L..‘ .1 104‘ 1: 1'." --":r - , 'yrw v,.'.'v' ‘ 1., ”’4: 4 I m , '; '1 I: .J lllllllllllllllllll\\\\\\\\\\\\\\\\\\l\\\l This is to certify that the dissertation entitled LA BELLE DAME DES BELLES COUSINES, ELEMENT DYNAMIQUE DU PETIT JEHAN DE SAINTRE presented by ANNE CAILLAUD has been accepted towards fulfillment of the requirements for PhD degree in FRENCH AT/W Major professor Date April 8th 1992 MSU is an Affirmative Action/Equal Opportunity Institution 0-12771 "‘ -—‘ ' A - t:"=z.~,é__'4s‘i_. .s;,_‘_;. ,cgg,r,___ LIBRARY MIchIgan state University PLACE IN RETURN BOX to remove this checkout from your record. TO AVOID FINES return on or before date due. DATE DUE DATE DUE DATE DUE c :\cIvc\datedue. tuna—9.1 LA BELLE DAME DES BELLES COUSINES, ELEMENT DYNAMIQUE DU PETIT JEHAN DE SAINTRE by Anne Caillaud A DISSERTATION submitted to Michigan State University in partial fulfillment of the requirements for the degree of DOCTOR OF PHILOSOPHY Department of Romance and Classical Languages 1992 785/ 557—5 ABSTRACT LA BELLE DAME DES BELLES COUSINES, ELEMENT DYNAMIQUE DU PETIT JEHAN DE SAINTRE by Anne Caillaud Antoine de la Sale's Petit Jehan de Saintré is a fifteenth-century romance in which the male hero personifies the glorification of the chivalric ideal at a time of crisis when feudal values were being threatened. As such, Saintré has been the topic of many studies whereas Belle Cousine, the main female character, was often overlooked. She assumes the role of protector, teacher, mother, and lover of the young Saintré and is a protagonist of central importance whose metamorphosis, two-thirds into the text, from a " good Lady" to a "bad woman" is both shocking and confusing for the reader. The goal of this dissertation is to examine, through a close reading of the text, Belle Cousine's motivations and understand how her behavior may be a reflection and a response to the changes occurring at the time in the medieval society. Chapters one and two show how Belle Cousine, a product of courtly society, tries to conform to the etiquette and values of her milieu. This is emphasized in her advice to her young protege. Chapter three analyses her attempt to adapt the ideals of courtly love to her relationship with Saintré and her failure to do so. In fact, it is her lover's claim for independence which provokes a dramatic change in the Lady's behavior. Chapter four discusses Belle Cousine's brutal change in character which coincides with a change of style in the text. As the Lady takes the Abbot as a new lover, the courtly novel turns into a fabliau—like tale. This part of the text reflects the struggle of the old aristocratic ideals against the bourgeois class. Belle Cousine emerges as the dynamic element of this text. Frustated by the limitations of the role courtly society has assigned to her, she rejects Saintré, an obsolete symbol of old feudal values and denounces the falseness of courtly love. She also stresses the need for and inevitability of change at a time of transition between the Middle Ages and the Renaissance Copyright by ANNE M . CAILLAUD 1992 A Christophe et Alyson «Vi. REMERCIEMENTS Je tiens a remercier les membres de mon comité de these dont la patience et les précieuses suggestions m'ont permis de mener a bien l'exécution de ce travail. Je remercie en particulier ma directrice de these, le Professeur Ann T. Harrison, qui m'a permis de redécouvrir la littérature médiévale dans son séminaire sur les textes narratifs du Moyen Age car c‘est grace a elle que j'ai décidé de me spécialiser dans cette discipline. Je lui suis gré de m'avoir fait connaitre l'muvre d'Antoine de la Sale et de m'avoir prodigué de judicieux conseils tout au long de mes études. Je remercie également le Professeur Frieda S. Brown qui a suivi de pres la rédaction de cette dissertation, le Professeur Michael S. Koppisch qui m'a poussé a approfondir certains aspects de son contenu, le Professeur Marlise Kronegger de son attention et de son soutien ainsi que le Professeur Linda Beard du Departement d'Anglais de Michigan State University et le Profeseur Jean Nicholas qui ont aSSiSté a la soutenance de ma these. Je voudrais exprimer ma gratitude 5 1'égard des amis QUi m'ont soutenue moralement, Catherine Danielou, Ursula Franklin, Danielle et Ray Ranes, Robert et Ellen Uffen ainsi que Pénélope Cole. Enfin, je remercie mes parents, frere et seurs et surtout mon mari Christopher Jones qu1 m ont . " ’es. contlnuellement encouragée pendant ces deux dernieres anne V1 " TABLE DES MATIERES IntrOduction:OOOOCOOOOO0.000000000000000.0... 000000000000 Chapitre I: Belle Cousine, un produit de sa société. ..... 1. Contexte littéraire................... ...... ..... 2. Contexte social ....... . ......... .... ....... ...... 3. Marginalité de Belle Cousine............ ........ . 4. Rebellion de Belle Cousine............ ........... Chapitre II: L‘Education du Petit Jehan de Saintré....... 1. Valeur didactique du Petit Jehan de Saintré...... 2. Les Femmes et l'éducation................... ..... 3. L'Education du Petit Jehan de Saintré............ 4. Promotion sociale de Jehan....................... cmapitre III: Relation entre Belle Cousine et Jehan de saintré ....... OCQOOOOOOOOO ..... O ........... O... ..... 1. Genese............................. ....... ....... 2. Imitation et deviation du modele courtois........ 3. Une Interpretation feminine de l'idéologie courtoise........................................ 4. Ascension de Jehan de Saintré et déclin de Belle Cousine..... ..................................... (meitre IV: L'Elément "fabliesque" du dénouement........ l. Analogies entre le roman courtois du Petit Jehan de Saintré et le fabliau......................... 2. Adaptation du personnage courtois au fabliau..... 3. Structure et péripéties.......................... 4O moral-€0.00...OOOOOOOOOOOOOOOOOO. ......... .0. ..... Conclusion............. ..... .. ........ .............. .. Bibliographie.............. ................ . ..... . ..... .. v11 1 20 20 30 39 46 53 53 59 67 76 84 84 97 112 126 138 138 154 167 185 190 198 INTRODUCTION Le Petit Jehan de Saintré est une muvre rédigée durant la deuxieme moitié du quinziéme siécle, pendant une période troublée de l'histoire de France. Les ravages occasionnées par la guerre de Cent Ans ainsi que par les épidémies récurrentes de la peste, les divers troubles d‘ordre politique et religieux, contribuent a obscurcir l‘horizon de cette fin de moyen age. L'évolution de la littérature témoigne d‘un nouvel état d'esprit: si les genres littéraires traditionels continuent d'exister, on observe un renouveau de l'intérét . pour la littérature historique1 en partie suscité par les événements tragiques qui jalonnent les quatorze et quinzieme siecles. Cette littérature de témoignage semble plus adaptée aux besoins d'une époque en crise. Si la tradition courtoise est encore cultivée, et le renouveau de la poésie lyrique2 en est une preuve, on observe une intrusion de la réalité et de la lucidité dans le domaine du réve. Le Petit Jehan de Saintré 1 Parmi les textes historiques les plus connus, on retient les Chronigges de Froissart qui couvrent pratiquement toute la période du quatorziéme siécle, et les M_é;n_gi_r§_s_ de Commynes en grande partie consacrées au regne de Louis XI et rédigées a la fin du quinzieme siécle. 2 Guillaume de Machaut, Eustache Deschamps, Christine de Pisan et Charles d'Orléans adressent leur poésie a une société aristocratique traditionellement courtoise désireuse de sauvegarder les valeurs de la société féodale. l 2 est une oeuvre symptomatique de cette époque puisque son auteur, Antoine de la Sale, représente des personnages et événements "historiques" qu'il place dans un contexte courtois tout en utilisant un ton réaliste propre aux fabliaux. C'est ce mélange des genres qui confere au texte son ambiguité et sa qualité unique. L'histoire a pour cadre la cour du roi de France ou la Belle Dame des Belles Cousines, jeune aristocrate veuve et oisive, decide de prendre sous sa protection un petit page agé de treize ans, Jehan de Saintré. Elle se charge d'en faire le meilleur Chevalier du royaume. En revanche, elle exige que Jehan garde le secret sur cette entreprise. La bonne volonté du petit Jehan ainsi que la prodigalité et les conseils avisés de la Dame3 contribueront a la réussite du jeune homme. En l'espace de dix années, celui-ci passera successivement de la fonction de page a celle de "varlet tranchant" du roi, d'écuyer, et enfin de Chevalier. Sa belle apparence et sa bravoure lui valent bientot la protection du couple royal puis l'admiration de toute la cour. Cependant, la relation de .Jehan et de la Dame a graduellement évolué en une liaison amoureuse. Cette idylle courtoise est brusquement interrompue le jour of; le Chevalier décide d'aller accomplir d‘autres exploits sans en référer a Belle Cousine. Celle—ci tente vainement de l’en dissuader. Dépitée, elle quitte la cour apres le départ de 3 Afin‘ de rendre cette étude plus claire, le mot “dame" sera orthographié avec un "d" majuscule lorsqu‘il se référe a Belle Cousine et avec un "d" minuscule lorsqu‘il s'agit du "type" de la dame courtoise en général. 3 Saintré et se retire dans ses terres, en province. La, elle se console rapidement en nouant une nouvelle relation amoureuse avec Damp Abbé, supérieur du monastere voisin dont elle est la bienfaitrice. Des son retour, Jehan de Saintré qui s'est empressé d'aller rejoindre Belle Cousine découvre avec stupéfaction cette liaison infamante. Insulté et humilié, il rentre a Paris ou, quelques temps plus tard, il aura l'occasion de dévoiler la traitrise de cette veuve joyeuse devant toute la cour. L‘infid‘ele sera blamée, le Chevalier vengé. Le Petit Jehan de Saintré a parfois été qualifié de "roman d'apprentissage." Il est ‘a noter que si ce texte precede de quatre siecles les romans dits "d'apprentissage," genre littéraire populaire au dix-neuvieme siecle, il n'en comprend pas moins les memes éléments principaux: un jeune home sans nom ni fortune mais doté de qualités prometteuses découvre le monde et accede a une meilleure place dans la société grace a une femme plus agée et influente. Celle-ci lui accorde ses faveurs amoureuses et lui dispense judicieux conseils et argent pour lui permettre de mener a bien son entreprise. Il ’est particulierement intéressant de trouver ce concept tres bourgeois, celui de l'accession a une sphere plus élevée de la société grace a l‘argent, aux relations ainsi qu'a un "travail personnel, " dans un roman du quinzi‘eme siecle. L'on pourra également y voir une indication du changement de société qui est en train de s'opérer a cette époque. 4 La premiere partie de cette these s‘attachera a replacer la Belle Dame des Belles Cousines dans un contexte littéraire et social afin de mieux comprendre le pourquoi et la nature de sa "rebellion." La deuxiéme partie portera sur la valeur didactique du Petit Jehan de Saintré et la participation de la Dame ‘a l'éducation du jeune homme. Puis nous explorerons les motifs de la relation entre Jehan et Belle Cousine et l'évolution de cette relation. Enfin, nous montrerons comment La Sale donne a la derniere partie de son texte un aspect "fabliesque" en utilisant une structure triangulaire et les elements comiques propres a ce genre littéraire. La Dame assume des lors une nouvelle fonction dans l'euvre de La Sale. Nous étudierons les consequences provoquées par ce changement sur le personnage de Belle Cousine et sa signification. L'auteur du Petit Jehan de Saintré est né en 1385 ou 1386 en Provence. Fils naturel du capitaine des mercenaires Bernard de la Sale et de Perrinette Darmendel, Antoine entre au service du duc Louis II en qualité de page a l'age de quatorze ans. L'on ne peut s'empécher de noter la similarité de l'age entre Jehan de Saintré, le héros de l'aeuvre qui nous intéresse, et celui de l'auteur qui remplit également la fonction de page en début de sa carriere, accéda au rang d'écuyer mais ne devint jamais Chevalier. Il est permis de supposer que la réussite de Jehan est en fait la realisation littéraire d'un désir inavoué de la part de l‘écrivain. Quant a La Sale, il restera au service de la meme famille pendant pres de cinquante ans dont quelques années en Italie alors que Louis III, fils de Louis II, tente de 5 conquérir le royaume de Naples.4 C'est pendant ce séjour, au printemps 1420, qu'Antoine de la Sale a l'occasion de participer a l'ascension du Mont de la Sybille dont il s'inspirera plus tard pour son Paradis de la reine Sybille. En 1434, a la mort de son protecteur, il passe au service de René, frere et héritier de Louis III. René 1e nomme gouverneur de son fils Jean alors agé de huit ans. La Sale se chargera non seulement de l'éducation chevaleresque et militaire du jeune prince mais aussi de sa protection. Vers 1437, l'écrivain épouse une tres jeune fille d'extraction noble, Lionne Celerier de la Brosse.5 A cette époque, la Sale n'est plus exactement un jeune homme puisqu'il approche de la cinquantaine. Certains critiques ont attribué son ton souvent amer a l’égard de la gent féminine et tout particulierement évident dans Le Petit Jehan de Saintré a un mariage difficile. Il s'agit cependant de pures suppositions car nous ne possédons aucun document on mémoires de l'écrivain qui nous permette d'affirmer ce fait avec certitude.6 En 1445, 4 L'entreprise n'est pas nouvelle puisque Bernard de la Sale, pére de l‘écrivain, avait combattu au service de la famille d'Anjou pour la meme cause. 5 La jeune aristocrate aurait fait partie de la suite d'Agnes Sorel. Yorio Otaka suggere qu’Antoine de la Sale se serait inspire de cette derniere pour son personnage de Belle Cousine. "Antoine de la Sale et son ‘Jehan de Saintré' ," Etudes de lanques et de littérature Frangaises 18 (1971): 4. 6 Cette these a été en particulier avancée par Fernand Desonay qul interpréte ainsi le dénouement du Wm: "Pourquoi ne pas supposer que le mari quinquagénaire de la toute jeunette Lionne fut a son tour trahi? . . . 11 se serait vengé par la plume. " Antoine de la Sale, aventureux et We (Paris: Droz, 1940) 135. Le critique réitére cette supposition: "Antoine ne pose pas a l'ennemi des femmes 11 6 il rédige une oeuvre didactique au profit de son jeune éléve: La Salade. Le premier manuscrit du Petit Jehan de Saintré ne verra le jour qu'en 1446. L'année suivante, La Sale acheve _L_e_ Réconfort de Madame de Fréne, récit d'une expedition conduite par Jean Ier du Portugal contre le port marocain de Ceuta en 1415, et a laquelle La Sale avait lui—meme participé. L‘an 1448 marque un tournant dans la vie de l'écrivain, puisqu'il doit quitter la maison d'Anjou pour passer au service de Louis de Luxembourg, comte de Saint Pol, en qualité de gouverneur de ses trois fils.7 La maison de Luxembourg est tres différente de celle des princes d'Anjou. Cette derniere reflétait une simplicité et une élégance probablement proches de la cour de France qui sert de cadre au Petit Jehan de Saintré, tandis que la cour de Luxembourg est plus brillante, plus clinquante et parfois meme a la limite de la vulgarité. Le comte de Saint Pol lui—meme a la reputation d'avoir des maeurs dévoyées. Les descriptions que nous trouvons dans .I-fi Petit Jehan de Saintré sont donc probablement tirées de l'expérience de La Sale chez les Anjou. A partir de cette époque l'écrivain montre un gofit de plus en plus prononcé pour demeure a mes yeux le marié quinquagénaire, le mal marié par un coup de folie et sous le ciel trOp bleu de Naples la trop chaude. Pareilles aventures finissent souvent par des cornes. Il ne faut jurer de rien, mais on m'oterait difficilement de l'idée que de cuisants souvenirs ne sont pas tout a fait étrangers a l'esprit dans lequel nous est contée la mésaventure amoureuse de Jehan de Saintré" (146). 7 D'aprés Yorio Otaka, La Sale n'était pas particulierement heureux de joindre la maison de Luxembourg: " il choisit malgré lui le comte de Saint Pol comme nouveau protecteur" (4). 7 la retraite ou il a le loisir de se consacrer a la redaction de ses oeuvres. Sa vieillesse est surtout marquee par son activité littéraire, et l'on peut supposer qu'il s'est adonné presque exclusivement a la littérature afin de ne pas trop faire partie de cette nouvelle cour qu'il jugeait sans doute trop commune. En dépit de ses reserves, i1 dédicace La Salle en 1448 a son nouveau protecteur. Il s‘agit d'un autre ouvrage didactique dont l'auteur aurait entrepris la redaction pour, dit—il, "passer de mon triste coeur la tresdesplaisante merencolie."8 Cet ouvrage sera terminé en 1451. Au cours de sa vie, notre auteur aura eu maintes fois l'occasion d‘assister a de grands tournois, derniers vestiges fastueux du moyen age, tels que le tournoi de Bruxelles en 1407, et en 1449, il rédige La Lettre sur les tournois. Antoine de la Sale était, semble-t—il, grand amateur de joutes puisqu'il en insére plusieurs episodes dans son Jehan de Saintré. Les détails de ces tournois, tant au niveau des costumes que des techniques de combat, sont d'une grande minutie et démontrent qu'il était un veritable spécialiste de la question. Dans Le Petit Jehan de Saintré, l‘auteur nous initie au ceremonial qui doit accompagner chaque joute: la remise de l' "emprinse" par la dame au Chevalier et la signification de ce don, les divers banquets donnés par 8 Cité dans l‘introduction au Petit Jehan de Saintré (XIII). Yorio Otaka (4) qui s'est intéressés de prize a la vie de l'écrivain, insiste sur la médiocrité de la Somme de 100 florins qui lui fut versée pour le récompenser de ses guarante—huit années de fidélité au service de la famille 'Anjou. \W-H‘ 8 Saintré a l'occasion de ces tournois, la "requéte d'arme" au roi afin d'obtenir son congé et la permission d'aller tournoyer, les descriptions des parures des chevaux, des armures et couleurs des combattants, enfin, la remise de divers cadeaux aux dames et l‘échange de pierres précieuses entre adversaires. C'est beaucoup plus qu'une description qu'Antoine de la Sale nous offre. Il partage avec les lecteurs son amour des tournois et nous laisse apprécier la valeur symbolique de chaque geste et parole des protagonistes. Sous la plume de l'écrivain, les joutes auxquelles Saintré participe deviennent les moments "forts" du roman. Ils représentent l'apothéose de la carriére de Saintré. Chaque combat doit rehausser 1e jeune Chevalier a nos yeux. Antoine de la Sale se pose en veritable "technician" des tournois et ajoute une nouvelle dimension 3 son personnage. Une relation étroite existe entre la vie de cet écrivain et son oeuvre littéraire. Celle—ci est en effet surtout basée sur ses experiences personnelles. Dans La Salle et La Salade nous retrouvons un La Sale pédagogue tandis que nous devons L2 Paradis de la reine Sybille au La Sale touriste. La Sale écuyer retrace l'expédition guerriere du Réconfort de Madame de Frene. C'est enfin La Sale juge et esthete qui rédige La Lettre sur les tournois. Le Petit Jehan de Saintré est different des euvres qui precedent. C'est en quelque sorte l'muvre maitresse de l'écrivain. C'est aussi celle sur laquelle La Sale a le plus travaillé. Il en a revu et corrige’ le texte afin de le parfaire au maximum. Fernand Desonay qui en a étudié 9 différents manuscrits9 a conclu que cette manie qu'avait La Sale de sans cesse revenir a son oeuvre et de la peaufiner traduisait une grande tendresse de la part de l'écrivain vieillissant pour Le Petit Jehan de Saintré.10 La Sale a vécu a une période difficile de l'histoire de France: famine, épidémies de la peste, guerre de Cent Ans. L‘auteur qui évoluait dans un milieu aristocrate a eu l'occasion d’observer les deux cours les plus importantes de France du point de vue politique (mis a part la cour du roi de France lui-meme), a un moment ou l'autorité royale n'était pas encore bien affirmée. La famille d'Anjou au sein de laquelle Antoine a vécu a toujours tenu a prouver sa fidélité a son souverain, meme si cette fidélité était souvent feinte,11 tandis que les bourguignons avaient tendance a regimber devant l'autorité du jeune Charles VI. La France était donc divisée et affaiblie par les luttes intestines. La Sale était particulierement bien placé pour connaitre tous ces événements politiques. De plus c'était un homme d'une grande sagacité, sans aucun doute capable d'analyser la précarité de la situation politique du moment. Cette instabilité est pourtant 9 Il existe a ce jour dix manuscrits du Petit Jehan de Saintré. Cinq d'entres eux se trouvent a la Bibliothéque Nationale de Paris, tandis que les autres sont disséminés a travers l'Europe: a Londres au British Museum, a Bruxelles dans la Bibliotheque Royale, a Florence dans la Bibliotheque Laurenziana et a Rome dans la Bibliotheque du Vatican. 10 On ne connait pas exactement l'année de la mort d'Antoine de la Sale mais un document date de 1460 prouve que l'auteur était encore en vie a ce moment-la. Il s'agit du don d'une peinture rapportée d'Italie a l’église de Ligny en Barrois. 11 Du moins c'est ce qu'insinue Otaka, 5. abse: cont] rappe lO absente du Petit Jehan de Saintré. La Sale nous brosse au contraire un tableau idyllique de la cour de France qui rappelle les descriptions de Chrétien de Troyes sur la cour Arthurienne: une cour de luxe ou l'on mene une vie de loisirs, of: les ceremonies se succédent et ou l'argent semble couler a flots (du moins Chevaliers et seigneurs font-ils sans cesse preuve d‘une grande largesse). Ce dernier point laisserait a penser que le manque d'argent n'est pas 1'un des soucis majeurs du moment. Or, cette image contraste avec une réalité moins dorée. L'on peut s'interroger sur les motifs de l'écrivain qui dans un désir de peindre une société idyllique oblitére totalement toute reference aux problemes politiques et économiques de son temps. Dans Le Petit Jehan de Saintré, la routine quotidienne est harmonieuse, l'on y retrouve toujours la meme atmosphere enjouée. Enfin La Sale projette l'image d'un roi fort et bien entouré, 1e roi "ideal" dont Arthur est le prototype.12 La Sale ne peut pourtant pas ne pas étre conscient de la puissance croissante de la bourgeoisie qui vise a prendre la 12 Il est vrai que le roi Arthur n'est pas un personnage statique chez Chrétien de Troyes et qu'il assume différents traits de caractére selon les romans de l’écrivain. S'il est tout puissant dans Erec et Enide, il apparait humilié dans le Lancelot, et c'est un vieillard affaibli qu'insulte le "Chevalier noir" dans Perceval. Malgré cela Arthur reste l'exemple typique du roi idéal car il incarne toutes les valeurs importantes de la société féodale. Il inspire le respect a ses Chevaliers, il est redouté de ses ennemis. 11 est le gardien des cofitumes féodales. C‘est lui qui prend toutes les decisions finales et il fait en toutes choses preuve de puissance, de largesse et de sagesse. C'est a ce roi Arthur que le roi du Petit Jehan de Saintré fait penser. place contr effet fait . m'e’ra sert I obéiss l l place de la noblesse.13 Il s'agit 1a d'une menace directe contre la société que l'écrivain defend. La bourgeoisie est en effet un phénoméne relativement recent. Cette classe "a part" fait irruption dans un systeme jusqu'alors strictement hiérarchisé oil 1e peuple est en position de dépendance14 et sert le seigneur du lieu, ou ce seigneur doit lui—meme obéissance et assistance a son suzerain qui en retour lui assure sa protection. Cette société interdépendante voit petit a petit s'épanouir une nouvelle classe qui jouit d'une liberté relative basée en grande partie sur son indépendance financiers. Les bourgeois sont par definition les habitants des bourgs et des villes. Or, la ville offre a ses habitants la possibilité de joindre un corps de métier. Les bourgeois peuvent étre propriétaires d'un commerce ou percevoir un salaire. Ils se spécialisent dans une activité professionnelle precise. Ceux qui y excellent peuvent s'enrichir et passer au stade de "maitre". Ces riches bourgeois jouissent d'une influence administrative dans leur ville et controlent 1a profession dont ils font partie. La bourgeoisie développe sa propre hiérarchie. Certaines professions sont mieux considérées que d'autres. Ainsi, chez les artisans, les 13 Yorio Otaka note qu‘un "riche bourgeois comme Philippe d'Artevelde voulut rivaliser avec le noble dans la vie quotidienne . . . [et que] Des manuscrits de différentes sortes enrichirent les bibliotheques des nobles et des bourgeois" (18). Enfin i1 cite l‘exemple de Jacques Ceur "qui dépassa les nobles dans le train de vie ordinaire: sa maison avait l’allure d'un hotel seigneurial" (20). 14.Le servage existe toujours au quinzieme 5538019 91: 1e seigneur conserve des droits sur ses serfs. Cependant 1e statut d'homme "libre" tend a remplacer celui de serf. orfét les h plus crois c‘est bourgs de pa] tradit tutor déclin chéres puic :heatr, Sale, 1 défensi a‘dtre c dispari Le W image 12 orfevres et les drapiers, et dans les professions "libérales," les hommes de loi, les médecins et les professeurs, ont-ils de plus en plus de pouvoirs sur leurs concitoyens. Leur puissance croissante menace les valeurs de la société d'antan puisque c'est avant tout l‘esprit de changement qui les animent. La bourgeoisie est un corps sans cesse en mouvement qui s'Oppose de par son existence meme 5 la société féodale traditionnelle.15 Allison Kelly observe que depuis le quatorziéme siecle les nobles en particulier, conscients du déclin de leur pouvoir, ont tenté de sauvegarder les valeurs cheres au moyen ége telles que l'esprit de chevalerie16 en participant a ce qu'elle qualifie de l' "illusory and theatrical revival of chivalric practices."17 Antoine de la Sale, un siecle plus tard, faisait sans aucun doute partie des défenseurs acharnés de ces pratiques et Le Petit Jehan n'est autre que la glorification de cette chevalerie en voie de disparition . La plupart des études jusqu‘alors consacrées au Petit Jehan de Saintré se sont surtout intéressées au principal protagoniste masculin Jehan de Saintré. Or, i1 semble que le 15 Marie—Therese Caron, La Société en France a la fin du Moven Age (Paris: PUF, 1977) , donne un compte rendu tres détaillé des transformations sociales qui prirent place aux quatorzieme et quinzieme siécles. 16 Allison Kelly, "Abbreviation and Amplification: Jehan de Saintré's Rewriting the Artifice of History," French Forum 11, 2 (1986): 134. 17 L'établissement de l'ordre de la Toison d‘Qr par Philippe le Bon en 1429 est destiné a exalter cet esprit de chevalerie. l3 jeune héros n'occupe, a bien des égards, qu'un réle secondaire par rapport au personnage principal féminin, la Belle Dame des Belles Cousines, dont 1e role et les actions au travers de ce roman sont de premiere importance. C'est autour du personnage de Belle Cousine que s'articule toute l‘histoire de La Sale. C'est elle qui sélectionne et forme 1e jeune homme, et c‘est grace a elle que ce dernier devient Chevalier et connait "1e succes". Ce sont aussi les actions déloyales de la Dame dans la derniere partie du texte qui permettent a l'écrivain de valoriser son héros tout en condamnant Belle Cousine. Comme nous 1e verrons par la suite, le personnage de Jehan n'existe qu'a travers celui de Belle Cousine. Sans la protection de cette derniére, Jehan de Saintré, petit page de treize ans a la cour de France, n'aurait pas de moyen d'existence en dehors de sa condition de page. Certes, il est "tres habille et hardy valeton" (2); cependant, il est doté d'un naturel timide, ne posséde pas de fortune personnelle', ne sait comment s'habiller mi se comporter afin de se faire remarquer par le roi. Sans le concours de Belle Cousine, il n'a qu'un potentiel limite comme héros de cette histoire. Allison Kelly ajoute meme "while the modern title Jehan de Saintré implies that Jehan's life constitutes the subject of the work, the real concern of the narrator is the part of Jehan's life that is comprised within his relationship with Belles Cousines."18 ——_ 18 Allison Kelly, "Jehan de Saintré and the Dame des Belles Cousines: Problems of a Medieval Title," W 14.1 (1989): 447. 'O l4 Certains critiques littéraires ont qualifie ce texte de "premier roman réaliste frangais." D'apres Otaka, qui a analysé les techniques de style employees par Antoine de la Sale, 1a modernité de cette oeuvre s'expliquerait d'abord par l'emploi de la prose, un style alors couraxmnent utilise dans les chroniques historiques. Celles de Froissart qui retracent les événements de la guerre de Cent Ans entre 1322 et 1400 environ figurent parmi les ouvrages importants au quinzieme siecle. Les bibliotheques des maisons d'Anjou et de Luxembourg en possédaient des copies auxquelles Antoine de la Sale avait acces. I1 s'agit des premiers véritables comptes rendus de faits historiques. Bien qu'idéalisées par leur auteur, ces chroniques historiques ne comptent pas parmi les oeuvres de fiction et si leur authenticité est mise en doute,19 elles ont une valeur plutot "journalistique". Leur style doit donc étre proche du langage parlé afin de se distinguer des autres oeuvres littéraires qui jusqu'alors tendent a étre composées en vers. D'une maniére générale, on peut remarquer qu'au quinzieme siecle, la versification semble perdre de son intérét. Le public préfére lire ou entendre des textes qui soient plus accessibles, plus faciles a comprendre et surtout plus réalistes. Le frangais est une langue en pleine evolution et, par consequent, un besoin de modernisation se fait sentir 19 Philippe Contamine écrit: "Enfin on est en droit de s'interroger sur les deformations que, prisonnier de son idéologie chevaleresque, Froissart a immanquablement fait subir a la réalité." "Froissart, art militaire, pratique et conception de la guerre," Wig (Suffolk: Boydell Press, Rowman & Littlefield, 1981) 137. 15 a travers le courant littéraire. Il n'est pas rare que des scribes reprennent d‘anciennes euvres pour les re—écrire en prose.20 Il s'agit donc d‘un style littéraire de plus en plus accepté et apprécié. D‘autre part, l'écrivain du quinziéme siécle doit étre conscient de l'importance d'un nouveau public: celui de la bourgeoisie déja mentionnée plus haut. Ici encore, Otaka souligne l'importance de cette bourgeoisie qui apporte avec elle une nouvelle conscience des classes. Le public potentiel de l'écrivain s’agrandit et formule de nouvelles demandes. Otaka parle de "prise de conscience de l'individualité."21 Pour plaire a cette nouvelle audience aux gouts moins raffinés que ceux de l'aristocratie, l'écrivain doit désormais ajouter des details "réalistes" a son récit, des scenes tirées de la vie quotidienne. Jusque la, le réalisme en littérature était surtout cultivé dans les fabliaux, un genre qui visait essentiellement a amuser le peuple et la bourgeoisie. Ces petites "nouvelles" plantent des décors accessibles: la campagne, les faubourgs de la ville, la maison d'un paysan ou bien celle d'un bourgeois; et mettent en scene des personnages authentiques: la femme d'un villain, le curé, le juge, le mendiant. La plupart de ces personnages représentent des "types” que l'audience peut plus facilement identifier. Le réalisme en littérature ne se limite ___________________ 20 Le Lancelot en prose, rédigé au treiziéme siécle, en est un example. 21 Yorio Otaka, 10. 16 pourtant pas aux fabliaux. Nous 1e retrouvons dans le theatre profane dont la farce est la forme la plus vivante. La farce exploite des themes comiques similaires a ceux des fabliaux, tels que l'adultere et la rouerie. Le cynisme des situations est destiné a faire rire une audience fruste, et la farce est dénuée d'intention didactique. Antoine emploie une technique similaire a celle des fabliaux mais il destine son texte, dont 1a valeur didactique est évidente, a un public beaucoup plus sophistiqué que celui des foires. Dans Le Petit Jehan de Saintré les details de la vie quotidienne abondent. Cette fois pourtant, ce n'est plus la paysannerie ou la bourgeoisie qui sont décrites mais la vie de cour. Ce detail ajoute une nouvelle dimension au texte; i1 "l'anoblit" en quelque sorte. On remarquera que les dialogues entre les personnages sont tres "modernes" dans le sens oil ils ne sont pas stereotypes mais traduisent les soucis et aspirations des gens (des nobles en particulier) qui vivaient a l'époque on La Sale écrit. Ces memes personnages assument une fonction nouvelle puisqu'ils ne symbolisent plus seulement un type (comme ceux des fabliaux) mais se trouvent également dotés de qualités individuelles. L'auteur leur a donné de riches personnalités. Leur caractere se développe tout au long de l'histoire. Ils sont plus "vrais," ce qui permet au lecteur de s'identifier a eux plus facilement. Bien qu'étudiée auparavant,22 Belle Cousine a été négligée puisqu'il n'existe pas d'analyse en profondeur de la -—__‘ 22 Les différents critiques de La Sale citent Belle Cousine a plusieurs reprises lors de leurs analyses. Pourtant c’est l7 Dame. Pourtant, i1 s‘agit la d'un personnage primordial, non seulement pour le déroulement de l'histoire que La Sale nous conte mais surtout pour une comprehension plus approfondie d'une société charniere entre le moyen age et la Renaissance. La Belle Dame des Belles Cousines est la victime par excellence des vues misogynes qui dominaient la société des contemporains d'Antoine de la Sale. Ces attitudes ont été le plus clairement exposées dans un ouvrage populaire du début du quinzieme siecle: Les Quinze Joies de mariag_e_. L'auteur inconnu des Quinze Joies nous brosse un tableau pessimiste de la condition matrimoniale. Les quinzes petites scénettes qui décrivent chacune l'une des "joies" qui attendent 1e pauvre mari ressemblent fort a de petits fabliaux. Le mari est la victime de sa femme—bourreau qui trouve ses complices parmi ses amants ou bien d‘autres femmes, ses amies. Ce texte traite non pas des joies mais des déboires qui attendent les futurs époux. Le mari, un brave home surmené et accablé de soucis est, de surcroit, sans cesse maltraité par sa femme. Celle—ci est bien entendu une coquette, dépravée et cruelle, avide de satisfaire ses sens et ses caprices au detriment de son époux et de toute sa famille. Cette oeuvre aurait en un succes considerable au quinziéme siecle. Monique Santucci, dans sa postface a la traduction des Quinze Joies de mariage,23 suggere que La Sale s'en serait M surtout Jehan en tant que héros de ce texte qui les intéresse. Allison Kelly fait exception et suggere l'importance de Belle Cousine dans son article "Problems of a Medieval Title." 23 Les Quinze joies de mariage. Traduction par Monique Santucci (Paris: Stock—Moyen Age, 1986) 165. 18 inspire pour écrire 1'un des chapitres de sa Salade. On a parfois meme attribué ce texte a La Sale car on peut y retrouver une certaine similarité de ton avec Le Petit Jehan de Saintré. Comme nous le verrons plus tard, Belle Cousine elle-meme, en particulier dans la derniere partie du Petit Jehan de Saintré, reprend certaines caractéristiques propres aux femmes des Quinze Joies de mari g_e_. L'infidéle dévoile sa nature frivole, coquette et sensuelle lors de ses escapades avec Damp Abbe, un amant dont le choix ne correspond pas aux criteres de la fine amor. Elle a recours a l'hypocrisie et au mensonge pour tenter de déjouer les soupgons de la reine et des autres courtisans. Elle se montre capricieuse, dure et moqueuse vis-a—vis de Jehan de Saintré, et devient alors une héro'ine anti-courtoise. Un autre ouvrage p0pulaire au quinzieme siécle reprend ces themes anti-courtois. Il s'agit d'une compilation d'histoires courtes, souvent grivoises, parfois méme de mauvais gout: Les Cent Nouvelles nouvelles. On a longtemps cru que La Sale avait lui-meme participé a la rédaction de cet ouvrage. I1 en aurait écrit la cinquantieme nouvelle. Les critiques littéraires ont depuis écarté cette hypothese. En effet, cette nouvelle ne ressemble pas au reste des oeuvres de l'écrivain. 11 y a une difference notoire de style, de ton et bien sfir de sujet! Les Cent Nouvelles nouvelles reste un texte intéressant a étudier d'un point de vue sociologique car ces historiettes se passent dans des milieux chaque fois différents et décrivent plusieurs professions (nous avons en general affaire a des bourgeois). Les Cent Nouvelles \N d 19 nouvelles, ainsi que Les Quinze Joies de mariage reflétent sans aucun doute un esprit commun a cette époque de fin du moyen age ou les effets comiques sont en général provoqués par des quiproquos entre les maris cocus, les péres outragés, les amants rusés et des femmes dont 1e role est loin d'étre édifiant. Au lieu de tenter d'expliquer son étrange comportement, maints critiques modernes ont souvent trop hétivement jugé et de la meme maniére unanimement condamné la Belle Dame des Belles Cousines. Certains se sont pourtant attachés a étudier la source et la nature de l'ambiguité de ce texte,24 ambiguité en majeure partie générée par cette femme aux deux visages, dont 1a double personnalité est a premiere vue déconcertante. Le but de l'analyse qui suit est de voir comment nous pouvons réviser l'interprétation de ce personnage et de prouver que Belle Cousine est en fait le véritable élément dynamique de ce roman . 24 Voir l'article de Peter Nykrog, "Les ambiguités du 'Jehan de Saintré'" (Pre)publication 48 (1979). CHAPITRE PREMIER BELLE COUSINE, UN PRODUIT DE SA SOCIETE 1. Contexte littéraire On ne peut véritablement comprendre la portée et la fonction d'un personnage tel que Belle "Cousine sans analyser 1e courant littéraire dans lequel La Sale fagonne son personnage. La conception et le traitement des protagonistes correspondent a l'évolution du style littéraire ainsi qu'a l'impact du roman sur les lecteurs. Si l'aauvre de La Sale apparait différente de ce qui precede, c‘est essentiellement par son "actualité" qui la distingue des romans antérieurs. Les premiers romans destinés au public plus raffiné de l'aristocratie sont des adaptations de légendes et mythes gréco-latins. Ils s‘inspirent de héros légendaires tels qu'Alexandre ou Enéas et de leurs faits d'armes. Nous y retrouvons des personnages plus grands que réalité, aux qualités exceptionnelles. Le récit de leurs prouesses impressionne les lecteurs tout comme les exploits guerriers des preux Chevaliers que nous rencontrons dans les chansons de 20 {:1 21 geste, deux siécles auparavant. Ces récits suscitent l'admiration des nostalgiques en décrivant les grandes épopées romaines. Cependant, les héros "antiques" sont plus élégants que leurs prédécesseurs. Les rédacteurs de ces ouvrages ajoutent une nouvelle dimension psychologique a leur récit en y incorporant des intrigues amoureuses. Ces romans qui mélangent l'exotisme au merveilleux féerique et aux analyses sentimentales connaissent un vaste succés chez un public aristocratique passionné par la culture antique tout en cultivant un nouvel art de vivre, car ils conjuguent ces deux états d'esprit. Ils forment en quelque sorte une étape entre les euvres épiques et les romans courtois qui voient le jour peu aprés. Chrétien de Troyes décrit un monde de fiction destiné a enflammer les imaginations. La matiére de Bretagne utilise le merveilleux1 ce qui ajoute une dimension magique aux aventures des preux Chevaliers. Ses personnages célébres sont des modéles. Ils projettent un idéal de société. Malgré tout on reste dans le domaine de la légende et le lecteur est transporté dans un monde irréel. Il est donc surtout "spectateur" de ces aventures. Nous sommes loin des anciennes chansons de geste essentiellement basées sur les exploits et la bravoure des Chevaliers au combat. La grande majorité de la littérature courtoise est écrite pour des seigneurs autant que 1 Voir, par exemple, les fontaines enchantées et bagues magiques du Chevalier au lion, la chasse au cerf blanc, animal légendaire, dans la forét aventureuse dans Erec et Enide, 1e breuvage magique du Cligés. 22 pour les dames auxquelles elle plait beaucoup car elles en sont apres tout les heroines. Elles sont sensibles aux raffinements d'une littérature qui porte autant sur la psychologie amoureuse que sur des descriptions d'exploits guerriers. Et si combats il y a, ils sont en général destinés a impressionner la dame et a gagner ses faveurs. Le combat n'est plus une fin en soi mais un droit de passage pour conquérir l'amour de la belle. Lorsqu‘il rédige Le Petit Jehan de Saintré, Antoine s'inspire de la tradition courtoise et reprend certains éléments auparavant exploités par Chrétien de Troyes. Ainsi, la cour idéale du roi de France que décrit La Sale pourait étre une version "moderne" de la légendaire cour Arthurienne. Le roi, dans le Petit Jehan de Saintré, est un souverain sage et respecté de tous comme l'était 1e roi Arthur. La reine Guenievre, qui est généralement dépeinte comme belle, bonne, sage et généreuse, est le modele idéal sur lequel La Sale peut baser le portrait de la souveraine et des autres dames vertueuses de son roman. Guenievre possede toutes les qualités féminines prisées par la société médiévale a l'exception du Lancelot ou elle devient une femme adultere. On peut également penser au Lanval de Marie de France dans lequel 1a reine tente vainement de séduire 1e jeune héros. Lorsqu'elle est évincée par ce dernier, Guenievre devient jalouse et haineuse. Si la reine garde ses traits de courtoisie et de noblesse dans Lancelot, elle apparait comme une créature trompeuse et traitresse dans le lai de Marie de France. La "double personnalité" de Guenievre est 1'un des traits les plus FLKI Int Cl 23 intéressants de ce personnage car elle confinne 1'une des croyances communes au moyen age, a savoir que toutes les femmes sont changeantes et instables.2 Gueniévre n'échappe pas a la regle générale. De ce point de vue, on peut rapprocher Belle Cousine, dont 1e brutal changement de personnalité est au premier abord quelque peu déconcertant, de la reine. D'autre part, en analysant attentivement le personnage de la "bonne" reine Guenievre l'on s'apergoit que, si elle est en fait l'équivalent féminin du roi Arthur, sa fonction premiere est surtout de le représenter et de le seconder en toute chose. Ainsi, 1' "autonomie" apparente de Guenievre peut masquer une certaine passivité. Quand elle agit d'elle—méme, c'est toujours selon son époux et la reputation de celui-Ci. Guenievre a une fonction essentiellement statique et lorsqu'elle s'écarte de son "réle" elle devient une mauvaise femme.3 Elle perd soudain toutes les qualités qui en faisaient une héro'ine courtoise. Dans Lanval en particulier, on observe une degradation soudaine de la reine qui, par sa médisance, est ramenée au rang d'une femme vulgaire. Cette "démystification" de Guenievre est nécessaire pour procéder a l'examen de Belle Cousine tout d'abord respectée et adulée, 2 Cette idée est exploitée par André le Chapelain dans la derniére partie de son Traité de l'Amour Courtois traduction par Claude Buridant, (Paris: Klincksieck, 1974). Elle est reprise dans les fabliaux dont les morales préviennent réguliérement les hommes contre le caractere changeant des femmes. Enfin dans Les Quinze Joies de Mariage, oeuvre contemporaine du Petit Jehan de Saintré, oh 1e mari: "observe le comportement de sa femme: méchante et changeante" (51) . 3 Référence a Lanval et Lancelot. 24 puis détrénée lorsqu'elle ose dévier de son personnage initial. Une analyse ultérieure déterminera si les motifs qui incitent la Dame a changer d'attitude trouvent en partie leur source dans la frustration d'un rOle trop statique comme celui de la reine Guenievre traditionnelle. Le modele de la société courtoise que décrit Chrétien de Troyes est proche de la vision idéaliste de La Sale. C'est un monde ou les Chevaliers, quand ils ne tournoient pas, font la cour aux dames. Les récits de leurs aventures sont bases sur les éléments hiérarchiques traditionnels de la société féodale: les Chevaliers les plus valeureux sont choisis pour aller combattre les ennemis du roi Arthur. Chaque nouvel exploit leur apporte la gloire, la reconnaissance du souverain et sa protection. Ils deviennent également les Chevaliers les plus prisés de la cour, ceux auxquels les dames révent d'appartenir. Car 1'une des nouveautés de ces romans est l'introduction de l'amour courtois. La femme prend alors une nouvelle dimension. Jusqu'alors, elle n'occupait pas de place majeure dans la littérature (nous pensons a la fiancee de Roland, Aude, qui n'est que brievement mentionnée a la fin de la Chanson de Roland lorsqu'elle tombe morte en apprenant la mort de son ami. Sa mort soudaine est une preuve d'amour mais aussi de la fragilité des femmes et de leur caractere émotif). Au douzieme siecle, les auteurs et leur public reconnaissent l'importance du personnage féminin au niveau d'une intrigue en grande partie basée sur les sentiments amoureux des protagonistes. La dame, tout d'abord négligée, se retrouve idéalisée et son r61e traditionnel est en quelque 25 sorte "renversé". Elle est placée sur un piédestal, en position de supériorité vis-a-vis de son ami ou amant. Celui— ci doit obéissance a sa maitresse au méme titre qu'un vassal a son seigneur.4 L'amour courtois suit les principes de la hiérarchie féodale. En théorie, la dame est le "détonnateur" de l'amour car c'est elle qui 1e provoque. Pourtant, elle est toujours limitée a un réle passif puisque c'est en général sa vue ou méme simplement la mention de son nom5 qui provoquent l'intérét du Chevalier. C'est a lui qu‘il appartient de courtiser la dame et non 1e contraire.6 Pour lui plaire, le jeune amant devra se distinguer dans les tournois et les combats. Ses prouesses seront récompensées par l‘amour de son amie. I1 s'agit en principe d'un amour platonique. A travers ce theme de l’amour courtois, toutes les qualités chevaleresques sont exaltées. Les valeurs traditionnelles de la société médiévale qui veulent que la femme soit soumise a l'autorité masculine semblent désormais renversées. Pourtant, ne s'agit—i1 pas d'un cliche? Car i1 faut rappeler que la plupart de ces textes sont rédigés par des hommes. Si l'on part du principe que la 4 Lancelot accepte de se couvrir de honte en montant dans la charrette, symbole d'ignominie. Il sera confronté au mépris de tous pour l'amour de sa dame puisque c'est l'une des épreuves qu'elle choisit de lui infliger. 5 Dans Le Roman de la Rose on de Guillaume de Dole de Jehan Renard, (Paris: Champion, 1977), l‘empereur Conrad est séduit par le nom de la smur de Guillaume que l'on vient de lui décrire. C'est ainsi qu'il tombe amoureux de "Liénor" qu‘il n'a jamais vue. 6 Or. dans le cas du Petit Jehan de Saintré. c'est Belle Cousme qui séduit le petit page. NI 26 creation littéraire feminine est l'objet d'une construction masculine, on est en droit de s'interroger sur la valeur significative de ces personnages féminins. Celui de la dame courtoise trouve sa source dans la psychologie masculine. Il est basé sur une éthique forgée au sein d'une société patriarchale. Ce personnage féminin est modelé selon des besoins masculins complexes: le premier but des écrivains est d'obliger leurs protecteurs (ou protectrices) et leur public en flattant le gout du moment pour la littérature courtoise qui correspond a un nouvel art de vivre. Mais surtout l'utilisation fréquente d'un "type" de femme doté de qualités bien précises plutét que d'un personnage individualisé permet a l'auteur de proposer une "norme". La dame courtoise devient un modele. Ce personnage projette une image positive sur ses comparses "réelles" (c'est-a-dire sur le public féminin). Elle leur montre l'exemple a suivre. Les personnages féminins qui, au contraire, pour les besoins du récit, s'écartent du modele initialement prOposé deviennent problématiques.7 Un traitement négatif de l'image de la femme contient un message didactique latent et les lectrices auront une tendance naturelle a vouloir imiter ou ressembler aux "bonnes" héro'ines courtoises. Fisher s'interroge sur la maniere dont les femmes étaient influencées par leur modele littéraire: “we must ask--although this is a question we can probably never answer: in what ways did these textual constructions of women influence women's —_¥ 7 Ce qui est le cas de Belle Cousine. 27 conceptions of themselves?“8 Cette creation d‘un mythe féminin, qui sert—elle en premier lieu? N'est—elle pas fondée sur un intérét purement masculin? La littérature courtoise séduit la gent feminine car elle lui attribue un pouvoir qu'en réalité elle est loin de posséder, tout en satisfaisant les fantasmes des hommes (que ce soit les auteurs ou bien les lecteurs et les auditeurs). Car la dame courtoise, meme idéalisée, n'en reste pas moins un objet sexuel convoité par le jeune Chevalier. On peut sans doute établir un paralléle entre la conquéte amoureuse et une conquéte guerriere ou la victoire du Chevalier entraine la capitulation de la dame. Ce pouvoir que l'idéologie courtoise octroie a cette derniere serait donc plus fictif que réel. Prisonniere inconsciente d'une écriture masculine, la femme ne tombe—t—elle pas en état de subjection culturelle tout comme dans la vie réelle? Tout 1e cérémonial de la fine amor doit faire l'objet d'un "décodage" car, derriére la facade romantique de ce "jeu", se cache une mentalité foudamentalement misogyne. L'exaltation de la dame n'est d‘ailleurs 1e fait que d'une tres petite partie de la société puisqu'il n'existe pas en dehors de l'aristocratie. Les autres genres littéraires qui sont accessibles a un public plus fruste, notamment les fabliaux, se montrent plus agressifs envers les femmes tout en les replagant dans un contexte plus proche de la réalité quotidienne. Georges Duby explique ce culte de la dame par un besoin de maitriser les Chevaliers célibataires en mal de 8 Sheila Fisher, 7. 28 terre et d'épouse. L'idéal courtois aurait pour fonction d'apaiser les frustrations de "la jeunesse aristocratique dans la France du XIIeme siecle: une meute lachée par les maisons nobles pour soulager le trop plein de leur puissance expansive, a la conquéte de la gloire, du profit et de proies féminines."9 Malgré tout, la dame reste une proie pour 1e jeune homme qui doit déguiser ses ardeurs sous des discours galants. Si la conquéte de la dame requiert des artifices courtois, son résultat proclame la victoire ultime de l'homme sur la femme. Cette supériorité féminine ne serait donc qu'un leurre. La lecture du Petit Jehan de Saintré confirmera cette analyse car en contrecarrant l'étiquette de la fine amor et en renversant les rales de la dame et de l'amant, Belle Cousine suggere une autre forme d' "égalité" sexuelle qui sera jugée inacceptable par ses pairs. Le Petit Jehan de Saintré est rédigé dans la meme veine que les romans courtois du treizieme siecle. Cependant, La Sale choisit d'utiliser une autre "technique." Certes, i1 écrit de la fiction mais il desire avant tout se mettre a la portée de son audience. Ainsi, 1e héros de son roman est un Chevalier qui aurait bel et bien existé au quatorzieme siecle: "Jehan, aisné filz au seigneur de Saintré en Thoraine" (2). L‘auteur se sert d'un personnage renommé10 pour donner plus de 9 Georges Duby, La Société chevaleres e (Paris: Flammarion, 1988) 142. 1° Froissart dans ses Chronigues, mentionne Jehan de Saintré, Allison Kelly, "Abbreviation and Amplification", suggere que La Sale aurait lu ce texte et se serait inspiré de la description du personnage pour son roman. Charles A. Knudson, "The Prussian Expedition in Jehan de Saintré," Acta 29 poids a son ouvrage. I1 choisit également de donner un contexte véridique a son histoire. Celle-ci se passe a la cour de France "on temps du roy Jehan de France, fils aisné du roy Phelippe de Valois" (2). Il s’agirait donc de Jean II dit "le bon."11 C'est une cour qui est a la fois tout aussi prestigieuse que celle d'Arthur et qui a le mérite d'étre réelle. Ceci doit permettre aux lecteurs de mieux s'identifier aux personnages du roman. La Sale ajoute un élément authentique a une histoire qui est par ailleurs purement fictionnelle. L'écrivain reprend donc certaines constantes auparavant employees par Chrétien de Troyes: la figure patriarchale du roi, l'image protectrice d‘une reine bonne et sage, mais surtout l'atmosphere des romans courtois. Le Petit Jehan de Saintré est en effet entierement basé sur l'existence du systeme courtois, puisque c'est lui qui permet la rencontre et la liaison entre les deux principaux protagonistes. Cependant, La Sale replace ces éléments dans un contexte plus proche de ses lecteurs et confere ‘a son récit un caractere crédible en l'agrémentant d'une foule de details qui étaient absents des romans précédemment cités. La description Neophiloloqica 11 (1973) ajoute que La Sale aurait employé les memes mots que Froissart pour décrire Saintré, "le plus vaillant des Chevaliers de France." 11 Pourtant, d‘apres Allison Kelly, le texte du Petit Jehan de Saintré serait truffé d'erreurs historiques: "Inaccuracies crop up throughout the work: 'Bonne de Bouesme' mentioned as queen, died before she was even crowned, and Saintré's great crusade to fight the Saracens has no factual counterpart. In addition, Saintré was a grown man by the time Jean was king, while in La Sale's work, he is still a child" (134). (tCI 3O détaillée des costumes,12 l'importance des couleurs, les comptes rendus tres minutieux du déroulement de chaque tournoi, et surtout des dialogues réalistes, ajoutent a la véracité du texte . 2 . Contexte social 11 s’agit désormais de définir la Belle Dame des Belles Cousines dans un contexte social. Chaque forme de littérature, du roman courtois aux fabliaux, décrit certains protagonistes féminins et les juge selon leur appartenance a telle ou telle classe de cette société.13 C'est en effet en fonction de l'importance de leur statut social que la société médiévale analyse et traite ses personnages. Une aristocrate est souvent dotée de qualités positives. C'est un personnage important du point de vue de l'intrigue car sa presence doit motiver le Chevalier et l'aider a accomplir nombre de prouesses. Une bourgeoise ou une paysanne est plutét percue come one femme terre a terre et commune. Elle est rarement épargnée par "les 12 Madeleine Lazard, “Le costume dans Le Petit Jehan gig Saintré," Studi Francesi 78 (1982), analyse la valeur sociale et symbolique du costume dans ce texte et remarque que "Les énumérations et descriptions des costumes et des parures y occupent pres des deux tiers de l'ouvrage et conferent a celui-Ci une incontestable valeur de documentaire" (457). 13 Paysannes et bourgeoises rusées, roublardes et menteuses dans les fabliaux, contes et farces; aristocrates belles, bonnes et cultivées dans les romans courtois sont des " types " classiques. Chaque femme qui s'écarte de son stéréotype ou du réle qui lui est traditionnellement assigné devient un élément problématique du texte. 31 lieux communs de l'antiféminisme. La dame est autoritaire, dépensiere, capricieuse, menteuse, hypocrite, frivole, coquette, sensuelle, 'gloute' (IX), infidele, jalouse et rusée."14 La personnalité de ces femmes étant souvent fonction de leur rang et de leur milieu, 1e lecteur ne rencontre pour la plupart que des stereotypes féminins. Le roman d'aventures ou roman courtois s'attache surtout a nous décrire la femme de la haute société. C'est 1e cas de Belle Cousine qui appartient a la noblesse. Elle est proche de la reine dont elle est apparemment la cousine, et elle évolue dans un milieu privilégié puisqu'elle est placée dans le contexte traditionnel du systeme courtois. Belle Cousine, bien que sujette de sa souveraine, est un personnage plus important que celui de la reine du point de vue de l'intrigue car cette derniere n'est que tres peu présente dans le texte.15 C'est Belle Cousine qui est l'héro'ine du roman. La Sale 1'a donc dotée des plus hautes qualités. Sa grande beauté, son autorité en matiére d'amour courtois et son experience ne sont contestées par personne puisque ce sont 1a les attributs typiques de toute héro’ine de roman courtois.16 L'auteur nous la présente de maniere tres breve: "En cellui temps, en la court de la royne Bonne de Bouesme, femme dudit roy Jehan, avoit une assez josne dame vesve qui des 14 Monique Santucci, Postface aux MW 155, 15 L'importance des bréves apparitions de la reine sera analysée plus tard dans ce Chapitre. 16 En particulier de la reine Guenievre dans les romans de Chrétien de Troyes . 32 Belles Cousines estoit" (3). Cette presentation est doublement intéressante, tout d'abord par sa concision, et ensuite par son apparente simplicite. Le lecteur ne peut s'empecher de remarquer que La Sale avait auparavant rédige tout un paragraphe pour presenter Jehan de Saintré. Toutes les vertus thijeune homme y sont longuement repertoriees. En une trentaine de lignes, c'est la vie entiere de notre héros qui est resumee: Un tres gracieux jouvencel nommé Jehan, et aisné filz au Seigneur de Saintré en Thoraine aussi. Lequel jouvencel par sa debonnaireté vint en grace au roy, et tellement qu‘il le voult avoir, et, car il estoit encore bien josne, 1e ordonna a estre son paige, seullement aprés lui chevauchier, et le surplus servir en sale comme ses autres paiges enfens d'onneur. Lequel Jehan de Saintré sur tous les autres paiges enfens d'onneur servoit chascun a table ga et la tres diligenment et assez plus que nul des autres, et especialement les dames en tous les plaisirs et services que elles lui commandoient, a son pouoir. Du surplus, selon son aige de xiij ans, estoit tres habille et hardy valeton, fust pour chevauchier un bien rigoureux coursier, fust a chanter ou a dansser, a jouer a la paulme, a courir, a saillir, et a tous autres essais et esbas que i1 veoit aux hommes faire: a tout se vouloit joieusement emploier, combien que sa personne estoit et fust tousjours linge et menu, mais son cuer estoit entre les autres tout fer et achier. Par lesquelles habilitez, doulceurs, courtoisies et debonnairetez estoit si tres amé et loé du roy, de la royne, des seigneurs, des dames et de tous tant que chascun disoit et jugoit que vraiement il seroit un des renommez gentilz hommes de France se il vivoit. Et vraiement ainsi fut i1 car a son trespassement de ce monde i1 fut tenu des Chevaliers le plus vaillant, ainsi que d'une partie de ses faiz cy aprés l'istoire fera mencion (2). Ce deséquilibre frappant entre les presentations de nos deux protagonistes revele d‘une part la preference marquee de liauteur pour son personnage masculin et suppose l’importance accordee a ce dernier du point de vue du roman; d'autre part, ~34 C a AV 33 i1 suggere un mépris certain de la part de l'écrivain pour Belle Cousine.17 Toutefois, en brossant un tableau tres complet de la personnalité du petit Jehan de Saintré et en nous révélant les grandes lignes de sa vie dés le debut du roman, l‘auteur annule toute possibilité d'effet de surprise. Le lecteur connait deja le destin de son héros. Ce faisant, La Sale confere au jeune homme un role stabilisant. Chaque nouveau pas en avant du héros et chaque nouvelle conquete seront acceptes et attendus comme un état de faits. D'un cété, Jehan de Saintré est un personnage limite car il ne peut plus s'écarter de son rele. Sa vie est toute tracée. Ainsi nous savons DEJA comment l'histoire se terminera: la fin du récit est dite avant que le récit lui—meme soit commence. Tout interet anecdotique est ainsi elimine: le roman se jouera dans le remplissage vie—mort et ne sera qu'une inscription d‘ECARTS (de surprises) qui ne détruisent pas la certitude de la boucle thématique vie-mort qui enserre l'ensemble.l8 En chantant des la deuxieme page de son roman les louanges de Jehan de Saintré, l'écrivain lui donne l'assurance d'un avenir brillant et la revelation du "succes" aprés la mort et, du meme coup, il fige Saintré. Il lui Ote la possibilité de véritablement étonner le lecteur. Ce dernier continue a admirer les exploits du jeune Chevalier mais il n'en est pas vraiment surpris. Les effets en sont donc quelque peu 17 Le portrait élogieux de Belle Cousine n‘ est la que pour masquer sa bassesse inhérente. En "découvrant" 1e vrai caractere de la Dame dans la derniere partie du récit, La Sale annule toutes les qualités qu‘il lui avait tout d‘abord octroyees. 18 Julia Kristeva, Le Texte du roman (Paris: Mouton, 1976) 45. 34 amoindris. Si la surprise n‘est pas primordiale pour justifier l'importance du jeune héros, l'absence de surprise permet a l'auteur de creer un desequilibre qui accentue celle provoquee par Belle Cousine au deux-tiers du roman. La Sale traite Belle Cousine d'une maniere radicalement opposee a Jehan de Saintré. Nous ne savons que tres peu de choses d’elle, pas meme son nom. Ce desir de ne pas reveler l'identite de l'hero'ine a pour effet de piquer notre curiosite. Belle Cousine est immediatement entourée de mystere; elle nous est presentee comme une enigme:"mais de son nom et seignorie l'istoire s'en tait, a cause de ce que aprés pourrez veoir" (3). Lors du depart de Belle Cousine pour la province La Sale utilise la meme phraseologie: "Or nous fault yci laissier le nom du pays, de la terre et de son hostel ou elle aloit, car l'istoire s'en tait pour aucunes causes et choses qui aprés viendront" (243) . Tout en preservant l'anonymat de son heroine, il suggere sa future conduite scandaleuse. A la lecture de ces quelques lignes les soupgons des lecteurs sont eveilles. C'est pourquoi La Sale ne distille ses informations qu‘au compte goutte. Il cree un effet de "suspense." La nature de Belle Cousine se découvre au fur et a mesure du livre. L'écrivain joue sur la surprise. La Dame provoque un coup de theatre au deux—tiers du roman en quittant la cour, et indirectement a la fin du récit au moment oh Saintré denonce son infamie. Nous observons donc une evolution importante de ce personnage feminin et nous sommes tentes de delaisser Jehan de Saintré sans grand interet pour examiner de plus pres Belle Cousine pour mieux 1a découvrir, puisque 35 chaque episode semble nous montrer une nouvelle facette de son caractere. C'est la nouveaute tout autant que l'instabilite de ce personnage feminin qui 1e rendent passionant. Si la Belle Dame des Belles Cousines n'est pas autrement nommee, c'est peut-étre également que La Sale a l'intention de creer un nouveau "type" de personnage feminin. "La Belle Dame des Belles Cousines" indique a la.fois 1e rang, le sang royal, et la beaute (qualité qui, comme nous le faisions remarquer guecedemment est presque obligatoire lorsqu'il s'agit d'une aristocrate). En lui donnant un titre tres complet, plutet qu'un nom, La Sale situe tres exactement son heroine dans la société féodale. Paradoxalement, et malgre sa brievete, 1a description fi le rang social, les privileges, les valeurs et la morale sont constamment remis en question par le peuple. , Référence a Philippe Ménard, Les Fabliaux, contes a rire du [22% (Paris: PUF, 1983) 142. et‘ all H 1 <3 1 Cette ci‘ essentiels 301 sur les fabli; Sale est baséc valeurs de la Boutet semble nous aider a ' M peut du texte de L nous permettr fabliau. Une lesraisons p dénouement un implications transmettre g D'élprés tentél’cive de SOCiété. Si 1 "monde idéal Belle COUSine Sale déCrit t H entend pa: 141 retour dans le vrai monde, ordonné autour des valeurs traditionnelles.8 Cette citation reprend et résume plusieurs points essentiels soulevés par d'autres critiques dans leurs études sur les fabliaux. Or, la seconde partie de l'ouvrage de La Sale est basée sur la transgression par Belle Cousine des valeurs de la société courtoise et chevaleresque. L'analyse de Boutet semble ici tout particuliérement appropriée car elle va nous aider a voir en quoi la conclusion du Petit Jehan de Saintré peut s'apparenter a un fabliau. Une lecture attentive du texte de La Sale en relation directe avec cette definition nous permettra d'établir l'analogie entre ce roman et un fabliau. Une fois cette analogie établie, nous déterminerons les raisons pour lesquelles l‘auteur a choisi de donner a son dénouement un caractere "fabliesque", quelles en sont les implications sur ses personnages et quel message La Sale veut transmettre a ses lecteurs. D'apres Boutet, il faut comprendre 1e fabliau comme une tentative de transgresser les interdits et les tabous de la société. Si l'on se référe au Petit Jehan de Saintré, le "monde idéal et police," correspond a celui de la cour ou Belle Cousine menait une existence luxueuse et sans soucis. La Sale décrit tres précisément 1a routine quotidienne du palais. I1 entend par la donner au lecteur une impression de réalité. Pourtant comme l'a remar ué Carron, l'auteur omet ; q 8 Dominique Boutet, Les Fabliaux (Paris: PUF' 1985) 121' (J'ai souligné certains passages de cette citation en vue de clarifier l' étude qui suit) soigneusement de cette époqi guerre, de la religieux déjé du roi de Era] cocon douille1 courtoisie et ses personnag nonde. On lui refus de marq social, organ M, nous un leurre. Ma pas donner un quinziéme sié bienfaits de Comment Y par Rappelons que la nostalgie fondés sur de 142 soigneusement d‘ajouter les "vraies" réalités moins brillantes de cette époque a sa description: a savoir celles de la guerre, de la peste, du désordre economique, politique et religieux déja mentionnées dans notre introduction.9 La cour du roi de France, vue a travers les yeux de La Sale, est un cocon douillet ou les dames n'ont a se soucier que de courtoisie et les Chevaliers de tournois. L'écrivain protege ses personnages; il les met a l‘abri de la rudesse du "vrai“ monde. On lui a reproché cette tendance a l'idéalisation, ce refus de marquer les problemes de son époque. Le "monde social, organisé et policé" représente dans Le Petit Jehan de Saintré, nous le savons grace aux études des historiens, est un leurre. Mais La Sale n'est pas chroniqueur; il ne prétend pas donner une image exacte de la société du quatorziéme et quinziéme siecles. Son but est de persuader le lecteur des bienfaits de la société féodale et courtoise et de montrer comment y parvenir, si ce n'est en idéalisant cette société. Rappelons que le monde de Saintré représente essentiellement la nostalgie du passé et que les deux—tiers du roman sont fondés sur des valeurs qui bien souvent sont tombées en désuétude. L'auteur ne change pas véritablement de style entre ces deux parties du roman. I1 garde le ton courtois utilisé dés le début du roman. Cependant, il met en scene plusieurs situations ou les valeurs courtoises sont bafouées, et marque 9 Elisabeth Carron dit aussi que "le réalisme du roman est douteux du point de vue de faits historiques ponctuels ou meme plus larges: par exemple, la guerre de Cent Ans n'y est méme pas mentionnée" (69). ainsi la scise l'abbaye. La "hiéra féodal que La dens toute sa cousine de la laquelle Bell soumettre. En rentrer a la autorité. Il evidente de 5 personnage ma en fonction c de sa cousine et seule jug. sent libérée Sans do 9t l'abbélye Belle Cousin PrOtégée, ca C(”sine fera apparences E ésa Dame, j ”up Abbé, ( écacher Sa sent toute 1 SOnt Ollblié: 143 ainsi la scission entre le monde de la cour et celui de l'abbaye. La "hiérarchie de valeurs" est imposée par le systéme féodal que La Sale entend défendre et voudrait voir restauré dans toute sa force. Le roi de France et son épouse la reine, cousine de la Belle Dame, y représentent l'autorité supreme a laquelle Belle Cousine, comme les autres sujets, doit se soumettre. En se retirant en province et en refusant de rentrer a la cour, elle se soustrait momentanément a cette autorité. Il y a transgression (1'un des moteurs du fabliau) evidente de sa part. Hors de la cour, Belle Cousine devient un personnage marginal et autonome qui ne décide ni n'agit plus en fonction des regles de la société courtoise ou des ordres de sa cousine la reine. Elle devient graduellement maitresse et seule juge de ses actions. Pour la premiere fois, elle se sent libérée des contraintes sociales du monde aristocratique. Sans doute, la distance spatiale entre la cour de Paris et l'abbaye de province est—elle assez grande pour donner 3 Belle Cousine l'impression d'étre hors d'atteinte, d'étre protégée, car une fois la liaison avec le moine amorcée, Belle Cousine fera de moins en moins d'efforts pour garder les apparences sauves, a tel point que lorsque Saintré se présente a sa Dame, il n‘a aucun mal a deviner qu'il a été évincé par Damp Abbé. On remarquera que Belle Cousine ne cherche alors ni a cacher sa nouvelle liaison ni a se justifier. La Dame se sent toute puissante. Roi, reine et autres nobles de la cour sont oubliés, sa perspective est renversée. Elle ne craint plus de se déx selon sa volox Le "mom nous le verro: tentent de rec parallels. a CI aussi luxueux dire pas décr l'abbaye une apprenons que nectee, tapis Belle Cousine [la ta] trc C01 modernité de: é“eveiller apparaitre d derriére les d'abbaYeS ri et Que les é 144 plus de se dévoiler car elle pense détenir le pouvoir d'agir selon sa volonté et son bon plaisir. Le "monde antinomique" est celui de l‘abbaye ou, comme nous le verrons par la suite, Damp Abbé et Belle Cousine tentent de recréer une atmosphere courtoise. C‘est un monde parallele a celui de la cour du roi de France. Le décor y est aussi luxueux que possible. La Sale, qui n'avait pour ainsi dire pas décrit 1e palais du roi de France, nous donne de l'abbaye une description infiniment précise et complete. Nous apprenons que la chambre de l'abbé "estoit tresbien tendue, nectee, tapissee et verree” (247). Damp Abbé mene ensuite Belle Cousine dans d'autres pieces et elle peut admirer: [la] chambre de parement tres bien tendue, tappissee, naptee, et les fenestres verrees, et tres beau feu, et la estoient trois tables couvertes de tres beau linge merveilleusement, et le dresseoir garny de belle vaisselle a grant largesse (247). . . . Sa chambre de atour, bien tendue et tapissee, a tresbon feu (255). En répétant certains détails (les tapisseries, le feu, le vitrage des fenétres), La Sale insiste sur le luxe et la modernité des lieux ce qui peut tout d'abord étonner et émerveiller le lecteur mais doit, a force de repetitions, lui apparaitre déplacé. Il faut déceler une accusation voilée derriere les enumerations de La Sale. Nous savons que nombre d'abbayes riches10 jouissaient d'un certain confort materiel et que les écclésiatiques importants, évéques ou supérieur(e)s 10 En particulier celles qui abritaient réguliérement des souverains ou des nobles en retraite religieuse (telle l'abbaye de Fontevrault). de monasteres nenaient parf' l'esprit que l'encontre de par la religi l'abbaye de 1: festoie et 8‘ transgressior A cha< courtois, La l'idéologie < Le premier p: signe de bie: exemple: c ' e 145 de monastéres, souvent issus de familles aristocratiques, menaient parfois une vie luxueuse. Cependant, il faut garder a l'esprit que cette accumulation de richesse allait a l'encontre des vertus de pauvreté et d'humilité recommandée par la religion.11 Le lecteur devrait étre choqué de voir que l'abbaye de Damp Abbé ressemble a un petit palais et qu'on y festoie et s'y courtise en pleine époque de caréme, autre transgression evidente des préceptes religieux. A chaque situation qui prétend reproduire un schéma courtois, La Sale ajoute plusieurs détails qui s'écartent de l'idéologie courtoise professée par la Dame au début du roman. Le premier présent offert par Damp Abbé a la Belle Dame en signe de bienvenue, un geste en principe courtois, en est un exemple: c'est un don de vin et de nourriture. Quand damp Abbés sceust la venue de Madame i1 fut tres joyeux, lors fist un de ses chars chargier de gras cymiers de cerfs, de hures, de costez de sengliers, de lievres, de conins, de faisans, de perdriz, de gras chappons, de poullailles et de pijons et une queue de vin de beaune et l'envoya presenter a madicte dame, ly suppliant qu'elle le preist en gré (244—5). (L'abondance et la magnificence de ces mets ne doivent pas induire le lecteur en erreur. Ce type de présent n'est pas a proprement parler "anti—courtois," pourtant, il ne figure pas sur la liste des dons appropriés auparavant citée par Belle Cousine a Saintré: Aux officiers les robes de livree, affin que tous soient pour vous, a madame la royne aucunefoiz la 11 La floraison des ordres mendiants au treizieme siécle en est une indication. bel lic sel aux une bel rut esn gar (71 Gibiers et Vi fines et bijc raffiné de l' les yeux mais du fabliau, l nontrera plus Premiere ind: Les "va, Celles du re: divers banqui Cdl‘éme, SOUS l'assertion cétresme et e mercredi et hm‘t Pages s COUSine in jet rappuie a J W PhlliPPe 146 belle haquenee, autrefoiz 1e beau cheval pour sa lictiére ou pour son chariot, aux autres dames selon ce qu'elles sont, aux unes les beaux atours, aux autres les ceintures d'argent bien dorees, aux unes fins tissus seullement et aux autres les belles ferreures, aux unes les gracieux diamans et rubis et aux autres les verges d'or gentement esmaillies, et les basses demoiselles boursses, gantz, lassez et espingles, selon ce qu'elles sont (71-2). Gibiers et vin de bourgogne ont remplacé coursiers, étoffes fines et bijoux. On ne fait plus appel au sens esthétique et raffiné de l'aristocratie. Damp Abbe ne cherche pas a ravir les yeux mais plutot le palais et l'estomac. Dans le contexte du fabliau, une femme bien nourrie, rappelle Ménard, se montrera plus sensuelle.12 Le cadeau du moine a la Dame est la premiere indication du désir qu'il a de la séduire. Les "valeurs [qui] ont disparu" sont, entre autres, celles du respect de la religion et de la bienséance. Les divers banquets qui prennent place a l'abbaye pendant 1e caréme, sous la direction de Damp Abbé, indiquent que ce dernier ne respecte pas le jeune obligatoire, et contredisent l'assertion de l'acteur: "en cellui temps, on estoit pres de caresme et en l'abbaye estoient grans pardons 1e lundi, 1e mercredi et le vendredi de la caresme" (245). Tout au long des huit pages suivantes, La Sale intercale des descriptions interminables de plats succulents et des rappels au devoir religieux. Ainsi, les demoiselles qui accompagnent Belle Cousine "jeunoient et avoient bon appetit" (248). Damp Abbé rappelle a la Dame, "Ma dame, vous estes ou saint temps de 12 Philippe Ménard, 135. penitence et 6 lendemain du I fist sa collac "Madame . . . du vin" (252) Belle Cousine prieurs la re "l'église et profité des r Dame est tein vous prions q Car sans faul Plus . . . ca lieu de laiss 1e soin de jl dormer la pa] cette derniéi roman, et me: PMfOis répr. moms. Elle : p33 perdu to s'est elle-m montrent a q jefine~ Belle responsabili de S'amender légéreté’ "1v 147 penitence et en ma maison ordonnee a penitence“ (248). Au lendemain du premier banquet et sous le titre "Comment Madame fist sa collacion fourree", l'acteur insiste ironiquement: "Madame . . . jeunoit et ne pensoit prendre que des espices et du vin" (252). Enfin, aprés le second banquet, au moment on Belle Cousine s'apréte a prendre congé, Damp Abbé et les prieurs la remercient "treshumblement" et recommendent "l‘église et le couvent" (253). Bien qu'ayant pleinement profité des repas qui lui ont été servis, la réponse de la Dame est teintée de reproches: "mais quant a vous, abbé, nous vous prions que voz grans appareilz de viandes vous deportez, car sans faulte vous en avez esté outraigeux et n'en voulons plus . . . car a ces jours nous entendons jeuner" (253). Au lieu de laisser a l'acteur (1e censeur des actions de la Dame) le soin de juger des événements, La Sale préfére cette fois donner la parole a Belle Cousine. A ce moment de l'histoire, cette derniére est toujours l'héroine de la premiere partie du roman, et meme si sa conduite durant les deux banquets est parfois répréhensible, elle n'a pas succombé aux avances du moine. Elle n'est pas encore tombée de son piédestal et n‘a pas perdu toute sa dignité. Les reproches de la Dame, qui s'est elle-meme laissée tenter par toutes ces victuailles, montrent a quel point l‘abbé a transgressé l'obligation du jeune. Belle Cousine, ce faisant, rejette une partie de la responsabilité pour sa propre inconduite sur Damp Abbé. Loin de s'amender, celui-Ci prouve son impiété en déclarant avec légéreté, "Ma dame, ja pour ce ne lairez vous a jeuner, et je vous en donra amorcée. Bien er parodiée, c‘e de seduction de conventior commencerent episode court “et tellement jusques a te: touchier et ; détail est d "dame" de fa 11 faut égal est provoqué APbé mais pa PrOtagoniste (249) He lai qui, en prir Cérébral' be par des gem rapidement ( Se Passe $01 sublimé. N04 protagonist. comPlait (1a Avec D 148 vous en donray l'absolucion" (253). La transgression est amorcée. Bien entendu la ”valeur" la plus importante ici parodiée, c'est celle de la courtoisie. Pour décrire la scene de séduction dans l‘abbaye, La Sale reprend d‘abord un langage de convention: "les yeux archiers des cueurs, peu a peu commencerent l‘un des cueurs a l'autre traire“ (249). Cet épisode courtois est alors interrompu par un trait bouffon: "et tellement que les piez couvers de la tres large touaille jusques a terre commencerent de peu a peu l'un a l'autre touchier et puis 1‘un a l‘autre marchier" (249). Ce dernier détail est destiné a faire rire l'audience car seule une \ "dame" de fabliau se préterait a un jeu d'une telle vulgarité. Il faut également garder a l'esprit que ce "coup de foudre" est provoqué non pas par les prouesses et la valeur de Damp Abbé mais par "la bonne chiere" et l‘ivresse des protagonistes. L'utilisation du participe présent "en buvant" (249) he laisse aucun doute sur ce point. L'amour courtois qui, en principe, devrait etre un amour intellectualisé, cérébral, basé sur de nobles sentiments, se trouve remplacé par des sentiments communs et vulgaires. L'auteur passe rapidement du langage des yeux a celui des pieds; de plus tout se passe sous la table, caché. C'est l'opposé de l'amour sublimé. Notons également que l‘attirance ressentie par les protagonistes est instantanée et mutuelle. Belle Cousine se complait dans la bassesse. Avec Damp Abbé, la Dame va enfin trouver la véritable "satisfaction charnelle" qu’elle n'avait pas connue avec Saintré. Ses 1e depart de moine qui res dans un fabli l'on y rencor particularite Voici une de presque part A part1 Comme sa nor Celle de la 9313 la seule le PIOduit < 59 dissocie: désastreuse: représente . rave, "L‘ ef bourgeois . 1\ Ma ' - Fab .1318 Th % 149 Saintré. Ses "instincts" et ses désirs de femme, frustrés par 1e départ de Saintré, sont satisfaits par sa relation avec le moine qui ressemble d'assez pres a celle qu'on retrouverait dans un fabliau. En répertoriant les différents amants que l'on y rencontre, Marie-Therese Lorcin analyse les particularités de l'amant-prétre: Enfin plus fréquent et combien plus redoutable, le prétre. Il ne s'agit pas d'une passade: le prétre en question n‘est pas un migrateur [par opposition a un Chevalier comme Saintré, toujours en quéte de tournois et de nouveaux exploits], c'est le curé de la paroisse, et parfois 1e sacristain de l'abbaye. C'est un voisin, toujours disposé a revenir, assidu, insistant, envahissant. . . . L'amour de l'homme mfir, prétre ou non, est présenté comme plus durable que celui du jeune. L'amour du prétre et de la dame devient nécessairement une liaison.13 Voici une description qui, i1 faut en convenir, s'adapte presque parfaitement au cas qui nous occupe! A partir de l‘instant ou Belle Cousine accepte l'abbaye comme sa nouvelle "réalité," elle occulte l'autre "réalité": celle de la cour. Or, le lecteur doit considérer que la cour est la seule réalité possible pour Belle Cousine. Celle—Ci est le produit du monde courtois dont elle est issue. Elle ne peut se dissocier de son milieu sans en souffrir des consequences désastreuses (en l'occurrence le bannissement). L'abbaye représente donc une réalité illusoire, une escapade dans le réve. "L'effet d'irréalité" vient en partie de la juxtaposition des apparences courtoises sur le monde bourgeois. Ceci crée un monde hybride qui ne correspond a 13 Marie—Therese Lorcin, Fagon de sentir et de penser: Les Fabliaux frangais (Paris: Champion, 1979) 44—5. aucune vérité conservateur alors qu'elle Les "vaI Bakhtin, sont Saintré dans bien d'une i1 totalement r1 revoir. Son car elle n‘ a l'interventi 3 la cour. P nécessaire q traditionne] La den didactique. fabliaux on didaCtique . dénouement 3 (3.1—! r-f-m. De méme’ 1e Saintré, Gt 4 Philippe 150 aucune vérité, du moins du point de vue traditionnel et conservateur de La Sale. Belle Cousine pense vivre vraiment alors qu'elle ne vit qu'une illusion. Les "valeurs" et la "morale" bafouées, mentionnées par Bakhtin, sont effectivement réintroduites par l'intrusion de Saintré dans le nouvel univers de Belle Cousine, car il s'agit bien d'une intrusion du point de vue de la Dame qui avait totalement renoncé a Saintré et ne montre aucun désir de le revoir. Son agressivité a l'égard du jeune homme s'explique car elle n‘a rien a gagner, et tout a perdre, de l'intervention de Saintré qui pourrait rapporter ses activités a la cour. Pour La Sale, Jehan de Saintré est l'élément nécessaire qui permet la restauration des "valeurs traditionnelles" de l'univers courtois et chevaleresque. La derniére partie du texte de La Sale a une valeur didactique. C'est également le cas pour la plupart des fabliaux ou, comme dans 1e Petit Jehan de Saintré, le message didactique est en général plus clairement exprimée lors du dénouement: L'étude de la conclusion d'un récit permet d'apprécier les intentions et l‘abileté du conteur. . . . Le dénouement apparait toujours comme une piece indispensable. Aux récits mouvementés et tendus il apporte une clOture, un apaisement. . . . Le dénouement est fait pour rassurer.14 De meme, le dénouement du roman de La Sale doit avoir un caractere rassurant puisque le Chevalier, aprés tout, gagne. Saintré, et toute la cour avec lui, censurent l'inconduite de 14 Philippe Menard, 43. Belle Cousine. et le lecteur cette questior message optimz' croire. Le ‘me jamais été 001 Le déno- sous la forme tribunal sont seigneurial on come dans D_e fortune comme W courtois on d mésaventures al'avantage 193 dames de Vont J'Uger l' nObl'ectivemen identité, On a dc Je . Wu littérature n 15G\ Sa' “Y’MeimzE w,“ 15$ 16 151 Belle Cousine. L‘ordre des choses en est—i1 pourtant restitué ‘et le lecteur est—i1 tout a fait apaisé? Mermier répond a cette question et soutient que "le malaise subsiste. Le message optimiste n'est pas aussi clair qu'on voudrait le croire. Le 'meilleur des mondes possibles' semble bien avoir a jamais été corrompu par l'expérience du roman."15 Le dénouement du Petit Jehan de Saintré se développe sous la forme d'un jugement. N'oublions pas que les scenes de tribunal sont communes aux fabliaux "que ce soit un tribunal seigneurial comme dans le Povre Mercier, un tribunal d'église comme dans Des braies le prestre, ou bien un tribunal de fortune comme dans le Vilain au buffet."16 Dans le cas du Petit Jehan de Saintré, on pourrait parler de tribunal courtois ou de cour d‘amour. Saintré y raconte ses mésaventures sans se nommer ni Belle Cousine, délicatesse qui a l'avantage de donner a son récit une valeur abstraite. Ainsi les dames de la cour, spécialistes de questions courtoises qui vont juger l'héroine de cette histoire, 1e feront plus "objectivement" puisqu'elles n‘ont pas connaissance de son identité. On a done pu déceler dans la derniere partie du Petit Jehan de Saintré plusieurs analogies avec le fabliau. La littérature médiévale n'est pas exempte de ces textes dont 1e 15 Guy Mermier, "Le message paradoxal du Petit Jehan de Saintré," 158. 16 Marie-Therese Lorcin, 81. Celle—Ci rappelle, en outre, la reIparque de Per Nykrog: un fabliau sur dix contiendrait une scene de tribunal. (Citation sans référence) style change l'intérieur 11 n'est pas auteur, 1e r’ écrivain qui ifait inatt textes en pl le fait d'un corrections sur son manu écrivain ext: que la diffé] en aucune fag deux genres I marquer le r4 tiers du roma surprendre e‘ probablement public aristl courtois, et Situations d deVIait ress Véritable dé \ OI} Dense temlflé pa Par Béroul e Gen ‘19 Me . Gulllaume 3: 152 style change en cours d'histoire, et la difference de style a l'intérieur d'une meme ouvre n'est pas extraordinaire en soi. Il n'est pas rare en effet qu‘apres le déces du premier auteur, le récit en cours soit repris et achevé par un autre écrivain qui peut d'ailleurs en altérer 1a fin de maniere tout a fait inattendue.17 Le Petit Jehan de Saintré ressemble a ces textes en plusieurs parties, mais il s'en distingue car il est le fait d'un seul auteur. Apres avoir étudié les nombreuses corrections et annotations faites de la main méme de La Sale sur son manuscrit, Desonay a conclu que celui—Ci était un écrivain extrémement consciencieux, ce qui nous porte a croire que la difference de ton entre les deux parties du roman n'est en aucune facon accidentelle. La Sale utilise ingénieusement deux genres littéraires opposés et les accolent pour mieux marquer 1e retournement de situation qui survient aux deux— tiers du roman. Par cette tournure stylistique, il désire surprendre et sans doute choquer son audience courtoise. C‘est probablement la réaction attendue par l‘auteur de la part d‘un public aristocrate raffiné, jusque—la plongé dans un roman courtois, et brutalement confronté a la vulgarité des situations dépeintes dans la plupart des fabliaux. L'audience devrait ressentir la fin du récit comme une crise, un véritable dénouement. 17 On pense notamment au Perceval de Chrétien de Troyes, terminé par un auteur inconnu; a Tristan et Iseult commencé par Béroul et terminé par Thomas ou au Roman de la Rose de Jean de Meung, si different de celui de son prédécesseur Guillaume de Lorris. N'oublions p bourgeois au derniers qu' ' de l'étendue est justifié avaient conn amusaient.18 particulier implique l‘h parodie de s has aristocr les mésavent “- 18 Les premi public des i la these d'l‘ toute partie Cependant St “Le seul pul eSt celui d¢ c(‘IllPlémentsu Conteste quq seigneurial. l . , 9Referencl amPlon, 1: 20 Sarah M Fabliaux’ h e‘ {CQIBbridge:' 153 N'oublions pas en effet que si La Sale prétend s‘adresser aux bourgeois autant qu'aux aristocrates. C‘est surtout a ces derniers qu'il désire faire prendre conscience de l‘urgence et de l'étendue du danger qui les menace. L'imitation du fabliau est justifiée car il est désormais clair que les aristocrates avaient connaissance des fabliaux qui de toute évidence les amusaient.18 L'analyse de Sarah Melhado White s'adapte particuliérement bien au texte qui nous occupe puisqu'elle implique l'humour du public courtois capable d'apprécier une parodie de sa société: Fabliaux, on the whole, while depicting types, behaviours, situations, and expressions not found in the literature we call courtly, cannot be termed purely "of the town square" or "of the castle."19 They seem to be literature for a range of people with a taste of brief narrative in a low mimetic style, people who were pleased, not offended, by parodies and travesties of courtly language and motifs.20 Les aristocrates se sentaient probablement peu concernés par les mésaventures des personnages qui leur étaient présentés. 18 Les premiers érudits qui se sont penchés sur la question du public des fabliaux (en particulier Bédier) avaient opté pour la these d'une origine paysanne ou bourgeoise en rejetant toute participation d'une audience courtoise. Nykrog et Menard cependant se sont opposes a cette these: "Le seul public clairement indiqué par les auteurs de fabliaux est celui de la haute noblesse. Des témoignages complémentaires apportés par les romans courtois montrent sans conteste que les fabliaux ont été récités dans les cours seigneuriales". Philippe Menard, 101-2. 19 Référence a Joseph Bédier, Les Fabliaux, 5e éd. (Paris: Champion, 1969) 371. 20 Sarah Melhado White, "Sexual Language and Human Conflict in Fabliaux," omparative Studies in Society and History. Vol. 24 (Cambridge: Cambridge UP, 1982) 188. 0n rit plus mésaventures toujours mér sont les vic comportement courtoises. sa place dan vainqueur . est origina fabliau. Ce du fabliau) courtois. Le cuisantes an d'épreuves < victoire fil 2| Adagtati Ce qui tint sa des 5011 comport he s'agit l °°Urtes ofi PlusieUrs l 154 On rit plus facilement des travers des autres et les mésaventures, si elles arrivent a 1'un des leurs, sont toujours méritées. Les Chevaliers couards ou les riches avares sont les victimes de ces fabliaux car, de par leur comportement, ils vont a l'encontre des régles féodales et courtoises. Un Chevalier de grande valeur ou bien n'aura pas sa place dans ce genre littéraire ou bien se posera en héros vainqueur. Le fabliau comme parodie du roman courtois est un cas de figure relativement normal. Le dénouement de Jehan de Saintré est original car, ici, c'est le roman courtois qui parodie le fabliau. Cependant, quoiqu'en territoire étranger (le domaine du fabliau), Saintré demeure essentiellement un personnage courtois. Le Chevalier devra essuyer plusieurs défaites cuisantes avant de triompher de ses ennemis. Ce sont autant d'épreuves qui lui sont imposées avant qu'il ne mérite sa victoire finale sur Damp Abbé et Belle Cousine. 2. Adaptation du personnage courtois au fabliau Ce qui "fait" un personnage de fabliau, ce n'est pas tant sa description physique ou meme sa condition sociale que son comportement et les aventures auxquelles i1 participe. Il ne s‘agit pas de romans psychologiques mais d'histoires courtes ou l'action prime. On remarquera cependant que plusieurs personnages types reviennent régulierement sur la scene des fabliaux: la vieille laide et ridicule, le villain affreux et gourmande e charmeur, l naif. Pourt sont les pr personnage, l‘abri du f répréhensib situation c entraine av chevaliers populaire e du poéte. U s'agit de l cour du roi n'ira parfa damas du ro leur rétice est a chaqu la honte et reconnus pu intéressant Personnage et présente W. A1 Howard Blo< 155 affreux et brutal, 1a pucelle naive et stupide, l‘épouse gourmande et incestueuse, le jeune clerc ambitieux et charmeur, le prétre horrible et veule ou bien débonnaire et naif. Pourtant, si les villains, les prétres ou les prostitués sont les protagonistes favoris de ces historiettes, aucun \ personnage, si puissant et "respectable“ soit-il, n'est a \ l'abri du fabliau. C'est a cause de son comportement répréhensible que Belle Cousine se voit déplacée d'une situation courtoise dans une situation de fabliau et qu'elle entraine avec elle Jehan de Saintré. Ainsi, dames et Chevaliers ont aussi leur place dans ce genre littéraire populaire et sont parfois l'objet des moqueries et du cynisme du poete. Un fabliau en particulier en est un bon example: il s'agit de l'histoire du Mantel mautaillié qui survient a la cour du roi Arthur. 11 y est question d'un manteau magique qui n'ira parfaitement qu'aux dames fidéles en amour. Toutes les dames du royaume, y compris la reine, sont obligées malgré (leur réticence de se préter a l'essayage du manteau. Celui—oi est a chaque fois soit trop court soit trop long. On imagine la honte et la déconfiture du roi et de ses Chevaliers reconnus publiquement cocus. Ce récit est doublement intéressant pour notre étude car i1 démontre comment une personnage courtois peut se trouver implique dans un fabliau et présente d'autres similitudes avec Le Petit Jehan de Saintré. Afin de mieux les dicerner, examinons l'analyse de Howard Bloch: The coat as representation and representation as a coat have a long history in the Middle Ages that is Bloch démon manteau, es cacher 1e v couvrir les sur les péc‘ est doué d' taillé, qui protéger du défauts. De men accessoires symbolique bleue dont vainqueur ¢ 21.Howard 1 Chicago UP 7| 156 evident in both popular and learned traditions. The author of "La vieille truande," for example, assimilates fables or fabliaux to "cloth, shoes, socks and songs": Des fables fet on les fabliaus Et des notes les sons noviaus, Et des materes les canchons, Et des draps, cauces et cauchons. (Recueil, V, 171) Beneath the garment of representation lies the disrepute of courtesans, just as beneath the ill— fitting coat of the Arthurian court lies the indiscretion of marital and courtly infidelity—- even at the highest level [référence a Gueniévre] . . . The tale and the coat are linked in the assimilation of deceit-trickery, infidelity, lies, hiding.21 Bloch démontre comment un vetement, en l‘occurrence 1e manteau, est en fait une sorte de masque qui, au lieu de cacher le visage et la personnalité d'un individu, devrait couvrir les imperfections du corps et, par analogie, 1a vérité sur les péchés corporels. Ce vétement symbolique et magique est doué d'une force révélatrice. En endossant le manteau mal taillé, qui devrait en principe les couvrir et donc les protéger du regard des autres, les dames découvrent leurs‘ défauts. De meme, dans Le Petit Jehan de Saintré, l'un des accessoires de la toilette de Belle Cousine posséde la force SYmbolique du "manteau mal taillé." Il s'agit de sa ceinture bleue dont la couleur symbolise la fidélité. Saintré, vainqueur de Damp Abbé s'en empare: E— 21.Howard Bloch, W (Chicago: Chicago UP, 1986) 24—26. La ceinture trophée qui Dame et le sur la hour as n‘est pa jeune homme prend cet o Dame, son e courtoise d Tant que Be les apparenr parure, son personnes p1 l'incident 1 C'est pourq1 "proces," 3. un jugement concentre s arr-1n. ‘H’Iunl 157 “Adieu dame la plus faulse qui onques fust,“ et, ce disant, la vist ceinte d'un tissu bleu ferré d‘or, lors la deceingny disant: "Et comment, ma dame, avez vous cuer de porter ceinture bleue? couleur bleue signiffie loyaulté, et vraiement vous estes la plus desloialle que je cognoisse; plus ne 1a porterez." Lors ly osta et desceingny celle ceinture, puis la pleya et mist en son sain (298). La ceinture confisquée par le Chevalier est une sorte de trophée qui symbolise a la fois sa victoire personnelle sur la Dame et le moine ainsi que la victoire ultime de la chevalerie sur la bourgeoisie. Le geste est violent et discourtois, car ce n'est pas la dame-amie qui donne un objet en recompense au jeune homme victorieux mais celui—Ci qui, a l‘issue du combat, prend cet objet comme preuve de sa supériorité morale sur la Dame, son ennemie. Ce geste est adapté a la situation anti- courtoise dans laquelle Belle Cousine avait forcé Saintré. Tant que Belle Cousine portait cette ceinture, elle gardait les apparences de la fidélité. Publiquement démunie de cette parure, son infidélité est désormais évidente aux yeux des personnes présentes (nous sommes toujours en province). Mais l'incident n'est pas encore connu de la cour du roi de France. C‘est pourquoi une fois rentrée a Paris et lors de son "proces," Belle Cousine voulant eviter a tout prix de porter un jugement sur elle-meme et sur son aventure avec Saintré, se concentre sur l'incident de la ceinture: Madame qui moult estoit esbaYe et ne savoit que dire, comme celle a qui l'istoire touchoit de bien pres, tant fut par la royne et autres dames contrainte que force ly fust qu'elle en deist son advis comme les autres, lors dist: "Puis qu'il fault que j'en die, i1 me semble que cellui amant, Chevalier ou escuier , quel qu'il soit, fut tres mal gracieux d'avoir desceinte celle dame et emportee sa sainture comme vous avez dit" (306). Ironiqu au lieu de " “découvre." Saintré de 1 Le geste et courtoisie: malgracieux, damas, de c genoul bas, incrimine 1 geste cérém désormais p personnalit l'ébahissem corresponde] dénouement I prix de ses Dans le fab éventuellem Jehan de Sa Le f at de denoncei les travers 22 A ne pa: ‘19 fabliau 5011*: les Suit antip. “Went an his "moral. 158 Ironiquement, c‘est la restitution de la ceinture qui, au lieu de "couvrir" Belle Cousine ou de la réhabiliter, la "découvre." La réponse maladroite de la Dame permet en effet a Saintré de lui rendre cet accessoire au vu et au su de tous. Le geste et les paroles de Saintré ont l'apparence de la courtoisie: "'Ma dame, je ne veul plus estre ce tres malgracieux,‘ [quand] devant la royne et sadicte compaignie de dames, de Chevaliers et escuiers, tres gracieusement, a un genoul bas, il la 1y mist en son giron" (307). En réalité, il incrimine la Dame car l'utilisation du "je," ainsi que le geste cérémonieux de la remise de la ceinture, ne peuvent désormais plus laisser de doute quant a la véritable personnalité des protagonistes de son histoire. A l'ébahissement de la cour assemblée et de Belle Cousine correspondent 1e sourire de La Sale et de son audience. Ce dénouement était espéré. I1 fallait que la Dame paie enfin le prix de ses manigances, son autoritarisme et son infidélité. Dans le fabliau, le ou les personnages antipatiqueszz doivent eventuellement étre chatiés, et c'est le cas dans Le Petit Jehan de Saintré. \ Le fabliau grace a l'ironie et la moquerie est un moyen de dénoncer les failles et les mensonges d'une société. Tous les travers que l'on préférerait ignorer y sont complaisamment 22 A ne pas confondre avec "coupables." Plusieurs personnages de fabliaux, coupables de divers délits, s'en sortent, car ce sont les personnages sympathiques et leurs adversaires sont soit antipathiques soit trop naifs. Les faibles perdent souvent au profit des plus rusés. La morale des fabliaux n’est pas "morale." C'est au contraire une vision plus réaliste de la société ou souvent la "loi du plus fort" prévaut. décrits . Le pour faire p personnages sociale. C' ancétres de L'impi est plutot Damp Abbé, aucune ress Celui-oi $1 avarice. C duquel on de La Sale remarquer 23 Comm C de détails A 159 décrits. Le conteur entend ouvrir les yeux de son public et, pour faire passer son message, il peut utiliser tous les personnages dont il a besoin quelle que soit leur appartenance sociale. C'est pourquoi il n'est pas impossible d'imaginer les deux protagonistes principaux de La Sale dans le contexte du fabliau. L'auteur introduit alors un troisieme personnage, ce qui doit renforcer l‘impression d‘analogie au fabliau. Il s'agit de Damp Abbé, supérieur d'une abbaye fondée par les ancétres de Belle Cousine. Damp Abbés qui pour lors estoit fut filz d' un tres riche bourgois de la ville qui par dons et par prieres de seigneurs, aussi des amis de court de Romme, donna tant que son filz en fut abbé, qui de l'age de xxv ans estoit, grant de corps, fort et abille pour luicter, saillir, jecter barre, pierre et a la paulme jouer ne trouvoit moynne, Chevalier, escuyer ne bourgois quant estoit a son privé qui avenist a lui. Que vous diroye je? En toutes joieusetez se emploioit afin qu'il ne fust trouvé oiseux et d'autres part estoit large et liberal de tous ses biens, dont estoit moult amé et prisié de tous bons compaignons (244). L'impression générale qui ressort de cette description est plutét favorable. On insiste sur les qualités physiques de Damp Abbé, sur sa bonne humeur et sa prodigalité. Il n’offre aucune ressemblance au prétre ou au moine "type" du fabliau. Celui-Ci se distingue par sa laideur, sa bétise on son avarice. C'est un etre qu'on méprise, qui dégoute, aux dépens duquel on a plaisir a se moquer. Avec la description détaillée de La Sale,23 on reste dans le domaine courtois. On peut meme remarquer quelques points communs entre Damp Abbé et Saintré. 23 Comme on 1'a vu, le fabliau ne s'embarrasse pas de ce genre de details. Les deux hon riches et re niveau supéi est noble e1 “filz d‘un l "moult amé[: invincibles Enfin, ils l'intervent l'argent de connu sa br pour Damp A (prieres at de son pere Cette qui doivent Prieres et mention de expliqué q1 les jeunes Ceci PSut .' homme d'ég Paternel. ‘ "OiSeux’ u vices. Cep s'emploie on us trou dSSoQiée é 160 Les deux hommes ont a peu pres le méme age. 115 sont tous deux riches et respectés par leurs pairs, car ils appartiennent au niveau supérieur de leur couche sociale respective: Saintré est noble et Chevalier favori du roi, tandis que Damp Abbé est "filz d'un tres riche bourgeois." Ce sont de bons compagnons "moult amé[s] et prisié[s]." Ils sont tous deux des champions invincibles et inégalés, l‘un au tournoi, l'autre a la lutte. Enfin, ils doivent tous deux leur position actuelle a l'intervention d'une tierce personne. Sans les manigances et l‘argent de Belle Cousine, Saintré n'aurait peut-étre pas connu sa brillante carriere de Chevalier. 11 en va de méme pour Damp Abbe qui doit son titre aux relations importantes (prieres aux seigneurs et méme jusqu'a Rome) et a la largesse de son pere. Cette description comporte pourtant plusieurs details qui doivent retenir notre attention. S'il est question des prieres et des dons du pere de Damp Abbé, il n'est jamais fait mention de la ferveur religieuse du jeune moine. Duby a bien expliqué que le couvent ou l'abbaye était une fagon de "caser“ les jeunes gens issus de familles aisées mais trop nombreuses. Ceci peut alors expliquer l'impiété de Damp Abbé qui n'est pas homme d'église par choix mais par nécessité et selon 1e désir paternel. Ainsi, il est bon que les moines ne soient pas "oiseux," l'oisiveté étant, on le sait, mere de tous les vices. Cependant, au lieu de s'occuper en prieres, Damp Abbé s'emploie "en toutes joyeusetés"; autrement dit, il s’amusel On ne trouve pas chez ce personnage 1a componction d'ordinaire associée a l'habit de bure. Au contraire Damp Abbe jouit au maximum de 3 courtise 1e: son ton dét. Cousine les fondateur d C s c c a c e On a < Mermier, ce valeurs mo; libertin es réguliereme assumer le Abbé Combil Belle Cous; La Da debut de l tYPiques d \ 24 c' 881: m 25 9t GUY Mer M Pramati W JOnes . (Le 26 S .GLIy Mex 161 maximum de la vie: il mange et boit bien (caréme ou non), i1 courtise les femmes, et il s'adonne a la lutte. On remarque son ton détaché, presque badin, lorsqu'il présente a Belle Cousine les reliques rapportées de Terre Sainte par le fondateur de l'abbaye: Cest chief, ceste main et ces es de Messeigneurs saint tel, tel et tel, et monseigneur son frere donna ceans ce doy, ces machoires et ces 05 de bras de monseigneur saint tel et tel et sainte telle, ainsi, pour abrégier, ont tous voz predecesseurs donné ce grant nombre de reliques et faite ceste eglise (246).24 On a comparé Damp Abbé a un moine de fabliau.25 Pour Mermier, celui—la "représente la violation de toutes les valeurs morales, religieuses et courtoises."26 Le moine libertin est en effet l’une des figures qui réapparait régulierement dans ce genre littéraire, en particulier pour assumer 1e role de l'amant ou du complice du délit. Ici, Damp Abbé combine les deux roles puisqu'il s'allie volontiers a Belle Cousine pour maltraiter Saintré. La Dame elle—meme ne ressemble plus a celle décrite au début de l'histoire. Au contraire, elle assume les défauts typiques des femmes protagonistes de fabliaux. Elle devient 24 C'est moi qui souligne. 25 Guy Mermier, "Structure et sens de la conjointure narrative et dramatique du roman Petit Jehan de Saintré," The Nature of Medieval Narrative, Eds. M. Grunmann—Gaudet and Robin F. Jones. (Lexington: French Forum, 1980) 193. 26 Guy Mermier, "Le message paradoxale du Petit Jehan de Saintré," 143. vulgaire , Menteuse, tétue. . . i moment ou Cousine. C en elle le rappelle l troisieme Cec analyse c. M. 27 Marie-‘ 28 Andre . 162 vulgaire, rancuniere et traitresse. Lorcin rappelle cependant que dans les fabliaux, un tel changement de caractere n'est pas hors du commun: On sait que les dames présentées par le conteur comme "sages et courtoises" se révélent souvent, dans l'historiette qui suit, menteuses, déloyales et luxurieuses comme dans Des Braies au cardelier, ou méprisantes, autoritaires et tétues, comme dans Dame JOenne. Le mot "courtois" qualifie des personnages et des aventures qui ne méritent cette épithéte que par antiphrase.27 Menteuse, déloyale, luxurieuse, méprisante, autoritaire et tétue... i1 semble que ces qualificatifs puissent tous, a un moment on a un autre de l'histoire, s'appliquer a Belle Cousine. Cette derniere a en effet la particularité de réunir en elle les défauts imputables a plusieurs heroines différentes de fabliaux. La Sale a particulierement "gate" son personnage feminin! Un portrait aussi complet dans la noirceur rappelle la description d'André 1e Chapelain dans son troisieme livre, De la condamnation de l‘amour: Toutes les femmes d'ailleurs ne sont pas seulement avares de nature; elles sont voraces, esclaves de leur ventre, volages, inconsistantes dans leurs paroles, désobéissantes, rebelles aux interdits; elles sont souillées par le péché d'orgueil et elles convoitent la vaine gloire; elles sont menteuses, intempérantes, bavardes, elles ne reapectent aucun secret; elles sont luxurieuses a l'extréme, portées a tous les vices et elles n'ont enfin aucune affection véritable pour les hommes.28 Ce changement de personnalité de la Dame mérite une analyse car il est extreme et donc choquant pour 1e lecteur. 27 Marie-Therese Lorcin, 99. 28 André le Chapelain, 196. Nous devons soudain sa s'agit-11 v n‘est pas l par-amours mais comme dévoile enf Les 0 Saintré se Belle Cous sur l'orig N 29 Mermier 30 Allison ((1 'ai soul Citation p 1653 Nous devons essayer de comprendre pourquoi La Sale change soudain sa "bonne" heroine en "mauvaise" femme. Et d'abord s'agit-i1 véritablement d'un changement de personnalité? Ce n'est pas l'avis de Mermier qui precise que "la 'fausse' dame- par-amours (BC) [est] remplacée toujours par Belle Cousine mais comme vraie—dame-par-traitrise."29 Autrement dit, la Dame dévoile enfin son véritable caractere. La Belle Cousine de l'abbaye est la "vraie" Belle Cousine. Rappelons que dans la premiere partie du récit, Belle Cousine jouait le réle assigné par la société courtoise a une dame de son rang. Kelly dénonce l'artificialité du comportement courtois tout au long du roman 3 In Saintpg courtlv behavior is uttegly apgificial; the reader sees Jehan learn rules during his long apprenticeship with DBC. It is false, as we come to realize, because it constitutes a structure imposed upon life. . . . the most courtly character, DBC, ‘who educates Jehan to be the perfect knight, also disrupts the idealized framework within which she teaches. Her discourse gevealgher dual nature, both courtly and uncourtly. She also breaks with the classical rhetorical theory which holds that the speaker's character should conform to his words.30 Les critiques qui s'intéressent au Petit Jehan dg Saintré semblent s'accorder sur la "dualité" du caractere de Belle Cousine. Cependant ils omettent souvent de se concentrer sur l'origine de cette dualité—-une double nature qui pourrait 29 Mermier, "Structure et sens," 198. 30 Allison Kelly, "Abbreviation and Amplification," 142-3. (J'ai souligné les passages les plus importants de cette Citation pour mon étude). se résumer le devoir ( personnelle fabliaux, 1 realisation fournit a L personnage incompatibl utilise la impliciteme l‘est moins l'atmosphér l'amour cou les plaisir chair. Son grandes qua Cousine se Vingt-cinq effet que c et doit le la poursuit Pour Belle \——— 31 EKpressi 1641 se résumer ainsi: Belle Cousine personnifie le conflit entre le devoir (les contraintes sociales) et la satisfaction personnelle (le désir d'étre soi—méme). Dans le contexte des fabliaux, le sens du devoir est balayé au profit de la realisation du désir et des satisfactions personnelles. Rappelons pourtant que le fabliau, f'conte a rire,"31 est aussi une forme de censure. Une "parodie" de ce genre littéraire fournit a La Sale une facon ingénieuse de montrer son personnage de Belle Cousine sous une lumiére différente, incompatible avec le roman courtois. D'autre part, l’auteur utilise la force didactique inhérente au fabliau pour implicitement condamner son heroine. L'origine de la dualité de Belle Cousine est relativement aisée a découvrir. Le pourquoi de cette dualité l'est moins. On 1'a vu, la Dame, une fois sortie de l'atmosphere de la cour, délaisse 1e rituel compliqué de l'amour courtois pour une liaison plus franche et directe ou les plaisirs de la table vont de pair avec les plaisirs de la chair. Son nouvel amant n'est pas choisi en fonction de ses grandes qualités ou de son potentiel chevaleresque. Belle Cousine se laisse séduire par un jeune homme athlétique de vingt-Cinq ans, bon compagnon et bon vivant. Rappelons a cet effet que ce n'est pas Belle Cousine qui recherche Damp Abbe et doit 1e convaincre de devenir son ami, mais ce dernier qui la poursuit de ses assiduités. Ce cas de figure est nouveau pour Belle Cousine qui réintégre ainsi un réle féminin plus ¥ 31 Expression de Joseph Bédier, 30. “traditio développe évolut ion : réalistes" au vulgair Chrétien d depart d'Y moins chev vulgaire b de Belle C comporteme mentalités elle ouvre littéraire Saint personnage de son exp essentiell 1' innocenc 32 Yorio C 165 "traditionnel." D'autre part, le personnage de la Dame se développe selon les exigences d'une époque en pleine evolution: Le héros de la nouvelle, de femme qu'il était devint homme. Les courtoises gracieuses céderent 1e pas aux bourgeoises réalistes, blamées par les hommes. Le temps acquiesga a la supériorité de l'homme sur la femme, ce qui expliquerait comment le rdle de Saintré passe de secondaire dans la premiere partie a principal dans la derniers partie de notre roman.32 Belle Cousine annonce—t—elle la fin de sa race et les dames courtoises seront-elles supplantées par des “bourgeoises réalistes“? Une telle evolution dans le caractere (du courtois au vulgaire) aurait été impensable chez une heroine de Chrétien de Troyes: on imagine mal Laudine se consoler du départ d‘Yvain dans les bras d'un homme qui ne serait pas au moins Chevalier car elle se rabaisserait au rang d‘une vulgaire bourgeoise ou paysanne. La conception du personnage de Belle Cousine est importante par sa nouveaute. Son ‘comportement rebelle suggere le changement graduel des mentalités et meme si la Dame est censurée par son auteur, elle ouvre la porte a d‘autres personnages féminins littéraires marginaux. Saintré est celui qui s‘apparente le moine a un personnage de fabliau. Quoique confronté a un monde different de son experience, il reste en toutes circonstances essentiellement courtois. Le jeune homme représente l'innocence, par contraste avec le couple Belle Cousineébamp 32 Yorio Otaka, 15. (C'est moi qui souligne\. Jehan de S Dame et de courtois s outrage, e contexte d La phrase auditeurs 1 1e savons, Chevalier. l‘exagérat: aux sarcasx de ses fail me pourreyr immédiatem anti-courtl entiere qu: “les preux Chevaliers 166 Abbé. Il joue le réle de la dupe. La nouveauté de sa situation empéche tout d'abord le jeune homme décontenancé de réagir. Jehan de Saintré ne saurait se préter au jeu vulgaire de la Dame et de son nouvel amant. Sa passivité, qui dans un monde courtois serait la seule réponse possible d'un homme d'honneur outragé, est interprétée comme un signe de lacheté dans le contexte du fabliau. Le seigneur de Saintré, qui voit les outraigeuses parolles de damp Abbés, qui lui sembloit de part en part percier le cuer, et tant plus de la faveur que madame lui faisoit, voulist estre mort. Madame qui le voit sans mot, lui dist: "Hé! seigneur de saintré, vous qui estes si vaillant et avez fait comme on dist tant de belles armes, n'oseriez vous luictier a l'abbé? Certes se vous ne le faites je diray comme lui" (279). La phrase "comme pp_dist" installe le doute dans l'esprit des auditeurs et marque la mauvaise foi de Belle Cousine qui, nous le savons, a maintes fois été témoin des prouesses du chevalier. Le ton désobligeant de la Dame est renforcé par l'exagération "tant de belles armes." En butte a l’ironie et aux sarcasmes de Belle Cousine, le chevalier prend conscience de ses faiblesses: "je scay bien, ma dame, que contre lui, je ne pourroye riens" (280). L'honnéteté de Saintré est immédiatement contrée par le chantage de Belle Cousine (geste anti-courtois). A travers Saintré, c'est la chevalerie tout entiere qui est attaquée. Car, comme 1e démontre Yorio Otaka, "les preux de naguere" se sont peu a peu transformés en Chevaliers d'apparat: La chevalerie se trouva sur la voie de la decadence. Le chevalier lui—meme se modifia. . . . Les chevaliers dans le Saintré sont reconnus d'abord par leur elegance, sans exclure Saintré es assoiffé d plus effra prisée aut d'un monde monde du f de Saintré d'humiliat luttant co de l'arist bourgeoisi héros cour Cousine et leur défai 3. Structu La 5 complice ( L' existent ————————— 33 Yorio ( 167 naturellement, la hardiesse et la prouesse. Saintré n'est pas un guerrier féroce, non sans courage de combattre. . . . En temps de paix, les Chevaliers font des tournois en parade: la pointe de la lance émoussée, la lame de l'épée arrondie, la vie sans danger. L'esprit du tournoi ne consistait plus a exalter la prouesse mais a exercer la technique du combat.33 Saintré est devenu un esthete du combat et non un guerrier assoiffé de sang et de vengeance. Le preux chevalier n‘est plus effrayant pour ses adversaires. Sa franchise, qualité si prisée autrefois, le rend stupide face aux réalités cruelles d'un monde plus commun avec lequel i1 n'est pas familier (le monde du fabliau). Ce qui est intéressant, dans Le Petit Jehan de Saintré, c'est que notre héros sera d'abord l‘objet d'humiliations, de moqueries, et subira meme une défaite en luttant contre Damp Abbé. Ce détail suggere l'affaiblissement de l‘aristocratie et la puissance croissante de la bourgeoisie. Pourtant, La Sale ne peut pas permettre a son héros courtois de capituler. I1 choisit de donner a Belle Cousine et Damp Abbé l'illusion de la victoire afin de rendre leur défaite plus cuisante. 3. Structure et péripéties La structure classique du triangle bourreau—victime- complice (ou témoin) est 1'une des constantes du fabliau. L'existence d'une victime devient presque obligatoire dans le 33 Yorio Otaka, 19. society, th more than a différences fabliau. Ra fabliaux, l péripéties anusant, ca L'introduct faciliter 1 Le tr; Abbé n'est l'histoire tour a 12011; Ce sOnt Ce: figllre tri saintre, In Important 00111110 is I 168 cas d'une structure triangulaire, car la plupart des fabliaux reposent sur la notion de conflit. Cependant, insiste White, "Though plots frequently depend on conflicts within medieval society, the tales do not seem an apology for one social order more than another."34 Cette affirmation marque l'une des differences notoires entre le texte que nous étudions et le fabliau. Rappelons en effet qu'a l'encontre des auteurs de fabliaux, l'intention ultime de l'auteur du Petit Jehan de Saintré est d'affirmer la suprématie de l'ordre féodal et de la chevalerie sur la bourgeoisie. En cela, La Sale s'écarte du fabliau traditionnel dont le premier but est de faire rire le public. L'écrivain utilise la structure du triangle, propre a ce genre comique, et parseme son histoire de nombreuses péripéties afin d'obtenir, entre autres, un effet dynamique et amusant, car i1 s'agit de tenir son lecteur en haleine. L'introduction d'un troisieme personnage (Damp Abbé) va donc faciliter l'assimilation de ce récit a un fabliau. Le triangle formé par Belle Cousine, Saintré et Damp Abbé n'est pas statique: il évolue selon 1e déroulement de l‘histoire. Ainsi, les personnages de La Sale vont assumer tour a tour les réles de bourreau, de victime ou de complice. Ce sont ces mouvements qui rendent le texte aussi vivant. La figure triangulaire est mise en place dés le retour de Saintré, mais elle ne fonctionne pas immédiatement car il est important pour l'auteur, qui est avant tout un écrivain courtois, de nous faire savoir ou en sont ses trois 34 Sarah M. White, 188. personnages aprés avoir Cousine et délaisse p0 redéfinir 1 lecteur au deux perso servant, 5. immédiatem Jehan: “Ha brutalité Saintré dt 19 jeune 1 bPurreau e esSaran; ( cette rel. Puissante trés haut musique 0 Bi lent 169 personnages d‘un point de vue psychologique. C'est pourquoi, aprés avoir décrit la rencontre et la liaison entre Belle Cousine et Damp Abbé a la maniére d'un fabliau, l'écrivain délaisse pour un temps sa parodie de ce genre, afin de redéfinir l‘état des choses, des sentiments, et mettre son lecteur au fait de l'évolution des événements. Ces trois personnages ayant pris ou repris contact, i1 reste a les "mettre en scene." Les péripéties qui jalonnent ce récit vont provoquer plusieurs modifications de la structure du triangle. Nous allons procéder a l'étude des différents cas de figure triangulaire présents a travers 1e texte. Au moment on Jehan de Saintré arrive en province, les deux personnages du roman courtois, la Dame et son chevalier servant, se retrouvent face a face. On note l'attitude immédiatement discourtoise de Belle Cousine a l'égard de Jehan: "Ha! sire, que le tresmal venu soiez vous!" (273). La brutalité de cette phrase rappelle la dureté de la Dame envers Saintré durant leurs premieres entrevues lorsqu'en malmenant le jeune homme, Belle Cousine se rapprochait déja du role de bourreau et faisait assumer au page celui de victime. En essayant d'intimider Saintré la Dame tente ici de restaurer cette relation on son autorité sur le petit page était toute puissante. Comme au debut du roman, Belle Cousine parle a voix tres haute afin d'étre entendue de tous. Au ton mesure et a la musique des mots d'une dame courtoise se substitue une parole qui veut blesser. Madame désire humilier le chevalier publiquement. Pourtant elle n'y réussit pas car Saintré, au contraire de tous les témoins qui les entourent, n‘entend pas hacquenee appela se nul compt réponse t Saintré e premiere Cepe Page larm d'accepte Cousine, De Pills, 1«the, Set maquise 170 Belle Cousine: "Le seigneur de Saintré, qui pas n'entendist ces parolles, a tresgrant joye, a un genoil bas, 1y toucha la main et dist: 'Ha! ma tresredoubtee dame, comme vous est il?'" (273). La joie de Saintré prouve qu'il est totalement inconscient d'avoir commis une faute envers sa Dame. Cette surdité passagére serait-elle due au refus de comprendre d'un jeune homme devenu trop sur de lui? Saintré semble étre plus occupé par le cérémonial courtois en usage. De fait, il ignore totalement la premiere reaction de Belle Cousine ce qui oblige cette derniére a se montrer simpliste et meme commune: "'fault il demander ce c'on voit? Ne voiés vous que je suis sur ma hacquenee et tiens mon esprevier?’ Alors vira sa hacquenee et appela ses chiens pour giboyer, comme celle qui de lui ne tint nul compte et qui le meprisa" (273). A question courtoise, réponse terre a terre. Belle Cousine tourne les beaux mots de Saintré en ridicule tout comme elle l'avait fait lors de leur ‘premiere rencontre. 1 Cependant 1e jeune homme a mfiri. Ce n'est plus le petit page larmoyant du début du texte et, loin de se démonter et d'accepter encore une fois le rOle de victime de Belle Cousine, il qualifie la réponse de Belle Cousine de "faible." De plus, il ose demander des comptes a sa Dame: "Hélas, ma dame, est ce a bon essiant, ou pour moy essayer, que si feible response m'avez faite, qui suis cellui qui tant vous ay amee, et suis cellui qui ongpes ne vous desobey" (273).35 La mauvaise foi de Saintré (et de La Sale) est désormais 35 C'est moi qui souligne. evidente, 1 désobéissa: Belle Cous cet épisod- suggere av Cousine: " est aucun, toujours é serait cap langage du "des Chane ramener le En ta Belle Dame ne fait qt cOmmun ave rendu obsc QSt dans j attitude e réalliste: d'alollter Belle Cou: l'artific. Damp "retroWa Prudemmen Présence prudent d 171 évidente, car le lecteur se rappelle que c'est justement la désobéissance du chevalier qui avait provoque le départ de Belle Cousine pour la province. Non seulement Saintré oublie cet episode de leur liaison, mais il va plus loin lorsqu'il suggere avoir été victime de quelque médisance auprés de Belle Cousine: "Hé, ma dame, est il nulluy qui vous ay dit? Se il est aucun, vous en verrez la verité" (273). Leur liaison ayant toujours été tenue secrete, qui d'autre donc que la Dame serait capable de porter un jugement sur cette question? Le langage du jeune homme est emprunté, i1 sonne faux. Ce sont "des chansons" répond Belle Cousine qui, de nouveau, tente de ramener le jeune homme a la réalité. En taxant 1e discours du jeune homme de chansons, la Belle Dame insiste sur leur manque de signification. Saintré ne fait que répéter quelque chose d'appris qui n'a aucun point commun avec leur situation. 11 est figé dans un role courtois rendu obsolete par les réparties de la Belle Dame. Elle seule est dans le vrai lorsqu'elle lui demande de laisser de cote attitude et paroles courtoises pour adopter un discours plus réaliste: "si vous taisiez" (273), s'empresse-t—elle d'ajouter. Le langage fleuri de l'amour n'a plus de prise sur Belle Cousine. Elle dénonce son aspect factice et l'artificialité de tout le discours courtois en général. Damp Abbé n'est pas totalement absent de cette scene de "retrouvailles." Le troisiéme larron du triangle s'est prudemment retiré et ne participe pas a leur altercation. La presence du chevalier inquiete le moine. Le ton déférent et prudent de Damp Abbé est une indication de ses sentiments. Sa couardise 1 contraste a retour de : cherchant 1 affirme so: de Madame" de son hér L' attitude chevalier Belle Cous observateu est humble A ce momer Jehan de 5 rival et 1 CePendant du désir < Personnag. hommes qu‘ d6 tout b. Abbé. Fau- Une nouve Dans 1'0p et la "cé qui Veut blame 1am juste“lent 172 couardise prouve sa culpabilite. La timidité du moine contraste avec l'aplomb de Belle Cousine. En accueillant le retour de Saintré on ne peut plus froidement, et en ne cherchant pas a cacher sa liaison avec l'abbé, la Dame affirme son choix de femme indépendante. Les "faulses amours de Madame" (272) ne le sont que dans l'esprit de l'écrivain, de son héros et des lecteurs. Belle Cousine n'en a pas honte. L'attitude hautaine et dédaigneuse de la Dame réduit le chevalier a un etre banal. Rassuré par le comportement de Belle Cousine, Damp Abbé, qui jusque—la se tenait a l‘écart en observateur, intervient enfin dans la conversation. Son ton est humble et courtois au contraire de celui de sa maitresse. A ce moment du récit, Damp Abbe est toujours impressionné par Jehan de Saintré et ne songe pas encore a se poser en égal et rival et plus tard en bourreau. Leur conversation montre cependant que Belle Cousine occupe 1e centre de la pensée et du désir des deux hommes. Elle redevient pour un temps le personnage central du roman. C'est l'intérét commun des deux hommes qui la replace sur son piédestal. Madame est une "dame de tout bien et tout honneur" (274) affirme Saintré a Damp Abbé. Faut—il voir dans cette réponse du chevalier au moine une nouvelle indication de son refus d'accepter la vérité? Dans l'optique courtoise, une dame ne peut qu'étre honorable et la "cécité" de Saintré provient pent—etre d'une convention qui veut que, particuliérement devant un etre inférieur, on me blame jamais une dame de la noblesse (comme le lui avait justement enseigné Belle Cousine). Jusqi Afin de re convient < déroule d1 sur la gm se combat- (276) .36 I avec les I L'abondan avec le d convives Dame qui autorité, Elle est du ceur c‘ nourritux banquet c bonne Ché déclarer l"S—Pisode dans Ce 3 173 Jusque—la les échanges verbaux ont prime sur l'action. Afin de restituer au texte son atmosphere de fabliau, il convient d'y insérer plusieurs péripéties. La premiere se déroule durant 1e diner a l‘abbaye ou l'accent est d'abord mis sur la gourmandise des invites, excepté pour Saintré qui doit se combattre "a tant de bonnes viandes et de bons vins" (276).36 Les scenes de ripailles dans l'abbaye contrastent avec les banquets royaux de la premiere partie du texte. L'abondance des mets et des vins ainsi que leur rareté jurent avec le décor, et l'accent est mis sur la gloutonnerie des convives plutot que sur leurs gofits sophistiqués. C'est la Dame qui préside a ces repas en qualité d'hote d'honneur. Son autorité, perdue lors du depart de Saintré, est restaurée. Elle est a nouveau la reine des lieux, ainsi que la maitresse du cmur de l'abbé. Celui—ci, campé devant des montagnes de nourriture, est dans son élément. C'est lors d'un semblable banquet qu'avait eu lieu la scene de seduction. Aidé par la bonne chere et le vin, 1e moine avait trouvé 1e courage de déclarer sa flamme pour Belle Cousine. Mermier résume ainsi l'épisode de l'abbaye et l'insertion du personnage de l'Abbé dans ce récit: Tout ce que représente DA\dégrade.le blason chevaleresque de la premiere partie du roman. Toutes ces notions dissonantes se retrouvent: la joie courtoise est remplacée par la joyeuseté; 1e 36 "[J]e n'ay lesir d'autre chose faire" conclut—i1. Son ton est a la fois ironique et méprisant. Il condamne 1e style de vie de Damp Abbé. La gourmandise est source d'oisiveté. Un chevalier comme Saintré deviendrait rapidement récréant s’il se laissait aller a une telle gloutonnerie. outré, c de Damp évident d ce qu'il trop prie de reteni n'est plu (275).38 jeu" de 5 d'observa l'esprit Cett Il faut a la bonne sa vulgar 37 Guy Me 38 Le mot comique c' celui dee cette sit en devene farce. 174 luxe courtois par le faste bourgeois, la richesse morale et spirituelle des Chevaliers s'efface devant la "vigueur" sanguine de DA. C'est alors le verbe manger qui triomphe! . . . Le jeu des pieds de DA avec BC sous la table est le triomphe de l'érotisme bourgeois et ce roman de courtoisie se transforme ironiquement en travesti, en une sorte de fabliau.37 Le fait que Damp Abbe tient a plusieurs reprises a "monstrer sa courtoisie" (275) est comique. Il faut voir une parodie de la courtoisie dans son langage "raffiné," souvent outré, car il jure avec le personnage de l'Abbé. La courtoisie de Damp Abbe est d'ailleurs contrebalancée par le désir évident de Belle Cousine de se défaire de Saintré: "Mander lui ce qu'il vouldra en face, mais ne lui dessirez pas sa robe de trop prier" (275), dit—elle au maitre d'hotel lorsqu'il s'agit de retenir Saintré a diner. Cette fois, Saintré a entendu. Il n'est plus sourd, ni aveugle, et désire "bien veoir la fppgg“ (275).38 Maintenant qu'il voit clair, il décide de “jouer 1e jeu" de ses adversaires, ceci toujours en qualité id'observateur. Saintré abandonne le réle de la dupe et c'est ll'esprit en alerte qu'il s‘engage a diner avec Damp Abbe. Cette premiere péripétie est en fait une joute verbale. Il faut attendre que Damp Abbé se "réveille" grace au vin et .la bonne chére, détail qui révele sa nature sensuelle et aussi sa vulgarité inhérente. La Sale lui oppose un Saintré 37 Guy Mermier, "Le Message paradoxal," 156. 38 Le mot "farse" marque l‘analogie avec le theatre profane comique dont l'humour parfois gringant peut se rapprocher de celui des fabliaux. Saintré suggere ainsi 1e grotesque de cette situation, et se dissocie des deux autres protagonistes in devenant spectateur ("veoir"), et non acteur, de cette arce. intellectue brutal: "H0 resveilliez faites que légérement chevalier c choisi par chevalerie parties di courtois, dames qui par des justifie, l'abbé: Dane réduit a 39 Jean c dans 1e 1 Chrétien 218 . 4° L'emp: nouveau 1 déprécia descript chevalie so frequ these 91 175 intellectuel. Damp Abbé apostrophe son hate d'un ton presque brutal: "Ho! monseigneur de Saintré, resveilliez vous! resveilliez! Je boy a vostre pensee, et qu'est ce cy? Vous ne faites que penser" (276). Le lecteur imagine 1e héros légérement mélancolique, une image qui sied a un jeune chevalier que sa dame vient de repousser. C'est 1e moment choisi par le moine pour attaquer la "fine amor" et la chevalerie. Le réquisitoire de Damp Abbe comporte donc deux parties distinctes: le moine fait d'abord le proces de l'amour courtois, puis celui de la chevalerie. Il plaint les pauvres dames qui sont, le plus souvent, "abusees" et "deceues" (277) par des amants malhonnétes. L'étude de Jean Charles Payen justifie, dans une certaine mesure, les propos tenus par l'abbé: Les raisons d'une telle méfiance sont les memes au XIIIe et au XVe siécle: l'amour chevaleresque est un beau mythe, un brillant appeau ou on a tot fait de s‘empiéger une victime consentante; mais la femme y risque son honneur et son bonheur, et rares sont les chevaliers dignes de sa druerie. La littérature a beau vanter les prestiges de la dame: celle qui cede a un amant n'est le plus souvent qu'une pauvre fille subornée.39 Dans la bouche de Damp Abbé, 1e cérémonial courtois est \ réduit a quelque chose de risible. L'emprise“)devient une 39 Jean Charles Payen, "La destruction des mythes courtois dans le roman arthurien: La femme dans 1e roman en vers aprés Chrétien de Troyes," Revue des langues romanes 78 (1969): 218. 40 L'emprise perd de sa valeur. Ceci n'est pas un phenomene nouveau dans le roman car, selon Allison Kelly, cette depreciation de l'emprise provient également des longues descriptions de La Sale lors des tournois entre ses valeureux chevaliers: "La Sale's characters exchange diamonds and rubies so frequently that, for the intentionally wearied reader, these gifts lose significance." “Abbreviation and (277). Les génir, une ' par leurs m font tomber Cependant, l'encourage sousriant l je croy qu' narchoit s marque verb amant et s‘< Enhard: s'attaque pl chevaliers < Hwaomr-‘mo'awoq: \ “Plificatit CléIllystifie 1 féUdall et or 176 vulgaire "jarrectiere" ou pire: "une rondelle ou un navet" (277). Les jeunes soupirants ne font que pleurer, soupirer et gémir, une image peu virile. C'est par leurs gérémiades, non par leurs mérites, qu'ils gagnent le cmur de la belle et la font tomber "en leur las" (277). A cette peinture narquoise de l'amour courtois s'oppose, nous 1e savons, l'expérience tres particuliere de Belle Cousine et de Saintré car c‘est Belle Cousine qui avait forcé Saintré a tomber dans son "las." Cependant, la Dame, loin de faire taire Damp Abbé, l'encourage: "Madame, qui de ce oir fut bien aise, en sousriant lui dist: 'Et qui le vous a dit, abbés? Quant a moy je croy qu'il soit ainsin. Et en disant ces parolles elle marchoit sur les piez de damp Abbés" (277). Belle Cousine marque verbalement et physiquement sa complicité avec son amant et s'oppose ainsi ouvertement a Saintré. Enhardi par la réponse de sa maitresse, Damp Abbé s'attaque plus explicitement a la chevalerie. La quéte des chevaliers devient un voyage d‘agrément puisque Se i1 fait froit ilz s'en vont a ces pales d'Allemaine, se rigollent avec ces fillectes tout l'iver, et s'il fait chault ilz s'en vont en ces dilicieux roiaumes de Cecille et d'Aragon a ces bons vins et a ces bonnes viandes, a ces fontaines et bons fruits et a ces tres beaux jardins, et tout l'esté repaistre leurs yeux de ces tresbelles dames et aussi gentilz hommes qui leur font tres bonnes chieres et honneurs assez, puis ont un viez menestrier ou trompecte qui porte un Viez esmay, et lui donnent une de leur vieilles robes, et crient a la court: "Monseigneur a gaygné! Monseigneur a Amplification," 135. Damp Abbé va encore plus loin car il démYStifie et ridiculise un cérémonial crucial a l'esprit feodal et courtois. La valeur toujours p courage, s honnéteté devrait ét naitresse. toutes le doute. No les victo' (maigreme devant 1e valeurs d d'une gral hommes gr: chevalier: intéresse: d'humour menestrel pour fair Nous connait e l‘adjecti de certai nécessité Saintré I décrits ] 177 gaygné! Monseigneur a gaygné, vaillant 1e pris des armes" (278). La valeur d'un chevalier doit se mesurer a sa volonté de toujours partir en quéte de nouvelles aventures, a son courage, sa bravoure, son habileté aux armes, mais aussi a son honnéteté et sa fidélité. Un chevalier n'a qu'une parole et devrait etre digne de la confiance de son suzerain et de sa maitresse. L'accusation du moine est donc tres grave car toutes les qualités inhérentes aux chevaliers sont mises en doute. Non seulement Damp Abbé a-t—il l'audace de contester les victoires des chevaliers; i1 accuse ceux-Ci d'acheter (maigrement) les services d'un menestrel pour aller chanter devant le roi des faits d'armes qui n'existent pas. Toutes les valeurs de la chevalerie sont désacralisées par ce portrait d'une grande vulgarité. Les chevaliers ne sont plus que des hommes grossiers aux instincts les plus bas. Ce sont des chevaliers récréants que seules les femmes et la nourriture intéressent. La description de Damp Abbé ne manque pas d'humour car i1 suffit de donner une vieille robe a un vieux menestrel doté d'une vieille cotte aux armes de leur seigneur pour faire célébrer publiquement des exploits imaginaires. Nous savons qu'a l'époque Oh La Sale écrit, la noblesse connait quelques difficultés economiques. La répétition de l'adjectif "viez" pourrait etre une indication de l'indigeance de certains chevaliers et leur avarice serait donc une nécessité. Cette image contraste avec la prodigalité de Saintré et d'autres chevaliers lors des nombreux tournois décrits par l'auteur dans la premiere partie de son texte. Cependant, . prodigalité donc tenté plus an sér consciente chez le moi chevaliers . plus nécese fait devenr chevaliers celui du fa fils d'un 1 jun dens 1 ennemis , p1 La compara analogie a de mg; masculin,4 Damp Abbe Collard, 9c Capable de Parole (de aristocrau Ci Chois i1 imPllissam 4\ Voir la 42 Sarah 1 178 Cependant, comme le faisait remarquer Kelly,41 cette prodigalité des chevaliers est souvent exagérée. L'on serait donc tenté de prendre le récit bouffon de Damp Abbé un peu plus au sérieux. Il nous indique que la bourgeoisie était consciente des problemes financiers de l'aristocratie. 0n sent chez le moine un mélange d'envie et de mépris pour les chevaliers. Il nous donne l'impression que ceux-Ci ne sont \ plus nécessaires a la marche de la société, qu'ils sont en fait devenus des boulets, des sortes de parasites. Les chevaliers de Damp Abbé sont des chevaliers de fabliaux comme celui du fabliau Bérengier au Long-Cul ou le "faux chevalier," fils d'un riche villain anobli par le mariage, se rend chaque jour dans la forét, fait mine d'y combattre d'invisibles ennemis, puis rentre au logis couvert d'une gloire imaginaire. La comparaison cynique de Damp Abbe marque encore une fois une analogie avec le fabliau. Et tout comme la conclusion comique de Bérengier au Long—Cul équivaut a la perte du prestige masculin,42 Saintré perd momentanément le sien car lorsque Damp Abbé l'insulte en le ramenant a son propre niveau: couard, gourmant, jouisseur et menteur; 1e héros n'est pas capable de prouver le contraire a son audience. Il n'a que sa Parole (déja mise en doute) et la bonne foi d'une autre aristocrate, Belle Cousine, pour se justifier. Lorsque celle— ci choisit de soutenir Damp Abbé, Saintré se retrouve impuissant car la valeur la plus sacrée sur laquelle il aurait 41 Voir la citation précédente. 42 Sarah M. White, 188. pu compter, Cousine, d' jusqu'a dox se dissocil ravie car . qui doit i maitresse. hommes, De celui de 1 la premiei prendre p1 ecclesias- verbale: NOtons c: quelque Chevalie sera pun honnétet Le les com and lay] 0f the 4 3 Sara 179 pu compter, celle de "la parole," est bafouée. Lorsque Belle Cousine, d‘abord muette, devient complice de Damp Abbé, allant jusqu'a douter des faits d'armes de chevaliers renommés, elle se dissocie tout a fait du milieu courtois. Belle Cousine est ravie car c'est un homme qui la remplace (ce n'est plus elle qui doit insulter le petit page). L‘amant en titre venge sa maitresse. Lors cette premiere confrontation entre les deux hommes, Damp Abbé prend le role du bourreau, 1e jeune homme celui de la victime, et la dame railleuse devient le témoin de la premiere défaite de Saintré. Celui—Ci en effet ne peut s‘en prendre physiquement a l'Abbé, protégé par sa fonction écclésiastique. La défense du jeune homme ne peut etre que verbale: Monseigneur l'abbé, au parler de Madame je ne dy riens. Elle puet dire ce qu'il ly plait. Mais je respons a voz parolles, qui avez chargiez les chevaliers et escuers, que se vous fussiez homme a cui je deusse répondre que vous trouveriés a qui parler, mais actendu la dignité et Cellui a qui vous estes je ne dy plus riens (278—9). Notons cependant la derniere phrase de Saintré: "par aventure quelque foiz vous sera recordé." La menace latente du chevalier prévient le lecteur que, quoiqu'il arrive, l'Abbé sera puni. L‘assurance de Saintré est une indication de son honnéteté et de sa bonne foi. Le fabliau est le genre littéraire qui traduit le mieux les conflits entre rivaux, écrit White: "rich and poor, cleric and layperson, man and woman, even between unintegrated parts of the self."43 Cette premiere scene a l'abbaye équivaut a une 43 Sarah M. White, 185. déclarat: La Dame 1 A chaque passiveme Belle C01 principal fabliau. genre lit dialogue: courtoise plus ada} moment or imminent: est imp 3“! la lutt C'eSt une de Saint] ne fus 11 maistres' la Dame: reProuvei (280). Le Saintré; Se Sonnet \ 44 His 5 aPPriS) , dlSCQUrs artificie 180 declaration de guerre de Damp Abbé et Belle Cousine a Saintré. La Dame utilise l'abbé pour punir Saintré de sa désobéissance. A chaque moment, meme lorsqu'elle est muette et assiste passivement aux différentes confrontations des deux hommes, Belle Cousine méne le jeu. La vengeance est donc le theme principal de cet episode; c'est aussi l'une des constantes du fabliau. En imitant la forme du fabliau, La Sale choisit un genre littéraire plus efficace que le roman courtois. Les dialogues, meme s‘ils gardent parfois une apparence courtoise,44 sont plus directs, moins artificiels, et surtout plus adaptés a l'atmosphére tendue entre ces personnages. A ce moment du texte, le lecteur a l'impression qu'une crise est imminente. En effet, la joute verbale entre les deux hommes est immédiatement suivie d'une confrontation physique. Le défi a la lutte lancée par l'abbé est impensable pour Saintré. (C'est une proposition injurieuse et dégradante. Les objections de Saintré: "'Hé! ma dame,‘ dist il, 'vous savez que onques je ne fus luicteur, et ces seigneurs moynnes en sont les maistres'“ (279-80), sont contrecarrées par le ton moqueur de la Dame: "se ne le faites, en toutes places je vous reprouveray et tiendray pour un tres lache cuer de chevalier" (280). Le chantage de Belle Cousine met en cause l'honneur de Saintré; c'est pourquoi celui-Ci ne peut plus se dérober. En se soumettant a l'autorité de Belle Cousine, 1e jeune homme 44 Mis a part le discours poli de Saintré (un discours appris), le reste de ces paroles n'est qu'une parodie du discours courtois, destiné a ridiculiser son aspect artificial. suit, une chevalier éprouver moment of quittons sorte de le "bel a royal. Ne l'auteur ses suiva et, pour autorité incondit: Conn comporte: faire ri: représen. Abbe et . Situatioy combat s. claSSes 1 disParu. bout du 3 (1111 est . d6 (:11:qul monstme. madame OUVertem 181 suit, une derniére fois, le précepte courtois qui veut que le chevalier accepte les épreuves infligées par sa dame pour éprouver sa loyauté et sa bravoure. Pourtant, a partir du moment on les deux hommes se préparent au combat, nous quittons véritablement le roman courtois pour entrer dans une sorte de "farse" de mauvais gout. Belle Cousine, assise sous le "bel aubepin coronné" (280), plante une parodie du jugement royal. Néanmoins la Dame est seule a savourer cet instant, car l'auteur nous fait part de la désapprobation silencieuse de ses suivantes. Cette fois, Belle Cousine est allée trop loin et, pour la premiere fois dans le roman, son rang et son autorité ne suffisent pas a lui garantir le support inconditionnel de son entourage. Comme dans la farce ou le theatre comique, 1e combat va comporter plusieurs détails choquants ou amusants destinés a faire rire le public. Les éléments comiques du fabliaux sont représentés par des épisodes tels que la bagarre entre Damp Abbé et Jehan de Saintré. Dans un contexte courtois, la situation est tout a fait choquante. Leurs techniques de combat sont opposées puisqu'ils appartiennent a différentes classes de la société. Les regles de la bienséance ont disparu. Alors que Saintré se dévét discrétement a l'autre bout du préau, l'homme d'église se déshabille publiquement (ce qui est choquant) puis parade devant l'audience tel un animal de cirque. L'analogie a un ours (281) lui donne un aspect monstrueux et grotesque. Lorsqu'il se recommande par deux fois a Madame et feint d'avoir peur de Saintré, Damp Abbé se moque ouvertement des rituels chevaleresques et courtois. De plus, il nargue doute; e] Pourtant, grace ‘a l malgré 3: ne peut < lecteur < infligée fort. Bel mesure ( L'humili écuyers: ceste gr Ce l'eSpoir Cousine, Si tres d'elle, toute éV 3a désok tente er 1289)..E retourm Plus anu c“from 191mg 0] réhabii. et les 182 il nargue le chevalier car l'issue du combat ne fait pas de doute; elle a déja été annoncée par le ton amer de Saintré. Pourtant, si le moine gagne (et par deux fois), ce n'est que grace a une tricherie (un croc-en—jambe). Ce détail prouve que malgré sa force et sa connaissance de la lutte, un étre lache ne peut obtenir ce qu'il veut que par fourberie. Alors que le lecteur est outré par cette "fausse" victoire et l'humiliation infligée a Saintré, la Dame applaudit Damp Abbe et rit tres fort. Belle Cousine a apparemment perdu le sens de la demi- mesure (si important avait-elle confié a Saintré). L'humiliation de Saintré est renforcée par la honte de ses écuyers: "Vous ne serez pas homme se ne vous en vengiez de ceste grant desrision" (283). Ce n'est qu'a ce moment du récit que Saintré renonce a l'espoir de changer le comportement déraisonnable de Belle Cousine. La rupture est acceptée lorsqu'il décide qu'il "avoit si tres faulcement perdue l‘amour de sa dame par la desloiauté d'elle, que tant et si loialement servie avoit" (284). De toute evidence, Saintré refuse toujours d'admettre que c'est sa désobéissance qui est la cause de l'attitude de la Dame. Il tente encore une explication-—"et que vous ay je mesfait?" (289)--avant de decider qu'il "ne desiroit pas en sa grace retourner, me a la requeste d'elle ne l'eust daignié jamais plus amer ne servir" (289). Saintré est prét pour sa deuxieme confrontation avec le moine. Les roles sont renversés: 1e jeune chevalier qui assume la fonction de bourreau est ainsi réhabilité, alors que l'abbé devient sa victime devant la Dame et les invites de Saintré (témoins). En 1 devant Be laisser e de rentre preparer complicit une armui la flattl et flattl fabliaux D‘es le d. une nouvl guerrier Lorsque montre b haussa 1 a cop se avoit fa que Si s que Par retient religieu a“ PErde adversai 183 En faisant courtoisement les louanges de Damp Abbé devant Belle Cousine, Saintré avait montre que, loin de se laisser entrainer par la vulgarité de ce dernier, il refusait de rentrer plus avant dans une situation de fabliau. Pour préparer sa vengeance Saintré a cependant recours a la complicité d'un bourgeois de la ville afin de se faire préter une armure qui soit a la taille de l'abbé, puis a la ruse et a la flatterie pour la faire endosser au moine. Complicité, ruse et flatterie sont des tactiques communément employees dans les fabliaux qui sont souvent basés sur la deception de l'ennemi. Des le début du combat entre les deux hommes, nous découvrons une nouvelle facette de Saintré. C'est, aprés tout, un guerrier menagant et cruel: 'N'y ait homme ne femme qui se meuve ne dye mot, car qui fera le contraire je lui fendray la teste jusqu'aux densl' Lors veissiés femmes et moynnes de paour tembler, plorer et maudire l'eure que ilz estoient la assemblez (294). Lorsque Madame a son tour ose menacer Saintré, celui-Ci se montre brutal: "Lors la prent par le touppet de son atour, haussa la paulme pour 1y donner une coupple de soufflez, mais a cop se retint, aiant mémoire des grans biens qu'elle lui avoit faiz, et qu'il en pourroit estre blasmez" (296). Notons que si Saintré épargne Belle Cousine, c'est plus par intérét que par reconnaissance. A l‘issue du combat, le chevalier se retient de tuer Damp Abbé car i1 se souvient des enseignements religieux de sa bienfaitrice. Cependant, la punition infligée au perdant est violente. En pergant les joues de son adversaire avec sa dague, Saintré commet un geste symbolique: le moine deshonnes escuiers, (298). Dar la face. l'infidel fois le 1 sa victim dames sei complice: triangul; un retou: Sale. L't revenir . Les semblent franchem pas des méprise liaison POint re‘ augmente déplacée 184 1e moine est puni par ou il a péché:45 "avez si deshonnestement menty et parlé contre les chevaliers et escuiers, et pour ce celle tres faulse langue le comparra" ((298). Dans le dernier acte du roman, la Dame a son tour perd la face. Saintré, impitoyable, expose la trahison de l'infidéle aux yeux de toute la cour du roi. Il est encore une fois 1e bourreau, Belle Cousine, jusque—la épargnée, devient sa victime, tandis que la cour et en particulier les autres dames servent de témoins au récit de Saintré, puis de complices lors du jugement de leur comparse. La figure triangulaire a done évolué au gré du récit jusqu'a permettre un retournement complet de situation favorable au héros de La Sale. L'ordre des choses étant restitué, l'auteur peut alors revenir a un texte et un décor essentiellement courtois. Les éléments comiques de cette interlude "fabliesque" semblent plus destinés a agacer le lecteur qu'a 1e faire franchement rire. Les défaites de Saintré ne sont assurément pas des épisodes plaisants. Si l'on rit, c'est parce que l'on méprise 1e comportement ridicule et grossier de l'abbé. La liaison entre Belle Cousine avec Damp Abbé est au plus haut Ipoint reprehensible et l'attitude de la Dame contribue a faire ‘augmenter la tension: la lutte entre Saintré et Damp Abbe est déplacée mais encouragée par Belle Cousine. A ce point du 45 Ce genre de punition est commun dans la littérature médiévale. Rappelons par exemple le chatiment de la femme enasée du Bisclavret de Marie de France. récit, I semble e 4. Moral Ra] m morale < que cell des Sitl de son 1 prendre 9t les i done um l'auteui deux pas l'atten1 L'< PUblic 1 etdubi soient" Cousine. requériI qui mare inquiéu lUge. An cheValie 185 récit, le respect des convenances a disparu et l'honnéteté semble etre devenu une valeur dépassée. 4. Morale Rappelons que le but de La Sale lorsqu'il rédige Lg Petit Jehan de Saintré est essentiellement didactique. la morale de son récit sera donc plus sérieuse et moins succincte que celle d'un fabliau. L'humour parfois gringant et l'ironie des situations décrites par l'écrivain dans la derniére partie de son roman doivent porter son auditoire a réfléchir et a prendre conscience des dangers qui menacent la société féodale et les valeurs chevaleresques. La morale de cette histoire est donc une partie du texte élaborée avec soin. Le message de l'auteur, ce qui lui tient le plus a cmur est contenu dans ces deux pages qui, La Sale l'espére, retiendront toute l'attention du lecteur. L'écrivain s'adresse tout d’abord exclusivement a son public féminin, "priant, requerant et suppliant a toutes dames et damoiselles, bourgoises et autres, de quelque estat que soient" (307) de ne pas suivre le deplorable exemple de Belle Cousine. L'utilisation de trois verbes synonymes: prier, requérir et supplier, donne a cette phrase un aspect répétitif qui marque a la fois l'insistance de l'auteur et sa grande inquiétude. L'écrivain n'adopte pas la position autoritaire du juge. Au contraire, son vocabulaire suggere presque l‘image du chevalier servant priant sa dame de lui accorder une faveur. La Sale d< mmwmi douceur. : n'ordonne sfirement ‘ interpret L‘écrivai les dames donc assu des femme honneur. contre le jugement La 1 bOurgeoi: aux femm différen‘ vagues q 130111: la . d'étre 11 ‘19 l'ari de la pa Universe felines a La Jehan de de 30,1 I Pennet g 186 La Sale donne a sa morale un style original car il la teinte de psychologie. Le langage de l'auteur est celui de la douceur. Son ton n'est pas autoritaire mais suppliant. I1 n'ordonne pas mais demande, ce qui devrait persuader plus sfirement toute la gent féminine. Les femmes doivent en effet interpreter la requéte de La Sale comme le conseil d'un ami. L'écrivain n'a pas besoin de fustiger Belle Cousine puisque les dames de la cour s'en sont déja chargées pour lui. Il peut donc assumer le réle plus comfortable du pédagogue, de "l'ami" des femmes, uniquement concerné par leur bien-etre et leur honneur. Dans son message, il les prévient essentiellement contre le mauvais exemple de Belle Cousine sans apporter de jugement supplémentaire a celui de la cour. La Sale, on l'a vu, écrit pour l'aristocratie et pour la bourgeoisie. On remarque pourtant que sa mise en garde s'étend aux femmes de toutes conditions (mariées on non) et de différentes classes sociales. Les mots "et autres" sont si vagues qu'ils évoquent peut—étre un certain mépris de l'auteur pour la classe inférieure de la société qui ne mérite meme pas d'étre nommée. Pourtant, l‘assimilation implicite des femmes de l'aristocratie a leurs comparses de la bourgeoisie et meme de la paysannerie donne a la legon de l'auteur une dimension universelle et lui permet d'insister sur une propension des femmes a imiter tout ce qui est mal et répréhensible. La Sale prétend écrire un ouvrage consacré a la vie de Jehan de Saintré, mais c'est Belle Cousine qui est au centre de son récit et c'est par son comportement condamnable qu'elle permet a l'écrivain de rédi er une morale a son histoire. La 9 Sale, qu1 héros" e‘ et chois. il repro: qu' aprés établi 1 autres f maintena leurs de tout d' a la premi les femn preuve c‘ controls représer Il faut tenter c Dame. La "OPques pas l'i] d'une f; treStom \ 46 Jeha: 47 Cont. 187 Sale, qui aurait pu faire une comparaison entre son "bon héros" et sa "mauvaise heroine," laisse le chevalier de Cate46 et choisit de se concentrer uniquement sur Belle Cousine a qui il reproche son "oisiveté" et sa "druerie" (307). Ce n'est qu'apres avoir confirmé la culpabilité de son heroine et établi l'origine de sa faute que La Sale élargit sa morale aux autres femmes et méme aux hommes, car son discours s'adresse maintenant a tous ces "autres hommes et femmes, pugnis par leurs desordonnees volentez" (307). Cependant, puisqu'il avait tout d'abord choisit d'incriminer les femmes en particulier, la premiere impression reste: il semble que ce soit surtout les femmes qui aient tendance a mal se conduire et a faire preuve de mauvais jugement. Selon l'écrivain, 1e manque de controle de soi—méme et la perte de la demi-mesure47 représentent un danger pour une société qui se veut policée. Il faut savoir réfréner ses désirs et ses passions au lieu de tenter de les assouvir a tout prix, comme l'avait fait la Dame . La deuxiéme partie de cette morale illustre 1e proverbe "anues ne fut feu sans fumee" (307). Le secret ne garantit pas l'impunité et tout acte condamnable finit par se savoir d'une facon ou d'une autre "car ainsin l'a ordonné le vray et trestout puissant juge de toutes choses, auquel ne fault ne on ne puet riens celer" (307). L'écrivain en se référant a Dieu, 46 Jehan est absent de cette morale. 47 Contre laquelle Belle Cousine avait a plusieurs reprises prévenu Saintré. juge su loi div plus pu n'avait mauvai81 lacunes superfi< instill: C'est pa potentie Enj morale, abordée, conversa méfier d fumees s mauvaise raison" Ses leCtl miSe en 1 Permet dg 1“ SOCiét \ 481a dén serm0ns I a craint contrale réPrend 1 general . 188 juge supreme, éléve sa morale au—dessus du jugement humain. La loi divine a laquelle nul n'échappe constitue la menace la plus puissante. L'éducation religieuse de Belle Cousine n'avait pas été suffisante pour mettre celle-Ci a l’abri des mauvaises tentations. L'écrivain qui tente de remédier aux lacunes d'une education religieuse peut-étre plus superficielle que réelle trouve la solution a ce probléme en instillant la crainte de Dieu dans l'esprit des autres femmes. C'est par la peur qu'il espére ramener ces pécheresses potentielles dans le droit chemin.48 Enfin, dans la troisieme et derniére partie de sa morale, l'auteur reprend une question qui avait déja été abordée, et ce a plusieurs reprises par Belle Cousine dans ses conversations avec son protégé. Il faut, nous dit—il, se méfier des "faulses langues desliees de flacteurs a gecter les fumees sans feu, c'est a dire porter et rapporter faulses et mauvaises renommees a hommes et a femmes sans cause et contre raison" (308). L'auteur avait maintes fois prévenu Saintré et ses lecteurs contre les propos des médisants et il réitére sa mise en garde a la fin de sa morale. Son insistance nous permet de soupgonner qu'il s'agit 1a d'un probleme typique de la société en cette fin de mOyen age. L'honneur, si important pour les hommes et femmes de condition supérieure, est menacé 48 La démarche de La Sale n‘est pas nouvelle puisque les sermons religieux du moyen age sont en grande partie basés sur la crainte du jugement divin. C'est ainsi que l'Eglise controle les débordements possibles des ses ouailles. La Sale reprend la meme technique pour contréler les femmes en général. et peut é pourquoi particul.‘ d'étre b< A t. l'écriva. long du . que les mensonge l'écriva engageme Sale, ce general un idéal Signific facilenm 189 et peut étre détruit par la violation de la parole. C'est pourquoi La Sale demande a son auditoire d'étre particulierement attentif, de garder l'esprit en alerte et d'étre bon juge. A travers ces quelques lignes qui closent sa morale, l'écrivain laisse percer l'inquiétude qui 1'a miné tout au long du roman. La valeur de la parole a été désacralisée. Plus que les agissements répréhensibles de la Dame, ce sont ses mensonges et sa mauvaise foi qui choquent et blessent l'écrivain. Jehan lui-meme n'a pas respecté ses premiers engagements envers 1a Dame et a failli a sa parole. D'apres La Sale, ce phenomene s'étend a la cour et a la société en général par la voix des médisants. Il voudrait voir restituer un idéal d'antan ou la parole d'un homme avait une signification et on son honneur ne pouvait pas étre auSSi facilement mis en doute. Je destruc constat Cette c Belle ( aristoc le mode heroine facette COnfiné CONCLUSION Jean Charles Payen dans son article intitulé: "La destruction des mythes courtois dans le roman arthurien" constate: Il est temps de procéder a un recensement douloureux. Parallélement aux mythes courtois ou, plus exactement, inséré jusque dans les episodes courtois, affleure un pessimisme profond, qui met en doute l'idéal amoureux et laisse entrevoir la catin sous la dame ou la brute sous le héros. C’est ici qu'apparait 1a démythification. Consciente ou volontaire? C'est une autre question.1 Cette démythification de l‘idéal courtois est personnifiée par Belle Cousine. Celle—Ci est un produit de la société aristocratique médiévale et elle représente, au premier abord, le modele idéal de la dame courtoise. Elle se substitue aux heroines "types,"2 car c'est un individu aux multiples facettes. Le lecteur remarque vite le malaise de la Dame, confinée dans un role qui ne correspond pas a son 1 Jean Charles Payen, 217. 2 Dans la littérature médiévale, la femme est en général soumise a plusieurs stereotypes contradictoires, selon qu'elle appartient a un milieu aristocratique, bourgeois ou paysan. La diversité des qualités et défauts féminins rend parfois les femmes difficiles a cerner. 190 caracté commun prétend sont 1c De lui est contrai qui ave du care idéale royale convent Sociéte Paris. moyen : Saintrl féodal. dynami. Person d'une B femme Premié lecteu SCI) hé 191 caractere autoritaire et belliqueux. Cette heroine hors du commun dénonce l'hypocrisie de l'idéologie courtoise qui pretend octroyer aux femmes un pouvoir qu'en réalité elles sont loin de posséder. Désenchantée par le role essentiellement décoratif qui lui est assigné et fatiguée par les responsabilités sociales contraignantes de son rang, elle finit par rejeter les valeurs qui avaient jusqu'alors déterminé sa conduite. Elle se libere du carcan qui l’enfermait dans le role de la dame courtoise idéale et se rebelle en refusant de se soumettre a l'autorité royale et a l'étiquette de la cour. Son refus de se plier aux conventions de la cour l'oblige a se mettre en marge de sa société psychologiquement et physiquement en s'éloignant de Paris. Elle émet ainsi un jugement négatif sur la société du \ moyen age. Par son comportement, la Dame s'oppose a Jehan de Saintré, défenseur des valeurs chevaleresques de la société féodale. Dans ce contexte, Belle Cousine est un personnage dynamique car son attitude contraste avec celle de Saintré, un / personnage figé qui me change que pour s'améliorer en fonction d'une société qu'il revere. Belle Cousine offre au debut du roman l'image d'une femme sage, belle, intelligente et courtoise mais cette premiere impression n'est pas confirmée par La Sale. Le lecteur décele vite l’antipathie croissante de l'auteur pour son heroine. La Sale suggere que la Dame n'est pent-etre vertueuse qu‘en apparence,3 car son discours est a plusieurs 3 Voir l‘example des "vraies" veuves romaines qui s'opposent a celles qui n'honorent pas 1a mémoire de leur défunt mari. reprise calcula l'on pe futur " L plaire culture étendue années method. une ce proced 13 Jehan de tét aussi milieu yeux. non uI La Sal bien I Pourr< 19 let Cousi] dams 4 Ess 192 reprises discourtois et ses pensées révelent un esprit calculateur et son mauvais caractere. Dans ces conditions, l'on peut s'étonner de retrouver Belle Cousine éducatrice du futur "meilleur chevalier du royaume." L'on peut voir dans ce choix de La Sale la volonté de plaire a son public féminin mais aussi une indication que la culture des femmes au quinzieme siecle est relativement étendue. La Sale, lui-meme précepteur pendant de longues années, utilise Belle Cousine pour promouvoir ses propres méthodes éducatives. Enfin, lorsque le jeune homme a acquis une certaine maturité intellectuelle et physique, la Dame procede a son education amoureuse. Dans cette partie du récit consacrée a l'éducation de Jehan de Saintré, nous découvrons en Belle Cousine une femme de téte qui sait utiliser son influence a bon escient.4 C'est aussi une diplomate qui posséde une bonne connaissance du milieu aristocrate. Son education poussée la rehausse a nos yeux. Néanmoins, nous devons nous rappeler que c’est Jehan et non une femme qui bénéficie du savoir de Belle Cousine. Pour La Sale, la priorité n'est donc pas d'éduquer les femmes mais bien les hommes puisque ce sont eux qui, comme Saintré, pourront restaurer la société féodale d'antan. D'autre part, le lecteur ne pourra s'empécher de comparer la "bonne" Belle Cousine, préceptrice avisée, a la Belle Cousine de l’abbaye dans la derniére partie de cette histoire ou, par son 4 Essentiellement auprés de la reine sa cousine. attitude avait e. Lo homme p raisons faible jeune f Saintré l'aspec modele obstacl mauvai: passiv comme imposé peut c provog Sale. d9 pas craint 1 Chevaj d‘ alt. rejai n‘est de sa un éC 193 attitude, la Dame remet en question l'enseignement qu'elle avait elle-meme dispensé au page. Lorsque Belle Cousine entreprend de former un jeune homme pour en faire le "meilleur chevalier du royaume," ses raisons sont multiples. Le choix d'un petit page innocent, faible et inexpérimenté, répond aux désirs complexes d'une jeune femme noble, veuve et déswuvrée. L'instruction de Saintré étant terminée, Belle Cousine peut se concentrer sur l'aspect amoureux de leur relation. Elle prétend reproduire 1e modéle de l'amour courtois mais se heurte a plusieurs obstacles. La relation Belle Cousine/Saintré débute sur de mauvaises bases. L'agressivité de la Dame contraste avec la passivité de Jehan. Celle—Ci tente d'utiliser l'amour courtois comme un palliatif a ses frustrations et aux restrictions imposées par une société patriarchale. Le lecteur, de ce fait, peut observer une modification des régles de l'amour courtois provoquée par l'individualisation des protagonistes de La Sale. Leur amour est factice et jamais on ne sent chez Saintré de passion brfilante, mais plutot un amour respectueux et craintif pour sa Dame. Belle Cousine se concentre alors sur les exploits chevaleresques du jeune homme. Saintré devient une sorte d'alter—ego de Belle Cousine. Chacune de ses conquétes rejaillit indirectement sur cette derniére puisque Saintré n'est autre que sa creature. Lorsque 1e chevalier se détache de sa protectrice, Belle Cousine ressent leur separation comme un échec personnel. Puisque l'amour courtois n'a pas su répondr plus tr Le vulgari point d devons contrai qualité tenter s'intéi contrai S ' expl; son mij courto; place i Dans 11 leurs . protag. compré Abbé e sa pre laisse forte déSir Elle a \ 5 L'at leur I 194 répondre a ses besoins, elle se tourne vers une alternative plus triviale. Le choix de Damp Abbé comme amant est horrifiant de vulgarité et la conduite de Belle Cousine est inexcusable du point de vue de La Sale et de ses lecteurs. Pourtant, nous devons voir dans ce choix la decision d'une femme libérée des contraintes sociales de la cour. Or, quelles peuvent etre les qualités qui attirent Belle Cousine chez le moine? Il faut tenter de comprendre comment et pourquoi la méme femme peut s'intéresser a deux hommes de statut et de valeur si contraires. Le changement d‘attitude de Belle Cousine peut s'expliquer par une volonté de choisir non plus en fonction de son milieu mais en fonction de ses gofits de femme. L'amour courtois idéalisé suggéré entre Belle Cousine et Saintré fait place a une relation sans équivoque entre la Dame et le moine. Dans les bras de son nouvel amant la Dame redevient femme car leurs rapports sont plus égalitaires.5 Entre ces deux protagonistes, il n'y pas de conflit d'autorité mais une comprehension tacite des forces et faiblesses de l'autre. Damp Abbé est un homme déja fait, contrairement a Saintré lors de sa premiere rencontre avec Belle Cousine. Belle Cousine se laisse séduire par un homme a la nature sensuelle doté d'une forte personnalité semblable a la sienne. La Dame a perdu 1e désir de former ou de changer les hommes selon ses besoins. Elle accepte donc inconditionnellement le moine tel qu'il est 5 L'autorité exagérée de la Dame sur Saintré avait fait de leur relation amoureuse une relation bancale. et cho: choix t d'une vulgai ceux d E évolua Sale v sur la des fe l‘imp< appar‘ a tra Belle chang Immat la cc d'hor rejet Parac 6 "II dans la C1 70t dame l'es POur 195 et choisit d'ignorer l'incongruité de cette liaison. Car 1e choix de son nouvel amant la rabaisse immédiatement au rang d'une femme commune. Elle n'est plus sophistiquée, mais vulgaire. Aux yeux de l‘aristocratie, elle est ridicule,6 a ceux de l‘église elle est sacrilege. En déplagant la Dame du milieu aristocratique ou elle évoluait et en la replacant dans un contexte de fabliau, La Sale veut lui faire assumer une nouvelle fonction. Il insiste sur la binarité du caractere féminin, la traitrise inhérente des femmes, leur dangereuse sensualité7 et aussi sur l'impossibilité de leur faire confiance. La Dame pécheresse appartient a une race maudite. L'image d'Eve est omniprésente a travers toute la littérature médiévale. En quelque sorte, Belle Cousine est une nouvelle Eve. Elle est avide de changement, mais incapable de prendre de bonnes decisions. Immature, elle fait preuve de mauvais jugement et ses actions la condamnent. Tandis que Jehan prouve qu'il est un homme d‘honneur, Belle Cousine montre sa bassesse. Elle sera rejetée par la cour tout comme Eve avait été chassée du Paradis terrestre. Pourtant, comme l'affirme Mermier: Personne ne sort indemne dans ce roman de l'affrontement des valeurs traditionnelles et des 6 "Il faut montrer que l'amour chevaleresque ne s‘épanouit que dans la société féodale et qu'il dégénere quand il se coupe de la communauté." Jean Charles Payen, 224. 7 Otaka rappelle: "Saintré prie et supplie que toutes les dames et damoiselles, bourgeoises et autres, se gravent dans l'esprit la perdition de la Belle Dame des Belles Cousines. - . . Le crime de luxure est a éviter pour toute femme comme pour la dame noble" (20). 196 nouvelles. Certes, Saintré sort intact de sa confrontation et d'aucuns diront que c'était la volonté du narrateur de faire triompher 1a chevalerie. . . . Et toute l‘ironie du roman tient \ a ce que c'est BC qui a donné naissance par son propre martyre au vrai chevalier du XVe siecle.8 La Belle Dame des Belles Cousines est donc indispensable a la trame de cette histoire, et il est intéressant de remarquer, comme le fait Allison Kelly, que jusqu‘au vingtieme siecle le nom de la Dame était incorporé dans les différentes editions du Saintré avant d'en etre exclu. While the eighteenth and nineteenth-century editors shortened the ponderous Le Noir title,9 even in their most abbreviated form these editions still refer to Belles Cousines in their titles. Not until the twentieth century, from Desonay's and Gillequin's editions of Le Petit Jehan de Saintré to the latest Jehan de Saintré, do editors shorten the title to exclude Belles Cousines.10 Voici une constatation qui mérite réflexion. L‘on pourrait en effet s'interroger sur la responsabilité des éditeurs et critiques qui, en omettant sciemment le nom de Belle Cousine dans le titre de l‘muvre de La Sale, montrent leur désir d'ignorer l'importance de cette derniére non seulement du point de vue de l‘intrigue mais aussi d‘un point de vue historique et littéraire. Exclure la Dame, c'est tenter de la baillonner. Le but de cette étude a été de restaurer 8 Guy Mermier, "Structure et sens de la conjointure," 203. 9 Titre de l'édition Le Noir de 1517: L'hystoire et plaisante cronigpe du petit Jehan de Saintré et de la jeune dame des Belles Cousines sans autre nom nommer avecgpes deux autres petites hystoires de messire Floridan et la Belle Ellinde et l'extraict des cronicgpes de Flandres. Allison Kelly, 452. 10 Allison Kelly, 452. 197 toute son importance a ce personnage. Les voix féminines de la littérature médiévale méritent qu'on leur prete une oreille plus attentive. Grace a une lecture approfondie de la Dame en tant que personnage fondamental et dynamique de ce récit nous pouvons déterminer que la femme, une fois de plus conspuée par une société patriarchale dont l'auteur se fait l'avocat, apporte un message: elle annonce un désir et un besoin de changement et traduit 1e malaise d'une époque encore mal connue . BIBILIOGRAPHIE Albistur, Maité and Daniel Armogathe. "La condition de la femme et son image littéraire au moyen—age.“ Histoire du féminisme frangais. Vol. 1. Paris: Des Femmes, 1977. Aston, Margareth. The Fifteenth Centugy: The Prospect of Europe. New York: W. W. Norton & Company. Inc, 1979. Bakhtin, M. L'Guvre de Frangois Rabelais. Paris: Gallimard, 1970. , Baxter, Harry. 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