspond a celle d'un automate: ”Toutes les femmes se peignent 1e visage de la meme couleur; elles ont toujours les memes maniéres, et je crois qu'elles disent toujours les memes choses" (296). La femme objet/automate posséde au contraire, selon Rétif, toutes les qualités de l'épouse modéle. Le manque de toute initiative feminine est en effet ce qu'il recherche dans les Gynographes quand il divise la journée des femmes mariées en heures consacrées aux repas. aux taches ménagéres ou a l'éducation des enfants. L'espace et le temps de la femme sont ainsi gérés et manipulés par une instance 208 supérieure, le mari, figure de la société patriarcale. La femme n'a pas acces a la subjectivité et demeure un objet d'échange. C'est a travers la convention du mariage que Rétif affirmera le mieux le statut d'objet de la femme. Dans la Paysanne pervertie, les mariages des freres d'Edmond participent de la conception traditionnelle de la famille qui considere avant tout cet engagement comme une alliance entre deux familles. Mais l'intervention d'Edmond qui améne Edmée a épouser Bertrand a sa place tandis que Catherine épouse son frere Georget illustre la manipulation des femmes dans l'échange marital. Dans les deux cas, le mariage traditionnel et celui orchestre par le frere, les femmes n'ont pas la parole. Mais la presence d'Edmond comme metteur en scene sert a renforcer la notion de mariage comme échange dont les femmes ne sont que les marionnettes. Alors que l'autonomie de Zilia reposait sur sa réussite a communiquer et son refus du mariage, l'accés a l'écriture et le célibat sont deux idées que combat Rétif. Le projet restivien, nous l'avons vu, se base sur une nécessité absolue: tenir les femmes a l'écart de la lecture et de l'écriture pour mieux les couper du monde extérieur. En tant que personnage exemplaire, Ursule de la Paysanne pervertie, nous fait comprendre que la veritable écriture feminine est dans la disparition du sujet de l'énonciation. A.la fin du roman, l'héroine découvre que son devoir en tant que femme 209 lui interdit l'usage d'une écriture authentique, celle qui lui avait servi a relater ses experiences, ses opinions, ses désirs, en un mot son histoire. Cette écriture est un tabou comparable a celui de l'inceste nous rappelle le commentaire du frontispice de la huitieme partie du roman, "Sur le mur une main lui parait écrire incestueuse". La seule correspondance qui soit désormais autorisée a Ursule est celle qu'elle engage avec Fanchon et Madame Parangon, les deux modeles de vertu du roman. Rétif ne condamne donc pas toute écriture feminine puisqu'il tolere les confidences domestiques du triangle épistolaire Ursule/Fanchon/Parangon. La seule écriture a éliminer est celle qui inciteraient les femmes a se rebeller contre la domination des hommes, celle qui, comme 1e célibat ou l'amitié entre femmes, leur donne le moyen d'exercer leur pensée, de reconsidérer leur place dans l'univers patriarcal. Ceci est inadmissible et la femme doit étre objet non sujet de l'énonciation ou de l'échange. Rétif a mis en place pour les femmes un ideal de la contrainte qui sera perpétue pendant et apres la Revolution. Le juriste Sylvain Maréchal continuera par exemple la tradition restivienne avec son Projet de loi portant defense d'apprendre a lire aux femmes (1803). Mais ce systeme qui vise a tenir les femmes a l'écart de la société est mis en question par un noyau d'écrivains dont les revendications principales sont illustrées a 210 travers l'oeuvre de Madame de Charriére. Reprenant les themes chers a Rétif, la romanciére interroge cet ideal de la contrainte et délimite un espace féminin ou l'héroine réfléchit sur son role dans la société a travers l'écriture comme projet pour remettre les choses a leur place (Mistriss Henley) ou la participation de la femme a l'échange (Cecile et Marianne). Comme nous l'avons observe, l'espace féminin fonctionne comme stratégie de resistance contre la cléture du texte de l'héroine (mort ou mariage) et/ou contre le systeme patriarcal qui enleve la parole a la femme. Le statut des femmes comme marchandise ou objet d'échange dans l'univers masculin est renverse puisque ce sont les femmes qui deviennent a leur tour participantes aux échanges, en tenant commerce comme Cécile et sa mere par exemple. Charriere poursuivra cette exploration de l'espace féminin dans ses textes écrits apres la Revolution. L'amitié entre Constance et Emilie dans Trois femmes (1797) débouche sur la creation d'une communauté féminine au sein de laquelle se forment des projets sociaux (créer une école pour enfants défavorisés) ou créatifs (etude des langues, lecture). Charriere revendique l'aspect positif que l'espace féminin peut avoir dans la société. Grace a la maitrise de l'écriture et de la parole ou le choix du célibat, la femme se découvre une mission dont elle bénéficie a travers l'accés a l'indépendance et dont la communauté toute entiere 211 peut également profiter. Isabelle de Charriére nous semble ainsi aller plus loin que Madame de Graffigny dans son affirmation d'une image positive de la femme. L'écriture devient pour ses héroines un moyen de tenter de changer la pensée d'autrui-hommes et femmes- et la realisation, chez elles, du pouvoir de l'écrivain dégage un optimisme qui met a part l'oeuvre d'Isabelle de Charriere et explique sa reconnaissance actuelle dans le canon de la littérature. La notion d'identité féminine qui se manifeste dans les romans de Charriere sera reprise en mains par les hommes de la Revolution pour mettre en place l'idéal de la famille et exalter 1e role de la mere. Comme Rétif l'avait déja fait dans ses écrits théoriques, les pamphlétaires antiféministes (voir Sylvain Maréchal mentionne plus haut) s'efforceront de distinguer les femmes pour mieux les opposer aux hommes, selon l'idée que l'union de la sensibilité et de la raison définit 1e couple accompli. Pourtant, Charriere comme Olympe de Gouge322mettront toute leur foi dans la Revolution quand la convocation des Etats généraux et la redaction des "cahiers de doléances” donneront l'occasion aux femmes d'écrire et de se faire entendre. Bien que Charriére ne soit pas l'activiste auteur de la "Declaration des droits de la femme et de la citoyenne" (1792), ses écrits engages ont aborde toutes les grandes questions de la Revolution: les droits de la femme, la violence on encore l'abolition des 212 lettres de cachet.3.Apres la Terreur et l'interdiction par la Convention des assemblées de femmes, Charriere s'éloignera des écrits ouvertement politiques pour retourner au roman. Olympe de Gouges figurera quant a elle sur la "liste des prostituées de Paris" établie par Rétif et finira sur l'échafaud. Mais malgré des lois comme le code napoléonien (1804), qui fait de la femme mariée une mineure a vie (article 124) et abolit le divorce, la voix féminine continue a se faire entendre et la femme auteur persiste a affirmer son indépendance et sa liberté de jugement. Des 1800, Madame de Staél retrouve les accents de Francoise de Graffigny dans sa réflexion sur la condition des femmes de lettres qui traverse son essai De la littérature. Quelques années plus tard, George Sand reprend dans Indiana (1832) les themes privilégiés des romans de femme du siecle precedent: la jeune femme est creole et mariée a un colonel qui pourrait étre son pare. Comme une heroine de romans épistolaires du dix-huitieme siécle, Indiana trouvera dans l'écriture le moyen de mieux saisir son existence. La rage du mari d'Indiana aprés la découverte de son journal intime, est la preuve que si la littérature des femmes constitue toujours une menace, elle continue inlassablement a explorer l’espace textuel Cherchant a se faire entendre hors des cadres rigides de la littérature. 213 Notes 1Le roman connut quarante-cinq editions, jusqu'en 1845, et fut traduit dans toute l'Europe. 2 Olympe de Gouge, Ecrits politiques: 1788-1793. (Paris: Cote femmes, 1992). Les dix-sept articles de la | h_ "Declaration des droits de la femme et de la citoyenne" (1792) assenent des evidences sur la domination de la femme par l'homme, evidences qui furent prises a l'époque pour de l'hystérie revolutionnaire. 3 Voir les Lettres trouvées dans la neige (1793), pamphlet destiné au roi Frederic—Guillaume, ou les pieces de theatre L'Emigre (1793) et L'Inconsolable (1794). NH BIBLIOGRAPHY PRIMARY‘WORKS Charriere, Isabella Agneta Elisabeth van Tuyll van Serooskewrken (Belle de Zuylen), Oeuvres completes. Ed. Jean-Daniel Candaux, C.P. Courtney, Pierre H. Dubois, Simone Dubois-De Bruyn, Patrice Thompson, Jeroom Vercruysse, et Dennis M. Wood. Amsterdam: G.A. van Oorschot, 1980. Restif de la Bretonne, Nicolas Oeuvres. Geneve: Slatkine, 1971. . Sara. Paris: Nouvel Office d'Edition, 1963. _ _. Le Paysan et la paysanne pervertis. Paris: lPAstree, 1979. _ La paysanne pervertie; ou les dangers de la ville. Paris: Garnier-Flammarion, 1972. _ _. Monsieur Nicolas. 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