Africa Media Review Vol. 7 No. 1 1993 © African Council for Communication Education Un exemple de recherche sur les pratiques de lecture des etudiants Abidjanais par Regina Traorfe Serie* Resum6 Cet article pour 1'objectif de dresser un lnventalre des pratiques de la lecture des 345 etudiants a Abidjan pour assister a obtenlr des eclairclssements sur des programmes culturels adaptes aux besoins locaux. Un questionnaire a ete soumls aux etudiants afln de verifier les hypotheses que (i) les types de lecture dependent du sexe de 1'individu, (11) le modele parental est un facteur explicatlf des pratiques de lecture, et que (111) la lecture est vecue avant tout comme un acte utilitaire. L'etude s'agit qu'aucune campagne de promotion du livre et de la lecture n'aboutira au succes sans s'appuyer sur la connaissance precise des pratiques et des motivations des populations visees. *Dr. Regina Traore Serie est maitre assistant en communication, CERCOM, Universite d'Abidjan. Cote d'lvoire 73 A Case Study of Reading Habits of Students in Abidjan by Regina Traorfc Serle Abstract This study examines the reading habits of 345 students in Abidjan. A questionnaire was given to students to verify the following hypotheses: (i) that reading habits depend on the gender of the individual; (ii) that the parental model factor contributes to reading habits; and (ill) that reading is done mainly for commercial purposes. The findings suggeststhat no book promoting or reading campaign will succeed, if it is not supported by accurate facts based on a study of the practices and motivations of the target population. 74 Introduction En C6te divoire, comme dans de nombreux pays africains, la lecture est consideree comme une acuvite nouvelle et etrangere au contexte socioculturel. Ne dit-on pas que livoirien ne lit pas, que le livre est hors de prix, que seuls les eleves et les etudiants (et encore!) pratiquent une lecture utilitaire qui cesse des leur entree dans la vie active? Toutes ces affirmations ne reposent sur aucune donnee scientiflque. Bien souvent, elles relevent de l'observation empirique. du bon sens ou de prejuges tenaces vehicules depuis a present une trentaine d'annees. Possedons-nous cependant des informations precises et detaillees sur les habitudes, les motivations, les pratiques de lecture des Ivoiriens? En C6te divoire, nous constatons qu'il n'existe pas a notre connaissance. de grande enquete nationale effectuee sur un echantillon representatif de la population par des organismes publics tels 11NSEE ou 1'IFOP en France. Par contre, nous connaissons quelques etudes menees par des organismes d'etudes prives, tel l'lnstitut Ivoirien d'Opinion Publique (IOP) et commanditees par des societes commerciales etrangeres desireuses de prospecter avant de venir s'installer en A&ique. Les resultats de ces etudes sont le plus souvent confidentiels. D'autres types d'etudes sont egalement effectuees par des experts ou consultants etrangers commis par des organisations Internationales telles 1TJNESCO (cas du rapport de Jean Pierre Benichou (1)), la Banque Mondiale (1), etc. La encore, les resultats ne sont pas publics et une diffusion restreinte a lieu au niveau des ministeres concernes et de quelques professionnels privilegies du livre (grandes librairies, maisons d'edition etatiques). Enfin demeurent les travaux divers des bibliothecaires et documentalistes de tout bord, les memoires et les theses d'etudiants en sociologie, en psychologie ou en sciences de la communication, qui, eux, sont le fait des nationaux. II est evident que les objectifs de tous ces travaux different selon les equipes, les personnalites et les institutions qui les produisent. En effet si certaines recherches ont un but economique ou commercial, d'autres expriment un desir pedagogique ou veulent conduire une politique culturelle nationale. Quant aux travaux universitaires. ils appartiennent generalement a un certain type de socilogie descriptive et sont destines a la promotion personnelle. Les methodologies sont differentes selon la formation initiale des chercheurs et surtout les moyens financiers: dans l'ensemble, l'enquete sociologique par 75 questionnaire administre domine. Lorsque nous interrogeons les professionnels du livre (editeurs, libraires, bibliothecaires) sur le bien-fonde et leur connaissance des resultats de ce type d'etudes, nous constatons une grande indifference par rapport au prbleme ou alors quelques voeux pieux sur la necessity de recherches sur le livre. Nous avons meme rencontre un editeur oppose aux etudes de besoins des lecteurs ivoiriens car disait-il "Le succes d'un livre releve avant tout du hasard et de l'intuition" (sic).... Comment peut-on developper le marche du livre dans notre pays si Ton ne dispose d'aucune information minutieuse et approfondie sur des sujets aussi divers que: • • • • les livres possedes au foyer la frequence de la lecture de livres les sommes consacrees a l'achat de livres les lieux ou Ton se procure le livre C'est au vu de cette insuffisance de recherches effectuees par des ivoiriens sur des grouses sociaux precis et utilisant des outils methodologiques scientifiques que nous avons accepte avec Joie en 1986 d'encadrer le memoire de maitrise d'une etudiante (3) sur un public que nous cotoyons quotidiennement: les etudiants d'Abidjan. Nous allons done livrer la methodologie et les resultats de cette enquete avant d'en observer les limites. Les etudiants Abidjanais et la lecture La probleme La lecture est un outil pedagogique indispensable dans la formation universitaire. Outil pratique pour l'acquisition des connaissances, le livre, ou du moins le recours a l'imprime, permet d'actualiser regulierement le savoir acquis car 1'evolution rapide de la science dans tous les domaines remet sans cesse en question les enseignements recus. Or, aux dires de la plupart des enseignants, le role de la lecture n'est pas apprecie a sa juste valeur par les etudiants qui manifesteraient une indifference certaine pour cette pratique. Le niveau de formation et la culture generate des etudiants s'en ressentiraient. Par rapport a quoi et a qui les etudiants seraient de "mauvais lecteurs?" Quelles informations corroborent cette opinion repandue 76 chez le corps enseignant? L'objet premier de cette enqueue etait de dresser un lnventaire global des pratiques de la lecture des etudiants. Le terme etudlant designe icl toute personne autorlsee a s'inscrire dans un Etablissement d'Enseignement Superieur apres l'obtention du Baccalaureat. La vllle d'Abldjan a ete retenue comme unique lieu d'enquete car la plupart des Ecoles Superieures et toutes les Facultes y sont lmplantees. De plus, c'est a Abidjan que le circuit du livre est le plus developpe. • • • • Que lisent les etudiants abidjanais? Quels sont leurs gouts et leurs motivations en matiere de lecture? Quels sont leurs besoins de lecture et comment les satisfont-ils? Comment jugent-ils leurs pratiques de lectures? C'est a toutes ces interrogations que 1'enquete a tente de repondre. Un questionnaire, anonyme et standardise *de 49 questions) a ete soumis aux etudlants afin de verifier les hypotheses suivantes: 1. 2. Les types de lecture dependent du sexe de l'lndivldu Le modele parental est un facteur explicatlf des pratiques de lecture: les etudiants issus de milieux analphabetes lisent probablement moins que leurs camarades ayant des parents cadres moyens ou superieurs. 3. La lecture est vecue avant tout comme un acte utilitaire. L'6chantillon 345 Etudiants ont constitue la poopulation-test de ces hypotheses. Issus des facultes de Lettres, Medecine et Pharmacle, de grandes ecoles-ENS, ENSEA, INSET-ils represented 2,35% de la population de ces etablissements. Cet echantillon comporte essentiellement des etudiants invoiriens, boursiers vivant en residence universitaire, ages de 19 a 28 ans et dont les 2/3 etalent inscrlts en premier cycle universitaire. Cette population a domlnante masculine-70,7% d'etudlants pour 29,3% d'etudlantes. proportion legerement plus elevee par rapport au milieu de reference-presente deux autres caracteristiques: 77 • Une part importante des peres se consacre aux travaux de la terre (43,4% de peres agriculteurs). • • Viennent ensuite 34% de peres cadres moyens ou superieurs, 13,7% d'employes subaltemes et 8,9% d'artlsans ou commercants. Quant aux meres, elles sont souvent des femmes au foyer (44,1%); elles participent egalement aux actlvites agricoles (36,70%); 9,3% d'entre elles sont artisanes ou commercantes; 8,7% des meres occupent des fonctions de cadres et 1,2% d'employees. Cette repartition taux d'analphabetisme tres eleve chez les meres (81,8%) tandis que cette proportion est de moitie pour leurs conjoints: 48,7% d'analphabetes. 19,8% des peres ont effectue des etudes superieures. Presque la moitie des etudiants provient done d'un milieu analphabete, a pour corollaire un • Typologie des lecteurs De cet echantillon se degagent cinq types de lecteurs: 2. 1. Les non-lecteurs. Environ 10% des etudiants constituent la categorie des non-lecteurs: il s'agit d'individus n'ayant lu ni livre (durant le mois precedant l'enquete), ni revues (durant la semaine precedant radministration du questionnaire). Ils consacrent moins d'une demi-heure par jour a la lecture et declarent ne lire aucun des titres signales en bibliographic par leurs enseignants. Les foibles lectews. 24% des etudiants peuvent etre consideres comme de faibles lecteurs. Ceux-ci lisent 1 a 2 livres par mois, 1 a 3 Journaux (ou revues) par semaine a raison d'l a 2 heures par jour. 3. Les lecteurs moyens. Ce groupe rassemble a peu pres 49% des etudiants, e'est le plus important. Ces etudiants lisent 2 a 3 livres par mois, environ 3 journaux (ou magazines) par semaine. Leur temps Joumalier de lecture est de 2 heures. Les grands lectews. Ils representent 15,5% de l'echantillon et se demarquent nettement des groupes precedents par leur forte capacite de lecture: 4 a 6 livres par mois, 4 a 6 revues par semaine avec un temps de lecture allant de 3 a 4 heures par jour. Les lectews "voraces". Par rapport a l'ensemble de l'echantillon, ces etudiants, lecteurs "voraces", lisent enormement: 7 livres dans le mois, 7 revues par semaine et 5 a 6 heures de lecture par 4. 5. 78 jour, n s'agit la d'un comportement presque marginal si Ton en juge par leur proportion; 1,5% des etudiants. Cette typologie revele un taux relativement eleve de non-lecteurs (10%). La lecture personnelle jouant dans l'enseignement superieur un role encore plus significatif qu'au lycee, cette proportion de non- lecteurs surprend quelque peu: s'agit-il d'un phenomene accidentel ou d'un rejet de la lecture? Quelle Incidence cette non-lecture aura-t- elle sur la reussitte scolaire? Seule une serie d'enquetes realisees avec une periodicite reguliere permettra de mesurer la realite de ce phenomene. Que lisent les itudiants? Cote Uvres. La preparation des examens n'exclut point chez les etudiants une pratique de la lecture-detente. En effet si 58,70% d'entre eux ont lu a des fins scolalres, 30% des etudiants ont trouve l'occasion de parcourir des titres de litterature generale. II existe done un interet assez vlf pour la litterature. Interroges sur leurs prederences litteraires, 6050% des etudiants citent en premiere position le rornan (toutes categories confondues: policier, sentimental, historique, science-fiction, etc.). Parmi les preferences citees en deuxieme position, apparait a nouveau le roman (28,8%) et de facon molndre le theatre (10%). La bande dessinee domine a partir de la 3e preference et la poesie reussit une percee en tant que 4e genre apprecie avec 12,20% des reponses. Ainsi la litterature exerce un attrait certain sur les etudiants mais seuls 33% d'entre eux pulsent dans la production nationale (CEDA, NEA). Un tiers de ces lecteurs confondent le CEDA et les NEA et attribuent faussement des titres a l'un ou l'autre editeur. Les 6tudiants ont lu de 1 a 11 titres du CEDA ou des NEA durant les 17 niols precedant l'enquete. Les ouvrages cites representent 16,50% des titres au catalogue 1986 du CEDA et 13,78% des titres aux NEA. La domine a nouveau le roman avec 38,50% des titres cites. Les livres les plus lus sont pour le CEDA, La carte d'identite de J. M. Adiaffi et Lesfrasque d'Ebinto de A. Kone; pour les NEA, Le sursaut national de L. D. Fologo, Sous le pouvoir des Blakoros (tomes 1 et 1) de A. Kone et La revoUe d'Affiba (Reglna Yaou). Les etudiants declarent les avoir lus par gout personnel, par souci de culture generale, ou encore par contrainte scolaire. Quant a ceux qui n'ont pas lu de titres de ces malsons d'edition, ils evoquent le 79 manque de temps (26%) ou d'infonnation (11,2%). Certains estiment mediocre la production litteraire de ces deux editeurs (15%). D'autres sont rebutes soit par Faspect des livres (1,3%) soit par leur prix eleve (2,5%). En definitive 16% des etudiants jugent de maniere defavorale les editeurs nationaux tandis que 15% en sont par contre satisfaits. Neanmoins l'ensemble de cet echantillon reste largement tributalres de la production etrangere. C&t&Joumawc. Les jounaux et magazines remportent un franc succes aupres des etudiants: 89% des etudiants ont lu 1 a 9 Journaux (ou revues) durant la semaine precedant l'enquete. Les etudiants ne lisent generalement qu'un seul type de journaux: en premiere position se trouve. de toute evidence, la presse d'infonnation generate qui domine egalement en seconde position. Cependant elle est fortement concurrencee par des magazines d'information politique. Ainsi 50.80% des etudiants lisent conjointement FratemUbe-Matin et Ivotre-Dtmanche, 21.50% FratemM-Matin et un magazine du groupe Jeune Afrique, 7,9% Fraternite-Matin et he Monde. Le choix de ces supports d'information revele une volonte de maitriser l'environnement immediat tout en etant sensible aux problemes du continent africain. A ce niveau, il n'y a pas de differenciation sexuelle des lectures, par contre les besoins secondaires d'information divergent de maniere significative: • les etudiants se demarquent des etudiantes avec 19,9% d'ecart pour ce qui est de la presse feminine. • l'ecart s'accentue quand on passe au 3e type de periodlque lu. Les etudiants consomment d'avantage la presse economique, sportive ou specialisee (11,8% a 28,6% d'ecart par rapport aux etudiantes). Et les jeunes femmes s'interessent plut6t aux magazines de sante (28,40% d'ecart par rapport a leurs camarades masculins). Une attitude est cependant commune aux etudiants des deux sexes: ilsboudentunanimement les revues universitaires. 7 etudiants (2% de l'echantillon) donnent trois titres de revues: Kasa bya Kasa, la revue de 11LENA et Oltfant S'agit-il d'une mauvaise circulation de l'information au sein de l'universite ou d'une disaffection pour les publications universitaires? 58,70% des etudiants ont lu au moins un livre pour preparer les 80 examens et presqu'aucun d'entre eux n'a songe a la production interne! II y a la matiere a reflexion. Comment les etudiants se procurent-ils les livres et journaux? L'emprunt, pendant la periode d'enquete, est une pratique bien plus generalisee que l'achat de livres ou periodiques. 56,90% des etudiants ont depense entre 200 et 50.000 F CFA; les depenses les plus faibles correspondent a l'achat de joumaux, les plus elevees a des acquisitions de livres. 61% des depenses se situent entre 200 et 5.000 F CFA et elles ont tu pour cadre trois librairies: Carrefour, la Librairie du Pare et la Librairie de France. imprimes a leurs amis • • • • 85,50% des etudiants ont declare qu'ils empruntent des 58,6% se sont adresses a des bibliotheques universitaires 38,70% aux enseignants Les bibliotheques des centres culturels etrangers sont peu frequentees • 17,8% des etudiants y ont eu recours. L'absence ou les difficultes de contact avec les enseignants, le manque de disponibilite des etudiants et l'inadequation des fonds des centres culturels aux preoccupations des etudiants sont autant de facteurs explicatifs des faibles scores recueillis par les deux demiers modes d'emprunt. La qualite des relations entre les individus conditionne pour de nombreux etudiants l'approvisionnement en livres et revues. Que repr&sente la lecture pour les itudiantsi? Les etudiants reprennent a leur compte le discours des intellectuels sur la lecture: 65,60% d'entre eux affirment lire pour s'instruire et/ou se cultiver. Alors que 41,30% de ces etudiants ont lu pour se distraire. ils ne sont que 33,8% a evoquer l'aspect ludique de la lecture. II s'agit id d'une tentative de se valoriser vis-a-vis de l'enqueteur en privilegiant l'aspect "noble" de la lecture. Neanmoins, il ne faut pas perdre de vue que 12 ans (au moins) de scorlarite ont durablement impregne les etudiants de cette conception "instrumentale" de la lecture. 81 Les conclusions de l'enqufite Les resultats de l'enquete enterinent finalement les hypotheses de depart a savoir 1'influence de l'environnement familial, la differendation des lectures selon le sexe et l'aspect utilitaire de la lecture. En effet parmi toutes les variables susceptibles d'expliquer les habitudes de lecture des etudiants, le niveau d'etude et la profession du pere semblent determinants. Les etudiants issus d'un milieu "favorise" s'inserent dans la categorie des lecteurs moyens, des grands lecteurs ou des lecteurs voraces. Quant a la dtfferenciation des lectures selon le sexe, elle est particulierement marquee en ce qui conceme les besoins secondaires en information: presse feminine et magazines de sante pour les filles; revues economiques, sportives ou specialisees pour les garcons. Par contre, il n'appara't pas de difference significative pour les genres litteraires. Enfin, la lecture represente avant tout pour tous les etudiants interroges un moyen d'acces a l'instruction ou a la lecture. Les limites methodologiques et les axes complfementaires de recherche La definition des concepts L'etudiante utilise alternativement les termes: imprime, ecrit, ouvrage, livre, sans pour autant donner une definition precise de ces mots. Or bien souvent, dans 1'esprit des enquetes, il existe une confusion semantique au niveau de ces termes. Par exemple, un scientiflque appelera "livre" une revue scientiflque de 200 pages. De meme, les genres auxquels s'est limite l'etudiante (roman, periodiques, presse, magazines) ne sont explicites nulle part dans le memoire, encore moins les categories de roman qui paraissent tout a fait arbitraires. En effet, un roman sentimental peut designer aussl bien un "Harlequin" qu;un roman-photo dans 1'esprit de beaucoup de Jeunes filles. Quant a la "presse feminine", englobe-t-elle egalement le roman-photo? Ainsi, l'absence de definition des concepts entraine des ambiguites et un flou qui ne permettent pas de considerer a leur juste valeur les reponses obtenues. 82 La typologie des lecteurs et les lectures Un lecteur "vorace" de magazines peut-Il etre compare a un lecteur "vorace" de livres car "lire un magazine, dont le contenu est par definition sequentiel, et lire un livre, ne demandent pas la meme organisation mentale, le meme niveau culturel. Les deux lectures ne sont pas comparables, elles ne mettent pas en jeu les memes acquisitions culturelles" (4). Un etudiant peut egalement s'estimer "non-lecteur" parce qu'il deteste la lecture (ITEM qui n'apparait jamais au cours de l'etude) ou tout simplement parce que ses lectures ne correspondent pas a la vision "elitiste" de la lecture vehiculee inconsciemment par le questionnaire. N'oublions pas que les etudiants constituent un public de "lettres" au sens noble du terme. On retrouvera done dans leur reponse, les notions de culture "legitime" ou de culture "cultivee". C'est pourquoi la Bande dessinee et le Polar ne representent respectivement que 5,2% et 18% des lectures des etudiants, tous sexes confondus. Ces chiffres sont en contradiction totale avec les statistiques de lecture de la Bibliotheque du Centre Culturel Francais ou ces genres litteraires rencontrent un franc succes aupres de la Jeunesse Ivoirlenne. Dans notre pays, l'acces au pouvoir social passe par la domination l'ecrit. L'etudiant qui se dit "lecteur" exerce cette actMte de facon utilitaire pour acquerir des connaissances, bref "arriver". C'est pourquoi les titres de livres cites correspondent en majorite aux ourvrages incrits aux programmes universitiares, pour la litterature africaine. Conclusion En conclusion, toutes ces remarques prouvent que d'autres axes complementaires de recherche seraient necessalres pour eviter des generalisations abusives. L'interet de cette recherche est grand, on ne peut le nier. Mais les mecanismes d'acquisition de lecture des etudiants, leur vecu socio-affectif, leurs habitudes de lecture, ne peuvent etre pris en compte par ce type d'etude. C'est a ce niveau que la recherche qualitative permet d'affiner les reponses obtenues. Elle permet d'expliquer et d'eclaircir les donnees quantitatives de l'enquete par questionnaire. Dans le domaine de la recherche sur la lecture en Afrique, les chercheurs ont rarement utilise les interviews individuelles approfondies. 83 Or lire est un acte pluriel par excellence: 11 existe en effet plusleurs lectures a des mements divers d'un meme ourvrages. Le "qul lit quoi?" et le "comment on lit?" sont souvent solidalres d'une meme realite. En Afrique, la situation est d'autant plus complexe que l'acte de lecture ne s'integre pas dans l'lnconscient collectif des populations. Comme le disait Benichou, meme si le livre a un statut social d'une grande valeur, 11 existe tout de meme, en Cote d'lvolre toute une partle de la population pour laquelle l'ecrit ne presente aucune utilite et qui ne se vit pas comme rejetee dans la societe. C'est pourquoi l'etude de la non-lecture permet d'offrir un eclalrage partlculler de la lecture. Nous pensons que les methodes qualltatlves seralent d'autant plus appropriees en Afrique que la lecture y possede un statut ambigu, qui influence souvent les enquetes aussi bien que l'enqueteur. En effet, les conditions d'utilisation de ce type de methodes sont reunies si Ton veut effectuer une recherche approfondie: • II s'agit d'un sujet complexe et delicat (il fait appel aux faijitasmes personnels, a rapprentissage de la lecture et au vecu familial. La pression des "pairs" est tres grande et peut voiler le sens des resultats (on l'a vu lors de l'enqugte ou les etudiants tentent de se conformer a 1'image sociale que Ton se fait d'eux memes). • II s'agissait id de degager des pistes de reflexion, de tenter d'autres methodes de recherche pour obtenir de meilleurs resultats. Pour notre part, nous estimons que la recherche sur la lecture est une necessite pour les pays africains et qu'elle conceme tous les chercheurs universitaires. Elle ne doit plus etre la chasse gardee des societes d'etudes occidentales. car seule cette recherche de fond fournira les eclalrcissements necessaires a 1'elaboratlon de programmes culturels adaptes aux besoins locaux. Ne nous leurrons pas, aucune campagne de promotion du livre et de la lecture ne parviendra au succes sans s'appuyer sur la connaissance precise des pratiques et des motivations des populations vlsees. 84 Notes 2. Mondiale. 1. Benlchou, Jean Pierre. (1985). Les obstacles a la lecture Republique de Cote d'lvoire. UNESCO. Paris. Le Livre en Cdte d'lvoire (1990). Rapport de la Banque 3. Dailly, Patricia (1986). Les etudiants Abidjanais et la lecture. Memoire de Maitrise en sciences de la communication. 4. Robine,Nicole (1984) LesJeunestravaUleursetlalecture. La Documentation francaise, Paris. 85 86