LES PRIVILÈGES ET LES PRÉJUGÉS AUPRÈS DE LA NOBLESSE FRANÇAISE : LE MÉTISSAGE DE JOSEPH BOLOGNE LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGE Par Nicholas Norris UN MÉMOIRE Soumis à Michigan State University pour répondre partiellement aux exigences du diplôme de Français et d’Études Francophone – Master d’Arts 2024 THE PRIVILIGES AND PREJUDICES WITHIN THE FRENCH NOBILITY: THE MÉTISSAGE OF JOSEPH BOLOGNE LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGE By Nicholas Norris A THESIS Submitted to Michigan State University in partial fulfillment of the requirements for the degree of French and Francophone Studies – Master of Arts 2024 RÉSUMÉ Si certains dix-huitièmistes constatent que l’usage du terme « racisme » au regard du contexte prérévolutionnaire est une pratique anachronique, d’autres préfèrent au contraire mettre en avant les expériences racistes qu’ont vécues les individus non-blancs. Il est fascinant de constater une tendance similaire au sein de la discipline de la musicologie concernant le travail érudit actuel sur la vie de Saint-George. Bien qu’il semble normal de souligner ses réussites exceptionnelles, telle que son ascension sociale d’esclave à chevalier, il semble tout aussi important de soutenir que Saint-George n’était jamais un compositeur d’opéra accompli comme le dit la critique sévère et ouvertement raciste de la Correspondance littéraire sur la première de son opéra-comique La Fille garçon (1787). En adoptant la conceptualisation de la matrice raciale selon Noémie Ndiaye, cette étude établit une perspective herméneutique afin de mieux comprendre la manière dont les traits phénotypiques deviennent finalement un élément classificateur aux côtés du rang et de la religion auprès de la structure hiérarchique de la société française au 18e siècle. On examinera donc non seulement la manière dont l’intégration des traits phénotypiques à la matrice raciale aurait pu influencer l’évolution de la noblesse française au cours du 18e siècle, mais aussi l’éventuelle intention de certaines réformes qui auraient ainsi empêché les métis tels que Saint-George de faire officiellement ascension au plus haut classement de la noblesse. Par conséquent, le contexte ultérieur fournira une nouvelle perspective à travers laquelle on pourra réinterpréter les commentaires racistes de la Correspondance littéraire. De plus, cela servira à remettre en question la légitimité du journal en tant que source primaire pour l’étude de la musique au 18e siècle de nos jours ainsi que son rôle dans la perpétuation de l’héritage injuste de Saint-George en tant que compositeur d’opéra infructueux. ABSTRACT While certain eighteenth-century specialists state that using the term "racism" within a pre-revolutionary context is an anachronistic practice, there are those who prefer to otherwise highlight the racist experiences that non-white individuals lived. It is fascinating to notice a similar trend within the discipline of musicology regarding current scholarly work on the life of St. George. While it seems normal to emphasize his exceptional achievements, such as his social rise from slave to chevalier, it seems equally acceptable to argue that Saint-George was never an accomplished opera composer as is seen in the severely and openly racist criticism of the Correspondance littéraire regarding the premiere of his comic opera La Fille garçon (1787). By adopting Noémie Ndiaye's conceptualization of the racial matrix, this study establishes a hermeneutic perspective in order to better understand the way in which phenotypic features ultimately become a classifying element alongside rank and religion in the hierarchical structure of 18th century French society. One will therefore examine not only the way in which the integration of phenotypic traits into the racial matrix might have influenced the evolution of the French nobility during the 18th century, but also the possible intention behind certain reforms that would have ultimately prevented mixed-race people such as Saint-George to officially ascend to the highest rank of nobility. As a result, the subsequent context will provide a new perspective through which one can reinterpret the racist comments of the Correspondance littéraire. Additionally, it will also serve as a means to call into question the journal's legitimacy as a primary source for the study of 18th-century music today as well as its role in perpetuating the unjust legacy of Saint -George as an unsuccessful opera composer. Copyright by NICHOLAS NORRIS 2024 Ce mémoire est dédié à mes amis Lily Guerrero et Christian Stallworth. Merci de m’avoir partagé les expériences de votre coin de monde. iv TABLE DES MATIÈRES Chapitre 1 : Introduction ............................................................................................................. 1 1.1 : La clé afin de combler les lacunes ...................................................................................... 4 1.2 : Comment effectuer une étude sur Saint-George et Grimm ............................................... 10 1.3 : Le programme de décoloniser la perception actuelle de Saint-George ........................... 15 Chapitre 2 : La « race » du Chevalier de Saint-George .......................................................... 19 2.1 : La mise en contexte de la noblesse au cours de l’Ancien Régime .................................... 24 2.2 : L’évolution de la matrice raciale selon la vie de Saint-George ....................................... 30 2.3 : Conclusion ........................................................................................................................ 47 Chapitre 3 : Les « scripts de métissage » de Saint-George ..................................................... 50 3.1 : L’Analyse du premier extrait ............................................................................................ 52 3.2 : L’Analyse du deuxième extrait .......................................................................................... 55 3.3 : Conclusion ........................................................................................................................ 59 Chapitre 4 : L’Injustice selon l’héritage de Saint-George ....................................................... 61 4.1 : La Correspondance Littéraire et l’évolution de l’opéra-comique .................................... 63 4.2 : Conclusion ........................................................................................................................ 67 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................... 69 v Chapitre 1 : Introduction Les ouvrages les plus récents abordant la décolonialité se concentrent sur le retour aux origines du colonialisme comme un moyen de rendre visible les expériences des personnes racisée et marginalisées de nos jours. L’objectif est de faire dévoiler que le monde occidental exploite toujours les régions qui étaient autrefois des anciennes colonies ainsi que les descendants africains. Françoise Vergès, par exemple, souligne la division entre le Nord et le Sud dans deux de ses ouvrages critiques. Comme déclencheur d’Un féminisme décolonial (2019), Vergès emploie la grève contre la compagnie de nettoyage Onet en 20181 (7). Cette grève, débutée par les ouvrières racisées, est importante car elle « met en lumière l’existence d’une industrie où se combine racialisation, féminisation, exploitation, mise en danger de la santé, invisibilité, sous-qualification, bas salaires, violence et harcèlement sexuels et sexistes » que les femmes blanches se sont finalement appropriées afin de faire propager leur propre récit en dénonçant la misogynie au nom d’un féminisme civilisationnel2 (9). La négligence ultime des femmes racisées, même si ce sont finalement elles qui nettoient, voire s’occupent du monde blanc, est le résultat inévitable d’une perspective universelle venant de l’époque coloniale dans laquelle les femmes blanches s’évertuent à être égales aux hommes blancs aux dépenses des gens racisées (Vergès 44). Le féminisme non-décolonial est donc un mouvement qui n’était que pour, et n’est que toujours pour, les femmes blanches. Programme de désordre absolu : Décoloniser le musée (2023) est l’ouvrage critique le plus récent de Vergès dans lequel elle continue à aborder la division entre le Nord et le Sud. 1 Onet est la compagnie qui sous-traite les nettoyeurs pour la SNCF (Vergès, 7). 2 Le féminisme civilisateur « a entrepris la mission d’imposer au nom d’une idéologie des droits des femmes une pensée unique qui contribue à la perpétuation d’une dominance de classe, de genre et de race (Vergès 12). » 1 D’abord, elle met en relief que la notion actuelle d’un musée3 est née au 18e siècle à l’apogée du colonialisme (Vergès 7). Bien qu’ils contiennent les œuvres et les objets les plus précieux de notre culture et histoire occidentales, l’institution est également fondée sur le pillage des artefacts, y compris de l’art et même de restes humains, que les soldats, les missionnaires et les explorateurs ont extraits des régions colonisées au cours du colonialisme (Vergès 8). La notion du musée est donc raciste, car elle se protège en promouvant un récit dans lequel le musée universel est un sanctuaire qui protège l’histoire de l’humanité (Vergès 11). Pourtant, à cause de ce mode de pensée, l’amnésie collective en résulte et encourage le monde occidental à oublier nos histoires difficiles (Vergès 33). Afin de rendre justice aux gens racisées, ainsi que de rendre visible leurs vraies expériences, il faudra repenser l’institution de musée et comment il doit fonctionner. Dans Une écologie décoloniale (2021), Malcom Ferdinand aborde le concept de l’Anthropocène dans lequel il trace les origines de la crise climatique à la violence qu’a également vécu la terre au début du colonialisme. Comme Vergès, Ferdinand souligne la division entre le Sud et le Nord. Son approche, en revanche, prend en compte son identité martiniquaise en se concentrant en particulier sur ce qu’il appelle « la double fracture », ou la séparation actuelle entre la France et les Départements et les Territoires d’outre-mer à l’égard de l’histoire coloniale et environnementale (Ferdinand 14). Afin de défaire cette fracture, il constate l’importance de mettre en avant « les expériences fondamentales » des ancêtres qui vivaient en tant qu’esclaves dans la Caraïbe (Ferdinand 33). Par conséquent, on peut combler la lacune de l’histoire coloniale en France tout en rendant visible les voix marginalisées par l’intégration de leurs descendants, racisées et souvent pauvres, dans la solution à la crise environnemental. 3 Par exemple, le Louvre, comme musée, est construit en 1793 ; le British Museum en 1753 (Vergès 221). 2 Le dernier ouvrage critique à aborder est celui de Maboula Soumahoro. D’après son expérience en tant que fille des immigrés africaines en France, Le Triangle et l’Hexagone (2020) met en question l’institution académique et son rôle dans la société française. Elle aborde de plus la séparation entre le Nord et le Sud en examinant son propre séjour académique en France et à l’étranger. Ce n’est qu’aux États-Unis que Soumahoro, étudiante étrangère en Black Studies, a reconnu la fracture entre la France et ses anciennes colonies. À son retour en France, elle se rend compte de plus à quel point la structuration de l’institution universitaire rend toujours invisible non seulement la participation française à la diaspora africaine, mais aussi les expériences des descendants africains, c’est-à-dire les Noirs français. Son histoire personnelle sert d’un mémoire qui joue un rôle crucial dans la sensibilisation à la fracture coloniale. En tenant compte de ces quatre ouvrages critiques, on peut constater que c’est grâce à la perspective personnelle de ces individus racisées que l’on peut repérer les vestiges du colonialisme dans quatre ordres sociaux différents : le mouvement du féminisme civilisateur, le musée universel, la crise climatique et l’institution académique. Or, il est intéressant de noter que l’institution de la musique classique contient également des problèmes similaires. Si ce n’est pas évident, on n’a qu’à se reporter au niveau de conservatisme de la discipline de musicologie. Ce n’est qu’à la fin du 20e siècle, précisément les années 90s, que l’on peut trouver les critiques de Marcia J. Citron et Susan McClary. Citron, qui souligne l’exclusion des femmes dans le canon musical4, constate que le mode de discours intellectuel reste particulièrement sans imagination, et qu’elle affirme un besoin d’incorporer les « systèmes importants tels que le marxisme, la psychanalyse, et structuralisme » afin de provoquer des nouvelles idées (115). Quant à Susan 4 Citron constate que la tradition allemande a influencé la formation musicale aux États-Unis, et que le canon musical est donc basé sur ceux, des hommes blancs, qui sont instruits et capables de composer des grands œuvres (115). 3 McClary, la première musicologue à prendre le risque de mettre en question la misogynie de l’institution musicale soi-même, donne sa critique féministe de son positionnement en tant que femme et invite par conséquent d’autres musicologues à poser d’autres questions qui étaient également autrefois taboues, voire interdites5 (4). Bien que la critique féministe soit maintenant en grande partie acceptée parmi les musicologues au tourné du 21e siècle, on est toujours en train de normaliser l’intégration d’une perspective anti-raciste dans la musicologie. Dans Inclusive Music Histories: Leading Change Through Reasearch and Pedagogy (2023), Ayana Smith explique la difficulté d’enseigner l’histoire de musique en soulignant que le canon musical, fondé historiquement sur les mêmes pratiques élitiste dont proviennent le colonialisme et l’esclavage, représente principalement des compositeurs blancs (1). Alors, si l’institution de la musique classique semble maintenir une position élitiste et blanche, dans quelle mesure la musicologie est-elle capable de repérer ses vestiges du colonialisme de manière décoloniale ? 1.1 : La clé afin de combler les lacunes Je constate que la vie de Joseph Bologne, un compositeur français du 18e siècle, est l’élément qui contribuera au démantèlement de l’institution de la musique classique. Plus connu en tant que Chevalier de Saint-George, cet homme a récemment capté l’attention du public dans le monde musical dû à sa vie extraordinaire6. En premier lieu, Saint-George possédait plein de talents musicaux. En tant que compositeur, il était connu parmi les premiers à composer les symphonies 5 Maynard Solomon a fait scandale après avoir mis en question la sexualité de Franz Schubert avec la parution de son article “Schubert: Some Consequences of Nostalgia” de la revue 19th-Century Music. Un exemple des réfutations de Solomon se trouve dans l’article “The Peacock’s Tale: Schuberts Sexuality Reconsidered” de Rita Steblin de la même revue. Malgré la provocation de ce désaccord, Solomon a néanmoins débuté la voie pour d’autres musicologues queers, tel que Philip Brett, qui ont puisé dans leurs expériences personnelles afin de mettre en avant une musicologie queer. 6 À voir : The Chevalier de Saint-Georges: Virtuoso of the Sword and the Bow (2006) de Gabriel Banat. 4 concertantes ainsi que les quatuors à cordes7. Concernant sa carrière prodigieuse en tant que violoniste virtuose, Saint-George interprétait souvent ses propres concertos pour le violon s’il ne jouait pas avec le Concert des Amateurs, dont il était nommé le premier violon, le meilleur orchestre en Europe à cette époque-là. Pourtant, l’élément de Saint-George attrapant le monde par surprise, c’est celui de ses origines : l’enfant issu de la relation entre son père Georges Bologne, un propriétaire de plantation en Guadeloupe, et sa mère Nanon, une esclave. Autrement dit, le Chevalier de Saint-George, un des compositeurs le plus célèbre au 18e siècle en France, est non seulement une personne de couleur, mais aussi est né esclave8. Si la vie de Saint-George était presque supprimée de notre histoire, c’est néanmoins grâce à cinq écrivains que l’on ne l’a jamais perdu : Emil Smidak, Alain Guédé, Gabriel Banat, Pierre Bardin, et Claude Ribbe. Ils ont chacun joué un grand rôle dans la reconstruction de sa chronologie. Smidak était le premier d’avoir écrit une biographie sur Saint-George. Par conséquent, la petite bibliographie de Joseph Boulogne Called Chevalier de Saint-Georges (1996) était fondée principalement sur les sources primaires, tels que les mémoires des contemporains, qui contenaient finalement plusieurs restrictions ainsi que des inexactitudes. Le travail d’Alain Guédé et Pierre Bardin, extrêmement crucial, a été capable de combler quelques des lacunes dans la chronologie de Saint-George. Quant à Guédé, il a passé 8 ans dans les archives afin de sortir la première édition de Monsieur de Saint-George : le nègre des Lumières (1999), dont 10 mois étaient consacrés à développer le premier catalogue pour l’ouvrage de Saint-George (Guédé 355). Il consiste d’une liste complète avec toutes ses œuvres, y compris 7 Selon Barry Brook, Saint-George joue non seulement un rôle dans le développement de la dernière and cinquième phase de la symphonie concertante auprès de Rigel, mais aussi il était un des premiers compositeurs français de composer les quatuor à cordes (“Le Chevalier de Saint-George, Man of Music and Gentleman-at-Arms” 179). 8 Les colonies adoptaient partus sequitar ventrem, un ancien principal juridique romain, qui ordonnait que tous les enfants issus d’une esclave, y compris ceux d’une paternité blanche, doivent hériter du même statut de la mère (Garraway 202). 5 celles qui sont perdues. La plupart des trous se trouvant dans l’enfance de Saint-George, les recherches de Bardin ont eu lieu dans les Caraïbes. Joseph de Saint-George (2006) est l’exemple de l’énorme travail d’archives dans lesquelles il a récupéré les documents incontestablement nécessaires afin de vérifier la date de naissance de Saint-George, ainsi que le moment où il est parti pour la France9. Étant donné que Banat est violoniste lui-même, The Chevalier de Saint- Georges: Virtuoso of the Sword and the Bow (2006) contribue une perspective différente en abordant des aspects musicaux, telle que l’interprétation historique des concertos et la pratique du violon. Banat explique de plus que Saint-George était un compositeur obscur de l’ancien régime avant la première moitié du 20e siècle (Banat xiv). En effet, le mouvement des droits civils a mis en avant l’importance du « rôle que jouaient les artistes d’une descendance africaine dans la culture occidentale (Banat xv). » Ce n’est qu’avec la parution de Le Chevalier de Saint- George : Né esclave, musicien et escrimeur au temps des Lumières (2022) de Claude Ribbe que le récit change de perspective. Ribbe est non seulement français, mais aussi noir. Par conséquent, il semble que Ribbe se diffère des autres auteurs en apportant un aspect supplémentaire qui ne semblait pas exactement exister dans les biographies précédentes : une perspective antiraciste. C’est évident concernant la manière dont les contemporains dénigrent l’image de Saint-George en l’appelant un « mulâtre ». Quant à Ribbe, il met en avant que ce terme démodé, autant injurieux de nos jours qu’il serait pour Saint-George10, vient de l’inquiétude pour « la présence des descendants d’Africains dans le royaume (Ribbe 141). » Il met en question donc le positionnement de certains philosophes des 9 Avant de partir pour la France pour ses études comme adolescent, Saint-George avait déjà fait un voyage en France à l’âge de deux ans avec sa mère, sa belle-mère et sa demi-sœur quand son père cherchait une demande de grâce de la part de Louis XV (Bardin 41-42). 10 La signification étymologique vient de la racine « mulet », c’est-à-dire « un animal improductif issu de l’âne et de la jument », également considéré comme « un mélange prétendument contraire à la nature » à cause de son incapacité de reproduire (Ribbe 192-193). Selon la logique esclavagiste, ce principe s’applique à Saint-George ; il est l’incarnation du pervers car il est l’issu de son esclave-mère et de son propriétaire-père de plantation. 6 Lumières, tel que Melchior Grimm, qui s’identifiait en tant qu’antiesclavagiste tout en employant ce terme en critiquant la musique de Saint-George. Bien que Smidak, Guédé, Bardin et Banat abordent la question du racisme en constatant ouvertement les expériences racistes de Saint- Georges, c’est la façon dont ces expériences semblent être une des deux sources de son exceptionnalisme11. Par exemple, on peut examiner l’Affaire de l’Opéra de 177612. Tandis que Saint-George était victime du racisme, c’est en même temps l’élément qui semble, d’après les biographes, provoquer une mentalité travailleuse en son esprit. D’après Guédé, Saint-George « se remet à travailler d’arrache-pied (174). » Quant à Banat, il constate que « grâce à sa nature résistante, il a finalement accepté le coup et, plus vite que l’on s’y attendait, a continué avec son travail (191). » Même Bardin semble diminuer la gravité de l’Affaire de l’Opéra en la comparant avec la réussite de carrière avec le Concert des Amateurs la même année (96). Autrement dit, sa volonté de « résister » au lieu d’abandonner sa carrière en tant que compositeur démontre sa capacité exceptionnelle de « surmonter » ses expériences sombre liées au racisme13. Bien que Ribbe semble aborder le racisme différemment par rapport aux autres biographes, ils semblent tous augmenter encore plus la perception exceptionnelle de la vie de Saint-George au regard de sa position sociale. Tout d’abord, Smidak constate que Saint-George, étant le fils d’un propriétaire de plantation riche, « profitaient donc d’une protection puissante (70). » En tant que chevalier, on a de plus l’impression que Saint-George faisait en 11 D’après la théorie critique de la race, l’exceptionnalisme est le notion qu’une expérience si unique, qui est exceptionnellement vécue par une certaine communauté, doit être la composante centrale d’une analyse (Delgado et Stefancic 79) ; ce concept s’applique à Saint-George quand on examine la façon dont sa vie exceptionnelle est la raison pour laquelle on s’intéresse à ses talents tout en minimisant la sévérité de ses expériences racistes. 12 Marie Antoinette retire sa nomination de Saint-George en tant que directeur du Théâtre de l’Opéra, également le plus haut poste de l’Académie de musique, parce que les chanteuses Sophie Arnould et Rosalie Levasseur, ainsi que la danseuse Madeleine Guimard, ne voulaient pas travailler sous la direction d’un homme racisé ; Selon Alain Guédé, « cet épisode constitue sans doute la première grande affaire de racisme de la société moderne (170-73) ». 13 Selon le musicologue français Patrick Barbier, l’Affaire de l’Opéra démontre que la « force est de constater que la couleur de peau du prétendant n’est que la partie émergée de l’iceberg. C’est aussi une question de pouvoir (346). » 7 effet partie de l’aristocratie. En discutant de son match d’escrime contre Picard14, Banat déclare que Louis XV parie probablement sur Saint-George, car il le fera chevalier prochainement, un poste réservé pour la noblesse (70). Même Ribbe semble croire que les charges de noblesse que Saint-George possédait étaient « rares et très [convoitées] » ainsi qu’une « promotion spectaculaire (94). » Dans l’ensemble, l’importance de cette réussite exceptionnelle semble usurper et diminuer l’importance des expériences racistes qu’a vécues Saint-George. En dépit de ses nombreuses réussites, il n’est pas surprenant que la renommée de Saint- George, même en possession des charges de noblesse en tant que chevalier15, ne sera pas sans avoir des critiques, souvent vicieuses et racistes. Si l’on en prend compte de toutes ses aptitudes musicales, les critiques des contemporains de Saint-George semblent vouloir maintenir néanmoins la notion qu’il n’est jamais arrivé à surmonter le défi de donner avec succès la première pour tous ses opéras. De même, la discussion actuelle abordant la carrière de Saint- George en tant que compositeur d’opéra se concentre toujours sur un récit similaire qui remonte à l’idée de ses contemporains que son échec au théâtre de la Comédie-Italienne16 est en raison de son choix en livret. Je constate donc qu’il est la carrière de Saint-George en tant que compositeur d’opéra que l’on doit examiner, ainsi que les avis de ses contemporains, afin de mettre en question les vestiges de la colonisation concernant l’institution de la musique classique. Je constate de plus qu’il faudra mettre en question le connaisseur Melchior Grimm, l’auteur de la revue Correspondance littéraire, car il est son critique le plus souvent cité suivant la première de 14 Picard était maître d’escrime et rival de la Boëssière, le mâitre d’escrime de Saint-George. La Boëssière assistait le concours que Picard a dû passer afin devenir maitre, après quoi il a constaté que Saint-George était meilleur. C’est pour cela qu’un match a eu lieu en Saint-George et Picard. Saint-George a gagné (Banat 69-70). 15 Le premier chapitre met en question le prestige de ces charges. 16 À la suite de la Querelle des Bouffons, La Comédie-Italienne est devenue la résidence de l’opéra-comique en 1762 (Doe 25). Puisque les opéras de Saint-George jusqu’à la première de La Fille garçon (1787) sont tous des opéras- comiques, cela veut dire que L’Ernestine (1777), La Chasse (1778), L’Amant anonyme (1780), et La Fille garçon (1787) ont débuté au théâtre de la Comédie-Italienne. Le Marchant de marrons (1788), un opéra mis en scène avec des marionnettes, a été composé pour les enfants et Guillaume de tout cœur (1790) a été composé à Lille. 8 la Fille Garçon, le quatrième opéra-comique de Saint-George à débuter à la Comédie-Italienne le 18 août 1787, qui est le plus souvent cité : « Les paroles sont de Monsieur Desmaillot, qui a travaillé avec quelque succès pour nos petits théâtres de boulevarts et du Palais-Royal. La musique est de Monsieur de Saint-Georges, mulâtre plus célèbre par son prodigieux talent pour l’escrime, et par la manière très-distinguée dont il joue du violon, que par la musique de deux opéra-comiques, Ernestine et la Chasse, qui ne survécurent pas à leur première représentation. Le fond de cette pièce ne mérite pas qu'on en parle. Quant à la musique, quoique mieux écrite qu'aucune autre composition de Monsieur de Saint-George, elle a paru également dépourvue d'invention ; les divers morceaux qui la composent rassemblent, et par les motifs, et même par les accompagnements, à des morceaux trop connus. Ceci rappelle une observation que rien n'a encore démentie, c'est que si la nature a servi d'une manière particulière les mulâtres, en leur donnant une aptitude merveilleuse à exercer tous les arts d'imitation, elle semble cependant leur avoir refusé cet élan du sentiment et du génie, qui produit seul les idées neuves et les conceptions originales. Peut- être aussi ce reproche fait à la nature ne tient-il qu'au petit nombre des hommes de cette race à qui les circonstances ont permis de s'appliquer à l'étude des arts (Grimm 448). » Cette critique est évidemment raciste. Pourtant, il semble que certains éléments manquent. Bien qu’il commence la discussion en mentionnant le livret de Desmaillot, il se concentre plutôt sur l’identité racisée de Saint-George afin d’aborder la « nature particulière » 9 des métis17. Par-là, on peut discerner de plus la façon contradictoire dont Grimm utilise le talent de Saint-George d’exécuter de la musique avec le violon afin de mettre en avant son incapacité de créer de la musique. Il se pose donc la question de savoir si le mot « mulâtre » désigne plus qu’une manière offensante de faire référence à une personne métisse. De plus, il est fascinant de constater que Grimm l’appelle Monsieur de Saint-George ou lieu du Chevalier de Saint-George. Si sa position sociale est si convoitée comme les biographes nous l’indiquent, il se pose la question de plus de savoir ce que l’usage de « Monsieur » peut indiquer dans cette critique. 1.2 : Comment effectuer une étude sur Saint-George et Grimm Afin d’effectuer une étude sur la carrière de Saint-Georges en tant que compositeur d’opéra et la critique de Grimm, il convient d’établir la perspective à travers laquelle on peut analyser le contenu. Si l’objectif est de critiquer le racisme ainsi que démanteler la présence de ses vestiges coloniales dans la chronologie de Saint-George, il faudra mettre en avant les aspects de la décolonialité à intégrer aux analyses. Je constate alors qu’il faudra prendre en compte trois éléments. Tout d’abord, il faudra analyser le positionnement des individus en question. Si l’on utilise les auteurs des ouvrage critiques au début comme exemple, c’est grâce à leur positionnement en tant que personnes racisées qu’ils sont mis en question le récit colonial. Autrement dit, ils juxtaposent ce qu’Isabelle Boni Claverie18 appelle la « grande histoire » et la « petite histoire ». Alors que la « grande histoire » représente le récit dominant, voire civilisateur, c’est la « petite histoire » qui représente les expériences vécues par soit des individus, soit des 17 Ribbe constate que « le critique semble vouloir se comporter en homme cultivé » en évoquant des idées des naturalistes, tel que les préjugés de sang et la supériorité de la race blanche (193-194). Il se pose la question de savoir si la race, par la nature, détermine ses capacités. 18 Son documentaire Trop Noire pour être française (2015) entre coupe son histoire personnelle de plusieurs vignettes d’autres français noirs qui racontent les expériences racistes, c’est-à-dire les petites histoires, qu’ils ont vécues. 10 groupes qui vivent en marge de la société. Ces expériences aident à repérer les lacunes à combler dans le récit dominant. Pourtant, étant donné que les effets personnels de Saint-George sont disparus, il faudra déterminer un autre moyen de repérer et examiner les expériences vécues par les gens racisées au cours du 18e siècle. The Archives and the Repertoire (2003) de Diana Taylor présente une approche théorique similaire à celle de la « grande » et la « petite » histoires. Il s’agit de la perspective méthodologique dans laquelle la performance, c’est-à-dire la façon dont nous – les êtres humains – vivons quotidiennement, quelle soit réelle ou construite, permet l’analyse de nos constructions sociales, tel que le genre, la sexualité, la race, etc. (Taylor 3). Les « archives », qui sont l’équivalent de la « grande histoire », représentent la perspective des institutions coloniales qui adhèrent aux archives civilisatrices afin de construire un récit occidental, voire oppressif, soit du passé, soit du présent. Le « répertoire », l’équivalent de la « petite histoire », représente les produits culturels non-occidentaux, telles que les traditions orales ou les danses traditionnelles, qui contiennent une perspective qu’ignore souvent les archives. Scripts of Blackness: Early Modern Performance Culture and the Making of Race (2022) de Noémie Ndiaye présente une variation de cette approche de Taylor dans laquelle elle cherche le répertoire dans les archives. Ndiaye utilise l’exemple d’Elizabeth Ier d’Angleterre et la façon dont elle discute des personnes racisées dans un édit. Elle constate que la reine emploie deux mots différents afin de distinguer les Maures des noirs, et que cette différence signifie la façon dont on les interprétait dans la vie quotidienne à cette époque-là (Ndiaye 12). En d’autres termes, on est capable de repérer la pratique par laquelle on représentait les personnes racisées dans les textes. De manière similaire, cette approche sert à chercher les mêmes thèmes sur la race dans d’autres textes, telle que la critique de Grimm. 11 Cette notion que l’interprétation de notre monde sert à une méthodologie, voire une épistémologie, fait écho chez Soumahoro : « À quel moment et dans quel circonstance le vécu personnel peut-il devenir l’objet intellectuel digne d’intérêt scientifique (42) ? » Je constate également l’importance de déclarer mon positionnement en tant que chercheur. Si je remonte au mois de mai 2020 quand le monde a dû faire face au meurtre de George Floyd tout en témoignant l’entrée du mouvement Black Lives Matter à l’échelle internationale, ces événements ont marqué l’instant où j’ai commencé à remettre en question mon identité en tant qu’allié pour la communauté noire. Jusqu’à ce moment-là, malgré mes valeurs progressives, j’ai hérité de la notion que tout le monde était égal devant la loi. Par conséquent, je n’ai jamais considéré que l’oppression que j’ai vécue en tant que gay était différente de celle des personnes racisées. Pourtant, au cours des dernières années, c’est la littérature antiraciste qui m’a appris que j’avais bien tort. Bien que toutes les formes d’oppression contiennent des similarités, c’est dans la façon dont on les vit que nous pouvons les différencier. Ainsi, c’était mon identité gay qui m’a permis d’accepter la réalité que je n’aurai jamais la capacité de comprendre les expériences vécues par les personnes racisées tout autant que ceux qui ne sont pas de la communauté LGBTQIA+ n’auront jamais la capacité de vraiment comprendre les expériences que j’ai vécues19. La prise de conscience de mes privilèges m’a forcé de reconnaître le mythe qu’explique Ibram Kendi dans son récit Comment devenir antiraciste (2020) : « il n’existe pas d’idée ‘pas raciste’ ; seulement 19 Cette prise de conscience m’a permis de compatir à Saint-George. De tous les mémoires contemporains dans lesquels on discute de sa vie, il n’y a que deux personnes qui n’appellent jamais Saint-George un m****** (Ribbe 110). Depuis un moment, j’imagine une expérience parallèle dans laquelle je trouve par hasard une biographie sur ma vie 250 ans plus tard abordant la tension à l’égard de mon identité en tant que musicien qui travaille dans une église. Afin de soutenir la déclaration que mon identité gay mérite plus que l’oppression homophobe que je vivais, l’auteur cite l’entrée d’un journal intime, venant d’un membre de l’église, qui déclare que « Monsieur Norris savait interpréter les mélodies avec sa flûte traversière comme s’il se sentait conduit par le Saint-Esprit lui-même, malgré le fait qu’il était un pédé ». J’avoue que je ne comprends pas la charge émotionnelle du mot « mulâtre » selon le contexte du 18ème siècle. Pourtant, je connais très bien le pouvoir de certains mots et la façon dont l’oppresseur en tire profit tout en déshumanisant ceux ou celles qui vivent déjà en marge de la société. Je trouve qu’il nous faudra ce mode de pensée afin d’encourager la mise en question de notre positionnement dans la société. 12 des idées racistes et des idées antiracistes (Kendi 33). » C’était à ce moment-là que j’ai pris la décision d’adopter une épistémologie antiraciste selon laquelle je vivrais tous les aspects de ma vie. Aujourd’hui, c’est le moment où je prends la décision d’intégrer cette même perspective dans mon parcours académique. Par conséquent, je m’évertuerai à rendre visible le travail des spécialistes noires à travers mes recherches dans la mesure du possible. Il est tout aussi important de mettre en question l’institution de musique classique en se concentrant sur ceux qui sont en position du pouvoir. Étant donné que la mise en question du canon musical, menée par Citron et McClary, a déjà révélé l’effort de maintenir une tradition allemande, il est évident que l’institution de musique classique reste très blanche. Pourtant, afin de vraiment rendre l’institution inclusive, il est nécessaire de garder à l’esprit les mots de Vergès qui avertissent que « [les Blancs] doivent aussi comprendre la fatigue ressentie quand il faut toujours les éduquer sur leur propre histoire […] C’est toujours aux racisées d’expliquer, de justifier, d’accumuler les fait, les chiffres alors que faits et chiffres, ni sens moral, ne changent quoi que ce soit au rapport de force (Un féminisme décolonial 43). » En tant que chercheur blanc, il semble donc crucial d’examiner les traces coloniales à travers la perspective de la blanchité, une récente branche de la théorie critique de la race, qui nous encourage – les blancs – à reconnaitre « la préconception, le privilège, et la point de vue de notre raisonnement » (Delgado et Stefancic 84). En d’autres termes, l’objectif de la blanchité met en question la construction de la race de manière à examiner le monde blanc, sa culture, ainsi que les éléments qui jouent dans sa position de pouvoir (Delgado et Stefancic 85). Il est donc impératif que les blancs exercent régulièrement leur esprit critique en confrontant toutes les questions concernant la race. C’est dans ce contexte que l’on peut déterminer si l’on se comporte de manière raciste ou anti-raciste ; sans quoi, il se pourrait que l’on puisse perpétuer un concept raciste, ainsi qu’en bénéficier, sans 13 se rendre compte que son récit accompagnant joue dans la société de façon préjudiciable aux personnes des couleurs. C’est également dans ce contexte que l’on peut mettre en question le positionnement de Grimm, ainsi que d’autres personnages historiques blancs, afin de mieux comprendre le monde blanc et sa culture au 18e siècle. Bien que l’objectif de cette étude souligne les expériences des personnes racisées à travers une approche décoloniale, la vie de Saint-George ainsi que tous les enjeux politiques qui en résultent restent néanmoins des éléments du 18e siècle. Même s’il n’est pas aussi éloigné que le Moyen-Âge, l’ancien régime est en effet un autre monde qui suit un code moral entièrement différent par rapport à celui de nos jours. Ce mode de penser joue de plus dans la manière quotidienne dont on considérait la musique. Selon William Weber, « la hiérarchie de la connaissance [musicale] était faiblement définie, et ses hommes instruits n’avaient aucune autorité institutionnelle, ni académique (88). » Par conséquent, tandis que les beaux-arts et la littérature avaient développé un code schématique à l’égard de l’esthétique, on ne peut pas en dire autant pour la musique (Weber 89). Donc, je constate en outre qu’il faudra adopter de plus une perspective herméneutique par laquelle il faudra se positionner auprès d’une épistémologie relativiste. Autrement dit, en tant que chercheur, il est nécessaire de maintenir une perspective dans laquelle l’objectivité se base de manière subjective sur la réalité, c’est-à-dire les expériences sociales que l’on avait vécues, au cours du 18e siècle. Par conséquent, une épistémologie relativiste signifie l’importance de mettre en avant une relative connaissance au regard d’un contexte culturel et historique. Cette notion s’inspire du travail selon Weber, ainsi que d’autres dix-huitièmistes en musicologie, tels qu’Elisabeth LeGuin et Mark Evan Bonds. La façon dont ils emploient un regard rétrospectif leur permet d’examiner de manière authentique le goût et la pratique de la musique. Cette même approche dévoilera d’autres perspectives dans le 14 positionnement de Melchior Grimm en tant que critique musicale au sein d’un monde blanc et sa culture. 1.3 : Le programme de décoloniser la perception actuelle de Saint-George Afin de réaliser cette étude sur la vie de Saint-George, je suivrai le conseil de Ayana Smith et j’adopterai son approche du parcours de multicouches. Il faudra donc lier plusieurs événements historiques ensemble au fils du temps afin d’éviter la possibilité de réduire Saint-George comme personnage historique en la politique de pure forme20 ainsi que de construire un récit historique authentique et inclusif (Smith 6). De plus, il faudra également établir trois liens historiques que je présenterai sous forme de trois chapitres (Smith 7). Dans le premier chapitre, j’examinerai d’abord la façon dont la convergence de la représentation des personnes racisées en France et le traitement des gens racisés dans les anciennes colonies françaises. Il semble que l’évolution de la noblesse de robe est une réponse au refus de l’attitude « libertine21 ». Par conséquent, on verra la provocation qui encourage finalement l’intégration des traits phénotypiques de façon définitive à la matrice raciale analysées de Ndiaye. Afin de contextualiser cette étude, il faudra tout d’abord mettre en question de manière herméneutique la signification du mot « race » afin de tracer l’influence libertine des anciennes colonies françaises sur la métropole. Par conséquent, cette manière de réparer la fracture coloniale permettra la mise en question de l’exceptionnalisme de Saint-George afin de déterminer si ses charges de noblesse étaient vraiment aussi convoitées que l’on croyait. 20 La « politique de pure forme » est l’équivalent de l’anglicisme « tokénisme ». C’est la notion de fournir des efforts symboliques afin de donner l’impression que l’on se préoccupe de rendre visible les expériences de ceux qui vivent en marge de la société. Je constate que l’exceptionnalisme concernant Saint-George, à la suite du mouvement des droits civils, est le symptôme des efforts symboliques d’être à la recherche d’un artiste de descendance africaine jouant un rôle important dans la culture musicale au cours du 18e siècle. 21 La notion d’une attitude “libertine” fait référence à l’immoralité venant des anciennes colonies aux 17e et 18e siècles. 15 Dans le deuxième chapitre, j’effectuerai une analyse de la critique de Grimm sur Saint- George et son opéra la Fille Garçon. Afin d’établir un contexte par rapport aux personnes de couleur et leurs expériences au 18e siècle, j’emprunterai tout d’abord les scripts de blackness que développe Ndiaye dans ses analyses des pièces de théâtre au 17e siècle en tant que moyen de démontrer que les mêmes thèmes étaient aussi vivants au 18e siècle qu’ils étaient le siècle précédent. En revanche, je reprendrai certains thèmes du premier chapitre afin de rajouter une couche supplémentaire concernant les expériences vraisemblablement vécues par des hommes métisses, comme Saint-George, au cours de la dernière moitié du 18e siècle. En maintenant la perspective herméneutique, je constaterai donc que la race indique plus que les traits phénotypiques. Par conséquent, j’examinerai la façon dont les mots péjoratifs, tel que mulâtre, semblent faire référence de plus à sa position sociale afin de renforcer qu’il n’appartient pas à la noblesse ainsi que sa lignée esclavagiste. Dernièrement, je conclurai avec un chapitre final dans lequel j’aborderai une discussion sur la notion de l’injustice herméneutique. Selon Miranda Fricker, l’injustice herméneutique se montre en conséquence de la dissimulation d’une expérience, souvent vécue par un individu ou un groupe en marge de la société, à cause d’un préjugé structurel auprès de la connaissance collective (155). Afin de démontrer à quel point le dévoilement d’une injustice herméneutique aide au démantèlement des traces coloniales de nos jours, j’examinerai le débat sur la justesse concernant la discussion du racisme dans les études du 18e siècle. Selon Frédéric Régent, la critique raciste des Lumières et la discussion du racisme au sein du 18e siècle sont anachroniques d’après une perspective herméneutique alors que les spécialistes décoloniaux, tels que Vergès, Ferdinand, Soumahoro, Ndiaye, et Doris Garraway, constatent l’importance de souligner les expériences racisées. Cette discussion établira de plus un contexte dans lequel je pourrai 16 présenter d’autres exemples qui feront l’objet d’études futures où l’injustice herméneutique semble nuire encore de nos jours la réputation de Saint-George. Tout d’abord, j’examinerai le rôle du philosophe, Melchior Grimm, en tant que fondateur de la revue Correspondance Littéraire. Il partageait ses fermes opinions sur les éléments qu’il considérait appropriés pour l’opéra-comique comme une forme d’art. Cependant, Grimm semble non seulement avoir abandonné la revue, mais également l’avoir laissée entre les mains de ses amis proches afin de devenir un diplomate pour Catherine II de Russie bien avant la première de la Fille-Garçon. De plus, je mettrai en question l’évolution de l’opéra-comique au cours de la dernière moitié du 18e siècle. Alors que les opinions de Grimm au regard de l’opéra-comique semblaient être la norme parmi plusieurs critiques et philosophes au milieu du siècle, une perspective herméneutique démontre que la critique raciste de septembre 1787, qui ne semble pas venir de Grimm, est en effet démodée. Étant donné que la Correspondance littéraire est devenue une source primaire sur laquelle les musicologues de nos jours comptent afin d’étudier la musique du 18e siècle, cette dernière constatation met en question le pouvoir culturel que Grimm, en tant que critique, tient sur l’héritage de Saint-George en tant que compositeur d’opéra. Dayna Oscherwitz, chercheuse en études post-coloniales, constate que l’identité nationale française est toujours en train de se définir (190). Elle met en avant de plus l’importance des œuvres « patrimoniales » dans la vie des immigrés et la façon dont ils leur donnent accès à la francité. Ce sont en effet la perspective des films et de la littérature qui « offrent] un lien unique à la mémoire puisqu’[ils] nous placent, les spectateurs, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de ce qu’[ils] nous dépeignent » tout « en rendant la grande histoire sociale et politique d’une perspective subjective selon la seule expérience imaginative d’un individuel (Oscherwitz 194). » De la même façon, Catherine Reinhardt examine le concept de la mémoire collective et son rôle 17 dans un contexte social. Afin de rendre un récit à la fois historique et représentatif de tous, il faudra contenir des éléments qui se reflètent, d’une manière ou d’une autre, dans la mémoire individuelle de chaque groupe de personne qui constituent la mémoire collective (Reinhardt 14). C’est à travers cette double perspective – la grande histoire avec la petite histoire – que nous pourrons relier le passé au présent. Tandis que l’on apprend à reconnaître les expériences racisées que Saint-George a vécues, on aura l’occasion de lier l’histoire des colonies françaises avec la métropole au 18e siècle, ainsi que les événements du passé avec notre présent. Dans l’ensemble, j’espère que cette étude sur la vie de Saint-George touchera le cœur au fond de chaque lectrice et lecteur alors que son histoire personnelle devienne au fur et à mesure une partie de notre histoire collective pour l’amélioration de notre monde. 18 Chapitre 2 : La « race » du Chevalier de Saint-George Il semble nécessaire de faire remarquer à quel point le sujet d’examiner le racisme a provoqué une rupture dans les études du 18e siècle. D’un côté, on a certains spécialistes qui hésitent à aborder une discussion anachronique sur le racisme auprès du 18e siècle, car, comme le dit Erick Noël, « le concept de racisme n'a effectivement pas encore immergé et à la base le mot ‘race’, tiré de l’italien razza, n'a pas non plus cessé de désigner ‘ceux qui faisaient partie d'une même famille’ (29). » Frédéric Régent partage l’avis de Noël. Il constate que le terme « race » au 18e siècle n’a pas tout à fait le même sens au regard de la biologique, car il contient toujours le sens de lignée ou de parenté comme est le cas avec la noblesse (Régent 72). Dans l’ensemble, ce champ de spécialistes met l’accent sur l’importance d’une perspective herméneutique qui « examin[e] l’usage des termes relevant du lexique de la couleur ou de la race » tout en respectant la signification étymologique (Régent 64). Autrement dit, il est nécessaire d’établir l’objectivité selon le mode de penser et les expériences sociales vécues à l’époque. C’est pour cela qu’ils préfèrent l’usage de l’expression préjugé de couleur qui, d’après eux, évoluera finalement vers notre compréhension moderne du terme raciste. De l’autre, on a en revanche d’autres spécialistes, telle que Noémie Ndiaye, qui met en relief la représentation des personnes de couleur. Spécialiste en l’ère moderne, Ndiaye, présente son concept de la « matrice raciale » en sorte d’expliquer d’abord que le paradigme racial consistait principalement du rang et de la religion juste avant le 17e siècle. (Ndiaye 5). Tandis que les principes coloniaux s’intègrent à la société européenne juste avant le 17e siècle, nous pouvons être les témoins de la manière dont les traits phénotypiques, tels que la couleur de la peau, transformeront la matrice raciale (5). Au fur et à mesure, le terme « sang » assumera finalement un nouvel aspect biologique dont Régent discute. Afin d’observer la façon dont les 19 traits phénotypiques deviendront le troisième élément à redéfinir la matrice raciale se trouvent en repérant la représentation des gens racisés à travers les productions culturelles telle que la littérature, les pièces de théâtre, etc. (Ndiaye 17) 22. Ces représentations racisées, connues sous le nom des « scripts de blackness », étaient déjà présentes dans la société européenne avant le 18e siècle en raison de la culture Ibérique dans laquelle la religion jouait également un rôle (Ndiaye 11) 23. La présence d’une religion non chrétienne d’une population racisée invite à s’interroger à quel point la « race » de noblesse est inextricablement liée à la « race » de religion et la « race » biologique. Il est intéressant de constater que la religion chrétienne joue également un rôle crucial dans les colonies françaises en même temps. Depuis que les Français sont présents dans la Caraïbe, les missionnaires catholiques y voyageaient avec un objectif à l’esprit. Afin de prendre le contrôle complet des régions, ils ont encouragé le mélange entre les Français et les populations esclaves et indigènes (Garraway 201). Pourtant, le témoignage missionnaire constate finalement une perspective négative envers le comportement des Français. Ces colonisateurs, ayant perdu leur position sociale24, « [sont devenus] ceux sans scrupules » et étaient « anxieux de se satisfaire » par la prédominance (Garraway 196). Avant la fin du 17e siècle, le terme « libertinisme » s’établi auprès de l’église dont la vocation est de décrire « l’immoralité, l’hérésie, la violence, et la promiscuité sexuelle » qu’exercent les colonisateurs sur la population indigène et esclave ainsi que le moyen dont on peut identifier les critères pour « menacer le pouvoir royal ou l’autorité religieuse » (Garraway 25). Pourtant, au cours du 18e siècle le pouvoir 22 Ndiaye analyse les textes à travers la théorie de la performance d’après l’approche « les archives et le répertoire » de Diana Taylor afin de repérer les représentations des gens racisées dans les pièces de théâtre (18-19). 23 En raison des efforts novateurs dans la traite Atlantique, le « blackness » était déjà très répandu dans la Péninsule Ibérique au 16e siècle (Ndiaye 11). 24 Après avoir abandonné leur position auprès de la noblesse, le colonisateur français, souvent seul, était à la recherche du réconfort (Davis 3). 20 des colonisateurs pervertit la signification du libertinisme en victimisant les enfants métis afin de punir les mères esclaves en leur attribuant la responsabilité d’avoir comporté de manière libertine (Garraway 204). Dans l’ensemble, l’on peut constater que les colonies françaises représentent une deuxième région dans laquelle la convergence de la « race » de religion et de la « race » biologique joue dans l’intégration des traits phénotypique à la hiérarchisation sociale au détriment des personnes racisées. Étant donné que Saint-Georges, né en Guadeloupe en 1745 en tant qu’esclave métis25, devient Chevalier auprès de la noblesse en France26, il ne devrait pas être surprenant que sa vie est le sujet idéal pour étudier de près l’évolution de la matrice raciale à l’égard du rang, de la religion et des traits phénotypiques. Bien que les spécialistes de Saint-George abordent ses expériences racisées en tant qu’homme d’une descendance africaine, ils semblent toutefois convaincus que la couleur de sa peau ne représentait pas nécessairement un élément qui l’empêchait de s’intégrer aux entourages aristocratiques. Emil Smidak, par exemple, constate curieusement qu’en France les gens métis « étaient souvent les fils des riches ou des nobles blancs et profitaient donc d’une protection puissante » tandis qu’à Saint-Domingue ils devaient plutôt faire face quotidiennement aux préjugés auprès des colons blancs (90). Quant à Gabriel Banat, il constate que « les gentilhommes de la grande société avaient de l’estime pour sa prouesse athlétique et ses manières impeccables tandis que les grandes dames étaient charmées par son charisme, sa musique, son apparence ‘exotique’, et sa chevalerie (457). » Même Ribbe, qui utilise autrement une épistémologie antiraciste27 dans sa biographie de Saint-George, 25 Saint-George est né le 25 décembre 1745 à Basse-Terre en Guadeloupe (Ribbe 57). Bien qu’il soit possible de voir que Saint-George est né en 1739, on était capable de confirmer la date de 1745 avec les archives concernant d’autres événements (Ribbe 250). 26 Saint-George était en possession de deux charges et d’un titre. Voir en page 33. 27 Ibram Kendi constate qu’il n’existe que les racistes et les antiracistes. Étant donné qu’il n’était que récemment commun d’adopter une épistémologie antiraciste dans la discipline de musicologie, il est probable que le travail de 21 constate également que ses charges de noblesse étaient « rares et très [convoitées] » ainsi qu’une « promotion spectaculaire (94). » La manière dont ils décrivent Saint-George auprès de l’aristocratie donne l’impression que ses talents et sa position sociale étaient si exceptionnels que son blackness œuvre presque en sa faveur28. De plus, bien qu’il soit clair que Saint-George n’était pas asservi au même niveau de violence racisée que les métis à Saint-Domingue, la façon dont Smidak juxtapose la fortune familiale de Saint-George et l’atmosphère dans les colonies diminue néanmoins l’importance de mettre en question la condition raciste en France. Ces observations posent la question de savoir si l’exceptionnalisme de Saint-George voile des lacunes par rapport à la relation entre les colonies et la métropole. Selon David R. M. Irving, l’auteur d’une critique littéraire sur la biographie de Banat29, constate que « les conséquences du métissage et des musiciens non-européens travaillant au plus haut niveau de la société auprès de l’ancien régime méritent une lecture attentive d’après une perspective post-coloniale (126). De la même manière, Régent explique que les études sur la race au 18e siècle au sein de l’université se concentrent sur les œuvres des philosophes des Lumières à la place des colonies (65). On peut même voir que les réformes mises en place au sein de la noblesse de robe au cours du 18e siècle semble également indiquer un rapport entre les colonies et la métropole. David Bien, historien de la nobilité française, constate que la noblesse perd sa légitimité au cours du 18e siècle, car la marchandisation des charges vénales30 a permis l’accès aux privilèges aux roturiers31 (18). De Banat, Bardin, Guédé, et Smidak contiennent certains éléments racistes. Pourtant, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas apporter une grande contribution à l’établissement de la chronologie de Saint-George. 28 Ndiaye utilise blackness avec la lettre “b” en minuscule pour faire référence aux descriptions normatives alors que Blackness avec la lettre “B” en majuscule concerne ses propres expériences en tant que femme noire de nos jours (29). 29 Afin de lire cette critique littéraire dans son intégralité, veuillez consulter Early Music, vol. 36, no. 1, 2008, pp. 125-127. 30 Par tradition, l’on héritait les titres de noblesse de génération en génération. Les charges vénales sont devenues les titres de noblesse que l’on pouvait acquérir en les achetant. 31 Un roturier est un non noble, souvent un riche membre de la bourgeoisie, en possession d’une charge vénale. 22 plus, il affirme que l’opinion publique trouvait que la noblesse devenait inefficace, surtout ceux dans l’armée après avoir perdu la guerre de Sept Ans (190). Si l’on reprend la notion du libertinisme dans les colonies, il est de plus fascinant de faire remarquer que les critiques contemporains attribuaient à l’armée la responsabilité d’être devenue inutile en raison de « [s’être retourné] vers la vie oisive et libertine (Bien 191) ». On peut confirmer la présence des lacunes entre la métropole française et ses colonies d’après les observations de Jennifer J. Davis. Elle constate que la littérature de voyage, souvent sous forme de la littérature libertine des colonies, influençait la notion de la moralité et la sexualité dans le monde francophone (Davis 15). Cette situation se traduisait en France avec l’adoption du terme « libertinisme », qui faisait souvent référence aux membres des familles de noblesse avec une réputation des mœurs légères à la fin du 18e siècle (Davis 10). On peut donc constater qu’il y avait évidemment un fort lien entre la France et ses colonies. Par conséquent, le libertinisme semble se répandre dans le monde francophone. En prenant compte de Saint-George en tant que chevalier, il se pose la question de savoir dans quelle mesure le libertinisme influençait son intégration à la société française. Autrement dit, il faudra examiner l’influence libertine sur la société française, surtout la hiérarchisation de la noblesse, à travers la vie de Saint-George. C’est pour cela que je constate donc l’importance d’examiner de près la façon dont les traits phénotypiques se rajoutent à la matrice raciale en tant que troisième catégorie hiérarchique, à part la religion et le rang, au cours du 18e siècle. Il sera donc nécessaire de mettre en question la convergence de l’organisation politique, telle que la différence entre la noblesse d’épée et la noblesse de robe, et celle de la religion auprès de la société française. Je constate de plus l’importance de mettre en avant deux perspectives en analysant la matrice raciale et son évolution. Premièrement, il faudra employer une perspective 23 herméneutique d’après Régent dans laquelle on pense au terme « race » selon le sens de lignée ou de parenté. Ce sera ainsi que l’on peut analyser les textes libertins et juridiques, tels que le Code Noir, des lettres, et des arrêts, de manière authentique. Deuxièmement, il faudra déterminer la manière dont on peut effectuer et contextualiser cette analyse auprès des expériences vécues par Saint-George. Bien que l’on puisse confirmer une forte présence concernant la représentation collective des gens racisés depuis le 17e siècle32, il est en effet rare d’avoir accès aux expériences vécues par des gens racisées. Dans l’ensemble, on aura une nouvelle perspective dans laquelle nous pourrons prendre en compte l’historiographie concernant le rapport entre les colonies françaises et la métropole. Par conséquent, notre nouvelle connaissance de la noblesse à l’égard de la « race » dévoilera finalement la vraie position sociale de Saint-George afin de mettre en question l’accent sur l’exceptionnalisme de sa chronologie. 2.1 : La mise en contexte de la noblesse au cours de l’Ancien Régime Avant d’examiner l’influence libertine sur la hiérarchisation de la noblesse auprès de la vie de Saint-George, il semble crucial de situer le contexte dans lequel la matrice raciale fonctionne. Selon Ndiaye, la matrice se reflète dans la « structure dynamique au regard des relations de pouvoir qui est du système (6). » C’est-à-dire que la matrice raciale non seulement maintient une hiérarchie de pouvoir selon les critères classificateurs, mais elle est également toujours en train d’évoluer. Elle constate de plus que l’évolution perpétuelle est non seulement en raison de la manière interconnectée dont les critères classificateurs renforcent la hiérarchisation, mais également en conséquence de sa façon de se reproduire (Ndiaye 7). Donc, je constate qu’il faudra mettre en avant deux exemples dans lesquels toute combinaison du rang, de la religion, et 32 Cette déclaration fait également référence à la culture Ibérique en conséquence de la pratique novatrice de la traite atlantique au 16e siècle (Ndiaye 11). 24 des traits phénotypiques joue dans la hiérarchisation de la société française. D’abord, j’examinerai la façon dont le rôle de la religion en tant que critère classificateur renforce la supériorité de la noblesse d’épée au regard de la noblesse de robe et des roturiers d’après la hiérarchie sociétale au tournant du 17e siècle à la suite des Guerres de Religion en France. Afin de constater la manière dont les traits phénotypiques s’intègrent à la matrice raciale auprès de la religion, j’examinerai également la représentation des gens racisés en raison de l’influence de l’Espagne sur la France au 17e siècle. Bien que certains éléments de ces deux exemples ne soient plus nécessairement pertinents au regard de la vie de Saint-George, la qualité régénérante de la matrice raciale établira néanmoins un modèle sur lequel on pourra baser les événements du 18e siècle. Autrement dit, la contextualisation de la matrice raciale du siècle précédent permet un moyen selon lequel on peut analyser la hiérarchisation et l’évolution de la nobilité auprès de la vie de Saint-George et sa famille. Afin de contextualiser la mesure dans laquelle le rang et la religion joue dans la matrice raciale, il semble nécessaire de distinguer la différence entre la noblesse d’épée et la noblesse de robe. D’après Régent, il est important de constater de nouveau qu’au 17e siècle le terme « sang » signifie le sens de « lignée » ou de « parenté au lieu d’évoquer la notion phénotypique. Donc, étant donné que ce mode de penser accorde l’importance sur l’héritage familial, les familles de la noblesse d’épée consiste des familles les plus distinguées en raison des titres militaires qui ennoblissent non seulement les titulaires, mais aussi garantissent le droit de les transmettre de manière héréditaire de génération en génération (Ndiaye 5). Le droit aux privilèges héréditaires est une tradition en sorte qu’elle est la « récompense de son service militaire et de son sacrifice d’avoir défendu l’État (Bitton 27) 33. » Pourtant, en raison d’une « crise de classe » auprès de la 33 Il y avait de privilèges accordés aux titulaires de noblesse selon le titre. Le droit au l’héritage des titres était le plus convoité. 25 noblesse34, le 16e siècle provoque une évolution dans laquelle la noblesse mettra en question la pratique de combattre les guerres. Par conséquent, on peut constater un déplacement du pouvoir dans la société de l’ancien régime. Après l’annonce de l’édit de 1567 et l’introduction des charges vénales, la noblesse de robe est effectivement née avec la création de cinquante positions sous forme du titre du commissaire des conduites de la gendarmerie (Gibiat 15). En d’autres termes, ce corps de la noblesse s’occupe des tâches administratives. De plus, il est la première fois que l’on a la possibilité d’acheter des charges de noblesse au lieu d’en hériter. Pourtant, ces charges n’engendrant aucuns privilèges héréditaires, la noblesse d’épée maintient un sentiment de supériorité. Le rang en termes de critère classificateur devient plus complexe. En plus de la hiérarchie fondamentale de l’ancien régime35, la notion de « parenté » divise effectivement la noblesse. De plus, il existe désormais une barrière qui empêche la noblesse de robe de faire l’ascension en les privant des droits aux privilèges héréditaires. Au cours des siècles suivants, on verra que la noblesse d’épée fera quoi que ce soit afin de maintenir sa position de supériorité dans la société. Le tournant du 16e siècle marque une période cruciale pour la nobilité en sorte que le ban et l’arrière-ban36, une stratégie de lutte en guerre, devient de plus en plus démodé. Par conséquent, les nobles d’épée commencent à chercher les moyens d’éviter à participer à la guerre tout en perdant en même temps la manière dont elle avait démontré leur unité en tant que classe, voire une « race » militaire (Bitton 28). Puisque les non-nobles, ou les roturiers, avaient déjà 34 Bitton explique qu’au 16e siècle l’État commence à devenir endetté en conséquence des guerres, et que les Français commence à critique la position supérieure de la noblesse (1). 35 La société peut être divisée en trois catégories : la noblesse, le clergé, et le tiers état. 36 Cette stratégie compte sur les suzerains de rassembler leurs vassaux afin de défendre le royaume du roi (Bitton 28). 26 travaillé d’engagements temporaires afin d’avoir auparavant assisté les nobles à la guerre, il n’est pas donc étonnant que les roturiers commencent à les remplacer dans l’armée (Bitton 30). Au cours du 18e siècle, ces genres petits postes sont finalement devenues synonymes avec le terme « à poste fixe » (Gibiat 16). Par conséquent, on voit se produire le début d’une tension entre les roturiers et la noblesse d’épée similaire à celle qui se trouve déjà entre la noblesse d’épée et la noblesse de robe. Bien que la noblesse d’épée continue néanmoins à se retirer du service militaire, elle profite quand même de ses privilèges tandis que l’État n’accorde aucuns privilèges aux roturiers (Bitton 33). Quant à l’occasion rare dans laquelle un roturier riche est capable de pénétrer la noblesse de robe par l’achat des charges vénales, on commence à lui attribue la responsabilité d’avoir détruit la classe de noblesse (Bitton 23). Cette disparité sociale suscite deux idées. Tout d’abord, la noblesse d’épée n’a pas besoin de faire quoi que ce soit afin de mériter ses privilèges. Par conséquent, sa supériorité, marquée par le droit aux privilèges héréditaires, se renforce également en tant que « sang » ou « race » pure de la noblesse. Tandis que la noblesse se fractionnent d’après les changements sociaux, la religion joue également un rôle en renforçant la supériorité de la noblesse d’épée. Au 16e et 17e siècles, les guerres de Religions provoquent une politique intense en France entre les catholiques et les protestants (Bitton 3). Grâce aux archives, on peut constater que les nobles étaient en général accusés d’avoir profité des guerres civiles afin de faire des ravages en pillant la propriété du parti d’opposition (Bitton 12). Pourtant, c’est la façon contradictoire dont ils décrivent les catholiques par rapport aux protestants qui s’impose relativement à toute question d’importance selon la religion en tant que critère classificateur. Par exemple, tandis que les nobles au service du rois étaient fiers d’être catholique, les huguenots étaient les nobles associées aux rebelles coupables 27 d’avoir influencé les roturiers de participer aux efforts contre le roi (Bitton 11) 37. De plus, on peut constater la peur que la noblesse exprimait envers la conviction protestante. Selon les critiques contemporains, la soif de dénoncer les privilèges héréditaires au profit de la noblesse de robe se reflétait dans le besoin pour le protestantisme de devenir la principale religion en France afin d’exterminer la noblesse d’épée et le clergé (Bitton 25). On peut même constater la façon dont la religion jouait un rôle dans la fonction des colonies. Après que Louis XIV révoque l’Édit de Nantes, les colonisateurs d’origine protestante avaient besoin de convertir au catholicisme afin d’avoir le droit de commercer dans les colonies françaises38. C’est en examinant le rapport entre le rang et la religion que ce contexte nous permet de discerner la manière dont les deux critères travaillent ensemble. La noblesse d’épée se voyait supérieure aux autres non seulement à cause de leur « race », mais aussi à cause de leur identité catholique. C’est-à-dire que ces deux critères classificateurs deviennent la raison pour laquelle la noblesse d’épée est capable de maintenir sa position du pouvoir. En revanche, la noblesse de robe, ainsi que les roturiers qui avaient la capacité d’y pénétrer, se voyaient inférieurs parce qu’ils n’avaient pas le droit aux privilèges héréditaires. Donc, ils étaient de plus associés à la version impure de la religion, à savoir le protestantisme, d’après la supériorité du catholicisme. Alors que le système hiérarchique de la religion est superposé sur celui de la noblesse, le pouvoir de la noblesse d’épée se renforce tout en regénérant une nouvelle hiérarchie qui positionnera finalement la noblesse de robe en dessus des roturiers. Il est en effet cet environnement que l’on reprendra afin d’examiner l’intégration des traits phénotypiques à la matrice raciale auprès de la vie de Saint- George. 37 Les huguenots se considéraient comme étant protestants en France. 38 La révocation de l’Édit de Nantes a forcé les ancêtres de Saint-George, d’origine hollandaise, de faire semblant d’être catholique, car c’était interdit pour les catholiques d’échanger des marchandises avec les protestants, y compris les non-français (Ribbe 50). 28 Bien que ce ne soit qu’en 1685 que le Code noir donne des ordres concernant la manière dont les colonisateurs doivent traiter les esclaves et les personnes indigènes dans les colonies, les traits phénotypiques s’étaient déjà intégrés à la matrice raciale en France selon la représentation des personnes racisées en raison de l’influence de l’Espagne sur la France depuis le début du 17e siècle. Si l’on reprend l’approche de Ndiaye, on peut discerner ce qu’elle appelle le « script diabolique de blackness ». Il se manifeste par l’interprétation, soit physiquement, soit allégoriquement, du diable sur la scène de théâtre en faisant référence au rôle d’un personnage racisé (Ndiaye 35). Le symbolisme du diable dans les pièces de théâtre révèle que l’esprit des Français était déjà sous l’influence d’associer une représentation négative à une personne de descendance africaine. Cette représentation est également fascinante si l’on en prend compte l’histoire française concernant la colonisation et la traite atlantique. Contrairement à l’Espagne, la France ne s’était toujours pas lancée dans la colonisation au tournant du 17e siècle (Ndiaye 45). On peut voir alors que les scénarios de certaines pièces de théâtre révèlent que les dramaturges employaient ce « script de blackness » afin d’influencer le mode de penser en France. Comme exemple, l’intrigue de La tragédie françoize d’un More cruel (1613) d’Abraham Coustrurier emploie le « script diabolique de blackness » comme un prétexte de prévenir le public de la Légende Noire39 afin de « [dénoncer] l’échec au regard de l’éthique concernant le système colonial (46) ». Il fallait faire attention à ne pas répéter les actes de violence des Espagnols du siècle précédent avant de se lancer dans la colonisation et la traite atlantique. Même si la vaste majorité des Français n’a jamais vu de personne racisée de leur vie, ils étaient néanmoins conscients de leur existence ainsi que de leur position inférieure dans la hiérarchie sociétale afin de renforcer la supériorité de la « race » française. 39 Selon les européens non-Ibériques, la croyance répandue au 17e siècle constatait que les Espagnol et les Portugais étaient barbares à cause de leurs efforts novateurs dans le Nouveau Monde (Chung 74). 29 Si l’on tient compte de l’échec de l’Espagne par rapport à la Légende Noire, on peut se poser de plus la question de savoir si la notion d’une personne racisée provoquait également peur parmi les Français. Il faudra donc mettre en relief le lien entre le « script diabolique de blackness » et le titre en référence aux Maures. Ndiaye constate que la gravure de bois pour La tragédie françoize d’un More cruel dépeignant également une personne noire en juxtaposition d’autres Espagnols blancs semble indiquer la pratique de barbouillage dans l’interprétation de la mise en scène (48). En ce qui concerne l’intrigue, le More, un esclave, se venge de son maître, Riviery, en violant sa femme ; Riviery arrive sur scène afin de le supplier d’épargner sa femme ; le More, au sommet d’une tour d’un château, accepte l’appel avant d’épargner la femme et de la jeter de la tour. Coustrurier, le dramaturge, semble vouloir souligner alors le besoin de se méfier de personnes racisées qui pratiquent une religion non chrétienne. On peut constater alors qu’en France la religion en tant que critère classificateur se sert des traits phénotypiques afin d’établir non seulement la supériorité du catholicisme par rapport à la fois musulman, mais aussi de reconnaître implicitement la supériorité des Européens blanc par rapport aux Maures. 2.2 : L’évolution de la matrice raciale selon la vie de Saint-George Afin d’examiner l’évolution de la matrice raciale auprès de la noblesse de Saint-George, il faut mettre en question la mesure dans laquelle le libertinisme des colonies française influençait la société française et la hiérarchisation de la noblesse. Après avoir analysé les deux exemples de l’évolution auprès de la matrice raciale au cours du 17e siècle, il semble évident que la « race » de religion est le point en commun dans laquelle une nouvelle hiérarchie sociale s’établit en renforçant la supériorité d’une position de pouvoir. Autrement dit, tandis que la « race » de religion renforce la supériorité de la noblesse d’épée au 17e siècle à la suite des Guerres de Religion entre les catholiques et les protestants, la « race » de religion se sert de plus des traits 30 phénotypiques afin de renforcer la supériorité du catholicisme par rapport à la fois musulmane dans la Péninsule Ibérique en même temps. Si l’on en prend compte de la nature interconnectée des critères classificateurs à l’égard de la matrice raciale, il se pose la question de savoir s’il est possible que le catholicisme permette aux traits phénotypiques de s’intégrer à la matrice raciale dans la Péninsule Ibérique tout en faisant implicitement pareil par rapport à la hiérarchisation de la noblesse. Il semble qu’une tendance similaire se présente au début du 18e siècle. David Bien, l’historien de la noblesse française au 18e siècle, fait remarquer que les critiques contemporains dans les années 1740s aborde le sujet de l’illégitimité de la noblesse en raison d’une attitude libertine (191). En même temps, Davis constate que la littérature libertine des colonies influençait la notion de la moralité et la sexualité dans le monde francophone en faisant souvent référence aux membres de la noblesse coupables d’une réputation des mœurs légères (10). Par conséquent, je constate l’importance d’examiner de près la façon dont le libertinisme, en tant que forme de moralité, voire de religion, se sert des traits phénotypiques en analysant la matrice raciale. Il sera donc nécessaire d’employer une perspective herméneutique d’après Régent dans laquelle on continuera à penser au terme « race » selon le sens de lignée ou de parenté afin d’analyser les textes libertins et juridiques, tels que le Code Noir, des lettres, et des arrêts, de manière « objective » selon l’époque. Dans l’ensemble, la vie de Saint-George et sa famille serviront à contextualiser l’analyse de l’évolution de la noblesse à travers les expériences qu’ils ont vécues. Par conséquent, on aura non seulement une nouvelle perspective dans laquelle nous pourrons prendre en compte l’historiographie concernant le rapport entre les colonies françaises et la métropole, mais aussi une nouvelle connaissance de la noblesse à l’égard de la « race » afin de dévoiler la vraie position sociale de Saint-George. C’est ainsi que nous pouvons mettre en question la mesure dans laquelle l’exceptionnalisme joue dans la vie de Saint-George. 31 Il faut faire remarquer que la position sociale au regard de la famille étendue de Saint- George semble aussi exceptionnelle que la sienne. Par exemple, son père, Georges Bologne, vient d’une famille antillaise qui vivait de génération en génération en Guadeloupe depuis 1671 (Ribbe 51). Même s’il est le cadet de sa famille, Georges Bologne hérite des affaires familiales en tant que propriétaire de plantation et devient Georges Bologne de Saint-George40, le très riche sucrier de Basse-Terre, Guadeloupe (Ribbe 57). Dès qu’il accompagne son fils en France, il prendra de plus possession d’une charge de gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi, un département qui se trouve dans la Maison du roi (Ribbe 88). Comme lui, son frère ainé, Pierre III de Bologne, a été envoyé en France pour avoir « l’éducation soignée d’un jeune gentilhomme » (Ribbe 53). Ayant décidé de rester en France afin poursuivre la vie d’un philosophe, Pierre fait également l’ascension à la noblesse en prenant possession d’une charge en tant que secrétaire du roi (Ribbe 54). Les frères Bologne ont également trois sœurs, dont l’aînée et la cadette finiront par célébrer des mariages prestigieux. En ce qui concerne Christine, l’aînée, elle deviendra une veuve deux fois. Alors que son deuxième mari Guillaume de Chambard de Jonchères, capitaine d’infanterie au régiment de la Marche, lui laisse un manoir délabré, c’est son premier mari Martial de Thibaut, le vicomte de Servanches, qui lui laisse le château de Servanches (Ribbe 52). Quant à Catherine, la sœur cadette, elle se marie avec le comte Clément de Galard-Béarn et devient la comtesse de Galard, la prochaine génération d’une famille de noblesse d’épée qui remonte jusqu’aux Mérovingiens (Ribbe 53). Il ne serait pas surprenant si l’on constatait que la famille de Saint-George augmentait l’exceptionnalisme de sa vie. Pourtant, sans savoir le contexte de la hiérarchie sociale, surtout au cours du 18e siècle, les nuances entre les positions sociales au regard des membres familiaux ne sont pas évidentes. 40 Dans le cadre de cette étude, je réserverai le titre « Saint-George » afin de faire référence à Joseph Bologne. Si j’aborde une discussion sur son père, je lui ferai référence uniquement par son nom, George Bologne. 32 En prenant compte de la manière dont la réputation libertine lie l’illégitimité de la noblesse auprès de l’armée avec l’immoralité sexuelle de la noblesse, il se pose la question de savoir si jamais l’on a attribué la responsabilité à Saint-George d’être un libertin. Étant donné que les trois charges que possédait Saint-George étaient en effet celles au sein de l’armée, il semble possible. Il a commencé par être en possession de la charge de Contrôleur Ordinaire des guerres en plus de prendre le titre d’Écuyer en 1763 afin de finir par rajouter la troisième, celle de Gendarmes de la Garde, contrôleur des troupes de la Maison du Roi, en 1764 (Bardin 60). Or, en attirant l’attention sur la façon dont les traits phénotypiques s’intègrent à la matrice raciale à travers le libertinisme dans les colonies française, il ne serait pas étonnant de faire remarquer si l’on traitait Saint-George de libertin à cause de son métissage. Si on remonte au 17e siècle, on peut mettre en question la vraie position sociale de Saint- Georges, car les colonies employaient la loi romane Partus sequitur ventrem afin de déclarer que les enfants d’une esclave doivent héritier le statut de leur mère (Garroway 202). Il y avait initialement une exception réservée pour l’affranchissement des enfants métis. Dans ce cas, le père devait s’occuper de l’enfant jusqu’à son 12e anniversaire comme une punition d’avoir commis un acte libertin (202). En d’autres termes, les colonisateurs blancs, en raison de manifester une dominance absolue, étaient à l’origine punis pour avoir violé les femmes esclaves. Pourtant, en 1680 le Conseil supérieur de la Guadeloupe, afin de ne plus récompenser la mère esclave avec la possibilité d’accorder la liberté aux enfants métis, renforce la loi romane en l’imposant à tous les enfants nés d’une esclave, y compris les enfants métis (Garroway 203). En même temps, une nouvelle loi défend de plus une femme esclave de « refuser de se marier [à son égal] », car le colonisateur blanc, incapables de maîtriser ses pulsions sexuelles violentes, commence à attribuer à la femme esclave la responsabilité d’une « séduction libertine » afin 33 de « concevoir des mulâtres libres » (Garroway 204). Autrement dit, les colonisateurs blancs les exploitent afin de rejeter la responsabilité d’être tombée enceinte tout en renversant le récit libertin. Au fur et à mesure, au lieu d’être considéré innocent, on commence à également attribuer à l’enfant métis la responsabilité d’être susceptible aux immoralités libertines comme sa mère (Garroway 205). En d’autres termes, l’enfant métis hérite non seulement le statut d’esclave, mais aussi la réputation libertine à travers le « sang » ou la « race » de rang de sa mère. Donc, on peut déterminer que Saint-George, en dépit de ses charges de noblesse, semblait toujours rester au moins un esclave en Guadeloupe. Il se pose la question de savoir dans quelle mesure le libertinisme influence la position sociale de Saint-George en France. La « peur » que les colons ressentissent à l’égard de la séduction libertine de l’esclave mère et l’enfant métis semble faire écho dans l’esprit des Français. Ce n’est que cinq ans après que le Conseil supérieur de la Guadeloupe renforce la loi romaine que la France institue l’Édit de mars de 1685, qui sera plus tard connu sous le nom du Code Noir. Les similarités sont étonnantes. La version du Code Noir de 1727 déclare également que l’enfant doit hériter son statut de sa mère esclave (Louis XV 4). De plus, ce texte défend aux curés, aux prêtres, et aux missionnaires de marier des esclaves avec les non-esclaves, y compris les Noirs affranchis ou libres (Louis XV 3). Ce texte légal semble démontrer deux choses. D’abord, il est clair que la métropole emprunte le rôle exploitable des personnes racisées déjà mis en place par les colonies. Par conséquent, il semble probable que le récit libertin, c’est-à-dire que les personnes racisées sont sexuellement immorales, sera également emprunté afin de renforcer la représentation des gens racisées en France ainsi que la façon dont les traits phénotypiques s’intègrent à la matrice raciale. Pourtant, il est clair que de manière similaire à ce qui s’est passé dans la Péninsule Ibérique au regard de l’arrivée des Maures, on constatera que 34 d’autres critères classificateurs se servent des traits phénotypiques afin de préserver la position de pouvoir pour les colonisateurs ou la noblesse d’épée en France. Il faudra en revanche déterminer la façon dont l’évolution de la noblesse joue un rôle dans la vie de Saint-George. À l’égard de la noblesse en France, l’édit de 1704 indique une nouvelle position officielle concernant le système des titres d’ennoblissement. Cette réforme invite de plus à s’interroger sur la position de Saint-George en tant que chevalier. En ce qui concerne la Maison militaire du roi, les réformes s’occupent des commissaires provinciaux des guerres, à l’origine une charge de la noblesse de robe, qui « font ‘souche de noblesse’ à compter de vingt ans consécutifs d'exercice de la charge par des membres d'une même famille. Ils reçoivent seuls désormais le droit de serment des officiers d'épée, en argent, proportionnellement aux grades (Gibiat 24). » En d’autres termes, après 20 ans de service en tant qu’un officier de la noblesse de robe, on peut devenir officiellement anobli au sein de la noblesse d’épée. Cette réforme est cruciale dans le sens traditionnel qu’il fallait auparavant démontrer au moins quatre générations familiales de noblesse afin d’avoir le droit aux privilèges héréditaires. Bien, qui examine d’autres titres d’ennoblissement, précise d’autres détails concernant cet édit qui illuminent la facilité dont on peut accéder aux droits héréditaires. Tandis qu’un non-noble, en possession d’une charge vénale, reste un roturier en démissionnant de son poste avant 20 ans de travail, l’autre qui « décédé en fonction avant même d’avoir accompli 20 ans de service [est] la bienvenue au Second État (Bien 81) ». C’est-à-dire que l’on peut acheter une charge vénale et devenir anobli dans la même année. C’est en effet le cas pour René Duplessis qui, en 1717, est mort de l’âge de 84 ans et a par conséquent anoblit sa famille en même temps (Bien 83). Ces observations posent la question de savoir si Saint-George était vraiment un chevalier. Si l’on examine la durée dans laquelle Saint- George reste en fonction de ses premières charges de noblesse (celle de Contrôleur Ordinaire des 35 guerres ainsi que le titre d’Écuyer), on peut constater qu’il n’en était en possession que pendant 11 ans (Bardin 60). On a l’impression que le cas sera similaire à l’égard de sa troisième charge41 (celle de Gendarmes de la Garde, contrôleur des troupes de la Maison du Roi). Donc, cela veut dire que Saint-George n’était qu’un roturier pour toute sa vie, et qu’il n’a jamais été anobli. Dans l’ensemble, dès que le18e siècle, on voit que la noblesse d’épée commence à perdre sa supériorité par rapport à la noblesse de robe et aux roturiers. Après seulement 20 ans de service et un versement d’argent, ces deux derniers sont fondamentalement identiques en termes de privilèges héréditaires. Il faut juste déterminer une possibilité d’expliquer la raison pour laquelle Saint- George ne restait qu’un roturier. Au milieu du 18e siècle, un changement de mode de penser collectif se montre auprès de la société française. La notion consiste du principe que « la noblesse devrait être la récompense du mérite, et non être vendue à des personnes dont le seul mérite était l’argent (Bien 76). » Il y avait même l’opinion que celui d’une famille bourgeoise qui fait finalement l’ascension à la noblesse d’épée fait l’effort de s’éloigner autant que possible de son origine afin d’oublier son passé en tant que roturier (Ribbe 54). Or, comme Bien l’explique, il était tout à fait possible pour l’État de créer plusieurs offices qui finissent par rester libres (98). Dans ce cas, il semble que l’État aurait néanmoins désespérément besoin des gens pour acheter les charges vénales disponibles. Il est évident alors que le nouveau mode de penser collectif est en réponse des non nobles, tels que la bourgeoisie ou les roturiers, qui étaient par conséquent capables de prendre possession du reste des charges vénales. Quant à la Maison militaire du roi, le corps des commissaires des guerres remarque un déclin de légitimité au regard des charges de noblesse de 41 Bardin constate que l’acte pour la charge de Contrôleur Ordinaire et le titre d’Écuyer est actuellement le seul connu acquiert par un métis (59). On peut simplement présumer donc que l’acte au regard de la charge de Gendarmes de la Garde, contrôleur des troupes de la Maison du Roi n’a pas encore été retrouvé. 36 1750 à 1760, car les sujets admis au corps « ont largement contribué à leur discrédit (Gibiat 476). » Pendant la période de 1760 à 1780, le corps des secrétaires du rois remarque une plus grande diminution de légitimité. Seulement un membre sur trois de la Grande Chancellerie, qui s’y était engagé les 20 ans pour devenir anobli, pouvait vendre ses titres rapidement42 (Christofferson10). Il est également fascinant de noter que les années 1760s marque de plus la période dans laquelle la tension concernant l’intervention des magistraux catholiques de contrôler les mariages protestants commence à s’amoindrir (Christofferson 8). Il se pose alors la question de savoir dans quelle mesure l’élimination d’un aspect de critère classificateur, autrefois extrêmement crucial à l’évolution de la noblesse d’épée, joue dans le développement imminent concernant la noblesse. Il semble inévitable que la matrice raciale se servira d’un nouveau critère classificateur afin de finalement maintenir la supériorité de la noblesse d’épée. En examinant la manière dont la croissance de la noblesse de robe à l’égard des charges vénales diminue la légitimité de la noblesse, la position sociale de Saint-George et de sa famille se présente de plus en plus moins exceptionnelle. Quant à Saint-George, sa vie en tant que roturier invite à interroger la mise en question de la qualité des titulaires des charges de noblesse au cours de la dernière moitié du 18e siècle. Il faut constater que les charges vénales semblaient faciles à obtenir, y compris celles auprès de l’armée. Comme Gibiat l’explique, « l’état de commissaires des guerres de la Maison du roi constitue donc moins une profession propice à l'illustration de talents d'individuel qu'une étape dans l'ascension d'hommes nouveaux sociaux de la reconnaissance sociale de l'épée, au cours d'un processus d'ennoblissement (86). » Malgré la possibilité d’économiser de l’argent auprès de l’État, les réformes semblent avoir affaibli la totalité de la noblesse. D’après le public, les charges de commissaire des guerres deviennent 42 À part la mort, on ne pouvait que renoncer une charge vénale en étant remplacé par une autre personne. Dans les archives, on peut constater que Saint-George remplaçait Pierre Renault de Roncins après son décès (Bardin 59). 37 « une forme de sinécure » (Gibiat 137). » Étant donné que Saint-George retenait sa charge de Gendarmes de la Garde, Contrôleur des troupes auprès de la Maison militaire du roi, il se pose la question de savoir dans quelle mesure l’affaiblissement de la noblesse lui a permis de prendre cette charge. Pourtant, cette « crise de vénalité » se trouvait néanmoins dans tous les établissements dans lesquels se vendaient les charges vénales. C’est pour cela qu’il est tout d’abord fascinant de constater que Saint-George a pris possession de la charge et du titre et a commencé à s’engager à l’armée à l’âge de 17 ans. Chose intéressant, il fallait que Saint-George ait de plus accordé une dérogation, car le titulaire devait normalement être âgé de 25 ans (Ribbe 253). Autrement dit, le fait que Saint-George était dans l’armée avec 7 ans de moins de l’âge requit semble soutenir la notion que l’État était prêt à accepter la candidature de n’importe qui. Même si l’opinion populaire est que la noblesse de robe est simplement devenue un moyen de faire l’ascension envers la noblesse d’épée, il semble important de souligner que l’État, focalisant sur les moyens de faire de l’argent, jouait également un rôle dans délégitimation de la noblesse. La conséquence d’avoir construit la noblesse au sein de la vente des charges vénales se montre également selon l’expérience de George Bologne, le père. Il se pose de plus la question de savoir si sa charge de gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi était vraiment convoitée. À cause des guerres civiles, « [les] offices restent une source de revenus importants pour le Trésor Royal, notamment en période de guerre où nombre d'obus tombent au parti casuel par décès (Gibiat 23). » Plus les conflits ont continué, plus les officiers sont morts au combat. Puisque l’État avait besoin de remplacer les postes vacants en raison d’une noblesse d’épée qui voulait continuer à profiter des privilèges sans s’engager à la tradition militaire, ces places dans l’armée sont restées ouvertes aux roturiers bourgeois. Autrement dit, ce besoin de recruter et de 38 remplacer des officiers pour l’armée a donné un rôle supplémentaire dont la noblesse de robe et les roturiers commencent à se servir : la possibilité financière en réglant la dette nationale. Par conséquent, il est sous le règne de Louis XIV que l’État semble reconnaître la puissance des charges vénales partout. La Maison du roi, par exemple, commence à bénéficier de la popularité des charges vénales en fabriquant plusieurs nouveaux titres au début du 18e siècle, tel que la charge de perruquier du roi et la charge de porte-manteau du roi. Selon Gibiat, ces titres honorifiques étaient considérés comme les « offices inutiles » (24). Il est intéressant de constater que la charge que possède Georges Bologne est en effet d’un département qui se trouve dans la Maison du roi (Ribbe 88). Bien que la fonction de ces rôles semble devenir culturellement une partie de la tradition à l’égard du roi, la raison pour laquelle ces titres existent sont en effet pour que le Trésor Royal puisse économiser et faire plus d’argent suivant le siècle pollué des guerres civiles. La réputation de Pierre Bologne III, l’oncle de Saint-George, est fascinante selon l’effondrement de la noblesse concernant son titre de secrétaire du roi. Bien explique que les offices du secrétaire du roi, comme toutes les autres charges vénales, donnaient également la même impression que les charges vénales auprès de l’armée et la Maison militaire du roi. Pourtant, il faut contextualiser la manière dont les offices du secrétaire du roi fonctionnaient afin de comprendre les complexités concernant la vente des charges. En générale, il ne fallait pas demander une charge exigeante afin de vendre certains titres selon la région. Il fallait en effet annoncer qu’il n’était pas nécessaire de maintenir une résidence dans la région associée à la charge, y compris les charges d’une région loin de Paris ; de plus, la quantité de travail était presque inexistante au point où l’on avait le droit d’être également en possession de n’importe quel autre office en même temps (Bien 75). Si l’on prend compte de la constatation que 39 l’objectif de la charge du secrétaire du roi était de produire des nobles « à un vitesse d’une chaîne de montage » afin de gagner une grosse somme de l’argent, il semble que la position sociétale et la charge de secrétaire du roi de Pierre III, l’oncle de Saint-Georges, n’était pas aussi prestigieuses que l’on aurait pensé (Christofferson 11). Bien que Pierre soit installé à Angoulême après s’être marié, il a pris possession d’un titre en tant que secrétaire du roi à Metz, une ville qui se trouve de l’autre côté du pays (Ribbe 53). Il est intéressant de constater qu’il était vraiment possible de travailler en tant que secrétaire de roi pour une ville sans y vivre. Puisque la monarchie prioritise la décision de se concentrer sur la dette nationale, la marchandisation de la noblesse laisse ouverte la porte aux nouveaux membres ainsi qu’au manque de professionnalisme (Christofferson 18). Autrement dit, l’exemple de Pierre Bologne démontre à quel point l’État prioritise et profite de la vente des charges vénales au lieu de créer des titres auprès de la monarchie dans lesquels les titulaires serviront à un objectif utile. La dégradation présumée de la noblesse se reflète dans l’afflux et la réputation de nouveaux titulaires fainéants. Il n’est plus une question de la moralité, mais de l’argent qui mérite les privilèges héréditaires de la noblesse d’épée. Donc, il semble que le manque de morale désignera le potentiel pour un critère classificateur duquel celui de rang se servira afin de maintenir la supériorité de la noblesse d’épée en régénérant la matrice raciale. À partir des années 1770s, on peut constater une nouvelle vague des réformes concernant la noblesse. Elle est en réponse à la croissance en nombre des roturiers qui devenait un problème en provoquant une démarcation entre eux et le reste de la noblesse (Bien 218). Il semble que les roturiers sont devenus la cible parce qu’ils étaient généralement les fils de la bourgeoise qui se trouvaient en fonction d’une charge grâce à leur fortune (Bien 192). Afin de recontextualiser le lien entre les colonies françaises et la métropole en Europe en renforçant celui sur l’immoralité 40 parmi la noblesse en France, je constate qu’il faudra retourner aux colonies et chercher le « répertoire-dans-les-archives », la perspective méthodologique de Ndiaye. On peut donc prendre compte de l’influence libertine à l’égard de l’immoralité dans les colonies en abordant la notion de la « race ». C’est-à-dire qu’il faut retenir en compte la perspective herméneutique dans laquelle l’objectivité reste toujours dans la notion que le terme « race » signifie plutôt le sens de lignée. Il est à travers cette perspective que nous avons déjà examiné l’enfance de Saint-George. En reprenant cette notion, il est clair que Saint-George a hérité le statut d’esclave ainsi que la responsabilité d’être susceptible aux immoralités libertines à travers le « sang » ou la « race » de sa mère lorsqu’il vivait au moins en Guadeloupe. Cette perspective semble nécessaire afin de comprendre le sens de la Lettre du Ministre aux Administrateurs du 7 janvier 1767 concernant le rôle de « la race nègre » auprès de la noblesse : « Sa Majesté ayant déjà exclu ceux qui sortent d’une Race Nègre, de toute espèce de fonction et charges publiques dans les Colonies, elle les exclut, à plus forte raison, de la Noblesse, et vous devez être scrupuleusement attentifs à connaître l’origine de ceux qui vous présenteront des titres pour les enregistrer (Régent 79). » Afin de mettre en avant l’influence des colonies françaises sur la métropole au sein de l’ancien régime, il est important de constater la manière dont on peut examiner cette déclaration à travers la position sociale de Saint-George auprès des anciennes colonies françaises. Autrement dit, dans quelle mesure peut-on repérer la manière dont on respectait la construction sociale dans les limites fixées par la société ? Tout d’abord, la déclaration semble se refléter dans la tentative d’empêcher l’accroissement du métissage au cours de la dernière moitié du 18e siècle avec la création des lois visant à renforcer la séparation entre les esclaves et libres noirs, d’une part et les 41 des blancs, de l’autre (Garraway 216). Sachant que « ceux qui sortent d’une Race Nègre » comprend également toutes les personnes issues d’une mère esclave, y compris les enfants métis, il est clair et net que cette déclaration renforce l’effort des colonisateurs de séparer les noires des blancs. De plus, l’ordre que l’on doit « être scrupuleusement attentif à connaître l’origine de ceux qui vous présenteront des titres » semble faire référence aux fils métis. Si l’on prend compte de Saint-George, la description de ses traits phénotypiques se présentent comme étant exotiques, donc évidemment racisées, car sa mère était noire. Pourtant, il est tout à fait possible que quelqu’un d’autre, qui peut tracer leur métissage à une grand-mère esclave, puisse être capable de se faire passer pour blanc selon sa descendance.Ceci est un exemple dans lequel il faut examiner soigneusement les papiers avant d’enregistrer des titres. Il se pose de plus la question de savoir dans quelle mesure le roi voulait exclure ceux d’une descendance africaine, « à plus forte raison », de la noblesse. Si l’on prend compte d’autres lois contemporaines, on défendait souvent aux Noirs d’adopter les noms blancs en voyageant en France (Garraway 30). Par conséquent, il semble tout à fait possible que « ceux qui sortent d’une Race Nègre » mette en relief l’héritage par le « sang » du statut d’esclave afin de leur défendre d’adopter le nom du père blanc. S’il n’était pas pour sa renommée en tant que musicien célèbre, il semble possible que Saint-George, dû à son héritage esclave, n'ait pas eu le droit de garder son surnom intitulé. Pourtant, le racisme contre Saint-George est le résultat d’une seule chose. La mise en question du binaire racial, dans lequel « blanc » et « noir » désignait respectivement « libre » et « esclave », avait provoqué une peur parmi la population blanche (Garraway 30). Autrement dit, le métissage menaçait de subvertir l’autorité blanche dans les anciennes colonies françaises (Garraway 228). Peut-être semble-t-il possible que « ceux qui sortent d’une Race Nègre » se serve d’un rappel du besoin d’attribuer aux fils métis, y compris 42 ceux capables de se faire passer pour blanc, la responsabilité d’être susceptible aux immoralités libertines. Par conséquent, il semble possible que l’objectif de cette déclaration soit d’empêcher les fils métis d’un riche père-colonisateur de faire enregistrer des charges vénales en tant que roturier avant d’arriver en France pour qu’ils ne puissent menacer de subvertir l’autorité blanche de la noblesse d’épée. Quel que soit la réponse, il semble probable que cette déclaration royale contre la descendance africaine auprès de la noblesse dans les colonies se reflète dans le fait que Saint-George n’était qu’un roturier en France après avoir quitté ses charges. Il ne serait pas étonnant si « ceux qui sortent d’une Race Nègre » fassent vraiment référence aux individus métis en France comme Saint-George. À la suite de la Lettre du Ministre aux Administrateurs en 1767, des nouvelles réformes au regard de la noblesse commencent à redéfinir la démarcation des roturiers. Puisque l’État voulait continuer à élever les prix des charges vénales, il fallait en retour faire l’effort d’empêcher les roturiers d’avoir un moyen d’accéder à la noblesse afin de faire en sorte que les charges étaient néanmoins toujours attirantes (Bien 192). Un moyen de faire cela aurait pu être l’élimination totale des charges vénales, mais ce n’était pas vraiment une possibilité étant donné qu’il était le meilleur moyen pour l’État de gagner beaucoup d’argent. Par conséquent, à partir de 1770, l’État présente le marc d’or de la noblesse, un paiement supplémentaire de 3 000 livres, que tous les nouveaux roturiers devaient payer en plus de la charge vénale (Bien 105). Quant à Saint-George, il devait payer 5 000 livres pour la charge vénale de Contrôleur Ordinaire des guerres en plus du titre d’Écuyer (Bardin 58). De plus, il fallait payer encore plus que 1 117 livres pour l’enregistrement officiel de l’acte (Bardin 59). Bien que Saint-George ait déjà pris ses charges en 1763 et 1764 avant l’intégration de ce nouveau paiement, l’on peut imaginer que le besoin de payer 3 000 livres en plus est une énorme somme de l’argent pour être en possession d’une charge vénale. Dans l’ensemble, on 43 peut constater que ces nouvelles réformes semblent avoir l’intention de fonctionner de manière efficace non seulement en rendant l’image de la noblesse plus attirante, mais aussi en diminuant la ligne de démarcation pour les roturiers. Les mêmes idées se montrant au sein du Lettre du Ministre aux Administrateurs du 7 janvier 1767 se reflètent ailleurs. Maurepas, le secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies (1723-1749), déclare ouvertement que l’héritage des mariages entre ceux d’une descendance européenne et ceux d’une descendance africaine résultera d’une « tache de sang » (Régent 78). D’après le sens de parenté, cette déclaration semble évoquer que l’enfant métis d’une esclave mère hérite non seulement le statut d’esclave et la réputation d’être susceptible aux immoralités libertines, mais aussi la marque selon laquelle la présence du métissage se montre en tant qu’une aberration de la nature. Il semble comme si Maurepas pensait qu’une personne de couleur, en raison de la « tache de sang », n’était pas capable de fonctionner de manière appropriée en dehors des colonies, surtout auprès de la noblesse. Cette idée se voit au regard de son opinion dans laquelle il « [s’est montré] hostile à l’accession à la noblesse de personnes ayant un ascendant esclave, originaire d’Afrique (Régent 78). » On peut constater également que Malouet, un membre de l’administration coloniale, partageait le même avis. Afin de plaider contre l’intégration des métis dans la noblesse, il constatait devant le bureau des colonies en 1784 : « Les libres sont des affranchis ou des descendants d’affranchis. À quelque distance qu’ils soient de leurs origines, ils conservent toujours la tache de l’esclavage et sont déclarés incapables de toutes fonctions publiques : les Gentilshommes même qui descendent à quelque degré que ce soit d’une femme de couleur ou qui ont contracté quelque alliance avec cette classe d’hommes ne pourront jouir dans la colonie des prérogatives de la noblesse (Régent 80) ». 44 La manière dont Malouet aborde la « tache de l’esclavage », similaire à la « tache de sang », évoque également la notion qu’un enfant métis d’une descendance africaine est une aberration. Donc, il semble évident que l’influence coloniale du libertinisme à l’égard de l’immoralité joue un rôle dans la régénération de la matrice raciale. Or, il se pose la question de savoir dans quelle mesure l’héritage du statut d’esclave et de la réputation libertine empêche le métis de profiter « des prérogatives de la noblesse » en France. Si l’on retourne à la vague des nouvelles réformes à la fin du 18e siècle, l’on peut constater que l’État prend la décision de remonter néanmoins au passé afin de prendre l’inspiration des vieilles lois. Après l’établissement de loi Ségur de 1781, il fallait présenter désormais de la preuve généalogique démontrant que le père, le grand-père, et l’arrière-grand-père, c’est-à-dire quatre générations, étaient anoblis afin de s’inscrire à l’École militaire (Bien 199). L’idée se basait sur le principe que la famille exercerait une influence formatrice sur la prochaine génération, surtout celle des futurs membres de l’armée (Bien 212). De plus, il est en revanche les bonnes familles anoblies qui n’étaient que capables de transmettre « les valeurs les plus importantes, l’inclination, la volonté, et finalement les bonnes habitudes (Bien 213). » En d’autres termes, s’il est la famille anoblie qui établit les valeurs et les bonnes habitudes, il est la riche famille bourgeoise qui provoque une influence amorale. Cette juxtaposition se pose la question de savoir si Saint-George, le fils métis d’une mère esclave, était élevé au sein des mauvaises traditions familiales selon les nobles d’épée. Autrement dit, Saint-George, le résultat des immoralités libertines ayant une « tache de sang », sera-t-il un jour capable de se comporter de manière appropriée afin d’être comparable aux valeurs et aux bonnes habitudes dignes de la noblesse d’épée ? Il semble qu’il n’est pas le cas. Il semble de plus que c’est pour cela que l’on reprochait les nouveaux officiers de la noblesse, les roturiers, d’avoir fait preuve d’un manque de discipline en raison de « la vie libertine » (Bien 45 191). Il est sûr que la loi Ségur de 1781 est donc en réponse à la notion que la noblesse s’effondrait en conséquence du croissement des charges vénales, et que ces charges sont la raison pour laquelle les officiers sont devenus moins sérieux au cours du 18e siècle. Si l’on reprend encore une fois le rapport entre les colonies française et la métropole, il semble que la manque de morale, sous l’influence de l’immoralité libertine, qui accompagnera le sens de ligné à l’égard du critère classificateur de « race », jouera un rôle dans la régénération de la matrice raciale afin de restituer la supériorité à la noblesse d’épée. La matrice raciale semble régénérer une dernière fois avant la fin du 18e siècle en raison de la manière dont la moralité joue dans l’intégration du critère classificateur de « traits phénotypiques » dans la hiérarchisation de la société française. Alors que l’on pouvait attribuer aux européens blancs la responsabilité d’avoir exprimé les immoralités libertines, il semble que l’héritage de la responsabilité d’être susceptible aux immoralités libertines encourage l’assocation du critère classificateur de « rang » et celui de « traits phénotypiques ». Par conséquent, l’idée que les personnes racisées sont inférieures aux blancs en raison de la capacité, de la moralité, etc. deviennent fixes. Pourtant, la manière dont il était possible pour l’enfant métis, comme le montre la vie de Saint-George, de vivre auprès du monde blanc en France, le métissage semblait quand même devenir inférieur à tous. Quand les noirs libres et les colons américains s’adressent à l’Assemblé nationale le 28 novembre 1789, on voit que l’image négative des métis se partagent parmi les blancs et les noirs : « Le nègre est issu d’un sang pur ; le mulâtre au contraire, est issu d’un sang mélangé ; c’est un composé du noir et du blanc, c’est une espèce abâtardie. D’après cette vérité, il est aussi évident que le nègre est au-dessus du mulâtre qu’il est évident que l’or pur est au-dessus de l’or mélangé (Réclamations des nègres libres). » 46 À la fin du 18e siècle, le métissage était tellement puissant. L’identité métisse existait en raison de la convergence des deux parties d’un monde binaire. Alors que l’homme blanc semblait craindre le potentiel du métissage de subvertir l’autorité blanche dans un monde colonial, l’homme noir enviait sa liberté. Pourtant, comme le démontre le métissage de Saint-George auprès de la noblesse, le métis semble également être un paria au sein de la société française. Quand il doit hériter le statut d’esclave et la responsabilité d’être susceptible aux immortalités libertines de sa mère esclave, en même temps il ne répondra jamais aux critères d’hériter de son père en raison de sa « tache de sang ». 2.3 : Conclusion Bien qu’il soit clair que Saint-George a vécu une vie extraordinaire, et que l’on puisse même dire que l’histoire de sa vie démontre qu’il a défié le statu quo, la manière dont on met l’accent sur son succès exceptionnel a l’air de voiler la réalité au regard de la communauté racisée. Par exemple, tous les commentaires, tels que celui de Bardin constatant que Saint-George « est le seul [métis] connu » d’avoir « acquiert une telle charge », donne l’impression qu’il a fait l’impossible (59). Si l’on met en œuvre la pratique de chercher le « répertoire-dans-les- archives », on peut affirmer, comme l’explique Ribbe43, que les opinions de Maurepas et Malouet sont en réponse à la réalité que des personnes racisées faisaient l’ascension de la noblesse. Il est également important de constater que l’identité métisse de Saint-George semble avoir en effet empêché la façon dont il vivait auprès de la noblesse en tant que chevalier, car on peut conclure que Saint-George n’était jamais officiellement anobli. Pourtant, étant donné que 43 Ribbe constate qu’il était commun pour les fils métis des riches colons de demander un titre d’ennoblissement (Ribbe 107). 47 ses effets personnels sont perdus, il est crucial de constater que nous ne pouvons jamais savoir sa vraie expérience d’après lui. Si nous suivons les conseils de Ndiaye, il ne faut pas prendre la décision sur l’identité racisée des individus au passée afin d’éviter de les assujettir à l’acte violent de les racialiser (19). Il est tout à fait possible que les réformes, qui semblait provenir de la nécessité de séparer les noirs esclaves et libres des blancs afin d’empêcher le métissage d’usurper l’autorité blanche auprès de la noblesse, n’avaient rien à voir avec le sort de Saint- George en tant que chevalier. Peut-être voulait-il quitter ses charges dans l’armée afin de consacrer sa vie à la musique. En même temps, cela ne veut pas dire non plus qu’il n’est pas important de mettre en question les réformes de la noblesse afin de dévoiler toutes les possibilités que d’autres personnes racisées, maintenant oubliées de l’histoire, auraient pu vivre en tant que roturier. Dans l’ensemble, la vie de Saint-George vérifie que bien qu’il soit capable de devenir un roturier au 18e siècle en tant que personne racisée, il semble seulement le cas en conséquence des réformes au sein de la noblesse dans lesquelles les chargés vénales affaibliraient sa hiérarchisation ainsi que sa légitimité aux yeux du public. Cette observation invite à s’interroger de plus la possibilité que le succès de Saint-George de devenir roturier rajoute aux tensions au sein de la noblesse qui continuent à croître pendant le reste du siècle. La vie de Saint-George démontre également que la mise en question de la fracture coloniale semble dévoiler que la culture française était sous influence des anciennes colonies françaises. Par conséquent, les notions préjugées au regard du libertinisme semblent jouer non seulement un rôle dans les réformes de la noblesse, mais aussi dans la vie de Saint-George et celle d’autres racisés possibles. Ce lien démontre deux constatations sur la moralité au sein de la nouvelle vague des réformes au regard de la noblesse d’épée. Tout d’abord, il est par-là que l’on verra que Saint- 48 George, non seulement en tant que métis qui « hérite de l’immoralité libertine de sa mère », est également celui « qui n’a pas la capacité » d’apprendre les valeurs, ni les bonnes habitudes de la noblesse. De plus, la matrice raciale, prête à stabiliser la manière dont les traits phénotypiques fonctionnent dans la hiérarchisation de la société française, rajoute la moralité en tant que quatrième composant au regard de la « race » de la noblesse d’épée. 49 Chapitre 3 : Les « scripts de métissage » de Saint-George Bien que Saint-George soit connu en tant que violoniste, chef d’orchestre, et compositeur, il est tout à fait possible que sa présence, en tant que métis en possession des charges de noblesse, est devenue de moins en moins accepté au cours du 18e siècle. Le premier chapitre met en question la position sociale de Saint-George afin de déterminer si ses charges de noblesse étaient aussi convoitées que constataient les spécialistes Banat, Bardin, Guédé, Ribbe et Smidak. Le 18e siècle marque une période dans laquelle la noblesse commence à perdre sa légitimité en conséquence des charges vénales44 au point où l’État avait besoin des gens pour les prendre. Il s’avère que Saint-George a pris ses charges en même temps. Par conséquent, il n’était qu’un roturier qui n’a jamais retenu ses charges pour la durée requise45 afin de faire officiellement l’ascension dans la noblesse. Il faut également constater que la dernière moitié du 18e siècle correspond au moment où l’idée de défendre aux descendances africaines de s’intégrer à la noblesse commence à se répandre. Or, son expérience avec le racisme ne se borne pas auprès de la noblesse. Malgré sa renommée en tant que musicien, il ne serait pas étonnant si les idées préjudiciables à l’égard de la noblesse se présentent également dans sa carrière musicale. L’on a en effet de la preuve concrète des idées racistes sur Saint-George auprès de la reveu contemporaine Correspondance littéraire dans laquelle on peut lire la critique raciste abordant Saint-George et la première de son opéra La fille garçon (1787). Il se pose donc la question de savoir dans quelle mesure la race joue un rôle au regard de la réputation de Saint-George en tant que compositeur d’opéra. Dans l’article « Race and the Idea of the Aesthetic », Simon Gikandi 44 Les charges vénales sont les titres de noblesse que l’on peut acquérir par l’achat. 45 D’après les réformes de 1704, il fallait retenir une charge de noblesse pendant 20 ans afin de faire officiellement l’ascension dans la classe ou la « race » de la noblesse. 50 incorpore l’approche de « la pureté et le danger » d’après Mary Douglas46 afin de mettre en question la crise fondamentale sur laquelle la culture moderne se base. Il constate qu’elle est le résultat de la coexistence de la doctrine de liberté et celle de domination (6). En remontant à l’époque des Lumières, il explique que « le discours de la rationalité se base sur […] l’imagination […] de son opposé, le sauvage irrationnel (9) ». En d’autres termes, il faut éliminer les éléments qui semblent polluer l’ordre et la hiérarchie car ils sont impurs et dangereux. De la même manière, il est évident alors qu’au 18e siècle le concept de l’esthétique se base également sur la notion de la race en sorte qu’elle se définit selon l’opposé du « blackness » (10). L’approche des « scripts de blackness47 » de Noémie Ndiaye semble important de mentionner, car il est fascinant de faire remarquer à quel point la notion de l’esthétique selon les Lumières semble se présenter de manière aussi raciste dans les représentations des gens racisés selon les pièces de théâtre au 17e siècle que dans la Correspondance littéraire. C’est pour cela que je constate l’importance d’effectuer une analyse sur deux extraits de la critique de Saint- George et son opéra La fille garçon en incorporant « les scripts blackness » que développe Ndiaye. Il est ainsi que l’on peut établir la manière dont la présence du « blackness » réfute la pureté et l’ordre. Pourtant, il faut également attirer l’attention sur le fait que Saint-George était un roturier métis auprès de la noblesse. Donc, je constate également qu’il faudra réexaminer les « scripts de blackness » afin de déterminer une double perspective liée à son métissage. Par conséquent, la représentation de Saint-George en tant qu’homme racisé semble capable de mettre en avant les expériences vécues contrairement à un ancien roturier qui participait autrement au 46 Douglas constate que « l’acte de séparer, de purifier, de délimiter, et de punir la transgression consiste d’une fonction principale dans l’objectif de s’imposer de l’ordre à une expérience fondamentalement en désordre (5). » Si l’on retourne au premier chapitre, l’exemple de la « tache de sang » démontre cette approche en sorte que le « sang- mêlé » d’un métis est impur, donc dangereux à l’ordre. 47 Afin de voir plus d’information sur Noémie Ndiaye et les « scripts de blackness », voir en page 29. 51 système de la noblesse. Il est ainsi que l’on peut déterminer les « scripts de métissage » auprès de la vie de Saint-George. 3.1 : L’Analyse du premier extrait De tous les scripts de Ndiaye, on peut en repérer un qui semble approprié pour Saint-George et ses compétences en escrime : les « danses noires ». Pendant l’ancien régime en France, la moresque était une danse tellement populaire dûe à sa qualité acrobatique et comique qui exigeait des mouvements rapides des mains et des pieds (Ndiaye 206). En effet, comme Ndiaye nous l’explique, « le danseur doit avoir une exceptionnelle technique de danse ainsi qu’être conscient de sa propre virtuosité (206). » C’était un vrai spectacle à regarder. Pourtant, puisque les danseurs étaient souvent des acteurs blancs en blackface, on peut se poser la question de savoir si cette danse manifestait l’idée imaginaire d’une personne racisée que les Français tenaient à l’esprit (Ndiaye 200). On peut examiner le Ballet de Monseigneur le Duc de Vandosme (1610). Le protagoniste s’appelle Monsieur Gobbenmagne, le gouverneur de l’Ile des Singes, qui se transforme en un Maure et danse avec des singes sur la musique des violons (Ndiaye 208). La façon dont il imite les singes démontre la proximité entre ceux d’une descendance africaine et les animaux. En prenant compte de ce script, il semble évident que cette danse met en question la notion de la pureté et de l’ordre au regard d’une esthétique des Lumières. Tout d’abord, il faut constater que l’on regarde ce genre de danse au lieu d’y participer. Autrement dit, il y a une séparation entre le public blanc et ceux qui font la danse en blackface. De plus, Il est aussi intéressant de constater que cette danse, qui est interprétée en blackface, incorpore des mouvements chaotiques, voire en désordre. Pourtant, la manière dont le protagoniste danse avec les singes est l’élément le plus frappant. En démontrant que les personnes racisées sont proches 52 des animaux par imitation, cette danse semble renforcer l’idée que les personnes racisées sont non seulement moins cultivées, mais aussi naturellement moins intelligentes. Plusieurs des thèmes du script « danses noires » se trouvent dans la critique de la Correspondance littéraire. Par exemple, l’extrait suivant : « La musique est de Monsieur de Saint-Georges, mulâtre plus célèbre par son prodigieux talent pour l’escrime, et par la manière très-distinguée dont il joue du violon, que par la musique de deux opéra-comiques, Ernestine et la Chasse, qui ne survécurent pas à leur première représentation (Grimm 448). » On peut constater tout d’abord un lien entre le Ballet de Monseigneur le Duc de Vandosme et Saint-George. Si l’on prend en compte le rapport étroit entre l’escrime et la danse, on peut constater que les mouvements rapides des mains et des pieds exigés dans la moresque semblent similaires à la virtuose technique de danse qu’il faut à Saint-George en tant qu’escrimeur. L’image d’un homme métis en train d’exécuter des tels mouvements semble démontrer sa proximité à la nature. Par conséquent, de la même manière que la musique est naturellement secondaire dans un ballet par rapport à un danseur, le talent pour l’escrime de Saint-George semble supérieur à ses talents musicaux en mentionnant d’abord son talent pour l’escrime, et puis le violon. Autrement dit, il faut mettre en relief d’abord les éléments en désordre, tels que les mouvements frénétiques d’un danseur ou d’un bretteur, afin d’associer une personne racisée avec l’impureté, c’est-à-dire une menace à la hiérarchie. Par conséquent, il est possible de les priver en même temps de la capacité d’être cultivées. Il est également important de constater que le talent pour l’escrime semble faire référence à la force et le physique de Saint-George en tant qu’escrimeur. Cette idée semble se refléter selon l’usage du mot « jouer » ou lieu d’ « interpréter ». Tout d’abord, l’idée d’un homme fort et racisé 53 renforce l’image d’un sauvage irrationnel qui, en retour, met en question la capacité de Saint- George d’être artistique en tant que violoniste. Dans l’ensemble, la manière dont la force et le physique selon l’escrime associe son premier talent à la nature, et donc cette observation souligne la notion que Saint-George est inférieur en tant que musicien. En ce qui concerne son métissage, il est évident important d’attirer l’attention sur l’usage du mot « mulâtre ». Si l’on adopte une perspective herméneutique, c’est-à-dire établir un sens de l’objectivé selon les idéaux à l’époque, on peut examiner ce choix de mot avec le concept que la « race » signifie plutôt le sens de lignée48. Tout d’abord, il faut constater que l’on fait référence à Saint-George en tant que « Monsieur de Saint-George ». Il est intéressant, car son titre en tant que chevalier n’est même pas mentionné une seule fois. Si l’on retourne au premier chapitre, la loi Ségur de 1781 était la réforme qui est finalement arrivée à priver les roturiers, comme Saint- George, de faire l’ascension à la noblesse (Bien 216). Sachant que la « race » peut signifier ce que l’on hérite de sa famille, il semble que l’usage de son métissage veut faire référence non seulement à son héritage de l’esclavage, mais aussi pour faire rappel au fait que Saint-George n’est pas un chevalier. Autrement dit, Saint-George n’était qu’un roturier. L’usage du terme péjoratif semble aussi se servir d’un autre rappel que Saint-George n’a pas le droit de faire l’ascension à la noblesse en conséquence de son héritage des immoralités libertines. Il ne possède pas la capacité morale de fonctionner auprès de la noblesse. Il semble également important de constater que son métissage évoque une notion concernant sa musique. Par exemple, il faut mettre en relief la juxtaposition de succès de Saint- George en tant que violoniste avec son échec en tant que compositeur d’opéra. Étant donné qu’assister à l’opéra était avant tout un événement social auprès de la noblesse, cette 48 Afin de voir plus d’information sur cette perspective herméneutique du terme « race », voir en page 19. 54 juxtaposition semble démontrer que la musique d’un homme métis n’est pas appropriée à la haute société. Cette notion se renforce en prenant compte que, le violon, un petit instrument musical et extrêmement transportable, était très populaire dans les colonies parmi les esclaves. Par conséquent, il semble tout à fait possible que la manière dont la juxtaposition de sa carrière en tant que violoniste et compositeur d’opéra renforce non seulement sa proximité à la nature, mais aussi son héritage de la « tache de sang » au regard de l’esclavage. Autrement dit, sa présence n’est pas appropriée dans la noblesse en tant que musicien, ni chevalier. 3.2 : L’Analyse du deuxième extrait Quant au deuxième extrait, il s’avère que la critique contient des notions démodées sur la race même si le ton est déjà explicitement raciste. Afin de dévoiler tout, il faudra décortiquer la présentation de Saint-George selon ce que Ndiaye intitule le « script marchandisé de blackness ». Au cours des 17e et 18e siècles, cette description a encouragé le public à « lire la représentation des personnes racisées en tant qu’indicatif du statut de la marchandisation du personnage » dans lequel ils se manifeste à travers les métaphores bestiales, alimentaires, et luxueuses (Ndiaye 73- 74). Dans notre cas, il s’agit surtout d’analyser la référence aux animaux que nous verrons dans le deuxième extrait. Les métaphores bestiales se trouvent souvent dans les récits qui servent non seulement à remettre des personnes racisées avec des aspirations sociales à leur place, mais aussi à évoquer de plus un aspect comique, car en incarnant un objet de la marchandisation, c’est un rappel que les animaux – ou les personnes racisées – n’ont pas le droit de propriété (Ndiaye 74). On peut constater que ce script de blackness semble contenir des éléments à l’égard de la pureté et du danger. Par exemple, on peut voir que ce script est la façon dont le dramaturge profite du positionnement des gens racisée selon la société. C’est-à-dire que ce thème est simplement une autre manière dont on peut mettre en relief la proximité entre les gens racisés et 55 des éléments impurs et malpropres, tels que les animaux et la nature. De plus, les animaux, la nourriture, ou les objets de luxe sont tous à l’origine de la nature que nous avons exploitée. Le « script marchandisé de blackness » démontre la supériorité et l’autorité de l’homme blanc sur la nature et ceux qui en viennent. Il est également important de constater que ce script est souvent utilisé pour évoquer la comédie. Il se pose la question de savoir dans quelle mesure cette esthétique se reflète dans la notion de la rationalité. Si l’opposé est le sauvage irrationnel, cette observation se sert d’un rappel que les personnes racisées sont seulement capables d’être comique, car elles ne sont pas aussi cultivées pour être sérieux. Le deuxième extrait de la critique raciste dans la Correspondance littéraire semble aborder les thèmes du « script merchandisé de blackness », surtout celui sur la métaphore bestiale, afin de décrire Saint-George : « La musique […] a paru également dépourvue d’invention. Ceci rappelle une observation que rien n'a encore démenti, c'est que si la nature a servi d'une manière particulière les mulâtres en leur donnant une aptitude merveilleuse à exercer tous les arts d’imitations, elle semble cependant leur avoir refusé cet élan du sentiment et du génie qui produit seuls des idées neuves et des conceptions originales (Grimm 448). » Il semble important de constater la manière dont le terme « nature » évoque une certaine notion concernant la métaphore bestiale. Tout d’abord, « c’est que si la nature a servi d’une manière particulière les mulâtres » semble renforcer l’association entre Saint-George et le sauvage irrationnel. Autrement dit, en discutant de la musique de l’opéra de Saint-George, la manière dont cette observation fait référence à la nature affirme deux choses sur sa carrière en tant que compositeur. Premièrement, l’association de Saint-George à la notion d’un sauvage met 56 en question son intelligence. Par conséquent, il semble probable donc qu’il n’était pas capable de produire « des idées neuves », ni « des conceptions originales. » Pourtant, cette référence à la nature ne renforce que la notion de réduire les compétences de Saint-George en tant qui violoniste. Autrement dit, Saint-George est limité concernant la manière dont il joue au violon, car il ne sait qu’imiter d’autres violonists. Cette référence à la nature indique de plus une métaphore bestiale. La manière dont les compétences de Saint-George se définissent dans la description « une aptitude merveilleuse à exercer tous les arts d’imitations » évoque une imagerie particulièrement forte. En réduisant son talent, il semble dépeindre un perroquet qui répète ce qu’il entend. Pourtant, cette réduction du talent fait également penser au Ballet de Monseigneur le Duc de Vandosme et la danse dans laquelle le protagoniste Gobbenmagne imite les singes. Bien qu’il soit vraiment Saint-George qui « joue » du violon, la réduction de son talent évoque plutôt l’image d’un singe avec un violon grâce à sa capacité d’ « imiter » d’autres musiciens. On peut également constater que la référence à la nature en plus de la métaphore bestiale diminue l’intelligence de Saint-George au point où elle met en question le génie de Saint-George, car « [la nature] semble cependant [lui] avoir refusé cet élan du sentiment et du génie qui produit seuls des idées neuves et des conceptions. » Cette déclaration pose la question de savoir si le sauvage pouvait devenir un homme cultivé. Autrement dit, la manière dont la musique de Saint- George se décrit évoque la notion qu’il n’est pas rationnel pour l’esprit irrationnel de posséder le vrai génie. Comme Gikandi l’explique, même si une personne racisée pouvait trouver un moyen d’apprendre et de devenir instruit, leur « génie » n’était pas naturel (15). En d’autres termes, selon le mode de penser au 18e siècle, il n’était que possible pour les personnes racisées, comme cette critique constate à l’égard de Saint-George, d’imiter d’autres personnes blanches. 57 D’après la perspective herméneutique de la « race » selon le sens de lignée, on peut constater d’autres détails qui semblent importants concernant le métissage au 18e siècle. D’abord, il semble que l’usage du terme « nature » souligner l’héritage de Saint-George. En d’autres termes, même s’il était possible de constater que Saint-George était le compositeur le plus talentueux de l’Europe, et qu’il avait de plus la fortune la plus vaste du monde, « son aptitude » est seulement « merveilleuse » au sens que Saint-George est d’une descendance africaine. À cause de sa « tache de sang », son talent est de peu d’importance. Cette observation souligne celle de sa position sociale. En d’autres termes, ayant hérité la « race d’esclave », ou le « sang » de sa mère, comme Saint-George ne sera pas capable de produire « des idées neuves et des conceptions originales », il n’appartiendra jamais non plus, par la nature, à la noblesse. Puisque l’on reprend l’observation que cette critique ne fait pas référence à Saint-George en tant que chevalier, il se pose la question de savoir si cette critique reproche à Saint-George de continuer à s’identifier au nom de son père après la loi de Ségur. La notion qu’il n’est pas naturel pour une personne racisée de posséder le génie est liée à sa « race » héritée. De même, si l’on reprend la notion d’hériter la responsabilité d’être susceptible aux immoralités libertines, il n’est pas naturel pour Saint-George d’apprendre à vivre de manière morale. Par conséquent, même après avoir adopté le nom de son père depuis plusieurs années, il sera toujours « refusé » du lignage de son père, et donc de la société. La signification de « race » selon le sens de lignée semble également importante concernant ses talents musicaux. Il faut constater que cette critique semble servir à remettre Saint-George à sa place. Il se pose la question de savoir s’il n’est pas naturel pour un métis de présenter un opéra-comique auprès du théâtre de la Comédie-Italien. Cette observation vient de la métaphore bestiale dans laquelle la référence entre une personne racisée et les animaux se sert 58 d’un rappel qu’elles n’ont pas le droit aux propriétés. En d’autres termes, cette notion semble renforcer que les personnes racisées n’ont pas non plus le droit de posséder l’intelligence, ni le génie, car ce n’est pas normal, voire contre la nature. Dans l’ensemble, Saint-George en tant que compositeur d’opéra auprès de la Comédie-Italien est aussi anormal qu’un métis auprès de la noblesse d’épée. 3.3 : Conclusion Bien que Saint-George soit connu en tant que violoniste, chef d’orchestre, et compositeur, les idées préjudiciables à l’égard de la noblesse se présentent de plus dans sa carrière musicale en tant que compositeur d’opéra. En empruntant l’approche des « scripts de blackness » de Noémie Ndiaye, l’analyse de la critique raciste sur Saint-George et son opéra La fille garçon a donné l’occasion de faire remarquer la présence du « blackness » ainsi que l’éléments concernant un métis auprès de la noblesse d’après l’esthétique des Lumières. Par conséquent, la représentation de Saint-George en tant qu’homme racisé a permis de mettre en avant ses expériences en tant qu’ancien roturier qui participait autrement au système de la noblesse. Il est ainsi que l’on a les « scripts de métissage » auprès de la vie de Saint-George. Après avoir effectué cette analyse sur la critique raciste de la Correspondance littéraire, on peut constater que la plupart de ses expériences, soit auprès de la noblesse, soit en musique, semblent se concentrer sur la notion de « race » selon le sens de lignée. C’est-à-dire, alors qu’il a hérité la responsabilité d’être susceptible aux immoralités libertines, il a également hérité l’aptitude limitée d’après le mode de penser au 18e siècle. Je constate alors que l’on peut décrire la vie de Saint-George selon le « script d’héritage ». Il faut aussi faire remarquer que le rôle de la rationalité contre celui d’irrationalité renforce la notion que Saint-George, peu importe à quel point il devient instruit et cultivé, n’aura jamais la capacité d’être plus qu’un spectacle en tant 59 que « mulâtre ». Pourtant, la vérité se trouve dans la réalité qu’il était un vrai génie qui a simplement défié la « nature ». C’est pour cela que je constate le vrai script de métissage selon la vie de Joseph Bologne, le Chevalier de Saint-George : le « script de danger ». 60 Chapitre 4 : L’Injustice selon l’héritage de Saint-George Afin de conclure cette étude sur Saint-George, il faut attirer l’attention sur la fracture érudite que la race rend visible auprès la communauté des chercheurs en les études du 18e siècle. D’un côté, il s’agit de l’importance de maintenir une perspective herméneutique en sorte que l’objectivité respecte les expériences subjectives de l’époque. Selon Frédéric Régent, malgré son évolution au sein de colonisation au cours du 18e siècle, le terme « race » contenait toujours le sens de lignée venant du terme « sang » du 17e (Régent 72). Afin de mettre en question la position sociale de Saint-George auprès de la noblesse, cette perspective herméneutique a contextualisé la notion de « race » dans le sens que Saint-George a hérité non seulement la position d’esclave de sa mère49, mais aussi la responsabilité d’être naturellement susceptible aux immoralités libertines. D’après l’analyse de la critique raciste dans la Correspondance littéraire, la perspective herméneutique de « race » selon le sens de lignée a dévoilé de plus la notion que Saint-George a également hérité, à travers la position d’esclave de sa mère, une « aptitude merveilleuse à exercer l’art d’imitation »50. C’est-à-dire, un métis, par sa descendance africaine, n’avait pas naturellement la capacité de posséder le génie51. De l’autre côté, il s’agit de l’importance d’adopter une perspective herméneutique tout en soulignant les expériences vécues par les gens racisés. Selon Doris Garraway, l’objectif est de fournir un moyen d’étudier la littérature coloniale en raison de la fracture actuelle entre les anciennes colonies et la métropole afin de combler les lacunes à l’égard de l’ « amnésie dans l’esprit collectif52 » (Garraway 5). Pourtant, il s’agit d’un grand engagement, car les Français 49 Il s’agit d’une référence à la loi romane partus sequitur ventrem à la page 33. 50 Il s’agit d’une référence à l’analyse d’une critique raciste de la Correspondance littéraire dans le troisième chapitre à la page 56. 51 Simon Gikandi explique que celui d’une descendance africaine, en raison de son héritage du « race » de l’esclave, est toujours à la proximité du « sauvage irrationnel ». Donc, il n’est pas capable de posséder le vrai génie. 52 C’est-à-dire l’objectivité selon les expériences subjectives de l’époque. 61 attribuent l’abolition de l’esclavage aux Lumières, telles que Melchior Grimm, le fondateur de la Correspondance littéraire (Garraway 9). Malgré les réussites de Saint-George, les revues critiques contemporaines, telles que la Correspondance littéraire, continuent à renforcer la notion que Saint-George ne possédait pas le génie pour être compositeur d’opéra. Il se pose la question de savoir dans quelle mesure une perspective herméneutique est appropriée étant donné qu’il semble avoir des effets contradictoires. Simon Gikandi semble aborder une notion similaire à l’égard des idéaux contradictoires concernant sa discussion de l’esthétique de la culture moderne. Il constate qu’il est le résultat de la coexistence des deux doctrines : la liberté et celle de la domination (6). Pourtant, Miranda Fricker semble expliquer la manière dont on peut s’occuper de ce phénomène en présentant la notion d’une herméneutique injustice. Autrement dit, la présence d’une injustice herméneutique peut effectivement se montrer en conséquence de la dissimulation d’une expérience, souvent vécue par un individu ou un groupe en marge de la société, à cause d’un préjugé structurel auprès de la connaissance collective53 (155). Bien qu’une perspective herméneutique rende un contexte historiquement authentique, il faudra ne pas oublier qu’elle s’accompagnera également et inévitablement de la connaissance collective. D’après cette observation, je constaterai donc l’importance de prendre la peine de faire attention aux lacunes qui ont la possibilité de se produire et provoquer une injustice herméneutique. Il est non seulement un moyen de dévoiler les vestiges coloniaux actuels qui continuent à nuire à la réputation de Saint-George, mais aussi la manière dont on 53 Afin de contextualiser ce concept, Fricker retourne aux années 1970s afin de présenter Carmita Wood et son expérience concernant son droit aux allocations chômage après avoir démissionné de son travail. Bien qu’elle ait été victime de plusieurs tentatives d’attouchements, on l’a considérée inadmissible à l’assurance-emploi, car elle avait pris la décision de démissionner « sans raison » (Fricker 150). Autrement dit, Wood ne pouvait pas déclarer qu’elle avait été victime de l’agression sexuelle, car le terme n’a pas encore été créé pour décrire son expérience (Fricker 151). 62 pourra démanteler les vestiges coloniaux actuels qui continuent à nuire à la réputation de Saint- George tout en réparant la fracture coloniale. 4.1 : La Correspondance Littéraire et l’évolution de l’opéra-comique Il n’est pas surprenant que le mode de penser au cours de l’ancien régime, la période concernant la monarchie française, suivait un code moral entièrement différent par rapport à celui de nos jours. Étant donné que la société se reflète dans les productions culturelles, il est également important de prendre en compte des différences sociétales à l’égard des recherches musicologiques du 18e siècle. Il faut donc maintenir une perspective herméneutique afin d’étudier les archives d’après un contexte historique. Quant à Grimm, il est intéressant que sa revue soit devenue une source primaire à laquelle font souvent référence les musicologues auprès les études au 18e siècle. La Correspondance littérarie était non seulement une revue écrite à la main, mais aussi un moyen par lequel Grimm partageait le bavardage et les scandales concernant la vie parisienne à un faible nombre de souverains étrangers54 (Curran 201). Il semble crucial de souligner que cela veut dire que la Correspondance littéraire n’était pas connue auprès du public jusqu’après la mort de Grimm. Ainsi, la revue a disséminé de l’information en secret. D’après cette observation, il semble important de faire attention au contenu, car il se pose la question de savoir si les opinions de Grimm étaient objectives ou non. Quant à Doussot, elle constate qu’en effet la Correspondance littéraire n’était pas entièrement subjective (75). Tout d’abord, Grimm n’était jamais le seul auteur. Par exemple, il est en effet connu selon d’autres disciplines littéraires et artistiques que la Correspondance littéraire publiait des contributions d’autres écrivains. De 1759 à 1781, Denis Diderot jouait le rôle du critique d’art et faisait tous 54 Certains des abonnés comprennent plusieurs princes et pricesses, deux rois, une reine, une impétrice russe, et le chef du saint-Empire romain germanique (Curran 201). 63 les commentaires à l’égard des salons auprès de l’Académie de Beaux-Arts (Curran 202). Il semble très probable que Henri Meister écrivait également pour la revue. Son rôle dans la Correspondance littéraire semble être en raison de Grimm et son choix d’avoir abandonné la revue à un certain moment55. Selon la musique, la Correspondance littéraire est également très limitée comme source. Doussot56 constate une focalisation sur l’opéra-comique qui éclipse le besoin d’aborder d’autres genres de musique (78). De plus, elle met en question la capacité pour la Correspondance littéraire d’être une bonne source pour la musique ainsi que le gout pour l’opéra (77). Cette observation invite à s’interroger dans quelle mesure la Correspondance littéraire est fiable comme source primaire. Chose intéressant, contrairement aux beaux-arts et à la littérature, il n’y avait pas encore d’autorité institutionnelle concernant la musique au 18e siècle, et par conséquent « la hiérarchie de la connaissance [musicale] était faiblement définie (Weber 88). » Autrement dit, alors que les beaux-arts et la littérature avaient déjà bien développé un code schématique à l’égard de l’esthétique, on ne peut en dire autant pour la musique (Weber 89). C’est pour cela que l’on a un système hiérarchique musicaux des tendances éphémères. Quant à l’opéra-comique en tant que forme d’art, on observera une évolution incroyable au cours de la dernière moitié du 18e siècle à la suite de la Querelle des Bouffons (1752-1754). Étant donné que la popularité de l’opéra-comique57 représentait une menace pour la tradition 55 Edmond Scherer est la seule personne d’avoir officiellement déclaré que Grimm s’est écarté de la revue en 1773. Il est pourtant l’auteur de la première biographie de Grimm in 1887. Il constate néanmoins que Grimm a remis tout le journal à son secrétaire Henri Meister après avoir complètement fait la transition entre son rôle du critique et celui du diplomate en 1773. Si Scherer a raison, cela veut dire que Grimm n’a rien écrit depuis 1773, y compris la critique raciste sur Saint-George après la première de la Fille garçon en 1787. (Scherer 12). 56 Il faut noter que malgré sa constatation que Grimm a fait la transition entre une critique et un diplomate, Doussot attribue néanmoins le rôle de l’auteur à Grimm comme la plupart des musicologues. 57 Par tradition, l’opéra-comique est la combinaison d’un dialogue à parler et des arias à chanter. 64 tragique58 de l’Académie royale de musique, Papillon de la Ferté59 a dressé un plan dans lequel la troupe de l’Opéra-Comique devait fusionner60 avec celle de la Comédie-Italienne61 afin de protéger la « suprématie des troupes parrainés par la Couronne » (Doe 31). Par conséquent, l’État exerçait un grand contrôle sur la troupe de l’Opéra-Comique afin d’imposer des restrictions sur les éléments musicaux qu’ils pouvaient incorporer (Doe 33). Par exemple, un opéra-comique n’avait pas le droit d’incorporer le récitatif62, qui obligera en retour les compositeurs d’inclure en revanche le dialogue (Doe 54). L’apparition de la nouvelle troupe de l’Opéra-Comique, désormais au sein du théâtre de la Comédie-Italienne, a eu lieu en même temps que celle du drame Diderotienne (Doe 47). Par conséquent, on voit que le genre de l’opéra-comique adopte également la notion de rendre les spectacles plus réels, telles qu’une mise en scène authentique et l’usage des vêtements ordinaires (Doe 56). Or, pour les 30 prochaines années, la popularité de l’opéra-comique commencera à exercer une influence sur l’Opéra et vice versa. Il est intéressant de constater que Grimm, ami proche de Diderot et de Rousseau, partageait son avis sur les reformes des philosophes63 au sein du théâtre et de l’opéra-comique au milieu du 18e siècle. Or, si l’on compare le style de l’opéra-comique pendant la période de la Querelle des Bouffons (quand Grimm écrivait vraiment pour la Correspondance littéraire), à celui des années 1780s, il se pose la question de savoir si la Correspondance littéraire, selon les futurs critiques, renforçait simplement les idées démodées de Grimm. Tout d’abord, Grimm 58 L’opéra tragique est une sous-classification de l’opéra seria dans lequel le récitatif remplace le dialogue. Le livret se base sur les histoires de la Grèce antique. 59 De la Ferté s’occupait des Menus-plaisirs de la Maison du Roi depuis la Querelle des Bouffons jusqu’en 1792. 60 Cette fusion a eu lieu en 1762. 61 Ce théâtre est la maison pour la troupe italienne qui se base sur la tradition de la Commedia dell’arte. Étant donné qu’il est du théâtre, la fusion avec la troupe de l’Opéra-Comique était initialement très compliquée. 62 Le forme d’art d’opéra consiste de deux éléments : le récitatif et l’aria. Le récitatif est le composant dans lequel se trouve l’action de l’intrigue par rapport à l’aria dans lequel un personnage exprime en réponse leur sentiments. 63 Rousseau a composé l’opéra Le devin du village (1752). Il avait aussi l’opinion que l’opéra devait avoir un livret en italien, car le français n’était pas approprié en chant. 65 trouvait que la langue française n’était pas capable de se chanter (Doussot 46). Cependant, l’opéra-comique était finalement considéré comme une forme d’art française dans les années 1780s (Doe 116). De plus, André Grétry64, le compositeur le plus célèbre pour ses opéras- comiques, était la source des critiques d’après Grimm65. Comme Patrick Barbier le dit, Grétry utilisait des livrets consistant des pauvres dialogues (296). Il est intéressant de constater que le thème d’un pauvre livret est similaire à l’héritage de Saint-George en tant que compositeur d’opéra. Il faut constater de plus que plusieurs opéras-comiques, comme ceux de Saint-George, ne suivront pas leurs premières, même pour les compositeurs d’opéra les plus célèbres du siècle (Doussot 44). Quant à Grétry, il n’y avait que deux opéras qui maintiendront leur popularité (Barbier 256). Il semble donc qu’un échec au théâtre de la Comédie-Italienne était néanmoins attendu pour le compositeur ordinaire, sans parler de la carrière de Saint-George. Alors, il se pose la question de savoir quelle est la raison pour laquelle la Correspondance littéraire, surtout le nom de Grimm, contient toujours tellement du pouvoir, même de nos jours. En reprenant la notion de Weber que la musique manquait une autorité institutionnelle, il constate que « l’absence d’une vraie tradition classique, la vie musicale n’avait aucune intelligentsia aucune élite instruite à dominer le goût du public (85) ». Dès que le mouvement romantique a mis en question l’autorité de la musique classique, il est devenu la nouvelle tradition sur laquelle se base la suite de la musique classique jusqu’à nos jours (Weber 85). Il semble, pourtant, que cela veut également dire que les critiques du 18e siècle, même les sources qui semblait renforcer des vielles idées, sont compris dans cette nouvelles fondation. 64 Barbier constate que Grétry était le « maître de l’opéra-comique » (289). 65 Il critique les airs de Lucile, car elles étaient « symétrique et circulaire », ce qui est inévitable avec la langue française (Doussot 53). 66 4.2 : Conclusion Les ouvrages critiques auprès de la décolonialité s’engagent dans l’objectif de dénoncer les vestiges du colonialisme qui persistent toujours à dominer les expériences des gens racisés. La manière dont ils abordent ce sujet consiste en la mise en question de la fracture coloniale, c’est- à-dire le déséquilibre du pouvoir, entre les anciennes puissances coloniales et leurs anciennes colonies. En ce qui concerne le niveau conservateur de l’institution de la musique classique, il n’est que les années 1990s que Marcia J. Citron et Susan McClary mettent en question pour la première fois la discipline en incorporant une perspective féministe. Quant à nos jours, il s’agit de la normalisation de la théorie critique de la race et l’épistémologie anti-raciste auprès de la musicologie. Selon Ayana Smith, l’histoire de musique se reflète dans le canon musical qui se base sur les compositeurs blancs en raison des principes élitistes provenant du colonialisme et de l’esclavage (1). Autrement dit, l’institution de la musique classique se fonde sur l’élitisme et le privilège blanc comme une ancienne revue qui promouvait l’opinion démodée d’un vieux philosophe raciste. La vie du compositeur Saint-George apporte des réponses au défi de démanteler l’institution de la musique classique. Bien qu’il soit Régent qui a fourni la perspective herméneutique du terme « race » selon lequel le sens de lignée a dévoilé plusieurs influences des anciennes colonies sur la vie de Saint-George, il faut quand même attirer l’attention sur ses autres constatations. Par exemple, il souligne l’importance d’analyser les textes en les « [intégrant] dans la production normative et juridique de son temps, sans y projeter les problèmes de notre époque (Régent 77). » Autrement dit, ce choix d’éviter d’aborder le sujet du racisme au passé n’encourage que de manière explicite l’acte de la dissimulation d’une expérience et ce mode de penser résulte en une injustice herméneutique. 67 On peut également constater que le refus de mettre en question la connaissance collective, c’est-à-dire la perspective herméneutique, peut finir par y cacher une notion oppressive. Il est en effet la manière dont la Correspondance littéraire et le nom de Melchior Grimm sont devenus des symboles du prestige et du pouvoir. Par conséquent, la notion que Saint-George ne possédait pas le génie de composer des opéras réussis continue à se propager jusqu’à nos jours. Par conséquent, Saint-George est non seulement victime d’une injustice herméneutique à l’époque de sa vie, mais il continuera à vivre cette expérience jusqu’à ce que nous arrivions à changer le récit. 68 BIBLIOGRAPHIE Banat, Gabriel. The Chevalier de Saint-Georges: Virtuoso of the Sword and the Bow. New York, Pendragon Press, 2006. Banat, Gabriel. “Le Chevalier de Saint-George, Man of Music and Gentleman-at-Arms: The Life and Times of an Eighteenth-Century Prodigy.” Black Music Research Journal, vol. 10, no. 2, 1990, pp. 177-212. https://www.jstor.org/stable/779385, Accessed 23 Dec. 2022. Barbier, Patrick. Marie-Antoinette et la musique. Paris, Grasset, 2022. Bardin, Pierre. 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